N°75 Preuves obstinées

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revue d'écritures

Collectif DE LA REVUE Arlette ANAVE Jeannine ANZIANI Teresa ASSUDE Nicole BRACHET René COHEN Monique D'AMORE Christiane LAPEYRE Michèle MONTE Michel NEUMAYER Odette NEUMAYER Agnès PETIT Marie-Christiane RAYGOT Françoise SALAMAND-PARKER Anne-Marie SUIRE Any SOUCHOT Directeurs DE PUBLICATION

Filigranes, revue d'écritures, entend promouvoir les "hommes du commun à l'ouvrage" (Jean Dubuffet) et soutenir l'accès de tous au pouvoir d'écrire. Aventure collective engagée en 1984 et poursuivie depuis, la revue a pour objet d'ouvrir un espace de coopération où l'écriture puisse se mettre en travail et où lecture et publication deviennent démarche partagée.

FILIGRANES - 74 - CORPS PALIMPSESTE

Filigranes

Filigranes Revue d'écritures

e n a r g i l Fi

Lire un numéro de Filigranes, c'est repérer le dialogue des textes et découvrir comment les problématiques et thèmes proposés donnent matière à écrire.

Preuves

Trois fois par an se tient un séminaire ouvert aux lecteurs et amis. C'est là que s'élaborent les choix éditoriaux contribuant à enrichir la réflexion de chacun au sujet de la création contemporaine.

obstinées

Odette et Michel NEUMAYER

n°75 : “Preuves obstinées” (Novembre 2009) FILIGRANES 1, Allée de la Saine-Baume F- 13470 CARNOUX-EN-PROVENCE www.ecriture-partagee.com

(ISSN 0296-6409)

Prix au numéro : 10 euros Abonnement 4 numéros : 30 euros Parution quadrimestriel le

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75

ne a r g i l i F

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ne a r g i l i F

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Preuves

Obstinées

Odette et Michel NEUMAYER

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Éditorial

PIÈCES À CONVICTION Arlette ANAVE Richard CABANES Odette NEUMAYER

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Mémorial L’épreuve

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L’appel des sirènes

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Josiane ROMI

Lieu dit Moulin Lacombe

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Jean-Jacques MAREDI

Archiviste de l’indicible

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C’EST À DIRE Pierre VALMONT

L’oeil n’est pas censé voir

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Mots, au gré du vent, jetés

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Messieurs, La Cour !

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L’éditeur de liens

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Anne-Marie SUIRE

Chaque jour, il écoutait...

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Jeannine ANZIANI

Aïe !

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CURSIVES

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Xavier LAINÉ Chantal BLANC Marie-Noëlle HOPITAL

"De la leçon de Ponge à la quête intérieure” Entretien avec

Cédric Lerible, poète. À Filigranes pour ses 25 ans Fragment original de Christiane LAPEYRE

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Sommaire

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REGISTRES INTIMES Pasquale MAQUESTIAU Claude OLLIVE Anne-Marie SOUFFLET Josiane HUBERT Nicole DIGIER

Du Je au Nous

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Ce grand voyage

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Du destin de trois petites notes

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L’épreuve cachée

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Archives charnelles

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VERTIGO Annie CHRISTAU

Il y a le rien qu’on trie

44

Claude BARRÈRE

Pour l’éclair ressaisi...

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Écho fuyant

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J’aime...

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Paul FENOULT Michel NEUMAYER Monique D’AMORE Christiane LAPEYRE Teresa ASSUDE Agnès PETIT

Inclassable

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Regard

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Dépassements silencieux

50

Seuil

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"Archives à venir" Pour fêter et marquer nos 25 ans d'existence, un thème s'est imposé presque naturellement : "Archives d'avenir". Transmission, héritage, conservation. Il sera décliné et abordé sous trois aspects : • N°75 "Preuves obstinées", où émergences et résurgences parfois inattendues nous étonnent. • N°76 "Tapis de la mémoire", où, entre chaîne et trame se brodent les souvenirs. "Tapis volants, tapis roulants. Tapis dans l'ombre. Champs où s'inscrivent des motifs signifiants. Dévoiler l'harmonie. Écriture de mémoire, chaîne et trame ; peignée, nouée de souvenirs. Long temps du tissage, la vie." Date limite pour l'envoi des textes : 24 février 2010

 • N°77 "Promesses", parce qu'elles sont en germe dans nos poèmes et qu'il nous faut savoir les déchiffrer. Pistes : Relire l'archive. Contre les fatalités. Discerner les fidélités. Enchaînements encore invisibles, avenir toujours ouvert, perles à cultiver. Hier nous l'offrait déjà. Le printemps du passé. Ouvertures du temps. Accomplissements. Les promesses n'engagent que ceux qui n'y croient pas ? Sommaire

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Date limite pour l'envoi des textes : : 20 mai 2010.

Textes et graphismes reçus de Toulouse, La Garde Gémenos Toulon, Yerres Poughkeepsie (USA) Marseille, Sollies-Toucas Carnoux-en-Provence Conques, Besouze, Manosque, Allauch Bruxelles (B), Büttelborn(RFA)


Editorial FILIGRANE (filigran) n.m. 1673 du latin "filigrana" fil à grain. 1) Ouvrage fait de fils de métal (or ou argent), de fils de verre, entrelacés et soudés. 2) Dessin qui apparaît en transparence dans certains papiers.

PREUVES obstinées

Fig.Lire en filigrane, entre les lignes, deviner ce qui n'est pas dit explicitement dans le texte.

"(…) Car les véritables souvenirs ne doivent pas tant rendre compte du passé que décrire précisément le lieu où le chercheur en prit possession." Walter Benjamin, Denkbilder

Il semble que certains anniversaires aient plus d'importance que d'autres. À Fili, nous sommes un peu comme ce centenaire qui s'étonnait de vivre encore… et pourtant notre revue n'a que 25 ans ! La tendance en pareil cas est de regarder par-dessus l'épaule le chemin parcouru, mais d'un commun accord, nous avons décidé de lier passé et futur sous l'intitulé "Archives d'avenir", tant il est vrai que ce que le passé a fait ou n'a pas su faire interroge l'avenir. Dans notre quotidien, la preuve a un aspect matériel, palpable, irréfutable. Elle atteste qu'un événement a eu lieu, c'est l'intime conviction contre le doute et la dénégation. Faut-il pour autant hausser au statut de preuves des traces accumulées sans réelle volonté de faire archive ? Derrière des traces en apparence inoffensives : une réalité est en attente d'hypothèses et de sens ; pour que la preuve existe, il faut quelqu'un qui sache les lire.

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Un jour, dans le feu de l'écriture, au moment où on ne s'y attend pas, des lambeaux de vérité font résurgence. Ce n'est pas notre mémoire qui nous joue des tours, mais seulement une image qui s'impose, ramenée à la conscience. Quel est alors le "je" qui s'obstine ? Alors, nous nous faisons poètes de l'infime et du détail comme pour réaffirmer la force suggestive du fragment, la valeur du peu. Nous acceptons que l'inachevé nous "habite et nous obsède". Il est appel. Il nous séduit. Il nous retient. Et nous nous engageons. Même si la discrète censure du temps a déjà fait son œuvre, témoigner, dire et garantir que cela fut, reconstituer avec minutie, est devenu notre lot et notre tâche. Dans un monde en recherche d'identités, de quelles singularités nos textes portent-ils témoignage ? Odette et Michel Neumayer Carnoux, le 22 novembre 2009

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arlette anave

Mémorial Il y a des parcours d'été que l'on prend à reculons. Un temps à venir déjà archivé. Comme si deux états de conscience se croisaient sur l'image. Comme si c'était elle, surgie de nulle part qui leur faisait résistance. Un récit pour donner corps au "temps retrouvé", un hommage à la photo, au film, aux artisans obstinés de nos mémoires. C'est une balade avec ma tante autour du Vieux Port. Elle nous ramène à l'époque de nos parents, la grande rafle de Marseille qui a éliminé en 1943 une bonne partie de la population du centre ville et des Juifs dans leur totalité. Nos parents l'ont évitée en fuyant vers le Sud, nous n'en savons pas beaucoup plus sur ces années de plomb qui marquent nos anniversaires. Je suis née un an après, l'été 1944. Elle, un an après moi en 1945. Un an avant la fin de la guerre, un an après, c'est peu, presque jumelles, nous avons failli être Marseillaises. Une familiarité passée et oubliée que nous retrouvons devant le "Mémorial des Camps de la Mort" avec une espèce de légèreté. Il fait beau, ma tante veut visiter la ville. Ici la lumière est superbe, elle s'accroche aux mats, aux voiles et restitue leur violence aux murailles de pierre. Le port de Marseille est cerné de forts inviolables dont on peut penser qu'ils n'assuraient pas des tâches très humaines : tri des populations, isolement, quarantaine, étaient leur univers bien avant la guerre. Ils sont trois à accueillir les exilés. - La prison déserte du château d'If qui flotte en regardant la ville de son rocher escarpé et n'essuie ni les larmes des prisonniers ni celles des malades de la peste. - Le Fort Saint Nicolas qui piège le soleil dans ses angles, taillés au vif dans la chair des ouvriers arabes : la taille d'un calcaire si blanc qu'il efface l'histoire, c'est le destin actuel de la main d'oeuvre immigrée. C'est depuis toujours un bâtiment militaire. On y respire très fort le vent du large. - Le fort Saint Jean qui lui, devrait accueillir un musée mais abrite aussi le Mémorial. C'est une bâtisse carrée, massive, où les lettres de cuivre : "Mémorial des Camps de la Mort" brillent d'un feu sombre sous la cathédrale. Le fort l'enserre, enferme le secret dans ses arrêtes roses.

