Essentiel

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Cécilia Lusven

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AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION

Dans les années 30, on découvre, avec l’architecte Mies Van Der Rohe, la notion de « Less is more ». Celui-ci tenta de créer des espaces neutres et contemplatifs grâce à une architecture fondée sur l’honnêteté des matériaux et l’intégrité structurale. Ses dernières réalisations ont été le reflet d’une vie dédiée à l’idée d’une architecture universelle simplifiée. La question de « l’épure », de « l’économie », de la « simplicité » a traversé de nombreux domaines : architecture, art, design et traverse aussi la question du vêtement. Selon Larousse, le vêtement est « ce qui sert à couvrir le corps ». On imagine le vêtement simple et épuré, limité à sa seule dimension fonctionnelle. Cependant le vêtement véhicule de nombreuses autres dimensions. La simplicité a longtemps été l’apanage du vêtement de travail, vêtement limité à sa seule valeur d’usage s’opposant radicalement au vêtement d’apparat puis de mode aux XVIIIe et XIXe siècles. Sur ces derniers, l’ornement et la parure venaient en qualité et en quantité, en plus de la structure. Ce faste traduisait un statut social. Au début du XXe siècle, la naissance d’activités de loisirs et de nouveaux moyens de transport comme la bicyclette influença les créateurs de mode Jean Patou et Coco Chanel. Le vêtement de loisir «sportif» de Patou, réservé aux classes privilégiées opérera une première synthèse entre nécessités fonctionnelles d’une activité physique et le domaine du « luxe ». Par la suite, Coco Chanel libèrera le corps de la femme et l’amènera vers une mode à l’esthétique épurée. La styliste participe à la révolution de la haute couture en remplaçant le corset traditionnel par le confort et l’élégance de formes et de matières simples, de tailleurs et de robes. Elle habille les femmes de tenues pratiques et sobres, son style est limpide. On peut alors s’interroger sur les codes de l’épure dans le secteur de la mode. Une épure qui privilégie l’équilibre des proportions, la matière juste et qui

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véhicule une esthétique et des significations à la fois héritées et distanciées du vêtement de travail. La mode a une diffusion rapide, étant ainsi le symptôme le plus imminent de l’état d’une société. La mode se serait-elle inspirée de l’industrialisation souvent synonyme de simplification d’éléments ? Ou, peut-on considérer qu’il y ait une coïncidence temporelle entre la simplification de la mode et l’arrivée de l’industrialisation ? On peut également s’interroger sur la question de l’économie de masse, qui fait son apparition dès 1919, à la naissance du Bauhaus, s’inscrivant dans la période de la préfabrication et de l’invention. En effet, durant cette période, on construit en série des éléments répétitifs qui vont faire de l’architecture un «jeu de construction». Le préfabriqué permet d’engendrer une production en série et donne une grande importance à la fois à l’ingénieur et à l’artiste. C’est en associant la technique et l’art que nait la sérialité. Grâce à la standardisation, on peut en effet produire en série. Dans le cas du vêtement, la fabrication en grande série contribue à l’avènement du prêt à porter aux USA dans les années 60. Mais un autre phénomène conduit à la simplicité : la naissance et la croissance du luxe. Tout semble, en apparence, opposer le « luxe » à la « simplicité », termes que le dictionnaire Littré explique ainsi : « qualité de ce qui est sans faste, non composé, sans apprêt ». Le simple se définit par la soustraction : sans pli, sans composition, sans doublure, sans mélange, sans apprêt, sans recherche, sans ornement, sans artifice, sans feinte, sans hypocrisie, sans art. Le luxe, quant à lui, recouvre la notion d’excès, de splendeur et de faste. Son atout principal est de savoir se distinguer. On comprend alors que le luxe est d’abord en quête de rareté. Il opère un contrepoids entre ce qui se fait, ce qui est copié, ce qui est multiplié et ce qui est « rare », inattendu et essentiel. On cherche à développer des produits à l’identité forte mais pas nécessairement provocante. Un retour à l’essentiel soutenu par des valeurs qui s’inscrivent dans la durée, une sorte de classicisme vestimentaire. Ces valeurs véhiculent l’image de la marque de luxe et instaure une confiance grâce à son héritage. Si l’histoire liée à la marque de luxe semble vouloir légitimer le produit grâce à son intemporalité, la simplicité est apparue en réponse à l’envie de traverser les époques et se distinguer. Les produits nés de la simplicité dégagent une « aura » qui les sublime. Sont alors composées des formes archétypales avec un minimum de caractéristique esthétique. Ces créations tendent vers l’abstraction, difficiles à décrire ; on les observe, elles nous impressionnent, elles sont « luxe ».

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L’homme de la fin du XVIIIe siècle avait déjà amené l’idée de distinction avec son style dandy et son « uniforme ». Il met paradoxalement en avant son unité et ses valeurs au travers de son « uniforme » simplifié et noir. On peut ainsi s’interroger sur le choix de la couleur noire et de son opposé, le blanc, à l’instar de créateurs contemporains tels que Comme des Garçons et ou Maison Martin Margiela, qui s’approprient ces deux extrêmes dans leurs collections. Dans le même temps, vers la fin des années 80 et le début des années 90, des créateurs comme Helmut Lang ou Jil Sander travaillent des formes épurées et réfléchies ; elles peuvent apparaître simples à première vue mais leur richesse esthétique réside dans le choix essentiel de la matière première, dans l’équilibre des proportions, des formes et des volumes. En fait, l’émergence de la simplicité a-t-elle pris sa source dans l’industrialisation, ou dans une quête d’esthétisme et de dépouillement synonyme de démarcation ? La simplicité s’érige-t-elle en qualité du luxe ? Quelle(s) référence(s) inspirent les créateurs d’aujourd’hui ? A travers le développement qui suit, nous tenterons de déterminer si l’ère industrielle a déclenché dans la mode le « déclic » du changement et l’envie d’aller vers la simplicité. Nous verrons s’il sagit d’une coïncidence temporelle et quels évènements ont amené à envisager la simplicité comme un élément de création. Nous comprendrons alors que la simplicité n’est pas toujours une question de moment mais peut aussi être un choix. En effet, si la place de la simplicité dans le secteur du luxe se pose comme un retour à l’essentiel, elle semble conférer une identité et une intemporalité fortes aux produits. Nous tenterons de déterminer à quel moment la mode est passée d’un faste dispendieux à un dépouillement et une simplicité assumés. Enfin, nous retournerons dans le passé pour comprendre les inspirations de nos créateurs contemporains, portés vers la simplicité.

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SOMMAIRE

I- AVANT-PROPOS p.3 II- INTRODUCTION p.5 III- L’INDUSTRIALISATION A-T-ELLE CONDUIT A LA SIMPLICITE ? p.11 1. NAISSANCE D’UNE ESTHETIQUE INDUSTRIELLE p.13

Première Guerre mondiale, guerre industrielle. p.13 Bauhaus, de l’artisanat à l’industrie, nouveaux matériaux, nouvelles fomes : Fauteuil B3, Wassily / Chaise Longue MR40. p.14 c. De Stijl, abstraction et nouveau langage : Mondrian et son ordre géométrique. p.16 2. EVOLUTION VERS UNE SIMPLICITE ESTHETIQUE ET MORALE p.19 a. Adolf Loos, l’ornement, un symptôme criminel. p.19 b. Le Corbusier, « Monsieur Propre » illumine l’habitat de demain : La Villa Savoye. p.20 c. Le « streamline » va comme le vent, nouvelle vague de consommation : Panton chair. p.23 3. SIMPLIFIER ET AMELIORER POUR LIBERER : LE VÊTEMENT DE SPORT p.29 a. Aujourd’hui : Nike, l’Hyperfuse : vitesse visuelle et usuelle. p.29 b. Hier : Jean Patou, le sportswear signé « JP ». p.31 4. LES FEMMES S’EN MÊLENT, SIMPLIFICATION POUR L’AFFIRMATION p.35 a. Coco Chanel, émancipation. p.35 a. b.

IV- LA SIMPLICITE PEUT-ELLE APPARAÎTRE COMME UNE CARACTERISTIQUE DU LUXE ? p.43 1. FONCTIONNALISME ET ELEGANCE, RETOUR A l’ESSENTIEL, A L’IDENTITE, MARQUE DE LUXE p.45

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a. b. c.

Coco Chanel, réponse aux besoins fonctionnels, « luxe de simplicité ». p.45 Mon nom me rend intemporel. p.50 Authenticité et valeurs. p.51


2. LA CONFIANCE DE LA CONNAISSANCE, UNE MAISON DE LUXE COMME « LIEU DE MEMOIRE » p.55 a. b. c.

Braün / Apple, la « pomme » complimente ; similitudes ? Apprivoiser c’est « créer des liens… » dit le renard. p.56 Fiabilité et héritage. p.56

a. b.

Forme archétypale et réhabilitation de l’ancien. p.61 Trench Burberry, le calme après La tempête. p.64

a. b.

Le « blue jean » : Levi Strauss, Marithé et François Girbaud, Acne. p.69 Le T-shirt : Benetton, Petit Bateau et American Apparel. p.75

p.55

3. LES CLASSIQUES, EPURE INTEMPORELLE : LE « VRAI LUXE », INDEMODABLE p.61 4. LES BASIQUES, AFFAMES DE CONSOMMATEURS p.69

V- AUJOURD’HUI, QU’EST-CE QUI AMENE LES CREATEURS A S’INTERESSER A CETTE SIMPLICITE ? EN REFERENCE A QUOI ? p.87 1. CONTREPOIDS ET DIFFERENCE, FASTE / SIMPLICITE p.89 a. b.

La retenue de la parure face à l’émergence de la bourgeoisie. p.89 La mode masculine, premier témoin de la volonté de simplicité. p.91

a. b. c.

Le dandy. p.95 La couleur noire. p.97 Comme des Garçons : influencé par ce passé de dandy. p.99

a. b. c.

Détail et subtilité. p.103 Maison Martin Margiela, qui êtes-vous ? p.104 Muji, « le design et la qualité en plus ». p.107

a. b.

Helmut Lang. p.115 Jil Sander. p.118

2. DES MODES D’HOMMES, TEINTES DISCRETES, ELEGANCE ET DISTINCTION p.95

3. LA DISTINCTION, ATTITUDE, « APPARAÎTRE DANS LA DISPARITION » p.103

4. REMINISCENCE DES ANNEES 90, SIMPLICITE AU GOÛT DU JOUR p.115

VI- CONCLUSION p.123 VII-REMERCIEMENTS p.127 VIII- BIBLIOGRAPHIE p.129

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L’INDUSTRIALISATION A-T-ELLE CONDUIT A LA SIMPLICITE ?

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1. NAISSANCE D’UNE ESTHETIQUE INDUSTRIELLE

Première Guerre mondiale, guerre industrielle Le traité de Versailles, qui met fin à la première guerre mondiale, porte aussi en lui les germes de bien des maux du XXe siècle : dans le camp des vaincus, il génère des frustrations qui alimenteront le second conflit mondial de ce siècle. En revanche, deux nations sortent bénéficiaires de cette guerre : les États-Unis et le Japon. La première guerre mondiale se distingue des conflits précédents car elle est également la première « guerre industrielle »1. Elle implique une mobilisation totale de l’économie des pays en guerre. La première vague des espaces qui se sont industrialisés, comprend la Grande-Bretagne à la fin du XVIIe siècle, puis la France au début du XIXe siècle. L’Allemagne et les ÉtatsUnis s’industrialisent à partir du milieu du XIXe, le Japon à partir de 1868 puis la Russie à la fin du XIXe : ils forment les pays de la seconde vague. Les usines automobiles produisent des obus, des moteurs de camions et d’avions2. Les usines textiles façonnent les uniformes des soldats. Au cours de cette période (où beaucoup d’ouvriers se trouvent envoyés sur le front), l’industrie manque de main d’œuvre pour faire face à la demande et les usines recourent massivement au travail des femmes. Celles-ci sont aussi seules responsables des exploitations agricoles dans les campagnes en l’absence des hommes. L’Europe s’est terriblement appauvrie pendant la guerre. Les Etats se sont endettés pour acheter du matériel de guerre et se ravitailler. Ils doivent maintenant rembourser leurs emprunts et verser des pensions aux mutilés, aux veuves et aux orphelins. La reconstruction de l’Europe dépend en partie des EtatsUnis, qui sont les grands bénéficiaires de la guerre. Ils deviennent la première puissance mondiale, prêtent de l’argent au monde entier ; le dollar devient la monnaie la plus utilisée dans le commerce international.

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Bauhaus, de l’artisanat à l’industrie, nouveaux matériaux, nouvelles formes : Fauteuil B3, Wassily / Chaise Longue MR40. En 1919, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’architecte Walter Gropius fonde l’école du Bauhaus à Weimar3. Il souhaite profiter de la reconstruction du pays pour créer une nouvelle société plus juste et plus morale. Walter Gropius poursuit les théories Arts & Crafts. Ce mouvement, littéralement Arts et artisanat, pleure la disparition de l’artisanat face à l’outil industriel. Il naît des questionnements de John Ruskin et William Morris. Ces derniers proposent de réhabiliter le travail fait main pour sauver l’ouvrier de la déshumanisation des usines. Malgré cet engagement, en 1923, le directeur du Bauhaus, évolue radicalement en s’orientant vers une pratique industrielle. Il se rend compte que le rejet systématique de l’industrie est stérile et en désaccord avec son époque. L’objectif du Bauhaus perdure malgré ce revirement conceptuel. Afin de répandre ses idéaux et travailler au service d’une société plus juste, l’école fait appel à l’outil industriel. Grâce à la reproductibilité de l’objet industriel, Gropius trouve la possibilité de pouvoir rendre sa vision accessible au plus grand nombre. Il y voit aussi un moyen de propager cette institution sur l’intégralité des objets de l’habitat. L’approche du Bauhaus face à l’idéal industriel a modifié l’esthétique et les matériaux de sa production. Les décors artisanaux sont remplacés par des formes géométriques simples et les bois massif par du tube de métal et du verre ; ces deux derniers matériaux répondant aux propriétés d’hygiénisme, de léger, de transparent et d’immatériel. L’école trouve alors une réponse à l’objet éphémère, soumis aux époques et aux styles, dans le fonctionnalisme. Ces formes usuelles profitent de l’efficacité de l’industrie qui permet de baisser les coûts de production. L’architecte allemand Ludwig Mies Van Der Rohe, dernier directeur du Bauhaus, commence alors à réaliser ses dessins novateurs mêlant acier et verre. Cette notion de transparence du verre associée à la force de l’acier est exploitée par Marcel Breuer, en 1925, en réalisant le fauteuil B3, Wassily 4 en référence à l’artiste Wassily Kandinsky qui souligna très tôt l’esthétique révolutionnaire du fauteuil. Incité par la stabilité du guidon de sa bicyclette fait de tubes métalliques courbés, il commence à utiliser l’acier tubulaire dans la création de meuble. Mieux que le bois, l’acier tubulaire nickelé et luisant confère une véritable transparence à la structure à laquelle vient s’ajouter quelques minces bandes de tissu réduisant ainsi les surfaces et gardant l’ensemble léger.

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Fauteuil B3, Wassily, Marcel Breuer, 1925

Fauteuil B3, Wassily, Marcel Breuer, 1925

Quelques années plus tard, Ludwig Mies Van Der Rohe reprend l’utilisation des tubes en acier avec la Chaise Longue MR40, un nouveau type de chaise destinée au pont des paquebots transatlantiques, elle utilise le principe de cantilever5. La parure de cuir à coussins de cette chaise semble voler sur sa structure faite de tubes en acier. Selon moi, l’utilisation de nouveaux matériaux plus « efficaces » et moins imposants, couplés au désir d’ergonomie et de fonctionnalisme de ce siècle, influencent les lignes des produits réalisés. On observe alors une simplicité attachée à son époque, une simplicité industrielle ; on conçoit des objets industriellement viables qui pourront être produit rapidement à moindre coût.

Chaise Longue MR40, Ludwig Mies Van Der Rohe, 1932

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De Stijl, abstraction et nouveau langage : Mondrian et son ordre géométrique. Ludwig Mies Van Der Rohe partage aussi les choix esthétiques du constructivisme russe et du groupe néerlandais De Stijl. Il participe à la revue G, née à l’initiative de De Stijl, dans laquelle il écrit : « Nous rejetons toute spéculation esthétique, toute doctrine et tout formalisme ». Il ne rejette pas l’idée de forme mais il ne la conçoit pas comme un but. Il s’associe à l’idée du mouvement De Stijl qui cherchait à instaurer un langage nouveau, fondé surtout sur la diffusion des formes abstraites et la synthèse des arts de l’architecture, des arts décoratifs, et des arts plastiques. Fondé en 1917 par Théo Van Doesburg, le mouvement De Stijl est lui aussi inspiré des Arts & Crafts. Il est indissociable du peintre Mondrian, qui en est la figure emblématique et adopte la radicalisation d’un ordre géométrique. Il n’emploiera plus que des lignes verticales et horizontales associées à des couleurs fondamentales.

Arithmetic Composition, Theo van Doesburg, 1930

Piet Mondrian

Il semblerait qu’ils fassent écho au « Less is more »6 de Ludwig Mies van der Rohe, l’idée est bien d’en montrer le moins possible pour permettre au spectateur de concentrer son attention, et de voir le plus de choses possibles dans le

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peu qui est donné à voir. L’art exclut le superflu. Cette simplicité amène donc à la réflexion et à la créativité. Ce mouvement hollandais joue un rôle déterminant dans l’avènement de la pensée rationaliste qui prévaut dans l’avant-garde des années 20-30. Son influence s’exercera essentiellement sur le Bauhaus et l’architecture de l’entredeux guerres à laquelle il donna le goût des volumes simples et fonctionnels, en réaction au baroquisme ornemental du modern style.

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2. EVOLUTION VERS UNE SIMPLICITE ESTHETIQUE ET MORALE

Adolf Loos, l’ornement, un symptôme criminel En France, l’architecte Le Corbusier7, en tête du mouvement moderne, est également en réaction face aux ornements et rejette le décor. Pour en témoigner, il choisit de publier dans sa revue l’Esprit nouveau en 1920, l’essai d’Adolf Loos (1870-1933) : Ornement et crime publié en 1908. Adolf Loos est un bâtisseur qui opte pour une architecture possédant une esthétique formelle, sans aucun artifice ou élément superflu tels que des ornements « plaqués » en façade. En cela il s’oppose fermement aux nombreux mouvements modernes de l’époque, à savoir la Sécession viennoise8 , le Werkbund allemand, et les arts graphiques et appliqués en général. Dans cet essai, il y dénonce l’omniprésence de ces ornementations. Adolf Loos les considère comme un artifice qui engendre la laideur. Il prône l’absence d’ornement qui serait selon ses dires une régression culturelle et une perte de temps de travail qui « nuit à la santé des individus ». Ce dépouillement absolu serait un indice de force spirituelle qu’il soutient par l’exemple du tatouage. Il atteste que 80% des criminels sont tatoués, il comparait donc que « les tatoués qui ne se trouvent pas en prison sont des criminels latents ou des aristocrates dégénérés. »9. Dans ces conditions, il examine l’ornement comme un symptôme de tendances criminelles ou visant les dégénérés et il propose de l’ôter de la société « purement et simplement »10. Si les propos de Loos sont contestables, ils sont bien représentatifs de l’émergence de la pensée moderne. Ce texte fut l’une des premières manifestations de l’association du fonctionnalisme à la morale.

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Le Corbusier, « Monsieur Propre » illumine l’habitat de demain : La Villa Savoye C’est donc inspiré par ces doctrines et sous l’influence des théories hygiénistes11 présentes en France et en Angleterre entre le XIXe et le XXe siècle, que Le Corbusier présente dans L’art décoratif aujourd’hui sa vision de l’habitat de demain. Il propose un lieu où règnent la lumière et la propreté, un espace de vie avec un art décoratif sans décoration dans lequel les –seuls – meubles présents seraient fabriqués industriellement et adaptés aux fonctions. « L’architecture est le jeu, savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière » dit Le Corbusier12. Il illustre parfaitement cette notion en imaginant la Villa Savoye, construite de 1928 à 1931 à Poissy dans les Yvelines. Cette construction fut baptisée « les Heures claires » par ses propriétaires13 et acheva la période dite des « villas blanches » de l’architecte.

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Plan en coupe, Villa Savoye, 1928-1931


Villa Savoye, Le Corbusier, Poissy -photo prise en 2008-

Le couple Savoye accepte que leur maison de week-end soit une « boîte sur pilotis ». C’est un manifeste de modernité qui témoigne d’une volonté architecturale satisfaisant « à l’intérieur, tous les besoins fonctionnels ». Cette villa regroupe les cinq points de l’architecture moderne énoncés par le concepteur suisse en 1927. Après des recherches formelles sur la théorie les principes fondamentaux du Mouvement moderne, les points qui ressortent sont : les pilotis (libérant l’espace au niveau du sol), le toit-jardin (rendant à la nature l’emprise de la maison), le plan libre (dégagé les contraintes des murs porteurs), la fenêtre en longueur (donnant libre accès à la lumière) et la façade libre (distinction de la façade et de la structure).

