Digitalarti Mag #12 (Français)

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#12 Le Magazine International de l'Art Numérique et de l’Innovation

www.digitalarti.com

GRÉGORY CHATONSKY IMAGE ET FLUX… d i g i t a l a r t i # 12 janvier-février-mars 2013 - 6 € / 8 $ US

FRED FOREST ARTS & SCIENCES ROBERT HENKE ART SONORE PETER WEIBEL ANNE-MARIE DUGUET ŒUVRE NUMÉRIQUE & ESPACE PUBLIC



JANVIER/FÉVRIER/MARS 2013

Telefossiles, Gregory Chatonsky, exposition au Musée d'Art Contemporain de Tapei (2013). © D.R.

#12

SOMMAIRE 03 EDITO 04 DIGITALARTI.COM

EDITO

infos, blogs et liens

Digitalarti poursuit cette année avec grand plaisir son travail de valorisation de la création contemporaine numérique. Dans nos éditions 2012, vous avez pu découvrir des artistes comme Olga Kisseleva, Edwin Van Der Heide, Robert Stadler & Mathieu Lehanneur, 1024 Architecture, Samuel Bianchini, Adelin Schweitzer, Don Foresta, Christian Zanési & Jérôme Soudan, Trafik, Shu Lea Cheang, Dan Roosegaarde, Random International, des reportages sur les festivals, des dossiers sur les corps connectés, les villes créatives, la téléprésence, des articles sur le design et l’innovation…

05 ART-LAB résidences, workshops et événements

06 NEW YORK expositions, lieux et initiatives

07 CHRONIQUES Frank Rose, Jacqueline Caux…

08 FRED FOREST l'homme media n°1 (exposition/retrospective)

12 ŒUVRE NUMÉRIQUE & ESPACE PUBLIC Lab[au], Antoine Schmitt, Samuel Bianchini, Scenocosme…

16 GREGORY CHATONSKY image et flux (interview)

20 ARTS & SCIENCES L'Hexagone, Scène Nationale de Meylan

22 ROBERT HENKE Fragiles Territories (installation)

26 PETER WEIBEL director / ZKM (interview)

28 ANNE-MARIE DUGUET Anarchive (vidéo)…

30 ART SONORE ZKM (Karlsruhe), MAC (Lyon), Centquatre (Paris)

32 AGENDA

BONNE ANNÉE CRÉATIVE HAPPY CREATIVE NEW YEAR

Nous avons également développé nos activités de production dans notre artlab, et de diffusion avec l’aide de partenaires privés et publics français : Water Light Graffiti, une création d’Antonin Fourneau coproduite par Digitalarti, sera à l’honneur du 9 au 16 février, dans le nouveau lieu consacré à la création numérique à Cergy, la rosace de la gare de l’Est est illuminée par une création de Stéphane Perraud, Flux, jusqu’en avril 2013, les aéroports de Paris ont installé Lumifolia de Scenocosme dans leur nouveau terminal de Roissy… En effet, si l’art numérique investit l’Internet, les galeries, les musées (parfois), il est aussi présent dans l’espace public (voir article page 12). Mention spéciale aux artistes et structures New Yorkaises qui ont affronté la tempête Sandy, et restent actives comme Eyebeam malgré cette irruption dévastatrice du réel. Nous aimons particulièrement rendre hommage aux pionniers : dans ce numéro l’artiste français incontournable et inclassable Fred Forest mais aussi Anne-Marie Duguet et Peter Weibel pour leur engagement durable aux côtés des artistes. Et à l’affiche du prochain numéro, Jeffrey Shaw et Norbert Hillaire… Nous vous souhaitons à tous, artistes, producteurs, diffuseurs, ingénieurs, hackers et bien sûr chers lecteurs, une année heureuse et riche de chocs esthétiques et de découvertes artistiques. ANNE-CÉCILE WORMS

expositions, festivals…

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DIGITALARTI NEWS

DIGITALARTI.COM Best of des dernières news de la communauté Informations, blogs, liens et news à retrouver sur le site la chaîne de l'Art numérique. Reportages, interviews, Art video, teasers… Nous avons interviewé Benjamin Gaulon aka Recyclism, artiste hacktiviste, à l’occasion de la programmation de deux de ses œuvres à Paris : 2,4 Ghz dans le cadre de Mal au Pixel, à la Gaîté Lyrique, et Kindle Glitcher, petit dernier de la série Corrupt, commandité par l'Espace virtuel du Jeu de Paume dans le cadre de l'exposition Erreur d'impression, publier à l'ère du numérique proposée par Alessandro Ludovico…

< http://www.digitalarti.com/fr/blog/digitalarti_mag/interview_de_benjamin_gaulon_aka_recyclism >

Focus

Focus

LES TERRITOIRES

ADVITAM

La galerie Les Territoires, organisme à but non lucratif, est un centre d'art où diffusion et analyse de l'art émergent et de ces nouvelles pratiques vont de pair. Elle a comme objectif de permettre aux artistes émergents de développer leur carrière sur la scène institutionnelle, de faciliter leur intégration au marché de l'art et de les soutenir dans leurs différentes manifestations artistiques. La galerie Les Territoires offre un lieu d'exposition à la fois accessible et professionnel. Le développement de son espace vise à contribuer à la diffusion de l'art actuel à l'échelle nationale et internationale et à diversifier la scène artistique contemporaine à Montréal.

advitam est un blog sur la création de Pascale Barret. Artiste hybride de la scène internationale, Pascale se joue de médiums tangibles et virtuels, scientifiques et historiques pour aborder les questions identitaires. Elle combine et distord les pratiques avec la conscience accrue que la technologie tend à transformer notre perception du soi et d’autrui. Pascale Barret se géo-localise à Bruxelles, en Europe et sur Internet. Elle expose à partir de 2001 en France, en Europe et aujourd’hui à l’international. Elle est membre d’iMAL, Centre pour les cultures digitales et technologiques; et participe à Body Intimacy Network, un projet de wiki initié par Mutin pour la recherche sur le corps numérique.

< http://www.digitalarti.com/fr/blog/les_territoires >

< http://www.digitalarti.com/fr/blog/advitam >

Agenda

Artistes

Festival GAMERZ 08

Depuis 2007, le Jeu de Paume ouvre son Espace virtuel aux net-artistes. Les projets sont tous créés spécialement pour le Web. Jusqu'au mois de mars, vous pouvez visiter, de votre ordinateur, Erreur d'impression, publier à l'ère du numérique, exposition proposée par Alessandro Ludovico.

Le site officiel du méta-domaine de Melodiane dévoile l'utopie melodienne sous forme d'épisodes. < www.digitalarti.com/m12_3 >

GAMERZ réunit tous les ans des artistes, des chercheurs, des professionnels de la création français et étrangers afin de proposer au public un parcours récréatif et culturel. < www.digitalarti.com/m12_6 >

Tubulophones Lumineux 2012

Cube in Cube, une projection de G8 Labs

< www.digitalarti.com/m12_1 >

< www.digitalarti.com/m12_4 >

Erreur d’impression, publier à l’ère du numérique Ouverture de melodiane.com

Pour créer les sons et les lumières des Tubulophones, il suffit de placer les mains sur les capteurs tactiles.

Présences électroniques, expérimentations sonores à Genève Les 11 & 12 janvier, les amoureux du son ont rendez-vous à Présences Électroniques, à Genève. Pour sa 3ème édition, le festival continue son exploration des musiques électroniques, acousmatique et électroacoustique ainsi que des styles plus populaires, voire dansants.. < www.digitalarti.com/m12_2 >

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Deux cubes tournent sur le même axe, l'un dans l'autre. Le plus grand semble vide et transparent, et contient un plus petit, qui semble plein et blanc.

< www.digitalarti.com/m12_7 >

Festivals, Centres d’Art

Leap Motion : les premiers essais

Artlabo

Leap Motion est une technologie de détection de mouvements en trois dimensions présentée il y a quelques semaines publiquement dans une vidéo virale.

vient d'ouvrir ! Lancement de Artlabo, une plateforme de mutualisation et d'échange de savoirs autour de la culture numérique liée aux pratiques artistiques.

< www.digitalarti.com/m12_5 >

< www.digitalarti.com/m12_8 >


DIGITALARTI ARTLAB

by

Best of des dernières news du Artlab Ouvert en 2011, le Artlab est un lieu de recherche, de développement et de prototypage, où artistes et techniciens se rencontrent dans une démarche créative et collaborative. L'approche est multidisciplinaire, au carrefour entre les possibilités de la technologie et l'inspiration des artistes. L’accueil des artistes et techniciens prend des formes diverses : résidence, free-lance, visite, formation/assistance, atelier… La sélection des projets se fait sur plusieurs critères : qualité artistique, connaissances techniques, contribution au développement du Artlab… Jason Cook, artiste/technicien, gère le Artlab, aidé d'un réseau d'artistes et de techniciens assistants. Suivez l’actualité du Artlab sur < www.digitalarti.com/artlab-fr >

Portrait

Œuvre

Workshop

Création

TOM WERSINGER

LULU WHITE

L'ECV AU ARTLAB

HELLO ROBOT

Nouveau résident, Tom Wersinger suit une approche software tournée vers un web ouvert et social. Son travail vient ajouter une touche logicielle tout en restant cohérent avec la dominante hardware du Artlab. Lire la suite

Introduction aux Arts Numériques et initiation à Arduino : c'était le programme que les étudiants de l'ECV ont pu suivre lors d'un workshop animé par Jason Cook au Artlab le 8 octobre dernier. Lire la suite

A l'entrée du Artlab, une main mécanique salue chaque personne, ou la "bénit" au nom de la robotique. Cette main est issue des recherches ayant précédé l'oeuvre Lulu White.

< http://www.digitalarti.com/fr/blog/

créée par Jason Cook au Artlab Digitalarti Cette création s’intègre dans "Objet Avatar", une série d’investigations sur les capteurs appliqués au corps humain pour manipuler à distance des objets sculpturales. Lire la suite < www.digitalarti.com/fr/

artlab/tom_wersinger_lart_du_code_entre _au_artlab >

blog/artlab/lulu_white_cr_e_par_jason_ cook_au_artlab_digitalarti >

artlab/workshop_au_artlab_pour_les_ tudiants_de_lecv >

< http://www.digitalarti.com/fr/blog/

digitalarti #12 - 05


IN SITU NEW YORK

Plusieurs d’un mois après le passage dévastateur de la tempête Sandy, les quartiers les plus affectés de New York reprennent vie petit à petit. Si la résurrection le 20 décembre de Eyebeam, qui a perdu 250.000 dollars de matériel technologique dans l’inondation, symbolise la résilience du quartier des galeries à Chelsea, la communauté artistique new-yorkaise, elle, s’est remise à jouer. © PHOTO KEN SHULER

On se croirait dans un film de Peter Greenaway : dispositif baroque et multisensoriel (champs symétriques de balançoires, grand rideau blanc ondoyant, sacs en papier sonores, gramophone), animaux vivants (pigeons voyageurs en cage) et performance live (lectrices, écrivain et chanteuse) ; le tout symbolique d’un écosystème esthétique dans une ambiance onirique. Le jeu consiste à basculer sur les balançoires de façon à animer le rideau central comme un théâtre de marionnettes, tout en écoutant le murmure des paroles prononcées par les lectrices en transmission directe aux sacs en papier sans fil depuis derrière les pigeons. L’expérience surréaliste devient presque mystique.

Chris Klapper & Patrick Gallagher, Symphony in D Minor. Douce coïncidence, un couple d’artistes de Brooklyn, Chris Klapper et Patrick Gallagher, a conçu et construit une installation visuelle, musicale et interactive qui simule le phénomène poétique d’une tempête de pluie dans la Skybox Gallery de Philadelphie. Sous forme de quatre cylindres immenses suspendus au plafond, leur Symphony in D Minor[1] répond aux coups légers des visiteurs avec des images de nuages en turbulence et une symphonie tantôt tempétueuse, tantôt tranquille, mais jamais pareille. Les tempêtes sont par nature menaçantes et magnifiques, explique Chris. Avec Symphony nous voulions exprimer cette puissance à travers le volume, la masse et le mouvement. Si certains peuvent être intimidés par sa taille gigantesque, ils sont vite séduits par son caractère ludique. Autre œuvre formidable, cette fois à l’échelle d’une armurerie, The Event of a Thread de Ann Hamilton[2] occupe de long en large la salle d’exposition principale de la Park Avenue Armory, qui a toujours su commissionner des projets à la hauteur de son imposant espace physique.

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À une échelle plus intime, mais tout aussi immersif, le Gamelatron Jalan Jiwo[3] de Aaron Taylor Kuffner cherche à transmettre le côté spirituel du Gamelan, la traditionnelle musique de percussions indonésienne, en investissant l’espace principal du Clocktower Gallery, directement endessous de la grande cloche résidente. Avec ses authentiques vibraphones, tambours, carillons, cloches et gongs en bronze éparpillés dans la salle blanche, le spectacle cinétique émeut autant qu’un concert acoustique… à la seule différence que les percussionnistes sont des marteaux robotiques jouant une partition numérique. Toujours à la tour de l’horloge, nous retrouvons une arcade de jeux triptyque signée Babycastles, le collectif des jeux DIY par excellence, dans une petite salle transformée en pizzeria rétro par Slice Harvester (a.k.a. Colin Hagendorf), artiste renommé pour ses fanzines de dégustation de pizza, et décorée par Yusuke Okada, punk rocker à talents multiples. L’installation in situ qui résulte de cette collaboration, c’est Babyharvester[4], ou la dernière incarnation d’une vision singulière de la nouvelle arcade, où jeux vidéo indépendants sont exposés et joués dans un cadre social de bricolage, souvent underground. Au menu des jeux récoltés : Peacemaker, Harpooned, I Was In The War.

Enfin, comme un feu vert au carrefour entre l’art et le commerce, la démocratisation de la modélisation tridimensionnelle se matérialise à NoLiTa dans Mulberry Street entre East Houston et Bleecker. Le fabricant pionnier d’imprimante 3D desktop MakerBot[6] y a ouvert sa première boutique en septembre 2012, avec pleins d’objets imprimés par sa nouvelle Replicator 2 en démonstration omniprésente, des "gumball machines" à 5 dollars le jouet, et la révélation surprise du vernissage officiel le 20 novembre, le 3D Photo Booth. Ce photomaton 3D permet à n’importe qui de venir se faire scanner la tête pour 5$, puis de choisir une taille de modèle en plastique à imprimer, dont le plus petit mesure quelques centimètres et coûte 20 dollars. Certes, la technologie 3D ne date pas d’hier, mais c’est son accès ici directe, facile, populaire et infiniment ludique qui nous plonge dans un pays de merveille. CHERISE FONG

(1) < http://symphonyindminor.com > (2) < www.armoryonpark.org/programs_events/detail/ann_hamilton > (3) < http://artonair.org/exhibition/the-gamelatron-jalan-jiwo > (4) < http://artonair.org/residency/babyharvester > (5) < www.moma.org/explore/inside_out/2012/11/29/videogames-14-in-the-collection-for-starters > (6) < www.makerbot.com/retail-store >

Barack Obama vs MakerBot.

© PHOTO D.R.

GAMEPLAY EN HIVER

À l’heure de Wreck It Ralph [en français Les Mondes de Ralph, NDLR], ce film d’animation 3D nostalgique des 8-bits, on peut se réjouir par ailleurs de l’acquisition annoncée de 14 jeux vidéo classiques de la part du MoMA[5]. Ce début de sélection à s’élargir (Pac-Man, Tetris, Myst, The Sims, Dwarf Fortress…) fait partie de la collection Architecture et Design du musée, et sera exposé dans ses galeries en mars 2013. Cette initiative marque un pas d’avance considérable non seulement pour la reconnaissance institutionnelle des jeux vidéo (sans parler des arts numériques) en tant qu’œuvres d’art à part entière, mais aussi pour leur conservation professionnelle et systématique.