1ère partie Pièces à conviction

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arlette anave

Nous sommes dans la fraîcheur de cette exposition à nous demander, au milieu des photos de convois, de rafle, de wagons, d'énumérations sinistres, quelle chance avait été la nôtre soixante ans plus tôt. Pourquoi nous, pourquoi si vivantes ? Nous croisons les regards pleins de commisération des deux personnes qui s'occupent du Mémorial. L'une se met en colère : comment a t-on pu faire ça à des braves gens ? Je suis comme au théâtre, je retiens ma respiration. Comme rafle je ne connaissais que celle du Vel d'Hiv. J'ai toujours eu du mal à faire la fête pour mon anniversaire. Je réalise aujourd'hui que c'est peut-être à cause de la date. Je ne pouvais pas la mémoriser, mes parents non plus. Sur la naissance, chez nous, il y a toujours eu une sorte de "blanc", une inscription incertaine. Je ne savais pas que je cherchais des preuves. Elle non plus. Elle ne sait rien. Elle vit en Espagne, le pays de la vie, des chants, des catholiques. Comme moi, elle en a même épousé un. 1492, après tout, c'est loin. Et on revient de l'exil. On peut refaire le parcours dans l'autre sens. Mais de ces camps-là ? Aucun des Juifs de la rafle de 1943 n'est revenu de Sobibor. Pas de retour, pas de récit, pas de preuves.

1ère partie Pièces à conviction

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Dans l'ombre des allées du Mémorial, un documentaire revient de très loin au nom de Sobibor. Il filme des archéologues ou historiens revenus à Sobibor pour chercher des preuves de l'existence du camp d'extermination dissimulé par les Allemands. La première séquence balaie une forêt tranquille avec des taillis, des futaies, des clairières et des lièvres probables. Un paysan vit près d'ici et il comprend qu'il doit parler d'autrefois, répondre à leurs questions. Elles soulèvent chez lui des images mais surtout des sons. Il habitait là déjà, à cet endroit. Il ne sait comment les définir, on dirait qu'ils se fraient un passage dans sa mémoire. Il dit : on entendait les cris autant que le silence. Ce silence, il découvre que c'était son propre cri qui lui était resté dans la gorge. Les cris occupent l'espace et vont en chercher d'autres : roulis des wagons, portes qui claquent, sa famille terrorisée se bouchant les oreilles. "Vous ne verrez rien, dit-il, ils ont tout enterré, ils ont voulu tout faire disparaître. La terre sur laquelle vous marchez, ce sont des cendres." Eux répondent qu'ils sont là pour ça, pour creuser sous la terre. "Qui va faire ça ?"


arlette anave Incrédule ce paysan. Lui, croit dur comme fer au silence de Sobibor, au soleil derrière les arbres, aux chemins creux, à la cahute d'où il tire les lapins, son point de sécurité, l'appui de sa perspective. Il les a vus pourtant recouvrir ce paysage, lui offrir une respectabilité. Il avait oublié ce chantier de ferrailles, ces odeurs, cette fumée. Il les retrouve en grosses pelletées de terre et d'os comme sous le soc d'une charrue. Les réalisateurs eux-mêmes n'en croient pas leurs yeux, mais il faut qu'ils filment, qu'ils aillent au bout de leur projet, obstinés. Et c'est long de fouler le sol de Sobibor. Pas un centimètre vierge de crime. Nous sortons et je suis de nouveau avec ma tante sur le port, toutes deux embarrassées de ce nouveau savoir. Je pensais si bien le connaître ce port ! Ses mots sont les miens : Le Panier, le Refuge, la Major. Je suis leur fantôme fidèle le long des quais. Pourtant, jusqu'à ce jour, la rafle n'en faisait pas partie. Je secours ma tante, perchée sur ses talons. Elle trébuche sur les pavés. Elle cherche imperceptiblement le point d'appui que lui prête ordinairement sa semelle. Elle se sent "de trop", elle n'aimerait pas que je m'en aperçoive. Et je fais comme si, comme si elle avait toujours été là, à Marseille, sa ville, qu'elle a quittée sans retour en se mariant une deuxième fois avec l'Espagne. Détresse de l'explication... certainement. Mais plus encore pour les survivants doute de leurs repères habituels, du sens de la vérité objective, perte de l'assurance qui permet à l'enfant de poser fièrement le pied sur le sol. L'archive alors sort le savoir des bibliothèques, elle est vérité de l'histoire là où les traces mêmes ont disparu des mémoires. Traces effacées volontairement comme à Sobibor ou involontairement par le temps et le rêve. Pour tous, elle a planté au coeur de Marseille des mots pour dissiper l'équivoque que l'oubli et le fictif installent : "MÉMORIAL DES CAMPS DE LA MORT". Ces lettres cuivrées sur les murs de la ville, c'est comme si SOBIBOR était lisible de loin, au bout de la campagne pour ce paysan, comme de la haute mer, comme des promeneuses que nous étions ce jour d'été. Ainsi ce qui ne peut se penser peut pourtant se prouver. A. A.

1ère partie Pièces à conviction

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richard cabanes

L’épreuve Sabra et Chatila : Beyrouth, le 21 Septembre 1982. Comment s’organise l’amorce d’une preuve ? Pour essayer de comprendre, je choisis un événement historique : les massacres de Sabra et Chatila. Depuis tout petit, je vois le JT de 20 heures. J’ai toujours vu Beyrouth sous les bombes. Un conflit difficile, mais un conflit qui reste en mémoire. C’est du réel qui s’étale dans le temps et qui devient banal. On peut dire qu’il est en moi, il me transforme silencieusement. Des idées se forgent sur ce conflit. Elles constituent une nouvelle amorce. On se pose des questions : Pourquoi le conflit ? Pourquoi l’éternel conflit ? Pourquoi Sabra et Chatila ? On peut dire que la connaissance fonctionne avec ces indices : les images de TV et les idées. Mais, je ne sais toujours rien sur Sabra et Chatila. Bien plus tard arrive une autre expérience. Je visionne un film sur Sabra et Chatila : Danse avec Bachir. Un homme raconte. Il a vécu Sabra et Chatila, il est Israélien. Il a encerclé les camps, mais il ne se rappelle plus. Il cherche et aucune piste ne vient. Le film donne le long parcours de cet homme pour retrouver des instants de vie perdus. Douloureuse analyse. Ce témoignage sur Sabra et Chatila constitue une nouvelle amorce permettant une réévaluation du massacre. Un travail de correspondance s’organise sur Sabra et Chatila. Articuler l’ensemble pour essayer de parvenir à la compréhension constitue un sacré travail. Maintenant, je sais qu’il est difficile de juger. Mais, jamais je n’arriverai à trouver une humanité à Sabra et Chatila. 1ère partie Pièces à conviction

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R. C.


odette neumayer

L'appel des sirènes You Tube proposait de télécharger gratuitement des documentaires. Évidemment, son regard s'arrête sur celui-là, en noir et blanc, rayé. Ce film le renvoie une fois de plus à un monde secret qui ne le quitte pas. Il sait de source sûre que sa vie a commencé là, à ce moment-là. Il avait cinq ans à l'époque des événements. Trop tôt pour se souvenir. Juste ce tremblement que déclenche une sirène – n'importe quelle sirène – à son corps défendant. Mais, pourtant, il lui semble qu'il a tout vu ! Tout retenu ! Pas une nudité ne lui a échappé, pas un balancement, pas une gorge ouverte sur un cri. Pas un silence. Il a tout vu, tout entendu ! Même s'il ne voulait rien savoir de ce qui hantait ses nuits. Rien savoir, mais tout comprendre encore et encore ! Tout lire sur la question, ne jamais se lasser de relire – d'ailleurs, bien malin qui peut échapper à ces livres, à ces films, à ces photos - et voilà maintenant que la vidéo s'y met ! Lui, le non témoin, voudrait témoigner pour ceux qui sont venus "après", fils et filles de cette histoire, héritiers de ce monde ravagé. Dire la terreur diffuse inscrite au plus profond, la peur que "cela", un jour, ne recommence : les alertes, le vide, l'absence au goût d'abandon, tout ce qu'un enfant ressent et n'oublie pas. Pour ne pas tourner la page, pour refuser le déni, poser l'humain, affirmer la loi, la confiance. Il voudrait trouver un moyen de le dire à You Tube ! Ou mieux, l'écrire, mais ce n'est pas si simple de dire audelà des mots et pourtant avec des mots.

O. N.

1ère partie Pièces à conviction

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josiane romi

On a garé la voiture au lieu dit du "Moulin Lacombe". Suivez-nous, vous ne le regretterez pas ! Après avoir marché longuement dans le sous-bois, emprunté de jolis sentiers, parsemés de primevères et de jonquilles sauvages, nous longeons la claire rivière nommée la Glane, en Xantrie Blanche, un des points les plus sauvages de la Corrèze, en Limousin. Insensiblement, nous foulons à présent un sol différent fait de sable et de galets. Et maintenant c'est sur d'énormes pierres moussues, jusqu'à ce que, levant les yeux, se dressent devant nous deux hautes et imposantes ruines de pierres taillées, usées par le temps, vestige néolithique, nous dit-on d'une citadelle médiévale, Les tours de Merle. Assez impressionnant de penser, qu'il y a des siècles était là une ville, Merle, "la citée ardente". Nous en faisons les tours et les détours. Les plus hardis d'entre nous vont s'aventurer dans l'unique escalier peu engageant, mais oh combien mystérieux, pour voir au loin : "Anne, sœur, Anne, ne vois-tu rien venir?". Mais voici l'heure du pique-nique. On s'installe ici et là sous la caresse d'un soleil printanier et le regard inquisiteur des tours millénaires. Que la vie est douce, douce ! Je peux vous l'assurer, ce lieu est bien réel même s'il vous paraît sorti de l'imaginaire. D'ailleurs, chaque été, ont lieu des "sons et lumières" assortis de musique de viole.

