Drash Mag - Mars 2013

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free

s k at e boa r d i n g & u r b a n m aga z i n e dav e d e cat 째 e r o l 4 3 째 f l ag e l 째 l e m i k e 째 v e e n c e h a n ao








[dra∫]

n.f. Du flamand : draschen, pleuvoir à verse

Un mag qui a de la gueule... C’est un peu ça, notre fierté. Et après l’accueil qu’a reçu notre numéro 00, on dirait que l’on est sur la bonne voie. Pour ce numéro 01, on continue sur notre lancée, avec Dave Decat et Mike, des mecs qui ont une gueule, Veence Hanao, un électron libre qui nous arrose de ses coups de gueule, les Fla Gel, des gars qui font un truc un peu casse-gueule et un photographe fasciné par les sales gueules, Erol 43.

La gueule de bois, c'est pour la prochaine fois. Brussels is not dead!!!

La Drash Team

Cover by

Directeur de

Design :

Thomas Marchal

la publication et publicité :

Stoëmp

"Dave Decat et son pote

Fegy Feuggelen

www.stoempstudio.com

manneken kiss "

feg@drashmag.be Photographes :

www.thomasmarchal.com Rédactrice en chef :

Thomas Marchal

Selena Scalzo

Benjamin Speyer

Le médiateur : Thibault Lenaerts


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No comment

Dave Decat

Erol 43

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musique

art

lĂŠgende

skateboard

Veence Hanao

art

Fla Gel

photo

Le Mike

www.drashmag.be www.facebook.com/drashmag

ĂŠditeur responsable : B.V.A.F. A.S.B.L. 79, avenue du pont de Luttre - 1190 Bruxelles


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Location : NumĂŠro 13 boardshop, Merchtem

Tricks : Mute to fakie

Skater : Marijn Verbruggen

Photographer : Fegy

no comment

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Location : Monts des Arts, Bruxelles

Tricks : Backside 180 Nosegrind

Skater : Thibault Lenaerts

Photographer : Thomas Marchal



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Location : Wilrijk

Tricks : Drop in

Skater : Max Lemmens

Photographer : Thomas Marchal

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Photographer : Benjamin Speyers - Skater : Isma KĂŠpassa - Tricks : tree wall ride - Location : Forest de Soignes, Bruxelles


Photographer : Thomas Marchal - Snowboarder : Fegy - Tricks : tree fifty fifty back out - Location : Forest de Soignes, Bruxelles

Tricks : Front board on piano

Skater : Bram

Photographe : Thomas Marchal


Photographer : Thomas Marchal - Skateur : Damien Teixidor - Tricks : Full pipe hunting - Location : Anvers

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Photographer : Thomas Marchal - Skateur : Nikos Malaka - Tricks : Full pipe hunting : Location : Anvers

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Photographer : Thomas Marchal - Malines skatepark-malinas machinas - the pirate ĂŠdition

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Location : Ursulines, Bruxelles

Tricks : Crail slide

Skater : Philippe Scaillet

Photographer : Thomas Marchal

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Location : Skatepark Jodoigne, Wallifornie

Tricks : Front side pivot crail

Skater : Romain Scaillet

Photographer : Thomas Marchal



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Dave Decat artiste www.facebook.com/dave.decat

Ses gangsters tatoués ont de la gueule, tout comme lui. Dave Decat, c’est un oiseau de nuit qui plonge à travers ses dessins dans l’univers des voyous parisiens du siècle dernier.

Dave Decat - Interview

Par Selena Scalzo

Sur des affiches, des t-shirts ou encore des covers d’albums, ses illustrations ont fait le tour du monde, ou presque. On a débusqué l’animal dans sa tanière ixelloise, et on a été plutôt bien reçus.


Tu as eu l’occasion dans ta vie de toucher à plusieurs choses, comme la musique ou le tatouage, pourquoi avoir choisi le dessin? Parce que je sais dessiner. Et la musique, à part un peu de batterie où je me débrouille, je n’y comprends rien. Il y a un truc que je sais bien faire, et je le fais à fond. Je dessine depuis que j’ai 4 ans.

Tu te voyais faire autre chose dans la vie? Quand j’étais petit, non, je voulais être dessinateur. Le dessin c’est parfait, c’est juste un peu un travail de solitaire, et ça, ça m’emmerde. Parfois j’aimerais travailler en équipe, et en même temps, je ne sais pas travailler en équipe. Je suis obligé de faire ça car c’est le seul truc que je sais faire convenablement.

Comment tu fais pour vivre de ta passion. C’est quand même pas le métier le plus facile, non? En général je ne dessine que pour en vivre. Je ne dessine jamais chez moi, pour le plaisir. Ou alors si, je sais faire des millions de petits croquis, mais jamais les finir. Il faut que j’aie une date de remise, et s’il y a des contraintes, c’est encore mieux. Tout seul, je ne finis jamais un dessin. Il me faut un environnement qui me pousse à travailler.

‘‘ En général je ne dessine que pour en vivre. Je ne dessine jamais chez moi, pour le plaisir., ... ’’ Tu as bossé entre autres pour Carhartt et Nike, comment ça c’est passé? Carhartt, par exemple, je leur ai demandé ce que je devais faire et ils m’ont donné carte blanche. J’ai fait des dessins que je rêvais de faire, et que je n’avais jamais eu le courage de commencer ni de finir. Nike contrôle plus que Carhartt qui m’a donné beaucoup de liberté, tout en m’empêchant de faire deux-trois trucs genre pas de couteau dans la main, pas de cigarette en bouche sur les dessins, parce qu’il n’y a pas moyen avec les Américains! Par contre tu peux toujours mettre un mec avec un flingue. Mais pour Nike, j’avais fait un dessin d’un vieux surfeur avec un cure-dent dans la bouche : ils ne l’ont pas accepté, car on aurait pu croire que c’était une cigarette. Avec Nike, c’est beaucoup plus cadré, ça passe par 3700 personnes avant d’être accepté. Ils ont sorti mes t-shirts, mais ils sont incapables de me dire où on les trouve. Il y a tellement de monde, que l’info est perdue dans les méandres de l’industrie. Chez Carhartt, c’est un gars qui décide tout seul, même si ça passe aussi par un groupe de personnes aux States pour accord, c’est beaucoup plus intime.