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Chez Adolf Loos comme chez Le Corbusier, on constate une simplicité esthétique, des formes simples et géométriques, liée à l’envie d’aérer les intérieurs. On peut y ajouter une simplicité morale visant au rejet de toute « saleté » et de tout désordre dans le but de trouver un bien-être, une quête du bonheur. La Villa Savoye n’a rien d’une demeure luxueuse, c’est bien davantage une « machine à émouvoir », selon les mots de son concepteur, qui l’a dotée d’une architecture fonctionnelle. On y retrouve du mobilier tout aussi fonctionnel que son espace, comme la chaise longue « B306 » réalisée en collaboration avec Charlotte Perriand responsable du projet. Cette réalisation s’inscrit dans la réflexion de Le Corbusier sur un art décoratif fonctionnel, dépouillé de tout ornement, s’appuyant sur son ouvrage L’Art décoratif d’aujourd’hui. Cette chaise longue présente une structure en tubes d’acier chromé recouverte par un long coussin en cuir noir. Ce meuble moderne et ergonomique semble réunir tous les éléments d’un confort parfait : l’inclinaison variable, l’appuie-tête et la forme parfaitement adaptée à celle du corps. La « B306 » fût éditée dans un premier temps par la firme Thonet avant d’être exclusivement diffusé par Cassina à partir des années 1960. Cette chaise n'est pas sans rappeler le fauteuil B3 de Wassily et est un des exemples de l'influence globale de ces mouvement à travers l'Europe, tandis que l'on retrouvera une tendance similaire chez la plus grosse puissance économique de l'époque : les Etats Unis. Chaise longue « B306 », Charlotte Perriand, 1928

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Le « streamline » va comme le vent, nouvelle vague de consommation : Panton chair. En 1929, les Etats-Unis souffrent d’un crash boursier catastrophique. Les industriels américains prennent conscience que l’esthétique est indissociable du succès commercial des produits de grande consommation et sont amenés à faire appel à des créateurs pour redessiner leurs produits afin de relancer les ventes. Ce contexte difficile introduit la volonté de produire en série et la généralise. Ainsi apparaît le design industriel et le « streamline ». Les designers initiateurs ne sont autres que Raymond Loewy14, Donald Deskey, Henry Dreyfuss, Norman Bel Geddes et Walter Norwin Teague. Ces derniers s’entendent sur des volumes visuellement simplifiés. Ils ont recours au modèle de la goutte d’eau happée par la gravité pour représenter la vitesse, valeur répondant au besoin de consommation qui augmente de jour en jour. Ces designers se regroupent sous le nom de « streamline ». Le « streamline » (ou « streamlining ») signifie littéralement « cours du ruisseau » et désigne un mouvement de design américain des années 30 qui s'inspire de l'aérodynamisme et recherche les lignes courbes adaptées à leur contexte ou à leur maniement.

Objets issus du mouvement Streamline, années 30

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On peut noter que l’ambition des États-Unis d’Amérique est la même que celle de l’Europe ; la simplification alliée à l’industrialisation ; seule l’approche formelle diffère entre ces deux continents. On retrouve une idée mathématique et géométrique en Europe parallèlement à l’approche plus organique des ÉtatsUnis d’Amérique. Pendant le streamline, ces designers américains utilisent, en plus des lignes courbes épurées, les technologies et matières modernes : la résine synthétique, la bakélite, les différents plastiques etc. Le design envahit alors la maison : chaises, table, aspirateur, batteur-électrique, fer à repasser profilé... Le design s’introduit également dans le monde du travail. Le mobilier veut traduire l’esprit d’innovation de l’entreprise à travers l’élégance de ce courant, des objets aux lignes fluides et aux courbes arrondies ; illustrés par Verner Panton qui dessine une chaise éponyme en forme de « S » et utilise l’idée d’une structure en porte-à-faux, appliquée 20 ans plus tôt par Ludwig Mies Van Der Rohe. Cette chaise est bâtie d'un seul tenant, sans ruptures ni raccords ; elle peut être fabriqué en monobloc sans perte de matière. L’éditeur de mobilier Vitra décide de produire, en 1967, la Panton chair15 dans l’espoir d’en faire un produit grand public. C’est la première assise en plastique moulé par injection16 de l’histoire du design qui sera un véritable succès commercial et deviendra icône du design. Ce succès est selon moi dû à ses courbes identifiables mais indéfinissables, elle a su traverser les époques grâces à sa forme capable d’emprunter les nouvelles matières.

26 Panton chair, Verner Panton, 1967


Deux expositions mondiales, sur le thème « Le Monde de Demain », font connaître ce mouvement américain au reste du monde : « Century express » et l'exposition universelle à New-York en 1939. C’est à partir de cette dernière que des designers, qui n’envisagent traditionnellement que la production industrielle d’objets, s’emparent des espaces privés, publics et urbains. Le mouvement rayonne alors jusque dans les années 1950 avant de s’essouffler à la fin du XXe siècle. L’essor industriel permet la reproductibilité massive des objets et intéresse de plus en plus le marché de l’habillement. Le vêtement est un témoin marquant de l’état d’une société à un moment donné. Il illustre les modes du moment et parfois réinterprète celles du passés ; telles que les lignes fluides, dessinées par le vent et la notion d’aérodynamisme issue du « streamlining », qui sont aujourd’hui des moteurs d’inspirations tant dans l’objet que l’habillement. Les Air Max Contact17 pourraient, selon moi, être un des exemples récent dans le secteur du sport. Il faut dire que les nouveaux matériaux ne font que multiplier les possibilités de création : caoutchouc, polyuréthane, contreplaqué, plastiques sous toutes ses formes, etc. Le sport est aussi un moteur d'innovations techniques en termes de textile ou de forme puisque le vêtement est utilisé dans des contextes extrêmes : mouvements, conditions extérieures, frottements, etc. Aujourd’hui, des matériaux de haute technologie sont ainsi développés, apportant des qualités techniques spécifiques, à l'exemple des matières qui permettent l'évaporation de la transpiration.

Chaussures de sport Air Max Contact, Scott Patt, 2001

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3. SIMPLIFIER ET AMELIORER POUR LIBERER : LE VÊTEMENT DE SPORT

Aujourd’hui : Nike, l’Hyperfuse : vitesse visuelle et usuelle. Sur le site de Nike on peut lire « Le design haut de gamme se base sur une conviction – la forme suit la fonction », cette célèbre phrase déclarée en 1892 par l’architecte américain Louis Sullivan : « Form follows function ». Ce dernier affirme que toutes les autres caractéristiques extérieures d’un bâtiment doivent dériver uniquement de sa fonction. Le créatif fonctionnaliste libèrera son ouvrage de tout superflu. L’objet ne sera beau que dans la qualité de son usage. Louis Sullivan, au même titre qu’Adolf Loos dans son essai Ornement et Crime, combattait l’ornementation stérile. L’architecte américain supprimera tout décor pour optimiser l’esthétique et la fonction. On peut constater un parallèle évident entre les idées des deux architectes et la ligne Nike Sportswear. Cette dernière propose les Air Force 1 Hi Hyperfuse Premium, « stars » de la collection automne/hiver 2011 qui affichent un design lisse, fluide et sans couture. Ces chaussures aux courbes harmonieuses arborent un procédé introduit en 2010 dans le basketball : l’Hyperfuse. « La technologie Hyperfuse est composée de 3 couches ; une pour la stabilité, une pour l’aération, et une troisième pour la solidité. Les trois couches sont fusionnées par pression thermique pour atteindre un haut niveau de précision. Ce concept apporte légèreté, aération et limite le nombre de coutures sur le pied. Le procédé créé un nouveau look, qui permet de voir les différentes éléments superposés de la chaussure »18. Nike utilise un système automatisé à pression thermique permettant l’utilisation plus efficace des matériaux modernes.

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Air Force 1 Hi Hyperfuse Premium, Nike, 2011

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Ces chaussures semblent moulées d’une pièce, elles s’éloignent très largement du procédé traditionnel de chaussure de course cousues mains. Grâce à la volonté d’améliorer l’enveloppe par sa fonction, elles offrent un confort inégalé et une grande légèreté pour un usage encore plus aisé. Nike semble jouer sur une double notion de simplicité. La simplicité esthétique déjà évoquée plus haut grâce à la « coque » représentante du « streamline ». Et d’un autre côté, la simplicité fonctionnelle qui est liée aux performances de l’utilisateur. Ici l’image formelle du produit Nike qui évoque l’impression de vitesse éveil subtilement la pensée du consommateur vers l’idée que ce produit favorise le « facteur vitesse » à l’usage. La marque allie l’aspect à la fonction. Nike n’est pas le premier à avoir adapté la tendance et les idées du streamline au vêtement et au domaine du sport, d’autres s’y sont attachés de nombreuses années auparavant. Le vêtement de sport est un témoin marquant d’une consommation sélective au-delà de la grande consommation que connait alors l’objet.


Hier : Jean Patou, le sportswear signé « JP ». Apparu avec Jean Patou au début du XXème siècle à Paris, le vêtement de loisir sportif est alors réservé aux classes privilégiées. Ce nouveau type d’habit opère une première synthèse entre les nécessités fonctionnelles d’une activité physique et le domaine du « luxe ». Jean Patou, précurseur dans la mode féminine, est remarqué par son travail de lignes fonctionnelles et épurées. Le créateur phare des années vingt et trente est aussi l'inventeur du sportswear. Il aurait pu, comme ses parents, devenir tanneur pour la maroquinerie de luxe, mais c'est auprès de son oncle que Jean-Alexandre Patou, né en Normandie en 188719, va apprendre le métier de fourreur en 1907 et se distinguer - déjà par sa technique de coupe très pure et son choix des couleurs. Après l’échec de sa maison de Haute Couture avec un département de fourrures en 1910, Jean Patou ouvre une maison de couture à Paris en 1914. Peu de temps après la mobilisation générale contre l’Allemagne et l’invasion de la Belgique en 1914, Jean Patou sert comme capitaine de zouaves dans l'armée d'Orient aux Dardanelles. A son retour, en 1919, il présente sa première collection de Haute Couture dans les salons de son hôtel particulier. Dans la société frivole de l’après-guerre, le couturier cherche à satisfaire une clientèle féminine active, sportive et émancipée qui semble séduite par le style de la garçonne20. Jean Patou accompagne ainsi la naissance d'un nouveau style de femme libérée mais toujours séductrice et féminine. Dans la lignée des thèses hygiénistes présentes en France et en Angleterre entre le XIXe et le XXe siècle, qui influençaient Le Corbusier, et la vogue des lainages « hygiéniques » utilisés pour les vêtements de dessous, la mode des tenues de sport et vêtements en tricot se développe afin que les élégantes des années vingt puissent vivre avec leur temps. Jean Patou les sublime en leur proposant de somptueuses robes du soir, des toilettes d’après-midi, des robes de plages, des tenues de golf, des robes de croisière réalisées en jersey. Il y intègre des motifs géométriques ou cubistes, déclinées dans des teintes nouvelles, vert, bleu ou beige, sa couleur de prédilection. Ce graphisme semble être emprunté au groupe néerlandais De Stijl et notamment au travail de Mondrian. "Tout homme devrait s'efforcer avant tout d'être de son temps", suggérait Jean Patou. Il le prouve en étant le premier à créer des maillots de bains en tricot et à lancer une nouvelle mode, le sportswear, synonyme d'élégance sportive. Suzanne Lenglen, championne de tennis, porte des vêtements sport signés « JP »21.

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Logo « JP »

Jean Patou

Suzanne Lenglen

Elle incarne une nouvelle mode du tennis avec ses jupes plissées de soie blanche s'arrêtant au-dessus du genou, un cardigan blanc, sans manche, dénudant ses bras et ses mollets recouverts de bas blancs ! En dehors des courts de tennis, Jean Patou habille également les dames des cours d'Europe - dont la grande duchesse Maria Pavlovna -, ou de scène, parmi lesquelles Joséphine Baker, Louise Brooks ou les Dolly Sisters.

Joséphine Baker

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Louise Brooks

Dolly Sisters


En 1924, année de la création de la société Patou Couturier, ouvrent des magasins de maillots de bain à Deauville et à Biarritz. On remarque que l’influence de divers activités ont inspiré Jean Patou : le tennis, le ski, la plage,… A cette époque, le pleine air est très en vogue ; les loisirs, les balades, et même les moyens de transport conduisent à l’innovation et à la création. C’est sa bicyclette qui incita Gabrielle Chanel à créer des vêtements appropriés à sa pratique. C’est d’ailleurs à la même époque que Marcel Breuer s’inspira lui aussi de sa bicyclette mais lui observa sa structure et son matériau. Il avait, à la suite de cette démarche, conçu le fauteuil B3, Wassily –détaillé plus haut. Mademoiselle Chanel, cherchait plus à combler un besoin et une idéologie de femme active libre dans ses vêtements qu’à comprendre l’émergence de nouveaux matériaux et de nouvelles lignes fluides dans le mobilier de l’époque.

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4. LES FEMMES S’EN MÊLENT, SIMPLIFICATION POUR L’AFFIRMATION

Coco Chanel, émancipation. Gabrielle Chanel dite « Coco Chanel » est une créatrice, modiste et styliste française qui participe à la révolution de la haute couture en remplaçant le corset traditionnel par le confort et l’élégance de formes et de matières simples, de tailleurs et de robes. Elle abandonne la taille et libère le corps de la femme en proposant une « silhouette neuve » qui lui vaudra sa réputation. Comme Patou, elle cherche à satisfaire les élégantes en modelant des tenues pratique, inspirées d’une vie dynamique et sportive, tout en visant une mode décontractée pour la ville. L’influence du vêtement de sport dépasse en effet la sphère de la pratique sportive, des tenues de ville pouvant avoir une allure sportive, qualifiée aujourd’hui de sportswear. Elle propose, à l’époque, un prêtà-porter22 décontracté qui lui ressemble afin de séduire les femmes qui s’y reconnaissent. Sa première boutique, rue Cambon à Paris, voit le jour en 1910 sous le nom de « Chanel Mode » ; grâce au financement d’Arthur Capel23. Elle ouvre trois ans plus tard, à Deauville, « Gabrielle Chanel » sa deuxième boutique. Son nom, « Chanel » devient alors une marque sous laquelle elle présentera ses collections. Les vêtements simples et pratiques sont l’apanage de Coco Chanel durant une période de guerre où les femmes sont contraintes de se serrer dans des corsets rigides. Coco, à l’allure fluette – « maigre comme Coco » - et aux cheveux courts, aime jouer avec les codes féminins/masculins. Adepte des maillots de garçons d’écuries en jersey, ces tricots de corps fabriqués à l’origine pour les soldats, les exploite pour réfléchir à des tenues civiles simples et sobres. Elle taille des modèles de robes à partir de ces maillots. Elle confectionne également des pantalons à taille basse, qu’elle arbore dans les rues de Deauville. Elle et son mannequin Adrienne se baladent habillées de vêtements Chanel

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simples et confortables destinés aux femmes actives. Les aristocrates européennes, alors maintenues dans de rigides corsets et vêtues de manière très compliquée, sont émerveillées par l’émancipation de Coco et d’Adrienne. Elle poursuit sa révolution dans la mode en proposant des jupes plissées courtes et des cardigans en maille. Dans les années 20, Coco Chanel est à l’origine des modes et de grands changements dans le dressing féminins : le pantalon pour femme, le cardigan ou encore le jodhpur. Elle fait preuve d’une grande modernité et répand le tweed et le jersey. Elle invente également le tailleur qui deviendra une pièce intemporelle toujours présenté dans les collections actuelles.

Breakfast at Tiffany’s, Audrey Hepburn, 1961

Ses créations confortables et simples lui valent par certains d’être qualifiées de « genre pauvre » et « dépouillé » mais selon la styliste, rien d’égal une toilette épurée agrémentée d’accessoires. C’est avec ces créations « nettoyées » que naît l’élégance. Une autre de ses créations deviendra célèbre et parcourra le temps en traver-

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sant les modes : la petite robe noire. Cette dernière créa l’agitation mais aussi l’intérêt, c’est en audacieuse que Coco Chanel crée cette pièce incontournable au cœur d’une société encore hantée par la violence de la Grande Guerre, où le noir symbolisait la triste couleur du deuil. Elle s’inspira de l’austère uniforme qu’elle portait enfant à l’orphelinat en rejet aux magnificences de l’époque. La petite robe noire originelle de Chanel ne possède aucun bouton, drapé, plissé ou autre frange, elle naît dépouillée et simplifiée à l’extrême. Elle tombe comme un simple fourreau de crêpe, encolure ras-du-cou et longueur aux genoux. Coco émancipe cette création de sa signification sociale. On quitte le deuil pour l’ancrer comme symbole de mode et d’élégance parisienne24. Un croquis de cette petite robe noire – baptisée « La Ford de Chanel » - fut d’ailleurs publié dans le Vogue Paris en 1926, honorant son véritable triomphe. « En créant la petite robe noire, Coco Chanel a créé un style. Elle exacerbe la féminité, elle incarne la quintessence du chic parisien. Aujourd’hui, comme depuis toujours, elle se porte avec chic et désinvolture », confie Didier Ludot créateur de la griffe La petite robe noire. La petite robe noire est aujourd’hui devenue un classique dans nos armoires. « Une petite robe noire est un élément essentiel de la garde-robe d’une femme »25. Celle de Chanel sera déclinée un nombre infini de fois par ellemême ainsi que par ses successeurs. Sa coupe sobre et sa couleur reste une base parfaite à l’image de l’élégance. Sa simplicité laisse alors libre cours à l’imagination des couturiers stylistes qui ont dessiné « leur » version de la petite robe noire. Cette pièce, phénomène de mode du XXe siècle, se place dans toutes les garde-robes féminines aux côtés des basiques que sont le tee-shirt, le jean, le trench.

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1. Pierre MIQUEL, La Grande Guerre, Fayard, 1983, p.226-282. 2. Les usines Renault adoptent la production en série en 1905, puis le taylorisme - d'organisation rationnelle du travail industriel, travail à la chaîne - en 1913. Pendant la première guerre mondiale, l’entreprise fabrique camions, brancards, ambulances, obus, et même les fameux chars FT17 qui apportent une contribution décisive à la victoire finale. Site web officiel Renault, http://www.renault.fr/decouvrez-renault/histoire-culture/histoire-renault/ 3. Weimar est une ville d'Allemagne. 4. La principale innovation de la création de Breuer consistait en la réduction des formes de base d’un lourd fauteuil rembourré à une ossature légère en tubes d’acier soudés. L’influence des meubles de Gerrit Rietveld sur ceux que Marcel Breuer réalisa au Bauhaus, est encore perceptible dans le fauteuil B3, dont la position de l’assise et du dossier rappelle clairement le fauteuil Roodblauwe stoel. Le fauteuil B3 fut édité par Thonet en 1928, par Gavina de 1962 à1968 puis par Knoll de 1968 à nos jours. http://deco-design.biz/fauteuil-b3-wassily-par-marcel-breuer-2/1175/ 5. « Cantilever » : terme anglais signifiant « porte-à-faux ». 6. « Moins c'est mieux », formule passée à la postérité que Mies van der Rohe emprunte au poète britannique du XIXe siècle, Robert Browning. Architecte et designer, fortement marqué par le mouvement De Stijl et le constructivisme, Mies van der Rohe est directeur du Bauhaus de Dessau puis de Berlin, de 1930 à 1933. 7. Le Corbusier, de son vrai nom Charles-Édouard Jeanneret-Gris, né le 6 octobre 1887 à La Chaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchâtel est suisse de naissance et naturalisé français. Il est architecte, urbaniste, décorateur, peintre, sculpteur, publiciste et homme de lettres. 8. Au début du XXe siècle, à Vienne, le mouvement Art nouveau prend le nom de Sezessionstil (sécession viennoise). Les architectes de ce groupe redoublent de virtuosité pour construire des bâtiments chargés de décors oniriques d’inspiration végétale. 9. Adolf Loos, Ornement et crime, Paris, Payot & Rivage, 2003, p. 72. 10. Se dit de quelque chose qui est sans réserve et sans condition. 11. Cette expression désigne différents courants de pensée regroupant tout à la fois des mouvances politiques et sociales, des doctrines urbanistiques ou encore des pratiques médicales (lutte contre la tuberculose, etc.). C’est dans le domaine de l’urbanisme que les théories hygiénistes ont connu le plus grand nombre d’applications : face aux transformations induites par la révolution industrielle, elles préconisent notamment d’ouvrir les villes « intra muros » souvent délimitées par d’anciennes fortifications afin de permettre une meilleure circulation de l’air et un abaissement de la densité de population. http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ories_hygi%C3%A9nistes 12. LE CORBUSIER, Vers une architecture, éditions Crès et Cie, Paris, 1923. 13. La famille Savoye : Pierre, cofondateur à Lille en 1907 de la société de courtage d'assurance Gras Savoye (la famille Savoye (Ellen Guineheux, « Gras Savoye maîtrise le risque depuis 101 ans », Les Échos, 1er août 2008) et son épouse Eugénie. 14. Raymond Loewy est un français immigré aux USA en 1919, dont la formule-titre de son livre à succès paru en 1953 résume toute la démarche auprès des industries américaines : La laideur se vend mal ; LOEWY commence sa carrière en 1929 en redessinant la machine à dupliquer Gestetner, puis va être appelé sur de nombreux projets dans tous les domaines du design global : aspirateur Electrolux, packaging du paquet de cigarettes Lucky Strike, distributeur Coca-Cola, locomotive S1 pour Pennsylvania Railroad, paquebot Princess Ann, automobiles, etc. 15. Avant d’arriver à ce chef d’œuvre du design, plusieurs prototypes ont été développés. Le premier est une