CHRONIQUES LIVRES - DVD

BUZZ… Multiplication des supports, atomisation des publics, séquentialisation de la publicité, interaction des médias, généralisation de l'hypertexte, buzz… En une décennie, Internet a obligé à repenser le processus de création et de diffusion des fictions. Frank Rose, journaliste à Wired, analyse cette culture "en rhizome". Postulat de base : une création de divertissement, quelle qu'elle soit (livre, musique, film, série télé, jeu vidéo, web série, etc.), ne se déploie plus sur une seule dimension, mais se décline et se ramifie sur plusieurs plans. Postulat numéro 2 : rien ne peut plus se concevoir sans les réseaux sociaux. YouTube, Twitter, Facebook doivent être pensés comme des médias à part entière; au même titre que la presse papier, la radio, la télévision, les sites web, etc. Postulat numéro 3 : il n'y a plus de lecteur ou spectateur. Le consommateur devient acteur et sa participation est le meilleur gage de son addiction… L'histoire et les personnages lui appartiennent autant qu'aux scénaristes. Postulat numéro 4 : cette révolution copernicienne est portée par une communication virale, qui emprunte à la ruse et au jeu de rôle. Le phénomène de novellisation et de gadgetisation publicitaire (des flippers aux figurines à l'effigie des héros des blockbusters) s'apparente désormais à la préhistoire comparé à la "force de persuasion" des stratégies de communication développées autour des réseaux sociaux. D'autant que ces manipulations débordent très largement la sphère du virtuel. Ainsi, après avoir laissés quelques signes cabalistiques, captés de manière presque subliminale par quelques otakus, les nouveaux démiurges des stu-

LA MÉCANIQUE DU TEMPS Avec le recul, on a peine à imaginer l'opprobre qui fut jetée sur les musiques électroniques, et singulièrement sur la techno lors de son émergence, par les thuriféraires des musiques dites "savantes". Au delà du clivage générationnel qui surmultipliait cette guerre de tranchée, il a fallu l'autorité et l'ouverture d'esprit de quelques trop rares météores pour établir des ponts, une passe-

ART GÉNÉRATIF Parmi les multiples procédés, techniques et dispositifs mis en œuvre dans les créations numériques, les programmes algorithmiques apportent une dimension particulière. Ils donnent l'illusion d'une vie autonome à une œuvre et semblent accroître son potentiel d'interactivité au point que l'artefact en question semble échapper à son créateur… Et l'artiste se rêve en démiurge… C'est ce que laisse à penser l'essai de Pierre Berger & Alain Lioret intitulé L'art génératif : jouer à Dieu… un droit ? un devoir ? Pour autant, l'art génératif ne saurait se résumer à une série d'équations absconses en guise

dios vont jusqu'à disséminer des artefacts dans le monde réel, envoyer des messages téléphoniques ou mettre en scène des événements particuliers pour valider des histoires parallèles relayées par des sites dédiés, de vrais/faux profils Facebook, etc. Mieux encore, grâce à ces éléments mis à sa disposition, le "consomacteur" est invité à concevoir sa propre publicité du "produit" culturel qu'on lui livre en pâture puis de la valoriser dans son réseau. Le "spectacle" est complet… Debord fait des sauts quantiques dans sa tombe… Résumons le protocole de ce marketing 2.0 : quelques geeks décodent des messages cachés et découvrent quelques indices matériels dans des endroits improbables, les "followers" qui n'ont jamais si bien portés leurs noms, bien que s'imaginant devancer le mouvement, servent d'agrégat pour le grand public en validant en nombre les contours incertains de cette "réalité alternée"… Blockbuster ou jeu vidéo, nous sommes confrontés à une nouvelle manière de raconter des histoires, en accord avec les nouvelles possibilités de narration qui sont offertes par le multimédia et nous affranchissent des contraintes de linéarité et verticalité, pour privilégier des récits qui sollicitent une approche transversale et participative : c'est l'ère du mix et du deep media. Ce ne sont plus des histoires à regarder ou à lire, mais à vivre… En attendant l'immersion totale dans un environnement virtuel, sur le modèle de l'holodeck de Star Treck auquel l'industrie du jeu travaille déjà. Ainsi que l'armée américaine au travers d'un projet répondant au doux nom de CHAOS (Combat Hunter Action and Observation Simulation)… Ce n'est pas de la science-fiction. Simplement la démonstration que le futur nous fait signe alors que nous l'inventons encore…

Frank Rose, Buzz (Éditions Sonatine). < www.sonatine-editions.fr >

relle entre la musique répétitive, expérimentale et les échos mécaniques en provenance de Detroit. En France, bien sûr, c'est Daniel Caux qui incarnait cette approche. Disparu en 2008, ce musicologue, essayiste et homme de radio voit son analyse célébrée par les musiciens qu'il avait valorisé — La Monte Young, Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass, Richie Hawtin… — dans cette perspective trans-historique au travers d'un film réalisé par sa compagne qui réunit pièces inédites et archives millésimées.

Les couleurs du prisme, la mécanique du temps : de John Cage à la Techno, en passant par le minimalisme et le post-modernisme, un film de Jacqueline Caux. La Huit (96 + 40 mn, DVD multizone, français/anglais). < www.lahuit.com >

de "premier moteur"… C'est surtout et avant tout une question d'attitude. Le maître mot de cette attitude étant "aléatoire". L'art génératif précède donc l'arrivée de l'informatique. Les mathématiques et la robotique n'étant que le moyen pour l'artiste de prolonger son intention, sa perception, son interprétation, ses émotions…

Pierre Berger & Alain Lioret, L'art génératif : jouer à Dieu… un droit ? un devoir ? (L'Harmattan / coll. Histoires et idées des arts). < www.harmattan.fr > < www.artgeneratif.com >

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ART NUMÉRIQUE FRED FOREST

FRED FOREST

DE L'ART VIDÉO AU NET-ART Pionnier : c'est le terme qui revient le plus souvent pour caractériser la place de Fred Forest sur l'échiquier des arts dits "médiatiques". Deux autres mots sont également récurrents : "réseau" et "territoire"; en quelque sorte l'abscisse et l'ordonnée de son activité artistique. Une activité qui prend racine au siècle dernier, en "trafiquant" l'image et le papier, tout d'abord, puis en annexant progressivement tous les moyens de communication : de la vidéo aux mondes virtuels. Né à une époque où la télévision n'existait pas (Fred Forest voit le jour en 1933, à Mouaskar en Algérie), il a expérimenté en autodidacte puis en professeur assermenté (après avoir soutenu une thèse de doctorat transformée en happening) toutes les facettes de l'art sociologique et de l'esthétique de communication. Ce parcours exceptionnel lui permet de porter un regard sans complaisance sur le monde artistique actuel, n'hésitant pas à affirmer haut et fort sa singularité face aux "professionnels de la profession". Son expérience "multimédia" lui sert aussi, toujours et encore, à se renouveler, à chercher d'autres champs d'expression artistique, d'autres performances esthétiques. Après les États-Unis et le Brésil, la France se décide enfin, grâce au Centre des Arts d'Enghien, de consacrer une rétrospective à cet homme media par excellence.

Pour expliquer aux personnes qui ne connaîtraient pas ton terrain d'expérience, comment résumes-tu ton champ d'activité artistique ? Je suis un artiste du numérique ayant réalisé ma première œuvre notoire dans ce

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domaine dès 1995(1), mais je préfère endosser le qualificatif plus juste, à mon sens, d’artiste de la communication transmedia. Mon travail (qui a démarré maintenant il y a près d’un demi siècle…) a, tour à tour, utilisé en pionnier des supports comme l’animation de communication participative en banlieue parisienne (1965), la vidéo (1967), les inserts de presse (1972), le téléphone (1972), la radio nationale (1972), la TV nationale (1975), le Minitel (1982), le slow scan (1987), le journal à diodes électroniques (1986), le câble (1987), le fax (1987), les ondes hertziennes (1987), Internet (1989), Second Life (1998). Veuillez excuser cette fastidieuse énumération, mais il faut bien faire un peu de pédagogie à l’égard des institutions françaises, hélas toujours en retard d’un train, et leur apprendre ce qu’elle devrait savoir depuis longtemps… Je revendique également cette identité d’artiste de la communication, entre autres, pour les événements dont je suis à l’origine, comme mes actions au cours de la XIIème Biennale de Sao Paulo, le Mètre carré artistique, l’exposition de

Madame Soleil au Musée Galliera, la vente en première mondiale de Parcelle/Réseau à Drouot, mon propre mariage avec l’artiste Sophie Lavaud sur Internet ou ma candidature à la fonction de Président de la TV Nationale Bulgare comme représentant les forces d’opposition au régime communiste. Pour faire vite, je dirai que le champ de mon activité artistique s’est développé sur un discours critique, croisant tous les medias que j’ai pu m’approprier au fil du temps. J’interviens au cœur même du tissu médiatique et/ou urbain, menant une réflexion de fond sur les systèmes de communication visibles et invisibles, qui conditionnent les pouvoirs culturels, politiques et financiers dans nos sociétés.

On te présente comme artiste "et" théoricien. Quel "statut" revendiques-tu ? À vrai dire les deux se confondent chez moi. Je revendique d’abord le statut à part entière d’artiste novateur, ensuite j’accepte le fait d’être un universitaire à l’origine de deux mouvements artistiques, ceux de l’art sociologique et de l’esthétique de la communication, pour lesquels j’ai contribué d’une façon soutenue à la théorie comme à la pratique. Pour le premier (l’art sociologique) avec Jean-Paul Thénot et Hervé Fischer des années 1974 à 1981, pour le second (l’esthétique de la communication) avec le Professeur Mario Costa de 1982 à nos jours(2).

En 2007 à Philadelphie, il y a déjà eu une rétrospective à la Slought Foundation : quelle va être la différence par rapport à cet événement ? Je prends le soin de vous rappeler que j’ai bénéficié également d’une précédente rétrospective en 2005 au Paço das Artes de Sao Paulo au Brésil. Je suis en quelque


© PHOTO FRED FOREST

sorte un cumulard de rétrospectives qui se suivent et ne se ressemblent pas (rires). La première à Sao Paulo, sous l’égide de Daniela Bousso avec, comme commissaire, Priscila Arantes, avait tout l’espace nécessaire, mais, hélas, manquait de moyens financiers pour traduire toute l’ampleur de mon travail. Un travail, il faut bien dire, pléthorique. Puis en 2007 celle de la Slought Foundation avec comme sénior curator Osvaldo Romberg, qui disposait au contraire des moyens nécessaires, mais c’est l’espace qui faisait cette fois-ci défaut. L’originalité de celle que je fais au Centre des arts d’Enghien en janvier 2013, c’est que je me suis moi-même investi de la fonction de commissaire ! Les moyens sont suffisants, mais modestes en ces temps de crise. Quant à l’espace disponible, il est encore nettement au-dessous de la capacité pour traduire dans son détail une activité qui s’est déroulée sur un demi siècle, représentant plus d’une centaine d’œuvres matérialisées, et plus de 600 numéros, inscrits au patrimoine national de l’Ina, constitués de bandes 1/2 pouces, VHS, U-Matiques et de K7 audios. Et comme les murs ne peuvent se pousser comme par enchantement dans une architecture faite de béton, je m’en fais une raison. En attendant ma prochaine… rétrospective ; que négocient déjà, pied à pied, en ce moment, deux universitaires américaines bardées de diplômes, avec le responsable éclairé (le seul à ma connaissance…) d’une grande institution française. Si ça marche, j’en serai alors à ma quatrième rétrospective (rires)… Mais comme en général les rétrospectives sont l’apanage

des gens qui sont déjà morts, j’ai encore du temps devant moi pour ne pas baisser les bras prématurément, et collectionner les rétrospectives, comme d’autres collectionnent les papillons. À condition, bien entendu, que je ralentisse un peu le rythme de ma production actuelle, si je désire que la péréquation s’opère un jour pour moi, entre le budget disponible et l’espace à remplir (rires encore…).

social de piste médiatique, utilisant des annonces quotidiennes dans Var Matin, la radio, la télévision FR3 et Antenne 2, où quatre mois durant, une ville entière s’est mise à la recherche d’un personnage imaginaire, s’identifiant et communiquant avec lui, à l’aide d’envois postaux et du Minitel. Une vingtaine d’écrans baliseront mon exposition pour présenter ces différentes installations.

Comment s'est effectué le choix des œuvres proposées… ? Comment tout cela est-il structuré ? Par périodes ? Par type de dispositifs ? Par intention ?

Avec le recul, comment juges-tu — jaugestu — tes pièces anciennes ? Quelles problématiques amènent-elles avec le temps ?

Voilà où on arrive, inévitablement, aux questions qui fâchent. ;-) Ou plus exactement, qui risquent de heurter la logique des experts. Entre le choix d’une chronologie traditionnelle, mais ennuyeuse et, par exemple, celle de se baser sur des intentions par supports ou thèmes, j’ai décidé d’un choix, une fois de plus transgressif, celui de ne pas choisir ! Je n’ai rien contre une pédagogie directive, et mes anciens étudiants de l'École des Beaux arts et de l’Université pourront vous le confirmer. Néanmoins, compte tenu des contraintes inhérentes à l’espace offert, je propose au visiteur un parcours créatif. Cela veut dire quelques repères d’ordre emblématique de ma démarche placés ici ou là dans l’espace. Par exemple, le M2 artistique sous forme d’inserts de presse agrandis, Vidéo Troisième âge avec une installation regroupant des photos et la diffusion de documents vidéos, ou Le blanc envahit la ville d’une façon analogue, ou encore, Avis de recherche de Julia Margaret Cameron, ce jeu

Mes œuvres anciennes sont très actuelles. La problématique que j’y soulève est la même que celle que je développe dans des pièces plus récentes. Une interrogation critique sur l’art et la société, et sur le devenir comportemental de l’être humain dans ce contexte qui est le nôtre. Pour moi, dans mon travail, l’éthique prime sur l’esthétique depuis toujours. Voilà pour le fond. Par ailleurs, avec le temps qui a passé, les concepts de base établis par les artistes des années 70 se sont avérés ceux-là mêmes qui sont simplement "réactivés" par l’utilisation de certaines technologies : présence et action à distance, temps réel, jeux et rôles sociaux, ubiquité, interactivité, échange, participation contributive, gestes et comportements, réseau, territoire, pouvoir, hybridation, coexistence de l’imaginaire et de la réalité. Nous étions pourtant en droit d’attendre un certain renouvellement. Je trouve que les jeunes générations avec un usage plus marqué pour les nouvelles technologies et la programmation n’ont guère avancé le schmilblick vers de nouveaux concepts.

Fred Forest, TheTraders Ball, installation/action simultanée in situ et su Second Life. LabGalley, NewYork, 2010.

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© PHOTO D.R.

Qu'en est-il de ton combat contre les institutions culturelles, de ta vision de l'art numérique par rapport au marché de l'art actuel ? Mon combat contre certaines institutions qui représentent le marché international plus que les artistes Français (suivez mon regard ;-) après les performances faites au MoMA comme au Centre Pompidou, est toujours d’actualité et en passe, plus que jamais, d’être gagné, car l’imagination se trouve bien entendu de mon côté. La culture du jamming a encore des beaux jours devant elle pour pouvoir gagner un combat à coup sûr dans le long terme par la dérision, le détournement, la subversion des signes ou la guérilla sémiotique. Que le numérique rentre ou pas dans le marché n’est vraiment pas ma préoccupation. S’il devait y entrer un jour c’est par le biais de structures d’accueil radicalement différentes et un état d’esprit autre des artistes eux-mêmes.

Que devient le Webnetmuseum ? Fred Forest, Chemin de croix, installation. Galerie Christian Depardieu, Nice, 2005.

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Je veux dire des concepts autres que ceux que les artistes des années 70 ont largement créés, comme par exemple, l’a fait Roy Ascott (l’auteur "partagé", "distribué") ou Robert Adrian pour ne citer qu’eux deux. Comme si l’emploi des nouveaux outils avait en quelque sorte asséché les apports d’une réflexion attendue logiquement de nos vœux. Des apports, relevant de l’art, de la philosophie, de l’anthropologie, de la sociologie, que sais-je encore ? Alors que nous avons vu plutôt, et souvent à outrance, les savoirs faire techniques dominer la pensée. Car, enfin, cet engouement, pour ne pas dire cette mode pour les manipulations techniques dans le contexte de l’art, est à mon avis totalement stérile. Totalement stérile, tant qu’on ne peut voir rien d’autre encore émerger dans le champ de l’art à l’horizon des années 2010 que des données d’ordre scientifique, souvent mal digérées, intégrées de fait à l’expression artistique, la dominant et s’y superposant. Génératrice plus, d’une confusion des genres, que d’un éclairage pertinent du point de vue de l’art. La manipulation technique ne pouvant jamais se substituer à la pensée elle-même, même si elle donne quelquefois lieu à de l’invention pratique. Avec des petits génies de la bidouille, qui donnent fort heureusement aux arts technologiques leurs lettres de noblesse. Quand à la vogue qui semble saisir beaucoup d’artistes aujourd’hui pour la contribution participative, sous les regards béats de quelques penseurs ignorants, uniquement parce qu’elle transite par les réseaux sociaux ou Internet, je les renvoie à leurs classiques, ou plus exactement à leurs aînés, qui avaient pour certains d’entre eux, préfiguré déjà l’Internet, avant que celui-ci n’existe…

Est-ce qu'il y aura également des créations/installations nouvelles ? Ah oui ! Il y aura un site critique et contributif sur le fonctionnement des médias [flux-et-reflux.org]. Un site sur lequel les internautes pourront partager en temps réel leurs opinions au sujet de la diffusion de vidéos, que tout un chacun peut voir circuler aujourd’hui sur YouTube. Un thème récurent chez moi que ce regard en biais sur les médias. Une borne, aussi, où l’on devra se déchausser pour offrir son pied au réseau dans le cadre d’une opération œcuménique planétaire, dite du Pied universel, vous invitant à quitter un instant les écrans pour prendre conscience de la partie terminale de votre corps dans sa nudité intrinsèque. Avec le cheminement de tous les pieds scannés circulant sur Internet, nécessairement à des vitesses différentes, pour être déposés dans une banque du pied, sans garantie de les revoir un jour, bien au chaud, chez un provider des Antilles. Enfin, une biennale libre de participation pour les artistes du monde entier, sans institution, sans commissaire et sans censure, par conséquent inédite dans son genre.