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Comment as-tu commencé ces collaborations avec de grandes marques? A la base, c’est par hasard. Un pote à moi, Pablo Sozy One était à l’époque directeur artistique du Voxer, un petit magazine gratuit. Un jour où il a eu quatre à six pages de libre dans son magazine, il m’a appelé pour me dire qu’il voulait y mettre mes dessins, pour me faire connaître. Je n’avais rien de fini. Il est passé à la maison et a embarqué des croquis inachevés, notamment un voyou avec un couteau. Je me souviens très bien, je me suis dit, ça ne sert à rien, ça ne va mener nulle part. On a mis ces dessins en page, on a inventé des noms de titres, on a inventé des tailles pour faire croire qu’ils étaient plus grands qu’en réalité. Le magazine a été envoyé chez Carhartt, car ils y mettaient de la pub. Il parait que quand ils ont vu mes dessins, ils ont dit “ Hop, c’est lui! ”. Et ils m’ont appelé. J’ai chié dans mon froc de peur et puis j’ai pris mon courage à deux mains, je suis allé là-bas, sans book, avec deuxtrois trucs que j’avais faits et des vieux magazines du début du siècle qui m’inspirent. Je suis arrivé avec mon petit univers et ils m’ont dit “ Vas-y, lance-toi ”. Chaque fois que je faisais des dessins, ils acceptaient. Quand j’ai commencé, je n’avais même pas internet, je faisais mes dessins et j’allais chez un ami leur envoyer. Ils ont accepté mes dessins les uns après les autres. J’ai été tiré à deux millions et demi d’exemplaires dans le monde, et c’est ça qui m’a fait connaître. Sauf aux States, car Carhartt là-bas est resté une marque d’ouvrier, de vêtements de travail. Nike, c’était l’année passée, ils m’ont découvert via les t-shirts que j’ai fait pour Sixpack. Donc quand les gars te paient pas bien et qu’ils te disent “ C’est pour ta visibilité ”, ça marche. Même si ça te fait chier, car s’ils t’ont contacté, c’est que quelque part, tu es visible. Mais cela augmente tes chances d’être vu.

Tu as également fait des expos...

Dave Decat- interview

La dernière était en Allemagne. Des gars m’ont contacté via Myspace, à l’époque. Ils sont venus ici, ils ont aussi vu Pablo et ont organisé des expos pour nous à Hambourg. Les deux premières ont très bien marché, mais comme ils étaient très enthousiastes, ils m’ont fait venir trois années de suite. Il y a un moment, même à Hambourg qui est une ville où il y a du pognon et des gens qui peuvent te collectionner, ils ne vont pas t’acheter un truc tous les ans. Donc là, à la dernière, on a pas trop vendu. Mais les expos, c’est un truc un peu artificiel. Moi j’aime travailler pour les magazines, retravailler mes dessins à l’ordinateur, je trouve que les couleurs que l’on peut ajouter par ordinateur sont toujours plus puissantes que ce que je pourrais faire à la main. Le but quand je dessine, c’est que cela soit imprimé, que le dessin soit vu le plus de fois possible, qu’il soit diffusé. Quand on me demande de faire une expo c’est simple, je viens avec ce que j’ai fait pour les magazines. Quand on me demande de faire une expo tout court, je me retrouve un peu handicapé. Je viens avec des prints, et les gens ont toujours un peu du mal avec ça alors que

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ça les fait pas chier de payer des milliers d’euros pour une photo. C’est pourtant le même principe : je fais des tirages à trois exemplaires, que je n’imprime plus après. C’est quasi des pièces uniques. Je ne fais pas de sérigraphie, c’est à jet d’encre sur des grosses machines. C’est solide, avec le meilleur rendu possible.

Il y a des autres techniques que tu as envie d’essayer? La gravure. Mais j’ai pas de contrainte pour m’y mettre. Mon frère s’est inscrit à l’Académie d’Ixelles en gravure, et je pourrais l’accompagner. Mais le retour à l’école me fait paniquer.

Tu t’inspires notamment des gansters parisiens des années 50-60, ça vient d’où? La belle période, c’est plutôt l’entre-deux guerres. Un jour, dans la bibliothèque de mon père j’ai trouvé un bouquin qui s’appelait “ Malfrats & Co ” d’Auguste Le Breton, qui est la biographie de ce romancier à succès des années 60-70. Ce type était un ancien apache, un voyou de Paris. Il raconte cet univers et je suis tombé complètement fou amoureux. J’avais 25 ans. J’ai aussi découvert ce monde de tatoués français de la Légion et du bagne. C’est de l’art brut, c’est complètement punk, ce sont des rebelles absolus. C’est tout ce que le tatouage n’est plus maintenant. Ces gars-là, s’ils avaient eu des guitares électriques, ils auraient fait des groupes de dingues! Mais ils n’avaient que des accordéons... Gamin, quand je voyais un type tatoué, je devenais fou. Je passais ma vie chez Rocky place Saint-Josse, je restais devant cette vitrine à regarder ses trucs, je me tatouais tout le temps les bras avec des feutres. Je viens du hardcore, et mon univers a toujours été la rue. Tout ça tient la route.

‘‘ J’avais 25 ans. J’ai aussi découvert ce monde de tatoués français de la Légion et du bagne. C’est de l’art brut, c’est complètement punk, ce sont des rebelles absolus. ’’ Quels sont les artistes que tu respectes le plus aujourd’hui? Ceux qui sont morts. Je suis classique, j’aime les trucs à l’ancienne : Toulouse Lautrec, Alexandre Steinlen Caran d’Ache... des Français surtout. Je préfère encore les dessinateurs aux peintres, tous les gars qui illustraient les journaux du siècle passé : l’Assiette au Beurre, l’Illustration,... Ils étaient tous plus doués les uns que les autres, c’était toujours sur des sujets sociaux, sur la violence de l’état, les pauvres,... ça me passionne. C’est le nouveau réalisme en fait.

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Dave Decat - interview

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Si tu devais dessiner pour une cause, ce serait laquelle? On vit dans un monde où il y a tellement d’images sur tout... La photo est entrée en jeu depuis. Ces gars-là étaient là pour illustrer des choses qu’on ne pouvaient pas diffuser autrement. Personnellement, je ne suis pas très militant. Je ne pourrais jamais travailler pour le monde politique par exemple.