J. R. 1ère partie Pièces à conviction

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jean-jacques maredi

Archiviste de l'indicible Il s'appelle Pascal. Il est venu montrer ses photographies et nous expliquer son travail. Ses images nous interrogent ; alors on lui renvoie des questions. Il écoute, il répond, il se livre. Avant il était géomètre ; plus jeune encore, il aimait les promenades et le zoo de Vincennes, les singes, surtout les singes. Il a photographié des animaux, des cages aussi... mais n'avait pas fait le rapprochement avec ces bandes noires qui élargissent le champ alors que d'autres y voient des barreaux et parlent d'enfermement. Peut-être devrais-je commencer... Peut-être demain sera-t-il trop tard... Peut-être sans plus attendre faudrait-il tout dire, tout écrire, tout répertorier, avant que la verdure se fane, que l'herbe folle s'assagisse, que les fumées baissent le ciel et que l'horizon rapetisse. Mais moi je m'étourdis si fort à tout vouloir prendre trop vite : l'ivresse des senteurs, des formes, des couleurs, le frisson des saveurs, du toucher et des sons vont déborder de moi : tout me bouscule et je chavire... C'est cette frénésie qui mousse dans mon sang, que je voudrais clouer au bois de l'impalpable, sur une courte planche où épingler le rêve ailé des papillons... Pauvre de toi ! Piètre archiviste de l'indicible, comment pourras-tu consigner les traces de l'indispensable ? Où commence et où finit la liberté de la feuille, de la palme, de la canne ou du roseau ? Que leur vole-t-on en prenant la photo ? Le blanc et le noir démasquent-ils mieux la véritable essence ? La couleur n'était qu'apparence pour mieux distraire le regard. Bien au-delà, l'harmonie des formes rend la fixité mobile. En basculant certains cadres, on ferait peut-être s'écrouler tout cette rectitude patiemment orchestrée. Le froufroutement des feuilles amoncelées s'est démultiplié... et quelque chose flotte parmi nous de cette artistique douceur savamment maîtrisée. J-J. M.

1ère partie Pièces à conviction

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pierre valmont

(...) l’œil n’est pas censé voir ce qu’on lui cache il découvre dans un tiroir quelques papiers jaunis nulle trace des mondes anciens de la poussière dans les yeux ouverts des souvenirs sous les yeux clos mais qui verra l’avenir ? * il est des traces moribondes qui s’agenouillent devant la foule et s’effaceront sur la pierre à la fin des saisons rien ne sert de crier mais d’écrire entre ces silences * Terre ensemencée par les morts Pour nourrir les vivants À la mémoire titubante Sur les prairies du temps * À travers les ombres S’oublie la voix du poète Résonnent ses mots Dans le néant Mille échos silencieux Paroles dérisoires éparpillées Par le souffle de la mémoire 2ème partie C'est à dire

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*


pierre valmont

Au cœur de l’oubli La présence sans mémoire La parole éphémère Sculptée sur l’écorce Contre l’oubli du monde L’effacement des mémoires Pour que l’Homme d’Après Commence le périple Sur les épaules de celui d’Avant Poursuive la marche du peuple humain * Dans un monde sans trace Exulte l’oubli S’efface la mémoire L’instant se fige Dans l’espace impossible * Sur les épaules du destin Tu aimerais te hisser Pour contempler ta chute Dans le lointain (Extraits) P. V.

2ème partie C'est à dire

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xavier lainé

Mots, au gré du vent, jetés Assis sur le pont Entre deux rives de vie Regarde le fleuve Un regard furtif Déposé dans le miroir du temps Vogue la mémoire En train continu de vagues Un train passe suivi d’un autre Puis le silence et les herbes Revenant sur les pas Porte ouverte Aux quatre points cardinaux Pupille dilatée Tout au fond du tunnel Ce qui se voit demeure Entre deux pages à peine oubliées L’issue est un miroir Iris lumière filtrée C’est si douce lumière réconciliée Sur le seuil des années Image renversée Du fond de la caverne Miroir du temps brisé

2ème partie C'est à dire

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Patiemment reconstruit Lumière tamisée Au soir de toute vie


xavier lainé

Un train ne passera plus Le pas se fait plus lourd Au crépuscule d’espoir Réveillez-vous Réveillez-vous vous dis-je Il reste tant à faire Tant à bâtir Si peu d’espace encor Démolir le tunnel Contempler l’univers S’asseoir au bord du monde Pour mieux en goûter la course C’est pupilles dilatées Paupières enfin ouvertes Le regard anonyme Multiplié multiplié Combien Combien ont usé les pages De leur ardeur d’apprendre X. L. Manosque, 6 septembre 2009

En relisant un texte paru dans Filigranes n°16 "Les yeux quand ils s'ouvrent" Montfort, le 6 juin 1989 2ème partie C'est à dire

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chantal blanc

Messieurs : La Cour ! Affaire Livre Papier contre Livre Électronique. Attendu que le L.É. a menacé de mort le L.P., menace ouïe et transformée en rumeur, assignation en justice pour préjudice commercial, préjudice moral, publicité mensongère, etc. Attendu qu’ayant évoqué la fragilité du papier et vanté la durabilité du support électronique, Maître Léger a provoqué d’amples démarches de la part de l’accusation. La partie Civile a découvert l’existence de plus de deux mille trois cents volumes classés "incunables", logés dans les rayons de la plus ancienne bibliothèque française ouverte au public dès 1643. Il s’agit de la Bibliothèque Mazarine où repose la Bible 42 de Gutenberg. Il est précisé qu’un incunable est un ouvrage édité au XVème siècle, à l’époque du berceau de l’imprimerie occidentale des années 1450 à 1501. Attendu que la première Bible n’était pas datée, la défense a récusé cet argument. L’accusation, poursuivant ses investigations, a découvert à la Bibliothèque nationale de France une lettre manuscrite signalant la vente de cette Bible à la Foire de l’automne 1454 de Francfort. Attendu qu’ayant déniché l’acte notarié concernant la vente de la Bible 42 en date de l’automne 1454, et possédant sa copie, Maître Tenace a ainsi démontré la force du papier et de surcroît précisé la subsistance de quarantehuit exemplaires de cette Bible nommée également Bible Mazarine sur les cent quatre vingt édités à l’époque. 2ème partie C'est à dire

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chantal blanc

Étant donné que ce trésor est âgé de plus de cinq cent trente ans, et que jusqu’à preuve du contraire, vous : L.É. ne pouvez avancer la même certitude quant à la durée de votre nouveauté puisque nous ne serons plus de ce temps, vous L.É. avez été reconnu coupable des faits énumérés cidessus. Nous ajoutons que la numérisation de masse lancée par la Bibliothèque Nationale de France n’est aucunement exploitable par la Justice pour la raison précédemment citée. Après délibérations du jury, la Cour vous juge coupable et vous condamne à offrir un L.P. à chaque acquéreur d’une édition électronique. La notification de ce jugement vous sera remise sur papier vélin. La séance est levée.

Ch. B.

2ème partie C'est à dire

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marie-noëlle hopital

L’éditeur de liens Il se promène le long de la Bibliothèque et entend le bruissement des livres ; du doigt, il consulte des fichiers comme d’autres réalisent des tours de cartes, puis il déambule au milieu des rayons : au lieu de rester muets dans leurs coins poussiéreux, les ouvrages s’ébrouent, les pages s’agitent et les signes arbitraires deviennent des mots qu’on chuchote. C’est l’Ange des Ailes du Désir qui parcourt les couloirs… De même qu’il lit à voix haute les pensées des hommes, il fait sortir les œuvres de leur réserve… Elles murmurent les noms couchés sur le papier.