Est-ce qu'il y aura aussi des performances/interventions dans le cadre de cette manifestation ? Oui une performance, le jour du vernissage s’effectuant simultanément sur Second Life et dans le lieu de l’exposition, où les internautes comme les visiteurs sont appelés à danser dans le cadre de Wall Street, en quelque sorte pour fêter/dénoncer la crise par un grand bal populaire, rythmé par deux rappeurs américains réunis par Ferdinand Corte avec une vidéo de Robin Alamichel.

Il se porte très bien merci, bien qu’il attende depuis sa création, pour atteindre toute son ampleur, les budgets de la culture nécessaires à ses développements. Budgets qui ne sont jamais venus du fait que les deux égéries qui plombent ses commissions d’attribution, Christine Bravache et Pascale Chassedeau, ont décrété, une fois pour toute, et d’un commun accord, qu’il ne s’agissait pas là d’art ! Soit, ce qui était pensé comme juste hier, l’est déjà un peu moins aujourd’hui et le sera encore moins demain. Mais au demeurant ce n’est pas gravissime quant on constate ce que deviennent les budgets, une fois sur dix, à qui ils sont confiés par ces dames. Il nous suffit d‘attendre notre heure qui ne tardera pas à arriver d’une façon ou d’une autre.

Sur la distance, quelle évolution as-tu observé concernant l'art "technologique" ; les pratiques artistiques qui utilisent et/ou détournent la photo, la vidéo puis l'informatique, le numérique, les réseaux, etc. ? Ici encore l’art “technologique" n’a point innové en matière de concept de détournement depuis les années 80. Il s’est contenté de s’adapter pragmatiquement aux nouveaux supports de communication et d’utiliser la formidable caisse de résonnance que constituent les mass media et plus récemment celle de YouTube et des réseaux sociaux. Que ce soit les Yes Men avec la TV, ou encore les étudiants du Québec par le détournement des noms de domaine et la création de faux sites gouvernementaux à l’occasion de leurs dernières grèves. La forme la plus réussie de détournement étant, à mon avis, celle du groupe Etoy Corporation créé en 1994, qui réunit des centaines de personnes communiquant à distance par Internet pour subvertir, pratiquement en temps réel, des sociétés commerciales ayant pignon sur rue dans le système consumériste.


ART NUMÉRIQUE FRED FOREST

Des formes d’activisme artistique qui se situent entre le politique et l’économie et qui refusent le marché de l’art. Un marché de l’art qui repose sur la spéculation financière, qu’ils jugent antinomique aux valeurs éthiques prônées par le réseau, basées sur le partage et une solidarité désintéressée. Une position qui leur semble la seule raisonnable pour sortir d’une crise avant tout morale, et créer les conditions d’une société meilleure qui puisse préfigurer une nouvelle phase de l’humanité, demain. Ce qui remet en cause une orientation de l’art, tributaire et dépendante, aujourd’hui, de plus en plus des avancées des domaines techniques et scientifiques. Alors qu’il faudrait nous engager plutôt pour une écologie de l’esprit, dont les artistes, selon moi, sont les promoteurs naturels les mieux désignés.

Hors de la dimension purement technologique, est-ce que ces nouvelles technologies ont vraiment redéfini les pratiques artistiques ? Fred Forest devant Wall Street, préparation de son action TheTraders Ball, New York 2010.

On ne peut pas répondre à votre question sous cette forme, car dans la pratique l’art c’est d’abord l’outil avec lequel il est fait qui est primordial. Et de ce point de vue, il est évident que la pratique est radicalement différente entre la technique du numérique et celle par exemple de la peinture, physiquement parlant, comme

Fred Forest : l'homme media n.1, exposition/rétrospective au Centre des Arts d'Enghien, du 25 janvier au 31 mars 2013 aux effets, ne serait-ce que de matière et de lumière obtenus. Par contre, il est beaucoup d’artistes numériques, culturellement et viscéralement attachés à des modèles de la grande peinture, ou voire de la peinture de chevalet, n’ayant pas encore viré leur cuti, qui font, si j’ose dire… de la peinture avec le numérique, pour répondre au goût du jour du public. Certes on peut considérer que c’est un mieux comme avancée par rapport à ceux qui font encore de la peinture avec de la térébenthine, mais je ne suis pas si sûr que ces derniers feront partie de ceux qui auront inventé les modèles visuels et invisuels de demain. Mais, grand bien leur fasse… Donc pour terminer ici mon propos, disons que si les nouvelles technologies n’ont pas encore vraiment redéfini les pratiques artistiques, elles sont en passe néanmoins de le faire par une poignée des plus éclairés des artistes du numérique, et quand on sait qu’il aura fallu à un Marcel Duchamp né le 28 juillet 1887 le temps nécessaire pour devenir l’artiste emblématique qu’il est aujourd’hui, nous avons tout le temps d’être patient…

En dehors des variations "sémantiques" (art médiatique, multimédia, etc.), est-ce qu'il y a une spécificité — des courants ou des pratiques — de l'art numérique en France ? Non, ni en France, ni pas plus qu’ailleurs, maintenant que la mondialisation aplatit tout au même niveau sur la ligne d’horizon.

Quelles évolutions futures entrevois-tu ou souhaiterais-tu par rapport à l'art "numérique" ? Je souhaite des évolutions fulgurantes qui nous laisseront le cul par terre, mais qui ne viendront pas, bien sûr, car la chimie du temps, comme je le souligne un peu plus haut en filigrane, cette maturation exige une longue élaboration durant deux ou trois générations et des changements drastiques de nos contextes culturels, sociaux, économiques, politiques, environnementaux, à moins qu’advienne une écologie de l’esprit qui peut surgir à tout moment si les firmes Apple, Google et Microsoft, conjuguaient de façon désintéressée (?) leurs efforts afin de trouver ce nouveau gadget, miraculeux, et susceptible de tout changer à l’intérieur de nos têtes (rires).

Quel message adresses-tu aux jeunes générations qui ont, notamment, toujours connu un environnement informatique, si ce n'est numérique… ? Je leur adresse le message suivant : à vous de jouer maintenant, nous vous passons bien volontiers le relais, à condition que vous regardiez toujours droit devant vous, comme nous l’avons fait, sans ménager vos efforts et votre créativité, pour trouver à l’aide de ces outils extraordinaires, qui sont nés avec vous, non pas de faire n’importe quelle prouesse technique mais de l’art, mais au-delà de l’art, lui-même, un art qui vise à changer le monde. C’est là votre responsabilité, aujourd’hui, une responsabilité que vous devez assumer vousmême, sous notre regard à la fois attentif, bienveillant et critique. PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT DIOUF (1) De Casablanca à Locarno, l’amour revu par Internet (Grand prix de la ville de Locarno au Festival des arts électroniques, 1995) (2) cf. Art sociologique vidéo (Éditions 10/18, Paris, 1977), Manifeste de l’esthétique de la communication (Revue+ - 0, n° spécial 43, Bruxelles, octobre 1985), L’art à l’heure d’Internet (L’Harmattan, Paris, 2005), Art et Internet (Éditions Le cercle d’art, Paris, 2009)

+ D’INFO : © PHOTO D.R.

< www.cda95.fr/en/node/664 > < www.flux-et-reflux.org > < www.fredforest.org > < www.webnetmuseum.org >

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ART NUMÉRIQUE STRATÉGIE

L’ŒUVRE NUMÉRIQUE DANS L’ESPACE PUBLIC © PHOTO D.R.

Nouveaux commanditaires, 1% artistique, commandes directes… les dispositifs artistiques numériques se doublent de plus en plus de dispositifs de financement insistant sur leur logique de durée dans l’espace public. Une avancée qui ne doit pas éluder une vraie réflexion sur toutes les problématiques liées à ce principe de pérennisation augmentée.

Thierry Fournier, A+, installation vidéo @ Lille 3000 / Lille.

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Le débat aujourd’hui n’est plus de démontrer que l’œuvre numérique a sa place dans l’espace public. Ses diverses modalités d’intégration, des panneaux d’affichage du projet A+ de Thierry Fournier à la transposition sous forme d’installations des marqueurs de géo-localisation Google Maps d’Aram Bartholl (MAP), ont largement intégré la capacité des formats numériques les plus divers à exister dans l’espace réel et urbain. Aujourd’hui, la question essentielle repose davantage sur la capacité de ces œuvres à s’installer durablement dans l’espace public. De nombreux artistes intègrent de plus en plus cette problématique temps

dans leur travail. UVA avec sa voûte lumineuse Canopy à Toronto, le collectif Lab[au], dans le sillage de son travail d’éclairage de la Tour Dexia de Bruxelles il y a quelques années, le collectif Anti VJ très récemment avec Omicron, sa première projection de mapping permanent sur le dôme de 65m de diamètre de la Halle du Centenaire de Wroc_aw en Pologne; ou encore l’artiste japonaise Fujiko Nakaya, dont le Nuage de Mer, Installation de brume# 07015 nimbe les abords de la gare Lille Europe depuis l’ouverture de Lille 3000 cet automne. Des projets qui se multiplient et bénéficient le plus souvent, en France et en Europe, de modalités de financement et de montage de projets qui intègrent ou permettent de réfléchir à une certaine logique de pérennisation de l’œuvre numérique dans l’espace public.

1% artistique Une formule célèbre veut que "quand le bâtiment va, tout va". L’idée d’allouer la somme de 1% d’un budget chantier public à la réalisation d’une œuvre d’art procède donc d’un certain bon sens et s’ouvre de plus en plus concrètement à l’intégration d’œuvres numériques. Déjà habitué à la réalisation de pièces s’intégrant dans l’espace public, comme leur récent panneau circulaire Signal To Noise à

l’aéroport de Toronto, le collectif d’architectes numériques bruxellois Lab[au] s’est attelé à différents projets récents – et d’autres à venir également, avec l’usine AZF de Toulouse notamment – dans le cadre de ce dispositif 1%. Ils ont ainsi réalisé une étrange mosaïque baptisée Moza1que pour La Maison Mécatronique d’Annecy-le-Vieux, un véritable mur de 3m sur 6, divisé en 390 briques individuellement motorisées. Le déplacement informatisé de ces briques, et la projection de lumières colorées permettent de créer à la fois des variations de séquences géométriques en trois dimensions et des jeux d’illuminations apparaissant et disparaissant en vertu des mouvements des composants du mur. Autre projet ambitieux, le Siloscope devrait en principe voir le jour à Vitry-surSeine. Il s’agit d’une construction en LEDs de 24 mètres de haut, une architecture de lumière jouant les phares ou les portes de ville. Inscrites dans une logique de renouvellement urbain mené par les pouvoirs publics, celui de la Maison Mécatronique à Annecy pour le premier et du quartier autour du Quai Jules Guesde de Vitry pour le second, ces œuvres ont donc une logique de durée directement induite dans leur conception "citoyenne". Il en va de même pour le projet Bosuil Lights Quartet : Music for city windows que mène actuellement Antoine Schmitt dans le cadre d'un chantier de rénovation du quartier de Bosuil en Belgique, au financement à peu près similaire. C’est une commande que m’a passé le district de Deurne, une banlieue d'Anvers, pour une œuvre pérenne, explique Antoine Schmitt. C’est un projet qui m'a beaucoup inspiré pour City Lights Orchestra [proposé en décembre au festival L’Ososphère de Strasbourg]. Les deux projets se présentent ainsi comme une symphonie visuelle ouverte pour les fenêtres de la ville et accessibles à tous via le réseau web et ses supports connectés (ordinateurs, smartphones), une partition visuelle se recréant indéfiniment, à partir d’un ADN initial, comme Antoine Schmitt se plaît à l’imager. À Bosuil, le dispositif animera quatre fenêtres artificielles placées sur les quatre plus hauts bâtiments du district, qui pulseront différemment mais ensemble, comme un quartet musical. En Belgique, cette part — qui ne s'appelle pas 1% artistique — ne semble pas autant figée qu’en France. Je ne crois même pas que ce soit obligatoire de placer un pourcentage du budget dans une œuvre. C'est ici un choix de la ville et de ses habitants à travers un comité représentatif, précise Antoine Schmitt.


© PHOTOS CHANG-CHIH CHEN © PHOTO SAMUEL BIANCHINI

Par contre son incidence en terme de pérennisation est là aussi notable. L'œuvre est pérenne et la ville s'engage à la maintenir 15 ans renouvelable, poursuit Antoine Schmitt. A priori, un contrat de maintenance sera mis en place avec le prestataire qui l’installera. Cela induit bien sûr certaines considérations : matériaux les plus simples et robustes possibles, accessibilité, etc. Mais, mis à part une légère augmentation de la complexité de maintenance, totalement

À Distance, Installation interactive de Samuel Bianchini, pour la Maison du geste et de l'image, Paris, 2012-2015, dans le cadre de l'action Nouveaux commanditaires de la Fondation de France (www.nouveauxcommanditaires.eu). Avec le soutien de la Maison du geste et de l'image (MGI), Paris de l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis de l'Atelier Arts-Sciences (CEA Grenoble - Hexagone Scène nationale de Meylan) et de l'association Dispothèque Médiation. Production: Mari Linnman, 3-CA, médiateur agréé par la Fondation de France pour l’action Nouveaux commanditaires.

gérable par des contrats classiques, il n'y a pas de différence qualitative entre une œuvre électronique et une œuvre classique en ce qui concerne la pérennité.

Les Nouveaux Commanditaires S’il n’y a pas forcément de différence qualitative dans le temps, l’œuvre numérique induit un certain nombre de problématiques particulières. Son coût bien sûr (et notamment celui de ses composants technologiques) mais aussi sa conception même. Sa réalisation nécessite un montage de dossier et même un dialogue entre le passeur de commande et l’artiste qui peut s’avérer long et compliqué, notamment quand le client n’est pas une institution publique ou une collectivité, mais un particulier. Destiné à favoriser la commande directe d’œuvres — pas seulement numérique d’ailleurs — par une personne à un artiste, le dispositif des Nouveaux Commanditaires introduit un principe de médiation par un professionnel agréé qui facilite grandement un échange constructif sur la durée. Une procédure qui n’est pas là aussi sans conséquence sur la pérennisation de l’œuvre produite elle-même. Réalisé dans le cadre de ce dispositif, la pièce A Distances de l’artiste Samuel Bianchini occupe depuis le mois d’octobre la devanture de la Maison du Geste et de l’Image à Paris. Elle se caractérise par un monolithe noir installé dans la vitrine principale et qui s’illumine dès que quelqu’un passe devant. Tant que le public se tient à distance, il affiche une image, celle d’un portrait vu de dos, mais en s’approchant, le passant prend la place de la représentation qui devient progressivement lumière. Médiatrice du projet, Mari Linnman —

Aram Bartholl, Map, installation publique, Tapei 2010.

et sa structure dédiée 3-CA — est l’une des huit médiateurs et/ou structures médiatrices agréés par la Fondation de France pour accompagner le dispositif (250 phases d’études réalisées depuis l’introduction du dispositif en 1995). Le dispositif Nouveaux Commanditaires permet au citoyen, sans critères de sélection, de prendre la main et d’initier une commande d’œuvre d’art trouvant son territoire d’expression dans une logique d’intérêt général, en lien avec des questions de sociétés, de développement de territoire, explique-t-elle. Pour A Distances, l’équipe du personnel de la MGI est venue nous voir. Nous avons travaillé ensemble sur un cahier des charges qui a permis au bout d’un certain temps de réalisation, assez long, de poser les bases du projet. Durant ces quelques mois, on parle très peu d’art, on parle davantage du besoin d’œuvre qu’on peut avoir. En clair, on identifie une problématique. Avec la MGI, la problématique à identifier a été : comment s’adresser aux autres ? Comment rendre visible l’existence de la MGI ?

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© PHOTOS D.R.

Stéfane Perraud, Flux, installation monumentale, Gare de l'Est, Paris. Collaboration Technique : Laurent Brun.