Le dessin parfait pour toi, c’est quoi? En tant qu’illustrateur, j’aime bien l’idée d’une image qui éveille des choses. C’est un peu la différence entre le cinéma et la photo : tu racontes une histoire en une photo, c’est instantané. C’est la même chose en illustration, l’émotion doit être instantanée. Je ne suis pas fait pour la BD par exemple J’ai envie que les gens soit dans l’ambiance que je pouvais éprouver en étant gamin face à certaines images que j’ai regardées peut-être 800.000 fois!! Il suffit qu’il y aie une bonne atmosphère dans l’image et tu es plongé dedans. J’ai remarqué, quand je fais des expos, que les allemands qui ne comprennent pas les tatouages en français sur mes personnages, se penchent dessus, se racontent des trucs entre eux. Ça a provoqué quelquechose, le but est atteint.

‘‘ Je m’en fous d’être connu ici. Nul n’est prophète dans son pays ... ’’ On voit pas mal de vieux objets chez toi. Tu es un collectionneur ou un nostalgique? Plutôt un amasseur, comme les vieux clochards qui savent pas jeter leurs vieux papiers. Chez moi, on récupère les choses. C’est un trait de famille, mon père m’a toujours dit que ça venait de mon oncle, un architecte de la ville de Bruxelles, un farfelu qui amassait toutes sortes de choses. Quand il est mort, on a tout gardé et ça s’est dispersé dans la famille. Mon frère a le virus, il a une baraque qui est remplie de la cave au grenier de brols. Mais de chouettes brols. J’aime bien.

Qu’est-ce que la Belgique fait de mieux selon toi? Je ne suis fier de rien mais je suis content d’être Belge.

Tu vis comment le fait d’avoir eu plus de succès à l’étranger qu’ici? Si ça peut me permettre de voyager, d’aller au Japon ou en Australie par exemple, tant mieux! Je m’en fous d’être connu ici. Nul n’est prophète dans son pays...

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pony-europe.com

facebook.com/PONYeurope


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Photographe erol43.blogspot.be

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" I'm 33, French, living in Brussels. I was born in Martinique, I lived in Senegal, France and Belgium. I grew up amidst thugs, artists, drug dealers, nerds ... I'm close to the Parisian graffiti' way of life. I traveled a lot, especially in cities, for partying. I met people, nice ones, angry ones, lost ones. I fell into different strange atmospheres. I had fun each times, but sometimes, the situation was borderline. I take pictures with all kind of cameras but primarly with cellphones, to remember myself, places, faces. "

Erol 43

Book Witness vs actor

Erol 43 - ReviewÂ

erol43.blogspot.be

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Erol 43 - ReviewÂ



Erol 43

Bio


Erol 43





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Veence Hanao - interview

Par Selena Scalzo

Photos : Thomas Marchal

Veence Hanao

www.veencehanao.be

Rappeur

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D’où est née l’envie de faire ce dernier album? C’est compliqué... Deux ans après “ Saint-Idesbald ” (l’album précédent, NDLR), quand on a arrêté de défendre le projet sur scène, j'ai commencé à sentir une pression que je ne connaissais pas. Fallait passer à la suite, fallait un deuxième, et fallait pas que ça prenne 10 ans. On me le répétait aussi dans mon entourage professionnel. J'avais certes envie de faire du son, mais j’avais pas les mots, ou du moins ils ne venaient pas de façon naturelle. Je sentais que j'avais besoin de vivre des choses, en dehors de la musique, avant d'y revenir et de raconter… En attendant, j’ai fait un projet-parenthèses qui s’appelle “ Les Voix du 8 : The Border EP ”, où j’ai fait de la prod, des compos, quelque chose qui ne m'impliquait pas direct dans mon intime. Et où j’ai invité d’autres rappeurs à rapper dessus. Une fois ce projet passé, il y a eu un début de déclic, une envie d’écrire, et quelques essais que j’ai pas gardés. Je sentais bien que je me cherchais, que je cherchais le registre dans lequel j’avais envie d’évoluer. Et puis il y a eu des déclics comme “ Kick, snare, bien ”, “ Chasse et pêche ”... J’ai sorti les clips dans l’ordre de création de l’album. C’est un truc super spontané, il y a pas eu un matin où je me suis dit “ Cette fois ça va le faire ”, c’est venu naturellement, puis ça s'est imposé à moi. Un processus qui explique que cela a pris un peu plus de temps.

'' C’est un truc super spontané, il y a pas eu un matin où je me suis dit “ Cette fois ça va le faire ”, c’est venu naturellement, ... '' Comment gères-tu le fait de partager un projet assez perso à un public de plus en plus large? Le fait que ma musique soit très personnelle, j’ai l’impression de ne pas avoir le choix, c’est ma manière de fonctionner. Je suis quelqu’un de relativement impudique, dans la vie en général j’ai pas de souci à parler de mes dossiers. J’arriverais pas à faire quelque chose de plus large, de plus gobal au niveau de mes compos, ça ne m’intéresse même pas. Par contre j’ai parfois l’impression que le fait de le partager m’échappe un peu, je ne m’en rends pas spécialement compte. J’ai encore une manière familiale de fonctionner, je joue pour le moment dans des salles où j’ai l’impression de connaitre la moitié des gens. Si du jour au lendemain ça devait exploser, je prendrais peut-être un petit peu dans la tronche les conséquences de cette impudeur. Mais a priori je ne calcule pas, si c’est sorti comme ça, c’est que ça devait sortir comme ça. Je ne me pose pas 10.000 questions au moment de la création, ni au moment de fixer tel ou tel morceau sur l’album. Après, il y a toujours les quelques phrases que je retire, que je triture, que je mets en reverse, pour ne pas blesser mes proches. Il y a des choses qui peuvent faire un peu mal à ma copine ou à ma mère, je peux me remettre en question. Il y a deux-trois phrases dans le disque qui sont bousillées, et c’est pour cette raison-là.

