Leçons d'harmonie DP

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l’animisme, l’idéal éducatif, l’organisation administrative ou le miroir aux alouettes des nouvelles technologies du loisir et leur pouvoir addictif. Il faudrait y ajouter encore les abîmes psychiques. Là rôdent le désir sexuel, et simultanément les fantasmes de pureté Aslan se lavant compulsivement, la terreur du regard des garçons éprouvés par la jeune fille. Là, les pulsions sadiques ne sont nullement réservés aux « méchants » de l’histoire, lesquels agissent au contraire plutôt rationnellement (le pseudo-darwinisme à la mode Spencer) même si de manière immonde.

SYNOPSIS Aslan, 13 ans, vit avec sa grand-mère dans un village au Kazakhstan. Il fréquente un collège où la corruption et la violence tranchent avec son obsession du perfectionnisme. Le jeune Bolat, chef du gang des mauvais garçons, humilie Aslan devant ses camarades de classe et extorque de l’argent à tous les adolescents. Aslan prépare une vengeance féroce et implacable.

Cette tension ouverte et complexe ne tient pas à la seule composition du film, mais aussi à la manière dont Emir Baigazin filme chaque plan. La première image, peut-être rêvée, est d’une grâce élégiaque. La première séquence, entre comique et cruauté, réalisme et geste propitiatoire – est-ce pour être mangé ou pour attirer la clémence des dieux sur le film que ce mouton est sacrifié sous nos yeux ? – installe d’emblée dans un monde qui n’est pas le nôtre, et dont on ne peut douter de l’authenticité. Plus que tout peut-être, la relation entre la caméra et le corps et le visage d’Aslan (Timur Aidarbekov) est comme celle du projecteur avec le grand écran : tout peut y apparaître. Aslan est un écolier timide, il est un jeune guerrier, il est un habile stratège, il est aussi un garçon qui rêve de la jolie fille dans sa classe, et un enfant qui a peur (d’être atteint d’une maladie inconnue).

LA STRATÉGIE DU LÉZARD

«

Leçons d’harmonie raconte l’histoire d’une vengeance, et bien autre chose. La vengeance sera celle d’un lycéen humilié et ostracisé par les autres élèves, sous la coupe de Bolat, un condisciple chef de bande. Mutique et renfermé, le jeune Aslan, qui vit seul avec sa grand’mère dans une ferme à l’écart de la ville, prépare méthodiquement l’élimination de son ennemi. Sauf que le combat d’Aslan et Bolat, combat de la victime contre l’oppresseur, stratégie asymétrique où l’intelligence du faible invente les réponses à la surpuissance du fort, s’il est en effet la colonne vertébrale du film durant les deux tiers de son déroulement, est loin d’en dire tout le sens, toute l’ambition et toute la puissance. Cette intrigue est plutôt comme le propulseur, abandonné en chemin, d’une composition beaucoup plus ample et complexe. L’élégance du premier film du jeune réalisateur kazakh Emir Baigazin est de ne sembler montrer que des situations simples, auxquelles aucun effet de style n’ajoute un discours, une généralisation, une ruse séductrice. Fixes ou en mouvements glissés, jamais très brefs ni très longs, les plans seraient comme les cases quasi-égales d’un échiquier sur lequel Aslan prépare sa revanche, comme un maître organise très en avance un coup particulièrement retors. Cette tension dramatique et formelle est enrichie par une manière de filmer étonnamment réaliste, au sens de la sensibilité aux matières, aux objets, aux lumières naturelles. Sans trucage ni astuce, Baigazin filme un verre, un visage, un stylo, un lavabo, un couteau, des chaussures de telle manière qu’ils acquièrent immédiatement une très grande présence physique à l’écran, présence qui densifie et rattache au monde quotidien un récit essentiellement abstrait. Apparemment raconté de manière très posée, le film est aussi capable d’accélérations foudroyantes, par exemple lorsque soudain tout se précipite au moment de l’installation dans la classe d’Aslan de Bolat le petit caïd. Ce récit, anecdote dramatique, fait divers, fable morale, histoire d’une stratégie dans un contexte de film noir un peu à la manière d’Un prophète (ce qui serait déjà beaucoup) est en fait retramé par