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Scenocosme (Grégory Lasserre & Anaïs met den Ancxt), Phonofolia, installation permanente. Maison de l'intercommunalité – école de musique et de danse, Albertville.

Ce n’est seulement qu’ensuite qu’intervient le choix de l’artiste. Je connaissais bien sûr le travail de Samuel Bianchini, sa façon de construire des œuvres qui mettent justement en relation le geste et l’image. Pour moi, il s’agissait donc à l’évidence du choix le plus pertinent. Je les ai fait se rencontrer et j’ai rédigé un contrat d’études pour artiste. C’est là principalement que le dispositif et le rôle de la Fondation de France intervient : en fonction du cahier des charges, la Fondation de France s’engage sur l’étude. C’est très important car, de fait, on ne sait pas si le projet va être mené à son terme. C’est donc quelque chose de très lourd à porter pour un particulier. Pour Samuel Bianchini, travailler dans le cadre de ce dispositif était une première mais l’expérience ne lui a pas déplu. C’est un dispositif spécifique car on n’élabore pas tout seul, reconnaît-il. Le point positif est qu’au-delà de la commande, il s’agit d’une commande guidée par un besoin. Il y a une véritable utilité du projet artistique, en termes politique, en termes de communication, voire au sens du design (…). Il y a une forme d’utilité de l’œuvre sans la convertir forcément en une œuvre utile. L’élaboration du projet a cependant été plutôt longue. Il y a eu une période importante d’immersion. Il m’a fallu apprendre à connaître le lieu, son activité, son public particulier. L’idée était que le processus de création soit plus important que le résultat. Du coup, ça a été assez long. D’autant plus que j’ai essayé de pousser le projet dans une véritable recherche autour de la création d’une technologie, mais

on n’y est pas arrivé pour des raisons économiques. Les projets Nouveaux commanditaires sont de toute façon toujours très longs. En moyenne deux/trois ans, pour A Distances, ça a duré environ quatre ans. À l’arrivée, l’installation est donc contractualisé pour trois ans renouvelables, mais pour les personnes impliquées dans le projet, la perspective de sa pérennisation passe avant tout par une véritable réflexion budgétaire, notamment sur les questions de maintenance. Il est en effet difficile de défendre des œuvres qui se pérenniserait sans qu’on prenne le temps de réfléchir ou de renégocier la maintenance, souligne Mari Linnman. Pour Samuel Bianchini, on devrait d’une manière générale, prévoir un véritable budget de maintenance car réfléchir à cette question de la pérennisation, c’est aussi réfléchir par ce système de garanties à la viabilité économique et technologique du projet. C’est très compliqué car on est sur des budgets tendus et jusqu’à présent on préfère assurer en amont. (…) Même les artistes ne sont pas toujours conscients de ce problème.

Commandes d’œuvre directe Face à cet enjeu important du budget et des coûts de réalisation technologique ou de maintenance — de médiation également — dans une logique de pérennisation, la commande d’œuvres directement passée à des artistes constituent une option non négligeable. Dans ce cadre, une structure comme Digitalarti agit souvent comme porteur du projet et coproducteur artistique,

comme sur les tous nouveaux dispositifs : Lumifolia de Scenocosme à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et Flux de Stéfane Perraud à la Gare de l’Est. Commande directe avec appel d’offres passé par Aéroports de Paris pour être installé à Roissy — Charles de Gaulle, Lumifolia fait suite au projet Phonofolia, œuvre pérenne financée sur du 1% artistique et se trouvant à la Maison de l'intercommunalité — école de musique et de danse d’Albertville depuis octobre 2012. Lumifolia est un jardin sonore interactif, proposant un espace de déambulation, de rencontres et d'expériences sensorielles, incorporant un principe supplémentaire de luminosité. Comme dans de nombreux travaux de Scenocosme, le son procède de l’interaction entre les personnes présentes et le feuillage des végétaux. Le visiteur fait ainsi émettre un son à la plante en s’en approchant, un son plus vif encore si la personne touche la feuille. L’intensité de cette interaction est ensuite retranscrite en notes de couleurs, les quatre arbres du dispositif étant liés à quatre lampes "soleils" dans un espace scénographié… La pièce a été livrée le 15 décembre, pour une période de deux ans, et est située au terminal 2C de l’aéroport de Roissy, entre la zone de contrôle frontières et la zone de livraison bagages. Elle introduit donc un peu de "vie" dans une zone de transit plutôt blafarde. Nous utilisons les plantes comme des capteurs naturels et vivants, sensibles à des flux énergétiques divers, précise Gregory Las-

UVA (UnitedVisualArtists), Canopy, Toronto.

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© PHOTOS MAXIME DUFOUR, D.R.

ART NUMÉRIQUE STRATÉGIE Fujiko Nakaya, Nuage de mer, installation de brume #07015 @ Lille 3000 / Lille Europe, Lille.

serre. Et en interprétant cette sensorialité par des interactions diverses, nous rappelons que notre environnement est fait non pas de choses inertes, mais vivantes, réactives. Chaque partie de la plante (feuilles ou tiges) est réactive. Lorsqu'une personne physique la touche, cette variation lumineuse devient plus forte, plus chaleureuse et intense. Et lorsque plusieurs personnes caressent ensemble la plante, son intensité lumineuse s'amplifie d'autant plus. Travailler au sein d’un terminal aéroportuaire apporte également une dimension supplémentaire. Faire un projet dans un aéroport en zone protégé est plus compliqué, souligne Grégory Lasserre. Il faut respecter des règles administratives et sécuritaire très strictes. Chaque élément doit être vérifié et validé par différents organismes de manière très protocolaire. Le soutien logistique de Julie Miguirditchian et de l’équipe de Digitalarti a été capital pour la faisabilité de ce projet. Mais l’artiste n’est pas inquiet outre mesure sur les conditions de dégradations diverses et d’entretien technique qui ne manqueront pas de se poser. Ces questions se posent aussi lorsque nos œuvres sont exposés dans des musées sur de longues durées, parfois plus de six mois. Nous sommes extrêmement méticuleux et rigoureux sur le matériel que nous fabriquons, testons, et utilisons. Nous prévoyons aussi toujours des systèmes d'assistance et de maintenance technique à distance. Il est aujourd'hui facile de prendre la main sur des ordinateurs à l’autre bout de la planète via le réseau. Pour son projet Flux, qui va transcender la rosace de la Gare de l’Est pendant quatre mois, Stéfane Perraud a reçu une commande directe (sans appel d’offres). Flux y est présenté du 17 décembre au 23 mars, avant une éventuelle reconduction pour une plus longue période. L’installation joue avec le flux de voyageurs (100 000 personnes par jour), en créant un jeu d’illumination fluctuante sur la rosace de la gare orientée vers le Boulevard de Strasbourg.

Une localisation particulièrement visible de jour comme de nuit conçue à partir de modules de LEDs fixées sur une barre aimantée au contact direct de la structure métallique intérieure de la rosace. Son animation lumineuse s’effectue heure par heure, en fonction de l’arrivée des voyageurs. Elle n’est pas déclenchée par des capteurs, ni par une interaction physique, mais par une base de données stimulant des petits points lumineux, dessinant une fleur et ses pétales, et représentant un voyageur entrant. Ceux-ci varient en fonction des horaires (heures creuses, heures de pointe, etc.) : les couleurs chaudes et bleutés correspondent aux petites affluences : les couleurs blanches aux heures d’affluence. Grâce au système utilisé en RVB, différents scénarios de luminosité et de colorations variables se dévoilent aussi (pour Noël, le Jour de l’An, la Saint-Valentin, etc.). Malgré les contraintes techniques du projet — comme celle concernant l’accrochage, particulièrement rigoureux du fait que la rosace est classée aux monuments historiques —, son insertion visuelle sur un espace public aussi fréquenté correspond au souhait de Stéfane Perraud de repenser l’usager-spectateur dans son rapport à l’environnement urbain. Je m'intéresse beaucoup aux données liées à l'activité humaine, explique-t-il. Pour cette installation lumineuse à la Gare de l’Est, j'ai été attiré par la circulation intense liée aux flux de voyageurs générés. En montrant aux voyageurs cette cartographie des flux, j'essaie à la fois de mettre en relation les passagers entre eux, de leur faire prendre conscience collectivement des déplacements et de poétiser cette cartographie par un symbole très simple, un point lumineux égale un homme, une femme. Au-delà de la reconduction potentielle de l’œuvre, Stéfane Perraud a déjà anticipé dans son approche la question de la pérennisation. J'utilise souvent des lumières pro-

grammées qui me permettent de gérer plus ou moins le temps de vie d'une sculpture, dévoile-t-il. Une Led n'est pas une ampoule comme les autres, car sa vie moyenne est de 10 ans. Elle est ici directement soudée à un ensemble de composants, ce qui ne facilite pas l'entretien, ni la rénovation. D’autant plus que chacun de mes projets est fait sur mesure et très souvent à la main. Je les conçois avec un programme spécifique qui "économise" le plus possible, leur vie mais qui ne l'assure pas pour l'éternité ! De fait, et sans aller jusqu’à l’éternité, la logique de pérennisation de l’œuvre numérique dans l’espace publique ne peut pas se résumer par la seule question de sa maintenance. Sa pertinence, en lien avec l’obsolescence rapide de ses composants technologiques, mais aussi avec sa propre évolution artistique, se pose également. La principale difficulté concernant la pérennisation est liée à la maintenance, mais aussi à la dimension d’œuvres qui puissent être variables, affirme ainsi Samuel Bianchini au sujet de sa pièce A Distances. Mes œuvres ont souvent pour atout de pouvoir être évolutives, et c’est une idée que l’on a intégré avec les commanditaires. Il est donc probable que je refasse des workshops pour changer les images qui réagissent au public. LAURENT CATALA

O (Omicron), installation permanente de Romain Tardy & Thomas Vaquié / AntiVJ.

Lab[au], Signal to noise, installation sonore, Toronto.

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PROFIL GRÉGORY CHATONSKY

GRÉGORY CHATONSKY

IMAGE ET FLUX… Qu'il s'agisse de vidéos ou d'œuvres en réseau, de petits dispositifs ou d'installations sonores, les pièces proposées par Grégory Chatonsky s'attachent à rendre visible ce que l'on ne voit pas, ou ce que l'on ne voit plus, d'en saisir les traces, d'en exhumer les rhizomes, sans faire l'économie d'une inscription dans le réel, dans une géographie urbaine et humaine… L'image, fixe ou animée, et le flux ("technologique, corporel ou physique") sont "le fil conducteur principal" de ce travail, "même si ce fil est tumultueux et tourbillonnaire…"

© PHOTO D.R.

Capture, Musée d'art contemporain de Montréal surproduction numérique (2010).

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Pour commencer, peux tu revenir sur les pièces présentées, en ce mois de décembre, dans le cadre d'Ososphère ("Notre Mémoire, Les Villes au loin, À l'image du texte")… Thierry Danet m'a proposé de participer à Ososphère. J'y avais présenté une installation il y a une dizaine d’années, donc c'était une reprise de contact. Thierry connaît très bien mon travail, je crois qu'il saisit les différents fils de ma production, sa cohérence. Je me suis rendu à Strasbourg pour découvrir cette usine qui a été abandonné du jour au lendemain. C'est un endroit étonnant, étrangement habité comme beaucoup de lieux désaffectés. On a décidé avec Thierry de présenter des pièces sur la disparition et la mémoire afin de former un récit qui rencontrerait la tonalité du lieu. Notre mémoire est un disque dur hors d'usage qui produit des cliquetis qui sont récupérés et dont je me sers pour faire des requêtes visuelles dans Google. Ainsi l'incident devient la source d'un autre fonctionnement par traduction formelle. Les villes au loin sont une ville générée à partir de sentiments et L'image du texte est un texte de Beckett dont chaque mot est traduit aussi en images sur Internet, de sorte que le livre devient une série visuelle contingente, mais ces écarts de langage sont autant de zones de significations possibles pour le spectateur. Le livre devient alors une spéculation visuelle.

Ainsi que sur "Das Ding II", qui fait suite au Forum sur la Démocratie ayant eu lieu à Strasbourg et est présentée uniquement en ligne… Le Forum sur la démocratie à Strasbourg était sans doute un peu formel, mais il y avait sans doute là quelques réflexions… Je n'étais pas là, Laura Romero a enregistré des fragments de discussion, des atmosphères sonores et a précisément localisée sur un plan chacun de ces sons. J'ai ensuite modélisé l'espace en 3D et j'ai spatialisé chaque son dans son lieu d'origine. On peut dès lors se déplacer dans l'espace, traverser différents sons et reconstituer


© PHOTO D.R.

peu à peu ce qu'il y a entre tous ceux-ci. Ce travail s'inscrit dans une recherche plus large que je mène depuis plusieurs années avec des projets comme Revenances (2000) ou encore Interstices (2006) sur la fiction interactive et spatialisée, fiction qui ne serait plus tenue par une temporalité narrative, mais par une reconstitution espacée. Il me semble qu’il y a un lien entre cette manière de se déplacer et une certaine promesse démocratique, la promesse d’une place publique avec ses conflits et ses amitiés, ses rencontres et ses séparations.

Peux tu aussi revenir sur "Somewhere", proposé dans le cadre de l'exposition "virtuelle" "La Vanité du monde", organisée par SPAMM (Super Art Modern Movement) / Arte Creative…? Somewhere (2009) fait parti des projets quotidiens; c’est-à-dire ceux dont j’ai le désir le matin et qui sont terminés le jour même. J’aime cette légèreté et cette indépendance, pouvoir tout faire de A à Z dans son home studio et puis diffuser sur Internet sans attendre la décision d’un institutionnel. C’est un site qui détourne Google Maps en tirant au hasard un lieu quelconque. On se retrouve n’importe où sur terre. Puis, pendant quelques minutes, on se déplace sur ce lieu qu’on ne connaît pas la plupart du temps. Cet hasard n’est pas insignifiant parce que Google est en train de quadriller la terre de manière systématique que ce soit avec Maps ou StreetView sur lequel j’avais réalisé un autre projet autour du cinéma (Vertigo@home, 2006). Google est une entreprise ontologique de partage entre la terre et le monde.

En février aura lieu l'exposition "Télofossiles" au Musée d'Art Contemporain de Tapei : quelles circonstances ont présidé à l'organisation de cet événement ? Et en quoi consistent ces installations…? J’avais été invité par Shuling Sheng l’année dernière à Taipei pour une exposition sur la lumière et j’étais tombé sous le charme des Taïwanais et de ce pays. Je suis régulièrement invité en Asie par Paul Devautour à Shanghai dans son incroyable école Xi Yi Tang ou à l’institut franco-japonais par Samson Sylvain, mais Taipei croise toutes ces régions et ces influences. De surcroît, c’est un lieu très ouvert sur l’art technologique, avec le Digital Art Center et le musée d’art contemporain qui a pu organiser en un an une exposition personnelle qui investie la moitié de ce grand bâtiment. Pour ceux qui connaissent le fonctionnement d’un musée national, cela relève de l’exploit, et puis il reste rare qu’un artiste repéré comme “numérique” puisse s’inscrire dans un tel espace en solo. Je dois avouer que c’est la ténacité de Shuling Cheng et de Sylvie Parent, les deux commissaires de cette exposition, qui l’a rendue possible, ainsi que le désir du directeur du musée et de toute son équipe. Télofossiles est une exposition qui regroupe différents projets sur la destruction du monde que j’ai réalisé depuis 2001. Il y a donc une quinzaine d’installations numériques et analogiques. Ce qui m’intéresse dans ce thème est moins le côté apocalyptique que le caractère esthétique et sensible de la destruction, la manière dont un objet oscille entre le réalisme et l’abstraction, entre le fonctionnement et l’incident, entre la totalité et des fragments, entre la relation et la solitude.

L’exposition se clôt par un environnement monumental réalisé en collaboration avec Dominique Sirois et dont l’univers sonore est composé par Christophe Charles. Il s’agit de se placer après la destruction, quand tout ceci, cette civilisation, ces machines, nous auront tous disparus. En finir avec le romantisme qui ne cesse de mettre en scène le drame humain pour préférer voir les choses en face. Il ne restera plus alors que la surface d’une terre désertique et muette, une terre en notre absence. Si une conscience découvre cette terre, si elle creuse le sol, elle découvrira de nombreux objets enfouis dont elle ne connaîtra pas l’usage. Elle pourra les observer, les manier comme des choses précieuses dénuées de fonction instrumentale. Serait-ce cela une œuvre d’art ? Le temps qui passe sur nos traces ? La disparition des vies humaines ? C’est une spéculation qui nous place en notre propre absence. Je m’interroge beaucoup sur cette esthétique autonome, sans sujet, sur des échelles de temps démesurées dans lesquelles nous nous plongeons en devant anticiper notre mort. On verra cette immense terre désertique, des fossiles technologiques, des affects enregistrés sur Internet. L’espace ce clôt par une question : le visiteur met un casque EEG. S’il se concentre une lourde porte de métal se déplace vers l’avant et frappe le mur du white cube. Il doit ensuite se détendre pour que la porte recule et puisse refrapper le mur marqué par la concentration des visiteurs précédents. Le casque oblige le public à adopter une manière de penser en alternant l’attention et l’inattention. La porte obstinément frappe le mur de l’exposition.

