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ACCURACY Mam Galerie Rouen Février 2011


«La fonction du mythe, c’est d’évacuer le réel : il est, à la lettre, un écoulement incessant, une hémorragie, ou, si l’on préfère, une évaporation, bref une absence sensible.» Roland Barthes, Mythologies, Seuil, 1957 La seconde exposition personnelle d’Erwan Venn à la MAM Galerie a quelque chose d’une unité de temps, de pratique et de réflexions sur le contexte de production de l’art. La fin de la décennie 1970 et l’ouverture de celle qui la suit, fonctionnent comme le point de départ et d’arrivée d’un cycle plus vaste dans les œuvres présentées : celui des idéologies sous-jacentes, constamment à l’œuvre. Accuracy, c’est l’un des titres du premier album du groupe The Cure, Three imaginary boys, sorti en 1979. C’est aussi la conclusion de la «glorieuse» époque d’après-guerre, d’une lassitude au sortir des années 1960, des premiers désenchantements de l’Occident triomphant. C’est la fin d’un modèle économique, le début de la dissolution du monde ouvrier, la naissance d’une seconde vague de la contre-culture avec le puissant mouvement punk puis post-punk. C’est enfin un épisode de construction personnelle pour l’artiste, où les images, les sons, les écrits ne sont que des références en devenir. Des éléments fondateurs qu’il convoque aujourd’hui, souvent avec humour, toujours avec un pas de côté, pour procéder à l’examen d’un réel en recomposition. Ouvrant l’exposition, Three imaginary boys rejoue les trois éléments de la pochette de l’album de The Cure. Ce dessin au trait est à mettre en relation avec d’autres œuvres où Venn s’empare du graphisme d’albums de 1979-1980. Pour chacun, il renvoie directement à l’original de sa source. La ligne noire sur fond blanc donne un surplus de présence aux trois ustensiles mobiliers/ménagers que sont la lampe à pied, le réfrigérateur et l’aspirateur. Sortis de leur contexte domestique, chromatique – le rose tapageur du fond de l’image de la pochette – les trois appareils apparaissent comme des archétypes d’objets de consommation, dont la banalité est à cent lieues du titre de l’album, qui oscille entre poésie et dimension fantastique. Un collage inopiné, sur le coup énigmatique mais certainement pas anodin pour Venn, entre novation musicale et influence venue sans équivoque des arts visuels. Car les fragments puisés par Venn dans les cultures populaires réévaluent toujours l’apport de la périphérie – papier peint, musique, bande dessinée, cinéma de série B – à la construction de nos références dites patrimoniales. Les productions des sous-cultures, créées à la marge de la reconnaissance officielle, sont pour lui des stimuli qu’il frotte à la culture établie, classique. Réinvestir ce champ des cultures «underground» ou considérées comme «faibles» à l’aune d’une pratique reconnue telle l’art contemporain, c’est prendre pour acquis le caractère hybride de nos itinéraires, caractérisés par la mixité des ascendants. Or, ce qui intéresse Venn, c’est la diversité des manières – «high» ou «low» chez les anglo-saxons – de pointer les choses, des circonstances où ces créations ne sont pas encore «mainstream», digérées et recomposées par les forces qu’elles tentaient alors de saper. Là où Three imaginary boys met les objets à nu pour eux-mêmes, dépouillés de tout accessoire, Closer propose une profondeur de champ. Son titre, une partie de sa réalité physique, sont ceux du second album de Joy Division sorti sur le label Factory Records en 1980. Venn reprend par le dessin la pochette signée Peter Saville : photographie noir et blanc de Bernard-Pierre Wolf, un groupe sculpté de femmes pleurant un homme mort, image enserrée dans un cadre blanc délimité par un trait noir. Le dessin est punaisé d’un badge figurant un détail de la scène où les mains des personnages se rejoignent. Le tout est encadré et placé devant un morceau de papier peint monochrome, dont le motif à pendentif largement répandu dans les intérieurs des années 1970, est un dessin vectoriel. À partir de ces éléments tangibles, Closer opère à la manière d’un emboîtage physique et symbolique. Venn construit une mise en abîme en aplat, sorte d’assemblage support d’un deuil. Plus qu’une zone de nostalgie, Closer est un îlot où se serrent et se superposent l’objet porté, l’album culte, l’impact visuel du design graphique, le motif trop commun des murs de l’intimité... Une œuvre qui donne la possibilité de clore un chapitre en le reconstituant par l’image. Le dessin, qu’il soit manuel ou informatique, joue un rôle clé. Pour le comprendre, il faut l’imaginer comme une constante dans le travail d’Erwan Venn. Accuracy, c’est une référence musicale, mais c’est surtout l’évocation d’une forme de précision dans la représentation de la pensée, dont le dessin est l’outil premier. De fait, cette exposition trouve dans ces notions d’exactitude, de justesse – autres traductions de «accuracy» – une résonance à l’atmosphère musicale de l’album New wave : sons métalliques, tombée nette des rythmes et des six cordes de la basse, portée claire, spectrale des voix. Il y a dans la pratique du dessin telle que Venn la conçoit une oscultation, parfois clinique mais constamment amusée, une observation soutenue qui se double d’une analyse lucide de sources autobiographiques. La distance entre ces images et le temps présent agit tel un filtre qui clarifie ses enjeux. La suite de six dessins Le village des damnés et Boy sondent deux sphères souvent opposées : l’enfance et le danger, le mal, la mort. Portraits d’enfants ou détail de l’œil, ils sont réalisés à la mine graphite. Dans Le village des damnés, film de Wolf Rilla de 1960 où pèse le contexte de la guerre froide, les enfants blonds télépathes d’un village anglais, tous nés le même jour après un événement inexpliqué, s’avèrent rapidement des êtres malfaisant et dangereux. Boy est un dessin de la pochette du premier album de U2 en 1980, où le groupe explore avec candeur des thèmes connexes. Ces portraits ont l’étrangeté et l’ambiguïté propres à l’enfance. Les coiffures très connotées «sixties» des enfants font