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Tu as parfois l’impression de devoir jouer un rôle? Ou tu es un peu schizo sur les bords? Comme tout le monde, ouai, un peu les deux. Je pense que tout le monde joue un rôle dans son quotidien, dans le fait d’aller bosser par exemple. On est jamais la même personne selon les cadres, selon les contextes, selon les gens avec lesquels on cause. On a tous forcément plusieurs identités, et c’est très sain. Dans ma musique je cultive un peu mon côté noir. Mais ce n’est pas un choix, quand je suis heureux, j’ai pas envie de l’étaler, je le vis à fond. Je suis beaucoup plus pudique par rapport à mon bonheur. Quand ça ne va pas, j’ai une urgence de l’exprimer, je dois le cracher, le vomir, le partager. Il y a un clivage entre ce que j’exprime en tant qu’artiste et ce que je vis au quotidien. Même si 99% de ce que je raconte dans ma musique est autobiographique.

'' On a tous forcément plusieurs identités, et c’est très sain. Dans ma musique je cultive un peu mon côté noir.

Où est-ce que tu te sens le plus à ta place?

Veence Hanao - interview

Quand j’écris, quand j’enregistre. Le moment où tu viens d’enregistrer et que tu écoutes : tu as un chantier en tête, c’est une espèce de bricolage, mais tout prend forme. Tu viens de donner naissance à quelque chose qui n’existait pas il y a quelques heures. Il y a une sensation un peu magique, le côté créateur est jouissif même s’il ne dure qu’un quart d’heure. Et puis il y a la scène que j’adore alors que je n’y suis pas super à l’aise. J’aime les situations où je me sens fragile, où je me mets en danger. J’aime les scènes qui sont a priori plus difficiles : en tant que Bruxellois, jouer à Paris, c’est sortir de sa zone de confort. Ce sont pas tes quinze potes qui seront là, au premier rang, tu dois aller gagner. Je suis un fou de basket et avec mon ancien musicien, Tanguy, quand on avait plusieurs dates d’affilée, on comparait ça à des séries de playoffs en NBA. Ça marchait un soir, puis le lendemain on se prenait une claque, alors on se motivait genre “ Demain, on gagne! ”, on était dans une démarche de compétition. A mon niveau, il n’y a rien d’acquis, il faut à chaque fois aller chercher les gens, capter l’attention, que ça reste physique. J’ai pas envie d’entrer dans un délire ultra-intellectuel où les gens restent assis les bras croisés, ça me saoule un peu. Il faut qu’il y ait un truc frontal, que ça les dérange.

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La plus belle reconnaissance que tu pourrais avoir, c’est quoi? La starification ne m’intéresse pas du tout. Etre reconnu dans la rue, me faire arrêter tous les dix mètres, ça m’angoisserait, je serais obligé de me barrer dans un bled où personne ne me connait. Et de toute façon, par rapport à la musique que je fais, cela ne m’arrivera pas. Ça va être un peu prétentieux et snob ce que je vais dire, mais je pense que je cours un peu après une reconnaissance plus limitée mais qualitative. J’ai envie de faire des choses dans un créneau où j’ai pas l’impression que c’est déjà fait. Je fais ça pour jouer, j’aime bien les challenges, les défis. Il y a aussi le côté rencontres, et adrenaline que j’ai grâce à la scène. C’est un peu ambigu de vouloir être reconnu dans un créneau plus restreint et qualitatif, tout en voulant vivre de sa musique, non? Je pense que l’on peut avoir le cul entre deux chaises, mais concilier ces deux chaises. Ma démarche, lorsque je publie et diffuse ma musique, n’altèrera jamais mes envies de composition et d’écriture. Enfin, je l’espère! A l’heure actuelle, c’est le cas : j’ai fait un disque comme je l’entendais. Maintenant, j’ai clairement envie d’aller en France, et que ça pète, mais pas à un niveau médiatique et mainstream. J’ai envie que ça pète dans un réseau plus alternatif, et que je puisse avoir de l’espace pour m’exprimer. C’est super important pour moi de ne pas me tirer une balle dans le pied, ni de me mettre dans un ghetto. Je fais la musique que je fais, point. A côté de ça, il y a les moyens mis en place pour intéresser le plus de gens possible à ça. C’est dans la communication que tu vas chercher des gens, pas dans le projet qui doit rester authentique et intègre.

'' Le projet n’a pas changé depuis l’album précédent, je fais une musique proche de l’humain...'' Comment expliques-tu l’intérêt que suscite cet album, dans des médias parfois très grand public? J’en sais vraiment rien. Je mets ça sur le compte de l’équipe qui bosse avec moi. Pour la première fois, j’ai l’impression de travailler avec des gens qui prennent des risques, qui sont enthousiastes. C’est une question de réseaux, d’énergie. Même si j’ai travaillé avec des chouettes personnes avant, c’était plus apathique. Ici, je bosse avec des gens qui croient au projet. Avec l’album précédent, j’ai obtenu pas mal de reconnaissance, mais elle était surtout professionnelle et institutionnelle. Ici je sens que le public commence à s’ouvrir, mais j’ai pas de recul pour savoir si c’est une question d’album ou de travail médiatique qui est fait autour. Le projet n’a pas changé depuis l’album précédent, je fais une musique proche de l’humain...

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Tu crois que les gens ont besoin de plus d’humain dans la musique, justement? Oui, et on sent qu’ils ont besoin de texte. C'est cliché de le dire mais la musique s’est vidée du texte avec cette escroquerie qui dure depuis plus de 20 ans, menée par des gros labels qui ont refourgué de la merde. Alors, certes, les gens ont besoin d'une musique de "divertissement" qui les éclate, d'une musique physique, "simple", légère, qui ne leur prenne pas la tête, mais je pense aussi qu'aujourd'hui apparaît le besoin d'écouter des histoires, des mots, des choses qui touchent, qui les concernent. C’est pas pour rien que des groupes comme Fauve, Odezenne, Carl et les hommes-boîtes reçoivent un bon accueil. Je ne veux pas être prétentieux et dire “Attention, nous, on arrive avec de la vraie musique”, mais je pense qu’aujourd’hui, de plus en plus de gens cherchent une musique qui parle. Et si ce disque-ci leur parle, c’est cool.

