J. Falquet - Violences contre les femmes et (dé)colonisation du "territoire-corps"

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Violences contre les femmes et (dé)colonisation du "territoire-corps" : de la guerre à l'extractivisme néolibéral au Guatemala1 Jules Falquet

Cet article s'intéresse aux multiples potentialités politiques des luttes contre les violences faites aux femmes —un thème dont la visibilité locale et globale est allée croissant à partir de 1991 avec la dénonciation puis la condamnation des viols de guerre en ex-Yougoslavie, puis avec l'affirmation lors de la Conférence sur les droits humains organisée par l'ONU à Vienne en 1993, que les (violations des) droits des femmes étaient des (violations des) droits humains. J'ai montré ailleurs (Falquet, 2008) à partir du cas emblématique du mouvement féministe et du développement d'une certaine conception du genre, que les institutions internationales jouaient depuis les années 90 un rôle-clé, à la fois dans la légitimation idéologique du projet néolibéral, et dans sa mise en oeuvre pratique. J'ai ainsi analysé comment les institutions internationales se chargeaient dans cette nouvelle logique, de coopter les militant-e-s les plus dynamiques et de désamorcer les thèmes potentiellement radicaux en les réinterprétant, contribuant puissamment à l'ONGisation de ces mouvements, c'est-à-dire à leur transformation en une sorte de bureaucratie paraétatique (trans)nationale qui assurait à coûts réduits l'exécution d'une gouvernance globale pacifiée, basée sur une re-codification des concepts des mouvements sociaux et la diffusion de nouvelles grilles d'analyse. Dans le cas des violences contre les femmes, un des thèmes les plus "consensuel" et donc "récupérable" porté par le mouvement féministe, et qui constitue de fait une des portes d'entrées principales de la globalisation d'un genre "neutralisé", les institutions internationales ont progressivement développé leurs interventions autour de deux grands axes. D'une part, la violence de type interpersonnelle —de la violence domestique jusqu'au meurtre — contre laquelle elles ont surtout impulsé la création d'un cadre juridique supranational 2 et national 3 . D'autre part, les violences sexuelles de guerre, avec la tentative de fomenter la participation des femmes 4 dans les processus de post-guerre, de paix et de justice transitionnelle, notamment concernant les viols de guerre 5 . Ce faisant, elles ont repris des concepts comme la violence de genre et les féminicides6, et contribué à développer de nouveaux schémas explicatifs des violences masculines contre les femmes. Deux idées en particulier s'en dégagent. D'une part, que ces violences sont liées à une extrême misogynie — globalement présentée comme un effet de culture. D'autre part, que le principal problème serait l'impunité des perpétrateurs (principalement vus comme individus mus par des logiques incompréhensibles), impunité permise par la déficience du système juridique, judiciaire et policier, révélant en dernière instance un dysfonctionnement de l'Etat (surtout suite à un conflit armé). Or ces explications s'avèrent insuffisantes et surtout, tendanciellement dépolitisantes. D'abord, parce qu'elles ne s'intéressent qu'aux conséquences ou au contexte idéologique des faits, sans en expliquer les causes concrètes, ni tenter de les prévenir. Ensuite, parce que les perpétrateurs y apparaissent essentiellement comme des déviants à rééduquer ou expulser du corps national, et les 1

Ce texte est basé sur une recherche réalisée dans le cadre de l'ANR Global Gender : regards croisés sur la globalisation du genre (2013-2016), dirigée par Ioana Cirstocea et qui portait sur le thème de la globalisation du genre à différentes échelles à partir de territoires et expériences variées. Il sera publié aux Presses Universitaires de Rennes dans un ouvrage coordonné par Ioana Cirstocea, Delphine Lacombe et Elisabeth Marteu : Le genre globalisé : mobilisations, cadres d'actions, savoirs. 2 Notamment la Convention Belem do Pará pour l’Amérique latine et les Caraïbes, adoptée en 1994 3 Par exemple avec les lois contre la violence en Espagne en 2004, au Mexique en 2005. 4 En particulier avec la Résolution 1325 de l’ONU sur la paix et la sécurité en 2000. 5 A partir des cas particulièrement marquants de l'ex-Yougoslavie, du Rwanda et de la RDC. 6 Assassinats de femmes du seul fait d'être des femmes. La présente analyse fait suite à mon travail sur les féminicides commis à Ciudad Juárez (Falquet, 2013).

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femmes violentées comme des victimes absolues devant être "sécurisées" et sauvées... par la loi, les forces armées, les ONGs et la médecine-psychologie occidentale. En troisième lieu, parce que le rôle de l'Etat et des instances internationales (et leurs responsabilités) n'apparaissent qu'en aval des violences commises, jamais en amont. En somme, parce que disparaissent la complexité des racines historiques, économiques et politiques des violences de guerre comme des violences quotidiennes. Disparaissent aussi les dimensions de classe et de "race" qui se mêlent aux violences sexistes. Disparaît en fait l'élément central des analyses féministes : que la violence n'est pas l'expression d'une inégalité mais simultanément sa cause, que la violence des hommes contre les femmes est instrumentale. A contre-courant de cette perspective, le présent travail aborde les luttes féministes contre la violence à partir d'un ancrage et d'un acteur local (le mouvement féministe du Guatemala)7, et dans une perspective historique, politique et économique. Il s'agit de voir comment ces luttes se construisent "par le bas" et à partir d'une réalité empirique précise —et les conséquences de ce type de construction. Ainsi, tout en soulignant la confluence des logiques individuelles et nationales des féministes du Guatemala avec celles d'autres protagonistes locaux, mais aussi régionaux ou internationaux, je montrerai comment ici, ce sont les premières concernées (des femmes survivantes de la violence) qui se sont organisées collectivement pour se reconstruire et refuser le statut de victime où le système tentait de les installer, tout en s'inscrivant dans un projet plus vaste de recherche de justice sociale pour tou-te-s. On verra que leurs stratégies leur ont permis de rencontrer d'autres luttes nées de l'évolution de la conjoncture locale comme globale, de produire des effets bien au-delà de leur objectif initial, et de proposer de nouvelles analyses et formes d'intervention très politiques. En d'autres termes, je tenterai de montrer qu'elles témoignent de pratiques féministes qui participent de la globalisation du (thème des violences de) genre, tout en la débordant. Je présenterai d'abord le cadre historico-politique de ces luttes : celui d'un pays marqué par une violence colonialiste ininterrompue liée à un long processus d'appropriation des terres et des ressources des populations autochtones —un cadre qui caractérise peu ou prou l'ensemble du continent latino-américain et des Caraïbes, avec lequel de nombreux échanges ont lieu. On verra ensuite comment le mouvement de femmes, féministe et lesbien est parvenu à rendre visibles les violences sexuelles commises pendant la guerre, et les conséquences de son action dans la vie politique du pays. Enfin, on analysera les nouveaux développement des luttes dans le contexte du tournant extractiviste néolibéral, et les innovations pratiques et théoriques qu'apportent en particulier les toutes premières concernées : les femmes indiennes. Bien évidemment, il ne s'agit ici que d'un récit partiel, qui ne rend visible qu'une petite partie de l'ensemble des femmes et des groupes qui ont participé à ce processus — même si beaucoup de choses ont été écrites, la plus grande partie de toute cette histoire reste encore à écrire. 1. Le Guatemala : une longue histoire de violence dans la lutte pour le territoire Situé entre le Mexique au nord, et le reste l’Amérique centrale au sud, le Guatemala, petit pays de quatorze millions d’habitant-e-s, constitue un important symbole. D'abord, parce que la population indienne y est restée majoritaire : on estime que les groupes Maya constituent 60% de la population8, malgré les violences de la colonisation, d'abord aux mains des Espagnols, puis du gouvernement créole. Celui-ci poursuit la colonisation interne des régions indiennes par la population métisse, et même européenne : dès 1863, d'entreprenantes familles de colons venues tout droit d'Allemagne se voient octroyer de vastes terres dans la région de la Verapaz, où grâce à la main-d'oeuvre indienne récemment dépossédée et transformée en peones acasillados (Q'eqchi notamment), elles se lancent

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Concernant la méthodologie de la recherche, on verra l'encadré correspondant à la fin du texte. Très politiques, les recensements, qui se heurtent à de nombreuses difficultés, prennent généralement pour critère le fait de parler l’une des 22 langues Maya officiellement reconnues. Il existe également, en plus de la population Ladina (de fait, principalement métisse), une population afrodescendante, les Garifuna, et une population indienne non-Maya récemment reconnue, les Xinca, dans le sud-ouest du pays. 8

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dans la production de café, qui devient rapidement l'activité économique centrale du pays (Wagner, 1991).