2ème partie C'est à dire

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Voici les dictionnaires, souvent sortis, palpés, caressés par des mains jeunes ou vieilles, observés par des yeux myopes ou presbytes, de couleurs variées. Ils sont consultés, mais tous les mots ne sont pas logés à la même enseigne, il s’en faut de beaucoup. Les romans, la poésie, mettent chacun à égalité de chance. Si certains ouvrages finissent au pilon après avoir connu les affres de l’abandon, la plupart sont distingués un jour ou l’autre et le lecteur les parcourt intégralement ; rares sont les pages sautées, les lignes oubliées : tous les mots se sentent utiles, revêtus d’une dignité réelle car chacun concourt à la compréhension du texte, voire à sa beauté. En revanche, le dictionnaire crée une concurrence entre les vocables dont certains reçoivent beaucoup de visites alors que d’autres sont méconnus et que les plus anciens tombent en désuétude. Dès le départ, aucune équité ne règne, quelques aristocrates sont richement illustrés, les noms propres ont parfois droit à leur portrait, les privilégiés s’étalent, ont besoin d’explications, d’exemples, d’images. Les plus démunis se contentent d’une brève définition. Ensuite vient le choix du public. Les plus heureux sont touchés du plat de la main, quelquefois froissés à force d’être lus, épelés, recopiés, désignés du doigt. Pour cela mieux vaut être relativement complexe, s’appeler onomastique ou ptérodactyle, mais trop de complication nuit aussi : impatronisation est oublié. Une orthographe


marie-noëlle hopital

originale attire les regards, par exemple sur chrysalide ou paulownia ; les significations multiples de passion ou de masse intéressent les curieux. Mais beaucoup de mots sommeillent sans jamais être dérangés et ne connaissent de la vie qu’une définitive torpeur. Puis se dressent les cités vertigineuses des bandes dessinées. Elles paraissent fragiles et néanmoins éternelles, transparentes et cependant énigmatiques, éclatantes mais obscures. Leurs fondations et leur sommet échappent au regard, leurs arêtes se dissolvent dans l’éther, leurs souterrains sont insondables, leurs murs sans limites, leurs habitants errent dans des labyrinthes, égarés dans l’espace que d’étranges vaisseaux futuristes ne parviennent pas à explorer. Les visiteurs envoûtés et anxieux hantent leurs demeures évanescentes, leurs chemins flottants. Mirages splendides, elles préfigurent l’avenir modelé par un architecte de génie, elles sombrent dans la nuit sans mémoire et renaissent dans les rêves, Babel enfin achevée, Babylone immortelle aux échafaudages frêles et sophistiqués, bruyants et pourtant silencieux. Le conservateur plonge dans les archives, un chercheur compile les informations et le monologue intérieur que poursuit tout individu se confond avec l’objet étudié ; les lecteurs creusent, fouillent parmi les manuscrits obscurs, lacunaires, incompréhensibles car l’encre s’efface à demi, les parchemins se métamorphosent en dentelles ; l’archiviste décrypte des papyrus presque fossiles, comme un géologue découvre des coquillages sous des épaisseurs de terre… Les caractères prennent vie et sens, les lettres soudain se détachent de leurs supports, décollent, volent, se posent et composent des liaisons nouvelles. L’Ange assiste à la renaissance des textes anciens, à la création d’autres liens. Chaque jour l’Ange en fait naître, chaque jour il en fait mourir, chaque jour il en ressuscite, des livres et des livres… M-N. H. 2ème partie C'est à dire

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anne-marie suire

"Et vous m’avez laissée dans ce vide où l’on s’étonne de ne rien sentir" M.R. (Filigranes n°65 p.6)

Chaque jour, il écoutait le bruissement de son vide intérieur. Celui-ci le constituait maintenant comme sa chair et son sang. Alors, il s’asseyait à sa table de travail : les pages s’emplissaient. Les feuilles s’empilaient couvertes de traces légères, déliées, régulières, éparses, oppressées. Rien ne l’arrêtait jusqu’à l’heure du dîner. Sous l’impulsion de sa main, la plume glissait, rayait, ombrait, caressait la ligne. Rien ne l’arrêtait, ni la visite impromptue, ni le chant printanier de l’oiseau sur la branche devant la fenêtre. Il écrivait, écrivait. À sa mort, on découvrit plusieurs milliers de feuillets dont nul des graphies ne sut découvrir le sens.1

2ème partie C'est à dire

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(1) ÉCRITURE Une belle écriture mène à tout. Quand elle est indéchiffrable, c’est signe de science. FLAUBERT. Le Dictionnaire des idées reçues, Bouvard et Pécuchet, p.511 (Folio classique)


anne-marie suire

En quête de quelque indice, dans le flot jauni de ces archives, on lut sur un post-it, à gauche de l’antépénultième page : Au seuil du poème Essuie tes pieds Essuie tes larmes Que ta main coure Sans se hâter Ose même le pire La joliesse a déchanté Ne cherche pas ce que tu as à écrire Il le sait Attends Il n’est pas urgent qu’il te sonne. En 2028, les copistes2 scannèrent sur Bee-BeeBOOK3, le flot jauni des feuillets, ils oublièrent le post-it. A-M. S.

(2) COPISTE Ref. A : sculpture XIIIè siècle portail occidental de la cathédrale de Chartres : Le scribe absorbé dans sa tâche. Ref. B : FLAUBERT avait rassemblé huit volumes soit 2215 feuillets de documents divers pour son roman Bouvard et Pécuchet. Il est mort avant d’en avoir écrit la fin. Celle-ci se résume dans ces quelques lignes du plan : "Ainsi tout leur a craqué dans les mains. Ils n’ont plus aucun intérêt dans la vie. Bonne idée nourrie en secret par chacun d’eux… Confection du bureau à double pupitre.- Achat de registres – et ustensiles… Ils s’y mettent » (à copier). Ibid. p.414 (3) BEE-BEE-BOOK Lire BIBI - Livre électronique : Tablette numérique nouvelle version des "ebooks" et "smartphones" avec écrans cristaux bistables, interactifs et tactiles. 2ème partie C'est à dire

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jeannine anziani

Aïe ! Il existe un secret pour avoir un beau jardin disent les jardiniers : "1/ tailler – 2/ tailler – 3/ tailler." Et pour avoir ses papiers bien rangés faut-il : "1/ jeter – 2/ jeter – 3/ jeter ?" Paperasses, courriers, factures, mes écritures... déjà ne pas tout mettre dans le même panier. Pour ce qui est de l’officiel, suffit de suivre les lois en vigueur : trois, cinq, dix ans ; point de problème existentiel le jour où il faudra envoyer aux ordures. Reste… le reste. LE journal intime de l’adolescence, des poèmes maladroits, le début d’un roman… LA vieille boîte en carton bleu lavande fanée enserrant billets doux, amicales bafouilles… Compléter avec : carnets de bord, de voyage, cahiers quadrillés emplis de paragraphes recopiés d’auteurs favoris, plus LE plus LA plus LES… La montagne grandit… à côté des livres… des photos, images et mots. Sauf qu’à la gare de triage le côté sentiment le dispute au complément. Où la première catégorie l’emporte d’une manière outrageusement outrancière notamment dans MA chambre. Telle la grenouille voulant se prendre pour le bœuf, la catégorie préférée enfle démesurément à côté du Prévert jauni senteur grimoire-déniché-au-fond-d’une-malle-abandonnée, de… des… trop de trop de trop de sublimé favori…

2ème partie C'est à dire

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Le problème apparaît, aigu, lorsqu’il s’agit d’enlever d’iconoclastes grains de poussière ayant pris leurs aises, pauvres inconscients sacrilèges, sur la moindre parcelle de l’amoncellement littéraire et graphique. Ajouter : au plus près du lit, un vénérable range-documents en cuir noir ventru, joufflu, bouffi, prêt à exploser, impossible à refermer qui, cela ne rate jamais, dès que je l’attrape pour le nettoyer, s’entrouvre en laissant échapper ses trésors en ordre dispersé. Une évidente urgence s’impose, casse-tête… Que soustraire de la pochette noir d’ébène ? Quel récit veillant sur mes nuits évincer de la chambre ? "Quoi" mettre à la poubelle ?


jeannine anziani

En tout cas, évidemment pas… "Celui-ci" : essai raté, le bougre est revenu ! "CELLES-LÀ ?", ah non, pas question ! Quant à ces derniers scribouillis, vite les insérer en douce dans le range-documents ballonné au lieu de les laisser batifoler ! "Dans chaque mot il y a un oiseau aux ailes repliées qui attend le souffle du lecteur." (Levinas). La perspective de voir s’évanouir à jamais une inestimable parole fait chavirer l’âme. N’empêche, l’humanité a peut-être perdu un volume essentiel dans l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, l’humanité a néanmoins continué sa route. Alors, futile sentiment ou absolue nécessité que de vouloir amasser comme un magot à laisser à la postérité phrases éparpillées ou regroupées sous la forme d’un objet nommé livre. Qu’envoyer valser par-dessus les remparts abritant tant d’écrits et mes incertitudes ? Mon cœur balance. Et si j’empilais les uns sur les autres telle une nouvelle tour de Babel, les bouquins chouchous, les recueils chéris, ces clichés du passé, mes si précieux feuillets qu’un Chinois ne comprendrait pas, toutes ces pelures de ce qui fut du bois vivant. Le tas monterait hardiment à l’assaut du ciel… Après je prendrais une échelle et m’asseyant sur le sommet je jouerais "La princesse sur le pois"*. Aïe ! Quelque chose de froid, dur, désagréable, m’a procuré une vive douleur. Sûrement je vais avoir un bleu sur la fesse. Qu’est-ce ? Je crois deviner ! Ce doit être, romantiquement gardé… le brouillon de cette lettre de rupture. Voilà, c’est ce truc-là qu’il faut jeter. J. A.

* Conte de Hans Christian Andersen 2ème partie C'est à dire

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CURSIVES cursif, ive : adj. 1792 ; coursif ; 1532 ; latin médiéval cursivus, de currere, courir. I. Qui est tracé à la main courante. "On appelle cursive toute écriture représentant une forme rapide d'une écriture plus lente". (M.Cohen), Lettres cursives. Subst. La cursive. V. Anglaise. Ecrire en cursive. II. Fig. V. Bref, rapide. Style cursif. (Le Petit Robert).

