JA 2643 du 4 septembre 2011

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Grand angle

LIBYE

La chute du

roi Ubu L’effondrement du régime de Mouammar Kaddafi, après quarante-deux années de pouvoir implacable et grotesque, est une immense libération. Pour les Libyens et pour l’Afrique tout entière. FRANÇOIS SOUDAN

À

l’heure où ces lignes sont écrites, Mouammar Kaddafi est devenu, au sens figuré du terme, un rat. « Un rat qui va de trou en trou, de repaire en repaire, de trottoir en trottoir », ainsi qu’il qualifia lui-même les rebelles aux premières heures de l’insurrection. Un rongeur traqué et souterrain comme le fut, pendant neuf mois, Saddam Hussein, son frère en tyrannie. Il y a une vingtaine d’années, dans un livre tragicomique signé de son nom et intitulé Escapade en enfer, ce dictateur tourmenté avait écrit – ou fait écrire – ceci : « Ces foules inclémentes, même envers leurs sauveurs, je sens qu’elles me poursuivent… Comme elles sont affectueuses dans les moments de joie ! Comme elles seront cruelles dans les moments de colère! » En ce 1er septembre 2011, quarante-deux ans, jour pour jour, après son accession au pouvoir, l’heure est venue de voir s’accomplir cette prophétie dont l’auteur ignorait qu’elle serait autoréalisatrice. Soit Kaddafi met en application le conseil qu’il prodigua un jour à Yasser Arafat : le suicide, les armes à la main, face à l’ennemi. Soit il connaîtra tôt ou tard la fin ignominieuse qu’au sommet de Damas, en 2008, il prédisait aux chefs d’État arabes : celle du despote irakien « déterré sous une décharge publique » avant de se balancer au bout d’une corde. Soit, dans l’hypothèse peu probable où il échapperait à la loi de Lynch promise par certains dirigeants du Conseil national de transition, l’attend le banc d’infamie d’une Cour pénale internationale devant laquelle, disait-il il y a deux ans à la tribune de l’ONU, « seuls comparaissent ceux dont vous avez détruit les pays ». Ironie de la petite histoire pour un homme qui avait imposé à son peuple un « calendrier révolutionnaire » reformulé par son génie, c’est au N o 2643 • DU 4 AU 10 SEPTEMBRE 2011

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« mois de la Lumière » (février) que la rébellion a éclaté et c’est au « mois de Hannibal » – l’un des héros de son panthéon – qu’elle a triomphé. Cette tempête-là, aucun météorologue ne l’avait prévue. Les meilleurs observateurs de la réalité libyenne, tels le Français Luis Martinez ou l’Américaine Lisa Anderson, décrivaient certes une population épuisée par une révolution dévoyée, écœurée par la corruption, minée par le racisme, l’oisiveté

La haine du « Guide » et de sa famille aura été jusqu’au bout le principal moteur de la révolution. et la honte d’être dirigée par une marionnette grotesque, vivant dans un monde d’hypocrisie, de peur, de frustrations et d’intrigues tribales. Mais trop individualiste et privée d’estime de soi pour être capable de se soulever. La communauté internationale, y compris et en premier lieu ceux qui aujourd’hui semblent ne plus toucher terre tant ils se rengorgent de leur image de vainqueur d’une « guerre juste » gagnée d’avance au regard de l’extrême disproportion des forces en présence, JEUNE AFRIQUE

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