Moniteur de la Justice Globale

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MONITEUR DE LA JUSTICE GLOBALE

DANS CE NUMÉRO Incohérence du Conseil de sécurité de l’ONU en matière de justice | Prendre conscience du fléau de la violence sexuelle en temps de guerre| Prochaine étape pour l’Ukraine : l’adhésion

JOURNAL DE LA COALITION POUR LA CPI NUMÉRO 46 2014-2015

à la CPI | La justice importe toujours en Afrique | Des enfants, pas des soldats | L’année de la CPI en chiffres | Tout ce que vous devez savoir sur l’élection des juges de la CPI

IMMUNITÉ = IMPUNITÉ Certains dirigeants pensent qu’ils devraient être exemptés de poursuites internationales. Pas nous. Interview avec Navi Pillay « L’Afrique a le plus bénéficié de la CPI »


EDITORIAL

UNE PÉRIODE D’OPTIMISME PRUDENT Les lecteurs constateront que le 46e numéro de notre publication phare a subi d’importants changements. Tout en conservant des analyses approfondies sur les principaux enjeux de la CPI et du système de justice internationale institué par le Statut de Rome (SR), nous espérons que cette version du Moniteur est désormais plus accessible au public grâce à un style plus visuel et engageant. Cette année, le système du SR a de nouveau été confronté à des défis de taille. Des amendements au Statut accordant l’immunité aux chefs d’État et aux hauts représentants du gouvernement en exercice ont été proposés. Le soutien de la Coalition au principe clé du SR qu’est l’égalité devant la loi, demeure inébranlable. Pour autant, l’optimisme est de mise. Nous croyons que le système du SR sera renforcé sous la direction du ministre de la justice sénégalais Sidiki Kaba, en sa qualité de Président de l’Assemblée des États parties (AEP). Défenseur de longue date de la lutte contre l’impunité, M. Kaba deviendra le premier Africain à la tête de l’Assemblée à un moment où il est urgent de réinstaurer une relation avec le continent. 2015 marquera le 20e anniversaire de la Coalition pour la CPI. Il est remarquable de constater tout ce qui a été accompli au cours des deux dernières décennies, et que tout a commencé avec une idée rejetée par beaucoup : une cour pénale internationale permanente. Tout au long de l’année, nous commémorerons les succès durement acquis de la lutte contre l’impunité tout en continuant notre travail visant à garantir une CPI équitable, efficace et indépendante, servant les intérêts des victimes du monde entier.

Le Coordinateur de la Coalition pour la CPI, William R. Pace, montre son soutien à la campagne de commémoration de la Journée de la Justice Internationale de la CPI. © ICC Photo de couverture : First we take Manhattan © 2012 Richard Mosse

William R. Pace est le coordinateur de la Coalition pour la CPI

QUI SOMMES-NOUS? La Coalition pour la Cour pénale internationale est un réseau mondial d’organisations de la société civile dans 150 pays travaillant en partenariat afin de renforcer la coopération internationale avec la CPI, garantir une Cour juste, efficace et indépendante, rendre la justice à la fois visible et universelle, et faire progresser les législations nationales rendant justice aux victimes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Pour plus d’informations rendez-vous sur : www. coalitionfortheicc.org.

NOTRE PERSONNEL Yazen Abed, fellow pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord (MOAN); Virginie Amato, responsable de plaidoyer et de programme pour l’Europe; Agustina Bidart, chargée de communication en espagnol; Brianna Burt, fellow de développement; Matthew Cannock, conseiller juridique; Clément Capo-Chichi, coordinateur régional pour l’Afrique; Radha Darji, assistante de finances et d’administration ; Amielle Del Rosario, coordinatrice régionale pour l’Asie-Pacifique; Robert Giordano, directeur de finances, Claire Giraudet, assistante de communication et de programme; Leila Hanafi, coordinatrice régionale pour le MOAN; Lesley Hsu, assistante de programme; Stephen Lamony, conseiller principal - UA, ONU et situations africaines; Spencer Lanning, responsable des technologies de l’information; Saskia Knight, assistante de développement; Niall Matthews, directeur de communication; Kirsten Meersschaert Duchens, chef du bureau de La Haye/coordinatrice régionale pour l’Europe; Dugal Monk, fellow pour l’Asie-Pacifique; Fabiana Núñez del Prado, fellow pour les Amériques; William R. Pace, coordinateur; Jelena Pia-Comella, directrice exécutive adjointe; Daniel Rees, directeur de développement; Michelle Reyes Milk, coordinatrice régionale pour les Amériques; Fartuna Said, assistante de finances; Alexandra Sajben, chargée de liaison pour les programmes régionaux; Hugo Strikker, chargé de finances et d’administration; Peony Trinh, responsable du design; Dan Verderosa, chargé de communication; Alix Vuillemin Grendel, conseillère juridique.

NOTRE COMITÉ EXÉCUTIF Le Comité exécutif de la Coalition est constitué d’un groupe restreint d’organisations membres qui assurent la cohérence politique et programmatique des efforts et activités de la Coalition : Adaleh Center for Human Rights Studies Amnesty International Asian Forum for Human Rights and Development Asociación Pro Derechos Humanos Civil Resource Development and Documentation Centre Comisión Andina de Juristas Fédération Internationale des Droits de l’Homme Georgian Young Lawyers’ Association

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Human Rights Network Human Rights Watch Justice Without Frontiers No Peace Without Justice Parliamentarians for Global Action The Redress Trust Women’s Initiatives for Gender Justice World Federalist Movement-Institute for Global Policy


EDITORIAL

DANS CE NUMÉRO IMMUNITÉ = IMPUNITÉ

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Le procureur agit face aux allégations de subornation de témoins

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On réclame une justice impartiale en Côte d’Ivoire

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Prochaine étape pour l’Ukraine : l’adhésion à la CPI

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Examens préliminaires de la CPI : Comment fonctionnent-ils?

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L’année de la CPI en chiffres

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Pas d’enquête en Corée pour l’instant, annonce le procureur de la CPI

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Les crimes présumés du Royaume-Uni en Irak passés à la loupe

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Des enfants, pas des soldats

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Prendre conscience du fléau de la violence sexuelle en temps de guerre

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Interview avec Navi Pillay

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Tout ce que vous devez savoir sur l’élection des juges de la CPI

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Pas de veto à la responsabilité

21

Le soutien latino-américain à la CPI au sein du Conseil de sécurité de l’ONU

23

La responsabilité est clé pour le nouveau chef des droits de l’homme de l’ONU

24

L’Art comme agent de changement

25

La justice importe toujours en Afrique

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Les victimes se font entendre à la table des négociations colombiennes

27

Les principes de non-ingérence de l’ASEAN sont-ils réellement incompatibles avec le Statut de Rome?

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L’UE, un acteur clé du système de la CPI

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La quête de justice continue dans un Moyen-Orient en proie aux troubles

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La Campagne pour la Justice Globale métamorphosée

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LEADER COMMUNAUTAIRE: UN PARTENAIRE IMPORTANT DANS LA LUTTE CONTRE L’IMPUNITÉ La Coalition travaille en partenariat avec de nombreux individus et institutions partout dans le monde afin de faire avancer la justice internationale. Wayne Bullaughey fait partie de ces partenaires. Il est membre du conseil de la Congrégation unitarienne de sa ville d’origine de West Chester en Pennsylvanie. Pour Mr. Bullaughey « la Cour pénale internationale vise un objectif inestimable qui est de rendre justice aux victimes des crimes les plus graves en toute indépendance. Il est important que nous nous dressions contre l’injustice ». Parmi nos autres importants partenaires figurent: la Commission européenne, les Fondations Open Society et le Sigrid Rausing Trust ainsi que les gouvernements d’Australie, d’Autriche, de Finlande, d’Irlande, du Liechtenstein, du Luxembourg, de NouvelleZélande, de Norvège, des Pays-Bas, de Suède et de Suisse. Ce soutien financier est indispensable à la Coalition car il lui permet de poursuivre ses efforts pour qu’à l’avenir, la justice soit accessible à tous. Pour plus d’informations veuillez contacter development@coalitionfortheicc.org.

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REPORTAGE

IMMUNITÉ = IMPUNITÉ La société civile mondiale appelle les gouvernements à empêcher un retour vers l’impunité des crimes graves en rejetant les propositions accordant l’immunité aux chefs d’État et aux représentants du gouvernement en exercice.

« La Coalition pour la CPI s’oppose résolument à toute immunité pour les graves crimes internationaux, que ce soit devant la CPI, la Cour africaine ou les juridictions nationales. Les évènements tragiques qui ont marqué le 20e siècle ont montré que l’immunité dont bénéficiaient les dirigeants mondiaux les avait conduits à commettre les crimes les plus odieux, précisément par ce qu’ils savaient qu’ils pouvaient agir en toute impunité. Le Statut de Rome constitue le développement le plus significatif de ces 50 dernières années pour contenir ce pouvoir sans limites. Tout doit être mis en œuvre pour protéger son intégrité ». —William R. Pace, coordinateur de la Coalition pour la CPI 4

L’ABSENCE d’immunité pour les chefs d’État ou les hauts responsables est inhérente à l’objectif du Statut de Rome (SR) de la Cour pénale internationale (CPI) : traduire en justice les individus portant la responsabilité la plus lourde pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide. Actuellement, des efforts inquiétants sont entrepris afin de nuire à ce principe fondamental du droit pénal international. La société civile appelle les gouvernements à prévenir un potentiel recul désastreux vers l’impunité.

L’érosion de l’immunité des chefs d’État Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les chefs d’État étaient considérés comme exempts de poursuites pénales internationales car ils étaient censés incarner la souveraineté absolue de l’État. Depuis lors, la loi et la pratique au sein de plusieurs tribunaux pénaux internationaux ont réglementé la conviction que les graves crimes sont commis par des individus, et dissipé l’idée que la responsabilité individuelle peut être contournée en invoquant le concept abstrait « d’agir au nom de l’État ». C’est l’échelle et la planification derrière les atrocités commises par l’Allemagne en 1939-45 qui ont conduit les Alliés à poursuivre les dirigeants

nazis une fois la guerre terminée. Les procès de Nuremberg ont déclanché le mouvement de justice internationale que nous connaissons aujourd’hui. Cependant, ce n’est qu’à la fin de la Guerre Froide que l’idée a connu un véritable essor. Dans les années 90, les conflits en Yougoslavie, au Rwanda et en Sierra Leone ont incité les Nations Unies (ONU) à établir des tribunaux temporaires chargés de juger les principaux responsables de crimes, y compris des dirigeants tels que Slobodan Milosevic ou Charles Taylor. Ces efforts sont venus renforcer le principe du défaut de pertinence de la qualité officielle pour les crimes relevant du droit international.

Le Statut de Rome rejette clairement l’immunité Lorsque le SR établissant la CPI permanente a été adopté en 1998, son article 27 stipulait clairement que : « le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ». À travers cet article, la communauté internationale a définitivement rejeté le paradoxe selon lequel la responsabilité pénale devrait être moindre pour ceux qui ont le plus de pouvoir. En 2011, une chambre préliminaire de la CPI a statué qu’ « en droit international l’immunité des chefs d’État, qu’ils soient ou non en exercice, ne peut être invoquée pour s’opposer à des poursuites menées par une juridiction internationale ». Les juges ont noté que les tribunaux internationaux avaient rejeté l’immunité des chefs d’État à de nombreuses reprises, soulignant que l’engagement de poursuites internationales à l’encontre de dirigeants était désormais une pratique largement reconnue. Des dirigeants, en exercice ou pas, tels que feu Mouammar Kadhafi, Omar el-Béchir, Laurent Gbagbo et Uhuru Kenyatta ont tous attiré l’attention de la CPI, à un moment de sa courte existence.