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De la leçon de Ponge à la quête intérieure Entretien avec Cédric Lerible, poète. Cédric Lerible, né en 1977, vit et travaille dans le Var. Sa poésie émane toujours de la notion d'un lieu, réel ou imaginaire, que figure celui de l'écriture à même l'espace de la page : « Écrire ce qui ne sort pas / de la bouche ». L'inscription matérielle du mot qui vibre dans la pluralité de ses définitions révèle une quête intérieure, une « invite au franchissement », le dénouement du poème. Il a publié deux recueils : Coudon "itinéraire toposensible" et Lunaison un ensemble de calligrammes où "le regard se fait contemplation, nuit après nuit", tous deux édités par Val poésie.


Filigranes : Comment es-tu venu à la poésie ? Cédric Lerible : Mon grand-père m’a appris très tôt à aller chercher la définition des mots que je ne connaissais pas, à ouvrir un dictionnaire au sens propre comme au sens figuré, ce qui est une excellente introduction au langage et à l’animation des mots. Ensuite comme tout un chacun, vient l’impérieuse nécessité de lire puis de découvrir les poètes, notamment à partir du collège où j’ai commencé à composer en vers, des sentiments rimés. Francis Ponge est le "poète" dont l’œuvre encyclopédique m’inspire quotidiennement. Il m’a d’abord ouvert les yeux sur la dimension poétique : la poésie n’est pas seulement un sentiment diffus que l’on essaye de capturer et de retranscrire, ni non plus une contrainte technique (par ex : il faut écrire de telle manière, respecter telle règle etc.) ; c’est aussi un projet d’écriture profond qui force le réel, tel une clé, à se révéler, à dégorger son sens et sa nécessité. C’est donc une ouverture des possibles, la libre expression par la création mais aussi un travail d’humilité qui place l’homme à hauteur des

Curieusement, après le décès de mon grand-père, j’ai découvert dans sa bibliothèque deux ouvrages de Francis Ponge, dans la collection poche Poésie Gallimard, datant de 1976 et de 1977 (année de ma naissance) respectivement : La Rage de l’Expression et Le Parti pris des Choses. Je n’ai donc jamais pu discuter avec lui de ces ouvrages (pas plus qu’avec son auteur) ; mais j’y vois comme un indice qui me confirme une direction à suivre. À présent, j'ai la chance de pouvoir côtoyer un ami proche de Francis Ponge, Marcel Spada, dont l’œuvre est à redécouvrir, à reconnaître. Le temps n’épargne rien ni personne, seule la force et l'harmonie de nos rapports importent, il n'y a pas de hasard.

Écrire, un déplacement de la pensée Filigranes : Peux-tu nous préciser l'importance qu'ont les lieux dans ton écriture ? Sens-tu ou non une différence entre écrire sur un lieu familier comme le Coudon ou un lieu lointain comme le Japon ? Cédric Lerible : Le lieu, l’êtreici, est indissociable de mon travail de poète, berceau du regard. Plus on grandit et plus on

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Forcer le réel à se révéler

objets et de son environnement. L’homme ne peut être le centre de ce monde, il doit accepter cette leçon des choses sans équivalent…

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étend le champ de ses investigations. Mais voyager, chercher ailleurs, n’est pas forcément nécessaire, la qualité de l’expérience seule compte, l’accord de son être avec son environnement. L'Homme tend de plus en plus à rompre matériellement les distances comme les communications, nous entrons dans une ère de village global mais n'est-ce pas là une vaste utopie ? Le lieu, pour l’Homme, ne peut se concevoir sans l’idée de déplacement… Le déplacement, c'est d'abord la rencontre et la découverte par l'altérité : c'est un voyage de noces qui m'a conduit au Japon pour y découvrir un membre de la famille de mon épouse et par la même occasion, une culture différente de la nôtre. Au cours du voyage aller, j'ai été profondément marqué par la traversée en avion, au point d’écrire directement dans ce lieu sans lieu, artificiel et immodéré, transitoire de surcroît : un couloir aérien. Arpenter le premier espace venu qui appelle le pas, telle une page blanche, c’est un peu l’invitation du recueil Coudon, avec l'idée d'élévation, du moins c’est ainsi que l’écriture a commencé à frayer son cheminement. Et si l’écriture et la parole n’étaient finalement qu’un déplacement de la pensée ?... Cursives

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Cédric Lerible : Le sujet d’abord, par avance s’impose, fait signe et se confirme à travers des observations, des lectures, des échanges et correspondances. C’est un appel extérieur, une vibration qui va devenir intérieure et engager la nécessité d’un travail, peu à peu complété de recherches approfondies quasi scientifiques. Un mécanisme va se mettre en place. Une fois cela installé, l’état d’écriture peut affleurer à tout moment, il peut être instantané, même si un re-travail s’avère souvent nécessaire. Chaque projet devient ainsi unique, c’est lui qui dicte la manière et le résultat. La façon dont on va aborder le sujet va aussi dépendre de l’environnement dans lequel on se trouve, de l’outil, du support que l’on va utiliser, son format, etc. Le poète devient l’acteur d’un dénouement, un conducteur de machines, charge à lui d’y apporter les bonnes pièces, de les assembler correctement comme d’en assurer/assumer l’entretien.

La forme fait résonner le sens Filigranes : Tu accordes un soin particulier à l'édition de tes livres, à leur aspect matériel : pourquoi est-ce important ?

Cédric Lerible : Chaque livre est une expérience différente, Filigranes : Peux-tu nous dire l'ouvrage en est l'aboutissement. comment naissent tes projets ? Comme il y a une volonté comment s'élaborent tes livres ? d’exprimer les choses au plus


Par ailleurs, lorsque le lecteur se retrouve face à un nouvel univers de création, l’effort risque d’être considérable pour lui, la forme doit donc l’aider à s’immerger dans le fond, à mieux s’en imprégner. Par exemple, le calligramme s’est naturellement imposé dans l’élaboration de Lunaison, je dirai même que c’est un “calligramme filé”. Le travail éditorial doit amener par la forme à faire résonner le sens, c’est une question d’harmonie. Le Pavillon de thé, paru dans la revue Les Archers, s’il doit être publié un jour isolément, je souhaiterais qu’il le soit sous la forme d’un pliage que l’on appelle : album japonais. Tout doit être lié !

Gibelin, qui m’a mis en garde contre la "modernité", et m'a conseillé de ne pas trop m'en soucier. Pour elle, et je partage cela, on est forcément "moderne" quand on ressent, exprime des idées ou des affects en relation avec son époque. Il me semble qu’il y a, dans la poésie actuelle, un clivage entre les expériences poétiques tous azimuts et le lyrisme poétique ancestral. Je suis également partagé car l’aspect créatif me semble primordial. Mon travail actuel est justement une tentative qui vise à concilier tradition et modernité. Mais, je rejoins à nouveau Francis Ponge qui explique dans une lettre adressée à Gabriel Audisio que "chaque écrivain (…) doit écrire contre tout ce qui a été écrit jusqu’à lui (…) contre toutes les règles existantes notamment." Cela ne l’a pas empêché, bien au contraire, d’écrire Pour un Malherbe. D’où l’importance de l’ouverture, de la connaissance, de la lecture et de l’intérêt porté aux autres poètes contemporains ou hors d’âge. Ce qui prime, c’est l’intensité et la justesse, Julien Blaine dit que la poésie aujourd’hui n’a plus besoin d’épithète, que le p(r)o(bl)ème "est réglé : c’est la poésie. Un point c’est tout !"

Filigranes : Tu es très soucieux de t'inscrire dans la modernité poétique et pourtant tu as Fragilité commencé par des vers et plénitude de l'instant classiques, et tu es conscient de la force des traditions. Comment concilies-tu les deux ? Filigranes : L'écriture poétique ne Cédric Lerible : Récemment, j’ai risque-t-elle pas de tomber dans eu un échange intéressant avec l'à peu près, dans l'émotion facile une amie poétesse, Colette ou au contraire dans l'hermétisme ?

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proche de la manière dont elles sont (p)ressenties, le sujet induit tout naturellement la forme de son expression. Certes, l’adéquation parfaite reste vouée à l’échec comme l’a démontré Francis Ponge. Néanmoins je continue à m’y exercer car toute poésie repose sur cette résistance. A-t-on déjà pu réellement décrire un sentiment et toutes ses ramifications abstraites ? On ne peut que les approcher et en donner un point de vue.

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Cédric Lerible : Effectivement, il y a un risque dans les deux cas. Je pense à des expériences poétiques qui nécessitent un solide bagage littéraire et historique pour les décrypter, on parle ainsi de poésie dite intellectuelle. Il peut y avoir également une certaine volonté de rompre, voir de perdre le sens (ainsi que le lecteur), c’est un choix. Pour ma part, je laisse parfois volontairement des parties plus obscures. C’est une nécessité qui survient au moment de la création et qui m’échappe. Ce poème devient intouchable, le moindre changement sonnerait faux. C’est une intime conviction, une intuition : pas un mot en trop, chaque mot dans la plénitude de son expression. Le message doit être suffisamment clair, même les zones d’ombre doivent être fulgurantes. Filigranes : Quelle est alors la place du re-travail de l'écriture ? Quelles en sont les limites ou les risques ?