Légende : Carte du Guatemala (de gauche à droite, les départements de Huehuetanango, Quiché, Alta Verapaz et Izabal forment la Frange Transversale Nord)9 A. Les racines de la violence : de la réforme agraire tronquée à la colonisation interne En 1945, face à l'extrême concentration de la propriété terrienne, le président Arévalo lance un processus de réforme agraire, poursuivi par son successeur Arbenz, qui exproprie en 1952 les terres en friches du principal propriétaire terrien, la multinationale états-unienne United Fruit Company. Ce qui vaut au Guatemala sa deuxième particularité : devenir en 1954 le premier pays du continent à subir un coup d’Etat organisé par la CIA10 (Calvo Ospina, 2013). Le nouveau gouvernement militaire, incité par la Banque mondiale et la coopération étatsunienne, arrête tout net la réforme agraire et relance la colonisation du Nord du pays. La région, réputée "vide", intéresse pour ses essences précieuses et l'élevage extensif rendu possible dans les zones déboisées. Surtout, on pense y trouver du pétrole. La BID finance dès 1958 un premier projet 9

http://images.google.fr/imgres?imgurl=https%3A%2F%2Fecosdeguatemala.files.wordpress.com%2F2013%2F07%2Fguate mala_map.gif&imgrefurl=https%3A%2F%2Fecosdeguatemala.wordpress.com%2Fguatemala%2F&h=914&w=750&tbnid=gMsPMrKvcigPM%3A&docid=Fe1tAvIp0pZZUM&ei=4ZE5V7WoNoeSabWspxA&tbm=isch&client=firefoxb&iact=rc&uact=3&dur=7435&page=3&start=52&ndsp=30&ved=0ahUKEwj1nPSRo97MAhUHSRoKHTXWCQIQMwiK ASg1MDU&bih=643&biw=1327 10 Nouvellement créée, la CIA est alors dirigée par Allen Dulles. Allen Dulles et son frère John Foster (alors directeur du Département d’Etat) possèdent l’un des principaux cabinets d’avocats de Wall Street, qui défend notamment la United Fruit, dont les deux frères sont également actionnaires.

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d'infrastructures dans la région stratégique de Sebol, sur la rivière Cancuen (département d'Alta Verapaz). Alors député, Lucas García, futur ministre de la défense puis président (de 1977 à 1982), commence à acquérir des terres dans la zone. A partir de 1964, le gouvernement envoie des populations essentiellement indiennes de Huehuetenango et de l'Ixcan 11 (département du Quiché) coloniser la région (Solano, 2012). La Frange transversale nord (FTN) est officiellement créée en 1970. Elle couvre d'ouest en est les départements fortement indiens de Huehuetenango, du Quiché, d'Alta Verapaz et d'Izabal — s'ouvrant sur le port de Puerto Barrios. Ses ressources, sa topographie montagneuse et boisée difficile d'accès et sa position stratégique à la frontière avec le Mexique, vont en faire le lieu de tous les enrichissements des militaires et des politiciens du pays, puis la première zone d'implantation de la guérilla, et enfin, dans l'après-guerre, le point de mire des multinationales extractivistes et des organisations narco-traficantes. La "mise en valeur" de la FTN est marquée par la violence. Dès 1971, 24 villages Q'eqchi sont délogés de la zone de Cancuen (au sud du Petén) et du nord de Chisec (Alta Verapaz), où l'on cherche du pétrole. Les premiers puits sont ouverts en 1974 à Rubelsanto (Alta Verapaz). A partir de 1976, l'attention se porte sur la municipalité de l'Ixcán (Quiché), à la frontière avec le Mexique. A partir de ce moment, le destin de la région est scellé : entre 1975 et 1979, l'entreprise pétrolière états-unienne Shenandoah Oil, l'Institut de la réforme agraire et le Bataillon d'ingénieurs de l'armée ouvrent une piste de terre le long de laquelle, avec l'appui de la Banque de l'armée, hommes politiques, entrepreneurs et militaires s'approprient les terres et bâtissent des fortunes. Devenu président, Lucas García prend en 1982 la tête du "mégaprojet de développement" de la FTN (Solano, 2012). C'est également dans la FTN que s'implante à partir de 1972 l’Armée guérillère des pauvres (EGP)12, qui gagne à sa cause de nombreuses communautés indiennes, notamment Ixil —vivant au coeur de la future zone en dispute13, la population Ixil deviendra le symbole des martyr-e-s de la guerre. Même les femmes et les fillettes s'engagent résolument (Collectif, 2008; Colom, 1998 ; Payeras, 1981). La première action armée d'éclat de l'EGP, l'assassinat d'un propriétaire terrien particulièrement redouté de l'Ixcan, en 1975, déclenche une répression immédiate et féroce. L'armée installe de nombreux campement dans la région et commet des exactions croissantes, jusqu'à appliquer à partir de 1981 une véritable stratégie de "terre brûlée", en particulier dans le Quiché14, pour obliger la guérilla, mais aussi et avant tout la population, à abandonner les lieux. B. Violences sexuelles et génocide : le jugement historique de Rios Montt C'est le général putschiste Ríos Montt, appuyé par les Etats-unis, qui réalise le plus gros de la répression, entre 1982 et 1983. 440 hameaux et villages indiens sont tout simplement rayés de la carte. Les massacres se succèdent, souvent assortis de d'actes de barbarie et de viols publics de masse — 1.465 ont été officiellement dénoncés à la Commission pour l'Eclaircissement Historique (CEH) créée par les Accords de paix (CEH, 1999) et l'on estime qu'au moins 50.000 femmes en auraient fait l'objet (Aguilar et Fulchiron, 2005). L'armée multiplie les casernes, implante des populations "amies" dans des "villages modèles" et continue à s'attribuer de grandes extensions de terre15, tandis que 45.000 11

Stratégiquement située, la municipalité de l'Ixcán sera l'une des plus durement réprimées durant la guerre. Elle borde le Mexique, les municipalités de Chisec et Cobán (AV), Chajul et Uspantán (Quiché), et Santa Cruz Barillas (Huehuetango). Autour du centre administratif de Playa Grande, elle comporte 176 communautés, principalement Q'eqchi, Q'anjob'al, Mam, Popti et Quiché. 12 Avec trois autres groupes guérilleros, l'EGP donnera naissance à l’URNG (Union révolutionnaire nationale guatémaltèque). 13 Les Ixil vivant originellement dans les municipalités de Santa Maria Nebaj, San Gaspar Chajul et San Juan Cotzal (Quiché). 14 En particulier l'opération Sofía, du 8 juillet au 20 août 1982 : http://nsarchive.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB297/index2.htm. L'ensemble de la FTN est cependant visée : un massacre retentissant a lieu en septembre 1981 dans la municipalité d'El Estor (lieu-dit la Llorona, département d'Izabal). 15 On estime qu'en 1983, 60% du département de Alta Verapaz était propriété de militaires, dont deux anciens présidents : Laugerud et Lucas García.

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personnes fuient au Mexique (principalement dans la forêt Lacandonne, au Chiapas) et plusieurs dizaines de milliers d’autres se cachent au sommet des montagnes les plus inaccessibles (les Communautés de population en résistance ou CPR, comprenant trois groupes : Ixcán, Sierra et Petén16). Le retour d'un président civil en 1986 permet d'entamer un long processus de négociations qui conduit finalement à des Accords de paix, signés en 1996. Le rapport officiel Guatemala : mémoire du Silence (1999), identifie nommément 42.275 victimes de la guerre. Quatre sur cinq sont Maya, une sur quatre est une femme. 93% des actes de violence et des violations des droits de l'Homme, dont 626 massacres, sont attribuées à l'armée, à la police et aux forces paragouvernementales. Au total, on compte 150.000 mort-e-s, 50.000 disparu-e-s, et on estime que la guerre a déplacé entre un demi million et un million et demi de personnes, bouleversant la géographie ethnico-culturelle du pays et posant avec plus d'acuité encore la question de l'accès à la terre. Ayant perdu son immunité en même temps que son dernier mandat parlementaire, l'exdictateur Ríos Montt, grâce notamment à l'organisation de droits de la personne CALDH17, est enfin convoqué devant la justice en 201218, accusé de génocide pour l'assassinat de 1771 Indien-ne-s Ixil du Quiché. Après un procès extrêmement médiatisé19 et au milieu de lourdes menaces, il est condamné le 10 mai 2013 par la juge Jazmín Barrios à 50 années de prison ferme pour génocide et 30 ans ferme pour crimes contre l'Humanité. Troisième symbole : le Guatemala devient ainsi le premier pays du continent à juger un ancien dictateur sur son propre sol.20 Parmi les éléments qui ont fait pencher la balance, on trouve les témoignages de 98 personnes, tout particulièrement de 16 femmes indiennes qui ont dénoncé les viols commis à leur encontre par les soldats parallèlement aux massacres du début des années 80. En effet, la cour a reconnu que ces viols, couverts mais surtout ordonnés par la hiérarchie, constituaient un crime de génocide. Voyons par quel processus ces femmes indiennes, rurales, faisant l’objet d’un racisme historique brutal et s'exprimant parfois difficilement en espagnol, sont parvenues dans un contexte extrêmement adverse à provoquer cet événement historique, en dénonçant à voix haute devant la cour suprême de justice, la société guatémaltèque et bien au-delà, ces violences sexuelles socialement si indicibles. 2. Visibiliser les violences sexuelles contre les femmes commises pendant la guerre : échelles et logiques d'action imbriquées Parmi les diverses personnes et groupes à l'origine de cette visibilisation inédite des violences sexuelles durant un conflit armé, on trouve l'anthropologue et thérapeute Yolanda Aguilar, une femme arrêtée comme "subversive" et atrocement torturée par les forces gouvernementales alors qu'elle était âgée d'à peine quinze ans. C'est elle que l'on retrouve à l'origine d'Actoras de cambio, le premier groupe à aboir rompu le silence sur les violences sexuelles commises pendant le conflit et qui à partir de 2003, a accompagné 11 des 16 femmes témoins au procès de Rios Montt. A. Aux origines d'Actoras de cambio

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Pour des informations récentes : CPR-urbana.blogspot.com Le Centro Para la Accion Legal en Derechos Humanos est l'un des principaux groupes de Droits humains du pays. Dans les années 2000, CALDH recrute à sa tête une féministe chilienne établie depuis plusieurs années au Guatemala (Edda Gaviola). Plusieurs actrices clés du processus de visibilisation des violences y travaillent à un moment ou à un autre. 18 Une première plainte officielle pour génocide, terrorisme et torture avait été déposée dès 1999 —auprès de la justice espagnole. 19 Le procès a été très diffusé sur internet, par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=iIlJ7WGJNIo 20 Cependant, le 20 mai 2013, la Cour constitutionnelle casse le jugement et ordonne la reprise du procès au point où il en était le 19 avril. Le procès a repris en janvier 2016. 17