Le génocide rwandais de 1994 est l’un des épisodes les plus tragiques du 20e siècle. En seulement 100 jours un million de personnes ont été tuées, la plupart étaient des Tutsis. © Trocaire/Flickr

« Les enquêtes et les poursuites engagées contre les violations graves des droits de l’homme posent une limite au principe d’immunité des chefs d’État. Une interprétation permettant aux hauts représentants du gouvernement d’échapper à la juridiction d’un tribunal constitue, au niveau individuel, un manquement au droit à la protection judiciaire et à une procédure régulière. Elle empêche la détermination juridique des faits et de la responsabilité pénale. Au niveau social, l’immunité pour de tels crimes équivaudrait à l’impunité pour des individus qui, tôt ou tard, doivent publiquement faire face à la nature illégale de leurs actes ». —Enrique Bernales Ballesteros, directeur exécutif de la Commission andine des juristes

En parallèle, une décision phare de la Cour internationale de justice de 2002 a précisément rejeté le concept d’immunité des chefs d’État, qu’ils soient ou non en exercice, devant les tribunaux internationaux. La Coalition pour la CPI continue de défendre ardemment le SR, lequel repose sur le principe d’égalité entre les individus ; ce dernier s’applique sans distinction de genre, d’âge, de race, de couleur, de langage, de religion, d’origine, de richesse, de naissance ou tout autre statut. On retrouve les fondements que sont l’égalité devant la loi et l’individualité

non seulement au cœur du concept de responsabilité pénale internationale, mais également de la nature même des réparations pouvant être obtenues à la CPI. Au niveau national, beaucoup parmi les 122 États membres de la CPI ont exclu de leur droit interne, l’immunité des chefs d’État ou des représentants du gouvernement pour les crimes internationaux. Cependant, il semblerait que certains dirigeants, ayant constaté qu’ils ne peuvent plus agir en toute impunité, tentent désormais de réécrire l’histoire à leur avantage.

Les propositions du Kenya risquent de compromettre le Statut de Rome En mars 2014, le gouvernement kényan a officiellement déposé auprès de la division des traités de l’ONU, un ensemble d’amendements au SR, y compris à l’article 27, visant à exonérer les chefs d’État et autres hauts représentants du gouvernement de leur responsabilité pénale durant leur mandat. SUITE

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REPORTAGE FEATURE

Une femme passe en courant devant des maisons en feu durant les violences postélectorales de 2007/08 à Nairobi au Kenya. © Julius Mwelu/IRIN

SUITE

Le Kenya, au nom de l’Union Africaine (UA), propose qu’un troisième paragraphe soit ajouté à l’article 27, stipulant que « les chefs d’État en exercice, leurs adjoints, et quiconque agissant ou habilité à agir en tant que tel, peuvent être exemptés de poursuites pendant la durée de leur mandat […] ».

« La disposition relative à l'immunité est une altération regrettable de l'Acte constitutif de l'Union Africaine, qui rejette l'impunité en vertu de l'article 4. L’immunité élimine la possibilité que les victimes puissent accéder à la justice devant la Cour africaine lorsque des dirigeants commettent des atrocités. Les États africains devraient prendre une position claire d’opposition à cette immunité. » —George Kegoro, directeur exécutif de la Commission internationale des juristes – Kenya

Ce type de langage remettrait complètement en cause les deux autres paragraphes de l’article 27. Il semble particulièrement difficile d’envisager comment le projet d’amendement reconnaissant l’immunité des chefs d’État en exercice et de leurs adjoints pourrait être compatible avec l’article 27 (1), selon lequel la qualité officielle « n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut ». La Coalition est toujours résolument opposée à toute proposition qui compromettrait fondamentalement l’intégrité du SR et de la CPI, y compris des amendements qui conféreraient l’immunité aux hauts représentants du gouvernement. Il est possible qu’avec ce genre d’immunité, ceux qui détiennent le plus de pouvoir et jouissent d’une réelle influence sur l’appareil d’État et la population puissent commettre des crimes en toute impunité, et que ceux qui ont commis les crimes les plus odieux, aient désormais une bonne raison de rester au pouvoir afin échapper à d'éventuelles poursuites. Alors que l’Assemblée des États parties fait face

UNE CAMPAGNE POUR PROTÉGER L’INTÉGRITÉ DU STATUT DE ROME En août 2014, le député Felipe Michelini a lancé la Campagne de l’Action Mondiale des Parlementaires visant à protéger l’intégrité du SR. La campagne enjoint les parlementaires d’appeler leurs gouvernements à se prononcer publiquement sur les amendements à l’article 27 du SR proposés par le Kenya. Elle exhorte également les législateurs à encourager les parlements nationaux à adopter une déclaration contre l’immunité des chefs d’État et de gouvernement pour les crimes graves, lorsqu’ils font l’objet d’enquêtes ou de poursuites menées par des tribunaux internationaux.

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à l’un des défis politiques les plus délicats auxquels elle ait jamais été confrontée, tous les États membres de la CPI doivent maintenant agir et défendre l’intégrité du SR.

Immunité à la Cour africaine? En juillet 2014, l’UA a approuvé l’expansion de la compétence de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme afin d’inclure les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et le génocide, ainsi qu’un éventail de crimes transnationaux importants pour le continent africain. Malheureusement, la mesure stipule que les chefs d’État et autres hauts représentants du gouvernement seraient exemptés de poursuites durant leur mandat. En mai, la Coalition s’est joint à 40 autres organisations de la société civile pour appeler les procureurs généraux et les ministres de la justice africains à rejeter le projet d’expansion, qui doit être ratifié par 15 États membres de l’UA pour pouvoir entrer en vigueur. Si tel est le cas, il s’agirait d’une véritable régression en matière de droit international coutumier, une tentative de nier plus de 60 ans de précédents allant dans le sens inverse. Toutefois, si la nouvelle compétence venait à entrer en vigueur, elle n’aurait pas d’incidence sur la capacité de la CPI à juger les chefs d’État. La Cour africaine pourrait ne pas être habilitée à poursuivre un président en exercice, mais si le pays de ce dernier est partie au SR, la CPI en revanche le peut.

Laisser l’immunité dans le passé Le concept d’immunité pour les chefs d’État et les hauts représentants du gouvernement doit demeurer dans le passé, où il a été envoyé lorsque le SR a été adopté. La société civile se tient prête à défendre l’intégrité du SR et à poursuivre son combat contre l’impunité de tous les individus responsables de graves crimes, indépendamment de leur rang ou leur position.


Le Procureur de la CPI Fatou Bensouda s’adresse aux participants à la 12e session de l’Assemblée des États parties à La Haye. © CICC

LE PROCUREUR AGIT FACE AUX ALLÉGATIONS DE SUBORNATION DE TÉMOINS LE PROCUREUR de la CPI a commencé à prendre des mesures contre les individus suspectés de suborner des témoins des affaires devant la Cour car il s’agit là d’un aspect fondamental de l’intégrité des procédures judiciaires. Fin 2013, le Bureau du Procureur (BdP) a ouvert deux affaires à l’encontre de plusieurs individus suspectés d’atteintes à l'administration de la justice, en vertu de l’article 70 du Statut de Rome. Bien qu’il ne s’agisse pas des principaux crimes visés par la CPI, des délits tels que la subornation de témoins peuvent avoir un impact considérable sur la fiabilité des preuves présentées au procès et sur la capacité des juges à rendre un jugement impartial basé sur des éléments solides. Dans le cas de la République centrafricaine, une affaire commune a été ouverte à l’encontre

de l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) Jean-Pierre Bemba (qui est aussi jugé pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre) et de ses complices : son ancien conseil principal Aimé Kilolo Musamba, l’ancien chargé de la gestion des dossiers de son affaire Jean-Jacques Mangenda Kabongo, et deux ressortissants congolais Fidèle Babala Wandu et Narcisse Arido. Le procureur soutient que depuis le début de 2012, un projet criminel s’est mis en place, dans le cadre duquel certains témoins de la défense ont été payés pour présenter à la Cour des preuves et des témoignages qu’ils savaient faux ou falsifiés. Le plan aurait été mis au point par Bemba et exécuté par Kilolo et Mangenda, avec l’aide de Babala et Arido. En novembre 2014, les juges ont confirmé, en partie, les charges retenues contre

les cinq accusés, renvoyant ainsi l’affaire en procès. Dans le cas de la deuxième affaire, le procureur a engagé des poursuites contre Walter Barasa, un ancien « intermédiaire » ayant assisté le BdP dans ses enquêtes au Kenya. Barasa est soupçonné d’avoir suborné ou tenté de suborner trois témoins du BdP dans le cadre du procès du vice président kényan William Ruto et de l’animateur radio Joshua Sang, en les payant pour qu’ils reviennent sur leurs témoignages ou refusent de témoigner. Il a contesté la décision sur son extradition à La Haye devant les tribunaux kényans. Il y a toujours eu des allégations d’intimidation et de subornation de témoins dans le cadre des deux affaires kényanes. L’affaire Barasa est la première à clairement les mettre à jour. On ignore si le BdP ouvrira d’autres affaires dans le

cadre de la situation au Kenya, mais la stratégie du BdP pour 2012-2015 souligne qu’il « continuera à enquêter sur les atteintes à l’administration de la justice et à lancer des poursuites y afférentes lorsqu’il y aura lieu de le faire ». Le BdP a commencé à prendre les mesures qu’il considère nécessaires pour préserver l’intégrité des procédures judiciaires devant la Cour, et à traduire en justice ceux qui la mettent en péril. L’affaire Bemba a montré l’influence que des suspects puissants peuvent avoir sur l’équité des procès, y compris, comme cela est présumé, depuis le quartier pénitentiaire de La Haye. Poursuivre les individus qui entravent le cours de la justice montre clairement que la Cour fera tout son possible pour traduire en justice ceux qui font obstacle au processus pénal.

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AFFAIRES ET SITUATIONS

ON RÉCLAME UNE JUSTICE IMPARTIALE EN CÔTE D’IVOIRE Des habitants de Côte d’Ivoire dans une gare routière, tentent d’échapper aux violences postélectorales de 2010 © Alexis Adélé/IRIN

LA SOCIÉTÉ civile de Côte d’Ivoire espère que l’abandon de l’approche séquentielle (le fait poursuivre un camp après l’autre) en ce qui concerne les enquêtes de la CPI sur les violences postélectorales de 2010-11, permettra de couper court aux accusations de justice partiale. Jusqu’ici, les trois affaires ouvertes dans le cadre de la situation en Côte d’Ivoire concernent l’ancien président Laurent Gbagbo, un ministre de la jeunesse de son gouvernement, Charles Blé Goudé et l’ancienne Première Dame, Simone Gbagbo. Les procureurs pensent que les trois suspects sont impliqués dans l’élaboration et l’exécution d’un « plan commun » visant à se maintenir au pouvoir en encourageant des attaques contre les partisans du candidat opposé à Gbagbo lors des élections de 2010, l’actuel Président Alassane Ouattara. « Bien que les affaires contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé aient certes été bien accueillies, et qu’elles aient démontré la capacité de la CPI à tenir les chefs d’État et les hauts représentants du gouvernement pour responsables de leurs actes, l’enquête de la Cour est toujours exposée aux accusations de justice des vainqueurs », a déclaré Ali Ouattara, le président de

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la Coalition ivoirienne pour la CPI. « Aucune affaire n’a encore été ouverte à l’encontre de hauts responsables ou de partisans du Président Ouattara, que des enquêtes ivoiriennes et internationales ont pourtant identifiés comme étant responsables de crimes commis durant les violences postélectorales ». Laurent Gbagbo est actuellement en détention à la CPI et sera jugé en 2015, puisque les charges de crimes contre l’humanité retenues contre lui ont été confirmées en juin 2014. Blé Goudé a été transféré à la Cour depuis le Ghana début 2014, et attend la décision des juges sur l’éventuel renvoi de son affaire en procès, suite à l’audience de confirmation des charges qui a eu lieu en octobre 2014. L’accusation pense que Blé Goudé faisait partie de l’entourage immédiat de Gbagbo et qu’il a utilisé son influence sur la milice des Jeunes Patriotes pour commettre des crimes contre l’humanité, y compris des meurtres, des viols et autres formes de violences sexuelles, des actes de persécution et d’autres actes inhumains. De son côté, Simone Gbagbo est jugée en Côte d’Ivoire, alors que le mandat d’arrêt émis par la CPI à son encontre est toujours en suspens. Elle a sou-

levé une exception d’irrecevabilité de l’affaire devant la CPI. « La CPI, dans le souci d'accomplir sa mission avec équité afin de garantir une justice post conflictuelle effective en Côte d'Ivoire, devrait s'engager à poursuivre tous les auteurs d'atrocités » a déclaré Clément Capo-Chichi, le coordinateur régional pour l'Afrique de la Coalition. « La soif de justice qui anime les victimes dans le contexte ivoirien oblige la Cour à mieux communiquer sur l’avancée de ses enquêtes et de ses poursuites ». Le Procureur de la CPI Fatou Bensouda n’a cessé d’insister sur l’impartialité de son Bureau et sur le fait que ce dernier continue d’enquêter sur les individus responsables des crimes commis durant les violences postélectorales appartenant aux deux camps. Elle a également souligné que les enquêtes séquentielles et ciblées ont été remplacées par une nouvelle approche stratégique basée sur des enquêtes approfondies d’une durée indéterminée. La société civile ivoirienne espère que cette nouvelle approche permettra de traduire en justice les individus des deux camps portant la plus grande responsabilité pour les violences postélectorales.