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chaise en polyester et fibres de verre qui a pris 5 ans à être réalisée. L’éditeur Vitra travailla ensuite en collaboration avec Panton afin de façonner ce concept de chaise monobloc en résine synthétique. La chaise Panton est finalement produite en série en 1967 par Herman Miller. Ses composants ont cependant dû changer : d’abord en mousse polyuréthane puis laquée brillante, elle est aujourd’hui disponible en 3 couleurs sous le nom de «Chaise Panton Classic». La production fut arrêtée fin 70 pour des raisons de fragilité. Ne se considérant pas vaincu, Verner Panton relance la production de sa chaise en 80 sous l’aile de Vitra. En 1999, la production de sa chaise est relancée par injection de polypropylène : plus léger, matériaux moins cher, elle se nommera alors la «Chaise Panton Standard», disponible en 6 couleurs. http://www.usineadesign.com/tendances-design/magazine-tendances-design/design-mythique-8/la-chaisepanton-par-verner-panton-par-l-usine-a-design-102 16. Le moulage par injection est une technique de fabrication de pièces en grande ou très grande série. Il concerne avant tout les matières plastiques et les élastomères (caoutchoucs). La matière plastique est ramollie puis injectée dans un moule, et ensuite refroidie. 17. Scott Patt, Chaussures de sport : Air Max Contact; Conçues en 2001; Cuir synthétique, grillage, tétrapolyuréthane, polyuréthane, caoutchouc; 12,5 x 31 x 11 cm (chacune). http://www.mbam.qc.ca/fr/expositions/exposition_43.html 18. Extrait de l’article sur la technologie de l’hyperfuse recueilli sur le site web officiel de Nike. http://www.nike. com/fr_fr/sportswear/stories/icons/hyperfuse 19. Biographie de Jean Patou sur le site web officiel de la maison Jean Patou, http://www.jeanpatou.fr/ 20. Roman de Victor Marguerite publié en 1922. 21. C'est encore en précurseur qu'il utilise, à partir de 1924, son monogramme J.P. en losange, comme élément stylistique. Il brode ce "logo avant l'heure" sur les vêtements de Suzanne Lenglen et lance ainsi l'usage des initiales. Il est également le premier à assortir ses modèles d'accessoires qu'il nomme des "petits riens" et qu'il baptisé tout simplement "Les Riens". 22. Le prêt-à-porter désigne des pièces vendues en tant que produit fini et non pas réalisés sur-mesure comme le faisait la haute couture. On passe de la couture artisanale et du vêtement sur mesure à la standardisation des tailles qui permet la production en série. Lors de la Première Guerre mondiale, l'armée américaine doit habiller ses soldats le plus rapidement possible, les tailles sont donc standardisées afin de gagner du temps de fabrication et donc d'en baisser les coûts. Cette technique s'appelle alors la confection, le terme s'élargira pour nommer désormais l'ensemble des industries de l'habillement (Le vêtement, M.N. Boutin-Arnaud, S. Tasmadjian, Éditions Nathan, 1997). 23. Arthur Capel dit « Boy », fut un joueur anglais de polo. Arthur sera le grand amour de la vie de Coco. Avec des hauts et des bas, la relation entre Coco et Arthur est instable ; Arthur en épousera une autre, mais restera cependant l’amant de Coco 10 années durant. Après la guerre, Chanel devient la maison de couture en vogue. 300 ouvrières travaillent pour Coco Chanel, qui rembourse enfin l’argent que lui avait avancé Boy pour monter son entreprise. En bonne féministe, elle veut pouvoir s’assumer elle-même, et ne veut pas dépendre d’un homme. Le 22 décembre 1919, Boy Capel décède d’un accident de la route. 24. On raconte que lorsqu’il l’a vit vêtue d’une robe noire, Poiret se serait exclamé: « Mais de qui portez-vous le deuil, Madame ? » et Chanel lui aurait rétorqué « De vous, Monsieur. » http://www.vogue.fr/mode/en-vogue/diaporama/la-petite-robe-noire-habille-les-stars/2723 25. Citation de Christian Dior à propos de la « petite robe noire » de Gabrielle Chanel.

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TRANSITION

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Chanel et Loos ont choisi d’éradiquer l’ornement. Chez Chanel, c’est une question du corps de la femme et chez Loos c’est une question de morale, le superflu engendre la laideur et est inutile. On a trouvé une coïncidence temporelle entre les divers éléments architecture/ produit/mode. Mais finalement, coïncidence ou influence ? La mode est le premier témoin d’une société. Ici de l’émergence d’une simplicité économique et fonctionnelle dût à la première guerre mondiale. Cette dernière conduit à l’industrialisation qui permet de produire en série. Pendant la guerre il s’agit de l’armement et ça se traduit par une société plus consommatrice. On entame une recherche dans la rapidité de production alliée à la qualité de l’artisanat, puis finalement l’utilisation de nouvelles technologies et de nouvelles matières dans le but de produire en masse avec le moins de perte de matière possible. Produire toujours plus, toujours plus vite, toujours plus rentable. Une surabondance de produits et de production dût à l’industrialisation d’après-guerre engendre un nouveau besoin de constamment renouvelée le marché pour vendre. On note une chute économique dans le secteur du design parce que les objets produits sont trop durable, on pense alors a instauré l’idée d’obsolescence programmée. L’obsolescence programmée (aussi appelée « désuétude planifiée ») regroupe l’ensemble des techniques visant à réduire la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. L’ampoule « Centennial Light » en est un bon exemple. Ce produit a une durée de vie trop longue et ne nécessite pas d’être renouvelé, elle crée un défaut dans la chaîne de l’économie. Le secteur, choisissant de faire subir une obsolescence à ses produits, bénéficie alors d’une production plus importante, stimulant les gains de productivité et le progrès technique (qui accélère l’obsolescence des produits antérieurs). Ainsi, la célèbre Ford T, fiable, solide et durable et accessible à l’Américain


moyen, n’a pas pu faire face à la concurrence de General Motors qui a établi sa stratégie sur la production régulière de nouveaux modèles démodant les séries précédentes. C’est un des exemples proposés d’obsolescence programmée, par le design et la mode entretenue par la publicité. Certain produits, sont aussi touchés par cette notion d’obsolescence (notamment vestimentaires et accessoires) mais on parle alors d’obsolescence subjective. La mode évolue de façon éphémère, les pièces se multiplient en fonction des modes. Les variations de la société crée un bouleversement de plus en plus rapide et implique à la mode de s’adapter en fonction de ces changements ; sinon les tenues portées à un moment donné, perdent leur valeur parce qu’elles ne sont plus « à la mode ». S’en suit des opérations marketing et des campagnes publicitaires dont le but est de créer des modes et d’en discréditer d’autres. Certains produits refont surfaces quelques années plus tard et retrouve à nouveau leur place en haut de l’affiche ; mais il existe certaines pièces dites « intemporelles », telle la « petite robe noire » de Coco Chanel, ou le « jeans » de Levi Strauss, le « trench » de Burberry. Dans le secteur du design, Apple « copie », disons réutilise largement les codes esthétiques des produits Braün en particulier ceux de Dieter Rams. Apple cherche une intemporalité dans leurs produits. On est face à un phénomène de durabilité. L’idée de durabilité instaure une confiance chez le client. Dans les marques de luxe en particulier, Chanel, Hermès ou encore Louis Vuitton. On cherche un produit intemporel. Dans quel domaine le trouve-t-on aujourd’hui ? Le luxe ? Peut-on expliquer cette intemporalité par la simplicité du produit ?

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LA SIMPLICITE PEUT-ELLE APPARAÎTRE COMME UNE CARACTERISTIQUE DU LUXE ?

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1. FONCTIONNALISME ET ELEGANCE, RETOUR A l’ESSENTIEL, A L’IDENTITE, MARQUE DE LUXE

Coco Chanel, réponse aux besoins fonctionnels, « luxe de simplicité ». Lors d’un entretien avec Pierre-Henri Tavoillot, Gilles Lipovetsky essayiste et professeur de français agrégé en philosophie, énonce : « Jusqu'au XIXe siècle, l'univers du luxe fonctionne selon un modèle de type aristocratique et artisanal. L'objet de luxe est à la gloire exclusive de l'aristocrate-client, et, si on connaît les artistes, les artisans demeurent anonymes. Ce sont les matériaux qui font la valeur des choses. » En effet, la haute couture participe à trois changements majeures. D’abord, la place du couturier. Il devient créateur et se fait connaître par son nom, il gagne du prestige et une indépendance par rapport à la cliente. La création artistique et d’industrie proposée par la haute couture met en place l’idée de série limitée. Vient alors un « demi-luxe » (selon les termes de Gilles Lipovetsky), plus accessible, dont les grands magasins vont devenir la vitrine. Enfin, cette démocratisation du luxe voit apparaître le fameux « luxe de simplicité ». Lié à une esthétique ostentatoire, le luxe va, avec l’âge de l’égalité, s’ « euphémiser » afin de ne plus écraser emblématiquement l’autre. Il se doit d’être discret et sobre. Les hommes arboreront l’habit noir mais les femmes devront attendre près d’un siècle et l’esthétique de Chanel afin de niveler les différences. La petite robe noire de Coco Chanel alliant chic et sobriété est une révolution en matière de dress code en France mais également aux Etats-Unis d’Amérique où elle crée un véritable embrasement. Les rédactrices de mode ne jurent que par cette petite robe noire qui sonne comme une quintessence de modernité. Il est vrai qu’on a toutes eu besoin un jour ou l’autre de « cette » petite robe noire, parfaite, ni trop, ni pas assez ; le juste équilibre. Je me suis souvent dis que je voulais une robe qui me mette en valeur sans me voler la vedette. Finalement celle de Coco Chanel répond parfaitement à ces données. Comme disait George Sand « Somme toute, avec des cheveux, des yeux, des dents et

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aucune difformité, je ne fus ni laide ni belle dans ma jeunesse […]. On attend trop d'un extérieur brillant, on se méfie trop d'un extérieur qui repousse. Il vaut mieux avoir une bonne figure qui n'éblouit et n'effraye personne, et je m'en suis bien trouvée avec mes amis des deux sexes. »26. L’honnêteté de cette robe la rend incontournable, elle délivre la femme sous ses plus beaux jours sans la barioler. L’extravagance et la sophistication de la mode de la fin du XIXe déplaisait à Chanel. Les conditions de vies changent, notamment au XXe siècle et cette mode ne correspond plus aux besoins des femmes. Les Parisiennes de l’époque sont actives, travaillent pour certaines, se déplacent en transport en commun, à pieds ou en voiture. Elles souhaitent revêtir des habits confortables, pratiques mais toujours élégants qu’elles garderont longtemps. En réponse à ces besoins, Coco Chanel impose rapidement son style à l’élégance luxueuse et sobre. « En travaillant de nouvelles matières telles que le jersey et le crêpe, en créant des coupes inédites pour ses tailleurs aux couleurs flamboyantes et en inventant des accessoires aussi pratiques qu’originaux, elle révolutionne la couture des années vingt »27. Coco Chanel a su faire de la simplicité un atout. Il n’est plus vraie élégance que discrète et euphémisée : est né ce que Balzac appelle le « luxe de simplicité »28. Selon la couturière : « le luxe, ce n’est pas le contraire de la pauvreté mais celui de la vulgarité ». Coco Chanel, tailleur Linton Tweed

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Chanel, printemps 2012

En ce sens, Jean-Marie Floch l’analyse très justement : « le rejet de ces signes et la convocation de ces figures constituent la dimension sémiotique figurative du total look »29. C’est-à-dire que Chanel rejette, dans la mode féminine de l’époque, tout ce qui ne correspond pas à une véritable fonction du vêtement : marcher, porter, travailler… Le vêtement doit servir : il doit être pratique et confortable comme l’exprime la citation de Delay30, « Je travaillais, confia-t-elle, pour une société nouvelle ; j’avais désormais une clientèle de femmes actives ; une femme active a besoin d’être à l’aise dans sa robe. Il faut pouvoir retrousser des manches »31. Chanel élimine l’inutile au profit d’un besoin réel d’un ensemble de consommateur. A l’image de Mies Van Der Rohe avec l’architecture, elle choisit le vêtement et le simplifie à l’extrême allant jusqu’au minimum de ce que l’objet devrait-être ; car comme l’exprime John Pawson « Le minimum pourrait être défini comme la perfection qu’atteint un objet lorsqu’il n’est plus possible de l’améliorer par soustraction. Il est la qualité d’un objet lorsque chacune de ses composantes, chaque détail et chaque articulation ont été condensés jusqu’à l’essentiel. Il est le résultat de l’omission de l’inessentiel »32. En référence à Mies Van Der Rohe, « Less is more » disait Giorgio Armani à propos du vrai luxe.

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Mon nom me rend intemporel. Un objet devrait être seulement ce qu’il doit être, ni plus ni moins, comme un retour à l’essentiel. C’est le cas de la petite robe noire de Chanel. Selon moi elle a su garder l’essentiel, elle traverse le temps dans sa plus simple forme, celle qu’elle a connu à sa création, on ne peut plus la réduire, on peut seulement l’ornementer, mais elle perdrait alors toute son identité. On la préfèrera simple et sobre, élégante et surtout pas provocante ou vulgaire.

Breakfast at Tiffany’s, Audrey Hepburn, 1961

Look 45, Chanel, printemps/été 2009

Un objet serait donc réduit à l’essentiel pour ne pas subir les modes éphémères. Il aurait la faculté de les traverser car il ne serait que le représentant par soustraction d’un élément essentiel. Il s’opère une simplification servant à fustiger les formes les plus diverses de démesures et d’excès. « Lorsque la simplicité se pose en remède au sens d’un retour, et d’une lutte contre le superflu, elle convoque à outrance le principe d’identité, exigeant que les choses soient égales à elles-mêmes. »33. On peut garder comme exemple la fameuse petite robe noire Chanel, si on

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la change de coupe, ou même pourquoi pas de couleur. La petite robe noire Chanel ne serait plus la petite robe noire Chanel. A l’inverse si on prend un T-shirt. Un T-shirt est un produit rependu dans le monde entier, porté par tous. Un T-shirt pourra être décliné de mille façons, ornementé, découpé, blanc, il restera toujours un T-shirt. Le luxe fait naître un principe d’identité : la petite robe noire « Chanel », le trench « Burberry », le sac Kelly « Hermès ». La consommation de masse que développe le monde industriel « sacrifie » l’identité élémentaire et inamovible du produit. Afin de dénoncer cette « perte de souveraineté nationale »34, Paul Poiret déclarait vouloir des denrées « où les choux sont verts, les carottes rouges, les navets blancs, le lard rose, où les pois sont sans cristaux de soude »35. Cette effervescence provoquée par la multiplication des produits n’a finalement qu’accentuée la place du luxe qui révèle l’essence des choses et ne trompe pas. Il choisira toujours l’original face à la copie, l’identité à la différence, la réalité à l’illusion, l’authentique au simulacre. Les marques de luxes « traquent » les –bonnes ou mauvaises- copies. Elles chassent ceux qui « rabaissent » l’image du luxe en utilisant leur image sur des produits de basse qualité. Les maisons de couture de luxe ont basé leur réussite sur un héritage et un ensemble de valeurs qui les suivent encore aujourd’hui.

Authenticité et valeurs. En 1954 Chanel crée « LE » tailleur Chanel, celui qui perdurera pendant des générations et que l’on retrouve encore aujourd’hui. Ce tailleur semble apparaître en réaction au New Look36 de Dior et reprend toujours les valeurs de Coco. A la même époque, un designer allemand du nom de Dieter Rams développe des valeurs communes à Coco Chanel à travers ses produits Braün et définit sa vision du Good Design dans les années 80 comme étant : « Good design is innovative. [Un bon design est innovant.] Good design makes a product useful. [Un bon design rend le produit utile.] Good design is aesthetic. [Un bon design ne cherche pas à faire beau.] Good design helps a product to be understood. [Un bon design aide le produit à être compris.] Good design is honest. [Un bon design est honnête.) Good design is durable. [Un bon design est durable.]

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Good design is long-lasting. [Un bon design dure longtemps.] Good design is consistent to the last detail. [Un bon design s’attache au moindre détail.] Good design considers the environment. [Un bon design prend soin de l’environnement.] Good design is as little design as possible. [Un bon design est aussi peu design que possible.] » Cela prouve qu’une atmosphère commune émerge à l’époque dans divers domaines : l’architecture, le design, la mode.

Dieter Rams pour Braün, années 1970

Jonathan Ive pour Apple, années 2010

Dieter Rams a confié que la seule entreprise qui incarne encore aujourd’hui sa vision du design est américaine : « Apple est la seule entreprise à-même de concevoir des produits selon les principes que j’ai édictés »37.

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2. LA CONFIANCE DE LA CONNAISSANCE, UNE MAISON DE LUXE COMME « LIEU DE MEMOIRE »

Braün / Apple, la « pomme » complimente ; similitudes ? En observant mieux les produits des deux designers (Dieter Rams pour Braün et Jonathan Ive pour Apple) on peut trouver de flagrantes similitudes à la limite de la copie. Selon Rams, en reprenant des formes établies, Apple ne réalise pas un hommage mais un « compliment ». Pour Jonathan Ive, l’objectif Apple est assez simple : « Concevoir et réaliser de meilleurs produits. Si on ne peut pas faire quelque chose qui soit mieux, on ne le fera pas. La plupart de nos concurrents sont intéressés par faire des choses différentes, ou alors ils veulent apparaître comme faisant des choses nouvelles. Je pense que ce sont des objectifs complètement erronés. Un produit doit être authentiquement meilleur. Cela implique une véritable discipline, et c’est ce qui nous motive - un appétit sincère et véritable à faire quelque chose qui soit mieux. ». Il semble vouloir proposer une valeur affective a ses produits, faire mieux pour le bien être des consommateurs, tisser des liens directs avec l’objet qu’on sélectionne. Je pense qu’on le choisit aussi parce qu’on a conscience de ce qu’il est. Jonathan Ive explique : « Lorsque j’ai utilisé un Mac la première fois, j’ai eu une conscience aiguë des valeurs de ceux qui l’avaient fabriqué. Je pense que cette relation émotionnelle qu’ont les gens avec nos produits vient de ce qu’ils savent de l’attention et de l’investissement que nous avons mis dans leur création. ».

Apprivoiser c’est « créer des liens… » dit le renard. Ce témoignage me replonge dans un passage du livre Le Petit Prince38 lorsque le petit prince rencontre le renard. Ils échangent alors une conversation sur

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la définition du terme « apprivoiser », le renard expliquant que cela signifie « créer des liens… ». Il ajoute « Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde... ». Après avoir compris cette notion, les deux amis se séparent et au moment de se dire adieu, le renard dit au petit prince : « Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Il explique alors que le temps est le facteur essentiel pour accroitre la valeur d’une chose. Plus on passe de temps avec une personne ou une chose et plus on la connait. On la regarde, on l’observe, on l’épie, on finit par l’apprécier dans ses moindres recoins. Elle évolue avec le temps et traverse des moments de vies, parfois des époques. Rassuré. On l’est lorsqu’en compagnie de ce type de personne ou d’objet, on les reconnait. Imaginons que vous êtes à la gare en bout de quai, le train vient d’arriver et vous attendez une personne que vous connaissez. Les autres individus vous semblent être des formes mouvantes, votre regard ne peut pas s’arrêter sur chacune d’entre elles, elles ne lui parlent pas. Et au moment où vos yeux croisent la silhouette connue, vous êtes rassuré par un flot de sentiments liés au souvenir. L’œil est instinctivement porté vers quelque chose qu’il connait ou reconnait. On est tranquillisé de ne pas être perdu face à un objet nouveau. A sa découverte, on va alors faire appel à sa mémoire pour se raccrocher à un souvenir équivalent et ainsi positionner l’objet.

