La lettre Culture Science 5

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la lettre

Culture Science

Antipolis une publication de l’Université Nice Sophia

N°5 - Septembre 2013

unice.fr

La physique quantique : parfaite et totalement contre-intuitive

La porte s’ouvre sur une vaste plate-forme plantée au milieu d’une dizaine de mètres carrés. Dessus, des cordons jaunes tissent un réseau de routes labyrinthique. Sous la gaine, des particules de lumière s’élancent le long de fils conducteurs ramassés en bouquet. De petits boîtiers rectangulaires, sortes de tunnels à échangeur, happent les grains de lumière en silence, ça et là. Du ruban adhésif force la stabilité du tout. Construire ce petit monde opaque, au rez-de-chaussée du laboratoire de physique de la matière condensée, à l’Université Nice Sophia Antipolis, a nécessité dix-huit mois de travail. La moitié d’un temps de thèse. Mais grâce à ce savant enchevêtrement de pistes, de boulons, de laser, de cristaux et de plastique, Florian Kaiser a reçu, cette année, le prix de thèse de la société européenne de physique (1). Car, avec cet appareillage, les chercheurs peuvent désormais tester plusieurs hypothèses de la mécanique quantique. Déjà, l’équipe de Sébastien Tanzilli, avec deux autres unités mixtes de recherche françaises (2), a pu avancer dans l’étude des comportements de certaines particules élémentaires, les photons. Dans leur expérience, des grains de lumière particuliers, appelés «photons intriqués» (des sortes de jumeaux), se sont lancés dans une course folle, impossible à comprendre. Puis, les deux protagonistes ont disparu, laissant sur leur passage une précieuse empreinte. D’après cette trace, le photon, donc plus largement la lumière, se comporterait à la fois comme une particule et comme une onde... Un peu comme s’il était sans cesse pris entre deux états, apparemment incompatibles. En effet, notre instinct humain aurait plutôt tendance à associer les objets quantiques à des représentations plus simples et plus radicales, pensées à l’image de notre perception, du type « noir ou

blanc ». En l’occurrence, la logique commune voudrait que les photons puissent soit se localiser dans l’espace, comme une balle de tennis, soit se déplacer à l’image d’une vague, diffuse et génératrice d’interférences si elle rencontre un obstacle.

L’expérience valide les prédictions quantiques Or, l’expérience menée fin 2012 met fin à l’idée, « classique » d’une dualité « onde ou corpuscule ». Elle vérifie également « l’intrication », un autre phénomène étrange de la théorie quantique, mise en équations dès le début du 20e siècle. Dans cette physique, une action à un endroit, par exemple sur un photon, a des répercussions immédiatement ailleurs, sur une particule jumelle, c’est-à-dire suffisamment proche à un instant donné pour corréler son profil énergétique (3) à la première. Ensuite, même séparées, elles continuent de se calquer l’une sur l’autre. Voilà une histoire impensable, même pour Albert Einstein. Le scientifique raillait d’ailleurs cette théorie de Niels Bohr en la qualifiant « d’action fantôme à distance ». « On s’est demandé si le photon, au moment de faire un choix, par exemple celui d’emprunter un chemin plutôt qu’un autre, ne prévenait pas son jumeau », raconte Florian Kaiser. Dans les expériences conduites au LPMC, l’une des particules a donc été retenue dans les starting-blocks puis projetée dans une salle distante de 20 mètres. Les chercheurs ont aussi choisi de «tromper» le photon en créant un dispositif instable, où la particule ne sait pas si les scientifiques attendent d’elle qu’elle se comporte comme un corpuscule ou comme une onde (4). « La configuration n’apparaît qu’après que la mesure a tué le photon », résume Florian Kaiser.


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