AFFAIRES ET SITUATIONS

PROCHAINE ÉTAPE POUR LE NOUVEAU GOUVERNEMENT UKRAINIEN : L’ADHÉSION À LA CPI Des Ukrainiens manifestent contre le gouvernement durant les manifestations dites de Maidan à Kiev. © 2013 Nwssa Gnatoush/Wikimedia Commons

FACE AUX aux évènements qui ont bouleversé l’Ukraine l’année dernière, la société civile appelle le nouveau gouvernement ukrainien à poursuivre ses efforts en vue d’éradiquer l’impunité, en devenant membre de la CPI à part entière. Deux partis pro-occidentaux, le Front populaire et le bloc Poroshenko, ont remporté la majorité des sièges à l’issue des élections parlementaires ukrainiennes d’octobre 2014. La Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et le Center for Civil Liberties in Ukraine ont appelé le nouveau Parlement à procéder à des réformes judiciaires et à garantir la responsabilisation pour les violations des droits de l’homme, en étendant la compétence de la CPI en Ukraine et en ratifiant le Statut de Rome (SR). « Les évènements qui ont eu lieu en Ukraine au cours de l’année devraient clairement montrer au nouveau gouvernement qu’en rejoignant la CPI, il peut réaffirmer son engagement envers l’état de droit et l’éradication de l’impunité », a déclaré Kirsten Meersschaert Duchens, la coordinatrice régionale pour l’Europe de la Coalition pour la CPI. « La pleine adhésion à la CPI est le seul moyen de garantir que les victimes de crimes graves obtiendront justice ». L’Ukraine a signé le SR en 2000 mais doit encore le ratifier. En 2001, le SR a été jugé incompatible avec la constitution nationale. Cependant en avril dernier, l’Ukraine a formellement reconnu la compétence de la CPI à l’égard des crimes qui auraient été commis durant les manifestations dites de « Maidan » à Kiev entre novembre 2013 et février 2014, une décision saluée par la société civile. L’article 12(3) du SR permet à des États non parties tels que

l’Ukraine, de reconnaître la compétence de la Cour. Le Procureur de la CPI a par la suite ouvert un examen préliminaire afin de déterminer s’il y a lieu d’ouvrir une enquête. La déclaration officielle a été émise dans la foulée d’une résolution parlementaire adoptée en février 2014, reconnaissant la CPI comme compétente pour enquêter et poursuivre les crimes qui auraient été commis à Kiev durant les manifestations anti-gouvernement. Depuis lors, la société civile et d’autres acteurs, y compris la Présidente de l’Assemblée des États parties Tiina Intelmann, ont continué de faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle ratifie le SR. En juillet 2014, l’Ukraine était à nouveau au centre de la Campagne pour la Justice Globale de la Coalition, qui a appelé le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour devenir membre de la CPI à part entière. En septembre 2014, l’Action Mondiale des Parlementaires a organisé la visite de parlementaires ukrainiens à la CPI à La Haye, et le mois suivant, la Présidente Intelmann a rencontré des représentants du gouvernement à Kiev. « La prochaine étape pour l’Ukraine consiste à garantir un réel engagement envers la CPI, la pierre angulaire du système de justice internationale, en entreprenant les réformes constitutionnelles nécessaires pour permettre la prompte ratification du SR » a affirmé Roman Romanov de l’International Renaissance Foundation en Ukraine. L’Ukraine doit profiter de la dynamique créée par le récent vote parlementaire en amendant sa constitution dès que possible afin qu’elle soit compatible avec le SR, et ainsi permettre l’adhésion du pays à ce mécanisme essentiel de justice.

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AFFAIRES ET SITUATIONS

L’ANNÉE DE LA 1 Le président Kenyatta est devenu le premier président en exercice à comparaître devant la Cour lors d’une conférence de mise en état sur la coopération entre le gouvernement kényan et les procureurs de la CPI.

8 Les juges ont cité huit témoins réticents à comparaître dans le cadre du procès du Vice-Président kényan William Ruto et du présentateur radio Joshua Sang.

12 Le chef de milice congolais Germain Katanga a été condamné à 12 ans d’emprisonnement après avoir été reconnu coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.

EXAMENS PRÉLIMINAIRES DE LA CPI Comment fonctionnent-ils? Phase 1 : Première évaluation Après avoir reçu des informations sur les crimes allégués, le procureur conduit une première évaluation afin d’analyser et de vérifier la fiabilité des informations reçues, écarter les informations sur des crimes ne relevant pas de la compétence de la Cour et identifier ceux qui semblent relever de sa compétence.

Phase 2 : Compétence Il s’agit de l’ouverture formelle de l’examen préliminaire. Après avoir reçu les informations, le BdP doit décider s’il peut exercer sa compétence à l’égard des crimes allégués. Plusieurs questions se posent : • Quand les crimes allégués ont-ils été commis ? La CPI n’est généralement compétente pour juger des crimes qu’une fois qu’un État a ratifié le Statut de Rome. • Des crimes relevant de la compétence de la CPI ont-ils été commis? La compétence de la CPI ne s’applique qu’aux crimes de guerre, crimes contre l’humanité et au génocide. • Où les crimes ont-ils été commis et par qui? La CPI est compétente pour juger les crimes allégués uniquement : – s’ils ont été commis sur le territoire d’un État partie à la CPI (compétence territoriale), ou – si l’individu qui aurait commis les crimes allégués est un ressortissant d’un État partie à la CPI (compétence nationale). Quelles situations? Actuellement le Honduras, l’Ukraine, l’Irak.

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AFFAIRES ET SITUATIONS

CPI EN CHIFFRES 3 Trois affaires ont été renvoyées en procès : celle contre l’ancien chef de milice de RDC Bosco Ntaganda, celle contre l’ancien président de Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo et enfin celle contre l’ancien vice-président congolais JeanPierre Bemba et ses quatre complices.

5 Cinq individus impliqués dans l’affaire contre l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba (un témoin de la défense, deux membres de l’équipe de la défense de Bemba, un député congolais et Bemba lui-même) sont accusés d’avoir présenté des preuves fausses ou falsifiées et d’avoir soudoyé des témoins du procès.

9 Suite à un examen préliminaire, le procureur de la CPI a ouvert une deuxième enquête en République centrafricaine sur les crimes qui auraient été commis depuis 2012. Le nombre d’enquêtes menées par la CPI s’élève désormais à neuf.

Des examens préliminaires sont menés par le Bureau du Procureur de la CPI afin d’établir s’il existe des motifs raisonnables d’ouvrir une enquête sur les allégations de crimes graves qui auraient été commis dans une situation donnée. En quatre phases, le procureur détermine si la situation correspond aux critères de compétence et de recevabilité fixés par le Statut de Rome.

Phase 3 : Recevabilité

Phase 4 : Les intérêts de la justice

Les potentielles affaires sont-elles « recevables » devant la Cour ? La CPI n’intervient que si l’État en question ne mène pas d’enquêtes ou de poursuites à l’encontre des individus suspectés d’avoir commis des crimes internationaux. Il doit s’agir d’enquêtes et de poursuites véritables.

L’ouverture d’une enquête servirait-elle les intérêts de la justice? Si toutes les phases précédentes vont dans le sens de l’ouverture d’une enquête, la phase finale, les intérêts de la justice, constitue un « élément de pondération » donnant au procureur des raisons de ne pas donner suite. Le procureur tient particulièrement compte des intérêts des victimes et si ces derniers seraient mieux servis si une enquête n’était pas ouverte.

Le BdP vérifie l’existence de toute tentative de poursuivre les individus les plus responsables des crimes les plus graves relevant de la compétence de la Cour. Pour finir, le procureur doit également évaluer si l’affaire est suffisamment grave pour que la Cour y donne suite. Le test de gravité est à la fois « quantitatif et qualitatif » et inclut une évaluation de l’échelle, la nature et du mode opératoire des crimes ainsi que leur impact. Quelles situations? Actuellement l’Afghanistan, la Colombie, la Géorgie, la Guinée et le Nigeria.

Pour voir comment les examens préliminaires fonctionnent dans la réalité, consultez les deux pages suivantes.

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AFFAIRES ET SITUATIONS

PAS D’ENQUÊTE EN CORÉE POUR L’INSTANT, ANNONCE LE PROCUREUR DE LA CPI LES DEUX attaques que la Corée du Nord aurait mené contre des cibles militaires sud-coréennes dans la mer jaune n’atteignent pas le seuil de gravité nécessaire pour justifier l’ouverture d’une enquête de la CPI, a annoncé le procureur de la CPI en juin dernier. Le Bureau du Procureur (BdP) a ouvert un examen préliminaire sur les deux incidents suite à la plainte déposée par la Corée du Sud concernant le naufrage de son navire de guerre, le Cheonan, et le bombardement de l’île de Yeonpyeong, sur laquelle se trouvaient des installations militaires et un nombre restreint de civils. Le BdP a conclu que l’attaque présumée du Cheonan « visait une cible militaire légitime et ne correspondait pas à la définition du crime de guerre» telle que définie par le Statut de Rome (SR). Quant au bombardement de l’île de Yeonpeong, le BdP a déterminé que les informations disponibles « ne fournissaient pas de base raisonnable permettant de croire que cette attaque avait été dirigée intentionnellement contre des biens de caractère civil ni que les répercussions prévues au détriment des civils étaient manifestement excessives par rapport à l'avantage militaire escompté ». Cette carte montre les sites depuis lesquels les troupes nord-coréennes auraient bombardé Yeonpeong. © Wikimedia Commons

LA TROISIÈME COMMISSION DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L’ONU DEMANDE UN RENVOI DEVANT LA CPI Fin 2014, la Troisième Commission de l’Assemblée générale de l’ONU a adopté, à une vaste majorité, une résolution appelant le Conseil de sécurité à référer la situation en Corée du Nord au Procureur de la CPI afin qu’il ouvre une enquête. Plus tôt cette année, une commission d’enquête de l’ONU avait conclu que de nombreux crimes contre l’humanité, résultant de « politiques élaborées au plus haut niveau de l’État », ont été et sont toujours perpétrés dans le pays. Le rapport de la commission recommandait une saisine de la CPI.

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Si la Corée du Nord n’est pas partie au Statut de Rome, c’est néanmoins le cas de la Corée du Sud, et la CPI peut poursuivre les crimes commis sur le territoire (ou les navires et aéronefs) d’un État partie, indépendamment de la nationalité des responsables. « À l’issue d’un processus indépendant, impartial et objectif, le BdP a clarifié les raisons juridiques et factuelles ayant motivé la décision de conclure son examen préliminaire en République de Corée », a déclaré Amielle Del Rosario, la coordinatrice régionale pour l’Asie-Pacifique de la Coalition. « Il ne faut pas oublier qu’au stade préliminaire, le BdP ne dispose pas de pouvoirs d’enquête et ne peut exiger la coopération d’un État. Il s’agit plutôt d’examiner les informations fournies par diverses sources, mener des missions de terrain et consulter les parties prenantes, y compris la société civile. Il faut également souligner que le gouvernement nord-coréen n’a fourni aucune information relative à cet examen préliminaire au BdP ». « Le BdP peut rouvrir un examen préliminaire à la lumière de nouveaux éléments de preuves ou de nouvelles informations, comme ce fut le cas pour l’examen préliminaire en Irak, qui avaient été conclu en 2006 puis rouvert en mai 2014 » a ajouté Mlle Del Rosario.