Fiabilité et héritage. Jonathan Ive, designer chez Apple a aussi fait appel à ses souvenirs pour créer les plus connus des produits de la marque. Il « pioche » dans le passé de ses aînés du design et installe ainsi un climat de confiance avec le consommateur. En mai 2008, dans une interview donnée au magazine Stern39, Dieter Rams nous apprend que Jonathan Ive (en charge du département design chez Apple depuis 1996) aurait, enfant, joué des heures avec des objets Braun à

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côté desquels les autres biens domestiques paraissaient « ennuyeux ». On y apprend également qu’Erwin Braun pensait « qu’un équipement [ein Geräte] devait être comme un majordome anglais. A votre service quand vous en avez besoin, à l’arrière-plan le reste du temps. ». Après la seconde guerre mondiale, les progrès technologiques étaient considérables, Braün était une des figures industrielles Allemande, un faire-valoir pour le pays. Les anciennes générations avaient caché les téléviseurs et gramophones dans des armoires en bois pour les faire ressembler à des meubles traditionnels. On a tous été témoins, dans nos familles, de ces fameuses « télés-(planquées)-dans-les-armoires ». Les nouvelles générations ne souhaitaient pas contourner le « problème » en le camouflant mais au contraire, mettre en avant ces améliorations technologiques auxquelles ils croyaient. Les frères fondateurs de Braun prirent conscience de ce changement et demandèrent, à l’école d’Ulm40, une équipe de designers dont faisait partie Dieters Rams. Dieter Rams est un designer industriel Allemand né en 1932. Après des études d’architectes qu’ils abandonnées pour devenir apprenti charpentier, il travaillera plusieurs années dans un bureau d’architecte. A 23 ans, il est embauché par Braün comme architecte et designer d’intérieur. Il va finalement moderniser l’entreprise en proposant des objets en parfaite adéquations avec les intérieurs « nettoyés » de l’époque. Dieter Rams n’a eu de cesse d’appliquer les principes fonctionnalistes de l’école d’Ulm. Ses produits se distinguent par leur grande sobriété et leur ergonomie. Les formes s’inscrivent dans des volumes géométriques simples. Ils sont blancs, noirs, métallisés et très souvent mates.

TP1 radio-phono combination, Braun

Audio 1, Braun

RT20 Studio Cami Branco, Braun

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BRAUN : Radio T3 APPLE : Lecteur MP3 iPod

BRAUN : Radio T1000 APPLE : Powermac

BRAUN : L60 sound system APPLE : Station iPod Hi-Fi

BRAUN : Calculatrice SK5 APPLE : Calculatrice iPhone

BRAUN : Haut parleur LE1 APPLE : iMac

BRAUN : Atelier TV APPLE : iMac

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La vision du design de Dieter Rams pouvait se résumer à « Less, but better » – « Moins, mais mieux », une phrase très proche de la pensée de Jonathan Ive « If something doesn’t need to be there, it’s not there » - littéralement « Si quelque chose n’a pas besoin d’être là, il n’est pas là. ». Car c’est incontestablement grâce aux principes de Dieters Rams, que Jonathan Ive a su appliquer à la lettre, qu’Apple doit une grande partie de son succès. Les produits de « la pomme » pourraient être une évolution moderne des créations de Braün. Selon moi, la confiance qu’ont les produits Braün auprès des consommateurs un peu avertis ne peut jouer qu’en faveur des produits Apple. L’approche formelle étant déjà posée et adoptée, il ne reste qu’à s’approprier l’objet pour le rendre sien. Une fois encore effectivement « Form Follows Function », afin de tendre vers une vision la plus légitime possible de l’objet choisi. Ces lignes essentielles allant jusqu’au « moins » semblent influencées par la pensée fonctionnaliste. Cette dernière a souvent servi une consommation de masse par sa


simplification. Ainsi Olivier Assouly notera : « Afin que le plus grand nombre de consommateurs puisse sans difficultés apprécier les produits, les objets sont épurés de tout relief, de toute différence trop prononcée, sont sans anomalie, pour composer un standard qui n’a plus rien de déplaisant, ni de véritablement nouveaux. [...]. Ce dispositif permet d’élargir considérablement le volume de consommateurs. Il n’est plus vraiment indispensable de construire son goût pour accéder à des satisfactions. »41. La consommation de masse touche un ensemble de personnes sur un produit accessible à l’achat. L’objet a une image de consommable et de jetable. Néanmoins une certaine intemporalité existe au sein des produits Apple grâce à ce « compliment » rendu à Dieter Rams. Ainsi, ces formes jadis précurseurs, aux valeurs reconnues et approuvées, sont synonymes de nécessité mais également d’héritage. Cependant ces marques sont également soumises à des modes éphémères ainsi qu’à l’obsolescence des technologies intégrées. Elles ne rejoignent pas le domaine du luxe mais s’en inspirent.

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3. LES CLASSIQUES, EPURE INTEMPORELLE : LE « VRAI LUXE », INDEMODABLE

Forme archétypale et réhabilitation de l’ancien. Pour illustrer le secteur du luxe, revenons à la marque Chanel qui a véhiculé pendant de nombreuses années l’image de sa créatrice et ses valeurs de femme libre et active préférant l’absence d’ornement au profit de produits répondant à des besoins qu’elle estimait justifiés. Elle entre dans les mœurs, on entend parler d’elle pour sa modernité et ses choix esthétiques nouveaux ; le choix de ses matériaux ambitieux pour leurs histoires passées (ceux repris du vestiaire masculin) ou pour leur qualité (le tweed). Mais ce n’est plus seulement la richesse du matériau qui constitue le luxe mais l’aura du nom et renom des grandes maisons, le prestige de la griffe, la magie de la marque qui s’instaure avec le temps. Comme le souligne Gilles Marion dans son article, « la gestion d’une marque de luxe consiste à faire partager ses valeurs et sa vision du monde. Ses valeurs sont l’expression d’un capital patiemment accumulé au fil du temps. C’est pourquoi toutes les marques font référence à leur date de naissance, et au premier signataire, plus ou moins mythique, qui a fondé la maison »42. Le luxe reconnu aujourd’hui s’organise sur l’axe temporel du présent pour ne pas se laisser dépasser mais celui-ci continue d’entretenir des liens intimes avec la durée et la « guerre contre le temps ». D’abord un lieu de création, une maison de luxe s’affirme également comme un « lieu de mémoire ». Dans un premier temps, pour entretenir les techniques traditionnelles et les savoir-faire artisanaux dans la fabrication des produits. Ensuite, par un travail de promotion, de mise en scène et de valorisation de sa propre histoire. Cette identification liée au passé est un code de reconnaissance, une glorification de « l’esprit de marque » qui marque la fidélité à un style. La construction d’une marque de luxe est inséparable de la gestion symbolique de ses racines, du travail d’édification d’un mythe. Un mythe intemporel.

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Une marque de luxe se différencie par trois principaux éléments. Dans un premier temps, la création a une place indéniable ; de multiples formes sont inscrites dans la mémoire collective et offrent aux entreprises la possibilité de revendiquer la notion de permanence et de durée à travers une mode éphémère qui est, elle, bien loin d’un univers intemporel propre au luxe. Ensuite, l’atout valorisé par une marque de luxe est le savoir-faire artisanal et les métiers d’art qu’elle emploie, permettant ainsi de faire le lien entre l’histoire de l’entreprise et son activité actuelle. Grâce au rattachement à un cœur de métier noble, ces entreprises jouissent d’une forte légitimité de qualité dans le temps tel Louis Vuitton chez qui on parle d’artisanat industriel. Ce mélange des deux que l’on retrouve dans un bon nombre d’industries du luxe (Louis Vuitton, Hermès) conserve le patrimoine de la marque tout en se modernisant. Les produits ne sont plus fabriqués artisanalement, une partie est réalisée à la main mais combinée à un processus industriel.

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Page du site Louis Vuitton, 2012

Enfin, l’innovation montre une volonté d’adapter ses produits à l’évolution de modes de vie comme on l’a vu avec Chanel par exemple. Les fondateurs du Bauhaus avaient également réussi à intégrer les procédés totalement artisanaux (de base) à un nouvel air industrialisé. Avec « l’artisanat industriel » ils ont finalement évolué en même temps que leur époque. Ces trois principes semblent être une évidence, l’innovation enrichie le produit afin de mieux répondre aux besoins du client (ou en créer), l’utilisation de savoir-faire inscrit la marque dans l’histoire et lui confère un héritage de qualité qui rassure. La création reste le point le plus subjectif, une affaire de « bon goût ». Comment juger le « bon goût43 » ? Selon Kant, « la beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple et chaque esprit perçoit une beauté différente ». Le « bon goût » serait effectivement subjectif. On pourrait alors définir le « bon goût » comme un intérêt commun pour une même chose. Ainsi plus un grand nombre d’individu s’accorde à penser qu’une esthétique est juste, plus elle le devient légitimement. La création est la mission première, le cœur du travail, le fond ; la « base ». Le principe que nous avions vu plus haut avec Olivier Assouly, une simplification pour des objets « épurés de tout relief, de toute différence trop pronon-

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cée, sans anomalie », appuie cette idée d’un possible « esthétique universel ». Ainsi, la création, par le biais de la simplification, est reconnaissable à travers les époques, elle ne « dérange » pas et devient un « standard » normalisé par ses formes quasi archétypales. Dans le secteur de la mode, on parle de classiques – moins d’effet de style pour des pièces intemporelles – elles conservent des « vraies valeurs » à l’épure intemporelle. Pourquoi Chanel traverse les années ? Est-ce parce que ses créations sont si simples, qu’elles reposent sur l’essentiel et sont réduites au minimum qu’elles traversent les âges sans jamais se démoder ? Ses vêtements sont des formes types encrées dans les esprits. Elles représentent ce qui a le moins de caractéristique esthétique, ce qui en fait toutes leur beauté et leur sagesse. Leurs valeurs sont l’élégance et la justesse. Elles sont marquées par leur histoire passée et par l’innovation qu’elles y ont apportée. Ce classicisme dans le luxe « faisait vieux » auprès des jeunes générations avant d’apparaître « absolument moderne » dans la foulée de la réhabilitation de l’ancien et de l’inflation du mémoriel et de l’authentique (Jonathan Ive l’appuie encore aujourd’hui !). Le secteur du luxe a eu pendant longtemps des bases de sociétés familiales et des « fondateurs-créateurs » indépendants, Chanel, Louis Vuitton, Hermès ; on parle encore d’eux aujourd’hui. Robert Rochefort a bien dit sur ce sujet-là : « Le luxe s’est toujours présenté comme atemporel et indémodable. Les biens de luxe sont le contraire de l’éphémère et des superficielles caractéristiques des années 80, en rupture desquelles s’inscrit aujourd’hui la consommation. (...) Le produit indémodable et rassurant parce que l’on sait qu’il existait déjà à l’identique il y a vingt ou cinquante ans et on espère que cela sera encore le cas dans vingt ou dans cinquante ans »44.

Trench Burberry, le calme après La tempête. D’après Alexandra Golovanoff, chroniqueuse mode sur Paris Première, en parlant du trench Burberry : « C’est pour moi l’une des premières définitions du luxe un produit qui est fait pour durer, qui ne se démode pas et qu’on a plaisir à porter. C’est un produit que l’on peut récupérer de sa mère, exactement comme une veste Chanel ».

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Le trench-coat Burberry fait partie du microcosme de ces objets indémodables. Il est naît en Angleterre au milieu du XIXe siècle et il n’avait pas du tout été conçu pour être un accessoire de mode. Son « inventeur » est un génie du nom de Thomas Burberry. Ce jeune apprenti, drapier né en 1835, chercha à mettre au point un manteau permettant de faire des mouvements et de laisser sa peau respirer. Trente-cinq années plus tard, il mit au point un textile aux trois qualités : la solidité, la (quasi) infroissabilité et surtout l’imperméabilité. Il se serait inspiré de la description shakespearienne du manteau de Caliban dans La tempête pour créer cette étoffe : la gabardine. Ce tissu résistant, imperméable et léger intéressa l’armée anglaise45. C’est finalement la Première Guerre mondiale qui va voir naître le fameux trench-coat. Pour se battre dans les tranchées (« trench » en anglais), les soldats portent toujours un manteau imperméable mais il est doté d’une « pièce » supplémentaire : une ceinture à anneaux, les « D-Rings », permet de suspendre les grenades à l’avant et un sabre à l’arrière. Pour se protéger du froid, le bas des manches est resserré par une bride au poignet et une mentonnière est ajoutée sous le cou. Ce « trench » que les militaires n’abandonneront pas au sortir de la guerre. En période de paix, il se révèle très pratique pour affronter le climat de l’Angleterre.

Humphrey Bogart (ici dans Fedora), reste un des meilleurs ambassadeurs de Burberry.

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Ce modèle est un réel succès qui suscite la jalousie d’autres marques Barbour, Ramasport) qui le reproduisent. Pour se démarquer de ses concurrents, Burberry y ajoute sa fameuse doublure en tartan Nova Check46 qui va devenir le signe de reconnaissance du manteau. Les actrices vont féminiser ce trench. Elles empruntent déjà à l’époque des codes masculins, du smoking à la cravate. Audrey Hepburn, Peter Sellers ou plus tard Michael Douglas, ils ont tous47 servi au succès de la marque mais l’image du trench-coat fini quand même par s’essouffler et à se démoder peu à peu. C’est seulement en 1997 que l’arrivée de l’Américaine, Rose Marie Bravo, fait renaitre la marque. La présence du designer Christopher Bailey rajeunit considérablement les collections. Il s’attaque en premier par le fameux trench. Il se voit décliné dans des couleurs vives, la ligne est revisitée et les campagnes de pub orchestrées par Mario Testino avec Kate Moss en égérie sont un succès. Le trench-coat prend alors un vrai coup de jeune et rend les amateurs nostalgiques du traditionnel trench-coat Burberry. « Lorsqu’apparaît l’engouement pour l’ancien surgit en même temps la fièvre du présent, la mode au sens strict et son culte de l’éphémère. »48. Ce qui explique que les racines du luxe se trouvent dans la nuit des temps mais la mode, elle, est en renouvellement perpétuel.

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Campagnes de publicité Burberry, Kate Moss (2008) et Emma Watson (2009-2010)


Certaines pièces sont dites intemporelles grâce à ce rapport au temps et de durée qui semble être illimitée ; elles ont alors toutes leur place au sein du monde du luxe et ces pièces entrainent alors la marque tout entière dans ce secteur. Appuyé sur cette référence connue, le consommateur est rassuré et il se laisse guider dans le secteur proposé, ici du luxe, avec les créations de haute couture. Avec la haute couture, le luxe devient pour la première fois une « industrie de création ». Ce procédé allie d’un côté le fait main, le sur-mesure, la qualité plutôt que la quantité et le savoir-faire des couturières soit l’éternel artisanal et la série limité propre au luxe mais d’un autre côté se déploie le principe moderne de la série accessible dans les grands magasins ; Le Bon Marché naît le premier suivit du Printemps et non loin derrière, en 1870, celui de l’instigateur du trench et de la célèbre marque de luxe Burberry. On y trouve des pièces plus éphémères qui suivent la mouvance des tendances. Certaines d’entre-elles sont réutilisées et déclinées chaque saison mais ce ne sont pas des intemporelles car elles sont assujetties aux variations des modes. La forme de base est récurrente, elle est rassurante et « fonctionnelle ».

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4. LES BASIQUES, AFFAMES DE CONSOMMATEURS

Le « blue jean » : Levi Strauss, Marithé et François Girbaud, Acne. Le T-shirt, le débardeur et la marinière saisonnière sont les meilleurs exemples de pièces fonctionnelles réhabilitées et modifiées en fonction de chaque saison, car elles sont installées dans (presque) chacune de nos garde-robes ainsi que le caban et le jeans. Ce dernier créa un véritable tournant dans la vie des pionniers de la côte ouest des Etats-Unis d’Amérique puis plus tard dans nos vestiaires. Un jeune originaire de Bavière, Levi Strauss49, proposa un vêtement qui répond aux besoins des hommes actifs de l’époque ; un vêtement de travail solide et confortable. Levi Strauss confectionna dans des toiles de tente de l’époque ces fameux pantalons. Ce fut une réussite immédiate à la suite de laquelle il devint confectionneur de prêt-à-porter et industriel textile. Au fil des années, la société s’accroissait ainsi que la diversité de ses produits, toujours dans des tons allant du blanc cassé au brun foncé. Le « blue jean »50 -que l’on connait aujourd’huiverra le jour dans les années 1920. D’abord considéré comme un vêtement de travail, le jean fut vendu comme tel pendant des années, insistant sur sa solidité, sa résistance à l’usure, et dans un second temps sur son confort. LS&CO (Levi Strauss & Co) est une compagnie qui a su innover son marketing. Ses pantalons sont signés par les boutons et les rivets marqués d’un « LS&CO » parfois juxtaposé d’un « PAT. MAY 1873 SF » rappelant qu’il s’agit d’un objet breveté (patented en anglais). C’est en 1873 que naît son jean phare : le Levi’s 50151. Ce jean emblématique a, comme tous les jeans de l’époque (fin du XIXe siècle), été conçu comme vêtement de travail. Il a une coupe très large, une martingale, des boutons pour les bretelles et un rivet à l’entre-jambes. Celui qui est aujourd’hui appelé le « cinq poches » n’avait à sa création qu’une poche

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unique au dos. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour le connaître sous ce nom. Quelques caractéristiques de ce jean ont été conservées à travers les âges. On peut encore trouver la poche gousset rivetée52, cette dernière naît en même temps que le premier 501 et ne le quittera jamais. Les rivets en cuivre qui sont le fondement du jeans Levi Strauss & Co. L’étiquette gravée décrite plus haut. L’« arcuate », cette couture identitaire du jean Levi’s. Les plus anciens pantalons connus de la marque arborent déjà une double surpiqûre sur la poche arrière dessinant une « vague » symbolisant un aigle. Ce signe est aussi identifiable que le « Swoosh » de Nike. Enfin l’étiquette rouge53 indissociable des originaux.

A l’approche de l’expiration du brevet de la marque, Levis introduit la gravure représentant les attelages de chevaux testant la solidité du jean avec la mention « It’s no use they can’t be ripped » - « ça ne sert à rien d’essayer, il ne peut pas être déchiré ». Dans les années 30, LS&CO appuient cette image autour du mythe du cowboy à une époque où les Etats-Unis s’industrialisent et où le marketing fait ses premiers pas. Cette image de marque attire la riche société de l’est des Etats-Unis passant ses vacances à l’ouest et voulant jouer au cowboy et aux pionniers. Le jean n’est plus un simple vêtement de travail, il prend sa place de vêtement de loisir et de vacances. Il conquiert ainsi une plus grande partie de la population.

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En 1935, la revue Vogue introduit sa première publicité pour ces jeans « bon genre ». Un an plus tôt, la compagnie LS&CO révolutionnait la mode en proposant le premier jean pour femme, qui agita autant les foules que les jerseys de Chanel. Le jean est adopté par les femmes et par les étudiants des campus universitaires. En 1936, la compagnie ajoute la petite étiquette rouge au nom de la marque, devenue aujourd’hui mythique. On la retrouve le long de la poche droite de tous les authentiques jeans Levi Strauss. C’est la première fois que le nom d’une marque s’affiche ostensiblement sur l’extérieur d’un vêtement. La vogue « jean » atteindra l’Europe à la fin de la seconde guerre mondiale.

Ce vêtement androgyne apparaîtra comme un emblème de contestation ou de révolte des jeunes. Il est associé aux « bikers » avec grosses cylindrées, blouson de cuir et 501 délavé avant de toucher le rock’n roll et le célèbre Elvis Prestley. Par la suite, les plus grands créateurs (Chanel, Yves Saint Laurent, Jean Paul Gauthier ou encore Gucci), rivalisent de créativité et le jean fait partie des grands défilés. Il est reconnu comme étant un produit de luxe. Les innovations techniques se succèdent et s’exercent sur ce vêtement permettant à des créateurs comme Renzo Rosso pour Diesel, se réinventer ce classique. En 1974, on entend les noms de Marithé et François Girbaud dévoilant le baggy. Ce dernier sera lié au monde du « streetwear » très vite adopté par le monde des skaters.

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Cependant, quand on observe l’ensemble des catégories de personnes ayant portés un jean en Amérique du Nord et en Europe entre la fin du XIXe siècle et la fin du XXe, on remarque que le jean est un vêtement « ordinaire », porté très simplement sans transgresser quoi que ce soit ou chercher à se mettre en valeur. Ce vêtement est bien au contraire l’honnête réponse à un besoin de pantalon solide, sobre et confortable, permettant presque d’oublier qu’on en porte un. Cette obstination pour la durabilité du produit est une valeur forte de la marque. Ce vêtement, pourtant créé par un juif correspond à l’idéal vestimentaire véhiculé par les valeurs protestantes : simplicité des formes, austérité des couleurs, tentation de l’uniforme54. Jonny Johansson, dit « Monsieur Acne », a imaginé un jean unisexe à la simplicité aussi déconcertante qu’évidente. Il récupère les 5 poches du plus célèbre des jeans et affine la coupe pour la rendre droite. Avec son denim brut souligné par ses coutures rouges, il n’est ni trop, ni pas assez, il semble idéal pour tous. La jeune marque Acne est sur le marché de la mode depuis 1996. Elle est passée d’une simple marque de jean à la création de collections de mode complètes suivant les codes, d’esthétique épurée et fonctionnelle, chers à Jonny Johansson. Ceux-ci correspondent à un style de vie. Ce jeune Suédois fonde, avec trois associés, le studio de création Acne acronyme de Ambition to Create Novel Expressions). A la base, studio aux activités diverses (la mode, le design, la publicité et le graphisme), la mode prend le dessus avec la création du jean unisexe. Le succès est immédiat et, deux ans après la création de la marque, naitra la première collection de prêt-à-porter pour hommes et femmes. Acne se fait remarquer pour ses jeans aux coupes tendance, décontractés aux lignes épurées. Le jean est vraiment un élément incontournable d’un vestiaire. Il a traversé les époques, les styles et a suivi l’évolution des techniques, il est aujourd’hui revisité par les plus grands comme par les plus accessibles, il a été décliné de mille manières. Néanmoins, le classique 501 semble éternel. Ce traditionnel reste indéniablement l’image même du jean. Il a prouvé sa « durabilité » et sa « non-obsolescence », il rentre aujourd’hui dans la catégorie des classiques, indémodable. Les jeans Acne sont des produits d’excellences cherchant à évoluer au fil des modes. La marque propose des basiques assujettis au système éphémère de la mode. En ce sens, Acne développe également des T-shirts en coton (également des manteaux, des vestes, des robes, des pulls et des tops, ainsi qu’une ligne d’accessoires et de chaussures) pour s’inscrire dans le monde du « basique ».