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Dès avant la fin de la guerre, en 1994, la Commission des droits humains de l'Eglise catholique (de tendance théologie de la libération) entame un processus de Récupération de la mémoire historique (REMHI) sur les violations des droits humains21. Après un long travail personnel, c'est d’abord pour apporter son propre récit que Yolanda Aguilar approche l'équipe de REMHI. Sollicitée ensuite pour recueillir d'autres témoignages, notamment ceux de femmes, elle constate que la plupart viennent dénoncer des violences ayant frappé d’autres personnes (un mari, un père ou un fils assassiné ou disparu), mais que très peu mentionnent des violences qu’elles auraient elles-mêmes vécues —moins encore, des violences sexuelles. Yolanda Aguilar est ensuite chargée de rédiger le chapitre du rapport sur les violences sexuelles « De la violence à l’affirmation des femmes », à partir de 165 témoignages directs de femmes (sur environ 5000 témoignages recueillis pour le rapport).22 Le rapport de la Commission de la vérité crée par les Accords de Paix qui paraît l'année suivante (1999) possède lui aussi un chapitre très clair sur les violences sexuelles. Cependant, aucun de ces deux chapitres ne formule de conclusions, et moins encore de recommandations. Invitée en 2000, suite à son travail pour la REMHI, au « Tribunal international sur les crimes de nature sexuelle commis par l'armée japonaise contre des femmes durant la deuxième guerre mondiale » qui se tient au Japon, et très impressionnée par les témoignages des femmes asiatiques, Yolanda Aguilar conçoit le projet de rapprocher, au Guatemala, le travail des féministes et celui des organisations de droits de la personne. De fait, lorsqu'un programme national de "réparation" (resarcimiento) pour les victimes de la guerre est crée en 2002, le mouvement des femmes obtient l'inclusion des violences sexuelles et du viol comme motifs légitimes de demande de réparation. En 2003, avec la complicité féministe d'une française, Amandine Fulchiron, qui rêve elle aussi d'éliminer le viol et la guerre de la vie des femmes, Yolanda Aguilar commence à imaginer et à impulser un processus collectif et politique visant à rompre le silence autour du viol, à guérir les blessures qu'il génère et à tracer des chemins vers la justice pour les survivantes. Pour ce faire, elles convoquent à une réunion les organisations intéressées à se lancer dans un processus d'accompagnement de femmes ayant souffert des violences sexuelles durant le conflit. Deux groupes assistent à la première réunion : une organisation féministe et l'Equipe d'études communautaires et d'action psychosociale (ECAP 23 ). Progressivement, s'y ajoutent la principale organisation de femmes du pays, clairement ancrée à gauche, l'Union nationale des femmes guatémaltèques (UNAMG24), ainsi que d'autres organisations proches de la gauche —d'abord Ixquic, un groupe du Petén 25 , puis le groupe d'ex réfugiées-retournées indiennes Mama Maquín 26 et des féministes à titre individuel. 27 L'alliance qui se forme progressivement prend en 2005 le nom de Consorcio 'de víctimas de violencia sexual a actoras de cambio : lucha de las mujeres por la justicia'28, ou Actoras29. Comme son nom l'indique, l'idée de Yolanda Aguilar est que c'est par la lutte pour les différentes manières d'obtenir la justice que les femmes peuvent passer du statut de victimes à celui d'actrices de changement. Cependant, il s'agit moins d'aller devant les tribunaux que de lancer un travail de mémoire, de guérison et de construction d'alternatives à partir des concernées elles-mêmes. Ce travail repose sur un processus de sanation [sanación] individuelle et collective. Ce concept, 21

Deux jours après sa parution de son rapport Guatemala : plus jamais, en 1998, l'un de ses responsables, Mgr Juan Gerardi (75 ans), évêque auxiliaire du diocèse de Guatemala, est assassiné en plein jour, près de chez lui et à 300 mètres du palais présidentiel. 22 http://notiagen.wordpress.com/2011/10/19/yolanda-aguilar-«la-violencia-sexual-mantiene-y-reproduce-la-impunidadmecanismo-que-utiliza-el-sistema-para-darle-coherencia-a-los-grupos-armados»/ Consulté le 16 septembre 2014. 23 Groupe mixte qui travaille dans les domaines de la santé et des droits humains, proche de la gauche. 24 Sa responsable, Luz Méndez, est une ancienne membre de la guérilla de l'URNG. A ce titre, elle a été l'une des signataires des Accords de paix. 25 Ixquik travaille contre les abus sexuels commis sur de enfants et la violence sexuelle contre les femmes. 26 Première grande organisation de femmes indiennes, Mamá Maquín naît dans les campements de réfugié-e-s du Mexique (Masson, 2002). Mamá Maquín quitte le projet en 2004, ne se sentant pas prêt à réaliser ce travail. 27 http://notiagen.wordpress.com/2011/10/19/yolanda-aguilar-«la-violencia-sexual-mantiene-y-reproduce-la-impunidadmecanismo-que-utiliza-el-sistema-para-darle-coherencia-a-los-grupos-armados»/ Consulté le 16 septembre 2014. 28 Consortium 'de victimes de violence sexuelles à actrices de changement : lutte des femmes pour la justice. 29 Ont participé notamment dans le groupe, en plus de Yolanda Aguilera et Amandine Fulchiron, Liduvina Mendez, Sara Alvarez, Angelica López, Laura Montes, María José Perez, Virginia Galvez, Elsa Rabanales, Josefa Lorenzo, Isabel Domingo, Malcom Paíz et Brenda Mendez.

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difficilement traduisible, suggère qu'il existe des liens profonds entre rupture du silence, construction de la mémoire et guérison. Il cherche la résilience par l'action individuelle et collective, par l'organisation et la construction d'alternatives dans le sens d'un re-tissage (réparation et création nouvelle) du tissu social —une puissante métaphore qui s'appuie notamment sur la tradition du tissage des femmes indiennes comme activité cosmogonique et sacrée. La sanation s'appuie, de fait, sur la combinaison entre la proposition féministe d'autoconscience et de réappropriation du corps, avec le travail émotionnel pour libérer les émotions traumatiques, et un ensemble de pratiques traditionnelles ou néo-traditionnelles indiennes ancrées dans la mémoire historique des violences de la colonisation, mais aussi dans diverses spiritualités de résistance et plus globalement, dans une revendication de la vigueur et de l'actualité des cultures indiennes. B. Renouveau des organisations et des luttes des femmes Maya On l'a vu, les toutes premières concernées par les violences sexuelles commises pendant la guerre sont les femmes Maya. A l'époque, en plus de Mamá Maquín, les principaux groupes de femmes indiennes étaient formés autour des veuves de guerre, en particulier le GAM (Grupo de apoyo mutuo, composé à 90% de femmes, créé en 1984), et la Conavigua (Coordinadora nacional de familiares de desaparecidxs de Guatemala, créée en 1988). Souterrainement mais étroitement liées aux organisations révolutionnaires, ces groupes agissaient surtout pour la survie et les droits humains. Une nouvelle génération de femmes et de féministes indiennes, plus autonomes, apparaît dans l'aprèsguerre. La multiplication des ONGs, financées par la coopération internationale dans le cadre du processus de paix, leur fournit au reste un nouvel espace de travail où les critères d'embauche s'avèrent moins racistes et sexistes que le reste du marché du travail (Cumes, 2014). Catalyseur et symbole de cette transformation, le groupe Kaqla est fondé en 1996. On trouve à sa base trois soeurs, qui après avoir traversé la guerre et participé au projet révolutionnaire ainsi qu'au mouvement féministe, souhaitent sortir du cadre de la politique traditionnelle et se tournent vers leurs racines Maya. Kaqla travaille à l'autonomie et au bien-être des femmes Maya et de leurs peuples, autour de trois axes : "renforcement de la mission de vie (formation intégrale), création de connaissance (recherche et systématisation) et production de conscience (incidence)"30. Kaqla entend développer des alternatives méthodologiques et théoriques pour la lutte des femmes Maya, appuyées sur un travail collectif ancré tant dans le corps que dans la spiritualité (Chirix García, 2003 ; Grupo de mujeres mayas Kaqla, 2010). Kaqla engage ainsi un profond et patient processus, dont le groupe rend compte dans différentes publications qui visibilisent leurs analyses, mais aussi des images d'elles produites par elles-mêmes. Ainsi, leur livre sur la violence, l'identité, la procréation, la sexualité, la douleur et le corps, montre des photos rares et fortes de femmes indiennes exposant certaines parties de leur corps généralement cachées31, et surtout "faisant corps" entre elles dans la douleur comme dans la joie (Kaqla, 2004). Le groupe jouera un rôle important dans le travail de sanation enclenché par Actoras —notamment grâce à la participation des féministes Maya Sara Alvarez et Angélica López qui travaillent directement avec Actoras, et à la complicité de la feministe Maya Adela Delgado. Progressivement aussi, apparaît une nouvelle génération de professionnelles urbaines de classe moyenne et d'intellectuelles indiennes, qui se dotent de différents groupes, d'espace de débat et de formation, encouragées par la coopération internationale et diverses alliées, entre autres au sein de la FLACSO, où travaille une féministe de la toute première génération, Walda Barrios32. Lorsque celle-ci organise en 2001 la Première rencontre méso-américaine sur le genre, aucune femme Indienne ne se trouve à la tribune, bien qu'elles soient nombreuses parmi les près de huit cent participantes (Falquet, 30

http://ambulante.com.mx/es/director/mujeres-mayas-kaqla Le corps étant considéré comme sacré dans les cultures Maya —surtout celui des femmes. L'influence catholique est également puissante. 32 Ayant longtemps vécu au Chiapas où elle a ouvert le premier programme d’étude sur les femmes (Antsetik) à l’Université, Walda Barrios devient Conseillère de l'UNAMG et responsable de FLACSO Guatemala, où elle travaille notamment sur les questions de violence, avec l'appui de l’Agence Espagnole de Coopération Internationale (López García et Al., 2010). 31

