Dussurget 2010 Flyer

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Cette création de 1971 était-elle unique en son genre ? Cette création n’avait certes pas été unique depuis l’origine du Festival dirigé par Gabriel ! Je n’avais pas manqué d’être attentif à ce qui s’était passé les années précédentes. Déjà, la création de la turangalila avait laissé des traces. Cela avait donné lieu à des réactions et des discussions à Aix, je le sais, entre Auric et Poulenc. L’un était pour et l’autre contre. Chaque fois que l’on rencontrait ces deux musiciens, c’était un événement ! En allant à Aix, on ne pouvait ignorer ce qui se passait dans la musique. La critique internationale y venait et y séjournait. Des personnalités comme Britten, par exemple. Il était encore jeune. Je me souviens de ses récitals avec Peter Pears. Et puis, il y avait le cadre de la ville ! On avait l’impression que les organisateurs connaissaient tous les lieux qui pouvaient nous plaire, et qui étaient favorables à l’audition de la musique. Je n’ai jamais retrouvé cela, avec une telle intensité ! On retrouvait ainsi au Festival, au décours des années, tout un ensemble de créations en concert comme dans le domaine lyrique. Ainsi, vous pensez que le Festival du temps de Gabriel a pu apporter à la musique du XXe siècle. Oui, tout à fait. Il a permis de faire connaître de jeunes compositeurs. Par ses goûts, ce serait quelqu’un que je situerais sous le signe de musiciens comme Poulenc et dans la ligne du Groupe des Six, mais sans attache particulière ni sectaire. Il était très attentif à l’égard de la jeune musique. Il a ainsi fait donner Boulez. Gabriel avait été très impressionné par lui. Il m’avait dit de lui, je me souviens, qu’il était « d’une intelligence intimidante », ce qui est vrai au fond. Boulez écrivait des articles et des critiques intéressants et intelligents sur les musiciens. À l’époque, l’avant-garde était d’une grande sévérité à l’égard de ses prédécesseurs. J’étais attentif à cette avant-garde sérielle, même si j’en étais loin. Cela m’a amené à me remettre en question. Il y a des pièces de Schoenberg que j’adore, comme Farben, qui signifie couleurs. Ce n’est pas un de mes dieux, mais je pense que l’on aurait dû mieux connaître cette école en France. Et Gabriel, quels que fussent ses goûts personnels, n’était pas passé à côté, puisqu’il avait fait donner une des

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RENCONTRE AVEC

DOMINIQUE DELOUCHE Dominique Delouche, cinéaste et metteur en scène, pourvu d’une excellente formation musicale, fut l’assistant de Fellini et, parallèlement à sa carrière cinématographique, mit en scène opéra et théâtre. En 1971, Gabriel Dussurget lui confie la mise en scène de Béatris de Planissolas de Jacques Charpentier. Il lui confie ensuite, après son départ de la direction du Festival, la réalisation de deux spectacles, avec les décors et les costumes : Esther de Racine en 1972, et Dido and Æneas de Purcell, en 1974, à l’Opéra royal du château de Versailles. De gauche à droite, Mstislav Rostropovitch, Henri Dutilleux et Serge Baudo.

La mise en scène d’une œuvre nouvelle, dont l’auteur est un contemporain, est-elle très différente de celle d’une œuvre du répertoire ancien ? Je vais vous décevoir ! Il n’y a pour moi aucune différence. Je pense que les œuvres du répertoire doivent être montées comme des créations. On ne peut se laisser influencer par les mises en scènes de nos prédécesseurs. Chaque fois doit être une recréation, un nouveau départ à partir de l’empreinte que l’œuvre laisse en soi. On doit tout oublier, et partir de sa propre impression et de sa propre sensibilité.

premières auditions du Marteau sans maître. Rosbaud, lui, était très intéressé par ces musiciens. D’autres que Gabriel auraient peut-être écarté cette famille de pensée, mais il était sans esprit de chapelle. On voit d’ailleurs, au travers des programmes, que le Festival a voulu tout de suite entraîner le public vers autre chose que des œuvres consacrées. La personnalité de Gabriel vous paraissait importante ? Il avait une aisance merveilleuse à se comporter dans tous les milieux. Mon épouse, Geneviève Joy, avait beaucoup de sympathie et d’affection pour lui. Avec Jacqueline Robin, qui avait aussi beaucoup d’estime pour Gabriel, elles donnaient des concerts. Nous nous y retrouvions en famille, ayant eu les mêmes professeurs. Les artistes lyriques aimaient bien se faire accompagner par elle, comme Élisabeth Schwarzkopf ou Michel Sénéchal. Il y avait des moments très amusants pendant le Festival, et Gabriel n’était pas le dernier à y prendre sa part. Je me souviens de moments particulièrement drôles avec le pianiste Gorget-Chemin. Il y avait aussi Poulenc, qui assistait aux répétitions et donnait des conseils aux jeunes gens. Je me souviens ainsi de lui, disant à des jeunes pianistes jouant Fauré : « Mais, non ! Ce n’est pas comme cela ! Clapotez ! Clapotez ! » en accompagnant cela d’un geste de la main. C’était une bonne humeur et une joie de vivre, que la personne de Gabriel représentait tellement bien. Le chic ! INTERVIEW RÉALISÉ PAR

Comment avez-vous travaillé avec Jacques Charpentier ? Avait-il des idées précises sur la mise en scène ? Jacques Charpentier était présent, mais n’est pas intervenu. Je suppose que ce que j’ai fait lui convenait… Je pense d’ailleurs que c’est la règle, et, au demeurant, compte tenu de l’importance accordée aujourd’hui à la mise en scène, je ne pense pas que l’opinion du compositeur l’emporterait. Mais, il y a eu dans l’histoire de la musique des créations qui se sont moins bien passées. On dit qu’Olivier Messiaen n’était pas très satisfait de la manière dont son Saint-François d’Assise fut monté à l’Opéra de Paris en 1983. Je me souviens aussi de Ligeti, criant du balcon lors de la générale du Grand Macabre : « Ce n’est pas ça ! Ce n’est pas ça ! » Il est vrai aussi qu’à l’inverse les nécessités de la scénographie influent sur l’œuvre : Debussy, par exemple, avait dû écrire des interludes peu avant la première

KATHLEEN FONMARTY-DUSSURGET

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de Pelléas et Mélisande pour donner le temps de changer les décors. La leçon de cela, soyons modestes, c’est que c’est la scène, l’action qui s’impose au musicien comme elle s’impose à tous ceux qui y contribuent. Quels étaient les rapports de Gabriel Dussurget avec la création musicale et lyrique contemporaine ? Gabriel avait son goût pour le Grand Siècle et le classicisme, et son choix pour Aix-en-Provence et Mozart n’était pas fortuit. Il n’en demeurait pas moins qu’il connaissait bien la musique de son temps, sur laquelle il avait d’ailleurs des idées tranchées. Il ne supportait pas la musique de Stockhausen, mais il appréciait celle de Sauguet et de Poulenc, lesquels étaient de ses amis. Il a ainsi créé les caprices de Marianne du premier et donné la voix humaine du second peu après sa création à Favart. Il a aussi donné Darius Milhaud et Boulez. Je sais qu’il appréciait beaucoup Varese, Jolivet, Dutilleux et Messiaen, mais, s’il a donné de leurs œuvres, ils n’ont pas écrit, eux, pour l’opéra. Dido and Æneas de Purcell, 1974.


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