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Aujourd’hui, au travers de collections de prêt-à-porter pour homme et femme, ACNE poursuit sa recherche obsessionnelle de la simplification des lignes et des volumes dans les pièces les plus basiques du vestiaire. En somme, chez Acne, dire qu’un t-shirt est simple se révèle être une qualité à part entière, le summum du cool.

Le T-shirt, support d’expression : Benetton, Petit Bateau et American Apparel. Le T-shirt. Blanc. Sa personnalité multiple en vient parfois à masquer ce qu’il est vraiment : un vêtement ou plutôt, un sous-vêtement. Avant tout un dessous, il est devenu un dessus. Ce maillot de coton en forme de T a débuté sa carrière dans la clandestinité de la lingerie masculine. Cette origine a contribué à forger sa réputation de confort. La maille de coton utilisée lui donne sa texture moelleuse et élastique qui épouse le corps tout en libérant le corps. Chanel l’avait également compris, initiatrice de l’utilisation du jersey en France. Ce vêtement dessiné comme une page blanche est l’archétype de la consommation de masse. Depuis les années 30 le T-shirt blanc reste un « must », un essentiel de toute garde-robe. L’initiateur de la célèbre marque Petit Bateau, a suivi cette évolution et cette démarche. En 1893, Pierre Valton, créé à Troyes la bonneterie Valton-Quinquarlet & Fils spécialisée dans les sous-vêtements. L’entreprise fabrique des caleçons longs pour hommes, des gilets et des maillots de corps en jersey de coton. C’est en 1918 que naît la culotte Petit Bateau55, grâce à l’idée révolutionnaire du fils fondateur Etienne Valton, en coupant les jambes des caleçons. Le succès est immédiat. Au fils des ans, les techniques de fabrication s’améliorent et la marque devient synonyme de qualité, de résistance et de confort. Dans les décennies suivantes, Petit Bateau s’impose comme le leader sur le marché des sous-vêtements pour enfants. Puis la marque invente son fameux T-shirt à col rond et manches courtes qui est alors destiné aux enfants. Ce n’est qu’à partir de 1998 que le fournisseur officiel des T-shirt de notre

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enfance décline son modèle basique sous de multiples coloris et sous différentes formes pour le plus grand plaisir des femmes de 0 à 77 ans.

Petit Bateau, publicité, 2009

Le T-shirt peut avoir toutes les facettes, à la fois basique et sans excès mais aussi extravagant ou révolté. Cette ambiguïté est la clé de sa richesse. Dans les seventies, le magazine Elle parie qu’il deviendra « un vêtement de base indémodable parce que hors mode ». Effectivement, il se déclina –presqueà l’infini. Comme l’expose parfaitement Sonia Rykiel : « Chic ou déglingué, trop serré ou trop lare, graphique ou théâtral, écrit, strassé, coloré, troué, pailleté, floqué, trash ou bobo branché, pop émotion ou décoré, brodé, rayé, lèvres rouge scarabée d’or ou pommes vertes, le T-shirt est, comme le jeans, l’objet de désir des ados, des bobos, des snobs, des hommes, des femmes, de tous. ». Le T-shirt est également employé comme support de communication largement utilisé aujourd’hui par les entreprises. Les premiers, en tant que porteparole publicitaire ou décorés, seraient apparus à la fin des années 40. Le T-shirt aurait par exemple été un support de la promotion du premier film en couleurs Le magicien d’Oz.

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Il ravit autant les marques de luxe qui s’emparent de ce produit peu cher et y applique leur « nom » ou « logo ». Comment pourrait-il être mis plus en valeur que sur une page blanche ? On oublie alors le côté « fonctionnel » du T-shirt. Le groupe Benetton56, grand actionnaire dans l’univers du basique, a bien compris le principe et utilise ses basiques pour faire passer un message d’égalité entre les différences culturelles. Il s’est fait connaître par ses campagnes de pub osées. Dans une interview de 2007, Luciano Benetton décrit la gloire de ses débuts : « J’ai immédiatement voulu du jaune, du bleu, du vert, des teintes qui n’existaient pas à l’époque ! Les gens se les arrachaient : ils étaient affamés de couleur, comme si elle aussi avait été rationnée pendant la guerre ! «. En effet, Luciano propose 48 couleurs différentes pour chaque collection. C’est pour cette raison qu’ils décident d’appeler la marque United Colors of Benetton.

Benetton, publicité d’Oliviero Toscani, 1984.

La couleur est la clé du succès de Benetton et c’est lors de sa collaboration avec le photographe Oliviero Toscani en 1982, que la marque acquiert rapidement une grande notoriété. Benetton s’approprie le territoire de la multiracialité deux ans avant que le thème soit à la mode.

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Bruno Suter, responsable chez Eldorado, déclare « Rien ne ressemble plus à une photo de mode qu’une autre photo de mode. On y montre de beaux mannequins et puis voilà. Pour Benetton, on est parti des couleurs. Par définition, Benetton, ce sont les couleurs. Pour faire passer l’idée des couleurs, on montrait un groupe, avec des gens de couleurs différentes. C’était tellement formidable, tellement enrichissant de montrer les produits de façon aussi nouvelle et aussi simple. ». Benetton a exploité ses basiques pour s’ouvrir à une plus grande diversité et justement imposé les basiques comme des intemporels que tout le monde peut se procurer sans limite de classe ou de couleur. Dans une approche complètement différente, les publicités de produits « consommables » sont également ouvertes à une majorité de personnes. Coca-Cola affiche qu’ils sont disponible partout, pour tous à moindre coût afin de facilité une diffusion maximale absolument illimitée. Dans les années 90, la mode renoue avec les valeurs de simplicité et d’authenticité. Le T-shirt classique renaît à travers le minimalisme qui rivalise de formes épurées et de teintes neutres. Calvin Klein, Donna Karan ou Giorgio Armani introduisent ce style à la fois luxueux et décontracté qui va s’imposer dans le monde du travail. En 1991, Dov Charney, un canadien sous-traitant, fournit des marques en T-shirt en tant que matière première pour qu’elles les estampillent. Il s’expatrie en Amérique du Sud, le berceau du coton de qualité pour produire de plus belles matières. Ce dernier n’est autre que l’inventeur de la marque American Apparel. Il constate très vite que le T-shirt basique, vêtement dont tout le monde dispose dans sa garde-robe pour son côté pratique, peut faire la mode même si il n’est pas imprimés de messages, de fioriture ou de logo. C’est aussi et surtout un concept car acheter et porter un AA (comprenez American Apparel) c’est délivrer un message. Ce n’est qu’en 1997 que Dov Charney s’emploie à produire sa propre ligne, avec pour particularité des couleurs « flashy », signe de reconnaissance des T-shirt American Apparel. La seconde particularité de la marque est sa producion « verticalement intégrée ». Par la volonté de son créateur, elle contrôle toutes les étapes, de la création à la distribution en passant par le marketing, et produit exclusivement aux Etats-Unis. American Apparel s’affirme ainsi comme une entreprise

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American Apparel, Los Angeles, Californie

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engagée dans la lutte contre les délocalisations qui sont nombreuses au sein de la concurrence. L’idée du fondateur n’est pas seulement de « faire du Chiffre », elle est aussi de contribuer autant que possible au progrès social. Il s’est d’ailleurs plusieurs fois insurgé contre les sweatshops, ces ateliers d’un autre siècle que les grandes marques utilisent pour réduire le coût de production. Après le social, Dov Charney s’engage dans l’écologie d’abord en recyclant ses déchets, en privilégiant l’énergie solaire et en utilisant du coton bio. Il a toujours soutenue la cause des immigrés et des minorités, notamment les communautés homosexuelles. American Apparel utilise ses basiques comme support pour faire passer ses idées. Soit « neutre », usant uniquement de couleurs pour se distinguer et montrer que surcharger un T-shirt d’ornements est inutile, soit imprimé comme lors de la campagne présidentielle américaine en lançant des Tee-shirt, pro-Obama et anti-Bush. Les basiques et leur production en série s ont devenus indispensables dans nos garde-robe. L’envie de consommation ne fait qu’augmenter et le T-shirt par exemple, c’est montré efficace comme support de création grâce à ses possibilités de diversités. Chaque variante naissante du T-shirt est un coup marketing. Il suit la mode,


il s’y adapte et il s’impose. Même l’univers du luxe qui prône la série limitée et la rareté en opposition à cette production en série, l’intègre à ses collections. Seulement, les campagnes de publicités de luxe mettent en avant l’unicité, l’identité et la rareté du produit (même si celui-ci est un descendant du consommable). De mon point de vue, le message de ces campagnes est de nous faire se sentir plus exceptionnel si on possédait telle ou telle création. Grâce à la simplicité, le secteur du luxe s’érige en contrepoids du « consommable » souvent mitraillé d’ornements ou remarqué par le choix de ses couleurs qui rendent souvent le produit « populaire ». La simplicité réagit donc en contrepoids d’un existant qu’elle n’approuve pas et parfois en solution à un besoin. Elle se positionne en marge, aujourd’hui d’une société sur-consommatrice en s’alliant au luxe et en le démarquant et exposant sa rareté. Mais ceci n’as pas toujours été le cas, et hier la simplicité se positionnait pour dénoncer une « injustice » et rendre plus égalitaire une société royaliste ; afin de « neutraliser » ce faste, il a fallu exposer son opposition et prouver que la simplicité permettait la distinction et se trouvait finalement être plus rare et luxueuse que l’éclat de leurs habits.

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26. George SAND, Histoire de ma vie, première édition 1855, édition Gallimard, 2004. George Sand est le pseudonyme d’Amantine Aurore Lucile Dupin, romancière et femme de lettres française. Née à Paris en 1804, elle fait scandale dès 1829 par sa tenue vestimentaire masculine et son pseudonyme masculin. Il n’est pas exceptionnel, au XIXe siècle, qu’une femme écrivain prenne un pseudonyme masculin pour écrire, les auteurs fe mmes étant méprisées. En revanche, George Sand est la seule femme écrivain de son siècle dont les critiques parlaient au masculin et qui était classée non pas parmi les « femmes auteurs », mais parmi les « auteurs », au même rang que Balzac ou Hugo. 27. Saphia RICHOU et Michel LOMBARD, Le luxe dans tous ses états, Paris, Economica, 1999, p. 83. 28. Balzac, Traité de la vie élégante, t.XII, p.254. 29. Jean-Marie FLOCH, « La liberté et le maintien », Identités visuelles, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p. 112. 30. Psychanalyste et écrivain, Claude DELAY est l’auteur de plusieurs biographies consacrées à Coco Chanel. 31. Claude DELAY, Chanel solitaire, Paris, Gallimard, 1983, p. 117. 32. John PAWSON, Minimum, Phaidon Press, 1996. 33. Sous la direction de Olivier ASSOULY, Le Luxe, Essai sur la fabrique de l’ostentation, 2ème édition, revue et augmentée, IFM/Regard, 2011, p.372. 34. Sous la direction de Olivier ASSOULY, op. cit., p.372. 35. Paul POIRET, En habillant l’époque, Paris, Grasset, p.190. 36. Le couturier Christian Dior lance en 1947 sa première collection. La ligne « corolle » et le tailleur « bar » en sont les figures emblématiques, cette silhouette révolutionne les codes de la féminité et de la mode. Le « New Look » est né. Ce terme est donné par la rédactrice en chef du Harper’s Bazaar, Carmel Snow. Le New Look est caractérisé par une taille très marquée, une poitrine ronde, et des épaules étroites. Il s’est construit en réaction à la mode des années 1940, marquées par le rationnement, où les jupes étaient étroites et les épaules carrées. La silhouette Dior promeut les longues jupes juponnantes sous un buste souligné, dans une profusion de tissus ( jusqu’à 40 mètres de circonférence pour le modèle phare Diorama). Le New Look de Dior connut un succès fulgurant dans le monde, malgré de nombreux détracteurs, notamment aux États-Unis, qui reprochaient au couturier de cacher les jambes des femmes. En cette époque d’après-guerre où le rationnement est encore de mise, on lui reproche également l’utilisation de trop grandes quantités de tissu. 37. Dieter Rams a déclaré cette phrase dans le documentaire sur le design Objectified, 2009. 38. Antoine DE SAINT-EXUPERY, Le Petit Prince, Gallimard, 1943, Chapitre XXI. 39. D. Rams, interview de C. Mortag, « Der Apple fällt nicht weit vom Stam », Stern, mai 2008, http://www.stern.de/lifestyle/mode/dieter-rams-der-apple-faellt-nicht-weit-vom-stamm-19376.html[consulté le 04/04/2012]. (Trad. par l’auteur.) En janvier 2008, le blog technologique Gizmodo.com entend révéler à son public, peu au fait de l’histoire du design, qu’une ressemblance existerait, et qu’on pourrait ainsi trouver dans les anciens objets de Rams la source des futurs produits d’Apple : « 1960s Braun Products Hold the Secrets to Apple’s Future ». 40. L’application industrielle de la pensée fonctionnaliste de l’école d’Ulm possède comme exemple le plus explicite les produits réalisés par la marque d’électroménager allemande Braun dans les années 50 à 70. Au départ en partenariat avec Ulm, la marque confia la responsabilité de la conception de ses produits à un jeune designer nommé Dieter Rams. Celui-ci contribua au grand succès de la marque à l’époque. L’école d’Ulm est souvent présentée comme successeuse à l’école du Bauhaus. 41. Olivier ASSOULY, Le capitalisme esthétique, Paris, Les éditions du cerf, 2008, p. 153. 42. Gilles MARION, « Les spécificités du management de l’objet de luxe », http://www.em-lyon.com/france/faculte/

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professeurs/alpha/marion/Specificiites_luxe.PDF 43. Le goût est la faculté de percevoir et discerner les beautés et défauts des choses, notamment dans les domaines esthétiques et intellectuels. Une personne possède ainsi du goût, ou bien « n’a pas de goût » (‘mauvais goût). Par extension, le goût désigne le jugement ou l’opinion sur une chose. Une chose est caractérisée par exemple « de bon goût » ou « de goût », ou bien à l’inverse « de mauvais goût », voire « dégoûtante ». http://fr.wikipedia.org/wiki/Go%C3%BBt_%28esth%C3%A9tique%29 44. Robert ROCHEFORT, La société des consommateurs, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 183. 45. La gabardine servira dans premier temps à la réalisation des « Tielocken » (ancêtre du trench), pendant la guerre des Boers. La maison Burberry deviendra le fournisseur officiel de l’armée britannique et le sponsor de grandes expéditions polaires. 46. Blanc noir rouge et beige: ce sont les couleurs du tissu écossais, connu sous le nom de «Nova Check» devenu la marque de la maison. Il a été imaginé par les descendants de Thomas Burberry qui voulaient un signe reconnaissable pour le trenchcoat Burberry et se démarquer ainsi des marques qui copiaient le modèle. Le « Nova Check » naît à la mort du créateur de Burberry et elle deviendra la griffe officielle de la marque en 1967. 47. L’apogée Burberry fut en 1955 en devenant fournisseur officiel de Sa Gracieuse Majesté. Des hommes politiques aux stars de cinémas, ils optent tous pour ce manteau. 48. Gilles LIPOVETSKY et Elyette ROUX, Le Luxe éternel : De l’âge du sacré au temps des Marques, Gallimard, 2003, p.42. 49. En 1853, la compagnie éponyme fondée par Levi Strauss est spécialisée dans ce que les américains appellent « dry goods » : la quincaillerie, les vêtements, et tout ce dont les travailleurs ont besoin dans une Californie où depuis 1849 la fièvre de l’or découvert dans la Sierra Nevada provoque un accroissement considérable de la population. Pour la petite histoire, Levi Strauss est arrivé en Californie avec une grande quantité de toile de tente dans l’espoir de gagner sa vie convenablement mais les ventes ne sont pas concluantes. Face à une importante demande de pantalons solides et fonctionnels, répondant aux besoins des pionniers, le jeune homme a alors l’idée de les faire tailler dans ces toiles. 50. La toile de tente demeure définitivement trop lourde malgré son indéniable solidité. Levi Strauss décide de remplacer sa toile épaisse par un tissu de coton tissé en sergé importé d’Europe et teint à l’indigo appelé « denim ». Ce tissu était trop épais pour être garanti « grand teint », la teinture évoluait en fonction de l’activité de celui qui possédait le jean. C’est justement cette instabilité de la teinture qui fit son succès : la couleur apparaissait comme une matière vivante, évoluant en même temps que son porteur. Quelques décennies plus tard, lorsque les progrès de la chimie des colorants de teindre à l’indigo n’importe quelle étoffe de manière solide et uniforme, les firmes productrices de jeans durent blanchir ou décolorer artificiellement leurs pantalons bleus afin de retrouver la tonalité délavée des origines. 51. Il semblerait que ce numéro soit celui du lot de tissu dans lequel fut taillé le premier «501». 52. Selon la légende, cette poche aurait été utilisée par les chercheurs d’or pour conserver leurs pépites. 53. Jusqu’en 1971, Levi’s est écrit avec un E majuscule sur celle-ci. Les jeans vintage antérieurs sont désignés par le terme « big E ». 54. Michel PASTOUREAU, Bleu, histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2002. 55. Petit Bateau, dont le nom est inspiré de la chanson «Maman, les p’tits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes ?», devient une marque déposée en 1920, ayant pour symbole le dessin d’une petite fille nommée Marinette. 56. Luciano Benetton et sa famille créent la marque Benetton en 1960. Ils n’avaient pas un sou. Le point de départ, c’est la maille que tricote Giuliana, la soeur de Luciano. Une méthode simple mais efficace : la soeur crée et le frère vend les créations en porte-à-porte. Petit à petit, le succès arrive.

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TRANSITION

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Les basiques et leur production en série sont en opposition avec l’univers du luxe et sa série limitée. Pourtant on a vu que dans les deux secteurs, la simplicité est primordiale. Le luxe l’utilise pour durer et conserver une identité à travers les âges ; les moyennes gammes l’utilisent pour ses possibilités de diversités et comme support de création. La simplicité servirait dont autant à la multiplicité qu’à la rareté. La recherche de la « rareté » semble être un choix judicieux pour se créer une identité fort, s’afficher et s’affirmer. Cette dernière est ce que l’on peut décrire comme « ce que l’autre n’a pas ». La rareté semble insaisissable au moment où les produits se multiplient et les copies débordent sur le marché de la mode. Au sein de cette société, la simplicité s’est érigée en réponse à la multiplicité insignifiante. Elle a permis de reconsidérer des valeurs morales méprisées sous l’Ancien Régime. Il semblerait que la simplicité échappe au renouvellement constant des cycles de mode et prenne tout son sens au côté de l’artisanat. L’artisanat est une valeur de qualité grâce aux savoir-faire qu’on lui associe et qui lui permettent de traverser les âges. L’artisanat et ses savoir-faire ne seraient-ils pas en quelque sorte les lettres de noblesse du luxe ? A priori, oui. L’exemple de la marque Louis Vuitton le confirme. Cette dernière exploite au maximum l’image que renvoie l’utilisation de savoir-faire prestigieux. Cette institution suit la logique du Bauhaus qui consiste à conserver l’artisanat, on met en exergue les savoir-faire, tout en s’accommodant de l’industrie, qui a prouvé sa rapidité d’exécution. Louis Vuitton propose alors un usinage à la main à l’échelle de la grande distribution. On est dans un « luxe de masse ». Ce paradoxe de la vulgarisation du luxe le banalise, donnant ainsi l’illusion qu’on peut tous avoir sa part de luxe/ « rêve ». Cependant, les produits Louis Vuitton gardent leur statut d’intemporels dans le monde de la mode. Aussi, pour surprendre ses clients, la marque au monogramme collabore avec des créateurs contemporains exubérants (exemple : Marc Jacobs) en vogue pour la réalisation de collections capsules.