AFFAIRES ET SITUATIONS

Des soldats britanniques lors de l’invasion de l’Irak en mars 2013. ©Wikimedia Commons

LES CRIMES PRÉSUMÉS DU ROYAUME-UNI EN IRAK PASSÉS À LA LOUPE CETTE ANNÉE, le procureur de la CPI a ouvert un examen préliminaire sur les crimes de guerre qu’auraient commis des soldats britanniques en Irak entre 2003 et 2008. Deux organisations, l’European Center for Constitutional and Human Rights et Public Interest Lawyers, ont fourni à la Cour des preuves indiquant que les forces armées du Royaume-Uni auraient infligé de manière systématique des mauvais traitements à des détenus. L’Irak n’a pas rejoint la CPI ou reconnu sa compétence. Toutefois, étant donné que le Royaume-Uni est partie au Statut de Rome, la Cour est compétente pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou les actes constitutifs de génocide commis sur son territoire ou par ses ressortissants. En 2006, le procureur de l’époque Luis Moreno-Ocampo, avait décidé de ne pas ouvrir d’enquête sur la situation en Irak suite aux résultats de l’examen préliminaire montrant que les crimes présumés n’étaient pas suffisamment sérieux ou généralisés pour atteindre le seuil de gravité requis par le Statut de Rome. Il avait cependant noté que cette décision pourrait être revue à la lumière de nouvelles preuves. Le nouvel examen préliminaire déterminera si les nouveaux éléments correspondent aux critères établis par le Statut de Rome et justifient que la Cour y donne suite. Étant donné qu’il incombe avant tout aux États parties de juger les auteurs présumés de crimes, le procureur vérifiera si des enquêtes et des poursuites relatives aux crimes allégués

ont été engagées au Royaume-Uni ou ailleurs. Encourager le Royaume-Uni à mener de véritables enquêtes, et possiblement poursuivre les auteurs présumés des crimes, constitue un aspect fondamental de l’examen préliminaire du Bureau du Procureur.

« Jusqu’à ce que justice soit faite et perçue comme telle dans toutes les affaires relatives aux mauvais traitements de détenus, la CPI a certainement des motifs d’examiner les allégations de mauvais traitements infligés de manière systématique aux détenus irakiens par des soldats britanniques », a déclaré Carla Ferstman, la directrice de REDRESS, une organisation membre du Comité exécutif de la Coalition.

« La CPI peut exercer sa compétence si un pays n’a pas la capacité ou la volonté de mener des enquêtes ou des poursuites. À ce jour, le Royaume-Uni n’a pas engagé des poursuites crédibles reflétant l’étendue et la gravité des exactions alléguées ». 13


CPI/AEP

DES ENFANTS, PAS DES SOLDATS MALGRÉ LE nombre croissant de poursuites devant la CPI et le lancement d’une nouvelle campagne de l’ONU, le crime brutal consistant à utiliser des enfants soldats lors de conflits armés subsiste à travers le monde. Des centaines de milliers d’enfants, dont certains âgés d’à peine huit ans, sont contraints à combattre en première ligne. Début 2014, l’ONU indiquait que plus de 6,000 enfants seraient impliqués dans le conflit en République centrafricaine, alors que le recrutement continue et que le conflit se prolonge. Au Nigeria, des enfants sont recrutés de force, tués, mutilés, violés et mariés de force. Boko Haram n’a pas seulement enlevé des centaines de jeunes filles, notamment les écolières de Chibok en avril 2014, mais utiliserait également des enfants qui n’ont parfois que 12 ans, au cours d’hostilités. En août 2014, la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU sur la Syrie a indiqué que les forces gouvernementales, les rebelles et d’autres groupes tels que l’État islamique en Iraq et au Levant ont tous recruté, entraîné et utilisé des enfants pour participer activement aux hostilités. Les États doivent redoubler d’efforts pour éradiquer l’utilisation d’enfants en tant que soldats, une pratique brutale qui leur vole leur innocence et les prive, eux et leurs communautés, d'un avenir. Plus tôt cette année, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés Leila Zerrougui et l’UNICEF ont lancé la campagne « Des enfants, pas des soldats » dont l’objectif est d’éradiquer le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats par les forces

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gouvernementales d’ici 2016. Le plan a été soutenu par la résolution 2143 (2014) du Conseil de sécurité de l’ONU. Entre-temps, plus de 140 États ont ratifié le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés, s’engageant ainsi à interdire le recrutement d’enfants de moins de 18 ans au sein de groupes armés et des forces gouvernementales, ainsi que leur participation aux hostilités. Il est important que la communauté internationale mette fin à l’impunité de ces crimes pour en finir avec ces violations des droits de l’homme. Conformément au Statut de Rome, 122 États ont accepté d’enquêter et d’engager des poursuites contre les individus accusés de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, ce qui comprend l’enrôlement et la conscription d’enfants de moins de 15 ans, et le fait de les faire participer activement aux hostilités ; la CPI n’intervient qu’en dernier ressort. L’utilisation d’enfants soldats figurait parmi les charges retenues lors des premiers procès de la CPI. En mars 2012, dans le cadre du premier procès et verdict de la CPI, les juges ont reconnu le seigneur de guerre congolais Thomas Lubanga, coupable d’avoir procédé à l’enrôlement et la conscription d’enfants de moins de 15 ans et de les avoir fait participer activement à des hostilités en République démocratique du Congo (RDC) en 2002-03. Il a ensuite été condamné à 14 ans de réclusion. Des charges similaires ont été retenues à l’encontre d’un autre chef rebelle congolais, Bosco Ntaganda, qui sera lui aussi jugé par la CPI.

Gauche: Un enfant, la main pleine de cartouches, dans un camp rebelle en République centrafricaine. © Pierre Holtz/ UNICEF Droite: Le Secrétaire général de l’ONU soutient la campagne « Des enfants, pas des soldats ». © UN Photo


Les États doivent redoubler d’efforts pour éradiquer l’utilisation d’enfants en tant que soldats, une pratique brutale qui leur vole leur innocence et les prive, eux et leurs communautés, d'un avenir.

Cependant, au cours du second procès de la CPI, le seigneur de guerre congolais Germain Katanga a été reconnu coupable d’un chef de crimes contre l’humanité et de quatre chefs de crimes de guerre, mais a été acquitté des charges relatives à l’utilisation d’enfants soldats. Bien que les juges aient établi que des enfants se trouvaient bien parmi les combattants de la milice de Katanga, ils ont également conclu que les preuves ne permettaient pas d’établir la responsabilité de l’accusé concernant ce crime. Le Procureur de la CPI Fatou Bensouda a fait des crimes contre les enfants l’une de ses priorités. Pour travailler aux côtés de l’Unité des violences sexistes et des violences contre les enfants du Bureau du Procureur (BdP), le Procureur a nommé Diane Marie Amann en tant que conseillère spéciale pour les enfants impliqués dans les conflits armés ou touchés par ceux-ci. Elle est chargée de conseiller et d’appuyer les politiques et les formations du BdP ainsi que la sensibilisation relative aux enfants. En 2015, Mme Bensouda développera un document de politique faisant des crimes contre les enfants une priorité en leur accordant une attention toute particulière à toutes les étapes des enquêtes du BdP. Si les poursuites internationales engagées contre l’utilisation d’enfants soldats apportent de l’espoir aux personnes les plus vulnérables dans les zones de conflits du monde entier, les États, à qui il incombe de protéger les enfants, doivent redoubler d’efforts pour éradiquer cette pratique brutale.

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CPI/AEP

PRENDRE CONSCIENCE DU FLÉAU DE LA VIOLENCE SEXUELLE EN TEMPS DE GUERRE LA COMMUNAUTÉ internationale réalise peu à peu à quel point il est important de poursuivre les auteurs de viol en temps de guerre, afin d’éradiquer ce fléau mondial. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire. La violence sexuelle et basée sur le genre (VSBG) est une arme de guerre largement répandue, notamment en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, au Mali, au Darfour, et en Syrie, pour ne citer que quelques exemples. Elle est utilisée pour terroriser, dégrader, et punir des communautés ainsi que comme outil de « nettoyage ethnique ». Les femmes et les filles sont généralement les principales victimes, mais les hommes et les garçons sont

également pris pour cible. Les survivants sont souvent marginalisés et stigmatisés, et ont peu d’espoir de voir un jour leurs agresseurs traduits en justice.

reconnaît l’importance d’éradiquer l’impunité pour prévenir les VSBG durant les conflits, et encourage les États à renforcer la responsabilisation au niveau national.

Adopté en 1998, le Statut de Rome fait partie des premiers traités à reconnaître les VSBG liées au conflit en tant que crimes contre l’humanité, crimes de guerre et dans certains cas, des actes constitutifs de génocide. Malheureusement, peu d’évolutions ont eu lieu depuis, jusqu’à récemment. Ces deux dernières années, les VSBG figurent en bonne place à l’ordre du jour de la justice internationale, la paix et la sécurité.

Quelques mois auparavant, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté l’historique Traité sur le commerce des armes, rendant illicite l’exportation d’armes vers des pays où elles risqueraient d’exposer les femmes, les hommes et les enfants à la violence sexuelle. Cette année toujours, le G8 a reconnu que le viol et la violence sexuelle durant les conflits armés constituent une grave infraction aux Conventions de Genève et devraient être considérés comme des crimes de guerre.

En juin 2013, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité la résolution 2106 qui

« Le Sommet de Londres était une opportunité unique pour ceux parmi nous qui travaillent dans des régions affectées par des conflits, d’avoir accès et d’entendre les dirigeants politiques et les décideurs. Nous n’avons que très rarement l’occasion de nous adresser directement à ces décideurs mondiaux et nous espérons qu’ils feront davantage pour éradiquer la violence sexuelle durant les conflits ». —Claudine Bela Badeaza, directrice du Centre d'éducation et de recherche pour les droits des femmes (CERDF) et point focal de Women’s Initiatives for Gender Justice, Province Orientale, République démocratique du Congo (RDC) 16

En 2014, le Conseil de sécurité a organisé un débat ouvert sur la violence sexuelle durant les conflits armés, centré sur la mise en œuvre et la consolidation de la résolution 2106. Tout en insistant sur le fait qu’il incombe avant tout aux pays de protéger leurs citoyens de la violence sexuelle et de rendre la justice, de nombreux pays ont également manifesté leur soutien à la CPI en tant qu’outil permettant au Conseil de sécurité de s’acquitter de sa responsabilité de garantir la justice pour les VSBG. Ils ont également souligné que les amnisties accordées dans le cadre d’accords de paix, ne devraient pas couvrir ce type de crimes. En juin dernier à Londres, dans le cadre


de son Initiative visant à prévenir la violence sexuelle durant les conflits, le Royaume-Uni a organisé le Sommet Global pour mettre fin à la violence sexuelle pendant les conflits, qui a permis d’attirer l’attention de la communauté internationale sur ce problème. Un nombre impressionnant de victimes et de survivants, 129 gouvernements, 79 ministres, plus de 1,700 experts, chefs religieux, organisations de la jeunesse, mais aussi des représentants de la société civile, d’organisations et de tribunaux internationaux, ainsi que des lauréats du Prix Nobel, étaient présents. Couvert par les médias aussi bien nationaux qu’internationaux, le sommet a porté le fléau du viol en temps de guerre à l’attention du public, comme jamais auparavant. Le sommet a également vu le lancement du Protocole international sur la documentation et l’enquête sur les violences durant les conflits, établissant des Des femmes et des enfants déplacés par la violence, assis devant la principale mosquée de Bangui en République centrafricaine, durant une visite du secrétaire général de l’ONU. © Evan Schneider/UN Photo

NPWJ a également jugé le Hackaton sur l’éradication de la violence sexuelle, destiné à stimuler des approches innovantes à l’utilisation de la technologie afin de promouvoir la lutte contre la violence sexuelle et basée sur le genre durant les conflits. Depuis sa prise de fonction, le Procureur de la CPI Fatou Bensouda s’est activement employée à combler les lacunes en matière de justice de genre et a fait des enquêtes et des poursuites des crimes sexuels et basés sur le genre, une priorité. Bensouda a saisi l’opportunité du Sommet de Londres pour faire connaître publiquement le récent Document de politique générale relatif aux crimes sexuels et à caractère sexiste de son bureau, élaboré par sa Conseillère spéciale pour les questions relatives au genre, Brigid Inder; il s’agit du premier document de ce type jamais produit par un tribunal international.

« Dans un an, verrons-nous davantage de poursuites engagées contre les auteurs de violence sexuelle durant les conflits ? Les survivants seront-ils consultés sur leurs besoins ? Chaque soldat de chaque armée nationale aura-t-il été sensibilisé aux problèmes liés à la violence sexuelle et de genre ? Les survivants qui se manifestent recevront-ils le soutien médical et psychosocial nécessaire ? La société civile restera aux aguets et appellera les États à respecter les promesses faites au Sommet de Londres ». —Stéphanie Barbour, responsable du Centre pour la justice internationale d’Amnesty International

normes internationales sur la collecte d’informations et de preuves les plus fiables possibles tout en assurant la protection des témoins, afin d’accroître le nombre de condamnations et dissuader d’éventuels auteurs de crimes. De nombreux membres de la Coalition étaient également présents, parmi lesquels : Amnesty International qui a publié une série de recommandations exhortant les dirigeants du monde entier à saisir cette opportunité pour éradiquer la violence sexuelle ; l’ONG colombienne COALICO qui a organisé un panel sur la violence sexuelle dirigée contre les enfants en Colombie ; et No Peace Without Justice (NPWJ) qui a appelé à entreprendre des actions concrètes pour en finir avec ces crimes.

