BIOGRAPHIE DE GABRIEL DUSSURGET
Il connaît la fin de l’âge d’or des grands salons parisiens. Lors d’un séjour à
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Londres, le jeune homme avec qui il se lie à la sortie d’un opéra, est le futur Benjamin Britten. C’est un jeune homme de son âge, Marcel Massé, rencontré au music-hall à un tour de chant de Damia, qui le propulse dans le monde du théâtre, du cabaret, et surtout dans les « lieux de plaisir », nombreux à cette époque, particulièrement ceux où se retrouvent les homosexuels. Il faut dire que Gabriel
La vie est faite de rencontres, dit-on. Cet adage se vérifie particulièrement avec Gabriel
l’est, homosexuel, radicalement, ouvertement, sans ostentation non plus, tran-
Dussurget. Mais, encore faut-il savoir convaincre et s’attacher ses amitiés. Ces qualités rela-
quillement ; ce qui ne manquait pas de courage pour son époque ; et cette
tionnelles et de cœur, Gabriel les réunissait au plus haut point. Il naît en Algérie, le 31
particularité n’est pas pour rien dans l’accomplissement de son destin. Le
décembre 1904 à Aïn M’lila, village du Constantinois, dans une famille aisée, où rien ne le
milieu homosexuel, occulté en ce début de siècle, mis au ban de la société,
prédestinait à devenir l’un des piliers du monde artistique du siècle. Son père, ingénieur
cultivait sa différence avec entrain : la liberté, la curiosité, l’audace coloraient
des ponts et chaussées, hydrologue, est souvent absent, en visite sur des chantiers. Dans
son drapeau. La sensibilité artistique avait toutes les chances de s’y déve-
la grande maisonnée de sa petite enfance, où se pratique l’éducation bourgeoise rigoriste
lopper. Gabriel possédait cette sensibilité, et, malgré sa grande timidité, il
de l’époque, il établit avec sa sœur Marthe, de huit ans son aînée, une complicité faite de
suivait, écoutait et était aussitôt adopté.
rires et de joies partagées, qui ne se démentira jamais tout au long de leur existence. Très
Le jeune Gabriel mord à pleines dents dans une vie déjà hors du
musicienne, elle lui apprend le piano et le solfège. Puis, avant dix ans, il entre avec sa sœur
commun. Ce sont les années vingt, les années d’apprentissage. Il rencontre
en internat au lycée de Constantine. Son correspondant est le concierge de l’opéra de la
en 1928 l’ami avec lequel il bâtira sa vie, Henri Lambert, son aîné de cinq
ville, dirigé par Salvatore Spina, chef d’orchestre, dont il devient le familier. Alors, le jeune
ans, décédé en 1959. Cette rencontre transforme ce jeune homme de 24
Gabriel assistait régulièrement à des représentations et baignait dans cette atmosphère
ans, brillant mais éparpillé, en homme conscient que l’art est toute sa vie.
musicale et lyrique... Dès 1918, la paix revenue, des tournées de spectacle reviennent en
Gabriel a toujours reconnu qu’Henri Lambert l’avait révélé à lui-même.
Algérie. Une troupe de la Comédie Française vient jouer à Timgad et s’installe dans la maison paternelle. Gabriel, adolescent, se
Dans toutes les interviews qu’il donnera plus tard, il n’oubliera jamais de
lie avec le jeune sociétaire Maurice Escande, de douze ans son aîné et futur administrateur du Théâtre Français.
dire « Henri Lambert et moi ». Car Gabriel n’était pas homme à se mettre
Atteint de paludisme, les médecins conseillent à ses parents de l’envoyer en métropole. Il arrivera donc à Paris peu après la fin de la guerre. Sa sœur, déjà mariée, mais toujours chérie, aimante et fantasque, sa confidente, l’accueille chez elle. Aussitôt à Paris,
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en avant et à oublier le mérite de l’autre. C’était un homme juste et reconnaissant, c’était aussi un homme fidèle en amour et en amitié.
le hasard de ses rencontres commence à tramer un destin exceptionnel. Par une grâce qui lui est propre dans ses innombrables
Pendant dix ans, ce couple uni, dont l’amour est fait de respect et de
rencontres, il se lie d’instinct aux jeunes gens les plus singuliers et talentueux. Il retrouve Maurice Escande, qui le met en contact
passion, se nourrit de tous les opéras possibles, de Milan à Salzbourg, et de
avec le monde du théâtre. Il prépare son baccalauréat sur les bancs d’une boîte à bachot, où il noue une amitié solide avec Doda
toutes les amitiés de musiciens, compositeurs et comédiens. La fortune
Conrad, fils de la cantatrice Maria Freund, interprète, entre autres, du « Pierrot lunaire » de Schoenberg, ainsi qu’avec Georges
d’Henri le permettait, et ils avaient décidé de la consacrer à la beauté. Leur
Hugnet, jeune poète très lié à Cocteau et Supervielle. Ainsi, avant 20 ans, il se mêle au tout Paris musical de l’époque, fréquente
vie fut une fête dans le palais vénitien qu’ils louèrent de 1928 à 1938 et dans
régulièrement la Comédie Française, le salon de Mme Freund et l’entourage de Jean Cocteau.
le vaste appartement du boulevard Magenta à Paris, où, avec des amis, ils
Après une incursion professionnelle passagère dans la banque, il sort beaucoup pendant les années vingt et rencontre écri-
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improvisaient des spectacles, donnaient des concerts.
vains, peintres et musiciens. Il fréquente Max Jacob, Marcel Jouhandeau, Henri Sauguet, Francis Poulenc. Il va chez la princesse de
Avec Henri Sauget et Francis Poulenc, ils organisent des parodies
Polignac, chez Marie-Laure de Noailles, chez le comte de Beaumont. Il continuera après la guerre avec le salon de Mme Wesweiller.
d’opéra et de ballet. Gabriel se produit aussi comme danseur. L’expérience
1. De gauche à droite : Gabriel Dussurget, Roger Bigonnet et Marc Pincherle. 2. Henri Lambert et Irène Aïtoff. 3. À gauche, Antoní Clavé, Gabriel Dussurget et Jean-Pierre Cassel.
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