Télofossiles, exposition personnelle au Musée d'Art Contemporain de Taipei, du 2 février au 14 avril 2013. www.mocataipei.org.tw/blog

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© PHOTO D.R.

Transcription, installation interactive en réseau (2013).

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D'une manière générale, lorsque l'on regarde ton travail, on a l'impression que tu privilégies souvent des dispositifs simples, dans leur fonctionnement — de petits logiciels de calcul ("Au moment de ma mort") et/ou de génération aléatoire ("Cette absence"), un vidéo-projecteur… Cela dépend de chaque projet. Certains sont complexes comme les fictions interactives et génératives ou le groupe de rock Capture, d’autres sont plus simples. Mais simple en quel sens ? Techniquement ? J’avoue que je suis peu sensible à cette question parce que je refuse de me placer du côté de l’innovation et du fonctionnement technologique. Ce qui m’importe est plutôt le caractère ambigu et paradoxal des propositions, c’est cette complexité spéculative qui m’intéresse. On peut faire des installations énormes avec beaucoup de capteurs, des trucs qui clignotent partout et qui amusent le public, mais au bout d’une minute on a compris, on a fait le tour, on a épuisé les possibles parce qu’il n’y en avait aucun, et puis en utilisant cette esbroufe technologique on participe d’une société de domination. Une grande partie de l’art numérique relève de cette logique de l’animation socio-culturelle. Au moment de ma mort est effectivement très simple, presque idiot. C’est une horloge qui compte le temps à partir de ma naissance. Ce temps est mon temps. Nous avons le même temps, un temps physiologique pour moi, un temps langagier pour elle. Mais au moment de ma mort, il ne restera plus que ce temps numérique qui continuera à avancer et qui ne sera plus la contemporanéité de ma vie, mais le monument de ma naissance.

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On fête parfois la naissance des célébrités, les 158 ans d’Arthur Rimbaud, comme si ceux-ci étaient éternels. Ma mort sera en ce sens un événement pour un logiciel, de la même manière que la disparition d’Opalka a changé ses peintures. Dans Cette absence, un logiciel capture une image de votre webcam à un moment aléatoire et vous renvoi celle-ci par email à un moment tout aussi aléatoire. Ainsi vous vous recevez en étant étranger à vous-mêmes. Peut être n’étiez-vous même pas devant votre ordinateur. Vous verriez alors votre appartement étrangement habité par la machine à la manière de la maison dans Lost Highway.

Le son est également prépondérant dans les installations interactives que tu proposes… en termes d'ambiance, de résonance, etc. Sur quels paramètres délimites-tu la dimension sonore d'une pièce…? J’ai du mal à séparer le son des autres éléments. Souvent cela vient ensemble, comme un tout. Il arrive, comme dans Notre mémoire que le son soit un élément opérationnel du dispositif, puisque le son est traduit, ou encore que la question de l’industrie musicale soit posée comme dans Capture (2009) qui est un groupe de rock génératif si productif que personne ne peut (ne veut ?) tout écouter, ni le public ni les prétendus auteurs dont je fais parti. J’ai beaucoup de respect pour la question sonore, c’est pourquoi je travaille régulièrement avec des musiciens, comme pour la fiction en réseau Sur Terre (2005) dont la bande son associait Fennesz, Scanner, Atau Tanaka, Pita et bien d’autres[1]. Ou encore, ma collaboration fréquente avec Olivier Alary. Il y a bien sûr quelque chose

d’étrange qui se passe entre les images, le son et le texte, une difficulté de langage...

Depuis les toutes premières photographies retravaillées sur Amiga à la fin des années 80, on constate que l'image (photo, vidéo) est souvent au centre de tes créations… L’image est effectivement le fondement de mon travail. Très concrètement, je suis devenu artiste parce qu’enfant je ne cessais de dessiner, c’était une passion insatiable. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont pris au sérieux cette passion et qui m’ont envoyé à des cours de dessin très jeune et visiter le Louvre de façon hebdomadaire. Ma passion ne commence donc pas du tout par les technologies. Ceci n’est venu que dans un second temps, comme un moyen pour l’image lorsque le hasard a fait que j’ai pu en 1986 travailler à Canal+ sur l’une des premières Paint Box en France. L’image reste quelque chose d’absolument fascinant et mystérieux, la puissance de l’image, cette chose qui ne devrait pas avoir lieu et qui produit un lieu.

Images reprisent sur Google, générées sur des pages web… Il est parfois difficile d'expliquer ce qu'est le net-art : quel en est ta définition ? La question de la définition d’une forme artistique est problématique en général, alors même que le propre de la production artistique est de mettre en danger les définitions. On peut définir le netart selon une perspective greenbergienne comme référence au médium : le netart serait ce qui ne peut exister que sur Internet et par Internet, se nourrissant du réseau et devenant le réseau.


PROFIL GRÉGORY CHATONSKY

Tu pratiques aussi ce que l'on pourrais appeler l'auto-fiction virtuelle ("My spaces, My life is an interactive fiction, Au moment de ma mort")… Il y a un moment, il y a des endroits ou la vie devient impersonnelle, ou il ne s’agit pas de sa vie factuelle constituée d’une suite d’événements heureux ou malheureux, mais d’une vie absolument contingente. C’est cette vie là qui m’intéresse et que j’essaye de toucher dans mon travail. Je ne sais pas si le terme d’autofiction est adapté, ce serait plutôt l’inverse, quelque chose comme un hétéro-réalisme : dire cet homme comme je pourrais dire n’importe quel homme (ou femme). Il est donc souvent question de dépossession et d’anonymat. Dans My spaces ce sont des souvenirs d’enfance qui n’ont fait l’objet d’aucune trace photographique que j’illustre avec des vues aériennes de Google Maps. Dans Ma vie est une fiction interactive II, j’ai envoyé pendant 30 jours dans un lieu d’exposition (Oboro, Montréal) les alternatives auxquelles j’étais confronté (tourner à droite ou à gauche dans une rue) et je laissais au public le choix de décider. Ainsi, pendant un mois ma vie ressemblait à un jeu vidéo où je butais contre un mur, parce qu’il fallait non seulement que quelqu’un soit là mais aussi qu’il décide de choisir. Une vie impossible donc, cette vie sans doute.

Tu as réalisé plusieurs œuvres en collaboration (Reynald Drouhin, Jean-Paul Civeyrac, Jean-Pierre Balpe…). Quels "avantages" et limites — s'il y a lieu — retiens-tu de cette modalité de fonctionnement… ? Je suis en même temps très solitaire, au sens ou je peux réaliser des travaux tout

En parallèle à tes activités artistiques, tu es enseignant. Que t'apporte cette confrontation avec des étudiants qui ont toujours baigné dans un univers numérique/informatique…?

Laocoon, moulage (2011). seul, et très solidaires parce que j’adore travailler avec d’autres. C’est tout simplement une histoire d’amitié. Très tôt, au lycée lorsque j’étais en arts plastiques je faisais des travaux avec mes amis. C’était une manière très belle de vivre l’amitié, de dire qu’on partageait quelque chose d’important, qu’on était capable d’oublier nos egos et nos intérêts personnels, de faire quelque chose de concret. C’était aussi sans doute parce que je venais d’un milieu underground dans lequel on faisait des groupes de musique, des fanzines, des concerts, etc. J’aime le travail d’équipe lorsque plusieurs personnes, pour des raisons différentes, tendent vers un objectif commun. Sans doute est-ce en lien avec ce que je disais sur l’existence : quelque chose d’impersonnel au cœur même du plus intime.

Tu partages ton temps entre la France et le Canada (Québec) : y a t-il une différence notable quant au soutien institutionnel accordé à l'art numérique, à sa place dans le circuit de l'art contemporain ? De façon générale, la situation des arts numériques (à supposer qu’une telle terminologie soit justifiée) est plus fluide au Québec. Il existe beaucoup d’infrastructures d’aide tant en production qu’en diffusion comme la SAT, Elektra, Oboro et tant d’autres. Ce sont souvent les artistes eux-mêmes qui ont créé ces structures et qui ont pris en main leur destin. Les institutions classiques sont ouvertes, elles appréhendent l’art numérique comme de l’art. Point. Par ailleurs, au niveau national et provincial, les règles d’évaluation des subventions sont beaucoup plus explicites et les artistes font partie des comités décisionnels. C’est un biotope très agréable dont la France devrait s’inspirer pour assouplir l’atmosphère parfois un peu lourde qui y règne. C’est surtout l’implication collective des artistes qui est différente. On ne peut pas demander à un pouvoir administratif d’être autre chose que ce qu’il est surtout quand on le laisse tout seul.

L’enseignement ne se distingue pas de mon activité artistique. Il ne s’agit pas d’une confrontation avec les étudiants, mais plutôt d’un échange à égalité parce que je ne sais rien de plus qu’eux. J’essaye de me mettre à leur écoute, de les aider techniquement, conceptuellement dans leurs projets, d’augmenter leur pouvoir d’agir. Le simple fait de se rendre disponible au travail d’un autre est une joie. Ces échanges sont émouvants pour moi, parce qu’ils m’obligent à reposer certains de mes réflexes d’artiste à leur racine. C’est touchant de voir des travaux se faire, hésitants, fragiles, parfois au bord de l'effondrement et du miracle. Je pense que je ne pourrais pas autant produire si je n’enseignais pas.

+ D’INFO : < http://chatonsky.net >

Pour conclure, d'une manière générale et avec le recul, comment juges-tu l'évolution technologique (informatique, technologies de communication, internet, etc.) et son impact sur la création artistique ? Il y a un impact conscient, lorsque l’art questionne la technique en tant que technique, mais il y a aussi un impact inconscient puisque tout le monde, même les pires ennemis du numérique, n’arrêtent pas de naviguer sur Internet, d’écrire des textes sur Word (ou Open Office), peut être jouissent-ils ici aussi. Sans doute les technologies configurent-elles un nouveau rapport entre la terre et le monde, mais cela n’a-t-il pas toujours été le cas ? Mais quant l’impact est trop conscient, il peut devenir naïf et littéral, lorsque les artistes adoptent les dernières innovations parce que c’est disponible, lorsqu’ils suivent les modes technologiques. Il faut mieux se décaler, du dedans, mais se décaler, là encore les flux. PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT DIOUF [1] La bande-son de cette installation a été éditée en France par le label Ytterbium sous le titre Soundtrack For Variable Fiction [NDLR]

Das Ding II, site internet (2012).

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Au-delà de cette figure autophage moderniste, je pense qu’Internet a été pour ma génération un monde, pour ceux qui avaient une pratique numérique ou non. Internet a modifié notre accès au monde et c’est pourquoi il a affecté l’art contemporain en son ensemble et non pas une chapelle particulière. Le réseau a transformé la manière de faire de nombreux peintres. Il a transformé la manière de travailler, d’accéder aux autres artistes, de monter les expositions, d’écrire des articles, etc. Ce qui est paradoxal c’est que la victoire d’Internet, la société étant de plus en plus connectée, signe la mort du net-art qui perd sa spécificité. C’est sans doute pour cette raison qu’actuellement le net-art est de plus en plus nostalgique de lui-même et répète des formes obsolètes comme les gifs animés, les formulaires html, etc. Cette nostalgie vintage saisit l’ensemble de la société avec des cycles de plus en plus court, le revival 2000 est déjà en marche, de sorte que nous allons être prochainement nostalgique de nous-mêmes et de notre propre présent.

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INNOVATION ARTS & SCIENCES

LE DIAPASON DES ARTS ET DES SCIENCES En mettant en relation autour de projets concrets artistes et chercheurs, l’Atelier Arts Sciences de Grenoble s’inscrit dans un rapport de défrichage à long terme, où de nouvelles expériences porteuses, comme celles actuellement développées autour des nouvelles écritures, élaborent de nouvelles perspectives technologiques, artistiques, mais aussi citoyennes. Rencontre avec Antoine Conjard, directeur de l'Hexagone - Scène Nationale de Meylan, et initiateur de l'Atelier Arts Sciences. L’Atelier Arts et Sciences est une structure plutôt originale. Depuis quand existe-t-il et quelle est sa mission, sa vision stratégique ?

© PHOTO LAURENCE FRAGNOL

Michele Tadini et Angelo Guiga, La Terza Luce (prix A.R.T.S. 2011).

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La création de l’Ateliers Arts Sciences remonte à 2007. Elle procède d’un accord entre le CEA et le Théâtre de l’Hexagone. Il y a aussi d’autres partenaires comme le CCSTI (Centre de Culture Scientifique Industrielle et Technique) de Grenoble. L’idée est de permettre à des artistes d’avoir le temps et l’argent nécessaire pour pouvoir développer un objet commun, en collaboration avec des scientifiques, des technologues. Cela comprend toute une phase d’appropriation, d’échanges, d’évaluation des attentes de chacun, de façon à

construire un véritable projet viable. Le temps pour chacun des projets est donc très variable. Cela peut prendre la forme de séminaires ou de résidence de trois ou quatre jours, ce qui permet ensuite à chacune des parties de pousser plus loin la recherche, de l’affiner. On n’est pas dans une logique de résidence à long terme. Certains projets nécessitent cependant une adaptabilité supplémentaire, notamment ceux qui vont fabriquer de la technologie car les difficultés sont plus grandes. Cela a été le cas pour l’une de nos premières collaborations, celle avec Annabelle Bonnéry qui travaillait sur des capteurs de mouvement sur différentes parties du corps. On s’était aperçu que le temps que le traitement du signal s’effectue, la retranscription du mouvement se faisait avec une demi-seconde de retard. Ce décalage constituait un vrai problème pour la réalisation et la dimension forcément sensible et poétique du projet. Alors les ingénieurs du CEA sont retournés dans leur labo pour refaire un nouveau protocole d’échanges. Ils sont parvenus à réduire le décalage à 5 millisecondes ce qui n’était plus détectable pour l’œil humain. En ce moment, Ezra [NDLR : talentueux beatboxer] travaille lui aussi sur le projet

Bionic Orchestra 2.0, nécessitant des échanges, des allers retours sans arrêt, en l’occurrence un gant lui permettant de contrôler directement sur scène la modulation de la lumière et des sons. Il est venu récemment passer une semaine sur le plateau pour faire plein d’essais de traitement électronique. Sont également en cours les travaux autour de la lumière menés par le compositeur Michele Tadini, avec Gille Le Blevennec et Angelo Guiga du CEA. L’objectif est de composer de la lumière comme on composerait de la musique.

Ça c’est pour la partie développement des outils en quelque sorte, mais vous soutenez en ce moment d’autres types de collaborations ? Oui, nous avons un deuxième axe de travail qui se consacre plus à la façon dont les nouvelles technologies modifient le monde, une approche plus anthropologique en quelque sorte. Nous développons un programme Nouvelles Connaissances, Nouvelles Écritures. C’est encore pour l’instant à une échelle un peu empirique, mais ça va se développer avec les projets que nous menons actuellement, comme celui avec le dramaturge québécois Daniel Danis. Dans la même logique, il y a la compagnie les Ateliers du spectacle (Daniel Chouquet, Balthazar Daninos, Clémence Gandillot, Léo Larroche) et leur projet Le t de n-1, présenté à Arcueil, à Anis Gras, le 18 janvier. On les accompagne dans leur protocole d’écriture, qui vise à montrer comment ça marche dans le cerveau d’un mathématicien. C’est une démarche scientifique et en même temps poétique, des sortes d’haïku visuel, des objets poétiques qui durent cinq à dix minutes.

La dimension budgétaire doit avoir une incidence non négligeable sur la réalisation des projets ? Comment subventionnez-vous les artistes dont vous portez les projets ? On fait bien sûr en sorte qu’ils soient payés, mais les financements sont variables en fonction des projets. L’aspect technologique est bien sûr très important et sous-entend une partie de négociations non négligeable. Le CEA assure ainsi une partie des financements, mais on part aussi en chercher d’autres comme dans le cadre du FEDER (Fonds Européen de Développement Régional). La reconnaissance croissante de l’atelier fait que l’on rentre dans le cadre de financement pour des institutions de recherche, comme ceux de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche). Il est important de souligner que cette phase de recherche est un moment primordial dans l’élaboration des projets.