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Heureusement ces expériences sont rares… Le re-travail est extrêmement important, nous sommes notre premier lecteur et donc notre premier critique. La matière des mots est si fragile, qu’à peine cueillis, certains mots se fanent déjà, il faut en trouver d’autres plus appropriés… Filigranes : Serais-tu d'accord avec ce propos de Jaccottet selon lequel "toute poésie est une parole donnée à la mort" ou la considères-tu plutôt comme l'affirmation d'un désir de vie plus puissant que la mort ? Cédric Lerible : Il me semble effectivement que le poème a partie liée à la mort, déjà parce qu’il s’inscrit dans l’instant présent traversé d’une manière unique et non renouvelable (le poème le plus abouti à mon sens restera celui qui est capable de replonger le lecteur dans l’état à travers lequel il a été écrit, cet état de construction de l’être et du vivre saisi dans les mots). Cette prise sur le réel (et sur l’instant irréversible) est pour le poète un moment d’inspiration ou d’exaltation soudaine, il touche à sa vérité, ce moment où il est face à lui-même, il dit tout, il donne tout, tout ce qui l’habite et fait de lui l’être qu’il est profondément. Dès lors, il pourrait mourir comme il couche sur le papier ne serait-ce que quelques mots, qu’importe après ce qui peut advenir, la justesse de l’instant est formulée, offerte à une renaissance, qui sait ?

Cédric Lerible : L’écriture est une voie, un perpétuel cheminement, une quête de l’être. Dès lors tout est envisageable, un texte peut s’imposer tout naturellement comme il est apparu. J’ai ressenti cela, pour la première fois en composant le poème “Bagnards à la chaîne”. Ce qui parfois peut paraître assez inquiétant : qui a écrit, est-ce moi ou mon subconscient ? Les Surréalistes sont déjà passés par là, mais je ne vois pas l’intérêt des dérapages Les mots ont cette particularité s’ils ne sont pas contrôlés ! universelle d’apparaître et de


Filigranes : Tu vis l'écriture poétique comme une quête intérieure, une sorte de méditation proche du bouddhisme zen : peux-tu expliciter un peu ce point ? Cédric Lerible : Au départ, il y a un certain détachement, une sorte de mélancolie qui conduit irrémédiablement au désir d’écriture, d’exprimer ces espaces vides qui interrogent le sens de la vie, la conscience et la raison de vivre. Un vide s’emplit soudain d’une volonté, d’un accès à la présence : la manifestation d’un geste qui est celui de tout artiste. Cette quête est devenue principalement spirituelle, c’est une construction intérieure. En m’intéressant récemment au bouddhisme zen, j'ai découvert que ce "détachement" initial correspond à l’une des premières phases de méditation. Il faut que je poursuive mes investigations dans ce domaine, que j'en fasse l'expérience, j'en ressens profondément l'appel.

La rencontre : l'auteur et son invité Filigranes : Tu te méfies d'une écriture trop subjective, trop anecdotique : pourquoi ? Cédric Lerible : Où placer le "je" ? À quel niveau de langue puisqu’il transpire ? Comment l’évaporer dans l’universel ? Là, résiste l’écriture, cet abîme à franchir, cette règle à surmonter : qui suisje pour écrire, pour placer des mots ainsi ? Quelle présomption verbale au regard de tout ce qui a été dit, clamé, écrit et publié… Quoi apporter de plus digne d’expression ? La voie de l’écriture doit amener cette prise de conscience, nous faire relativiser, pour pouvoir mieux plonger dans l’absolu, par la singularité d’une écriture à fonder/forger. Mais cela n’est qu’une première étape, le "je est un autre" est la réponse de Rimbaud à cette question, libre à chacun de trouver la sienne. Antoine Simon de son côté écrit au dos d’un ticket que Rimbaud "avait raison / JE / c’est moi" ! Impossible de ne pas afficher un ego dans la matière des mots à moins de le démembrer, le diluer dans la part sémantique, de l’assécher en étymologies, d’en accepter la disparition… Mais il faut concevoir l’écriture comme une rencontre hors du temps et du lieu.

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disparaître entrecoupés de silences qui parfois semblent des nuits (raison pour laquelle l’Homme a jadis tenté de graver la pierre jusqu’au granit de son tombeau, vaines traces). Pour cela les mots se prêtent très facilement à la parole qui fait corps avec son locuteur, déflagration de quelques atomes disposés/dispersés pour trouver un récepteur ou s’éteindre irrémédiablement.

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Le Pavillon de Thé exprime cela : une rencontre d’un hôte et de son invité autour d’une cérémonie de thé, dans un espace clos mais ouvert au monde entier ; après l’échange du bol, du contenant et du contenu, tout se désagrège, retourne à sa source primordiale, retrouve son essence innée, jusqu’au printemps suivant. Les saisons nous apprennent avant tout à vivre et à mourir, passé cela, la vie n’est plus un poids mais un accomplissement. L’écriture peut être le symbole de cet accomplissement. L’auteur et son invité autour d’un même ouvrage qui ne lui appartient plus. Filigranes : Dans les lectures publiques que tu as pratiquées, cet échange se vit-il de façon différente ? Cédric Lerible : Je ne suis qu’au tout début de mes lectures publiques. J’aimerais en faire beaucoup plus car j’ai vraiment l’impression d’offrir mon texte en le portant à la voix. C’est une étape différente du livre, un autre passage à l’acte. L’introversion de l’écriture devient extraversion publique, elle semble renaître, prendre possession de l’espace comme d’une page, l’articulation reste la même.

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La difficulté réside dans la compréhension du texte, des mots, le public ne doit pas lâcher le fil de l’écriture. Il m’est arrivé de lire plusieurs fois un même texte… Le poème doit être transposable à l’oral. Je prévois

dans mon prochain travail d’y inclure une performance, que le texte prenne une apparence physique, qu’il s’imprime à la fois à la rétine et à l’oreille. Filigranes : Tu participes régulièrement à Filigranes : en quoi est-ce important pour toi d'appartenir à un collectif ? Cédric Lerible : Filigranes est une synthèse de ce que nous venons d'évoquer. Tout d'abord, le "je" est dissous dans le collectif, chacun se place à la hauteur de son écriture, de ses propres moyens. Aucun regard critique n'est porté sur l'autre, seul compte l'effort employé pour exprimer ce "je" qui va cimenter le collectif. Dès lors, Filigranes c'est la rencontre, c'est le lien qui se tisse, hors du temps et de l'espace, l'affirmation de l'être par l'écriture et l'échange qui va nourrir à son tour l’écrit en développement. Une volonté commune se réunit autour d'un projet dont l'aboutissement se matérialise en une publication qui va par la suite favoriser un nouvel échange et, nous l'espérons, susciter l’envie chez un lecteur de rejoindre le collectif. Propos recueillis par Teresa Assude et Michèle Monte Septembre - Novembre 2009


Écriture 4 Après avoir marché les yeux usés Le corps griffé jusqu'au sang La pluie est tombée Chapelet de lumière comme d'étoiles prières Écrire ce qui ne sort pas

de la bouche

Pierres à demi éteintes jusqu'au regard Fouiller la matité des mots Dans la roche ouverte

le sourire de l'aven. extrait de Coudon éd. val poésie / carré 17

Cédric Lerible a publié...

Lunaison Calligrammes Ed. val poésie, Carré 17 2008 Petits poèmes en creux L'Espaventau 2007 Chahitsu Pavillon de Thé (extrait) avec Françoise Rohmer Livre d'artiste 2007

Haïku méditerranéen avec Françoise Rohmer Livre d'artiste 2007 Sur des Ruines L'Espavantau 2006 Coudon Ed. val poésie, Carré 17, 2005

Vient de paraître Jeannine ANZIANI Le tome 2 des Contes de la Méditerranée ! (Editions Le Lutin Malin) Illustrations Isabelle Nègre-François

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Petite anthologie de la jeune poésie française collectif Géhess éditions à paraître nov. 2009

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christiane lapeyre

"25 ans de Filigranes, 13 ans de gravure" J’ai choisi 67 plaques dans mes archives, que j’ai associées de manière unique sur six grands formats. C’est avec beaucoup d’émotion, lecteur, que je t'offre, ce fragment original (1/269). Christiane Lapeyre

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christiane lapeyre

Fragment (5cm x 10,5 cm) à partir d'une production originale découpée en 269 unités.

Ch. L.

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pascale maquestiau

Du Je au Nous Semaine décharnée Le thé au Harem d’Archimède Ma main hésite. Quand le blues de la migration me reprend, je cherche à laisser des traces. Je vais au café marocain prendre un thé vert à la menthe et ouvre mon cahier. Ma crainte est d’écrire des histoires qui font mal sur les autres si proches et aimés ainsi que d’écrire sur soi. J’avais appris que "parler de soi n’était-ce pas l’art de l’escamotage, et que faire rire à ses dépens met la distance nécessaire". Aujourd’hui, c’est comme une urgence, habiter l’histoire familiale, décorer l’intérieur de ma vie en Belgique. J’ai décidé de tout trier avec ma sœur. Je suis prête à négocier les couleurs et les ambiances… que chacune y laisse sa trace et que ce soit l’histoire officielle racontée par les femmes de la famille. Les souvenirs choisis sont ceux qui nous plaisent maintenant. Demain, nous irons en rechercher d’autres au grenier des années qui passent. Les lettres de Thérèse appelée Madame Ma, la grandmère jamais rencontrée, avaient été retranscrites. La première fois que je les ai découvertes, je vivais en Chine. Je les ai écoutées presque d’une traite (3h) et j’ai pleuré sur la dernière. C’est une belle histoire d’amour qui finit mal. Ce romantisme plut aussi à d’autres étudiants chinois qui découvrirent l’histoire dans un cours préparatoire de futurs doctorants pour la France. Il nous fallait enfanter la suite, puisque la grand-mère, en Chine avait eu deux filles. Les deux petites Chinoises étaient devenues des Gembloutoises.