Qu’est-ce qui te fait briller les yeux? Les rencontres, découvrir des univers. Clairement, ce morceau (Faut bien qu’ils brillent, NDLR) est centré sur la séduction, sur le fait d’avoir besoin de ça pour vibrer, pour ressentir un enthousiasme. Nous, on a trente piges, et on est méga blasés. J’ai composé un autre morceau qui s’appelait “ Le début des choses ”, que je n’ai finalement pas mis sur l’album, et qui était fort lié à un bouquin, “ L’Homme-dé ”. C’est l’histoire d’un psychiatre new-yorkais à la vie idéale, qui se rend compte qu’il ne vit plus d’émerveillement au quotidien et qui cherche à recréer de l’inattendu via un système où il lance des dés pour guider ses choix. Et les options sont complètement farfelues, comme aller à poil au bureau par exemple. Cela rejoint une thématique de l’album : notre génération s’emmerde, manque de rêves, et se réalise dans des extrêmes. J’aime bien les accidents, les improbables, les découvertes. Ça, ça me fait briller les yeux.

En concert le 11 mai aux Nuits Bota Album Loweina Laurae

Veence Hanao - interview

En vente sur Itunes, chez les disquaires indépendants et sur distrib@aremusic.net

www.veencehanao.be

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ring, thomas sabo

shoes, vintage

short, Diesel

body, princesse tam-tam

Jacket, Dave Decat

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Styling: Sybille Langh Retouches: Jean Michel Goumet ( www.cyan.be ) Make-up: Brigitte Petit

White Room - shooting

Model: Celia Van Vugt ( dominique models )

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White Room - shooting

droite :

Sweat, Filles Ă papa - Underwear, Skiny - Bracelets, Thomas Sabo - Necklace, Vintage

gauche : Jacket, Dave Decat - Hat&Belt, vintage - Bra, la perla - Jeans, Levis' black - Bracelets, Thomas Sabo


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White Room - shooting

droite :

Jacket & Short, Bellerose - Bra, Implicite - Belt, vintage - Bracelets, Thomas Sabo

gauche : Beanie, Saint James - Dress, Marjorie Vermeulen - Bracelets, Thomas Sabo - Jacket, Dave Decat - Necklace, Vintage

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Ils attendent patiemment le premier flocon pour dégainer leurs balais et transformer la place Flagey en oeuvre d’art géante. Le collectif Fla gel, c’est l’histoire de cinq gars, Seb, Lio, Mwett, Colin et Jérôme, qui trainent leurs semelles dans la neige à la première occasion. Avec du talent, et beaucoup d’humour.

Fla gel, c’est qui? On se connait depuis longtemps, plus de 15 ans. On est une bande de potes. On a commencé à faire ça depuis 2009, on cherchait une manière de se rendre intéressants et comme on ne savait pas jouer de guitare, on a décidé de faire ça. Au quotidien, on fait tous des choses totalement différentes : archiviste, graphiste, webdesigner, restaurateur d’art contemporain, ou encore assureur. Fla gel, c’est pour nous faire plaisir.

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D’où vient l’idée? C’est le spot qui nous a donné l’idée. La première fois que l’on a fait ça, c’était à la Magnanerie. On habitait ensemble dans cet énorme immeuble, au 15e étage. Il a neigé, on est descendus faire un dessin dans la neige et puis on a pris une photo d’en haut. L’idée est venue de là. Pour Flagey, c’est l’endroit qui nous a inspiré, juste en passant devant.

Comment se passe le choix du dessin? Vous en avez en stock, à l’avance? Non, c’est très spontané. On se réunit une heure avant, on réfléchit à un jeu de mots et ça part de là. Tout le monde donne son idée et on vote. On est très très démocratiques (rires). On s’organise, décide de qui fait quoi et après on se lance. Tout çela prend très peu de temps.

Et au niveau technique, vous vous y prenez comment?

Fla gel - interview

On part d’un croquis que l’on fait juste avant de commencer. On calcule un peu, on fait de la géométrie pour les proportions et puis après on travaille avec des cordes, avec des pas. On suit le plan, et voilà.

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Ça vous prend combien de temps? Environ deux, trois heures. Ça dépend de la qualité de la neige, si elle est toute fondante ça va vite. Et ça dépend du nombre de personnes qui viennent nous aider. A la base on est cinq, mais on est toujours au moins une dizaine sur place, avec des amis, des amis des amis... Il y a aussi les gens qu’on ne connait pas qui viennent, qui nous voient travailler, qui connaissent ce qu’on fait, qui ont vu nos photos et qui trouvent ça cool. C’est complètement ouvert à qui veut venir donner un coup de main. Il y a énormément de gens qui nous demandent de les prévenir quand on commence. On ne sait pas tous les prévenir, mais ils peuvent venir dès qu’il neige.

Pourquoi avoir choisi Flagey? C’est une des plus grandes places de Bruxelles en pierre bleue, bien plate, dégagée. Et avec des immeubles qui la surplombent pour pouvoir prendre des photos. Maintenant, c’est clair que c’est aussi la plus proche. On habite tous dans les communes aux alentours, on passe souvent sur cette place. C’est venu comme ça. Et les jeux de mots sont faciles. Même si on pourrait aussi en faire facilement avec la place Saint-Josse par exemple.

Il y a d’autres spots sur lesquels vous voudriez travailler? En fait, on y réfléchit que quand il neige. Et comme c’est uniquement deux ou trois jours par an, on a tendance à s’y prendre à la dernière minute. Mais c’est aussi ça qu’on aime et qui fait le charme du concept. On a toujours un pote qui nous envoie un sms pour nous dire “Attention, il va neiger”, et surtout, il sait quand il va geler après. Car si ça fond tout de suite, ça ne va pas. Il affole tout le monde, et quelques heures après, on y va.

Pourquoi n’allez vous pas dans d’autres villes où la neige reste plus longtemps, dans les Ardennes par exemple? Peut-être parce que l’on est fainéants. Et que l’on a déjà bien travaillé à Flagey. C’est ce qui nous vient en premier, plutôt que de se taper les Ardennes, que l’on ne connait pas en fait.

Vous avez d’autres projets? Vous avez envie d’aller plus loin, de faire autre chose? On a d’autres idées, avec un groupe plus restreint, mais qui ne sont pas liées à Fla gel. On fait des t-shirts, des stickers. On a aussi fait par

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exemple une animation slow motion pour le Potemkine (ndlr : bar situé à Saint Gilles). Mais c’est parfois grâce à Fla gel qu’on a réussi à avoir des contacts pour faire d’autres choses. On a un peu taggé dans notre jeune temps, mais c’est loin derrière. On a fait par exemple une campagne électorale lors des dernières élections : des affiches collées sur les panneaux destinés aux élections communales avec pas mal de slogans débiles du genre : “MR poubelle bleue, Ecolo poubelle verte, CDH poubelle jaune”, “Plus d’argent pour la D2”, et le plus important, “Plus de neige en Belgique”. On part bientôt en France, en montagne, ça serait peut-être l’occasion de faire un truc là-bas.