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reste à sa place et chercher à favoriser des espaces de croisement. L’artiste n’a pas vocation à devenir chercheur et réciproquement. Cependant, on peut toujours trouver des contre-exemples. Adrien M est de ceux-là. Il a une thèse en informatique et en même temps c’est un artiste. Il vient brouiller les pistes et rappeler qu’on ne peut pas faire de généralités.

Ce transfert vers le monde économique est-il la raison d’être première d’un salon comme "Experimenta" que vous tenez une fois par an ?

C’est donc une phase à financer indépendamment de la phase de création pure, de l’approche artistique. Pour celle-ci, nous essayons de trouver plutôt des financements et des subventions culturelles.

Ce travail de collaboration entre artistes et chercheurs se passe-il toujours bien ? Est-ce qu’une phase d’immersion réciproque dans l’univers de l’autre est vraiment indispensable ? Ce principe d’immersion est quasiment systématique. Souvent, les artistes ont des pré-requis, s’imaginent des choses sur le monde scientifique et les scientifiques ont aussi leurs préjugés. Il y a toujours nécessité de passer par cette phase de mise en relation. Et puis si certaines fois ce sont des préjugés négatifs, cela peut être aussi une forme d’admiration paralysante : des artistes qui ne s’estiment pas au niveau ; des scientifiques qui se jugent limités, se considèrent seulement comme de petits techniciens. La notion de creuset partagé que porte l’Atelier Arts Sciences est donc très importante et sa réussite est aussi le fait d’un important travail de médiation. Il y a des moments d’exaltation mais aussi de doute. Là, par exemple, on travaille avec Yann Nguema sur un gros projet de dispositif, un afficheur 3D pour réfléchir à la manière de faire de la sculpture à partir de LEDs. Comment être sûr que les parti-pris techniques ou technologiques sont les bons ? C’est aussi ça la recherche.

La finalité pour les artistes comme pour les chercheurs étant aussi de trouver des débouchés économiques pour leur travail, comment se passe l’accompagnement des projets après leur réalisation ? Aidez-vous les artistes à déposer des brevets de leur création technologique par exemple ?

veau, au vu de la politique actuelle et de l’évolution dans le temps de notre activité, plutôt artisanale au départ, mais qui a quand même mené à la création de nombreux dispositifs à travers les douze projets menés par l’Atelier Arts Sciences : comment transposer ces dispositifs dans le domaine industriel ? J’ai l’impression qu’en France, on n’a pas encore compris, notamment du côté des industriels, le poids incontournable qu’a pris la culture. Dans son article publié dans Le Monde [du 04/12/12], Laure Kaltenbach, membre fondateur du Forum d’Avignon met en comparaison les 240.000 emplois du secteur automobile en France avec les 545.000 emplois du secteur artistique. C’est plus du double ! Tout cela participe de l’ambigüité et des difficultés actuelles.

Au vu des projets passés par l’Atelier Arts Sciences, croyez-vous à une hybridation possible des pratiques ? À l’avènement annoncé par certains, surtout à l’ère numérique, d’un véritable artiste-chercheur ? Ce qui nous intéresse avant tout, c’est un projet, un dispositif, qui part de l’action culturelle et qui vient au contact du monde de la recherche. On a toujours défendu le principe d’un artiste d’un côté et d’un artiste de l’autre. Pour moi, il n’y a pas de domaine art/science. Il faut que chacun

Il y a aussi l’idée de partager le travail de l’Atelier avec le public ? Est-ce le rôle des "rencontres-i" ? Les rencontres-i sont la biennale de l’Atelier Arts Sciences. La prochaine édition aura lieu en octobre 2013. Le contact avec le public est quelque chose qui nous intéresse fortement. Nous partons au départ de considérations artistiques et scientifiques, mais notre souhait est de les voir interroger des questions de territoires, des questions sociales. Ce sont les grandes questions d’aujourd’hui. Nous réfléchissons en ce moment à la thématique 2013 qui devrait être : comment aller à la rencontre du futur ? C’est une vraie démarche citoyenne. À notre façon, à notre échelle, nous construisons le progrès. On pourrait choisir de rester dans notre coin, avec nos technologies pointues. Mais il nous semble plutôt important de se poser une vraie question, même si celle-ci est parfois mal perçue : comment peut-on partager le progrès ? C’est là encore un véritable enjeu. PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT CATALA

+ D’INFO : < www.atelier-arts-sciences.eu >

Castagna & Ravelli, Le Chromatophore — Degrés de lumière.

© PHOTO LAURENCE FRAGNOL

Anabelle Bonnéry (Cie Lanabel), Virus // Antivirus.

Experimenta est un espace de rencontre entre artistes, scientifiques et industriels. À notre échelle, on ne maîtrise pas forcément ce qui se passe ensuite dans les discussions entre artistes et industriels, mais de belles histoires se font parfois. On est surtout content de voir que de plus en plus d’entreprises se déplacent, des entreprises de logiciels, de nouvelles technologies.

La question du brevet est épineuse. Un brevet coûte cher et n‘est souvent accessible qu’à des structures disposant de beaucoup de moyens et d’une véritable assise juridique. On travaille donc plutôt sur une logique d’open source. Par contre, il y a maintenant un véritable enjeu nou-

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INSTALLATION ROBERT HENKE

ROBERT HENKE

LIGNES DE FUITE Curieuse impression au moment de se glisser entre les tentures noires qui obstruent le grand hall du Lieu Unique à Nantes : mélange de curiosité, d'excitation, d'inquiétude aussi… C'est la première fois que nous allons être confronté à "Fragile Territories", une installation tentaculaire réalisée par Robert Henke.

On lui connaissait quelques dispositifs, plus modestes par leur taille (Transition machine, Traffic, Cyclone) qui faisaient appel essentiellement à de la vidéo et des interactions sonores. Là, le primat va à la lumière de faisceaux laser qui scintillent, crépitent et s'éparpillent comme des lucioles selon des algorithmes alambiqués… Le tout dans une ambiance sonore très dark-ambient, révélant la face obscure de Robert Henke qui

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poursuit par ailleurs ses explorations minimal-dub et chaotiques sous le nom de Monolake… Entretien.

Comment as-tu conçu "Fragile Territories" ? Sur quelles bases techniques et conceptuelles ? J’ai longtemps été fasciné par la qualité spécifique de la lumière laser. Il y a environ deux ans, j'ai décidé qu'il était temps pour moi d'explorer

pleinement ce support. Le reste s'est passé par étapes, à partir d'une idée initiale relativement modeste et de nombreuses recherches, je suis parvenu à l'installation actuelle où quatre projecteurs laser dessinent des formes sur un mur, le tout accompagné de son. La fascination pour ce support vient du fait qu'il s'agit d'une très belle lumière intense et, en même temps, vraiment difficile à maîtriser.


© PHOTO JIMMY MOULD

La seule façon de créer des formes est de déplacer des miroirs de manière très rapide et très précise. Cela demande énormément d'un point de vue technique, mais la restriction conduit aussi à des décisions artistiques intéressantes. On doit travailler avec le support et intégrer ses limites à son travail, ce qui est formidable.

La "bande son" qui accompagne "Fragile Territories" s'apparente à une boucle

drone/dark ambient qui, comme les traces laissées par les lasers, n'a ni début ni fin… Quelques mots sur ce choix… Certains aspects de l'image et du son sont très bien synchronisés, d'autres n'ont que des liens distendus ou sont complètement indépendants. Le lien le plus évident est une ombre noire qui semble se déplacer à travers l'espace tous les 4,2 secondes et qui est accompagnée du son d'une grande lame qui tranche

l'air. Les sons et la partie visuelle sont créés en utilisant des techniques stochastiques, de l'aléatoire contrôlé qui permet une variation constante à l'intérieur de certains paramètres prédéfinis. Ainsi, on est à l'opposé de la boucle, plutôt dans quelque chose qui change constamment. On reste dans un domaine similaire, mais sans jamais vraiment se répéter, ce qui est très important à mes yeux.

Robert Henke @ Fabric, The Ghosts in surround Tour, Londres, Mars 2012.

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Territories" est une pièce > "Fragile immersive, mais tes précédentes installations sonores reposaient plus sur des dispositifs interactifs et des vidéos… Quelques mots également sur ce nouveau champ d'expérimentation…

À ÉCOUTER : Monolake, Ghosts (Imbalance Computer Music, 2012)

Pour moi, c'est de l'histoire ancienne, j'ai toujours voulu travailler ainsi, il m'a juste fallu un peu de temps pour me décider à commencer. À bien des égards, le travail sur l'installation laser est très similaire à la façon dont je travaille en musique. Je définis les structures qui produisent des sons. Dans ce cas précis, ces structures créent des formes visuelles. D'un point de vue conceptuel, il y a très peu de différences.

As-tu déjà d'autres projets de ce type ou faisant appel à d'autres protocoles techniques ?

© PHOTO ROBERT HENKE

Je n'en ai pas fini avec ce support. Au cours de mes recherches et de la

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Fragile Territories. Installation co-réalisée avec La Cité, le Centre des Congrès de Nantes et le festival international de science-fiction Utopiales, jusqu'au 6 janvier 2013 au Lieu Unique à Nantes. > www.lelieuunique.com

préparation de Fragile Territories, j'ai soulevé un grand nombre de sujets très intéressants qu'il me faudrait explorer davantage. J'ai délibérément décidé de n'en utiliser qu'une petite partie dans ce projet là, parce que je voulais me concentrer sur un nombre restreint d'idées. Le risque, lorsqu'on fait quelque chose pour la première fois, c'est de s’enthousiasmer à outrance quant aux possibilités techniques et de se retrouver avec une vitrine de démonstration au lieu d'une œuvre bien définie.

Lors de la soirée de vernissage, tu as fais un live-set qui a commencé très soft, dans l'esprit "microscopic-music", puis la tonalité générale a évolué vers des choses plus minimal/dubby-groovy avant de finir avec des morceaux carrément breakbeats comme on peut en trouver, par exemple, sur ton dernier album "Ghosts" (cf. "Lilith", etc.)… Est-ce que l'on peut dire que cela résume les différentes approches musicales de Monolake...? Je pense que oui. J'essaie d'arriver à un grand nombre de productions distinctes en utilisant un ensemble très limité de concepts sous-jacents. J'aime pouvoir naviguer, partir de drones et de paysages sonores pour aller vers une musique très rythmée et revenir à mon monde intérieur. Je crois que, plus je produis d'oeuvres, indépendamment du support, plus les principes sous-jacents s'éclairent et quelques contradictions potentielles se résolvent également pour le public.


© PHOTO ROBERT HENKE

INSTALLATION ROBERT HENKE

En parrallèle, les compositions que tu signes sous ton nom, Robert Henke, semblent plus ambient/expérimentales et souvent dédiées, justement, à des installations… Quel distinguo musical fais tu entre ces deux signatures (Monolake et Robert Henke) ? Monolake est destiné à un public debout et susceptible de bouger sur la musique. C'est en général plus axé sur le rythme. Robert Henke représente mon côté plus introverti, plus expérimental et dans ce cas, pour les concerts, je préfère un public assis qui puisse vraiment s'immerger dans la musique.

On connaît ton implication dans l'élaboration du logiciel Ableton Live. Peux-tu nous dire, en quelques mots, quelles nouvelles applications, effets ou interfaces souhaiterais tu développer... ?

J'en suis presque totalement sorti. Même si j'aime développer des logiciels, j'ai décidé de consacrer mon temps à utiliser cet outil, ou d'autres, pour la création. Mon statut actuel est plutôt celui d'un consultant. Par ailleurs, comme c'est l'usage, la politique de l'entreprise ne permet pas de parler de l'avenir. Tout ce que je peux en dire, à ce stade, c'est que Live 9 sortira bientôt, qu'il marche bien et contient quelques nouvelles fonctionnalités que j'aime vraiment beaucoup.

Au printemps 2013, tu seras artisteinvité à la prestigieuse Université de Standford où tu enseigneras la composition / ordinateur et performance… Peuxtu nous en dire plus sur cette résidence ? Pour une raison qui dépasse mon imagination, le département de

musique a pensé que je pourrais être la personne adéquate pour donner des cours sur les sujets mentionnés ci-dessus et préparer un concert avec mes étudiants. C'est donc ce que je vais faire au printemps. Par ailleurs, je compte profiter de cette occasion pour apprendre autant d'eux que, je l'espère, ils apprendront de moi. Ce projet me remplit de joie et d'enthousiasme. J'aime enseigner et j'aime le défi de le faire face à des étudiants qui, dans un grand nombre de domaines, en savent beaucoup plus que moi. Je m'attends à ce que des discussions, assez intéressantes et sources d'inspiration, émergent de cette expérience.

Robert Henke, Fragile Territories (installation), Le Lieu Unique, Nantes, Décembre 2012.

+ D’INFO : < www.monolake.de >

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT DIOUF INTERVIEW PUBLIÉE SUR DIGITALMCD.COM / COURTESY: MCD

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ART NUMÉRIQUE INTERVIEW

PETER WEIBEL DIRECTEUR DU ZENTRUM FÜR KUNST UND MEDIENTECHNOLOGIE Peter Weibel est artiste, commissaire et théoricien des médias. Il a tout d’abord exploré l’art de la performance avant de découvrir le potentiel créatif des médias et technologies. Mais il a aussi été directeur artistique d’événements d’art numérique ou commissaire d’expositions dédiés aux nouveaux médias dans l’art, tout en dirigeant le ZKM de Karlsruhe. Tout le monde connaît votre travail de théoricien et de commissaire d’exposition, mais c’est tout d’abord en tant qu’artiste que vous investissez la scène artistique. Je me souviens de votre installation "Possible" (1967), de son effet de surprise ! L’illusion, tout comme la surprise, ne seraient-elles pas des notions récurrentes dans les arts médiatiques ?

© PHOTOS ULI DECK

ZKM.

Les êtres humains sont dirigés par les illusions. Vous pouvez appeler cela le désir, la motivation, ou toute autre chose, le fait est que l'illusion n'existe pas. C'est un espace de possibles. Vous savez qu’elle n'existe pas, mais vous pouvez la concrétiser. Je ne dirais jamais cela au sens platonique, classique ou ontologique, qui fait la distinction entre réalité et possibilité. Je dis simplement que le possible est inscrit dans le réel (…). Wittgenstein a dit, le monde est ce qui existe. Ce n'est pas vrai. Le monde est bien plus, c'est ce qui n'existe pas. De sorte que l’espace du possible est beaucoup plus

vaste que l’espace de ce qui existe. Ce qui existe dépasse ce que nous pouvons conceptualiser. Ce que nous pouvons formaliser par le langage est moindre par rapport à ce que nous pouvons conceptualiser. Normalement, les gens pensent qu'il est possible de décrire entièrement une chose. En fait, nous pouvons penser à beaucoup plus que ce que nous pouvons décrire par le langage. Mais ce qui existe dans la nature dépasse ce que nous sommes capable de penser. On ne peut l'approcher que lentement. En ce sens, le monde est un continuum du possible, de ce qui n'est pas fermé. Autrefois, l'expression la plus pure de cette idée était la science. Puis, pendant longtemps c'est devenu l'art. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, mais longtemps, l'art s'est apparenté à la science (…). La surprise et l'innovation font toujours partie de la science, de l'art aussi, tant qu'il se situe dans la même veine que la science. De nos jours, l'art est une chose à part…

Cela a commencé avec le postmodernisme, car avec lui on pouvait faire des citations. Il n'était pas nécessaire, comme dans l'art moderne, d'avoir recours à l'innovation. Ainsi, le postmodernisme a tué l'illusion, la science, etc. Je pense qu'un art de bonne qualité contient toujours un élément de surprise. C'est ce que j'essaie de faire dans mon travail (…). J'ai envie de surprendre à la fois d'un point de vue technique et conceptuel.

Vous avez été le Directeur Artistique d’"Ars Electronica", le premier des festivals dédiés aux pratiques artistiques émergentes. Le succès grandissant de telles manifestions, notamment en Europe, ne trahit-il pas l’incapacité des institutions muséales à intégrer de telles pratiques ? Le plus grand problème c'est le marché. J'ai observé que les œuvres des plus grands artistes des médias — comme Bill Viola ou Nam June Paik — ne sont jamais vendues aux enchères (…). Le marché des enchères concerne seulement la sculpture, la peinture et les arts graphiques. Même lorsque vous portez un nom célèbre comme Bruce Nauman, qui fait des installations vidéo et des sculptures, ses sculptures sont vendues aux enchères, mais pas ses œuvres vidéos. L'acceptation de l'art des médias s'est opérée par les festivals et les biennales (…). La plupart des musées ont encore peur des médias, ils suivent la logique du marché, ils exposent toujours les mêmes artistes, les artistes du marché (…). Nous avons donc besoin de plus en plus de biennales et de festivals. C'est malheureusement la seule plateforme où l'art des médias peut être montré.