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2002). Dix ans plus tard, une deuxième rencontre en 2012 montre le développement considérable des groupes et des travaux33, ainsi que l'émergence d'importantes théoriciennes Maya qui se revendiquent des nouvelles perspectives décoloniales, comme Aura Cumes ou Gladys Tzul. C. Un travail en parallèle avec les Indiennes et les Métisses Faire émerger la parole sur les violences sexuelles durant le conflit n'a rien d'évident. Actoras réalise d'abord une minutieuse recherche des endroits où, pendant la guerre, des violences sexuelles auraient pu accompagner les massacres (qui eux, sont bien documentés), puis des femmes peut-être touchées —une partie étant déjà décédées, beaucoup d'autres, déplacées dans d'autres régions du pays ou à l'étranger. Une fois ces femmes localisées et approchées, encore faut-il qu'elles souhaitent et puissent parler du passé et éventuellement, participer à un travail collectif. A partir de 2004, Actoras commence un long travail de sanation34 et réflexion sur la justice alternative, assorti d'une recherchesystématisation du processus, avec les femmes indiennes de cinq régions rurales (départements de Huehuetenango, Chimaltenango et Alta Verapaz) et en cinq langues différentes. Actoras reçoit progressivement un important appui économique de la coopération internationale nongouvernementale35. Car de l'argent, il en faut pour mobiliser pendant plusieurs jours à chaque fois, les femmes des communautés et pas moins de 22 femmes venues de la capitale : les traductrices (dont le rôle a été absolument central), les femmes qui appuient directement le processus de sanation, les transcriptrices et trois chercheuses chargées de systématiser l'expérience. Parmi elles, Amandine Fulchiron, qui dirige la recherche36 et commence en parallèle une thèse sur le silence à propos du viol dans le mouvement des femmes37. En parallèle, Actoras organise au sein du mouvement des femmes une importante discussion sur la violence —avec la participation de onze des principaux groupes du mouvement dont UNAMG, les femmes de CALDH, Kaqla, Sector de mujeres38, Tierra Viva39 et Lesbiradas40. En sort un premier document "de position", rapidement publié par l'UNESCO, qui affirme que la culture de la violence contre les femmes possède un caractère profondément sexuel (Aguilar, Fulchiron, 2005). A cette période, les assassinats de femmes ont pris des proportions considérables et se comptent déjà par centaines 41 . Les Guatémaltèques sont très au fait des recherches et des mobilisations au Mexique (notamment au Chiapas voisin, où Mercedes Olivera, proche de longue date du processus guatémaltèque42, est l'une des premières à travailler sur les violences féminicides (Olivera, 2008), et des débats continentaux, grâce à de nombreux liens avec le réseau féministe latino-américain CLADEM 43 . Leur expérience de la guerre les conduit à voir immédiatement les liens entre cette 33

http://docslide.net/documents/ii-encuentro-mesoamericano-de-estudios-de-genero-y-feminismos.html ECAP réalise un certain nombre de thérapies individuelles, Kaqla travaillant de façon collective. On trouve également des intervenantes issues d'autres expériences, comme l'activiste Alma Prelic, qui vient de Bosnie et a travaillé en ex-Yougoslavie. 35 Selon Amandine Fulchiron les fonds ont été obtenus notamment à travers l’Institut de développement et de recherche du Canada IDRC, le CCFD, la Coopération espagnole, Global Fund for Women, Fondation pro victimas (Suisse) et PCS (Conseils en projets, une ONG internationale appuyée par le Canada, la Norvège et la Hollande et présente dans plusieurs pays de la région, notamment en Colombie. PCS produit en 2006 un important rapport sur la violence (Montes, 2006). 36 Qui deviendra "Tejidos que lleva el alma" (voir bibliographie). 37 A partir de 2004, à la Fondation Guatemala. 38 Sector de mujeres naît comme regroupement informel d'organisations pour défendre les intérêts des femmes dans le processus de paix. En 2005, la coordination prend le nom d'Alliance politique secteur de femmes. Elle rassemble aujourd'hui 33 organisations liées aux cosmovisions indiennes, aux féminismes et à la gauche : http://www.sectordemujeres.org.gt 39 Fondé en 1988, le regroupement de femmes Tierra Viva est longtemps l'un des seuls groupes à s'affirmer féministe au Guatemala : http://tierra-viva.org/quienes.htm 40 Lesbiradas est le seul groupe de lesbiennes-féministes du Guatemala. Il surgit du premier groupe de lesbiennes du pays, Mujer-es Somos, formé en 1995 : http://lesbiradas.blogspot.fr/p/historia.html 41 Le premier cas de "féminicide" signalé comme tel par Amnesty International a lieu en 2001, quand une femme est retrouvée assassinée avec une pancarte « mort aux chiennes » (AI, 2004). De fait, les assassinats de femmes, avec ou sans vol et violences sexuelles, augmentent rapidement : 179 en 1999, puis 303 en 2001 et 497 en 2004 (Rosales Gramajo, 2008). 42 Il s'agit d'une féministe mexicaine proche d'Alaïde Foppa —une des premières féministes guatémaltèques. Mercedes Olivera possède une trajectoire particulièrement reconnue comme activiste et comme universitaire, ayant co-fondé avec Walda Barrios le premier groupe de recherche féministe (Antsetik) à l'Université du Chiapas. 43 Le Comité de América Latina y El Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer, fondé en 1987 au Costa Rica, se consacre à la lutte juridique pour l'égalité femmes-hommes. 34

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nouvelle vague de violence contre les femmes et les cicatrices non refermées du conflit, en particulier l'impunité des violences génocidaires —ce que souligne par exemple le titre d'un ouvrage de l'anthropologue états-unienne Victoria Sandford (2007). A partir des premières discussions sur la violence de 2004, parmi les travaux exploratoires nécessaires pour comprendre le phénomène de la violence sexuelle et la manière dont le comprennent les féministes urbaines (majoritairement métisses) et au-delà, l'ensemble du mouvement des femmes (longtemps resté étrangement silencieux sur la question), apparaît l'espace "Parlons de violence sexuelle". Il s'agit de politiser le problème du viol et de le faire sortir du domaine du tabou et du privé, et que chacune commence à rompre le silence sur sa propre histoire. Actoras, Lesbiradas, CALDH, Tierra Viva et Sector de mujeres organisent d'abord 5 ateliers au cours de l'année 2005. Une cinquantaine de femmes très diverses s'y retrouvent à chaque fois, même si parler de thèmes si personnels n'a rien d'évident : la moitié abandonnent en chemin.44 Les plus persistantes réussissent cependant à affronter des thèmes tabous —en particulier celui du corps mais aussi de sa réappropriation, entre autre par la nudité. A l'occasion du 25 novembre 2006, plusieurs participantes de l'atelier, appuyées par des activistes de Lesbiradas, créent un nouveau groupe : la Batucada féministe. En 2007, après une interruption d'un an, sous l'impulsion de la Batucada féministe, l'espace est ré-orienté pour travailler à la réappropriation par les femmes de leur corps et de leur propre vie, sous le nom de "Parlons de sexualité, de pouvoir et d'érotisme" —avec une forte influence du travail d'Audre Lorde sur l'érotisme. Parallèlement, la Batucada féministe travaille contre l'expropriation du corps des femmes, en organisant diverses actions de réappropriation collective particulièrement novatrices et fortes. Ainsi, pour le 8 mars 2007, au son des tambours et protégées par les autres manifestantes, 13 femmes se dénudent publiquement sur la place centrale de la capitale, pour révéler le message peint lettre à lettre sur leur corps : MI CUERPO ES MIO (mon corps est à moi)45. Leur audace et leur volonté de visibilité font écho à la nouvelle détermination des femmes indiennes qui travaillent avec Actoras : cette même année 2007, après une longue période de préparation clandestine par rapport aux communautés où elles vivent, elles font savoir qu'elles se sentent capables et désireuses de parler à voix haute de ce qu'elles ont vécu, et que leur parole soit rendue publique "afin que ce qui s'est passé ne se répète jamais". Cependant, cet élan libérateur qui s'est emparé d'une partie du mouvement rencontre aussi des réticences, voire des oppositions frontales. Ainsi, en octobre 2008, lors du IIIème Forum des Amériques46, plusieurs groupes dont Lesbiradas et la Batucada féministe scandalisent une partie de la gauche régionale, y compris certaines Indiennes guatémaltèques47, en accrochant dans la Tente des femmes une banderole où 11 femmes posent nues et enlacées, avec la légende : "Territoire libre. Mon corps est à moi. Libre de contrôle, expropriation, violence, colonisation, racisme, lesbophobie". Il faut bien dire que cette visibilité soudaine du corps (nu!) des femmes, dans une perspective d'autoreprésentation, de réappropriation et de liberté, est aussi liée à une montée en puissance des analyses lesbiennes féministes48. 44