Apparemment très sage et en fait très audacieuse et disponible à d’innombrables ouvertures, la composition du film autorise des déplacements gigantesques qui adviennent comme naturellement, fruits d’une nécessité interne dont on ne découvre l’existence que 3 durant le déroulement du film. Ainsi, en particulier, du recours aux ellipses, dont la puissante coupe franche qui, au moment du passage à l’acte, rappelle les stratégies narratives de Robert Bresson, ou plus récemment des frères Dardenne. Ainsi, également, la dimension onirique, qui du tout premier plan au tout dernier est comme un filet d’air qui parcourrait ce film apparemment ultraréaliste, ou plutôt d’un réalisme assez rigoureux pour précisément accueillir aussi l’onirisme, y compris des scènes de rêves filmées exactement comme des scènes de « réalité » (n’est-ce pas le propre du rêve ?), et jusqu’au cauchemar final dans le commissariat qui redéploie tout l’enchainement possible des faits, d’une manière que la logique policière ne peut pas davantage résoudre que l’extrême violence des flics.

une réflexion beaucoup plus vaste, d’autant plus passionnante que le cinéaste la met en scène sans pour autant s’en faire le propagandiste, comme une interrogation inquiète plutôt que comme l’affirmation d’une thèse.

Leçons d’harmonie met en jeu l’idée très archaïque et très contemporaine qu’on a (abusivement) baptisé le darwinisme social. Deux lézards verts dans un bocal en sont peut-être les véritables personnages principaux, quelques cafards ligotés sur une chaise électrique miniature en sont les représentants terriblement troublants. Des bribes d’émissions de télé et plusieurs cours enseignés aux lycéens permettent de rappeler quelques éléments auxquels se réfère cette conception de la lutte généralisée de tous contre tous et de la valorisation de la force comme seul principe de survie. Ils le font d’une manière qui n’a, elle, rien de scolaire mais est toujours dans le mouvement de l’action. Et c’est la composition du film qui permet de déployer les racines et les effets réels de cette approche dont il n’est nullement besoin de savoir qu’elle eut comme principal théoricien Charles Spencer. Grâce à sa construction en ces petits blocs d’espace-temps que constitue chaque scène, le film inscrit son récit propre dans des réseaux de plus en plus étendus, ceux des systèmes de racket et de contrôle social par des organisations mafieuses rivales, ceux du rôle de l’autorité publique, de la directrice du lycée à la police, les rapports capitale/province et ville/campagne, ceux de la modernisation libérale, ceux de la religion et des différents régimes de croyance et de superstition, dont font aussi partie, à côté de l’islam et de

PRIX OURS D’ARGENT DE LA MEILLEURE IMAGE, Berlin 2013 GRAND PRIX / LICORNE D’OR ET PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE, Amiens 2013 MENTION SPÉCIALE, Tribeca 2013 MEILLEUR FILM, Seattle 2013 GRAND PRIX, Sao-Paulo 2013 MEILLEUR PREMIER FILM ET MEILLEURE IMAGE, Philadelphie 2013 PRIX NETPAC, Abu Dhabi 2013 PRIX NETPAC, Varsovie 2013 MENTION SPÉCIALE, Gand 2013 PRIX SPÉCIAL DU JURY, Tokyo 2013 MENTION SPÉCIALE POUR LA RÉALISATION, Asian Pacific Screen Awards 2013 Présentation aux festivals de Karlovy Vary, Sarajevo, San Sebastian, Busan et Nantes en 2013 COMPÉTITION, Angers et Annonay 2014

L’inexpressivité de surface de son visage, en fait très riche de possibilités jamais formulées mais offertes à l’imaginaire du spectateur, et sa raideur corporelle qui évoque par instants Buster Keaton et par instants Nosferatu, inscrivent une tension où le burlesque voisine avec l’inquiétant, et qui nourrit sans cesse la capacité de porter attention au personnage, sans pour autant s’identifier à lui. C’est une des très subtiles opérations réussies par le film que d’instaurer cette mobilité de la relation du spectateur au personnage central, élément majeur de la constante mobilité d’imagination et de réflexion qu’il suscite, mobilité qui est le résultat paradoxal du côté apparemment très statique de la mise en scène. Ainsi la beauté des plans et l’intensité dramatique des situations stimulent constamment la capacité de chacun d’entrer dans le mouvement intérieur de ce film étrangement dynamique à l’intérieur de son apparente lenteur. » Jean-Michel Frodon Slate.fr Professeur associé à Sciences-Po Paris Membre du comité pédagogique de SPEAP Professorial Fellow, University of St. Andrews