Vous comptez parmi ceux qui ont théorisé sur le virtuel ou l’interactivité. Or n’est26 - digitalarti #12


© PHOTO VOLKER NAUMANN

ce pas la meilleure des définitions relatives à l’interactivité que vous donnez en 2008 lorsque vous présentez "Fiat Lux" (1967), de Yaacov Agam, à l’entrée de la Biennale d’Art Contemporain de Séville ?

La récente exposition "Digital Art Works", au ZKM, s’articulait autour des problématiques de conservation des œuvres numériques. Est-ce si important de préserver des œuvres que l’on pourrait aussi bien considérer comme éphémères en les documentant avec des médias appropriés comme on le fait pour les installations "in situ" ou les performances artistiques ? La conservation de ces œuvres éphémères, le fait de les conserver sur la durée est un problème de taille. C'est un projet crucial sur lequel nous travaillons au ZKM. Nous possédons nos propres laboratoires et de nombreux artistes le savent et viennent nous demander de l'aide. Je pense qu'il s'agit de l'élément essentiel : comment voulez-vous conserver les œuvres vidéo qui utilisent de vieux moniteurs ou les œuvres de Dan Flavin à base de lampes fluorescentes (…). Nous avons des tubes cathodiques. J'ai donc acheté, environ 400 vieux moniteurs et des choses de ce genre tant qu'il est encore temps (…). J'ai vraiment envie de devenir le Louvre de l'art des médias des 500 prochaines années. De même avec notre exposition Video Vintage. Avec une œuvre vidéo, les spectateurs devant leur poste de télévision observent les spectateurs à l'intérieur de ce téléviseur. L'erreur concernant cette télévision est la projection d’une œuvre de Bill Viola sur le mur, comme au cinéma (…). Avec l'idée du spectateur inversé, il devient évident que la cassette vidéo doit être visionnée sur un moniteur. Vous ne pouvez pas la regarder comme un film. C'est comme si dans les arts traditionnels quelqu'un disait "c'est une peinture" alors qu’il s’agit d’une aquarelle.

Dans l'art classique, on a l’aquateinte, l’aquarelle… Il existe des centaines de nuances dans les catégories de dessins, d'arts graphiques et de peinture. Personne ne laisserait passer un catalogue où il serait dit qu’il s’agit d’une peinture alors que l’on voit un dessin. C'est idiot. Mais dans les médias, nous avons un sacré niveau d’idiotie. Les gens disent que c'est un film, mais c'est une vidéo. Les gens disent que c'est une vidéo, mais c'est un film (…).

L'art des nouveaux médias n'offre-t-il pas l'occasion de revisiter l'histoire de l'art au travers de pratiques réactivées ? Un grand pan de l'art moderne, comme le pop art et l'art cinétique, a été redécouvert grâce à l'expérience des médias. Cela remonte à la peinture romantique, la peinture de paysage et, encore plus tôt, à la perspective. Matisse a fait des plaisanteries : si quelqu'un peint une perspective, c'est comme s’il faisait un trou dans le mur. Lorsque quelqu'un peignait une perspective, tout le monde voulait une surface plane, à l’ancienne. Nous avons aujourd'hui des ordinateurs qui contiennent toutes ces variables pour pouvoir faire des objets merveilleux dans l'espace. Nous avons redécouvert la perspective (…). La recréation par Bill Viola de peintures classiques a ouvert les yeux de beaucoup de gens, les obligeant à observer de plus près des mondes d'artistes, à voir les choses différemment. La plus grande victoire de l'art des médias n'est pas seulement qu'il existe, mais précisément l'influence que les médias ont sur la peinture et la sculpture. Aujourd'hui, de nombreuses sculptures, tout comme le land art ou l’art de la performance, sont documentés par la photographie et la vidéo. C'est le seul matériau qu'il nous reste. On peut donc dire que les médias sont devenus le matériau exclusif de la sculpture et des performances. Nous produisons pour les médias.

ZKM.

Ainsi, le triomphe des médias réside dans les effets qu’ils produisent sur des formes d'art qui leur sont antérieures (…).

Dans une société façonnée par les technologies du numérique, les artistes exploitant ces mêmes technologies ne sont-ils pas les plus à même pour nous donner des lectures ou interprétations du monde ? C'est précisément mon axiome. Cela a commencé avec Seurat, le maître, le plus scientifique des impressionnistes. Il a dit, je tiens à donner une image de mon temps avec les moyens de mon temps. Quand notre monde est créé par les médias électroniques, les artistes sont les plus à même de donner une image du monde contemporain en utilisant les moyens par lesquels le monde contemporain se construit. Ainsi, dans 100 ans, quand les gens voudront savoir comment c’était au 20è siècle, ou dans 200 ans comment c’était au 21e siècle, les meilleurs témoignages seront les arts des médias — que ce soit des installations vidéo, des installations informatiques ou autres. INTERVIEW PAR DOMINIQUE MOULON LE 02 NOVEMBRE 2012, À KARLSRUHE, EN ALLEMAGNE

+ D’INFO : Peter Weibel < www.peter-weibel.at > ZKM < www.zkm.de >

ZKM.

© PHOTO FABRY

C'est l'œuvre parfaite pour expliquer ce qu'est l'interactivité. Cela signifie que le spectateur est au même niveau que le commissaire. Yaacov l'exprime très bien. Fiat Lux, vient précisément du fait que la lumière artificielle prend sa source dans l'électricité. Les Arts Électroniques contiennent toujours le mot "électricité" et plus petite particule d'électricité est l'électron. Les Arts Électroniques sont en fait un travail sur la lumière artificielle (…). La différence entre l'art numérique et la vidéo, le cinéma ou la photographie, c'est l'interactivité. Aucun de ces autres médias ne peut être interactif. Le cœur même de l'art électronique c'est l'interactivité. À l'heure actuelle, nous avons accès à toutes ces plateformes de réseau, toutes ces révolutions soutenues par les médias sociaux. Les médias sociaux ont pour effet l'interactivité des médias électroniques (…).

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PROFIL ANNE-MARIE DUGUET

ANARCHIVE Anne-Marie Duguet est une dame discrète, mais incontournable dans le monde de l'art des nouveaux médias français et internationaux. En retraite (forcée) de l'université, elle est l'une des premières théoriciennes de la vidéo (cf. "Vidéo : la mémoire au poing", Hachette - Collection l'Échappée Belle, 1981) et des arts électroniques (comme on disait avant le numérique).

Commissaire d’expositions (dont "Artifice(s)" qui a marqué la monstration des nouveaux médias en France), théoricienne des premiers pas de la vidéo, vous êtes sur tous les fronts, mais pourquoi devenir AUSSI éditrice ? Je n’ai jamais eu l’intention de devenir éditrice. Je le suis par défaut, presque par hasard, parce que je n’ai pas rencontré d’éditeur assez audacieux, ou disons assez inconscient, pour m’accompagner dans cette aventure. Devenir éditrice était le seul moyen d’être autonome et d’assurer la survie de la collection. Mais je trouve aujourd’hui que c’est un travail vraiment intéressant, pour lequel j'aurais aimé avoir plus de compétences.

Qu’elle a été l’idée première d’"Anarchive" ? © PHOTO D.R.

connaissances. Outre la poursuite de la collection Anarchive, j’ai plusieurs projets d’exposition que j’aimerais faire assez vite et deux livres sur lesquels je travaille depuis un moment. C’est déjà beaucoup ; trop certainement.

L’art numérique, ou l’art des nouveaux medias, est-il selon vous assez soutenu en France ?

Fujiko Nakaya & Anne-Marie Duguet.

Avant tout le monde, elle est entrée dans l'ère numérique en accompagnant un nombre incalculable d'artistes pionniers des nouveaux médias dont elle a suivi les études, le travail, les expositions et la carrière. Tête pensante (avec l'artiste Jean-Louis Boissier) du festival Artifices qui, entre 1990 et 96, mit la Seine Saint-Denis à l'heure de l'art de demain. Tout au long de sa trajectoire, Anne-Marie Duguet a fait fi des frontières tant géographiques et professionnelles. Elle a fait œuvre sur tous les fronts et, depuis 13 ans, elle est même devenue éditrice ; figure de proue d'une collection transmédias Anarchive. Après l’Espagnol Muntadas, le français Kuntzel, le canadien Snow, le suisse Otth, c'est aujourd'hui le tour de la japonaise Nakaya (qui vient de réaliser hjhjhj cet été, une commande publique pour Lille 3000) de signer ce dernier opus d’Anarchive : Fog ñ∂ Brouillard. Retour sur l'art des nouveaux médias selon Anne-Marie Duguet, sur l'aventure Anarchive et le volume #5 qui met en lumière Fujika Nakaya, la magicienne qui sculpte le brouillard.

Anne Marie Duguet, aujourd’hui retraitée de l’université, vous semblez toujours aussi active, pourquoi et quels sont vos prochains défis ? La "retraite" dans le domaine de la recherche ne signifie rien pour moi. Il y a tant d’œuvres, et de champs de savoir qui stimulent toujours ma curiosité, tant d’approches diverses à mettre en relation pour affiner nos

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Il est mieux soutenu en France, je pense, que dans d’autres pays. Il existe des bourses, même si elles ne sont jamais assez nombreuses, des lieux d’exposition s’ouvrent peu à peu, et surtout l’enseignement des technologies s’est largement développé dans les écoles d’art et les universités. Bientôt peutêtre l’utilisation de technologies dans les œuvres, à quoi renvoie vaguement le label d’"art numérique" (que je n’aime vraiment pas), sera devenue suffisamment familière pour que l’on n’en fasse plus une catégorie à part, comme cela est arrivé avec la vidéo. Il n’y aura plus que des projets exigeant des aides spécifiques dont l’importance doit pouvoir varier en fonction de la complexité des techniques impliquées.

De la vidéo à des artistes comme Maurice Benayoun, Grégory Chatonsky ou Samuel Bianchini, vous avez vu les artistes s’approprier les nouvelles technologies à vitesse grand V. Comment voyez-vous évoluer les rapports entre les artistes et les technologies de demain ? La familiarisation et la banalisation de ces technologies dans le quotidien, à la portée d’un plus grand nombre de personnes, devraient permettre une maturité de ces rapports, augmenter les exigences du public, et réduire les effets de surprise ou le caractère spectaculaire reposant avant tout sur la technique et qui font souvent seuls la notoriété de ces œuvres. Je ne suis pas contre la surprise ni le spectacle quand ils sont portés par des idées. Et le spectacle de la technique peut être aussi une idée critique. Je pense ici à Nam June Paik, ce formidable techno-idiot.

Depuis le début, il s’agit de constituer une mémoire de l’ensemble de l’œuvre d’un artiste à travers de multiples documents d’archive, et d’encourager la création de réalisations multimédias originales, en particulier une recherche sur les interfaces, au delà de la seule base de données.

Créer "Anarchive" est-il le reflet d’une urgence ? Oui le projet a commencé quand j'enseignais et écrivais sur la vidéo et les nouveaux médias. J’étais constamment confrontée au problème du manque de documents pour parler du processus de création et de l’œuvre même. J’avais la chance, en voyageant beaucoup, de pouvoir faire l’expérience d’œuvres telles que les installations, mais comment la communiquer, comment décrire et analyser de telles réalisations sans pouvoir s’y référer visuellement ? J'ai constaté alors à quel point les archives des artistes étaient lacunaires, les photos souvent mauvaises quand elles existaient, les dessins préparatoires en partie perdus, etc. Il fallait d’urgence profiter de la présence de l’artiste pour faire passer leur mémoire vive dans un autre type de mémoire. L’urgence est toujours actuelle, mais les artistes plus jeunes tendent à penser la mémoire de l’œuvre et sa promotion en même temps qu’ils la conçoivent. Ils ont leur site web, ils documentent leurs travaux, et sauvegardent au fur et à mesure les données mises à disposition du lecteur. Ce n’était pas le cas, ou du moins pas aussi systématiquement, pour beaucoup d’artistes jusque dans les années 90.

Cinq ouvrages en 13 ans, l’aventure se poursuit mais semble laborieuse ! Pas 13 ans, mais 18 ans !! Nous avons commencé à travailler sérieusement sur le projet avec Antoni Muntadas en janvier 1995. "Laborieux" est un adjectif un peu péjoratif, mais oui chaque projet est le résultat d’un long "labeur", soumis à toutes sortes de vicissitudes, d’imprévus, où il faut ajuster en permanence des préoccupations et des


© PHOTO SHIGEO OGAWA

temps de travail différents… Et puis il est difficile souvent de savoir où il faut arrêter la recherche d’archives…

Comment choisissez-vous les artistes que "collectionne" "Anarchive" ? C’est l’œuvre qui me porte vers l’artiste, pas une œuvre, mais un ensemble, une attitude à l’égard de l’art et de la création dont il me semble nécessaire de préserver la mémoire. Les artistes sollicités travaillent généralement avec plusieurs médias, et plus particulièrement avec les images électroniques, la performance et les installations. Mais surtout à l’origine il y a toujours une expérience, une “alerte” intellectuelle, une émotion, qui me conduit à proposer ce projet à l'artiste. Il faut aussi qu’il aime, ou du moins accepte, de travailler avec une équipe (graphiste, programmeur, historien d’art…) et qu’il y ait entre nous un minimum d’affinités, qu’une confiance et une connivence s’établissent. Ceci est une condition essentielle.

Comment s’est passé le choix de Fujiko Nakaya qui est en dehors d’un travail sur l’image et les NT comme Muntadas, Snow, Kuntzel ; les précédents artistes concernés par "Anarchive" ? On ne sait pas assez que Fujiko Nakaya est non seulement une pionnière des sculptures de brouillard mais aussi de la vidéo au Japon. Elle a participé à la création du premier collectif vidéo Video Hiroba, a ouvert la galerie vidéo SCAN, et elle a aussi réalisé plusieurs vidéos dès 1971. Et puis les sculptures de brouillard produisent d’étonnantes images, vous ne trouvez pas ? Ou bien elles peuvent servir d’écran incertain, fragile à des images projetées. Elles sont aussi tout à fait interactives… Je pense que l'on a souvent une conception trop étroite de la technologie, trop limitée à la production d'images, quoiqu'avec le développement de la robotique, le regain d’intérêt pour l’art cybernétique et cinétique, cela change. Les sculptures de brouillard de Fujiko Nakaya impliquent paradoxalement une technologie lourde et assez complexe.

Combien de temps prend la collection des données d’un "Anarchive" ? C’est toujours très long car nous travaillons avec des artistes qui ont déjà une longue carrière derrière eux et donc en principe beaucoup d’archives; il faut retrouver des documents éparpillés, les restaurer parfois, les compléter souvent, les numériser, les classer… Pour tout ceci, la participation des artistes est indispensable. Et comme ils continuent à travailler et que le projet d'Anarchive n'est pas de les en empêcher, l’organisation du temps consacré à la collecte des données est aussi dépendante de leur disponibilité.

Faire un numéro d’"Anarchive" est-ce faire œuvre d’exposition monographique ? D’une certaine manière oui, mais l’espace est ici virtuel et c’est là une grande part de la

recherche qui m’intéresse. La conception de l'interface est une étape clé de chaque Anarchive, c’est-à-dire la définition d’un espace à parcourir, les passages entre les données, leurs possibilités de confrontation. Comment va-t-on se déplacer dans cette mémoire, quels modes d’exploration seront les plus pertinents par rapport à l’œuvre, aux principes essentiels qui la caractérisent ?

Qui sera le prochain, vous citez beaucoup de noms de Gerz à Hill en passant par Viola, Fujihata ou Hatoum, le travail semble être immense ? Oui, il y a beaucoup d’artistes avec lesquels nous aimerions faire un titre d'Anarchive et qui ont signé un accord de principe, parfois il y a 15 ans !! Le prochain sera Masaki Fujihata, avec qui la recherche a commencé depuis longtemps. Mais le "prochain" sera vraiment celui/celle qui pourra consacrer du temps à ce projet, et pour lequel, très concrètement, je trouverai des financements !

Il n’y a pas si longtemps une analyse sur les artistes des nouveaux médias disait que, s’ils étaient si mal collectionnés par les institutions, c’était parce que les critiques d’art n’en parlaient pas assez et que donc les collectionneurs privés ne s’en préoccupaient pas ; et ainsi de suite ! Qu’en pensez-vous ? Il est vrai que la critique joue un rôle important dans la promotion des œuvres. Les collectionneurs ont l'argent, mais pas toujours la formation nécessaire pour se faire une opinion personnelle, alors ils passent par des intermédiaires : les critiques qui restent peu nombreux et pas toujours très critiques d’ailleurs. Il faudrait initier davantage les responsables des collections au développement des œuvres impliquant les technologies avancées.