écho au chant scout diffusé par une œuvre voisine et ajoutent à la curiosité. Des sentiments mêlés se font jour devant ces dessins, où l’innocence et la pureté des traits des visages le disputent à l’ambivalence des regards fixes, insistants, presque surnaturels. Ils évoquent les photographies anciennes d’enfants présentées par Hans Peter Feldmann, où l’on ressent un étrange malaise devant la pénétration et la persévérance du regard enfantin. Un peu comme si l’âge de tous les possibles signifiait une prise de risque obligatoire, une traite tirée sur le futur, les dessins semblent prendre acte que tout ne s’écrit qu’a posteriori. Dans Killing wallpaper, un téléviseur diffuse une animation à partir d’un motif de papier peint des années 1970, dont les rayures évoquent le volume d’un cube. L’animation est une variation sur cet hexagone répété à la surface de l’écran. Il s’anime par couple puis dans la multitude de ses semblables, tout en faisant émerger régulièrement sa figure isolée. C’est un jeu visuel aux couleurs vives, aux contrastes puissants avec la monochromie, où le clignotement et le déplacement renforcent l’effet de volume. En bande- son, un chant scout dont les paroles satisfaites sont censées encourager les garçons dans leur marche collective. La juxtaposition du son et de l’image produit une réaction d’incongruité qui déclenche le sourire. Mais au-delà du saugrenu, elle dévoile cette tension permanente entre l’individualité et le collectif, la sujétion parfois inconsciente à toute pensée hégémonique. Cette impulsion grégaire du groupe se retrouve dans le caractère viral du processus d’animation : une onde, un dédoublement, une action de contamination progressive. La structure du motif animé fonctionne comme la trame des alvéoles d’une ruche, optimisée pour un fonctionnement consenti et spontané. Le téléviseur est encadré par deux murs sur lesquels est posé un papier peint identique. Mime de l’espace domestique, il élargit les deux dimensions de la télévision, qui devient solidaire du décor feint qui l’encercle. Il n’y a pas d’immunité réciproque, le champ social et la sphère privée s’interpénètrent, consolidant l’effet miroir et l’aveuglement volontaire. Emotional white Cube # 01 et Emotional white Cube # 02 annoncent l’idée d’une série à venir sur l’objet improbable et l’autodérision. Utilisant à dessein et avec fantaisie la forme du socle qui traditionnellement supporte l’œuvre d’art, Venn soustrait ses codes à l’art contemporain, domaine où les préceptes invisibles de la culture cultivée sont légions. La forme générique et épurée du cube (que l’on pense à une œuvre d’art minimal, conceptuel ou à la métaphore de l’espace immaculé du «white cube») est ici subvertie par l’empreinte d’un motif de papier peint floral. Le «dessin» participe par le moulage de la structure même de l’objet, sans pour autant dénaturer son allure. Venn, par le décalage entre une forme, un geste plastique et nos habitudes stéréotypées, se moque d’un art qui n’évite pas l’écueil des dogmes si souvent décriés. Autre geste cocasse, il dote Cube # 02 du moulage d’une bouche et de ses dents, inclu dans l’objet et qui affleure à sa surface. Cerbère de pacotille, elle semble dire à celui qui l’observe : «Gare à tes références !» Si, à travers ces œuvres, Venn pointe en filigrane la fin d’une société sûre d’elle-même au profit d’une situation plus chaotique, instable, mais paradoxalement plus ouverte aussi, où les possibles sont bien un risque à courir, il le fait à sa manière, celle d’un artiste qui utilise ce qui l’a entouré, porté ou absorbé. Il décortique l’accumulation de quelques «mythes» collectifs en usant de ses «mythes» personnels, pour se représenter les bouleversements insensibles qu’ils masquent. Convoquer une période n’a ici rien d’un goût pour le «vintage», il s’agit peut-être d’y voir la propension à scruter ses propres paradoxes pour trouver les outils d’appropriation d’un réel masqué. Ainsi, dans le jeu plastique qu’il propose au visiteur, Venn n’oublie jamais qu’il renvoie aussi la balle de ses questions à lui-même. Gunther Ludwig