Dont Yolanda Aguilar, qui quitte Actoras en janvier 2006, après quatre années intenses, pour avancer dans son processus personnel et comprendre de nouvelles dimensions dans le travail sur les violences. Elle quitte momentanément le pays, tandis qu'Amandine Fulchiron prend la direction de la recherche-action participative et que Luz Méndez prend la direction du Consortium Actoras de cambio. En 2008, suite à une rupture au sein du Consortium, plusieurs féministes autonomes créent la Collective Actoras de cambio, pour poursuivre leur projet initial. 45 Une vidéo de l'action est disponible sur You Tube : https://duckduckgo.com/?q=batucada+feminista+8+de+marzo+2007+Guatemala&ia=videos&iai=ZSfs-BgffPA 46 Le Forum des Amériques est l'une des principales coordinations régionales contre les traités de libre échange et l’extractivisme minier, liée au Forum social mondial. 47 Leur malaise initial débouche précisément sur le développement du "féminisme communautaire" guatémaltèque dont on parlera plus bas (voir également l'interview de Lorena Cabnal (Falquet, 2015)). 48 Le développement d'un courant lesbien-féministe au Guatemala culmine avec la tenue à Ciudad Guatemala de la VIII ème Rencontre lesbienne-féministe continentale (RLFLAC), en octobre 2010. Parmi les organisatrices, on trouve plusieurs activistes de la Batucada feminista et/ou d'Actoras et/ou des luttes pour la mémoire historique. Les questions des violences contre les femmes pendant la guerre, du militarisme et de l'extractivisme minier, sont des points importants de la rencontre,

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Légende de la photo : affiche à l’occasion de la rencontre méso-américaine du III ème Forum des Amériques, octobre 2008 On le voit, les luttes pour la visibilisation des violences sexuelles commises durant le conflit ont lancé des dynamiques qui ont largement dépassé leur propos originel, grâce à un entremêlement de facteurs nationaux, régionaux et internationaux. On y trouve des actrices "multi-positionnées" Métisses, Indiennes et Européennes, impliquées pour la plupart depuis longtemps dans différentes luttes et faisant partie simultanément ou successivement, à titre professionnel, académique et/ou militant, de différents espaces du mouvement des femmes, féministe et lesbien, des groupes de droits humains, de la gauche proche de l'ex-guérilla, ou encore de la coopération internationale. 49 Le succès et l'écho des stratégies qu'elles ont déployées sont également liés au contexte d'après-guerre, qui voit apparaître de nouvelles formes de violence. 3. Continuité des violences dans l'extractivisme d'après-guerre et reformulation des luttes Les espoirs qu'ont pu susciter les Accords de Paix de 1996 ont rapidement été douchés par une profonde crise économique et politique —qui touche d'ailleurs l'ensemble de l'Amérique centrale qui sort progressivement de la décennie de guerre des années 80. Comme dans les autres pays de l'isthme, loin de cesser, la violence persiste et croît sous diverses formes : vols, viols, enlèvements et assassinats. La délinquance organisée se développe rapidement autour des jeunes appauvri-e-s et sans futur, des anciens militaires, policiers et paramilitaires jamais inquiétés pour leurs actions passées ni désarmés. La situation empire sous l'influence des maras du Salvador voisin, puis des cartels de la drogue mexicains qui s'installent dans le nord du pays dans les années 2010. Quant à l'économie, le pays est englobé dans un projet qui poursuit la visée du Traité de libre commerce Etats-Unis-CanadaMexique de 1994. Il s'agit de consolider une zone de libre échange méso-américaine qui fasse ensuite la jonction avec le sud du continent. Ainsi, le Plan Puebla Panamá, lancé en 2001 à l'initiative du Mexique et de la BID, 50 prévoit la réalisation d'un ensemble de "méga-projets" d’infrastructures qui souhaite dépasser les préoccupations étroitement identitaires généralement formulées par le mouvement LGBTQI. Les deux rencontres lesbiennes-féministes continentales suivantes confirment cette tendance (Bolivie, 2012 et Colombie, 2014). 49 Plusieurs d'entre elles travaillent à différents moments dans les mêmes ONGs, notamment CALDH et PCS. Beaucoup se connaissent depuis la guerre et plusieurs ont participé dans les mêmes forces guérillères, les mêmes organisations d'exilées politiques et ont monté différents réseaux féministes entre le Mexique, l'Amérique centrale et la Colombie tout particulièrement. 50 Les principaux bailleurs de fonds sont la BID, la Banque mondiale, l’Union européenne, la Société andine de

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(autoroutes, chemins de fer, nouveau canal, barrages hydroélectriques) pour permettre la "mise en valeur" de la région. Favorisé par la hausse de la demande et des prix, commence alors, comme dans tout le continent, un nouveau cycle extractiviste minier, de grands projets hydro-électriques et d'accaparement des terres pour la monoculture d'exportation (Collectif, 2013, Svampa, 2013)51. A. Les violences du projet néolibéral extractiviste Au Guatemala, il s'agit essentiellement de reprendre la colonisation de la Frange transversale nord. Et de fait, une bonne part des projets de barrages, d'exploitation pétrolière (gisements de grande qualité à faible profondeur, donc très rentables), d'extraction minière et d'agro-industrie52 sont prévus aux mêmes endroits déjà affectés par les pires massacres pendant la guerre. D'ailleurs les anciens détachements militaires qui reprennent leurs activités dans les années 2000 se situent tous le long de la FTN, où la Banque Centraméricaine d'intégration économique s'apprête à financer la construction d'une route de plus de 300 km destinée pour faciliter l’exploitation des ressources naturelles53. L'extractivisme se développe continument à partir de 2004 (élection du conservateur de Berger Perdomo), selon une logique globale de cession à vil prix de concessions, généralement à des entreprises transnationales et sans perspectives de bénéfices pour le pays, moins encore pour les populations locales. Celles-ci mesurent vite les conséquences négatives de ces projets : brusque afflux de forces répressives et de population extérieure, pollution grave voire destruction complète des possibilité de vivre sur place et fort risque d'éviction immédiate ou à court terme. Bien que la convention 169 de l'OIT stipule l'obligation d'associer les populations indiennes aux décisions concernant leurs territoires de vie, celles-ci ne sont jamais consultées. Dans le reste du continent, face à cet assaut généralisé, la résistance se développe rapidement autour du mot d’ordre de « récupération et défense du territoire-Terre » —tout particulièrement porté par les populations indiennes. Le Guatemala ne fait pas exception. Et comme pendant la guerre, les entreprises font intervenir des milices de sécurité privées, tandis que le gouvernement couvre systématiquement leurs agissements en votant de nouvelles lois ad hoc et en envoyant la police et l'armée pour imposer les projets. Assassinats, violences sexuelles et viols se multiplient, les femmes paysannes, tout particulièrement indiennes, étant à nouveau en première ligne des agressions visant à faire taire la population ou à la chasser. Le premier mort et les premiers blessés sont à déplorer dès 2005 autour du refus de la mine d'or de Marlin 1, à 150 km à l'ouest de la capitale 54 . Fin 2006, des incidents très graves se produisent autour de la mine de nickel d'El Estor, dans une région majoritairement Q'eqchi du département d'Izabal. El Estor est un lieu emblématique : en 1965 déjà, pour permettre à l'entreprise canadienne Inco 55 d'y travailler à ciel ouvert —ce qui était alors interdit par la Constitution— le gouvernement avait dissout le Congrès et imposé un nouveau code minier.56 La première guérilla du pays s'étant établie à proximité de la mine, le gouvernement envoyait ensuite le colonel Carlos Manuel Arana Osorio "nettoyer" la zone—tuant entre 3.000 et 6.000 paysan-ne-s en 1966. Arana devient développement (SAD), la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) et la coopération au développement des États-Unis, du Japon et de l’Espagne : Pickard, Miguel, novembre 2002, Tout ce qu’il faut savoir sur le Plan Puebla Panamá : http://risal.collectifs.net/spip.php?article91 51 Approximativement un quart du territoire centraméricain est aujourd'hui concession des transnationales (Garaye Zarraga, 2014). 52 La culture de la palme africaine (pour produire de l'agro-diesel entièrement destinée à l'exportation vers les USA) se développe dans des municipalités déjà largement éprouvées pendant la guerre : Chisec et Cobán (Alta Verapaz), Ixcán (Quiché), El Estor (Izabal). Pour 2014, on estime la surface cultivée à 130.000 ha. 53 La route est prévue par des décrets de 2005 et 2006. Une seule entreprise s'étant présentée à l'appel d'offre pour la construction (Solel Boneh Internacional), la décision est attaqué pour inconstitutionnalité en novembre 2007. 54 Dès janvier 2005, la population de San Miguel Ixtahuacán et Sipacapa (département de San Marcos) s'oppose à la mine d'or de Marlín 1 concédée à la transnationale Goldcorp. Après 40 jours de blocage de la route pour empêcher l'arrivée des machines, l'attaque de la police fait un mort et de nombreux blessé-e-s dans chaque camp. En juillet 2010, l'opposante à la mine Diodora Hernández est blessée par balles chez elle (AI, 2014). En 2013, la population érige un barrage sur l'autoroute voisine pour protester contre de nouvelles explorations à Sipacapa. 55 Bénéficiaire d'un permis d'exploitation depuis 1963. 56 http://www.chocversushudbay.com/la-mineria-canadiense-en-el-estor?lang=es