Même s’il est encourageant de constater que la VSBG liée au conflit reçoit enfin l’attention qu’elle mérite, la société civile poursuivra ses efforts pour faire en sorte que l’éradication de la violence sexuelle durant les conflits reste en tête des points à l’ordre du jour international. Les engagements pris à l’ONU et durant le sommet de Londres cette année doivent se traduire par des actions concrètes et la responsabilisation. Les États doivent davantage soutenir les acteurs qui oeuvrent à remédier aux causes fondamentales de la violence de genre, redoubler d’efforts pour offrir des réparations aux survivants et garantir que des perspectives de genre sont intégrées à la prévention et aux processus de paix.

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Navi Pillay, ancienne HautCommissaire de l’ONU aux droits de l’homme. © Jean-Marc Ferré / UN Photo

CPI/AEP

INTERVIEW AVEC NAVI PILLAY

« L’AFRIQUE A LE PLUS BÉNÉFICIÉ DE LA CPI » Quels sont vos plus grands succès et déceptions en tant que HautCommissaire de l’ONU aux droits de l’homme? C’EST UNE vaste question. Commençons par les succès. En tant que Haut-Commissaire j’ai traité tous les types de discriminations et violations partout dans le monde sans parti pris, j’ai œuvré pour les droits de tous les peuples. Cela comprend le droit au développement au nom de nombreux pays en développement. Nous avons tout fait pour obtenir la reconnaissance du droit à l’alimentation, l’eau, la santé et appelé à éradiquer la pauvreté. Je suis fière que nous soyons parvenus à accroître de manière considérable la sensibilisation sur les problématiques relatives aux droits de l’homme, en particulier par le biais des réseaux sociaux. Nous sommes désormais capables d’atteindre et d’entendre la société civile du monde entier, un partenaire clé de notre travail. Nous somme également parvenus à inscrire à l’ordre du jour de l’ONU, des droits jusqu’ici négligés tels que les droits de la communauté lesbienne, gaie, et transgenre (que nous avons traités à travers le droit à une existence exempte de violence et de discrimina-

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tion) et la discrimination fondée sur la caste en Inde, au Népal et parmi des communautés indigènes. Cependant, il reste toujours beaucoup de travail à accomplir à cet égard. L’établissement de commissions d’enquête a également permis de documenter les graves violations des droits de l’homme. Par exemple, l’enquête du Juge Michael Kirby sur la Corée du Nord a révélé au grand jour une situation restée ignorée pendant 60 ans.

part des gouvernements et de la société civile est particulièrement importante. Nous avons observé à de nombreuses reprises que pour prévenir les conflits et la commission de crimes graves, il fallait traiter les alertes précoces que sont les questions liées aux droits de l’homme.

Comment et dans quelle mesure le mouvement pour la justice internationale a–t-il changé le paysage des droits de l’homme au cours des 20 dernières années ?

En ce qui concerne les déceptions, l’une des plus marquantes reste sûrement l’échec de la communauté internationale à agir collectivement pour prévenir des violations des droits de l’homme. J’ai essayé à cinq reprises de faire en sorte que le Conseil de sécurité de l’ONU réfère la situation en Syrie à la CPI afin qu’elle ouvre une enquête, sans jamais y parvenir. Il est également choquant de constater que, bien que les droits de l’homme constituent l’un des trois piliers de l’ONU, c’est un domaine qui reste peu financé puisqu’il ne reçoit qu’environ 3% du budget général de l’ONU. Et ce, au moment où la demande d’assistance de la

Il y a vingt ans, il n’existait tout simplement pas de système permanent de justice pénale internationale. Des crimes très graves étaient commis, en particulier par ceux en position de pouvoir, sans aucune responsabilisation. Au lieu de cela, les auteurs de crimes étaient mis à l’abri par d’autres pays. En partant de là, c’est presque un miracle que nous ayons une CPI, une grande réussite de la communauté internationale. Il existe une véritable demande de justice. Alors que la plupart des gouvernements privilégient la voie de l’amnistie, les victimes elles, réclament justice et


CPI/AEP

Son mandat de Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme juste terminé, Navi Pillay a passé les six dernières années à enjoindre les gouvernements de respecter leurs obligations en matière de droits de l’homme, la dernière étape d’une carrière durant laquelle elle a également servi en tant que juge à la Haute cour sud-africaine, au Tribunal international pour le Rwanda et à la CPI à La Haye. Au cours de cette interview, Mme Pillay soutient que l’Afrique a grandement bénéficié des interventions de la CPI, que nul ne devrait être exempté de poursuites pour les graves crimes qui affectent le monde entier, et que tous les États membres de l’ONU doivent ratifier le Statut de Rome.

responsabilisation. Nous savons que les conflits peuvent réapparaître par ce que justice n’a pas été faite. Je ne peux pas vous dire combien de centaines de personnes m’ont dit combien elles avaient attendu que justice soit rendue. La CPI est désormais connue par les populations du monde entier, et elles veulent que des enquêtes soient menées dans leurs pays. Mais nous devons nous rappeler qu’il est important de consulter les populations locales sur le type de justice qu’elles désirent. Les premiers tribunaux ad hoc ont fait de la justice internationale une réalité en définissant les crimes et la juridiction. Je suis très satisfaite que mon mandat de juge au tribunal rwandais m’ait permis de contribuer à faire de cette idée une réalité. Il est formidable que la CPI ait créé un nouveau précédent pour les États en reconnaissant le droit des victimes à participer aux procédures et à recevoir des réparations, chose à laquelle j’ai directement participé alors que j’étais juge d’appel de la CPI.

Malgré tout cela, les droits de l’homme sont toujours pertinents. Mis à part six ou sept pays, le reste du monde se conforme au cadre international établi pour garantir le respect, la promotion et la protection des droits de l’homme. Nous constatons que de nombreux mouvements rebelles armés engendrent des difficultés croissantes, face auxquelles même les gouvernements semblent impuissants. De grands espoirs sont fondés sur le Conseil de sécurité de l’ONU qui ne dispose pourtant pas de mécanismes d’application et dont le champ d’action est plutôt restreint. Je suis également particulièrement préoccupée par les déclarations de l’Union Africaine (UA) affirmant que les États africains sont visés par la CPI. L’Afrique est le continent qui bénéficie le plus de l’existence de la CPI. C’est par ce que les gouvernements africains n’étaient pas en mesure d’enquêter et de poursuivre les graves crimes qu’ils ont sollicité l’intervention de la CPI. Sept des neufs enquêtes de la CPI ont été ouvertes à la demande de gouvernements africains. Les deux pour lesquelles ce n’est pas le cas, la Libye et le Darfour, ont été référées par le Conseil de sécurité de l’ONU. La CPI offre son aide à l’Afrique lorsqu’elle en a besoin. Si la CPI n’existait pas, ces crimes ne recevraient aucune attention.

Selon vous, quels sont les défis majeurs en matière de droits de l’homme et de justice internationale des 20 prochaines années? De nombreuses personnes m’ont demandé si les droits de l’homme sont toujours pertinents étant donné l’incapacité à gérer des situations telles que la Syrie, la République centrafricaine, le Sud Soudan et l’Ukraine. Juste en Syrie, le nombre de morts s’élève à 192,000 si l’on en croit les dernières estimations.

Quant à l’adoption des résolutions de l’UA visant à protéger l’immunité des chefs d’État en exercice, elles vont à l’en-

contre du droit international, du SR et de nombreuses constitutions nationales. Ces développements risquent de compromettre la lutte contre l’impunité et l’intégrité du SR, auxquelles 122 États, y compris la plupart des États africains, ont souscrit. Néanmoins, je me sens encouragée par les déclarations de nombreux États africains, y compris de nombreux membres de l’UA, réitérant leur détermination à lutter contre l’impunité. Ces voix doivent davantage se faire entendre.

Comment le système onusien peut-il mieux servir les intérêts de la justice ? Tout simplement, les États membres de l’ONU doivent ratifier le SR, car c’est vital pour la crédibilité de la CPI et de la justice internationale. De nombreux États ont signé le SR, mais moins nombreux sont ceux qui l’ont ratifié, laissant ainsi de nombreux fossés, comme en Asie par exemple. Les trois grandes puissances, les États-Unis, la Russie et la Chine, doivent un jour devenir membres. Tous les États doivent soutenir l’absence d’immunité pour les crimes graves et le principe affirmant que nul n’est au-dessus de la loi. Ils font déjà partie du cadre onusien, donc ils devraient également faire partie de la pratique. Si l’ONU ne soutient pas pleinement la CPI, elle faillit à sa propre mission qui est de prévenir les conflits et sauver des vies.

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CPI/AEP

TOUT CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR SUR L’ÉLECTION DES JUGES DE LA CPI La campagne de la Coalition sur les élections à la CPI promeut la nomination et l’élection des représentants les plus qualifiés grâce à un processus équitable, basé sur le mérite et transparent.

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ONU/CPI

Le camp de Zaatari en Jordanie accueille les réfugiés syriens. © US State Department

PAS DE VETO À LA RESPONSABILITÉ SUITE À la tentative infructueuse de saisir la justice internationale en Syrie, les appels à réformer le pouvoir de veto des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU lorsque des atrocités de masse sont commises, ont redoublé. Conformément au Statut de Rome, le Conseil de sécurité a le pouvoir de référer des situations au procureur de la CPI afin qu’il ouvre un enquête, qu’il s’agisse d’États membres de la Cour ou pas. À ce jour, le Conseil de sécurité n’a renvoyé que deux situations devant la Cour : le Darfour (Soudan) en 2005 et la Libye en 2011, malgré les informations indiquant que des violations massives des droits de l’homme ont lieu ailleurs dans le monde. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis) peuvent chacun opposer leur veto à n’importe quelle résolution soumise à leur attention, une prérogative qu’ils utilisent souvent pour protéger leurs intérêts et ceux de leurs alliés.

Depuis plus de trois ans, le monde a vu la situation en Syrie sombrer dans le chaos et se transformer en catastrophe humanitaire. Il existe des preuves indéniables que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sont toujours commis en toute impunité dans le pays. En mai 2014, malgré le soutien de plus de 60 États membres de l’ONU et de centaines d’organisations de la société civile, la Russie et la Chine ont opposé leur veto à une résolution référant les atrocités de masse commises en Syrie à la CPI ; c’était la première fois qu’une résolution de renvoi échouait. La sélectivité politique du Conseil de sécurité en matière de responsabilisation crée un accès inégal à la justice pour les victimes de crimes graves partout dans le monde, et ébranle la crédibilité tant du Conseil que de la CPI. Fait encourageant, deux initiatives visant à surmonter ce problème ont vu le jour. La première, l’initiative Responsabilité, Cohérence, Transparence (ACT), réunit 23 États cherchant à réformer les SUITE

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ONU/CPI

Le SecrÊtaire gÊnÊral adjoint Jan Eliasson s’adresse au Conseil de sÊcuritÊ de l’ONU lors du vote sur la Syrie-CPI. Il a dÊclarÊ :

ÂŤ Si les membres du Conseil se rĂŠvèlent toujours incapables de s’entendre sur une mesure de responsabilisation pour les crimes actuellement commis [en Syrie], la crĂŠdibilitĂŠ de cet organe et de l’organisation dans son ensemble continuera d’en pâtir Âť. Š Evan Schneider/UN Photo

CONTINUÉ

LE CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L’ONU PEUT-IL ĂŠTRE COHÉRENT EN MATIĂˆRE DE JUSTICE ? Ă€ l’occasion de la JournĂŠe de la Justice Internationale 2014, la Coalition a organisĂŠ un panel de discussion en ligne sur la justice en Syrie, la relation entre le Conseil de sĂŠcuritĂŠ de l’ONU et la CPI, et le bilan des cinq membres permanents du Conseil en matière de justice pour les atrocitĂŠs de masse. Le panel ĂŠtait composĂŠ de : Â’ EWZZWO[ >OQS Q]]`RW\ObSc` RS ZO 1]OZWbW]\ ^]c` ZO 1>7) Â’ @OReO\ HWORSV ^`{aWRS\b RS ZO 1][[WaaW]\ ag`WS\\S ^]c` ZO XcabWQS b`O\aWbW]\\SZZS) Â’ @WQVO`R 2WQYS` RW`SQbSc` Rc ^`]U`O[[S ac` ZO XcabWQS W\bS`\ObW]\OZS RS 6c[O\ @WUVba EObQV ) Sb Â’ :¸/[POaaORSc` 1V`WabWO\ ES\OeSaS` `S^`{aS\bO\b ^S`[Onent du Liechtenstein auprès de l’ONU Voir la discussion sur notre chaĂŽne YouTube

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mÊthodes de travail du Conseil de sÊcuritÊ. L’idÊe d’inciter les membres permanents à s’abstenir d’utiliser leur pouvoir de veto lorsque des crimes relevant de la compÊtence de la CPI sont commis fait l’objet de discussions dans le cadre de l’ACT, bien qu’aucun accord n’ait ÊtÊ conclu. L’ACT s’inspire des efforts menÊs par un groupe de cinq  petits  États : le Costa Rica, la Jordanie, le Liechtenstein, Singapour et la Suisse. La seconde initiative, menÊe par la France, vise à Êtablir un code de conduite qui veillerait Êgalement à ce que les membres permanents du Conseil s’abstiennent d’utiliser leur veto lorsque des atrocitÊs de masse sont perpÊtrÊes. Convaincre les membres puissants du Conseil dont les intÊrêts politiques sont bien ancrÊs, de s’abstenir d’utiliser leur pouvoir de veto n’est pas chose aisÊe. Cependant, les rÊcentes tentatives de rÊfÊrer la Syrie à la CPI ont dÊmontrÊ qu’il existe une dynamique grandissante en faveur de la responsabilitÊ internationale pour les graves crimes. Pour y parvenir dans des situations oÚ la CPI n’est pas compÊtente, il faut procÊder de toute urgence à une dÊpolitisation du processus de dÊcision au sein du Conseil de sÊcuritÊ. Il s’agit à prÊsent de voir combien de temps les membres permanents qui brandissent leur droit de veto pourront encore tenir face à la pression croissante du public qui rÊclame justice.