La simplicité est un caractère fondateur du luxe, elle amène l’idée de permanence. Grâce à des marques comme Louis Vuitton et leur patrimoine, la simplicité a également une image de qualité au sein du secteur du luxe. La sobriété et la simplicité sont aujourd’hui encore des codes de l’élégance. Mais d’où vient véritablement cette notion d’« élégance » ? Etonnamment il semblerait que cette notion soit naît d’un désir de différence à un moment donné où être sobre était être en marge de la société. Le dandy George B. Brummell s’est opposé au faste de l’élite avec des pièces uniques dégageant le raffinement et la distinction. Ainsi, l’élégance est révélée par l’homme et c’est d’ailleurs le vestiaire masculin qui réfléchit autrement et tant vers la simplicité. Qu’est-ce qui a déclenché ces changements ? A quel moment sommes-nous passé du faste au sobre ? Il est vrai que le vestiaire masculin passa du faste à la sobriété, à l’élégance et à l’austérité dans des univers toujours plus sombre jusqu’à se projeter dans la couleur noire. Ce noir qui, allié à la simplicité, deviendra le summum de l’élégance et de la distinction. Des créateurs comme Comme des Garçons et Helmut Lang se sont attachés à cette couleur. D’autre se sont épris de son opposée qui, souvent associé à la pureté, est elle aussi associée au caractère de simplicité : le blanc. Cette dernière est le premier code de Maison Martin Margiela. Il semble intéressant d’observer comment les créateurs contemporains perçoivent la simplicité et ce qu’ils en font ressortir. J’aimerai également comprendre de quel passé s’inspirent-ils pour réaliser leurs créations. En référence à quoi ? A qui ?

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AUJOURD’HUI, QU’EST-CE QUI AMENE LES CREATEURS A S’INTERESSER A CETTE SIMPLICITE ? EN REFERENCE A QUOI ?

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1. CONTREPOIDS ET DIFFERENCE, FASTE / SIMPLICITE

La retenue de la parure face à l’émergence de la bourgeoisie. Pendant longtemps, la différenciation s’établissait en fonction du statut social. Le vêtement semble être le premier témoin de ces niveaux sociaux. A quel moment sont apparus les premiers signes communautaires de différenciation ? Pour répondre à cette question, il semble intéressant d’analyser la retenue de la parure face à l’émergence de la bourgeoisie. Par quel biais sont-ils apparus ? La simplicité se pose en opposition à l’opulence et à l’ornement, se démarquant ainsi et se détachant de toute caractéristique esthétique temporelle. Alors, comme on l’a déjà exposé, un vêtement réduit à son minimum deviendrait un intemporel. La simplicité exploite les tenants d’une société en s’imposant par l’inverse. Les formes des vêtements sont relatives à une époque et montre une évolution. Quels rapports (autres que chronologiques) établir entre une robe longue et ample et le Second Empire ? Entre une robe longue et ample et les années 60 ? Certes, l’une provient d’une société plus rigide et pudibonde que l’autre, mais montrer ses jambes n’indique pas plus, une « libération sexuelle » chez la femme, que les cheveux longs, une quelconque « féminisation » chez les hommes. En matière vestimentaire comme en matière capillaire, il n’existe aucun trait naturel qui permette de semblables analogies. Les jupes sont devenues courtes parce qu’elles étaient longues, les cheveux longs parce qu’ils étaient courts. Toutes les valeurs de mode, toutes les valeurs distinctives résident dans cette opposition passagère avec le passé et avec ceux qui y stagnent. Cependant, n’oublions pas que parfois, l’apparition de nouveaux usages (comme la bicyclette à la fin du XIXe siècle) ou de nouvelles conditions sociales (comme le travail des femmes au XXe siècle) amènent de nouvelles silhouettes, impliquent de nouvelles formes, dont l’historicité de l’émergence et de l’évolution est alors flagrante.

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Le vêtement masculin fut le premier repère dans le changement radical de l’habit dans une société changeante et révolutionnaire. La simplicité s’empare de se vestiaire éclatant et tant à neutraliser les différences pour les conduire vers une nouvelle distinction. « A l’ère de la démocratisation dont le vêtement est l’une des traductions phares, les réponses de ceux pour qui la distinction – autant au sens de la plus pure différence sociale que de l’élégance – reste essentielle passent dorénavant par des comportements visant à produire des différences. »57. Après une grande période de faste et d’ostentation soumettant l’idée de noblesse et de qualité par la quantité, on a pu observer qu’une coïncidence temporelle, présente au début de l’industrialisation du début du XXe siècle, a amené les différents domaines, architecture, design et mode, à simplifier leur produit vers des créations plus fonctionnelles et par extension plus simples. Il semble alors intéressant de davantage se pencher sur le siècle qui précède cette évolution, « ce siècle qui promeut à la fois l’individu et la foule anonyme, le dandysme et l’uniforme, la distinction et le conformisme »58. Ainsi, pour comprendre les inspirations des créateurs - de mode - contemporains, nous observerons l’Ancien Régime qui sera clairement rompue avec l’arrivée du Second Empire59, cette période décisive d’innovations technique, industrielle et commerciale. Le débat entre Aristocrate et Bourgeois, présent durant l’Ancien Régime60, illustre très bien ces changements. Dans cette période, la bourgeoisie regroupe l’élite du tiers état, elle devient une puissance économique et conteste les privilèges61 de la noblesse qui est à l’écoute des responsabilités politiques. C’est aussi un groupe social dont les membres ont un niveau de vie aisée et sont attachés aux valeurs du système capitaliste. Au XVIIIème siècle, la multiplication de nouveaux métiers, de nouveaux commerces et de nouveaux journaux concernant la mode, accélère extraordinairement sa production. « Un habit de quinze jours passe pour très vieux parmi les gens du bel air. Ils veulent des étoffes neuves, des brochures naissantes, des systèmes modernes, des amis du jour. Lorsqu’une mode commence à éclore, la Capitale en raffole, et personne n’ose se montrer, s’il n’est décoré de la nouvelle parure »62. Cette mode, qui s’inaugure toujours à la cour, apparait en effet avec la montée de l’économie marchande qui dépossède peu à peu l’aristocratie de ses rôles sociaux traditionnels. L’essor de la bourgeoisie bouscule des codes vestimentaires dans une société où l’habillement est minutieusement réglé.

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La mode masculine, premier témoin de la volonté de simplicité. Selon le dernier décret du roi Louis XIV (le roi soleil = lux, luxure) : « Il ne faut pas confondre le bourgeois et l’homme de condition qui présente par sa naissance et son éducation de meilleurs qualités. ». Ça serait donc la qualité de l’homme qui doit définir la qualité de son habit et plus son statut social. C’est la réponse illusoire que l’aristocratie médiévale et classique à prise face à l’appauvrissement de la richesse de l’aristocratie foncière. La paraître conditionne l’être. L’habit bourgeois sobre et discret imposé par la monarchie en témoigne face au déséquilibre observé entre le tiers état et les députés et aux autres ordres exubérants leur richesse et leur magnificence. Par la suite, la Révolution française du 5 Août 1789 fait naître une société qui se veut égalitaire. Ainsi, le vêtement d’apparat se voit modifié, il se réfère à une autre réalité extérieure. Certains habits se verront toujours identifiable comme le bleu de travail des ouvriers mais la « complète » liberté de se vêtir indépendamment de son rang et de sa classe sociale fut défini par le décret de Louis Brumaire selon lequel : « Nulle personne de l’un et l’autre sexe ne pourra contraindre aucun citoyen ni citoyenne à se vêtir d’une manière particulière, sous peine d’être considérée et traitée comme suspecte et poursuivie comme perturbateur du repos public ; chacun est libre de porter tel vêtement et ajustement de son sexe qui lui convient »63. On remarquera tout de suite une limite à cette liberté de choix vestimentaire puisqu’il est ici précisé « de son sexe ». Le changement est autorisé mais doit naître progressivement. Débute alors une envie de nouveau, de composition, la liberté fait naître l’élégance dans le système vestimentaire classique. Le vestiaire masculin est nettement plus bouleversé que celui des femmes. Il est le premier témoin de la volonté de simplicité, de changement. Au cours de cette nouvelle société, de nombreux changements opèrent, on appel à la nouveauté dans les modes de vies et l’habit semble être un bon référent temporel. Pendant cette période d’industrialisation montante, la mode multiplie les codes distinctifs du costume tel que la beauté ou la laideur, l’élégance ou le ridicule qui dépendent désormais de la bonne adéquation à son rythme. Dans sa rapidité de production, elle met en cause l’hérédité du signe vestimentaire et renie d’une certaine façon, passé, coutume et tradition. On peut alors prétendre qu’on quitte le goût prononcé pour l’appart et le style baroque des sociétés catholiques pour tendre vers le modèle protestant, moins ostentatoires, plus égalitaire et au style plus classique, plus sobre. On tend donc vers une certaine forme de simplicité.

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Pour se démarquer de l’ancien faste et ostentatoire, il est alors préférable d’aller vers le nouveau, l’unique, le « plus rare », soit restreindre les marques de profusion jusqu’à leur quasi effacement dans le but de développer une certaine distinction. La mode masculine montre les premiers signes de simplicité ainsi, les jabots, les perruques, les dentelles, les poudrées et les satins colorés se font plus discrets pour « rentrer dans les rangs » des vêtements sombres et fonctionnels. On surprend alors la noblesse imitant les codes vestimentaires bourgeois, « abandonnant la prestigieuse épée pour une canne à pommeau ciselé ». La bourgeoisie s’étant étendue, se fait entendre et impose peu à peu, la mesure et le simple. Elle cherche à se démarquer de l’aristocratie par cette absence d’ornement. La bourgeoisie brille alors par discrétion et par distinction. Par ce processus d’élimination et d’uniformisation : moins on en a, plus on est vu. On remarque très clairement que le contrepoids du faste est la simplicité. Ce faste qui était si qualitatif et prisé dans le passé est à ce moment-là erroné. La situation conflictuelle entre l’aristocratie et la bourgeoisie dégage la volonté de s’affirmer par la simplicité. C’est la première fois qu’on cherche à se distinguer en choisissant d’afficher la simplicité dans le vêtement et non plus l’ornement. Ainsi, certains se cachent et se plient à cette simplicité mais pour d’autres, il est moins question de la discrétion, de la société ou de l’anti spectacle. Ils se jouent alors de la simplicité uniformisante, non plus par référence à des objets, mais par allusion à un style, par le truchement d’une attitude, qui vise à une simplicité supérieure et discriminante.

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2. DES MODES D’HOMMES, TEINTES DISCRETES, ELEGANCE ET DISTINCTION

Le dandy. Issues de stratégies sociales nouvelles, la simplicité, la propreté et la correction suscitent des discours nouveaux, des conduites nouvelles qui attestent de leur spécificité historique et culturelle. La simplicité des vêtures, déjà particulière à la bourgeoisie d’Ancien Régime, sert de valeur à opposer non plus seulement au faste aristocratique, mais encore à l’arrogance démonstrative des nouveaux riches. La propreté vestimentaire (et non pas corporelle, encore rudimentaire) prend, avec et comme l’essor de l’hygiène, une extension formidable au XIXe siècle. La correction enfin, très liée à la propreté, témoigne par l’autocontrôle qu’elle implique, de l’émergence d’une nouvelle figure dans l’histoire des comportements vestimentaires : celle du gentleman, et sa version radicalisée : le dandy. George B. Brummell apparaîtrait comme la figure du dandy britannique dont le rôle fut déterminant pour l’élégance du XIXème. Il fut remarqué par le Prince de Galles (futur George IV) par son incroyable élégance et son raffinement distingué. Le futur souverain, passionné d’élégance et alors colonel du 10ème régiment de hussard, élite de l’armée britannique, prend George B. Brummell sous son aile. Sans doute tant par goût que pour d’évidentes raisons pécuniaires, le style de Brummell se caractérise par sa simplicité et son économie de moyens. Il évolue dans les élites et s’érige par une image de dandy. Il retourne son manque de moyen en sa faveur et propose un mode de vie au quotidien qui s’oppose au faste de cette élite. Le jeune homme porte culottes de daim, gilet chamois et frac le jour, pantalons boutonnés en bas, escarpins, gilet blanc et habit bleu le soir. De cette date la sobriété ira toujours de pair avec l’élégance, et va tout naturellement favoriser l’émergence du noir. Sur cet exemple, les tailleurs anglais suivent le pas durant le second quart du

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XIXème siècle en imposant la discrétion comme premier principe de l’élégance masculine. Le dandy utilise également son goût du romantisme et porte exclusivement des pièces uniques. Il semblerait donc que ce soit la naissance de l’industrialisation qui, exploitant le filon de la production en série, tue le style dandy.

George B. Brummell

Franklin Roosevelt

Le dandysme de Brummell prône une discrétion vestimentaire relevée de variations mineures. Le dandysme se veut ainsi éternel tout en étant un phénomène «transitoire». Le caractère transitoire du dandysme désigne non seulement le momentané mais aussi l’entre-deux. Le dandysme se situe non seulement entre les deux genres sexuels mais aussi entre deux époques. L’attirance pour le style androgyne, largement employé par des créateurs contemporains, viendrait-elle de ce style affirmé qu’est celui du dandy ? Selon Barbey d’Aurevilly64, George B. Brummell est « le plus grand Dandy de son temps et de tous les temps ». Il explique également que le dandy semble avoir plus d’affinités avec les courtisans de l’aristocratie qu’avec les artistes contemporains. L’histoire nous enseigne que la belle époque du dandysme au sens strict du terme - de courte durée, puisqu’elle va de 1810 à 1830 à Londres et de 1830 à 1837 à Paris - ressemble bien plus à une mode65 qu’à un mouvement intellectuel.

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La couleur noire. Dans le prolongement de cette période conquise par le dandy et ses choix vestimentaires telle que cette austérité, le noir fait son apparition dès les années 1850 et est rapidement adopté par les hommes en vue de tous les pays européens. En ce milieu du siècle, les tailleurs britanniques ont imposé leur hégémonie sur l’élégance continentale. En France les tableaux du Second Empire témoignent des rues parcourues par des bataillons d’hommes en noir, que seules viennent égayer les touches de couleur des toilettes féminines. Hors du neutre, hors du nombre, l’emploi des couleurs, dans cette morale de la discrétion et de l’intériorité, est toujours risqué, souvent malséant ; il renvoie à un monde de provocateurs tels que les artistes ou les tatoués criminels (qu’Adolf Loos affectionnait particulièrement). Les teintes vives, cependant, ne désertent pas totalement la garde-robe masculine. On retrouve ces couleurs dans des zones cachées comme les doublures ou les revers. « On se demande (…) comment le peuple français, qui a ébloui pendant si longtemps le monde par la richesse, l’éclat et la variété de son costume national, a pu en arriver, par le progrès, à cette tenue râpée, puritaine et austère, si peu en harmonie avec la pétulance de son esprit et la gaieté de son caractère, que l’uniformité de l’habit noir infligé à tout le monde, à l’écolier comme au vieillard, à celui qui court au bal comme à celui qui va à l’enterrement. »66. Vécu avec la révolution de la Réforme comme le signe de l’austérité idéale, négation des couleurs dont la séduction trompeuse est prohibée, le noir devient la panoplie de l’autorité, du tribunal au maillot de l’arbitre, signe plutôt que couleur. L’éthique protestante qui gagne celle de la bourgeoisie triomphante éteint le vêtement masculin pour près de quatre siècles. Selon les propos de Michel Pastoureau recueillis dans une interview de François-Guillaume Lorrain67 : « Vers le XIVe siècle, le noir est considéré comme le contraire de la couleur. Or la morale sociale se met à penser la couleur comme une matière et donc comme un luxe, un désordre. Car une querelle philosophique a parcouru le Moyen Age : la couleur est-elle de la matière ou est-ce de la lumière ? Pour Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, c’est de la lumière. Pour saint Bernard, abbé de Clairvaux, c’est de la matière. Ainsi naît un affrontement entre chromophiles (Pierre et les clunisiens) et chromophobes (Bernard de Clairvaux). ». Ainsi, le noir, par opposition à la couleur, devient digne et se rachète une vertu. L’invention de l’imprimerie, au XVe siècle, impose un monde en noir et blanc.

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Deux siècles plus tard, le noir est sombre et terrible et très à son aise. En revanche, le XVIIIe siècle ne lui ai pas favorable. « Peut-être parce que Newton, en découvrant la composition du spectre de l’arc-en-ciel, établit un continuum des couleurs où le noir, comme le bl anc, n’a plus sa place. D’où la fameuse formule : le noir n’est pas une couleur. Peut-être aussi parce que le XVIIIe siècle est un siècle où l’on reprend confiance, où l’on voyage, où l’on découvre de nouvelles teintes, comme le bleu indigo, des jaunes indiens. Et puis, le siècle des Lumières, ça ne peut pas être bon pour le noir » soumet Michel Pastoureau. Le noir reprend sa place avec le romantisme, qui remet en valeur le macabre, les enfers, me mystérieux et la mélancolie. C’est vers 1850 que le noir devient la couleur du deuil et l’emporte sur le gris, le violet et le vert foncé qui ont longtemps été les couleurs portées en cette occasion. Le capitalisme est aussi une « ère » du noir. Dans un premier temps parce que ses valeurs ne sont pas éloignées de celles des protestants qui prônent cette couleur et il affirme ce choix en fabriquant du noir à la chaîne. L’emblème de la révolution industrielle, c’est le charbon et les gueules noires. S’en suit l’or noir. Tous les produits de consommation – voitures, stylos, appareils ménagers, vêtements – commencent par être noirs alors que l’industrie des colorants offre de multiples possibilités. La couleur a été jugée tentatrice et transgressive. En 1916, la technique du cinéma en couleurs était bien au point, ce qui veut dire que son développement aurait pu commencer plus tôt. Elle a été retardée pour des raisons économiques et morales ; à l’époque, certains esprits estimaient que les images animées étaient futiles et indécentes. Ils auraient certainement été « effrayés » de les voir animées en couleurs, les producteurs gardent le noir et blanc, qui rassure. Pour des raisons similaires, Henry Ford, protestant puritain, exige que ses Ford T soient toutes noires. La couleur noire est une couleur de composition, chacun fait son marché. Les artistes, photographes, peintres, cinéastes, créateurs de mode lui redonnent une certaine modernité. Au XXe siècle, sa valeur d’élégance vu à travers le smoking, la petite robe et mes emballages de luxe entre autre et qui prolonge le noir princier du Moyen Age, tend à l’emporter sur sa valeur d’autorité. L’instituteur prend sa blouse noire. Les voitures présidentielles ne sont plus noires. Idem pour les arbitres, qui ne sont plus des « hommes en noir ». On peut ainsi dire qu’aujourd’hui, le noir peut s’associer au chic et à l’élégance et cette couleur, loin d’être neutre, renforce des valeurs vestimentaires souvent liées à la simplicité. Le noir austère, comme on a pu voir certains vêtements de Coco Chanel (inspiré de ses 6 années à l’orphelinat), sa petite robe noire, indémodable. Le noir pourrait être un intemporel, il traverse les âges et

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s’accom-mode des valeurs du présent donné. L’ambiguïté de sa « non-couleur » qui appuie son caractère intemporel et la rend chic et classique. Son lien fort avec le dandy tout aussi ambigu.

Comme des Garçons : influencé par ce passé de dandy. Le noir est largement utilisé dans notre société actuelle et les créateurs de mode de dérogent pas à la règle. Les podiums sont servis par cette couleur voir même envahis. La créatrice de Comme des Garçons, Rei Kawakubo, a sorti sa quinzième ligne en 2009 baptisée Black Comme des garçons. Black Comme des Garçons réinterprète, en jouant sur l’accessible, les modèles les plus emblématiques de Comme des garçons, axés essentiellement sur… le noir iconique. « C’est son uniforme, sa garde-robe », précise Adrian Joffe, mari de Rei Kawakubo et président de Comme des garçons international. La ligne s’affiche « temporaire » puisqu’elle est appelée à vivre dix-huit mois, avec des réactualisations tous les mois et disponible dans seulement 10 boutiques à travers le monde.

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Miser sur le noir est-ce un moyen de jouer de son intemporalité pour remettre au goût du jour des modèles oubliés ? La distribution « exclusive » et limitée n’a-t-elle pas pour but de rendre les pièces plus rares et donc plus attractives ? L’objectif ? « Vendre beaucoup, dans peu d’espace, en peu de temps. ». Cela semble être une réponse futée à la crise du moment. La marque Comme des Garçons uniformise ses pièces fétiches en les « lissant » de noir et proposer ainsi des modèles au-delà de la normalité, au-delà des modes éphémères dans un cadre qui lui au contraire, l’est. Dans le même esprit que sa ligne « Guerilla » présentée en 2004 dans une boutique ouverte à Berlin pour un an seulement, sa ligne Black Comme des Garçon est exposé dans un lieu aux lignes minimalistes. Les principes de rareté, comme contrepoids, et de longévité sont tous les deux les maillons de la réussite de cette dernière ligne.