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président du pays en 1970. Les protestations se poursuivant, il suspend les libertés civiles et attaque l'université nationale de San Carlos, siège de la contestation57. La répression continue jusqu'en 198258, qui voit l'arrêt de la production de la mine 59 . En 2004, un nouveau permis est accordé, sans consultation de la population locale, qui subit une première vague d'expulsion par la police, l'armée et des groupes paramilitaires en novembre 2006, puis une deuxième en janvier 2007. Des centaines de maisons sont brûlées et 11 femmes Q'eqchi dénoncent des viols (AI, 2014)60. Au nord-ouest de la capitale, où un "anneau régional métropolitain" est en construction malgré l'opposition des communautés, une autre lutte s'amorce dès 2007 contre l'ouverture d'une gigantesque cimenterie destinée à alimenter la construction des routes et des barrages à venir (Cementos Progreso). Une consultation populaire organisée en 2007 par 12 communautés indiennes Kakchikel de la municipalité de San Juan Sacatepequez (département de Guatemala) refuse massivement le projet61. Les pouvoirs publics répondent par des assassinats, des mandats d'arrêt et le déploiement de groupes paramilitaires. L'orientation extractiviste se renforce considérablement à partir de 2008 sous le socialdémocrate Álvaro Colom, qui accorde 31 licences d’exploitation à des entreprises transnationales.62 Face à la résistance des communautés, le gouvernement décrète une première vague d'états d’urgence en 2008 et 2009. En 2009, les populations Kakchikel en lutte contre l'entreprise Cementos Progeso convergent avec les communautés Indiennes de San Mateo Ixtatán (Huehuetenango) qui refusent les mines à ciel ouvert 63 . En 2010, les communautés de Nentón, San Mateo Ixtatán et Barillas (département de Huehuetenango) protestent contre le commencement des travaux de la route devant traverser la FTN. On remarquera que San Mateo Ixtatán et San Francisco de Nentón ont été le lieu de terribles massacres en 1982, et que pas moins de 9 massacres avaient été perpétrés entre 1978 et 1983 dans la région de Barrillas (Grandjean, 2013). En mai 2011, suite à l'assassinat de 22 paysans attribué au groupe paramilitaire mexicain des Zetas, le Petén fait l'objet d'un mois d'Etat de siège. L'année 2012 est des plus agitée : en mars, les populations métisse de San José del Golfo et Kakchikel de San Pedro Ayampuc (à 40 km au nord-est de la capitale) occupent pacifiquement le lieu dit de La Puya, contre le projet de mine d'or de l'entreprise canadienne Radius Gold. En avril, à Xalalá dans l'Ixcán (Quiché), 400 personnes qui s'opposaient au projet hydroélectrique de l'entreprise Santa Rita sont délogées. 64 Début mai, la population de Barillas se soulève contre le projet de barrage de l'entreprise espagnole Hidro Santa Cruz, suite à l'assassinat d'un dirigeant de la communauté par deux employés de sécurité privée travaillant pour l'entreprise. Aussitôt, le gouvernement décrète l'état de siège et envoie l'armée. La population, majoritairement Q’anjob’al, revit avec terreur la présence militaire et fuit dans les montagnes. Douze personnes sont finalement arrêtées et accusées de « terrorisme »65. A la Puya, le 7 mai, 400 policiers sont envoyés pour ouvrir le passage aux machines : 23 manifestant-e-s et 15 policiers au moins sont blessé-e-s. Le 23 mai, deux inconnus blessent grièvement par balle l'une des organisatrices de l'opposition au projet, Yolanda Oquelí. En octobre enfin, à Totonicapán, des affrontements entre la police militaire et des manifestant-e-s Quiché et 57

Deux professeurs de droits sont assassinés, tandis que l'Etat guatémaltèque entre à hauteur 30% dans le capital de l'entreprise, désormais Eximbal. 58 En mai 1978, deux personnes sont blessées par balles depuis un véhicule d'Exmibal. En juin 1978, 4 personnes sont exécutées par des militaires et des employés de l'entreprise. En 1981, des policiers utilisant un véhicule de l'entreprise assassinent un autre dirigeant communautaire (AI, 2014). 59 Après que le gouvernement ait tenté d'imposer un impôt de 5% à l'entreprise. 60 Après un nouvel assassinat d'un dirigeant communautaire par la sécurité de l'entreprise en 2009, le projet semble suspendu. 61 Par 8.948 voix contre et 4 voix pour (il s'agit d'une consultation locale). http://guatemalacomunitaria.periodismohumano.com/tag/cementos-progreso/ 62 En janvier 2014, on compte 100 permis d'exploitation de minerais métalliques en vigueur, et 355 nouvelles demandes (AI, 2014). 63 http://www.minesandcommunities.org/article.php?a=9368). 64 Ce barrage a été décidé dans le cadre du Plan Puebla Panamá et implique de déplacer 12 communautés Maya Q'eqchi. Une consultation organisée en 2007 avait montré le rejet du projet par 90% de la population. En mars 2012, un campement militaire est installé à proximité. 65 Les Nations unies ont conclu que 8 personnes incarcérées plus de huit mois ont subi une détention arbitraire. Au moment de l'écriture de cet article, vingt-deux personnes étaient toujours sous la menace de mandats d’arrêt.

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Kakchikel qui bloquent la route pour protester entre autre... contre le prix de l'électricité, font 7 morts et 34 blessés. Il s'agit de l'un des plus grands massacres de population indienne depuis la guerre. En 2013 l'état d'urgence est à nouveau décrété plusieurs fois. En janvier, le site d'une future mine d'argent est attaqué, causant trois morts dont deux gardes de sécurité à San Rafael las Flores (à 90 km de la capitale). En avril, un permis d'exploitation est accordé à la transnationale canadoétatsunienne Tahoe resources Inc, dont les gardes de sécurité blessent 6 manifestants le 27 avril. Le 2 mai, le gouvernement décrète l'état d'urgence et envoie 3.500 policiers et soldats (AI, 2014). En septembre 2014, toujours dans le cas de Cementos Progreso, le gouvernement impose l'Etat de siège à San Juan Sacatepequez. En octobre 2014, des femmes Kakchikel demandent la fin de l'état d'exception et dénoncent le harcèlement sexuel de la part de la police et de l'armée—mais c'est une dirigeante communautaire qui est finalement arrêtée66. Ainsi, pendant toute cette période, les continuités avec la période de la guerre sont frappantes. Les violences liées à l'extractivisme ont souvent lieu aux mêmes endroits que les anciens massacres, touchant parfois des survivant-e-s direct-e-s du génocide. Elles sont exercées par les mêmes acteurs (police, armée, sécurité privée des entreprises), qui agissent de concert, avec une impunité comparable à la période de guerre et dans le même but : intimider la population et l'évincer des zones concernées. Et l'on retrouve aussi l'usage de violences sexuelles spécifiques contre les femmes, qui participent activement à toutes les luttes et font l'objet de nombreuses violences. B. Diversité des stratégies féministes : de la voie juridique au féminisme communautaire Dans ce cadre, les luttes féministes contre la violence se multiplient. Quatre grandes stratégies se dessinent, non exclusives les unes des autres : la lutte juridique contre les violences de la guerre, qui possède des répercussions directes sur la vie politique du pays ; des pratiques plus locales de construction de mémoire ; un courant qui affronte la montée des féminicides par la réforme légale; et enfin la proposition théorico-pratique du féminisme communautaire. Le groupe Mujeres transformando el mundo (MTM) apparaît en 2008 autour des avocates Lucía Morán et Paula Barrios67, suite à la séparation des groupes qui formaient Actoras 68. MTM souhaite s'engager dans une lutte juridique classique. Après avoir formé en 2009, avec ECAP et l'UNAMG, l'Alliance Rompons le silence et l'impunité, MTM co-organise en mars 2010 à l'Université de San Carlos, un Tribunal de conscience sur la violence sexuelle durant le conflit (Alvarado, Caxaj, 2012). MTM y ébauche une stratégie légale en vue de présenter une dénonciation collective de réparation à la Cour interaméricaine de droits humains (CIDH). MTM décide ainsi de s'appuyer sur des cas exemplaires, comme celui de 15 femmes Maya Q'eqchi séquestrées, violées et mises en escalvage pendant plusieurs mois par des soldats du détachement local de Sepur Zarco (Izabal), en 1982 69. MTM porte le cas devant les tribunaux nationaux en septembre 2012, alors même que le général retraité Otto Pérez Molina, responsable militaire dans le triangle Ixil (Quiché) et soutien du coup d'Etat de Ríos Montt en 1982, a accédé au pouvoir début 2012. Ainsi, la lutte touche le coeur de l'actualité politique nationale. En mars 2016, les plaignantes obtiennent une sentence historique, par un tribunal national : les deux accusés sont condamnés à 360 ans de prison70. De leur côté, fidèles à leur conception large de la justice comme construction de mémoire, les activistes demeurées dans Actoras poursuivent leur travail de visibilisation des violences sexuelles 66

http://guatemalacomunitaria.periodismohumano.com/tag/cementos-progreso/ En 2013, Lucía Morán et d'autres quittent MTM et fondent le groupe ASA. 68 Après avoir refusé une pressante invitation à s'intégrer à l'UNAMG, Actoras se divise en 2008. 69 Lieu-dit situé à la frontière entre le département de l'Alta Verapaz et celui d'Izabal, Sepur Zarco est aujourd'hui rattaché au municipe de El Estor (Izabal). Avec le plein assentiment de leur hiérarchie, des soldats avaient séquestré pendant presque un an plusieurs dizaines de femmes dont ils avaient assassiné les époux, en les obligeant à laver leur linge et cuisiner pour eux, et en les violant de manière systématique et collective. 70 Cependant, comme souvent, les survivantes doivent ensuite rentrer dans leur communauté, où elles restent stigmatisées, alors que leurs revendications concernant l'accès à la terre (au titre des réparations) n'ont toujours pas abouti. 67