LEÇONS D’HARMONIE (Uroki garmonii) - 2013 - kazakh et russe soustitré français - Kazakhstan/Allemagne/France - couleur - 1:85 - 114mn

EMIR BAIGAZIN Né en 1984 au Kazakhstan, Emir Baigazin a étudié la mise en scène de cinéma à l'Académie nationale kazakhe des Arts. En 2007, il est sélectionné pour intégrer la formation de l'Académie du Film Asiatique du festival de Busan où il suit l’enseignement de Pen ek Ratanaruang (Thaïlande) et de Mohsen Makhmalbaf (Iran). Il a également participé au Berlinale Talent Campus 2008. Son premier long métrage, Leçons d'harmonie, a remporté l’Ours d'Argent de la Meilleure Image avant d’entamer une carrière festivalière exceptionnelle.

Document réalisé avec le soutien de l’Association des cinémas de l’ouest pour la recherche.


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INTERVIEW EMIR

BAIGAZIN

Comment êtes-vous devenu réalisateur ? Emir Baigazin : Enfant, je n’ai jamais pensé à devenir cinéaste. Ayant grandi dans un très petit village du Kazakhstan, je n’y avais jamais songé. Quand j'étais enfant, je regardais des films bien sûr, mais si j’avais dit à mon père que je voulais devenir réalisateur ou acteur, cela lui aurait fait la même impression que si j'avais voulu devenir astronaute pour aller sur Mars ou quelque chose de ce genre… Je crois en moi mais je crois aussi en une certaine forme de destin, et ce sont des opportunités qui m’ont mené vers une école de cinéma. Quels genres de films regardiez-vous enfant ? E.B. : À cette époque, l’Union Soviétique s’effondrait. Cela m'a permis d'accéder à des films de série B, des teen-movies, des films d’action et des thrillers. Ceci dit, mon éveil artistique a plutôt été inspiré par la musique. J’étais très sensible à la musique alternative par exemple : je connaissais les Sex Pistols à 12 ans. C'est incroyable pour moi de réaliser aujourd’hui que bien qu’ayant grandi dans cette région du monde, je connaissais les Sex Pistols, les Beatles ou les Rolling Stones. Et ce, uniquement par les journaux ou les magazines. Je lisais seulement les critiques musicales, surtout celle sur le rock soviétique. Grâce à la vague de démocratie et à la glasnost, il y a eu ces journaux qui nous ont permis d’accéder à ces informations malgré notre technologie rudimentaire. Quelle est la genèse de Leçons d’harmonie ? E.B. : Il y a 3 ans, l’idée de Leçons d’harmonie m’est venue d'un coup, en marchant dans la rue. C’était inconscient, il n’y avait pas d’intention et certains détails ont évolué étape par étape plus tard. Je connais très bien le contexte du film, mais je tiens quand même à dire qu’il ne s’agit pas d’un film autobiographique. Je voulais mettre en avant un système scolaire qui évoque et reflète le système qui prévaut dans notre société, à différents niveaux. Dans le fond, Leçons d’harmonie n’est pas réellement un film sur l’école ou sur l’adolescence ; c’est un film sur un système de violence qui est inhérent à la nature humaine. Leçons d’harmonie ne raconte pas une guerre entre des personnes mais raconte la guerre intérieure qui ravage une seule et même personne. Pour chacun d’entre nous, le défi est de pardonner ou continuer à se battre. Comment avez-vous construit votre scénario pour exprimer cette guerre ? E.B. : Certaines personnes estiment que Leçons d’harmonie est un film violent, mais j’ai pourtant décidé de ne montrer aucun meurtre ou acte de violence. Au début du film, nous voyons Aslan, le jeune personnage principal, tuer un mouton dans son petit village. Si nous considérons le contexte de cet acte, le meurtre sert ici à se nourrir, et au final à survivre. Commencer le film avec cette scène permet de comprendre les meurtres à venir qui, eux, ne sont pas montrés mais sont perpétrés avec la même motivation : survivre. Cela me semblait plus élégant ainsi. Je n’ai jamais voulu contempler la violence. Cette première scène introduit aussi la relation d’Aslan aux animaux, ce qui est un motif récurrent dans le film. E.B. : Ce mouton apparaît deux fois dans le film, au début et à la fin, et symbolise les lois physiques de ce monde. À la fin du film, le mouton court sur l’eau, ce qui apparaît comme une sorte de libération de ces lois. L’image d’un film relève de plusieurs aspects. Beaucoup de choses sont devenues claires pour moi après coup. Par exemple, la raison pour laquelle Aslan s’acharne sur les cafards doit avoir un parallèle avec une expression russe que l’on pourrait traduire par « avoir des cafards dans sa tête » qui