Closer, graphite on watercolor paper, badge, wallpaper, 150 x 150 cm, 2010.


Closer, graphite on watercolor paper, badge, wallpaper, 52 x 52 cm draw, 150 x 150 cm all 2010.



Closer, graphite on watercolor paper, badge, wallpaper, draw : 52 x 52 cm All : 150 x 150 cm, 2010.


Closer, graphite on watercolor paper, badge, draw : 52 x 52 cm, 2010.


Pattern, vectorial draw, print on plexiglass, editon of ten, 50 x 50 cm, 2010.



Pattern, vectorial draw, print on plexiglass, editon of ten, 50 x 50 cm, 2010.


Killing wallpaper, flash animation, time : 00:02:15, variable dimensions, 2010.


Papa, maman, votre enfant n’a qu’un oeil, Papa, maman, votre enfant n’a qu’une dent, Rrrah qu’c’est embêtant d’avoir un enfant qui n’a qu’un oeil! Rrrah qu’c’est embêtant d’avoir un enfant qui n’a qu’une dent! À la Troupe, y a pas d’jambe de bois : Y’a des nouilles, mais ça n’se voit pas! La meilleure façon de marcher, c’est sûrement la nôtre : C’est de mettre un pied d’vant l’autre, et d’recommencer! Nous avons, vous avez, Nous avons plein l’dos, plein l’sac Plein l’fond des godillots, des pelles, des pioches, Des gamelles et des bidons, Des carottes dans l’ventre, Des navets dans les mollets!

Killing wallpaper, french scout song, dvd, time 00:02:15, 2010.



Killing wallpaper, print on paper, installation, variable dimensions, 2010.











Killing wallpaper, variable dimensions, 2010, view.


Three imaginary boys, graphite on watercolor paper, 39 x 38 cm, 2010.


Three imaginary boys, graphite on watercolor paper, 39 x 38 cm, 2010.






The village of the damned 02, graphite on watercolor paper, 56 x 38 cm, 2010. Collection Frac Poitou-Charentes


Boy, graphite on watercolor paper, 56 x 38 cm, 2010. Collection Frac Poitou-Charentes



The village of the damned 01, graphite on watercolor paper, 56 x 38 cm, 2009. Collection Frac Poitou-Charentes


The village of the damned 06, graphite on watercolor paper,100 x 38 cm, 2010. Collection particulière


The village of the damned 03, graphite on watercolor paper, 56 x 38 cm, 2010. Collection Frac Poitou-Charentes



The village of the damned 04 & 05, graphite on watercolor paper, each 56 x 38 cm, 2010. Collection Frac Poitou-Charentes


Emotional white cube # 01, plaster, steel, 30 x 30 x 90 cm, 2010.


Emotional white cube # 01, plaster, detail.


Emotional white cube # 02, plaster, steel, 30 x 30 x 90 cm, 2010.


Emotional white cube # 02, plaster, steel, 30 x 30 x 90 cm, 2010.


Emotional white cube # 02, plaster, 30 x 30 x 90 cm, 2010.


Killing Wallpaper Drawing now Paris | Suite...

Salon du dessin contemporain 2011 rue de la BoÍtie Paris 8°



Killing wallpaper, print on paper, installation, variable dimensions, 2010.


The village of the damned 01, graphite on watercolor paper, 56 x 38 cm, 2009. Collection Frac Poitou-Charentes


The village of the damned 02, graphite on watercolor paper, 56 x 38 cm, 2010. Collection Frac Poitou-Charentes


© Erwan Venn 2011


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