"Anarchive" peut palier ça ? L'objectif d’Anarchive n’est pas de promouvoir les œuvres, les artistes avec lesquels nous travaillons n’ont pas vraiment besoin de nous pour cela. Ils sont en général suffisamment connus déjà. Mais il y a disons des

retombées dont nous nous réjouissons. Par exemple, je suis contente que l’œuvre de Fujiko Nakaya puisse être mieux diffusée en Europe. Et le titre d'Anarchive y contribue un peu. Mais l'œuvre de Jean Otth, le 4ème titre, reste encore trop secrète et c'est très dommage. Nous n'avons sans doute pas assez travaillé à donner plus de visibilité à Anarchive.

Foggy Forest, 1992, Parc Showa Kinen, Tachikawa, Tokyo, Japon.

Aujourd’hui l’édition est-il le seul média envisageable pour médiatiser et conserver le travail de ces grands artistes ? De plus en plus d'institutions, musées ou bibliothèques, se soucient de conserver traces et documents multiples sur les arts éphémères, performances, programmes informatiques, installations, etc. L’édition numérique est un mode de médiatisation parmi d’autres. Je pense que la description précise d’œuvres comme les installations est une manière de les "conserver".

Considérez-vous "Anarchive" comme un musée, ou une alternative ? Non ce n’est certainement pas un musée. La mémoire est vivante, et grâce à Internet elle peut être constamment actualisée et enrichie. Nous nous efforçons maintenant d’adapter les anarchives publiées pour Internet. Digital Snow est déjà accessible en ligne, et bientôt le premier titre Media Architecture Installations de Muntadas.

+ D’INFO : Fujiko Nakaya, Fog ñ∂ Brouillard (Anarchive n.5, livre + DVD-rom + DVD-vidéo, septembre 2012) www.anarchive.net

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-JACQUES GAY

FUJIKO NAKAYA est une grande artiste, presque inconnue en Europe car son travail in situ est peu vu, souvent mal photographiable et tellement expérimentable qu’il doit être senti de l’intérieur. Pionnière de la vidéo nippone, cette fille de physicien qui étudie aux USA pour devenir peintre, parcourt l’Europe et revient à New York, en 1966, se joindre aux expériences réunissant artistes et ingénieurs : les Utopies Bauhausiennes qui aboutiront à la création d’E.A.T (Expériment in Art and Technology) où des scientifiques collaboreront à Cage, Tinguely, Cunningham, Warhol et Fujiko ! C'est ainsi que naquit la première sculpture de brume de Nakaya (le Pavillon Pepsi lors de l'exposition universelle d'Osaka de 1971). Aujourd’hui, l'aventure de Nakaya continue avec Fog, sa première monographie qui rassemble ses textes, dessins, peintures, vidéos et films de 50 œuvres; dont ses sculptures de brouillard réalisées entre 1971 et 2011. Fog est un Anarchive qui réinvente la rencontre entre art, science et technologie.

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FEEDBACK ART SONORE

SOUND ART @ ZKM, MAC & 104 Le futuriste italien Luigi Russolo, durant les années 1910, envisageait déjà le son tel un medium en jouant des "bruits" avec son instrument intitulé Intonarumori. Depuis, nombreux sont les artistes ou plasticiens sonores qui participent de ce que l’on nomme aujourd’hui le Sound Art. Des centres d’art tel le ZKM de Karlsruhe, le MAC de Lyon ou le Centquatre, à Paris, en font l’écho. © PHOTO D.R.

Se faisant, il s’approprie les témoignages de gens ordinaires pour les magnifier dans le musée. Cette pratique du video sampling à l’ère du partage global relève, une fois encore, d’une forme relationnelle.

La synthèse de toutes nos peurs

Douglas Henderson, Stop, 2007.

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De l’appropriation des pratiques amateurs Y a-t-il encore des différences entre les pratiques vidéo amateurs et professionnelles quand nous sommes tous potentiellement directeurs de nos propres chaînes de télévision sur Internet ? Relèveraient-elles de l’intention, de la popularité ou plutôt des espaces de diffusion ? Quand une vie entière ne suffirait pas à la visualisation de toutes les séquences relatives à la saisie du mot "chat", en anglais, sur YouTube ! C’est en effectuant une telle recherche que l’artiste américain Cory Arcangel a collecté les films amateurs documentant les quelques pas d’innombrables quadrupèdes sur autant de pianos, entre autres synthétiseurs ? Il donne volontiers, à qui veut s’y intéresser, le nom de l’application qui lui a permis d’ordonner les échantillons selon les notes de l'opus 11 des trois pièces pour piano (Drei Klavierstücke, 1909) d'Arnold Schoenberg.

À chaque catastrophe, industrielle ou naturelle, correspond une sirène. Et tous les enfants, n’ayant pas connu la guerre, ont joué un premier mercredi du mois sur le son grave, puis strident et tournant, d’une sirène de midi. Rien qu’en France, on en dénombre plusieurs milliers qu’on imagine aisément aux formes et couleurs les plus diverses. Or c’est précisément de cette diversité dont il est question dans la pièce de Tyler Adams intitulée Sirens et datant de 2012. Celui-ci en a assemblées seize, toutes différentes, au sein d’une grille vidéo. Mais cette chorégraphie est menaçante car elle précède l’horreur dans nos imaginaires. En fusionnant les sons de multiples sirènes, l’artiste se joue de toutes nos peurs associées. Et l’on se met à penser aux sirènes qui ont joué durant la Seconde Guerre mondiale, à celles qui fort heureusement sont restées silencieuses durant la Guerre Froide comme à celles qui retentissent aujourd’hui en Syrie, en Israël ou à Gaza. Car il y a toujours, quelque part dans le monde, une sirène qui retentit. N’ayant généralement pour écho que les silences de ceux qui vivent en paix.

Chronique d'une mort annoncée Les gestes de Christian Marclay, dans le film Guitar Drag, sont mesurés. Sans précipitation aucune, il attache une Fender Stratocaster par le manche à un Pick Up qu’il démarre enfin. C’est alors que la destruction annoncée s’amorce, que le dernier des solos est étiré jusqu’à sa fin. Une plainte infinie ! Et il y a le son, sur le chemin, qui est plus chaotique encore. Enfin, l’œuvre s’interrompt quand l’amplificateur n’a plus rien à amplifier. Le concert est terminé. On pense inévitablement à Pete Townshend ayant pris pour habitude d’extirper les

derniers sons de ses guitares en les projetant violemment sur le sol ou à Nam June Paik tirant, plus tranquillement, un violon derrière lui. À moins qu’il ne faille envisager l’horreur de crimes racistes consistant à tracter des hommes, pour la couleur de leur peau, derrière des camions comme se fut encore le cas au Texas en 1998. Mais la violence, dans le film de Christian Marclay datant de 2000, se situe davantage dans la préparation. Quand la sentence a été prononcée et quand la préparation est comparable au cérémonial qui précède l’exécution dans le couloir d’une mort annoncée.

La plasticité du silence Il est, au ZKM, une autre guitare électrique qui s’est tue quand elle a été à demi enfouie dans un bloc de béton par l’artiste Douglas Henderson. L’œuvre Stop, date de 2007 et pourrait être considérée comme un hommage de plus aux 4’33’’ de silence que John Cage composa en 1952. Aucun son, dans le Media Museum, ne sortira plus de cette guitare figée dans le temps comme l’ont été tous les objets de Pompéi en 79 de notre ère. L’ampli Marshall auquel la guitare est raccordée ne révèle que son potentiel. Cette œuvre, dans cette exposition, participe à repousser les limites de l’art sonore jusqu’à la pratique de la sculpture où le son n’est figuré que par l’absence, le manque. Le bloc de béton conserve l’œuvre en privant l’instrument de sa fonctionnalité première. Or n’est-ce pas la fonction première du musée que de conserver ! Stop, au-delà de son évidente plasticité est une œuvre ouverte aux multiples interprétations. Car elle pourrait tout aussi bien symboliser celles ou ceux que l’on réduit au silence, celles ou ceux qui se retrouvent entre quatre murs de béton quand leurs idées dérangent. Quand il n’est définitivement plus question de musicalité !

Correspondances Pour expérimenter l’installation sonore d’Edwin van der Heide, il faut tout d’abord se pourvoir d’un casque audio qui est relié à un boîtier équipé d’un capteur photosensible. Car la qualité des lumières émissent par Sound Modulated Light varie d’une ampoule à l’autre. Or c’est la main, équipée d’un tel boîtier électronique, qui cherche les sons correspondant aux différents signaux lumineux. Ce que nous entendons n’est autre que la conséquence de ce que nous voyons et nous sommes tout particulièrement attentif à l’environnement qui nous entoure, comme le sont les photographes au travers de leurs objectifs. Alors on cherche les sons qui sont dissimilés dans la lumière ambiante de la boîte noire délimitant l’œuvre. À la sortie, celui qui n’a pas retiré son dispositif de captation s’aperçoit que l’écran de l’œuvre vidéo qui jouxte Sound Modulated Light émet elle aussi son propre signal audio. Le monde qui nous entoure serait ainsi empli de messages sonores qui n’attendent que notre écoute. L’installation lumineuse d’Edwin van der Heide, au-delà du jeu de la découverte "par la main" des sons dissimulés dans l’espace, nous incite à mieux entendre le monde qui, trop souvent, nous est masqué par regard.


© PHOTOS COURTESY PAULA COOPER, BLAISE ADILON, D.R.

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1/ La Monte Young & Marian Zazeela, Dream House, 2012. 2/ Edwin van der Heide, Sound Modulated Light 3, 2004-2007.

© PHOTO COLIN MEARNS

Kaffe Matthews, Sonic Bed, 2005.

3/ Zimoun, 416 prepared dc-motors, hemp cords, cardboard boxes 60x60x60cm, 2012. 4/ Christian Marclay, Guitar Drag, 2000. 5/ Tyler Adams, Sirens, 2012. 6/ Cory Arcangel, Drei Klavierstücke op. 11, 2009.

Nos corps résonnants

Au Musée d’Art Contemporain de Lyon

L’artiste Kaffe Matthews demande au public de se déchausser avant de s’allonger dans son Sonic Bed ayant quelque peu les allures d’un cercueil pour trois personnes. Mais il est équipé d’une installation sonore totalement invisible qui pourrait faire pâlir d’envie quelques amateurs de tuning. Confortablement allongé, corps et esprits doivent alors s’abandonner, lâcher prise, pour que l’expérience soit totale. Les corps complètent ainsi l’œuvre en résonnant des fréquences jouées par celle-ci. S’étendre sur ce lit sonique revient à entendre son corps via les sons qui le traversent. Car il est des sons, des fréquences parmi les plus basses, qui s’écoutent de l’intérieur, au travers de nos squelettes et jusque dans nos chairs. L’expérience sensorielle du Sonic Bed peut être partagée par deux ou trois participants, même si les voyages intérieurs qui y sont effectués sont résolument personnels. Une fois encore, cette exposition organisée par Peter Weibel, le directeur du ZKM, et Julia Gerlach, nous incite à écouter autrement les sons du monde qui nous entourent.

Il faut encore se déchausser avant de pénétrer dans la Dream House que le Musée d’Art Contemporain de Lyon a réactivée en 2012 après l’avoir initialement exposée en 1999. Mais c’est au début des années quatre-vingt-dix que le Fond National d’Art Contemporain l’a acquis auprès de la galerie Jacques Donguy alors La Monte Young et Marian Zazeela ont conçu leurs premières installations sonores et lumineuses permanentes durant les années soixante. Le modérateur, à l’entrée, est étrangement équipé d’un casque ! Serait-ce pour se prémunir d’un possible lâcher prise ? Les spectateurs, quant à eux, s’abandonnent aisément en faisant corps avec la matière sonore et lumineuse de l’installation. Il y a ceux qui se déplacent pour agir sur le son étiré de cet espace propice aux états modifiés de conscience. Alors que d’autres sont assis, ou couchés, à même le sol uniformément teinté du rose de l’espace intérieur de l’œuvre. Les yeux sont ouverts, ou fermés, les corps et les esprits sont ici et maintenant dans l’expérience d’une durée.

Au Centquatre Enfin, au Centquatre, il y a cette installation d’une apparente complexité dont le nom nous informe sur les composants mis en œuvre soit : 416 prepared dc-motors, hemp cords, cardboard boxes 60x60x60cm. De l’extérieur, l’œuvre a les allures d’une sculpture monumentale dont le matériau, du carton, trahit pourtant la fragilité. De l’intérieur, on perçoit un son comparable à celui d’une pluie battante. Et dedans, le regard

peine à se fixer car la structure est uniformément animée de micromouvements. La forme de l’architecture qui s’élève vers le haut est minimale alors que les mouvements sont si chaotiques qu’ils parviennent à s’unir dans un même bruit, presque blanc. On dit du son de la fontaine qu’il est apaisant, or c’est une fontaine que l’artiste suisse a installée au Centquatre. Les 416 moteurs, isolément les uns des autres, n’ont aucun intérêt. Mais c’est par le rassemblement qu’ils font sens tous ensemble. Tout comme les bonbons bleu de Felix Gonzales Torres. Quant à l’aspect cinétique de l’œuvre de Zimoun, il n’a pas échappé à la galerie Denise René qui le représente en France depuis peu. DOMINIQUE MOULON

+ D’INFO : Centquatre < www.104.fr > Christian Marclay < www.paulacoopergallery.com/artists/CM > Cory Arcangel < www.coryarcangel.com > Denise René < www.deniserene.com > Douglas Henderson < www.douglashenderson.org > Edwin van der Heide < www.evdh.net > Kaffe Matthews < www.kaffematthews.net > Musée d’Art Contemporain de Lyon < www.mac-lyon.com > Sonic Bed < www.musicforbodies.net > Sound Art < http://soundart.zkm.de/en > Tyler Adams < www.t-adams.com > Zimoun < www.zimoun.ch > ZKM < www.zkm.de >

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EVENTS COMING SOON

(AGENDA)

>>> PRESENCIA ACTIVA Exposition à Laboral Gijón, Espagne Jusqu’au 25 février < www.laboralcentrodearte.org > INTER-FACING THE ARCHIVE Exposition au ZKM Karlsruhe, Allemagne Jusqu'au 24 février 2013 < www.zkm.de > ERREUR D’IMPRESSION Exposition dans l’Espace virtuel du Jeu de Paume Paris, France Jusqu’en mars < http://espacevirtuel.jeudepaume.org > ZIMOUN Woodworms, wood, microphone, sound system Exposition au CentQuatre, Paris, France Jusqu’au 17 mars. < www.104.fr > Performing Histories Exposition au MoMA, New York, USA Jusqu’au 11 mars < www.moma.org >

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TECHFEST Bombay, Inde 3 au 5 janvier < www.techfest.org >

MOBILE FILM FESTIVAL Paris, France + Internet 16 janvier au 6 février < http://fr.mobilefilmfestival.com >

MARINA ZURKOW Necrocracy Exposition à la galerie Bitforms, NY, USA 10 janvier au 16 février < www.bitforms.com >

FRED FOREST L’Homme Media n°1 Exposition au CDA d’Enghien-les-Bains 25 janvier au 31 mars < www.cda95.fr >

PRÉSENCES ÉLECTRONIQUES Genève, Suisse 11 et 12 janvier < www.presenceselectroniques.ch >

TRANSMEDIALE & CTM Berlin, Allemagne 29 janvier au 3 février < www.transmediale.de >

DES SOURIS ET DES HOMMES #6 St Médard en Jalles, France 15 janvier au 1er février < www.lecarre-lescolonnes.fr >

MOIS MULTI Montréal, Canada 31 janvier au 28 février < www.moismulti.org >


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JARDIN NUMÉRIQUE Rennes, France 6 au 10 février < www.jardinnumérique.org >

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LAVAL VIRTUAL Laval, France 20 au 24 mars < www.laval-virtual.org >

YEBIZO FESTIVAL Tokyo, Japon 8 au 24 février < www.yebizo.com >

VIA FESTIVAL Maubeuge, France 12 au 24 mars < www.lemanege.com >

TILT FESTIVAL Perpignan, France 22 au 24 mars < www.elmediator.org >

NODE 13 Frankfurt, Allemagne 11 au 17 février < http://node.vvvv.org >

FÊTE DE L’ANIMATION Lille, France 14 au 17 mars < www.fete-anim.com >

SAVE FESTIVAL Moscou, Russie 24 mars < http://mixtura.org/save >

ICI L’ONDE Dijon + Mâcon, France 14 au 17 février < www.whynote.com >

VIDEOFORMES Clermont-Ferrand, France 20 au 23 mars < www.videoformes-fest.com >

ELECTRON FESTIVAL Genève, Suisse 28 au 31 mars < www.electronfestival.ch >

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