Il n’y a pas une certaine frustration à faire quelquechose d’ éphémère? Non, pas du tout. Au contraire : au moins ça dure, au plus c’est jouissif. On a aucune revendication artistique, il n’y a pas de volonté d’être connus. On fait ça pour se faire plaisir. Avec le chat par exemple, il a neigé juste après et ça a recouvert le dessin. On s’est dit : ça a duré une nuit et tant mieux pour ceux qui l’ont vu. Mais après, avec le dégel, le chat est réapparu, et finalement il est resté deux-trois jours.

Votre boulot suscite un réellement engouement, auprès d’un public très diversifié. Vous expliquez ça comment? On fait ça le soir, il y a une foule de gens bourrés qui viennent nous parler (rires). La neige, c’est facile, c’est gratuit, c’est gentil, ça ne dégrade rien, c’est très politiquement correct. Il y a beaucoup de passage à Flagey, c’est ça qui est intéressant aussi. Ça intrigue beaucoup de monde. Souvent les gens pensent que l’on bosse pour la commune, qu’on balaye.

Justement, vous n’avez jamais été contactés par des gens de la commune?

Fla gel - interview

On a été contactés par l’Atrium, ils voulaient que l’on fasse quelquechose l’été sur la place. On a beaucoup réfléchi, il y a beaucoup plus de contraintes l’été. On ne peut pas faire ça en peinture, on a pensé à l’eau, qui noircit la pierre bleue, mais en cinq minutes ça sèche. On a pas encore trouvé de système aussi efficace et aussi gratuit que la neige. Et avec le côté impulsif. On a plus de mal si on doit réfléchir à l’avance. On est plus efficaces quand il faut agir rapidement, on a le syndrôme de l’étudiant moyen.

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photo : Thomas Marchal

" Légende, yeaaah! Quand tu commences à avoir le squelette qui craque, on t'appelle légende. C'est notre sort à tous... ou presque: pour être une légende, il faut avoir mis les pieds sur un skateboard depuis un bon paquet d'années (si tu arrives à 30 tu es dans la norme actuelle, à 40 tu es au top niveau), avoir un sérieux pédigrée hospitalier, et... être toujours présent. C'est là que tout semble se décider: tu dois être là, malgré ton âge, malgré

Le Mike - interview

Interview : Selena Scalzo & Bram De Cleen

toutes ces années passées à te demander si tu ne ferais pas bien de faire autre chose de ta vie, malgré... Tu es alors un modèle, comme l'est Mike: modèle de punk, de combattant de la vie, d'acharné du béton (d'abord sous tes roues, ensuite dans les mains), d'adorateur de la courbe parfaite, de phénix, finalement, car il s'agit bien de tomber et de se relever, de renaître sans cesse de ses cendres (des joints?), de toujours trouver les ressources nécessaires pour être là."

Pierre Jambé

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Qui es-tu Mike? Je m’appele Michel Van Der Ouderaa. Je suis né le 19 octobe 1964, je fais du skate depuis que j’ai 11 ans, et j’ai fait du BMX de mes 14 ans à mes 29 ans. J’habite Bruxelles.

Tu fais quoi en ce moment? Je me prépare à partir à Rio pour construire un bowl avec Pierre Jambé. Je le connais depuis que j’ai 17 ans, j’ai été associé avec lui dans BRUSK. C’est toujours un peu la confusion avec ce nom, les gens pensait que c’était " Bruxelles Skate ", mais en fait c’était " Urban Skate " mis à l’envers. Ça avait pour vocation d’être beaucoup large que Bruxelles, certaines personnes venaient de Flandres, de Liège, on a toujours été ouverts. Le problème est qu’avoir un plus grand rayon d’action demande plus de travail et que BRUSK était purement bénévole. L’idée de départ était de rénover le défunt bowl des Brigittines. On en a d’abord discuté un petit peu, et puis c’est resté dans les cartons. A un moment donné, Pierre, Yann et Colin ont lancé ce nom, ils se sont dit " On devrait faire un truc, non seulement pour ce bowl, mais aussi pour organiser des choses, pour que les skateurs reprennent en main le skate, et que tout ne soit pas laissé entre les mains des compagnies, des fédérations, des organisations. Que ce soient les skateurs eux-mêmes qui créent les choses qui se passent “.

" A un moment donné, Pierre, Yann et Colin ont lancé ce nom, ils se sont dit “ On devrait faire un truc, non seulement pour ce bowl, mais aussi pour organiser des choses, pour que les skateurs reprennent en main le skate, et que tout ne soit pas laissé entre les mains des compagnies, des fédérations, des organisations. " C’est un peu ce que tu fais en ce moment aussi, tu as créé “ Concrete Flow “, ton entreprise à toi, tu fais des skate parks en béton...et Pierre en fait aussi de son côté au Pérou et au Brésil. C’est pas comme si j’avais créé “ Concrete Flow “. C’est juste une continuation, et ce que Pierre fait aussi, de ce que BRUSK faisait. A un moment donné, ça s’essoufflait un peu parce que les gens n’étaient plus tellement disponibles, BRUSK les avait amenés à faire quelque chose qui les passionnait plus particulièrement. Pour certains c’était la photo, pour Pierre et moi, la construction. On a commencé à se professionnaliser et se spécialiser pour un truc, ce qui laissait moins de temps pour le reste.

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“ Concrete Flow “ et “ Doctor SkatePark “, c’est toujours BRUSK, mais sous un autre nom alors? Plus ou moins, sauf qu’on le fait professionnellement maintenant. On a fait ça quelques années purement en association, pour aider des petites villes ou des comités de skateurs, et aussi transmettre, à travers le skate, des savoirs comme fabriquer sa rampe. Et puis on est arrivés au béton, et là, ça a été le coup de foudre.