ONU/CPI

LE RENVOI INFRUCTUEUX DE LA SYRIE DEVANT LA CPI OUVRE LA VOIE Ă€ UNE JUSTICE INÉGALE En mai 2014, la Coalition a ĂŠcrit Ă tous les États membres de l’ONU pour leur faire part de ses inquiĂŠtudes concernant plusieurs dispositions contenues dans la rĂŠsolution rĂŠfĂŠrant la Syrie Ă la CPI qui n’a finalement pas ĂŠtĂŠ adoptĂŠe, car elles auraient compromis la capacitĂŠ du procureur Ă enquĂŞter de manière impartiale. La première disposition soustrayait les ressortissants de pays non membres de la CPI Ă la compĂŠtence de la Cour en Syrie. La Coalition a soulignĂŠ que cette provision compromet le principe d’ÊgalitĂŠ devant la loi, et avec lui, la CPI. L’absence de prĂŠcisions concernant le financement de toute enquĂŞte issue d’un renvoi a ĂŠgalement fait l’objet de critiques, car les États parties Ă la CPI se seraient retrouvĂŠs dans l’obligation d’en assumer les coĂťts. Pour finir, la lettre a dĂŠnoncĂŠ l’omission de rĂŠfĂŠrences explicites Ă l’obligation des États membres de l’ONU de coopĂŠrer avec la Cour, car c’est un ĂŠlĂŠment essentiel pour le succès des enquĂŞtes et des poursuites de la CPI. Chacune de ces trois dispositions figure dans les revois des situations au Darfour (2005) et en Libye (2011) devant la Cour par le Conseil de sĂŠcuritĂŠ.

5 recommandations aux 5 membres permanents : Â’ A¸OPabS\W` R¸cbWZWaS` ZSc` ^]cd]W` de veto lorsque des atrocitĂŠs de masse sont commises Â’ A]cbS\W` ZSa `S\d]Wa RSdO\b ZO CPI en coopĂŠrant, notamment en arrĂŞtant les suspects Â’ 3\Q]c`OUS` ZS TW\O\QS[S\b RSa renvois Ă travers le système onusien Â’ 1SaaS` RS a]cab`OW`S ZSa `Saa]`tissants d’États non membres de la CPI Ă la compĂŠtence de la Cour dans le cadre des renvois Â’ ;OW\bS\W` c\ S\UOUS[S\b Sb c\ dialogue constructifs avec la Cour

Les futures rÊsolutions devront exclure ces obstacles à l’obtention d’une justice impartiale.

LE SOUTIEN LATINO-AMÉRICAIN À LA CPI AU SEIN DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L’ONU PRÉCURSEURS de longue date dans la lutte contre l’impunitÊ, les États latino-amÊricains se servent de plus en plus du Conseil de sÊcuritÊ de l’ONU pour faire avancer la justice internationale.

de justice inÊgal et sÊlectif. L’Argentine avait dÊjà exprimÊ ses rÊserves concernant de telles dispositions, lorsque le procureur de la CPI a prÊsentÊ son rapport en juin 2013.

Suite au veto opposÊ au projet de rÊsolution du Conseil de sÊcuritÊ renvoyant la Syrie devant la CPI cette annÊe, le Chili et le Costa Rica se sont joints à d’autres pays pour appeler les membres permanents du Conseil à s’abstenir d’utiliser leur pouvoir de veto dans les situations impliquant des crimes de guerre, des crimes contre l’humanitÊ et des actes constitutifs de gÊnocide.

Le Guatemala a ĂŠgalement mis Ă profit sa place au Conseil de sĂŠcuritĂŠ pour promouvoir la justice internationale. En octobre 2012, alors que le pays assumait la prĂŠsidence du Conseil, il a organisĂŠ un dĂŠbat ouvert sur l’Êtat de droit, la paix et la justice, en insistant particulièrement sur le rĂ´le de la CPI. C’Êtait la première fois que le Conseil abordait la question de la responsabilitĂŠ pour les graves crimes de cette manière. Parallèlement en mai 2013, un dialogue interactif entre le Conseil et le procureur de la CPI, initiĂŠ Ă la demande du Guatemala, a soulignĂŠ la nĂŠcessitĂŠ de renforcer la coopĂŠration entre les deux entitĂŠs.

L’Argentine a ĂŠgalement ardemment dĂŠfendu l’intĂŠgritĂŠ du Statut de Rome (SR) après le vote sur la Syrie. Tout en manifestant son soutien au renvoi, elle a fait part de ses vives prĂŠoccupations quant aux dispositions qui risqueraient de compromettre le SR et gĂŠnĂŠrer un système

Alors qu’elle prÊsidait le Conseil en octobre 2014, l’un des nombreux dÊbats ouverts organi-

sĂŠs par l’Argentine s’est focalisĂŠ sur les mĂŠthodes de travail du Conseil et la relation entre ce dernier et la Cour. En aoĂťt 2013, l’Argentine a ĂŠgalement organisĂŠ un dĂŠbat ouvert de haut niveau sur la coopĂŠration entre l’ONU et les organisations rĂŠgionales et sous-rĂŠgionales dans le cadre du maintien de la paix et de la sĂŠcuritĂŠ internationales. Les participants ont insistĂŠ sur le fait que les organismes de ce type ont un rĂ´le dĂŠterminant Ă jouer dans l’avancement de la justice, grâce Ă la coopĂŠration avec des mĂŠcanismes de responsabilisation, des cours et des tribunaux internationaux, tels que la CPI. Le bilan du Conseil en matière de justice et de responsabilisation laissant Ă dĂŠsirer, il est nĂŠcessaire que des États parties Ă la CPI tels que l’Argentine, le Chili, le Costa Rica et le Guatemala se fassent entendre haut et fort. Davantage d’États devraient dĂŠsormais suivre leur exemple.

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ONU/CPI

Le Prince Zeid Ra’ad Al-Hussein, le nouveau Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme donne sa première conférence de presse en tant que chef des droits de l’homme à Genève. ©UN Photo/Jean-Marc Ferré

LA RESPONSABILITÉ EST CLÉ POUR LE NOUVEAU CHEF DES DROITS DE L’HOMME DE L’ONU LE PRINCE jordanien Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein, dont la nomination en tant que nouveau chef des droits de l’homme de l’ONU a été approuvée à l’unanimité, jouit d’une solide expérience en matière de responsabilité pour les crimes graves. Âgé de 50 ans, le représentant permanent de la Jordanie auprès de l’ONU succède au Haut-Commissaire sortant Navi Pillay, dont le soutien à la justice internationale et à la CPI tout au long de son mandat mérite également d’être salué. Le Prince Zeid est également membre du Conseil consultatif de la Coalition, un groupe de leaders mondiaux qui soutiennent la justice internationale et offrent une orientation stratégique à la Coalition.

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Fervent défenseur de la lutte contre l’impunité et pilier de la CPI, la nomination du Prince Zeid en tant que Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme ne peut que favoriser l’avancement de la justice internationale.

Un personnage incontournable de la création de la CPI

Cour durant ces premières années. Alors qu’il était président de l’AEP, la CPI a également débuté ses premières procédures judiciaires.

Entre 2002, date d’entrée en vigueur du Statut de Rome (SR), et 2005, le Prince Zeid est devenu le premier président de l’Assemblée des États parties (AEP), l’organe de supervision de la Cour chargé d’examiner et d'adopter des amendements au Statut, élire les représentants et déterminer le budget de la CPI, entre autres fonctions.

Le Prince Zeid a continué à jouer un rôle important au sein du système du SR. Il a présidé le Groupe de travail sur le crime d’agression lors de la Conférence de révision de Kampala, en Ouganda en 2010. Le travail préparatoire effectué par le Groupe de travail a permis aux États parties d’adopter le crime d’agression durant la conférence.

Le leadership du Prince Zeid, ainsi que la campagne de la Coalition pour la ratification universelle du SR, ont contribué à l’augmentation significative du nombre d’adhésions à la

Sous sa direction, il ne fait aucun doute que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme sera dans les conditions idéales pour continuer à jouer un rôle central dans le renforcement du respect des droits de l’homme.


INITIATIVES DE LA COALITION

« Lost Fun Zone ». Le camp de Kanyaruchinya au Nord-Kivu en RDC abritait au moins 60 mille personnes qui avaient fui les rebelles du M23. © 2012 Richard Mosse

L’ART COMME AGENT DE CHANGEMENT AFIN D’EXPLOITER le pouvoir transformateur de l’art, la Coalition a lancé une initiative artistique visant à enrichir le débat global sur la justice internationale. En tant que premier artiste en résidence et coordinateur de l’initiative artistique de la Coalition, Bradley McCallum, basé à Brooklyn, réunira la communauté artistique afin de présenter un travail innovant sur la CPI et la lutte contre l’impunité. Cette initiative a été lancée en mars avec une projection spéciale de « The enclave », une installation multimédia sur le conflit en République démocratique du Congo de l’artiste irlandais primé Richard Mosse. Filmé en infra-

rouge, The Enclave est une élégie troublante d’une terre somptueuse frappée par une tragédie indicible.

« Tombstone Blues ». Les vestiges des abris temporaires du camp de Kanyaruchinya dans l’Est de la RDC. © 2012 Richard Mosse

Mc Callum produit actuellement un portrait collectif incluant des photographies, des témoignages et des peintures, intitulé : « Weights and Measures: Portraits of Justice.” (Poids et mesures : Portraits de justice). Il organise également l’exposition « Post Conflict », qui regroupe les travaux d’artistes de renommée internationale tels qu’Ai Weiwei, Jenny Holzer, Richard Mosse, Pieter Hugo et Alfredo Jaar. Les images sont utilisées avec la permission de Richard Mosse et la Galerie Jack Shainman.

« Lorsque je travaillais dans l’Est du Congo, j’ai été particulièrement frappé par les difficultés inhérentes au fait de représenter le cycle vicieux d’une guerre qui a fait 5,4 millions de morts depuis 1998, et néanmoins ne fait jamais la une des journaux, probablement à cause de sa grande complexité. J’ai voulu affronter les problèmes qu’a connu cette catastrophe humanitaire négligée en termes de documentation et de communication, littéralement apporter un nouvel éclairage sur le conflit, et trouver de nouvelles et peut être plus efficaces, manières de sensibiliser au conflit. Ce projet traite donc de la perception elle-même, en utilisant une sorte de bande de surveillance capable d’enregistrer un spectre de lumière invisible afin de révéler une opaque, et à certains égards inaperçue, tragédie humanitaire ». —Richard Mosse 25


AFRIQUE RÉGIONAL

LA JUSTICE IMPORTE TOUJOURS EN AFRIQUE Le Ministre Sidiki Kaba s’exprime lors d’une précédente session de l’Assemblée des États parties. © ICC-ASP

MALGRÉ LES véhéments discours antiCPI de certains dirigeants africains, le continent compte toujours de nombreux partisans du système de justice internationale instauré par le Statut de Rome (SR), à l’instar du ministre de la justice du Sénégal, qui deviendra le prochain président de l’organe administrateur de la CPI, l’Assemblée des États parties (AEP).