arizona distrib.

ARIZONA DISTRIBUTION Bénédicte Thomas +33 6 80 77 65 87 benedicte@arizonafilms.net

signifie avoir des problèmes, des troubles, des questionnements irrésolus dans son esprit. Concernant la scène du mouton qui court sur l’eau en présence de deux personnages morts, il y a un proverbe japonais que j’ai entendu récemment dans un taxi : « Si tu regardes une rivière suffisamment longtemps, tu y verras au bout d’un moment le cadavre de tes ennemis flotter ». L'école d'Aslan symbolise un système global : les élèves ont des cours sur Gandhi, Darwin et reçoivent des leçons militaires. Cela s’apparente à une variation sur les énergies qui existent dans cette école et à l’intérieur d’une personne : entre l’amour et la haine, la lumière et les ténèbres. Cela renvoie au sujet de Leçons d’harmonie : le principe de l’harmonie au-delà du cadre d’une simple dualité.

Aslan est également obsédé par la propreté. E.B. : Alsan est obsédé par l’idée d’échapper à Bolat, le jeune tortionnaire de son école, et de se débarrasser ainsi du mal qui sévit dans cette école. C’est pour cela qu’il a besoin d’être propre. Au début du film, après l’affaire du verre d’eau, Aslan continue à se nettoyer ; mais après le second meurtre, il réalise qu’il n’est pas si propre sur lui que cela. Il trouve l’équilibre entre ces deux aspects et parvient ainsi à l’harmonie. Quand on me demande la raison de ce titre pour ce film, je réponds toujours que l’harmonie est un terme qui dépasse les principes manichéens de noir et blanc, de bien et de mal. Dans Leçons d’harmonie, Happylon, un centre de jeux vidéo en ville, peut être vu comme un paradis pour ces écoliers ou un moyen pour eux de fuir la cruauté de leur monde. E.B. : « Paradis » est le bon mot. Mais dans ce paradis, il y a aussi des lois. Même dans cet endroit, il y a de la pression sociale. La différence, c'est que la violence se déroule ici sur un écran. Comme ces adolescents viennent d’une région pauvre, cette grande ville représente pour eux l’opulence et le bonheur. C’est pour cela qu’Aslan s’y rend. Ayant moi-même grandi dans une région pauvre, aller en ville représentait pour moi une sorte de paradis. J’y étais libéré de l’idéologie criminelle. Propos recueillis par Morgan Pokée Répliques

LISTE ARTISTIQUE Timur Aidarbekov : Aslan - Aslan Anarbayev : Bolat Mukhtar Andassov : Mirsayin - Anelya Adilbekova : Akzhan

LISTE TECHNIQUE Scénario et réalisation : Emir Baigazin - Image : Aziz Zhambakiyev - Décor : Yuliya Levitskaya - Costume : Ulan Nugumanov - Son : Markus Krohn, Sergey Lobanov, Erlan Ytepbergenov - Productrice : Anna Katchko - Coproducteurs : Guillaume de Seille, Rebekka Garrido, Michael Reuter, Karsten Stöter, Benny Drechsel - Production : JCS Kazakhfilm, Arizona Productions, Rohfilm, Post Republic Halle - Avec le soutien du Berlinale World Cinema Fund, de l’Aide aux Cinémas du Monde, du Prix Work in Progress du Festival de Sarajevo.

PRESSE Dany de Seille +33 6 08 91 57 14 dany@deseille.info

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