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pascale maquestiau

Les allers-retours continentaux allaient m’offrir une traversée des générations. Juliette, la mère de Thérèse, a gagné sa vie comme écrivaine publique pendant la première tranche des années 1900. Elle a écrit plusieurs styles de lettres. La Grande Guerre enlisait les humains, Juliette pensait qu’il fallait faire durer les sentiments affectueux pour tenir le coup. Sous la dictée d’une jeune fille, elle n’écrivit pas malgré la demande, la lettre de rupture. Elle n’acceptait pas d’envoyer ce type de nouvelles au soldat au front. Elle avait compris que l’Histoire est faite de petit(e)s h. Elle savait qu’il ferait sans doute partie de ceux qui ne reviendraient pas comme le sien, Jules, gazé. À la lecture, elle avait l’art d’enrober l’écrit haché des hommes. Quand une autre jeune fille lui demanda de lire la lettre arrivée des tranchées, elle n’avait pas hésité à décrire la situation difficile du poilu. J’aime croire que les lettres d’amour étaient son fort. Lire et écrire me viennent sans doute de là avec une envie de transmission des regards de femmes.

P. M.

3ème partie Registres intimes

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claude ollive

Ce grand voyage...

"Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses." Paul Eluard Image de ce bateau quittant la rive, son port d’attache, les cales emplies de nourritures ou autres trésors de son pays. Chacun sur la jetée, son foulard à la main, lui dit au revoir, d’autres même adieu. Voyage sans retour, illustration du passage, de l’éphémère empreinte de ce qui fut... Et pourtant après quelques jours d’aventure hauturière, sous des vents doux ou tumultueux, au-delà de l’horizon en des terres étrangères, le voilier sera accueilli et fêté. Passager clandestin, je débarque sur cette île hospitalière, des colliers de fleurs et coquillages ornent ma poitrine et déjà sur des rythmes envoûtants, les danses rituelles s’esquissent. C’est un ballet de cris, de chants, de rondes, les pieds battant le sol, les bras ciselés, s’élevant vers le ciel et les mains claquant aux pulsations des tambours...

3ème partie Registres intimes

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Dans mes bagages, le livre que j’ai choisi parmi les milliers de ma bibliothèque, s’ouvre aux coutumes de l’accueil du nomade, du vagabond, de l’envoyé, du prophète... Le laborieux travail des ethnologues, la compilation des écrits de la Sagesse, les manuscrits, les cryptogrammes découverts et déchiffrés par les archéologues revivent, cadeau sublime, dans une exhubérance cosmique. Spirale s’engouffrant dans les abysses de nos origines ou s’élevant vers des futurs vertigineux. Tel un fossile qui embrase la pierre ancestrale ou l’or qui miroite au coeur de l’ambre, l’ombre des années-lumière m’est restituée. Malgré les cataclysmes, les apocalypses, les terreurs et nos démences, la vie triomphe de la mort, même si parfois, dans un silence obstiné ne restent que les vestiges de quelques destinées...


claude ollive

Notre mémoire, en des strates infinies s’accroche à l’Histoire pour comprendre et y trouver la vérité. Et moi, toujours en quête, écrirai-je mon histoire, celle qui, née du cri primal, me révèlera l’acte initial, l’élan d’amour qui m’a façonné ? Ainsi l’insignifiant voyageur que je suis, au seuil du paradis perdu, s’interroge sur cet héritage. Serai-je une conque vide dont la seule rumeur de la mer me rappellerait mes origines ou plutôt lisant la dernière phrase de mon livre : "Le passé n’est pas mort, il n’est pas même passé"*, en tournerai-je la page, blanche celle-là, comme une invitation à poursuivre mon odyssée et comme Ulysse retrouver un jour l’Ithaque originelle...

Cl. O.

* William Faulkner

3ème partie Registres intimes

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anne-marie soufflet

Du destin de trois petites notes Du côté cour sont rangées les archives-souvenirs Celles qui sentent bon l’avenir D'une petite fille un peu révoltée D’une adolescente en quête de sens Puis de la femme des années féministes. Et du côté jardin se trouvent pêle-mêle Les archives inachevées Des espoirs étouffés Par le monde des grandes personnes Bien trop immatures Pour encourager les talents en herbe D’une graine d’enfant. Voici l’histoire de l’un d’entre eux Plus téméraire que ses frères : Un jour rentrèrent de l’école toutes guillerettes Trois petites notes de musique Qui se mirent à danser En toute innocence une petite ronde. Mal leur en prit : on se moqua. "Vous sonnez faux !" Crièrent ceux qui se disent adultes C'est-à-dire ceux qui sapent les élans de ferveur À coups d’épée À coups de moqueries À coups de raisons raisonnables. Alors toutes piteuses, elles se cachèrent Se jurant bien de ne plus jamais se montrer Et la petite fille, honteuse, les oublia. Enfin, elle fit semblant. C’était plus prudent. Elle grandit, apprit Les équations de la vie Parfois à contrecœur, souvent à contre-courant. 3ème partie Registres intimes

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anne-marie soufflet

Les années passèrent. Un jour, on ne sait pourquoi, Les trois petites notes, prises d’une fringale de vie nouvelle, Sortirent, sans permission aucune. Très étonnée, celle qui maintenant était devenue femme - Donc mère-épouse-aide-soignante-enseignante Et j’en passe, enfin passons S’extasia : "alors, vous êtes toujours là ?" Puis timidement hésita, Et finalement se résolut Et sauta à pieds joints, les yeux fermés, Dans la question brûlante : "Voudriez-vous bien… m’apprivoiser ?" "Qu’à cela ne tienne !" répondirent-elles en chœur. "Prends ton courage, ta ténacité et /ou ta persévérance À deux mains, Rends-toi à l’évidence Et pars à la conquête de ton instrument." Et l’apprentissage commença. Il dure encore. Il arrive même, parfois, Qu’une larme longtemps retenue Se permette de réunir La petite vague du souvenir À celle toute printanière de la partition présente. Dans ces moments-là, Un soupir d’aise danse dans l’air, Ce sont les trois petites notes Qui vous font la révérence. A-M. S. Août - septembre 2009 Crouy / les Floralys

3ème partie Registres intimes

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josiane hubert

L’épreuve cachée

3ème partie Registres intimes

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L’enfant naît. Un garçon. L’image crachée de son père, qui arbore un large sourire bêtement satisfait. La jeune accouchée pousse des soupirs de soulagement. Par deux fois, elle a connu la délivrance. Des douleurs de l’enfantement. Du doute qui subsistait en elle. D’après ses calculs (la preuve par l’œuf et par neuf), l’enfant ne pouvait être que de son mari. Mais les caprices de la nature et du destin sont incontrôlables… L’infirmière lui met l’enfant dans les bras. La mère ouvre sa chemise sur une poitrine somptueuse, qui rend la soignante jalouse et fait saliver le mari. Mais c’est le bébé qui a droit au mamelon du sein gauche et ne s’en prive pas. Soudain, la jeune accouchée pâlit. Le lobe de l’oreille gauche du bébé est amputé de sa partie inférieure, mutilation en forme de demi-lune, aux contours curieusement dentelés. La mère vérifie discrètement l’oreille droite : intacte ! Levant la tête, elle croise le regard de son mari. Elle rougit violemment. L’infirmière est sortie, ils sont trois. Une famille. Marie, son petit Jésus et Joseph, le benêt, qui n’a rien remarqué. Marie, à cet instant précis, pense à sa dernière nuit d’amour avec son amant, dix mois plus tôt, quand, dans un élan de passion, elle lui avait arraché le lobe de l’oreille d’un coup de dent. L’homme avait hurlé, le sang pissait sur les draps. Il l’avait traitée de cinglée et était sorti de la chambre d’hôtel en claquant la porte de la main droite tandis que, de la gauche, il tenait, comprimé sur son oreille ensanglantée, tout un paquet de Kleenex que par bonheur il portait dans sa poche ce jour-là, étant quelque peu enrhumé de surcroît. Ce n’est pas possible, se dit Marie. Ces choses-là ne se transmettent pas. Elle se souvient de ses cours de sciences naturelles, Mendel et ses petits pois, Darwin et tout le tralala, les caractères génétiquement transmissibles ou pas. Ce n’est pas possible et pourtant, la preuve est là.


josiane hubert

Vite, elle arrache du sein gauche l’enfant, qui manque s’étrangler et crie comme un cochon égorgé, et elle le transfère au sein droit. Joseph s’approche, intrigué. Mais maintenant le bébé tend l’oreille, la bonne, et tout paraît normal. Toujours ça de gagné, se dit Marie. Un court répit. Quel mensonge va-telle pouvoir inventer ? Elle finit par se calmer. Il y a tellement peu de chances que son mari rencontre un jour l’homme à l’oreille coupée... Quant à celle du bébé, simple question d’hérédité. Marie s’inventera un ancêtre atteint de la même négligeable difformité. Elle sera seule à connaître la signification du stigmate de son fils aîné.