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La styliste Rei Kawakubo introduit la ligne Comme des Garçons à Tokyo en 1969 après avoir terminé ses études en Beaux-Arts et Littérature à l’Université Keio. La marque japonaise connaît un grand succès. Une ligne de mode masculine a par la suite été introduite en 1978. Trois ans plus tard, la styliste décide de présenter sa collection à Paris. Ce lancement de la marque crée un scandale par son utilisation prédominante de la couleur noire, de ses tissus inhabituels, monochromes et ses coupes asymétriques. Comme des Garçons68 a depuis introduit plus de couleurs dans ses collections qui ont finalement été « recouvertes » dans la collection Black Comme des Garçons. Elle cherchait le détail par touche de couleurs au sein de son noir si emblématique. La styliste s’intéresse à la mode masculine qui semble bien être l’émergence de la simplicité dans le domaine. Elle s’en inspire et son choix pour la couleur noire n’est finalement pas une surprise après l’analyse historique que nous venons d’effectuer.

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3. LA DISTINCTION, ATTITUDE, « APPARAÎTRE DANS LA DISPARITION »

Détail et subtilité. « Puisque l’on ne pouvait plus changer le type fondamental du vêtement masculin sans attenter au principe démocratique et laborieux, c’est le détail (« rien », « je ne sais quoi », « manières », etc.) qui a recueilli toute la fonction distinctive du costume : le nœud de cravate, les boutons d’un gilet, la boucle d’une chaussure, ont dès lors suffi à marquer les plus fines différences sociales ; dans le même temps, la capacité du statut, impossible désormais à afficher brutalement en raison de la règle démocratique, se masquait et se sublimait sous une nouvelle valeur : le goût, ou mieux encore, car le mot est justement ambigu : la distinction. »69. Il semblerait donc que dans son souci « d’imiter » le luxe aristocratique, qui consiste avant tout à consommer sans jamais produire, la bourgeoisie tant plus à dégager des signes distinctifs, des détails afin de s’affirmer. Cette tenue étant désormais « démocratique » et « égalitaire », elle est loin d’indifférencier véritablement son porteur et promeut une nouvelle valeur : la –fameusedistinction. La distinction, terme dont le dictionnaire Littré précise : « Ce qui, dans la tenue, a un caractère d’élégance, de noblesse et de bon ton. Avoir de la distinction, un air de distinction. La distinction des manières. ». Ainsi, plus la bourgeoisie s’accroisse, dans une volonté d’accaparer les signes de son nouveau statut, plus la rareté chic et distinctive devient chère, plus son imitation en revanche, industriellement multipliée, devient accessible. La possibilité industrielle de la profusion des marchandises oblige à feindre la rareté. La simplicité érigée en état d’exception à la norme commune est une stratégie que les marques de luxe utilisent pour renvoyer l’idée de rareté au consommateur. Ainsi, le luxe pudique et discret, qui ne dit pas son nom, qui s’apprécie et se

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décrypte uniquement par les amateurs initiés, sa subtilité pour ne pas être démonstratif ou ostentatoire, est de bon ton. Selon Castiglione dans Le Livre du courtisan, pour s’épargner d’être vulgaire à la cour, il est recommandé de ne point trop paraître et de fuir toute attitude ostentatoire, de limiter les preuves de son bon goût quand ses rivaux en abusent, de faire montre de simplicité pour apparaître plus distinctement et se distinguer. Les campagnes publicitaires pour des produits de luxe, témoignent de cet « allègement ». Ne reste que le produit, dépouillé de slogan, comme si les objets brillaient de leur aura. D’une certaine manière on peut dire qu’on les met sur un piédestal ; comme si ils étaient incomparables, hors du temps, impossible à évaluer, au-dessus des autres produits qui sont eux au contraire épiés, mesurés, testés par tous, amateurs et professionnels. Les marques de luxe se distinguent alors par l’effacement, une manière de briller par discrétion, d’apparaître dans la disparition, il est plus question de renverser l’équilibre faste du passé contre la pureté d’aujourd’hui : « Quand les marques distinctives sont multipliées outre mesure, c’est une sorte de distinction que de n’en point avoir. »70.

Maison Martin Margiela, qui êtes-vous ? Je me permets de me pencher sur le créateur Martin Margiela et sa Maison éponyme fondée en 1988. Ce créateur prêche l’absence qui est le fond et l’origine du concept qui distingue sa Maison. Il ne se montre jamais, ne fait aucune interview, ne pose jamais, même pour un simple portrait71. Il cherche autant l’effacement dans son travail que dans sa propre médiatisation. De mon point de vue, on est forcément objectif puisqu’il n’y a plus que le vêtement qui va essayer de nous séduire. Martin Margiela devient alors un mythe, une légende même. La légende de l’homme mystère. On dit qu’il est beau et intelligent. Unique dans sa démarche, il développe sa marque dans le plus complet anonymat pour que le produit seul en permette l’identification. Dans un autre registre, cette démarche s’apparente à celle du groupe de musique Daft Punk dont les membres sont illustrés par des personnages fictifs dans leurs clips. La discrétion de la Maison Martin Margiela va jusque dans la présentation de ses défilés : visages des mannequins oblitérés par du maquillage, des bandeaux, des perruques, des masques. Ainsi, les mannequins sont tel des

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Siegel Stockman72 mais de chair et d’os, sans personnalité afin de promouvoir au mieux le vêtement et son identité. Il choisit également des lieux étonnants : garage, terrain vague, voiture de train, etc. Martin Margiela dans sa volonté d’effacement, de sa présence par rapport à la création, il se « cache » derrière le « nous » d’une équipe et quelque part, on peut dire qu’il va à contre-courant de ce que la mode lui a offert. Worth73 a libéré le monde de la haute couture. Grâce à lui, le couturier est devenu créateur (Paul Poiret, Coco Chanel, Christian Dior, etc.) et son image est une figure associée à ses créations. Aujourd’hui, Martin Margiela refuse d’être l’héritier de cette mode de 100 ans et laisse la part au mystère. Il signe alors toujours au nom de toute son équipe car dans cette maison, on ne fait pas tout ce qu’on veut, c’est une communauté, avec ses coutumes, ses règles, ses codes. Le premier et le plus évident est : le blanc. Non, pas le blanc, les blancs. Il y a le blanc foncé, le blanc mat, le blanc lucide, le blanc sale, le blanc nouveau, le blanc un peu gris, le blanc un peu crème, le blanc un peu jaune, le blanc vieilli, etc. Pour la Maison Martin Margiela, le blanc, c’est « la force de la fragilité, surtout la fragilité du temps qui passe ». Les murs blancs, les portes blanches, les meubles et les emballages blancs, et les publications blanches, tout est porteur d’un même sens pour cette Maison : « Le temps qui passe laisse des traces sur les surfaces blanches. ». Le blanc n’est donc absolument pas anonyme, il confère une réelle identité et son utilisation est loin d’être nouvelle dans le monde du design. Dans les années 20, Le Corbusier dont on a parlé dans la première partie soutient les thèses hygiénistes présentes entre le XIXe et le XXe siècle. Inspiré par ces dernières, il présente dans L’art décoratif aujourd’hui sa vision de l’habitat de demain où règnent la lumière et la propreté. Son texte, extrait de ce livre, « Le lait de chaux, la loi du Ripolin » appuie ses idées sur un espace de vie ou l’ornement et la saleté sont proscrit. Le Corbusier, cherchant un aspect de l’habitat plus moraliste, invite ses lecteurs à repeindre leurs propres murs en blanc. « Le blanc de chaux est extrêmement moral. Admettez un décret prescrivant que toutes les chambres de Paris soient passées au lait de chaux. Je dis que ce serait une œuvre policière d’envergure et une manifestation de haute morale, signe d’un grand peuple. »74. La propreté, le blanc, les formes simples et

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rigoureuses lavées de tout décor : une quête de l’épure dans la recherche du bonheur. « Là où nait l’ordre naît le bien-être » disait Le Corbusier. Ce puriste établit qu’un objet est plus moral qu’un autre à travers son hygiénisme. Pour lui le blanc est une « robe de couturier ». Déjà, au XIXe siècle, Adolf Loos dresse un parallèle entre l’architecture et le vêtement en notant que l’habillage d’un mur nécessite la distinction entre le support et « l’habit ». Ce geste concret, du blanchiment des murs extérieurs et surtout intérieurs, résulte d’un devoir de se limiter à l’essentiel. Le blanc envahit la Maison Martin Margiela et se retrouve sur toutes les surfaces possibles et inimaginables. L’envie de donner une nouvelle image aux choses par un simple coup de pinceau à la main puis par la suite, l’envie de donner une deuxième vie, un nouvel usage, non plus par la couleur mais par le recyclage. C’est le deuxième code de conduite de la communauté Martin Margiela : recycler des vieux vêtements, les retravailler afin de leur donner une nouvelle image, une seconde vie et un nouvel usage. L’adage de la maison est de « prendre une forme existante et la retravailler », tout simplement. Le créateur n’hésite pas à reproduire des vêtements déjà créés en indiquant leur date de conception à travers Replica75 et garde ainsi une perception hors saison de la mode. La Maison Martin Margiela travaille des compositions de pièces de récup ou autres (capsules de bouteilles, bandes de Velpeau, faux cils, brides de chaussures, cartes à jouer,…) qui deviennent des pièces uniques dans ses collections artisanales. Finalement la Maison Martin Margiela qui est en marge de la société de surconsommation et sur-médiatique, ne fait que jouer avec en utilisant ses « déchets ». Révélateur de notre époque, cette Maison donne une seconde vie aux objets délaissés par leur obsolescence temporelle et les rend intemporels. Au moment où les produits se multiplient et les copies débordent sur le marché de la mode, la simplicité s’est érigée en réponse à la multiplicité insignifiante. Elle a permis de revaloriser des valeurs morales méprisées sous l’Ancien Régime. Il semblerait que la simplicité échappe au renouvellement constant des cycles de mode et prenne tout son sens au côté de l’artisanat. L’artisanat est crédible grâce aux savoir-faire qu’on lui associe et qui lui permettent de traverser les âges. On pourrait considérer la simplicité et l’artisanat comme les lettres de noblesse du luxe. La démarche absente de Martin Margiela allié à son univers blanc, épuré, nous

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montre son goût du détail et son approche de la distinction. Ne pas trop en faire, la création parle d’elle-même, même si cette volonté de retenue demande paradoxalement énormément de travail de discrétion face à l’acharnement médiatique présent aujourd’hui. La tentative d’invasion du monde extérieur n’enlève en rien les aspects intelligents, subtils et pleins de poésie des vêtements proposés dans les collections de Martin Margiela76. Afin de renforcer l’importance qu’il porte au produit et en opposition à l’obsession des griffes de la fin des années, ses vêtements sont finis par une étiquette vierge (en coton écru) grossièrement cousue. A la naissance de la marque, la cliente achetait le produit pour ce qu’il était et pouvait aisément couper les quatre fils qui tenaient l’étiquette77 blanche pour garder le vêtement tel qu’il est. L’ironie du sort, c’est que celle qui est sensée conférer de l’anonymat est devenue en quelque sorte le « comble du chic » et aujourd’hui ses acheteurs se gardent bien de l’ôter. Cette signature choisie pour être simple et « neutre » est finalement parfaitement paradoxale puisque le label, cousu de fils blancs aux quatre coins, rend finalement le vêtement identifiable de l’extérieur. Mais finalement, cet excès de simplicité ne deviendrait-il pas un geste ostentatoire ? Ces 4 coins qui sont aujourd’hui les signes représentatifs de la marque et se posent en ornement au dos du vêtement. Pourtant on remarque un véritable désir d’effacement au profit du produit. La marque ne souhaite plus s’imposer, elle cherche avec simplicité à offrir et transmettre sa passion et ses valeurs.

Muji, « le design et la qualité en plus ». Cette volonté de « non-marque », « no-logo » est également présente dans une firme Japonaise créée en 1980 appelée Muji. Muji est l’abréviation de « Mujirushi Ryyohin » qui signifie « produits de qualité sans marque » en japonais. Les différents articles de la firme se caractérisent tous par leur design minimaliste et leur grande simplicité. Muji illustre une esthétique de la rationalité et de la modestie propre à la culture traditionnelle du Japon. Ainsi, elle réfute le luxe et l’apparence. Les produits Muji ont une esthétique extrêmement simple et fonctionnelle. Ils ne proposent pas d’innovation technologique, en opposition à tout ce qui

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extrêmement développé au jour d’aujourd’hui, ils sont simples, équitables et surtout de qualité sans chercher à séduire le consommateur. Le principe de base est le suivant : recherche de la fonctionnalité, choix des matériaux, épure et simplification jusqu’à l’emballage. On en revient presque à l‘idée du Bauhaus et Muji apparaît comme un descendant certain de l’industrialisation et de la simplicité associée. On pourrait assimiler l’esprit de Muji à celui des produits libres de Carrefour, « le design et la qualité en plus ». On peut lire à l’entrée de leurs magasins : « ce n’est pas dans les noms ou dans les logos que réside la valeur de nos produits mais dans leur toucher et leur fonctionnement. ». Ce concept a construit une identité forte et unique qui donne au design Muji une esthétique immédiatement identifiable.

Aujourd’hui, il semble que l’esprit d’une marque remplacerait le logo. Cet esprit serait l’ « ADN » de la marque, l’ensemble d’ingrédients qui font que chaque produit d’une marque possède une identité sans même avoir besoin de logo. Comme un bon basique, un produit Muji a pour avantage de remplit, simplement, très bien sa fonction. Les produits Muji sont conçus pour répondre à des

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besoins sans en créer de nouveaux. Ils ne changent pas en fonction des saisons, ni par « collections », ils sont en quelque sorte intemporels. Kenya Hara, directeur artistique et membre du conseil d’administration de Muji, déclare : « Nous ne voulons pas être la chose qui allume ou incite l’appétit, provoquant des réactions telle que « c’est ce que je veux vraiment » ou « je dois avoir cela ». Si la plupart des marques veulent susciter ce genre de réaction, Muji recherche l’inverse. « Nous voulons donner aux clients une simple satisfaction qui pourrait se traduire par “ça fera l’affaire”, et non pas “c’est ce que je veux”. Ce n’est pas du “désir”, mais simplement de “l’acceptation” [...] Le désir conduit parfois à l’obsession et à l’égoïsme. Je me demande si l’humanité, après avoir couru après le désir, n’est pas finalement parvenue à une impasse. La société de consommation et les cultures individuelles, pourchassant le désir et l’envie de posséder, vont droit dans le mur. En ce sens, aujourd’hui, nous devrions apprécier les qualités que l’on retrouve dans le concept d’acceptation : la modération, la concession et le détachement. Ainsi l’acceptation pourrait être un pas de plus vers la liberté. »78. Muji va à l’encontre des pratiques de ventes communément dénoncées et réagit à l’obsession des griffes et des signatures en proposant ses produits simples, utiles et sans marque. Sa volonté n’est pas de générer artificiellement le désir de l’acheteur. Kenya Hara a instauré une véritable identité liée à l’éthique et à la constance que ses produits traduisent. La firme Muji flatte alors un désir

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raisonné de durabilité. Les produits Muji semblent eux aussi intemporels grâce à leur esthétique simple et leur réponse fonctionnelle. Le travail de Kenya Hara est guidé par une véritable éthique de la patience de la lenteur, à contre-courant total de la course effrénée vers la nouveauté de notre époque ultra-technologique. Au contraire, il prône la forme mûrement réfléchie, solide par sa simplicité et un caractère qui puisse évoquer à la fois un rapport au passé et au futur. Kenya Hara a développé le concept de « marque anonyme » et le refus de l’« image79 » de marque à travers Muji. Rien de visuel dans l’identité de Muji mais du texte composé en Helvetica80, une police réputée pour sa transparence, son absence totale de connotations. Le seul caractère distinctif de la firme est peut-être le couleur bordeaux, que l’on retrouve en fin liseré sur les étiquettes (vêtements, flacons, emballages) et dans le design numérique de l’application Ipad. C’est un détail, une touche, une marque de distinction. Muji semble vouloir se présenter comme la marque « basique » par excellence. Il ne s’agit pas, comme l’explique Kenya Hara, de faire du « non design », mais de « l’ultimate design », du design essentiel. Vue sous cette angle la standardisation du produit industriel n’a plus rien d’inquiétant, au contraire, elle évoque la confiance, la valeur sûre.

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D’un côté, une éthique du recyclage et de la réutilisation de la surconsommation avec Maison Martin Margiela et de l’autre, une éthique liée à la moralisation du capitalisme et au développement durable avec Muji. Toutes deux brillent par leur présumée absence qui éminemment est devenue une force et une identité reconnaissable. « Le bonheur réside dans notre capacité à savourer pleinement l’environnement dans lequel nous vivons » énonçait Kenya Hara. Il faut savoir exploiter ce qu’on a autour de soi. La pureté éthique du travail de Kenya Hara a été remarquée et commanditée pour concevoir l’identité visuelle de marques et d’institutions de santé, comme Arkray, qui produit du matériel médical, ou la clinique d’Umeda au Japon, dont la signalétique sur textile immaculé évoque sans contradiction à la fois la propreté et le bien-être. Il sait apprivoiser le vide et le blanc et démontre que les produits qui donnent habituellement lieu à une débauche de signes et de couleurs peuvent aussi s’y prêter. C’est le cas de l’alcool, des cigarettes, des parfums, des produits gastronomiques dont il a composé des étiquettes toutes en légèreté. On connait –presque- tous le flacon du parfum Kenzo Power, déjà utilisé huit ans plus tôt, habillé en acier, pour le saké Hakkin. Ses lignes pures et simples sont loin d’être neutres, elles forgent une véritable identité au designer et sont reconnaissables parmi toutes les autres formes. Il présente, à travers ses produits, sa vision de l’essentiel. Il retire l’inutile pour garder le fondamental.

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4. REMINISCENCE DES ANNEES 90, SIMPLICITE AU GOÛT DU JOUR

Helmut Lang. Suite à ces fait historiques, nous pouvons observer différentes recherchent de la simplicité au travers de différentes maisons qui apparaissent vers la fin des années 80 et le début des années 90, aux approches et parcours variés, en voici quelques exemples. Rei Kawakubo et Martin Margiela –vus plus haut- mais également des créateurs comme Helmut Lang ou Jil Sander semblent intéressant à approcher en vue de leur démarche face au désir de simplicité. Helmut Lang est un créateur de mode autrichien, né à Vienne en 1956. Il y ouvre sa première boutique trente ans plus tard. Il réalise d’abord des vêtements pour lui dans une recherche de l’absolu, de l’essentiel, sans réelle différenciation de sexe. Il présente une nouvelle vision du prêt-à-porter résolument androgyne. Grandement soutenu par son pays d’origine, il se fait remarquer lors d’une exposition au Centre Georges Pompidou en 1986. Son concept de vêtements asexués fait fureur, tant bien qu’il influencera même a posteriori un certain nombre de ses confrères. Un autre autrichien né dans les années 20, Rudolph Gernreich dit Rudi Gernreich, ardent défenseur des vêtements unisexes proposa un dressing composé de modèles masculins et féminins dans des vêtements identiques illustrés par des corps à la tête rasée et les organes complètement chauves. Sa recherche de simplicité dans le vêtement va jusqu’à la nudité et le traitement du corps en conséquence (le lisser en le rasant). Rudi Gernreich fuit le nazisme dès l’âge de 16 ans et s’installe aux Etats-Unis. Il devient créateur de mode dans les années 1950 notamment chez Wiliam Bass. C’est en véritable provocateur qu’il crée le monokini (bikini topless) et qu’il fait parler de lui. Par la suite, il poussera son anticonformisme à l’extrême en proposant le pubikini (un maillot dont la culotte laisse entrevoir le pubis).