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contre les femmes pendant la guerre. Elles organisent d'abord à l'occasion du 25 novembre en 2008, à Huehuetenango, un premier Festival de la mémoire "Femmes et guerre : j'ai survécu, je suis là et je suis vivante"71. En novembre 2009, elles publient le rapport Tejidos que lleva el alma, qui synthétise leurs longues années de travail, visibilisant la violence sexuelle et proposant une analyse approfondie de son impact sur l'histoire des femmes indiennes survivantes de ces crimes de lèse-humanité. En 2011, elles réalisent un deuxième festival dans le département de Chimaltenango. Surtout, au fur et à mesure de la multiplication des luttes contre l'extractivisme, elles développent des alliances avec des groupes de femmes locaux et des féministes indiennes. Ainsi, elles s'impliquent tout spécialement dans le cas de Barillas, où comme on l'a évoqué, l'état de siège a été décrété début mai 2012 suite à d'importantes manifestations contre un projet de barrage. Suite à la marche "Nous sommes toutes et tous Barillas" qui a lieu le 15 mai à Huehuetenango, Actoras se réunit avec un ensemble de groupes72. Ensemble, elles organisent un "Festival pour la vie, le corps et le territoire de femmes" —qui rassemble près de 200 femmes en septembre 2012. Simultanément, une partie des féministes poursuivent la lutte contre les féminicides 73 . En effet, les assassinats vont croissant : 603 sont reconnus par la police rien qu'en 2006. En s'appuyant sur les analyses juridiques développées par le CLADEM, sur le travail des Mexicaines74 et sur une récente résolution du Parlement Européen contre les assassinats de femmes au Mexique et en Amérique centrale, le mouvement des femmes obtient en 2008 le vote de l'une des premières lois du continent définissant et condamnant les féminicides.75 Las : en 2009, on compte 847 assassinats, puis plus de 1000 en 2010. La lutte juridique semble déboucher sur une impasse. En effet, la loi place la misogynie au coeur de la définition du féminicide. Or la misogynie est fort difficile à prouver devant les tribunaux, ce qui rend les condamnations presque impossibles. Surtout, la faiblesse du système judiciaire du pays rend l'accès à la justice extrêmement problématique. Enfin, c'est à partir des Xinca de la montagne de Xalapán76, une population indienne non Maya en pleine réapparition autour d'enjeux territoriaux, qu'apparaît le féminisme communautaire. Celui-ci constitue l'une des tendances les plus novatrices du féminisme continental, du mouvement indien et des luttes environnementalistes. Dès 2003, un groupe de femmes s'organise dans le village des Izotes (Jalapa) autour de questions de droits humains (Cabnal, 2015). Attaquée par le FRG (Frente republicano guatemalteco), parti qui contrôle la municipalité, les évangélistes et même une partie des autorités indiennes traditionnelles —qui voient d'un mauvais oeil certaines parler de contraception et vivre en union libre— l'association Amismaxaj (Association de femmes indiennes de Santa María de Xalapán) intègre rapidement l'Alliance politique Sector de mujeres. Forte de cet appui, l'association réalise d'abord un patient travail de consolidation interne. A partir de 2005, elle participe à la revitalisation de l'identité ethnique du peuple sur son territoire, en luttant notamment pour la défense du territoire ancestral contre les grands propriétaires terriens, les OGM et l'extractivisme minier transnational, en même temps qu'elle commence une lutte contre le féminicide et la violence sexuelle contre les fillettes dans les communautés indiennes de la montagne, où certaines autorités justifient même le rapt comme une pratique culturelle traditionnelle. C'est à partir de ces expériences qu'elle met en avant la défense du premier territoire-corps des femmes, filant ensuite la métaphore avec la défense du territoire, qui devient d'abord en 2007 un slogan contre les transnationales minières, puis un énoncé central du féminisme communautaire au Guatemala : "récupération et défense du territoire-corps-terre". En juin 2010, lors de la première 71

Voir filmographie. Notamment des femmes de Barillas, Mamá Maquín, CEDFOG, le Réseau de femmes d'Aguacatán et le Mouvement de femmes Maya. 73 Cette lutte mériterait un développement plus conséquent, impossible ici faute de place. On pourra voir sur le cas de Ciudad Juárez, au Mexique, Falquet, 2014. 74 La Commission parlementaire d'enquête sur les féminicides présidée par Marcela Lagarde publie son rapport en 2006. Lagarde propose la création d'une figure juridique spécifique. Elle donne une conférence remarquée sur le sujet devant le député-e-s guatémaltèques. 75 http://www.aciab.org/IMG/pdf/A-Latina_U-Europea_VD_Walda_Barrios.pdf 76 Départements de Jalapa, Jutiapa et Santa Rosa. 72

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Assemblé nationale féministe, à laquelle elle participe comme membres de l'Ecole nationale féministe et comme Amismaxaj, elle décide de se nommer "féministe communautaire". En décembre 2010, invitée par Lesbiradas à la suite de la VIIIème rencontre lesbienneféministe continentale qui vient de se tenir à Ciudad Guatemala et a débattu notamment de la militarisation et de l'extractivisme, l'une des fondatrices d'Amismaxaj, Lorena Cabnal, participe à un espace de dialogue entre féministes pour échanger à propos du féminisme communautaire. Elle y entend pour la première fois parler du féminisme communautaire bolivien que développe le groupe Comunidad Mujeres Creando. Sa principale théoricienne, l'activiste lesbienne féministe aymara Julieta Paredes (2010)77, critique sans ambages le racisme blanc et métis, mais aussi l'idéalisation des cultures préhispaniques et le "fondamentalisme ethnique"78. Selon Paredes, la colonisation n'a pas tant imposé un patriarcat là où il n'existait pas, que scellé une alliance durable qu'elle baptise entronque patriarcal [jonction patriarcale], avec ce qu'elle nomme le patriarcat préhispanique. Les féministes communautaires guatémaltèques, qui avaient nommé ce processus "reconfiguration de patriarcats", adoptent ces nouveaux concepts. Bien qu'elles se soient développés sans contacts (Internet n'arrive guère dans la montagne Xinca et même le téléphone fonctionne mal), ces deux interprétations du "féminisme communautaire" possèdent de profondes ressemblances. Amismaxaj le définit en effet comme "une transgression qui part d'un regard critique sur l'identité ethnique essentialiste pour construire une identité politique qui nous permette, à partir de ce que nous ressentons comme femmes originaires, de questionner nos logiques culturelles d'oppression historique, issues d'un patriarcat ancestral originaire, qui se refonctionnalise avec la pénétration du patriarcat colonisateur." 79 L'extractivisme apparaissant clairement comme l'un des derniers avatars de ce patriarcat colonisateur et comme une menace immédiate, Amismaxaj se tourne progressivement vers des luttes de défense du territoire, qui vont de la dénonciation publique de problématiques historiques et structurelles des femmes indiennes (violence sexuelle, traite, appauvrissement), jusqu'à la défense du territoire-terre contre l'usurpation des grands propriétaires, des partis politiques et des transnationales minières.80 Pour cela, le groupe s'appuie sur la consigne anti-extractiviste continentale de "défense du territoire-Terre". Cependant, comme l'explique Lorena Cabnal : "défendre la Terre, si sur cette terre on trouve des enfants et des femmes violenté∙e∙s, serait une incohérence cosmogonique. [Le féminisme communautaire] apparaît dans un ensemble de manifestations du mouvement indien, du mouvement social, du mouvement féministe. Nous voulions que cesse d’être repoussée à plus tard la dénonciation que faisaient les femmes et les féministes des violences contre elles, nous refusions que la défense de la Terre invisibilise nos luttes féministes. Défendre la Terre, oui, mais pas seulement. Ni le socialisme ni le féminisme ne seront émancipateurs s’ils ne lient pas le corps et la Terre. Petit à petit, ce mot d’ordre est devenu central dans [nos] réflexion. En effet, c’est sur le corps des femmes que toutes les oppressions sont construites. Il existe une dispute territoriale autour du corps des femmes, et les femmes indiennes ont été expropriées de leurs corps." (Cabnal, 2015). C'est pourquoi Amixmasaj participe directement aux luttes et accompagne les victimes de répression, tout spécialement les femmes, dans la durée (appui matériel et juridique, dénonciation des violences, en particulier sexuelles, organisation de pratiques de sanation). Simultanément, le féminisme communautaire s'affirme comme une proposition épistémologique qui, à partir des femmes Xinca, vise "la libération des oppressions historiques structurelles à partir de notre premier territoire de récupération et de défense qui est le corps, et depuis notre territoire terre"81. 77

Il s'agit d'une des fondatrices du célèbre groupe Mujeres Creando, qui s'en est séparée en 2002. Sur les composantes du "féminisme autonome" du continent et son histoire au cours des 20 dernières années : Falquet, 2011. 78 Celui-ci est relativement développé en Bolivie, notamment par des dirigeants indiens comme Felipe Quispe. 79 http://amismaxaj.blogspot.fr 80 http://amismaxaj.blogspot.fr 81 http://amismaxaj.blogspot.fr