La société civile réclame toujours justice Même confrontées à l’intimidation croissante et aux nombreuses menaces à leur indépendance, les organisations de la société civile de plusieurs États africains œuvrent toujours à faire avancer la responsabilisation pour les graves crimes et à rendre justice aux victimes d’innombrables atrocités. La société civile africaine s’est fermement opposée aux appels en faveur du retrait de la Cour lancés par le Kenya et d’autres États africains parties à la CPI. Au lieu de cela, elle demande une coopération et un engagement accrus de la part du groupe régional le plus important au sein de la CPI puisqu’il regroupe 34 États, afin de faire du système du SR un véritable mécanisme global de responsabilisation. « La société civile kényane est restée ferme et a continué une courageuse

L’AFFAIRE HABRÉ, UNE ÉTAPE HISTORIQUE DE LA JUSTICE AFRICAINE 141 organisations africaines des droits de l’homme ont salué la création par le Sénégal et l’Union Africaine, d’un tribunal spécial chargé de juger l’ancien président tchadien Hissène Habré, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

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campagne contre l’impunité dans le pays comme ailleurs, grâce à un plaidoyer solide et basé sur des éléments concrets, en faveur de la justice pour les victimes », a déclaré Njonjo Mue, conseiller de programme pour Kenyans for Peace with Truth and Justice. « Elle a également pris la tête des efforts de la société civile africaine visant à faire reculer l’agenda anti-CPI de l’UA ». De nombreuses ONGs prennent aussi des mesures en vue d’encourager les gouvernements à respecter leurs obligations en vertu du SR d’enquêter et de poursuivre les graves crimes au niveau national. En février 2014, la visite du Président soudanais Omar el-Béchir en République démocratique du Congo (RDC) afin de participer à un sommet régional, a suscité l’indignation générale. Quatre-vingt dix organisations congolaises de la société civile ont appelé les autorités de RDC à se plier à leurs obligations d’arrêter les suspects de la CPI tels qu’el-Béchir, conformément au SR. Selon certaines informations, le président soudanais aurait précipitamment quitté le sommet, comme cela avait été le cas lors de sa visite de 2013 au Nigeria, où la Coalition nigériane pour la CPI avait saisi la Haute Cour afin qu’un mandat d’arrêt soit délivré à son encontre. En parallèle, la section kényane de la Commission internationale des juristes conjointement avec Physicians for Human Rights et la Coalition on Violence against Women, ont soutenu huit victimes de violence sexuelle durant les violences postélectorales au Kenya, dans leurs efforts pour saisir le gouvernement afin d’obtenir justice. Les ONGs dans des pays tels que le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, la RDC et l’Ouganda ont également été actives lors de la Journée de la Justice Internationale, durant laquelle elles ont organisé des ateliers et des conférences en vue de sensibiliser aux atrocités de masse et appeler les États à rejoindre la CPI. L’Action Mondiale des Parlementaires a également organisé une réunion avec des parlementaires ougandais et congolais en vue de stimuler une volonté politique de soutenir le SR.

De grands espoirs fondés sur Sidiki Kaba En octobre de cette année, le Ministre Sidiki Kaba, un défenseur de longue date de la lutte contre l’impunité, a été désigné par consensus au poste prestigieux de président de l’AEP, avec le soutien de 34 États africains membres de la CPI ; la Coalition a salué la nouvelle comme un potentiel tournant dans le débat sur la CPI et l’Afrique. « La FIDH salue la nomination de son président d’honneur Sidiki Kaba, au poste de président de l’AEP. Son engagement bien connu en faveur de l’efficacité de la CPI et de la protection de l’intégrité du Statut de Rome l’aidera à surmonter les défis de taille qui l’attendent », a déclaré Karim Lahidji, le président de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme. « La présidence de M. Kaba devrait contribuer à préserver le rôle central des victimes au sein des procédures de la CPI. En tant que premier président africain de l’AEP, Sidiki Kaba jouera un rôle primordial dans les relations entre l’Afrique et la CPI ». « M. Kaba est un défenseur de longue date de la lutte contre l’impunité et son point de vue très clair sur le rôle de la justice internationale dans l’attribution de réparations aux victimes et la promotion de la paix dotera l’Assemblée d’une main ferme pour les quatre ans à venir», a affirmé Emma Bonino, la fondatrice de No Peace Without Justice. La société civile continue son combat sans relâche contre l’impunité afin de soutenir tous ceux qui veulent obtenir justice. Elle attend à présent de voir le nouveau président de l’AEP exploiter les éléments positifs de la relation entre l’Afrique et la CPI de façon à ce que l’attention se focalise à nouveau sur le réel enjeu : tenir les auteurs de graves crimes pour responsables de leurs actes, et rendre justice aux victimes où qu’elles se trouvent.


RÉGIONAL AMÉRIQUES

LES VICTIMES SE FONT ENTENDRE À LA TABLE DES NÉGOCIATIONS COLOMBIENNES LES NÉGOCIATEURS du gouvernement colombien et des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), ont décidé de faire participer les victimes aux négociations qui pourraient mettre fin au conflit qui fait rage depuis des décennies dans le pays. Cette initiative largement applaudie, rend l’inclusion de mesures de responsabilisation centrées sur les victimes au sein d’un éventuel accord de paix beaucoup plus probable. Il y a six points à l’ordre du jour des négociations qui se déroulent à La Havane (Cuba) depuis octobre 2012 : (1) Réforme et politique agraire ; (2) Participation politique ; (3) Désarmement des rebelles et fin du conflit ; (4) Trafic de drogue ; (5) Droits des victimes ; (6) Mise en œuvre des accords de paix. En octobre 2014, des accords avaient été conclus concernant la réforme agraire, la participation politique et le trafic de drogue. Cinq délégations de victimes se rendront à La Havane à Cuba, afin de participer aux négociations. Une série de forums régionaux pour la participation des victimes, mis en place à la demande des négociateurs, ainsi que des « tables régionales de paix » (Mesas Regionales de Paz) organisées par le Parlement colombien, ont été organisées à travers toute la Colombie. Plusieurs milliers de propositions concrètes issues de ces consultations ont été présentées aux parties. Réalisant l’importance des contributions des victimes au processus de paix, les négociateurs ont fait en sorte que ces dernières soient entendues sur les thématiques les plus importantes à leurs yeux. Il s’agit notamment de la reconnaissance du droit à la vérité, et du droit à la justice et aux réparations pour les près de six millions de victimes du conflit.

Des principes sur les victimes adoptés La participation des victimes a été encadrée par une série de principes énon-

cés au sein d’une déclaration commune, adoptée par les parties aux négociations en juin 2014. La déclaration établit que les discussions relatives aux victimes doivent donner lieu à la reconnaissance des victimes en tant que telles et de leurs droits. Elle prévoit également, la reconnaissance de la responsabilité des auteurs de crimes, l’élucidation de la vérité, des garanties de non répétition, ainsi que la reconnaissance des droits des victimes à participer et à des réparations, entre autres éléments.

Qui sont les victimes? Parmi les victimes participant aux négociations de paix figurent des femmes, des enfants, des victimes de violence sexuelle, des défenseurs des droits de l’homme, des victimes de disparitions forcées et de transfert forcé, et des chefs de syndicats, pour ne citer que quelques exemples. Les crimes dont ont souffert les victimes auraient été commis par différentes parties au conflit qui a duré 50 ans. Toutefois, si les enquêtes et les poursuites engagées contre les membres de groupes armés illégaux ont avancé, plusieurs organisations de victimes ont appelé le gouvernement à faire plus d’efforts concernant les enquêtes sur les crimes qu’auraient commis les forces gouvernementales ainsi que les groupes paramilitaires aux ordres du gouvernement.

Une garderie pour les enfants de veuves déplacées internes à Turbo en Colombie. © Mark Garten/ UN Photo

Rendre justice La justice et la responsabilisation feront partie des questions majeures abordées lors des négociations de paix. Plusieurs propositions et points de vue ont été présentés, et notamment des sanctions alternatives (sentences non traditionnelles) et le traitement des cas les plus graves en priorité. Un accord final doit encore être trouvé. L’accord final doit répondre aux diverses attentes des victimes tout en posant les fondements de la réconciliation. Il doit également garantir qu’aucune immunité ne sera accordée pour les crimes les plus odieux du conflit. L’inclusion des victimes lors des négociations ne peut que favoriser la satisfaction de ces exigences.

« Ayant à l’esprit les actuelles négociations de paix entre le gouvernement colombien et la guérilla, la Commission colombienne des juristes appelle les autorité colombiennes à véritablement soutenir le système de justice internationale consacré par le Statut de Rome, à s’impliquer dans la lutte contre l’impunité et à s’opposer à toute mesure faisant obstacle à la justice ». —Gustavo Gallon, directeur de la Commission colombienne des juristes 27


ASIE-PACIFIQUE RÉGIONAL

LES PRINCIPES DE NON-INGÉRENCE DE L’ASEAN SONT-ILS RÉELLEMENT INCOMPATIBLES AVEC LE STATUT DE ROME? LES ÉTATS du Sud-Est asiatique justifient souvent leur refus d’adhérer à la CPI en invoquant les principes de noningérence et de souveraineté nationale. À y regarder de plus près, cet argument leur permet surtout de masquer leur réticence à garantir la justice pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes constitutifs de génocide. Au vu de la longue histoire de la région marquée par le colonialisme et les interventions étrangères, de nombreux membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) considèrent la non-ingérence dans les affaires intérieures comme la base des relations interétatiques. Habilitée à ouvrir des enquêtes (quoique uniquement lorsqu’un gouvernement n’a pas la capacité ou la volonté de le faire), la CPI est perçue comme compromettant ce principe en portant atteinte à la souveraineté et en s’immisçant dans des domaines considérés comme relevant uniquement des affaires intérieures. En partie à cause de ce raisonnement, seuls deux des 10 États membres de l’ASEAN (le Cambodge et les Philippines) sont membres de la CPI. La souveraineté absolue est en fait un concept dépassé qui ne reflète pas la réalité d’une région dans laquelle les membres de l’ASEAN doivent se soumettre au mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce, et dans certains cas à la Cour internationale de justice, lesquels impliquent des concessions sur la souveraineté étatique. Le droit international humanitaire oblige également les États membres de l’ASEAN à prohiber et à prévenir la plupart des crimes relevant de la compétence de la CPI. De même, les principes du Statut de Rome (SR) coïncident avec des normes internationales relatives aux droits de l’homme déjà reconnues par les États de la région. L’attachement des États de l’ASEAN à de nombreux principes du SR se manifeste à travers la position officielle de l’ASEAN qualifiant la CPI de « développement positif dans la lutte contre l’impunité des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et du génocide ». L’argument de la non-ingérence devient par conséquent caduc: ses défenseurs souscrivent largement à la substance du traité mais n’ont tout simplement pas la volonté de le mettre en œuvre. Au vu de leurs systèmes juridiques élaborés et des réelles opportunités de coopération avec la Cour, il est peu probable que les États de l’ASEAN soient jugés incapables d’enquêter ou de poursuivre les crimes relevant de la CPI. Les États défendant l’argument de la non-ingérence sont les plus susceptibles d’être identifiés comme ne voulant pas engager de poursuites, et par conséquent, d’être soumis à la compétence de la CPI. Lorsque les États de l’ASEAN déclarent s’opposer à l’adhésion à la CPI car elle compromettrait des principes fondamentaux

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tels que la non-ingérence, cela signifie plutôt qu’ils n’ont pas la volonté de garantir que tous les auteurs de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide seront traduits en justice. Les populations du Sud-Est asiatique méritent mieux. Elles méritent que justice soit rendue.