J. H.

3ème partie Registres intimes

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nicole digier

Archives charnelles

Il était une fois une Belle au Bois Dormant. Passé, Présent et Avenir allaient et venaient dans son sommeil agité. Formant une farandole de rêves. Un Guerrier à l’allure fière vint à passer. Il la vit, la trouva belle, attiré par le charme envoûtant qui se dégageait d’elle. Ses lèvres effleurèrent sa joue. La belle se réveilla... eut grand effroi... regarda attentivement autour d’elle. Elle quitta le Passé, pour sauter à pieds joints dans le Présent et... voyant l’homme, elle éclate de rire. Elle s’ébroue comme jeune chien qui sort de l’eau. Avec une main, lui caresse les lèvres, avec l’autre lui fait signe de se taire... "Avant toutes choses mon ami,dit-elle très sérieusement, il faut que je fasse le point." Elle fronce les sourcils en réfléchissant. "Voilà... Tu vas me trouver bien hardie... mais j’ai du temps à rattraper et une déclaration à te faire : je t’aime. Dans le Présent où je viens d’atterrir, je vois que, de la mer à la montagne, tout bouge, rien ne stagne. Et je vois aussi qu’il y a toujours un coin de ciel bleu pour les gens heureux... Je vois aussi, en moi, les traces frémissantes du Passé. Ces traces sont la pierre angulaire de mon être... Je les trouve dans mes pensées en folie, dans mes cicatrices. Elles palpitent autour de moi, dans les murs de ma maison. Nombreuses sont celles qui nichent dans mon cœur. Souvent, elles l’égratignent, souvent le réchauffent quand il a trop froid. Elles font de moi une bibliothèque vivante... 3ème partie Registres intimes

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nicole digier

Ces traces te diront qui je suis. Je suis aussi ces vieilles lettres amoureusement rangées... ces cartes postales. Je suis ces recettes de cuisine, cette eau de toilette, cette boîte à bijoux de pacotille. Je suis ces albums de photos... ces recueils de poèmes, ces livres qui attendent d’être lus, ces notes griffonnées au coin de la table. C’est mon odeur, ma coloration...” L’homme la regarde étonné. Il est habitué à guerroyer. C’est un monde nouveau qui s’offre à lui. À son tour, il lui fait "Chut". Il l’embrasse, la prend dans ses bras... Elle, elle rit... Elle rit pour qu’il ne voie pas sa peur. Elle sait qu’elle est encore un peu effrayée. Une larme en forme de perle précieuse doucement glisse sur sa joue. Alors, au creux de l’oreille, elle l’invite à la Vie, elle lui chuchote de nouveau : “Tout bouge, rien ne stagne de la mer à la montagne. Il y a toujours un coin de ciel bleu pour les gens heureux. ” N. D.

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annie christau

Il y a le rien qu’on trie Il y a le rien qu’on retient Il y a le rien qu’on range Et celui qui dérange. Ainsi se constitue le trésor Il y a des trésors cachés Il y a des trésors volés Il y a des trésors vides Des trésors remplis de rien… Pas de cagnottes de destin Il y a des futurs proches Il y a des futurs lointains Il y a des futurs antérieurs Comment anticiper un futur antérieur Quand on est assis sur son postérieur ? Tour rieur qu’il soit et bien disposé à laisser le futur proche arriver Proche de la vie Actualité ? qui fait l’actualité ? Ah ! l’actualité déprimée ! Qui peut la faire rire Le temps d’un pas de côté ? Se mettre de côté Laisser germer Dans les têtes de demain L’avenir a deux mains Une main pour écrire Une autre pour serrer le monde Gardons-nous d’être manchots Et allons prendre l’air. Il y a l’air de rien des airs de liberté Chansonnettes ou satires Ça pourrait être pire ! Il y a des tiroirs remplis de mots Il y a des tiroirs secrets Il y a des tiroirs ignorés Les découvrir, les ouvrir, les vider Laisser faire la beauté… 4ème partie Vertigo

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A. C. 26 mars 2009


claude barrère

à Federico Garcia Lorca

pour l’éclair ressaisi d’un foudroiement d’été - corps d’effroi de l’Enfant - torchère à vif de l’Arbre pour le jour obscurci forme impressionnée à jamais sidérante de Peuplier Tremble à la marge expulsant des mains-feuilles en feu la chute tournoyée à ce point mortelle Cl. B. Saint-Jean 2OO9 4ème partie Vertigo

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paul fenoult

Écho fuyant

les murs se resserrent dans l’épaisseur claire-obscure de secondes alanguies où en vase éclos le temps dépasse à s’en faire une déraison le corps penché au-dessus d’un vertige suspendu à un souhait plombé d’indifférence dans le reflux de silences dissipant toutes affaires cessantes les derniers soupirs renversés tanguant à vau-l’ombre en épaves du pouls filant ne laissant dans son sillage qu’un halo vacillant de cœur qui bat en retraite emporté en traînée d’absence miroitant d’oubli

P. F.

4ème partie Vertigo

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michel neumayer

J'aime la spontanéité inquiète du témoin. J'aime l'obstination de l'archiviste. J'aime l'audace de l'historien interrogeant encore quand tout semble dit. Un temps suit l'autre. Nous avons bien des saisons pour habiter le monde. Premiers pas dans le sable – les tiens, les miens - . Empreintes dans la neige. Branches, d'une main écartées, chronique gardée. Et encore, sous-bois que nos pas façonnent. À tant vouloir les lire, fleurs de sel qui brûlent les yeux. De quelles traces nous prévaloir ? Mille choses consignées… Au retour, invoquant le chemin, deux sources incertaines nous laissent à nous-mêmes. Entre trop et trop peu, passé non démêlé. Une butée. Précarités comme on dit tendresses. Moi, lecteur de hasard collectionneur oublieux arpenteur mal chaussé fidèle amant d'une histoire effervescente, désaccordée, mutique si souvent. Imperfection acceptée. M. N. 4ème partie Vertigo

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monique d'amore

Inclassable Candidat au départ. Pour où ? Le sait-on ? On se tient sur un quai, porteur d'espérance, oublieux malgré soi de ce qui nous presse. Ce mimosa à peine fleuri de promesses, la douceur de ce rayon d'automne, cet air frais qui transit les regards, ce goudron brûlant les semelles, tout fait signe à ce moment d'une urgence. Peu importe à l'esprit hors de raison. On n'a pas conservé de signe tangible : le billet présenté avec la date, l'heure, la classe, le numéro du siège. Avec le prix à payer aussi. Des chiffres, rien que : billet jeté dès l'arrivée. Mais où se cache le mobile dans cette histoire ? Comment en retrouver la déchirure, ou la relation ? Est-on parti seulement ? Les mots défilent, les images se précipitent : il y a eu passage, dépassage. Peut-être. On guette alors un souffle, une ombre charnelle, un timbre de voix douce. Un parfum, un geste suffirait à suspendre la course. Ça boite. Mais toujours ça boite. On reste sur le quai, muet, candidat pour le départ prochain. Pieds inertes sur le goudron qui brûle, une valise transie de silence. md'a, le 13.09.09

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christiane lapeyre

Regard

Je regarde la photo, recevant cette musique de palmes couchées, jouant de l’ombre et de la lumière, comme une séquence génétique. J’écris du miroir des pierres closes. La musique se balance dans l’apaisement du soir, telle un écheveau de rythmes et de silences, un recommencement malgré les murs. J’accepte le grand chambardement du vent, le sens dessus-dessous de la terre retournée sur son axe. Mon regard peut remonter le cours du temps, mais déjà les quatre horizons du crépuscule s’ouvrent sur demain, un autre jour. Tout est question de regard sur ce qui est parce que cela a été, obstinément. J’y laisse mes traces. Résisterontelles au reflux du temps ? J’écris du miroir des pierres closes. C. L. Conques, 09.09.09

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teresa assude

Dépassements silencieux Anticiper les murmures de ceux qui, absents, lucides d'un autre temps cherchent avides le signe juste et clair Passant tu cherches l'inquiétude et la patience du souffle déjà tari les liens entre le ciel et la terre les misères perpétuelles et les plénitudes évanescentes Témoin tu persistes à tendre les bras à te laisser porter par le rivage de la mémoire si fragile si inventive tu choisis doutes, peurs, abandons présences fugitives et obstinées Pèlerin tu abandonnes les certitudes les traces à jamais gravées dans le sable le temps inquiet s'essouffle à creuser les eaux maisons, villes, paroles submergées Une vie porte témoignage à une autre sans savoir ni comment ni pour quoi faire se battre contre les murs de silence épreuves vécues, invisibles il reste le signe juste et clair

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T. A.


agnès petit

Seuil

Les vagues se brisent bien aux récifs et reviennent danseuses de l'autre rive. La percée d'écume, le temps d'un soupir, surpasse le vol de l'oiseau. Signe mouvant, son cri rappelle la lumière en suspens sur laquelle glissent ses ailes ouvertes maintenant. La pensée exilée revient au rythme des roulements des galets caresses incessantes de l'invisible. Le regard s'approche de l'eau s'y plonge. Les sillons sableux intacts du silence de la nuit, sont déjà autres au passage du soleil là. L'avancée sur l'ombre se déploie dans un tremblement de chaleur. Le corps obstiné pesant trop encore pour disparaître reste, brûlant, attendant une autre vague. A. P.

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Filigranes - Revue quadrimestrielle N° 75 "Preuves obstinées" – Novembre 2009 Directeurs : Michel et Odette NEUMAYER Les Amis de Filigranes – Association Loi 1901 - ISSN 0296-6409 1, Allée de la Ste Baume - F 13470 CARNOUX

Maquette et frappe Michel et Odette NEUMAYER - Dépôt chez l’imprimeur le 24 novembre 2009. Imprimerie Provençale - 13400 AUBAGNE DÉPOT LÉGAL 4ème trimestre 2009

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