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En mettant au centre "l'énergie vitale du réseau de la Vie", dans lequel "l'un des éléments cosmogoniques qui souffrent de désharmonie à cause du système patriarcal sont les corps", en particulier le corps des femmes indiennes comme objet de toutes les violences mais aussi comme sujet individuel et collectif, première source matérielle et spirituelle de résistance, le féminisme communautaire avance des propositions particulièrement importantes. A partir de pratiques concrètes à la confluence luttes féministes et indiennes/antiracistes contre l'extractivisme, il théorise le lien entre les violences patriarcales, coloniales, racistes, capitalistes-néolibérales contre les femmes indiennes (1) avant la colonisation, (2) à l'époque coloniale, (3) dans les processus contre-révolutionnaires et (4) dans le projet néolibéral. Au-delà, il propose une analyse globale qui fait apparaître les liens entre extractivisme, militarisation, guerre et (re)colonisation —en plaçant au coeur de la logique néolibérale actuelle, l'histoire longue de l'usage patriarcal et raciste de la violence.82 Le féminisme communautaire guatémaltèque contribue ainsi —depuis les territoires ruraux et aux côtés d'autres collectifs et de femmes des différents peuples Maya qui critiquent depuis de nombreuses années le rôle dépolitisant de la coopération internationale et luttent pour leur autonomie— au développement du féminisme décolonial du continent et constitue un des pôles les plus éloignés, épistémologiquement et politiquement, de la globalisation néolibérale du genre telle que la promeuvent les institutions internationales —s'inscrivant au contraire, au moins en partie, dans la continuité des perspectives (lesbiennes)féministes "autonomes" du continent, qui critiquent durement les tentatives de récupération du mouvement féministe par les institutions internationales depuis les années 90 (Falquet, 2011). * On a vu ici comment grâce à un patient travail collectif, un ensemble de femmes, dont une partie de celles qui ont souffert dans leur chair des violences sexuelles, refusant un statut de victimes, se sont imposées comme actrices de changement dans le Guatemala d'après-guerre. Leurs actions ont profondément transformé le mouvement des femmes et féministe métis et urbain en l'amenant à faire sienne la problématique de la sexualité et des violences, et à se rapprocher des femmes et des féministes indiennes, tout comme des lesbiennes-féministes (métisses et indiennes) —deux tendances qui ont développé des pratiques et des analyses marquantes. Ce mouvement en ascension a pesé sur la vie politique nationale et sur la justice à l'échelle internationale, en contribuant à la condamnation historique d'un ancien dictateur, tout en montrant que la violence contre les femmes constituait un élément clé de la violence génocidaire. Il s'est impliqué dans les luttes contre l'extractivisme transnational et le processus de (re)colonisation néolibéral. Ce faisant, il a produit, entre autre sous les traits du féminisme communautaire, des analyses fortes de la violence patriarcale et raciste comme instrument historique d'un système de colonisation, et théorisé le concept de territoire-corps-terre comme point de départ de toutes les résistances. Concernant l'analyse de la violence proprement dite, ces luttes ont départicularisé et historicisé les violences sexuelles en temps de guerre, et éclairé d'un nouveau jour les violences de la paix, notamment les féminicides. Bien au-delà de violences exceptionnelles, anomiques ou ancrées dans une misogynie immémoriale, ces luttes ont montré l'existence d'un véritable continuum de violences contre les femmes, principalement indiennes mais pas seulement, avant et après la guerre. Elles ont souligné que ce continuum de violence était au fondement des anciennes logiques coloniales comme des nouvelles. Elles en ont fait apparaître le caractère instrumental : ce continuum de violences constitue l'outil des institutions (Etat, armée, multinationales) qui mènent une guerre de basse intensité (basée sur l'emploi de la terreur contre la population civile) de très longue haleine contre les femmes indiennes en particulier. Ces luttes ont montré que la violence sexuelle, loin de n'avoir de causes et de conséquences que sexuelles, était associée à toutes sortes d'autres violences et devait faire l'objet d'une 82

Fortement marquée par ces réflexions, l'essayiste métisse Tania Palencia Prado a proposé le concept de gynocide pour penser cette histoire (Palencia Prado 2013). La journaliste et activiste Quiché Francisca Gómez reprend elle-même ce concept (2013).

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analyse conjointe. On peut y voir plusieurs objectifs imbriqués : traumatiser les femmes elles-mêmes (puis leur famille et leur communauté), les déloger d'un territoire donné (celui-ci et ses ressources constituant l'enjeu de la violence), et créer de la main d'oeuvre "libre" (en privant les populations indiennes de leurs ressources et de leur territoire), qui pourra être employée dans les plantations, l'emploi informel urbain ou en migration (essentiellement pour le travail domestique et le travail sexuel). Enfin, comme on l'a montré, cette lutte ne s'est pas faite dans l'isolement. On a souligné l'existence de toutes sortes d'influences extérieures, matérielles (y compris financières) et théoriques. Ainsi, les femmes, les féministes et les lesbiennes du Guatemala ont cultivé leurs liens avec diverses tendances féministes et lesbiennes du continent —et tout particulièrement mésoaméricaines— ainsi qu'européennes —notamment de l'Etat espagnol. Les différentes actrices et groupes ont également choisi de s'allier, selon les nécessités, avec différentes composantes du mouvement mixte des droits humains, de l'Eglise, de la gauche, des ONGs ou de la coopération internationale. Cependant, c'est à partir de leur propre vécu et de leurs nécessités concrètes qu'elles sont parvenues à peser sur leur réalité quotidienne comme sur le système politique national, et à (re)politiser la lutte contre les violences faites aux femmes en l'inscrivant dans une analyse globale et imbriquée des logiques sexistes, racistes et néolibérales-capitalistes dominantes. C'est pourquoi, en parallèle d'un processus général de globalisation du genre qui plaque une véritable novlangue institutionnelle souvent impérialiste sur les contextes locaux —un processus auquel il est bien difficile de se soustraire totalement et qui apporte parfois des ressources matérielles et une légitimation non négligeables—, elles ont mené une lutte bien à elles, née de besoins définis par les premières concernées, dans le cadre d'une vision du monde qui leur est propre. Une lutte définie selon leurs propres termes et rythmes, et surtout, qui propose à la fois des modes d'action et des grilles d'analyse beaucoup plus politiques que celles du genre globalisé.

Mené dans le cadre de l'ANR Global Gender (2013-2015), ce travail s'appuie sur une connaissance préalable du Guatemala développée depuis 1988, date à partir de laquelle j'ai résidé à plusieurs reprises dans des régions limitrophes —dans le Chiapas (Mexique) et au Salvador. Pour la présente recherche, j'ai réalisé un ensemble de rencontres préparatoires en janvier 2013 à Ciudad Guatemala dans le milieu des associations féministes (Actoras de cambio, journal féministe La Cuerda), des institutions internationales (ONU, PNUD), ainsi qu'avec diverses féministes à titre individuel. En janvier, puis en juillet 2014, j'ai effectué deux séries de collecte de matériel (dont beaucoup de littérature grise, essentielle dans ce travail) et d'entretiens formels et informels à Ciudad Guatemala. Ces informations ont été complétées par des entretiens supplémentaires réalisés en juillet 2014 et janvier 2015 dans le Chiapas (où résident plusieurs anciennes exilées Guatémaltèques et Mexicaines impliquées dans les luttes des réfugié-e-s depuis les années 80), et à Mexico DF (avec la

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responsable régionale d'une importante ONG internationale, JASS).83 Je me suis également appuyée sur des observations réalisées au fil des années au cours de différentes rencontres tenues au Guatemala, par exemple en 2001 (Première Rencontre Méso-américaine d’Etudes de Genre), en 2010 (VIIIème Rencontre lesbienne-féministe continentale (RLFLAC) et en 2014 (Journées du GLEFAS « Féminismes et lesboféminismes décoloniaux, antiracistes et pratiques de résistance à partir des territoires »). Enfin, de très nombreuses informations ont été corroborées ou complétées à partir d'Internet, sur les sites de divers groupes de Droits de la personne, féministes, ONGs et organisations nationales et internationales.

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Entretiens réalisés avec : Yolanda Aguilar, anthropologue et fondatrice de l’association Qanil, initiatrice du processus de travail sur les violences sexuelles contre les femmes durant le conflit armé dans l'association Actoras de cambio dont elle est co-fondatrice Amandine Fulchiron, politologue d'origine française, co-fondatrice d'Actoras de Cambio et responsable du rapport Tejidos que lleva el alma (2009), principal document sur les violences sexuelles durant le conflit armé Laura Montes, coopérante espagnole résidant de longue date dans la région, membre de l'ONG de Droits Humains CALDH et auteure de plusieurs rapports importants sur les violences sexuelles durant le conflit armé Lorena Cabnal, dirigeante de l’organisation indienne Xinca Amismaxaj, principale expositrice du courant du « féminisme communautaire » au Guatemala (plus un entretien complémentaire par Skype en novembre 2014, publié sous le titre : "'Corps-territoire et territoire-Terre' : le féminisme communautaire au Guatemala", in : Cahiers du Genre n°59 (2015), pp 73-90) Adela Delgado, activiste Maya, responsable de multiples projets pour la coopération allemande, notamment autour du cas Sepur Zarco Lucía Morán, avocate guatémaltèque responsable du suivi du cas Sepur Zarco pour le groupe d'avocates ASA Q. X. (en raison de graves menaces, cette interlocutrice souhaite rester anonyme), activiste guatémaltèque qui documente les violences actuelles liées à l'extractivisme (cas de Valle Polochic, Cementera progreso, Barillas et La Puya) Francisa Gómez, journaliste Maya Guatémaltèque, travaillant sur le cas actuel de la Cementera Progreso Tania Palencia, guatémaltèque, responsable de la coopération suédoise, spécialiste des questions de violences et du mouvement féministe guatémaltèque (Chiapas) Cecilia Vásquez, activiste mexicaine pour les droits de la personne au Guatemala depuis les années 80, notamment auprès des réfugié-e-s (années 80) et des retourné-e-s (actuellement) (Chiapas) Mercedes Olivera, sociologue, membre du programme Genre du CESMECA de l’Université du Chiapas, féministe et activiste mexicaine pour les droits de la personne au Guatemala depuis les années 80, notamment auprès de l’organisation de femmes réfugiées Mama Maquin, membre et fondatrice du Centre de Droits de la Femme du Chiapas actuellement directrice du programme Genre du CESMECA de l’Université du Chiapas (Mexico DF) Marussia Pérez : membre de l'ONG JASS International, à propos de la Tournée centraméricaine des Femmes prix Nobel de 2012 pour documenter les violences faites aux femmes, dont elle a été l'organisatrice.

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