Ces derniers temps, il y a une évolution dans “ Concrete Flow “: tu veux moins construire des skate parks dessinés par d’autres, et plus les dessiner... Oui tout à fait. C’est un peu mon malheur : en France les marchés publics sont verrouillés de telle manière que l’on ne peut pas être à la fois auteur et réalisateur d’un projet. Si dans un premier temps ça m’aide, et d’une manière générale ça permet que ce qui est construit l’est par des skateurs, ça nous frustre un peu par rapport de ce qu’on faisait à l’origine avec BRUSK : on avait tout en main, et on faisait ce que l’on voulait. On a l’impression, juste ou non, que le chemin que prend le skate, la manière dont est organisé ce qui est construit, etc, en tout cas en Europe, ne nous plait pas du tout. Le skate n’est pas un sport, c’est une activité. C’est comme faire du cirque, de la jonglerie, c’est quelque chose où tout devient possible à un moment donné.

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Dans son texte d’introduction, Pierre t’appelle “ L’homme aux mille métiers “, ce que tu es un peu. Est-ce que les skate parks en beton, c’est le meilleur truc que tu aies fait? En règle générale, j’ai aimé tout ce que j’ai fait par moi-même. J’aime pas vraiment travailler, ce que j’aime c’est jouer. Et faire des skate parks c’est un jeu, ça m’amuse. C’est une continuation. La ligne rouge dans tout ce que j’ai fait dans la vie, c’est la sculpture. Et pour moi, un skate park, c’est sans discussion une sculpture, c’est une technique. Ça peut être fait par des techniciens, mais ils vont très vite être limités. Notre particularité, notre approche, c’est que l’on considère vraiment le béton comme de la pâte à modeler, on peut en faire tout ce que l’on veut. Quand je sculpte dans mon atelier, je suis aussi heureux, mais j’ai moins de responsabilités.

Il n’y a pas beaucoup de différences entre construire des décors de théâtre ou de films et faire des skate parks? Si, je vois une énorme différence : en faisant des skate parks je m’amuse, je joue, je sculpte, mais j’ai aussi la conviction que le fait d’amener le skate aux gens a une valeur sociologique. Avec BRUSK on s’était dit qu’on ne ferait jamais de skate parks avec des grilles autour, ni privés. On pense vraiment que le skate est un outil sociologique qui amène les gens à la rencontre et les tire dehors, loin de leur écran d’ordinateur, crée du lien et du respect mutuel et est bienfaisant pour la société. Je fais aussi ça pour ça. Quand je fais un décor, c’est pour de la pub, la finalité est complètement différente. Dans ce milieu, et en tant que technicien, même bon, tu es souvent traité comme une merde. Alors que lorsque l’on fait des skate parks, ça n’appartient qu’à nous, c’est un peu mystérieux pour le reste des intervenants. A la rigueur, même les architectes ne voient le truc qu’en dessin, nous on le voit en trois dimensions, et on en voit sa finalité.

" j’ai aussi la conviction que le fait d’amener le skate aux gens a une valeur sociologique ... " Ça te donne de la satisfaction?

Le Mike - interview

Enormément. Je dois avouer que je passe les meilleurs moments de ma vie, parce que cela combine plusieurs choses : j’ai choisi de faire ça un peu loin de chez moi, au contraire de Bruno, ce qui m’amène à voyager, à rencontrer d’autres personnes, et aussi à travailler à l’extérieur. Je ne m’étais jamais rendu compte que j’aimais autant être à l’extérieur, au contact des éléments, avec la bonne lumière, le bon air, etc. Ça change d’être dans un atelier.

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De tous les métiers que tu as fait, quel était le pire? Le truc qui m’a le moins plu? Cette boîte où l’on faisait des aménagements de véhicules, principalement de la police. Et dans cette usine il régnait une ambiance de folie. Ces gens étaient vraiment des gamins, qui se faisaient des coups vaches constamment.

Tu as fait beaucoup de BMX aussi. A l’époque tu faisais des démonstrations, tu peux expliquer comment ça se passait? J’ai fais du skate avant le BMX. La première fois que j’en ai vu un, de BMX, j’ai pensé que c’était fabriqué custom, j’ai pas imaginé qu’il y avait déjà une industrie là-derrière et, au contraire du skate, j’ai tout de suite été doué. J’ai aussi tout de suite pris beaucoup de plaisir, ça me donnait une position sociale, comme c’était un peu plus mainstream. Paradoxalement, la passion m’est venue en voyant du trial, où j’étais très bon, tout comme en freestyle. C’était un sport naissant, il y avait vraiment une vague derrière. D’être au devant de cette vague m’a poussé, jusqu’à ce qu’elle me dépasse. La technique a tellement changé sur les dix ans pendant lesquels j’en ai fait, tout a évolué. C’était très difficile de suivre, de se remettre en question, ça changeait du tout au tout. Au début, les cinq-six premières années, c’est vrai que j’étais un peu une star, et je faisais des démos tous les week-ends. J’ai fait toutes les compétitions que je pouvais, c’est comme ça que j’ai été champion dans plusieurs pays d’Europe.

" J’ai fait toutes les compétitions que je pouvais, c’est comme ça que j’ai été champion dans plusieurs pays d’Europe. " C’est donc à cause de l’évolution que tu as arrêté le BMX? Aussi parce qu’il n’y a jamais eu la même ambiance que dans le skate. Ça a tout de suite été organisé par des adultes, alors que le skate est resté libre... Cette organisation prenait des directions qui n’étaient pas parfois celles que voulaient les praticants. A l’époque j’ai été éjecté de la fédération simplement parce qu’ils avaient décidé qu’on ne devait plus sauter en compétition. Pour payer moins d’assurances. Mais le BMX, c’est sauter! Donc moi je continuais, ça me permettait d’aller plus vite... je me suis fait péter la gueule et jeter en dehors de la fédération. A partir de là, il y a une telle séparation entre l’activité et ce que le praticant voudrait faire, que cela n’était plus possible. Pendant longtemps je me balladais avec mon BMX et mon skate, parce que je ne savais pas choisir. Et aussi, je n’étais bon en skate. Ce qui a vraiment marqué le coup d’arrêt, c’est quand j’ai cassé mon genou.