« En 2011, la Malaisie a signifié son intention de ratifier le SR. Depuis lors, peu de progrès ont été réalisés. Depuis 2006, nos membres plaident en faveur de l’adhésion en organisant des séminaires et des forums publics, en fournissant des informations aux décideurs et en laçant des appels publics à l’action. La Présidence de la CPI est venue renforcer ces efforts en organisant plusieurs visites de hauts représentants. Les dirigeants ont réagi en prolongeant les délais et en invoquant la souveraineté et la compatibilité juridique. Mais il s’agit en réalité de faux problèmes. Le principe de complémentarité, qui est souvent perçu comme une atteinte à la souveraineté des États est en fait tout l’inverse : il garantit que la CPI demeure une juridiction de dernier ressort. Quant aux problèmes juridiques relatifs à la compatibilité avec la loi de la sharia et à la position du chef d’État constitutionnel, l’adhésion au SR de nombreuses monarchies constitutionnelles et de pays majoritairement musulmans prouve que ces difficultés peuvent aisément être surmontées s’il existe une véritable volonté politique ». —Evelyn Balais-Serrano, directrice exécutive de FORUM-ASIA et ancienne coordinatrice régionale pour l’Asie-Pacifique de la Coalition

Evelyn BalaisSerrano et le Procureur de la CPI Fatou Bensouda lors d’une conférence en Australie. © CICC


RÉGIONAL EUROPE

L’UE, UN ACTEUR CLÉ DU SYSTÈME DE LA CPI Le Docteur Christian Behrmann, point focal de l’UE sur la CPI au sein du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), décrit le rôle de l’UE dans la lutte mondiale contre l’impunité.

Que fait l’UE pour promouvoir l’universalité du Statut de Rome? L’UE EST déterminée à faire de la CPI une juridiction universelle et à promouvoir une meilleure compréhension de son mandat. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour faire avancer ce processus auprès des États tiers. Cela passe notamment par les dialogues sur les droits de l’homme instaurés avec quelques 40 pays, mais aussi par les campagnes de démarche partout dans le monde, les séminaires locaux ou régionaux pertinents, l’inclusion de clauses relatives à la CPI au sein d’accords avec des États tiers (notamment dans le cadre de la Politique de Voisinage) et le le fait de soutenir financièrement la société civile. Cela fait également partie des objectifs des négociations d’adhésion à l’UE, puisque la ratification du Statut de Rome(SR) et l’adhésion à ses valeurs font partie de l’acquis communautaire devant être respecté pour pouvoir rejoindre l’UE.

L’UE soutient résolument l’éradication de l’impunité hors de ses frontières. Existe-t-il une politique au sein de l’UE ? La CPI demeure complémentaire des systèmes nationaux. Au sein de la position commune sur la CPI adoptée par le Conseil, les États membres de l’UE ont manifesté leur détermination à lutter ensemble contre certains crimes. Par la suite en 2002, le Conseil a adopté une décision établissant un « réseau européen de points de contact en ce qui concerne les personnes responsables de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de

guerre », aussi connu sous le nom de « réseau génocide de l’UE ». Il a pour but d’améliorer la coopération entre les États membres qui ont désigné des points de contact au sein de leurs services de police et systèmes juridiques, et échangent des informations sur les enquêtes. Il incombe toujours aux autorités nationales d’enquêter et de poursuivre ces crimes.

Que peuvent faire l’UE et ses membres pour améliorer la coopération avec la CPI? Le fonctionnement efficace de la CPI repose sur la pleine coopération. L’UE est la première organisation régionale à avoir signé un accord de coopération et d’assistance avec la CPI en 2006. L’UE et ses membres encouragent inlassablement les États à coopérer pleinement avec la CPI, notamment en ce qui concerne la prompte exécution des mandats d’arrêt. La réponse de l’UE à l’absence de coopération se concentre sur les instances imminentes de non coopération, les cas persistants ou répétés de non coopération, et sur quand il convient d’éviter les contacts non essentiels avec des individus visés par des mandats d’arrêt.

Christian Behrmann à la réunion stratégique sur l’Europe de la Coalition pour la CPI en 2013. © CICC

« Le soutien de l’UE à la CPI est primordial et ressort au sein de certaines politiques adoptées. S’agissant de la mise en œuvre en revanche, il est toujours possible de faire mieux surtout lorsque la situation devient difficile ou politiquement gênante ». « L’UE devrait exiger la pleine coopération avec la CPI de manière plus proactive et contraignante lorsque les mandats d’arrêt émis par la Cour sont ignorés ou que ses enquêtes sont mises en péril, comme c’est le cas au Soudan, en Libye et au Kenya. L’UE doit également être consistante et respecter ses principes pour ce qui est de la promotion de l’universalité de la CPI, qu’il s’agisse de Kiribati, de l’Irak, de l’Ukraine ou de la Palestine et Israël ». « La nouvelle Haute représentante de l’UE, Federica Mogherini, devrait faire de la justice pour les crimes internationaux une priorité en s’associant avec les États de l’UE pour encourager la responsabilisation et en nommant un représentant spécial chargé de la justice internationale et du droit humanitaire, tel que recommandé par le Parlement européen ». —Géraldine Mattioli-Zeltner, directrice de plaidoyer au sein du programme justice internationale de Human Rights Watch

L’intégralité de l’entretien est disponible sur le blog de la Coalition #JusticeGlobale

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MOAN RÉGIONAL

LA QUÊTE DE JUSTICE CONTINUE DANS UN MOYEN-ORIENT EN PROIE AUX TROUBLES Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA). Dans le même temps, les violents conflits qui ont éclaté à la suite des soulèvements politiques et sociétaux dans la région ont fait naître un besoin urgent de responsabilisation et nombreux sont ceux qui réclament une intervention de la CPI. La société civile du monde entier, et au moins 58 États, ont appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à autoriser une enquête de la CPI sur les indéniables crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis durant le conflit en Syrie. En dépit de ce soutien, la résolution référant la situation à la Cour n’a pas pu échapper aux enjeux politiques au sein du Conseil de sécurité puisqu’elle a été stoppée par le veto de la Russie et la Chine. Des civils blessés arrivent à l’hôpital d’Alep durant la guerre civile en Syrie © Wikimedia Commons

DANS UNE région qui ne compte que deux États membres de la CPI, la société civile doit évoluer dans un contexte politique régional et international complexe afin d’instaurer la justice dans des pays frappés par des conflits tels que la Syrie, l’Irak ou la Palestine. Le Printemps arabe a galvanisé un tout nouveau soutien pour la justice et les droits de l’homme parmi les populations du

« L’échec du renvoi du conflit syrien devant la CPI est très décevant. En n’agissant pas pour tenir les auteurs d’atrocités de masse pour responsables de leurs actes, le Conseil de sécurité de l’ONU envoie le mauvais message à toutes les parties en Syrie, en particulier au régime d’Assad, qu’ils peuvent continuer à commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en toute impunité. Il en résultera un essor de l’impunité ainsi qu’un engrenage de la violence ». « La Commission syrienne pour la justice transitionnelle s’est engagée à mener des recherches approfondies sur de futures initiatives de justice transitionnelle et de réconciliation en Syrie, et à instaurer l’état de droit durant la période transitionnelle post-Assad. Comme nous l’ont enseigné les expériences de justice transitionnelle à travers le monde, la réconciliation est intrinsèquement liée à la transition politique. Sa réussite dépend principalement de la volonté et de la vision des acteurs et forces politiques dans le pays. Malheureusement, la tradition de participation politique en Syrie est presque inexistante, laissant au pays peu d’options vers lesquelles se tourner s’agissant d’élaborer et de mettre en œuvre des programmes de réconciliation post-conflit ». —Radwan Ziadeh, président de la Commission syrienne pour la justice transitionnelle 30

Dans l’Est syrien, face aux atrocités qu’aurait perpétrées l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL), les appels en faveur de l’ouverture d’une enquête de la CPI se sont multipliés. La Coalition, l’Action Mondiale des Parlementaires (PGA) et le nouveau chef des droits de l’homme de l’ONU, le Prince Zeid Ra’ad Zeid al-Hussein, ont appelé le gouvernement irakien à ratifier le Statut de Rome (SR). « De telles atrocités ne peuvent pas rester impunies, et l’Irak devrait ratifier le Statut de Rome de la CPI », a déclaré le Président de PGA Ross Robertson. Mais au vu de la campagne internationale contre l’EIIL et des difficultés que rencontre le nouveau gouvernement pour préserver l’unité du pays, la perspective d’adhésion du pays à la CPI semble encore éloignée. Ailleurs dans la région, les voix appelant la Palestine à rejoindre la CPI se sont faites entendre haut et fort, après le récent conflit à Gaza qui a fait plus de 2,000 morts. Malgré les éléments indiquant son intention de le faire, l’Autorité palestinienne s’est finalement montrée réticente, et l’on suppose que certaines puissances exercent des pressions politiques pour freiner une évolution dans ce sens. « Les États parties à la CPI ont ouvertement découragé ou se sont intentionnellement abstenus d’encourager la Palestine à ratifier le SR », a déclaré Shawan Jabarin, le directeur général d’Al Haq. « À la lumière des intérêts politiques en jeu et des actuelles négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens, les États et les organes régionaux ont mis de côté le droit des victimes à réclamer et recevoir des réparations, et ce faisant, ne sont pas parvenus à combler l’absence manifeste de responsabilisation pour ces crimes ». Le Printemps arabe a sans nul doute donné un nouveau souffle au désir d’éradiquer l’impunité dans la région du MOAN, mais les évènements de cette année ont montré que trop souvent, les enjeux politiques constituent un obstacle. La société civile reste néanmoins déterminée à faire en sorte que tous les pays du MOAN rejoignent la CPI afin de mettre un terme à l’impunité dans la région et ailleurs. Les grandes puissances mondiales doivent cesser de faire obstacle à la justice.


LA CAMPAGNE POUR LA JUSTICE GLOBALE MÉTAMORPHOSÉE MAINTENANT que près des deux tiers des nations du monde sont membres du système du Statut de Rome (SR), la Coalition a décidé de remanier et d’étendre sa Campagne de ratification universelle, qui est parvenue à encourager de nombreux gouvernements à accepter la compétence de la Cour.

La Campagne ainsi métamorphosée prévoit un plus large éventail d’activités au niveau local, national et régional, menées par nos membres partout dans le monde. Le public peut également soutenir la Campagne, en signant des pétitions en ligne et en s’adressant directement aux décideurs sur les réseaux sociaux.

Si la ratification du SR demeure un élément central, la nouvelle Campagne pour la Justice Globale encourage également la mise en œuvre du Statut, la complémentarité (les poursuites nationales des crimes internationaux) et appelle les États et d’autres acteurs à coopérer avec la Cour. Il s’agit d’aspects essentiels du fonctionnement durable et efficace du système du SR.

Depuis le début de l’année, la Campagne a appelé plusieurs pays à ratifier et pleinement mettre en œuvre le SR : les Bahamas, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, l’Égypte, Haïti, l’Ukraine, la Turquie, le Salvador et le Viêt Nam. Agissez pour soutenir nos efforts dès maintenant.

LE LANCEMENT DU BLOG #JUSTICEGLOBALE 2014 fut également l’année du lancement du nouveau blog de la Coalition, #JusticeGlobale, qui entend offrir aux experts comme aux novices, les dernières informations et les points de vue de la société civile sur la CPI et la justice internationale. Les abonnés reçoivent des résumés hebdomadaires de l’actualité de la CPI ainsi que le Bulletin mensuel de la Coalition par email. Inscrivez-vous dès maintenant pour suivre notre actualité.

DERNIÈRES RATIFICATIONS/ADHÉSIONS* AFRIQUE

AMÉRIQUES

ASIEPACIFIQUE

EUROPE

MOYEN ORIENT & AFRIQUE DU NORD

TOTAL

STATUT DE ROME

Côte d'Ivoire 15 février 2013

Guatemala 2 avril 2012

Vanuatu 2 décembre 2011

République de Moldavie 12 octobre 2010

Tunisie 24 juin 2011

122

ACCORD SUR LES PRIVILÈGES ET LES IMMUNITÉS DE LA CPI

Sénégal 25 septembre 2014

Brésil 12 décembre 2011

République de Corée 18 octobre 2006

Suisse 25 septembre 2012

Tunisie 29 juin 2011

73

AMENDEMENT DE KAMPALA SUR LE CRIME D’AGRESSION

Botswana 4 juin 2013

Uruguay 26 septembre 2013

Samoa 25 septembre 2012

Saint Marin 14 novembre 2014

19

Île Maurice 5 septembre 2013

Uruguay 26 septembre 2013

Samoa 25 septembre 2012

Lettonie/Pologne/Espagne 25 septembre 2014

21

AMENDEMENT DE KAMPALA À L’ARTICLE 8 DU STATUT DE ROME

*À COMPTER DU 19 NOVEMBRE 2014


L’ACTUALITÉ DE LA #JUSTICEGLOBALE ET LES POINTS DE VUE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

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