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Il est l’un des premiers à utiliser des matières telles que le plastique ou le vinyle pour réaliser des vêtements. Il devient alors le chef de file avant-gardiste de la mode futuriste. Dans les années 60, Rudy Gernreich crée le « No-Bra », fabriqué par Lily of France. Il est fait d’un tissu extensible pur sans armatures ou ornementations de toute nature. Il se ferme par un simple clip en métal fixés à l’avant du soutien-gorge. Il crée enfin en 1972, le « No-Bra Bra ». Ce dernier est fait d’une pièce, toujours en tissu extensible mais s’enfile par-dessus la tête ; il n’a ni fils métalliques ni clip. Il a créé une nouvelle mode dans le secteur de la lingerie qui ne s’envolera pas vers le succès. Ses créations sont plus assimilées à des expérimentations ou à de l’art vestimentaire. Il terminera sa carrière comme designer tout terrain, et créera même des paquets de soupes dans les années 1980. Il a été également un célèbre militant pour les droits homosexuels, à travers son association Mattachine Society. En proposant de la lingerie, les créations de Rudy Gernreich ne créeront finalement qu’une brève agitation puis disparaîtront secrètement. Helmut Lang81 lui étendra son projet et c’est en pionnier de la mode qu’il fera défiler hommes et femmes ensemble sur les podiums afin d’afficher ses choix asexués. Aux côtés des tailleurs stricts et fondus de sobriété, il présente des jeans – il est aussi connu comme étant l’initiateur de la tendance des jeans « travaillés » - sommairement recouverts d’une couche de peinture. S’amourachant du courant déconstructiviste, il se défait des conventions et crée un nouvel univers. L’autrichien voue son travail à une élégance primitive, dénuée de toute exubérance luxueuse. Ainsi, à l’image de Rei Kawakubo, il adopte le noir et blanc et des traits rigides, parfois même austères. Il impose sa propre griffe, il arrive avec son esthétique minimaliste en total


contraste avec les canons de l’époque. Le ton est donné par une palette de tons sourds, alliée à des coupes strictes inspirées de tenues militaires ou de travail. Il fait appel au dandy et à son ambiguïté sexuelle pour créer ses silhouettes androgynes. Autant d’audace qui préfigurent un nouveau devenir pour la mode. Dans son travail, il apparaît proche des valeurs protestantes qui sont : la simplicité, l’humilité et la discrétion. Les cultes réformés sont généralement austères et le protestant se méfie de l’apparat, du clinquant et en quelque sorte du feu d’artifice vite éteint. Les valeurs protestantes cultivent l’authenticité et la sincérité. Helmut Lang déclare : « Ceci dit, ce succès est surtout dû à un travail sans relâche, à une démarche sans compromis et une totale authenticité pour le meilleur et pour le pire ! Mes défilés que j’appelais « séances de travail », ne parlaient d’ailleurs pas seulement de mode. Je recherchais une certaine ambiance, un état d’esprit qui puisse la prolonger et la dépasser. »82. Helmut Lang s’est aujourd’hui tourné vers le monde de l’art contemporain. L’été dernier (2011), il a détruit et réutilisé six mille pièces de ses archives vestimentaires afin de créer une série de sculptures pour une exposition à East Hamptons, dans le cadre du Fireplace Project. Malgré de nombreuses propositions pour renouer avec le secteur de la mode, il explique que « l’art et la mode ne se croisent qu’à la faveur de quelques collaborations ponctuelles »83. Depuis, ses apparitions publiques se font rares et il ne semble pas soumettre l’idée d’un retour dans la création de mode à l’inverse d’une de ses premières inspiratrices, la styliste allemande Jil Sander. Cette dernière propose des silhouettes dites minimalistes et androgynes. En 2000, désintéressés par le côté commercial de leurs entreprises respectives, les deux marques (Helmut Lang84 et Jil Sander85) on était rachetées par le groupe Prada puis, en 2006, par l’entreprise japonaise Link Theory ; ceci leur a permis de se consacrer à la création.

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Jil Sander. La griffe Jil Sander naît en 1973 lorsque la styliste allemande Heidemarie Jiline Sander organise son premier défilé. Elle se fait remarquer par une esthétique d’épure et de discrétion. La styliste surprend en utilisant des matières traditionnellement utilisées dans la mode homme. Le style suit la matière ainsi, la chemise blanche et le tailleur pantalon deviennent ses produits phares. Les années 90 sont une période d’expansion pour la marque Jil Sander, qui ouvre des magasins à Paris, Milan, Tokyo, Hong Kong et New York. Leurs intérieurs, cosy et vastes, sont décorés par Jil Sander elle-même. Elle profite de ce succès et se joint à la marque allemande sportswear Puma pour créer la ligne de baskets Sneakers. En 2000, la créatrice qui la marque qu’elle a fondé pour y revenir trois ans plus tard, très bien accueillie par la presse internationale. Les collections qui suivront, élégantes et féminines, créeront un succès phénoménal dans le monde de la mode. Mais ça ne durera qu’une seule année avant qu’elle ne quitte « définitivement » la maison. On sait depuis le 2 Février 2012 qu’elle n’a pas pu se résoudre s’en séparer pour de bon puisque Raf Simons, au poste de directeur artistique depuis sept années, présenta sa dernière collection automnehiver 2012-2013 créant l’évènement à la dernière fashion week-end de Milan. Ce dernier poursuit la quête des lignes pures, des ourlets nets, et des vestons croisés.Les monochromes bleus et outremers se mêlent à quelques touches d’argent futuriste. Fantaisie et sobriété sont les maîtres mots des créations

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Raf Simons qui permettent aujourd’hui à la marque Jil Sander de subsister sur les podiums. Le créateur, qui avait donné une direction nouvelle à la maison en apportant un vent de modernité minimaliste tout en réinventant les codes chers à la marque, a présenté son dernier show dans une atmosphère d’excitation palpable. Le décor du défilé, composé de bouquets de fleurs multicolores recouverts de cubes de verre, annonçait sous forme d’une jolie métaphore, le défilé qui allait suivre. Car pour sa dernière collection chez Jil Sander, Raf Simons réussit avec poésie, le mariage du minimalisme et du romantisme, dans une palette de teintes empruntées aux fleurs. Une infinie douceur émane de cette collection, qui s’ouvre sur des manteaux oversized aux coupes épurées, sans couture, sans bouton, fermés au col par un geste de la main d’une extrême délicatesse. Ce défilé86 est une ultime déclaration d’amour du créateur à la maison Jil Sander. Une façon de rappeler, comme la rose apprivoisée du Petit Prince, que rien n’est éternel, tout recommence, et que c’est par son caractère éphémère que la beauté des choses prend tout son sens. Jil Sander, attendue, reprend la direction de sa propre maison87. « Je suis heureuse et très emballée à l’idée d’être de retour. J’ai l’impression de rentrer chez moi après un long voyage », déclarait la créatrice et fondatrice de la maison. Jil Sander entend donner une vision plus contemporaine à sa marque, tout en lui restant fidèle. Elle gardera toujours sa figure de « reine du minimalisme » ou du « less is more » comme on a pu régulièrement lire dans la presse (dans Vogue, dans l’Express, dans Série limitée, sur le point, entre autres).

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57.Sous la direction de Olivier Assouly, Le Luxe, Essai sur la fabrique de l’ostentation, IFM, 2ème édition, revue et augmentée, éditions du Regard, 2011, p.378. 58. Philippe PERROT, Les dessus et les dessous de la bourgeoisie, Complexe, p.8. 59. Le Second Empire est le système constitutionnel et politique instauré en France le 2 Décembre 1852 lorsque LouisNapoléon Bonaparte, le Président de la République française, devient « Napoléon III, empereur des Français ». Le second empire prend fin lorsque Napoléon III est fait prisonnier en 1870 à Sedan. 60. L’Ancien Régime est le nom donné à la période de l’histoire de France allant de la Renaissance à la Révolution française, qui marque la fin du royaume de France et l’avènement de la République française (XVIe – XVIIIe siècle). 61. Comme le clergé, la noblesse dispose de privilèges : elle n’est pas assujettie à la taille, l’impôt royal. Elle a le droit de porter l’épée et de pratiquer la chasse. Elle subsiste par la rentre que paient les laboureurs. Elle est jugée par des tribunaux particuliers. 62. Louis A. de CARACCIOLI, Voyage de la raison en Europe, Compiègne, L. Bertrand, 1772, p.256. 63. Le Moniteur universel, n°39, 1er décade de Brumaire, l’an II (30 Octobre 1793). 64. Ecrivain français, surnommé le « Connétable des lettres », Barbey d’Aurevilly a contribué à animer la vie littéraire française de la seconde moitié du XIXe siècle. Il a été à la fois romancier, poète, critique littéraire, journaliste et polémiste. 65. Ellen Moers appelle cette mode « social dandyism » ; Françoise Coblence, «le dandysme pragmatique» (1988: 103). Il s’agit, en Angleterre comme en France, des « fashionables ». 66. Extrait d’un article de Gustave Claudin paru dans le Petit Moniteur du soir, cité par le Journal des modes d’hommes, Mars 1869. 67. Interview lu sur le site internet « Le point ». http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2008-11-13/pastoureau-le-noir-tout-un-symbole/989/0/291361 68. La maison Comme des Garçons est qualifié de New Wave of Beauty par la presse de l’époque, le style de la créatrice remet en cause la normalité et les concepts établis dont il ne tire aucun sens. Vêtements inachevés, silhouettes déstructurées et volumes disproportionnés... Rei Kawakubo ne s’interdit rien. En 1988, elle crée une revue biannuelle, Sixth Sense, où sont présentées ses œuvres comme celles d’autres créateurs, ainsi que de la photographie, du design, des arts plastiques et des textes littéraires. En 1994, la volonté de non-conformisme de la marque se retrouve dans la série de parfums, pour la plupart unisexes, lancée par Comme des Garçons. Les stylistes qui travaillent aux côtés de Rei Kawakubo occupent une place important au sein de la maison. Sous l’aile de la créatrice, Junya Watanabe, Tao Kurihara et Fumito Ganryu, ont créé leur propre ligne sous le label Comme des Garçons, respectivement en 1992, 2005 et 2007. En 2003, la collection Comme des Garçons Play voit le jour. Pulls, cardigans, polos, t-shirts… la ligne de diffusion repense les classiques du dressing féminin et masculin sur lesquels elle appose le logo en forme de coeur dessiné par Filip Pagowski. En 2004, Comme des Garçons lance le premier Guerrilla Shop à Berlin, un concept de boutiques éphémères au décor minimaliste, ouvertes pour un an. D’autres verront le jour à Beyrouth, Athènes, Varsovie, Singapour et Los Angeles. En 2006, la maison se lance dans la joaillerie avec la création de Comme des Garçons Pearl. Après avoir collaboré avec Moncler, Lacoste, Nike ou encore Levi’s, Rei Kawakubo dessine, à l’automne 2008, une collection exclusive pour H&M. En 2009, la marque japonaise revisite le modèle Chuck Taylor All Star de Converse. 69. Roland BARTHES, Le Bleu est à la mode cette année, Paris, IFM-Regard, 2001, p.98. 70. E. Jouy, et A. Jay, Les Hermites en liberté, Paris, Chez Ladvocat, 1824, t. I, p.122. 71. Pour l’anecdote, lorsque le magazine Elle charge Jean-Marie Périer de rassembler sur une même cliché les créateurs majeurs de la fin du XXe siècle, Martin est représenté par une chaise vide au premier rang, auprès de Sonia Rykiel, la doyenne. 72. Mannequin de couture. 73. La mode de 100 ans a durée de 1850 à 1960. Elle correspond à la naissance de la Haute Couture pour les femmes avec Charles Frédéric Worth. En 1857, il fonde sa propre maison rue de la Paix à Paris ; il est le premier à franchir de pas. On y trouve des «robes et manteaux confectionnés, soieries, haute nouveauté» avec originalité. «Des modèles inédits préparés à l’avance et changés fréquemment, sont présentés dans des salons luxueux aux clientes puis exécutés après

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choix à leurs mesures», ces «modèles portés par de jeunes femmes, les futurs mannequins, dénommés à l’époque : sosies. 74. Le Corbusier, L’art décoratif aujourd’hui, Flammarion, Paris, 2006, p. 193. 75. Le principe de la collection capsule Replica est de recréer des tenues et des accessoires cultes, inscrits dans des cultures et des époques particulières. 76. On lui connait aussi un travail de simplicité et d’élégance chez Hermès (entre 2000 et 2004) où il fera naître des collections pour la femme. Ses réalisations simples et classiques étaient alors disponibles dans les matières les plus belles. Les deux maisons, Maison Martin Margiela et Hermès se sont reconnues dans leur passion commune pour l’excellence du travail artisanal. Il n’y a donc rien de surprenant dans cette collaboration. 77. Avant tout l’étiquette sert à donner le numéro de la collection à laquelle appartient le vêtement. La première ligne de la maison c’est la 1. De 1 à 4 : collections femmes ; de 10 à 14 : collections hommes ; 0 et 010 : collections artisanales et enfin 11 et 12 : accessoires et chaussures pour hommes et femmes. 78. Kenya HARA, Designing design, Baden, Lars Müller Publishers, 2007, p. 239. 79. Depuis quelques années, Muji a une approche plus picturale dans ses campagnes publicitaires, portée par de belles photographies de Yoshihiko Ueda et des slogans minimaux et poétiques : « Horizon » en 2003, « Soyons tendres » en 2008, « Like Water » en 2009. L’image photographique y est aussi domestiquée que possible, organisée en compositions géométriques droite/gauche ou haut/bas, dans des formats panoramiques libérant parfois, un coin de marge blanche. L’idée forte est celle de l’harmonie paisible, dans la contemplation d’un paysage, dans des activités domestiques, et même sous la pluie qui est, pour le shintoïsme (le père de Kenya Hara était shintoïste), un élément nourricier. 80. Typographie utilisé pour l’alphabet latin et son équivalent pour les caractères japonais. 81. Flirtant avec le succès dès sa première collection, il décide de décoller pour Paris en 1986, et d’y importer quelquesuns de ses modèles. Là, il attire l’attention d’un agent, mais surtout parvient à s’accrocher aux rouages de la mode parisienne. 82. Jean-Jacques PICART et Frédéric MARTIN-BERNARD, des vies et des modes, KD Press, 2012, p.186. 83. Ibid., p.188. 84. En décembre 2004, la griffe Helmut Lang perd de son panache. Prada Group annonce qu’il n’y aura plus de défilés, et les boutiques que l’autrichien avait mis si longtemps à acquérir ferment les unes après les autres. Bien que les créations aient repris vie petit à petit, la griffe manque de ce qui faisait son charme à sa création, cet « autrement » instauré par son créateur. En effet, même si l’administration a signifié à Helmut Lang qu’il aurait sa place dans les ateliers de création, celui-ci n’est jamais réapparu. 85. Jil Sander ne veut pas se résoudre à réduire le coût de ses créations en utilisant des matières de moins bonne qualité. Par manque de moyens économiques, le groupe Prada rachète sa marque. 86. Les couleurs s’associent naturellement, comme un bouquet de fleurs ramassé au gré d’une promenade : le rose d’une pivoine avec le blanc d’une tulipe, le bleu des iris avec l’orange épicé des orchidées sauvages, le jaune mimosa et le bleu myosotis... Une inspiration années 50 donne aux silhouettes cette touche de sophistication impeccable et de féminité fragile, avec des robes et manteaux aux coupes corolles oversized. Sous les manteaux protecteurs se dévoilent des robes en maille de laine ultra fine effet seconde peau, douces et sensuelles comme de la lingerie, dans un patchwork de textures différentes. En version soir, elles ressemblent à des déshabillés de soie brillante dans des teintes de beige ou gris perle, que l’on aurait enfilés au saut du lit. Les chaussures en cuir métallique aux reflets holographiques et détails fluo, clashent avec la douceur et l’inspiration naturelle des vêtements, et apportent à la collection une touche rétro-futuriste électrisante. Puis à la douceur pastel des premiers looks, succède des robes d’un noir intense comme le pistil d’une anémone, qui se parent ça et là, dans les replis d’un drapé, de matière luisante comme de la laque. Le défilé se termine par des manteaux rouges éclatants. 87. Jil Sander reprend sa propre maison après une collaboration avec Uniqlo, qui débute en 2009. Il a le statut de consultante. Avec cette ligne baptisée +J, la créatrice allemande était parvenu à apporter sa touche de chic épuré à la griffe japonaise spécialisée dans les basiques accessibles. L’aventure avec la marque japonaise a pris fin avec une dernière collection capsule annoncée pour l’Automne-Hiver 2012.

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CONCLUSION

Depuis le fond des âges, le luxe, parce que au service de la grandeur céleste, royale et aristocratique, est inséparable de l’excès des signes visibles, d’une théâtralité ostentatoire. Mais tout a changé avec les temps démocratiques. Dans les sociétés où l’autre est reconnu comme un semblable, la tendance est de réduire les marques criantes de l’altérité humaine et de la puissance. A partir du début du XXe siècle dans le monde de l’architecture et des objets, sous l’impulsion de nombre de courants d’avant-garde artistique, partout l’esprit moderniste s’est insurgé contre le kitsch, la tradition ornementale, l’esthétique superflue au bénéfice du rigorisme abstrait, du dépouillement figuratif, du style angulaire et géométrique. L’esthétique moderniste de l’habitat et des objets a matérialisé les recherches plastiques des artistes, de nouvelles représentations de l’espace et du temps, un nouveau rapport au monde et aux autres, à l’hygiène et à la lumière, au confort et à l’intimité. Comme on a pu le vérifier dans la seconde partie de ce mémoire, la simplicité est aujourd’hui considérée comme une valeur de permanence et on a pu remarquer qu’elle est récurrente au sein des produits de luxe qui en tirent partie pour durer et perdurer à travers le temps. En ce sens, la simplicité s’érige en qualité du luxe. Par la suite, dans la troisième partie du développement, on a compris que les plus grands changements vestimentaires entre le faste et la simplicité se sont opérés au moment de la révolution française de 1789. Cela fait donc seulement un peu plus de 2 siècles que ce renversement de la société et des conditions de vie a bouleversé le code vestimentaire masculin vers une simplicité qui deviendra une valeur d’intemporalité. Est-il possible d’envisager, dans environ 300 ans, qu’une nouvelle révolution perturbe l’état actuel et redéfinisse la simplicité d’aujourd’hui au profit de nou-

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veaux codes vestimentaires, adapté à de nouveaux modes de vie, à de nouvelles technologies, à des nouvelles ressources ou à la rareté de certaines? Aujourd’hui, dans les différents niveaux de gamme, la simplicité n’est pas une valeur unitaire. Elle est souvent associée à d’autres valeurs telles le fonctionnalisme - comme on a pu le remarquer avec l’explosion de l’industrialisation des années 1920 – mais aussi l’héritage et les savoir-faire chez des marques intemporelles comme Chanel, Hermès et Louis Vuitton. Ils conservent tous la logique du Bauhaus : travailler en accord avec l’artisanat, mise en exergue des savoir-faire, et l’industrie qui a prouvé sa rapidité d’exécution. Aussi la simplicité ne pourrait-elle pas devenir une valeur « seule » dans l’avenir ? Ne serait-ce pas là une nouvelle révolution? Les nouvelles technologies laissent penser à une vision complexe d’intelligence mais épurée et simple d’apparence. Lorsqu’on regarde un produit Apple, il est réfléchi mais extérieurement, c’est une évidence. Rien ne dépasse de la surface, il est lisse et rien ne vient perturber son aspect. Les designers et ingénieurs imaginent des produits toujours plus fins, renfermant toujours plus d’informations et de technologie. L’esprit futuriste que l’on peut imaginer en l’an 2300 au travers de films de science-fiction par exemple - montre le plus souvent des civilisations où les tenues sont des uniformes moulants blanc, des personnalités toujours plus intelligentes mais dans le plus simple appareil, couvrant le corps sans même le cacher. Le moulant de blanc. Dans une vision utopique et en suivant les récents élans de prises de conscience écologique, le monde pourrait devenir sain, propre et respecté. Ainsi, on serait face à des paysages épurés et libres. Comme dit John Pawson : « Un mode de vie minimal a toujours procuré un sentiment de libération la possibilité de se trouver en contact avec l’essence de l’existence plutôt que distrait par l’insignifiant. » Difficile d’affirmer connaître la vérité aujourd’hui. Comme, à l’aube de la révolution française, qui aurait pu prédire un tel changement, une telle influence sur les années et siècle à venir. La notion de simplicité peut être amenée à évoluer, avec nous, par le futur, car malgré que sa défintion soit invariable, sa forme peut varier.

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Enfin, comme l’écrit le photographe Garry Winogrand : « L’extraordinaire nous attire un instant, la simplicité nous retient plus longtemps, parce que c’est en elle seule que réside l’essentiel. ».

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REMERCIEMENTS

Par ordre alphabétique, un grand merci à l’Anat del bocal (Julie Corsin, Cécile Dia, Lysandre Graebling, Jordane Lereculeur, Marion Morandi, Charlotte Rodière, Chrystel Samson, Céline Thibault et Alix Valigny) pour votre soutient durant la rédaction de ce mémoire, à Sophie Coiffier pour sa présence, sa patience et ses précieux conseils, merci également à Françoise Hugont pour ses choix judicieux de lecture (et pour les délais de rendu des livres qui ont souvent été dépassés), à Benoît Louzaouen qui aura lu ce mémoire au moins autant de fois que moi-même, je le remercie pour sa patience, son aide et le temps qu’il a passé à m’apporter ses nombreux conseils, à sa soeur Elodie Louzaouen qui m’a apporté son avis, merci aussi et bien sûr à mes parents (Laurent et Nelly Lusven) sans qui je ne serais pas en train d’écrire ces remerciements et qui m’ont toujours soutenue et aidée dans mes choix, à JeanFrançois Pouaher toujours prêt à m’aider et m’épauler dans mes recherches, un immense merci à ma directrice de mémoire Anne-Cécile Sonntag, pour nos rendez-vous mémoire qui m’ont tous beaucoup appris et énormément apporté ainsi que sa patience, ses conseils et son suivit régulier, enfin merci à Chantal Tournay, la directrice de l’ENSCI département design textile, qui nous permet d’aller toujours plus loin dans notre rélfexion et qui nous encourage dans nos productions. Mille mercis à chacun d’entre vous.

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BIBLIOGRAPHIE

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