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Mais tu as quand même finalement choisi le skate... Pendant les quatre années qui ont suivi mon opération, j’ai rien fait du tout. Et puis j’ai fait un peu de mountainbike, et de snowboard, et c’est grâce à ça que j’ai refréquenté des skateurs. Au début j’avais une peur énorme de recasser ce genou, et deux ans plus tard, j’ai refait du BMX. A 16 ans, j’étais un des plus vieux en Belgique à faire du BMX. Mais les gens que je cotoyais au skate m’intéressaient beaucoup plus. Et puis, après les histoires qu’il y a eu avec la fédération, j’ai fait une dépression. Tout d’un coup j’étais là, avec mes qualités, mon vélo, mon statut de “petite star” et cela ne servait plus à rien.

Le Mike - interview

Pour toi, c’est Vincent Cremer qui a inventé le “ skate street”? Ce qui est sûr, c’est qu’il n’avait vu ça nulle part. Je l’ai rencontré en 1981. Il était dans le mouvement skate de la toute première vague. Celle où moi j’en faisais juste avec mon frère, sur une planche en plastique. Certaines personnes comme Vincent, Manuel, Etienne Lejeune, Pierre Jambé, Pascal Mitevoy ont été importantes dans la vague juste

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avant. Vincent ne roulait pas bien sur les courbes, mais il faisait les mêmes figures que les autres faisaient sur les courbes, sur les bordures de trottoirs, sur des murets, des cabines téléphoniques. Il n’avait jamais vu faire ça avant. J’ai su plus tard, à cette époque-là, qu’il y avait déjà des gars aux Etats-Unis qui abordaient cette manière de surfer la rue. Après les planches en plastique, j’ai fait du BMX quelques années et là je rencontre Vincent Cremer, je recommence à faire du skate avec lui, et ce qu’il me montre, c’est ça. J’étais vraiment à fond dans le skate street, je me rappelle ce sentiment de liberté absolue. Et ça, ça me manque. Je ne fais plus de street, avec mon genou pété, et puis les figures ont tellement évolué. De temps en temps je m’amuse comme ça, sur une bordure, mais ce que je fais est rétrograde... Je garde cette nostalgie, ça reste dans mon coeur.

Tu as été en partie responsable du deuxième boum du skate en Belgique... Il faut préciser qu’à l’époque où j’en faisais avec Vincent Cremer, c’était nul de faire du skate. On nous traitait de cons, la mode était passée. Les gens ne comprennaient pas : on était tout le temps sales, on allait dans des parkings souterrains tout poussiéreux... Et puis, comme mon statut de l’époque faisait un peu de moi un privilégié, m’est arrivé dans

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les mains la première cassette “ Bones Brigade “, et j’ai invité tous les vieux skateurs, certains même que je n’avais jamais vus, à venir regarder la vidéo chez moi. Et ça a été comme une injection. On était tous au taquet! Ça a duré des années, on a habité ensemble dans ce qu’on appelait “ la skate house “, on était tous les jours au skate park d’Alost, et puis à Anvers. Des mecs comme Manu qui roulait pas mais qui avait fait de la courbe, rachète une planche et fait des figures comme dans les magazines ou les vidéos! Dès le moment où il a recommencé, il faisait des trucs comme des back smith grind. On était en 1983.

Cette skate house, elle était où? Rue Berckmans, du côté de la place Stéphanie.

Tu viens d’une famille d’un côté coloniale, de l’autre sang bleu russe... Au moment de la révolution de 1919, le moment où les Bolchéviques ont pris le pouvoir, ma famille était de la petite noblesse, et habitait près de la mer Noire. Avec un nom français, Coquelet, qui venait de mes ancêtres. Ils ont du fuir, et sont venus en Belgique. Et comme la Belgique avait cette colonie au Congo, mon arrière-grand-père y est parti pour faire des affaires, et mon grand-père l’a rejoint, en clandestin. C’est lui qui avait fait faire notre arbre généalogique, et c’est là que l’on a vu que ça remontait à la grande famille de Russie. Mon autre grand-père a émigré légalement au Congo en tant qu’architecte. Ce qui fait que mes parents, mes oncles, mes tantes, mes cousins, mon frère et ma soeur sont nés en Afrique. Ils sont revenus en 1960 ou 1961.

" Le big business qu’il y a derrière. Ça a toujours été un sujet chez BRUSK, de rejeter ça complètement. On pourrait le faire : le skate pourrait être un très petit truc, où les gens font leur planche eux-même, leurs spots eux-même, ... "

Le Mike - interview

Un truc que tu voudrais que les gens sachent de toi? C’est difficile comme question, c’est entre mégalo, et détails un peu “crunchy”.

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Qu’est-ce qui te saoûle dans le skate? Le big business qu’il y a derrière. Ça a toujours été un sujet chez BRUSK, de rejeter ça complètement. On pourrait le faire : le skate pourrait être un très petit truc, où les gens font leur planche eux-même, leurs spots eux-même, et ils mettent des chaussures de football, ou que sais-je. On a été baignés dans les marques, je peux te sortir une collection d’autocollants! Aujourd’hui je le vois comme une menace, quand tu es jeune, tu ne vois pas ça. Par exemple ces compétitions de hammer où tu as une plate-forme, des escaliers, des ledges, un rail, un atterissage...

...tu connais la Street League alors? C’est ce que tu viens de décrire, et ils ont même mis des points et des catégories pour les tricks... C’est anti-skate, c’est vraiment le genre de truc qui me fait chier. En même temps je comprends qu’on le fasse, quand j’étais jeune, j’aimais bien faire des compet’. C’était un peu comme ça dans le BMX. On peut raconter des choses dantesques sur le comportement des adultes aux compétitions. Certains allaient là-bas pour se taper sur la gueule entre flamands et wallons, ou entre wallons de Liège et de Charleroi. Il y avait aussi les parents qui mettaient leur gosse sur le vélo, ils ne le voyaient plus pendant huit ou dix heures, et rentraient dans la tente. Parce ça, il y avait toujours : les terrains étaient parfois pourris, mais il y avait toujours une tente pour danser, mettre de la musique et piccoler. Et ils se bourraient la gueule toute la journée.

En gros, le skate aux Jeux Olympiques, ça te chauffe pas trop? Non, ça n’a pas de sens je trouve. Ce que ça menace, c’est le côté sociologique. Il y a trop d’argent là-dedans, et c’est normal quelquepart. De nouveau, quand j’étais jeune, je rêvais d’être sponsorisé, et je l’ai été, ça m’a donné beaucoup de facilités. Mais avec la maturité, je me rends compte que c’est beaucoup plus ça. Et que c’est un risque.





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