Article La Marseillaise 280116

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La Marseillaise jeudi 28 janvier 2016

Grande-Région

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Alimentation. Du réinvestissement des terres agricoles de la ceinture urbaine aux circuits courts et à la santé, les collectivités réfléchissent à de véritables stratégies politiques territoriales.

Nourrir les villes, une urgence viscérale n

Circuits courts, produits locaux, groupements d’achat, marchés de producteurs, bio... le consommateur est en quête de goût, de sens et de conscience. La nécessité de remettre de la proximité dans les assiettes est devenue viscéralement urgente. En France, les Villes et Métropoles n’ont pris la question à bras le corps que très récemment alors que chaque jour, des millions d’aliments sont produits, transformés, empaquetés, distribués, consommés et rejetés dans leurs communes. Un véritable enjeu politique. « Historiquement l’alimentation façonnait les villes*. La place du marché était entourée de la cathédrale, la bourse du commerce ou du travail et l’Hôtel de Ville. Elle était au centre des trois grands pouvoirs, rappelle Damien Conaré, secrétaire général de la Chaire Unesco Alimentations du monde. Tandis que Londres était organisée autour de la Tamise avec un accès rapide à la mer et importait ses produits, Paris était située au coeur d’une Ile de France nourricière. » Avec l’avènement de l’ère agro-industrielle au XXème siècle, conjuguée à un mouvement hygiéniste, la production et la transformation alimentaires vont être boutées hors des villes. Le quartier des abattoirs de Montpellier devient celui des Beaux-Arts. Les aliments, produits en masse, sont calibrés, standardisés, les fruits et légumes sont cueillis plus tôt, stockés sur de grandes plates-formes, réfrigérés pour le voyage... la diversité génétique s’en ressent et le consommateur ne sait plus trop ce qu’il ingurgite. Il commence à loucher sur son assiette et l’expérience lui donne raison. « Depuis une dizaine d’années, nous voyons un grand retour de la mode du fooding avec les émissions de gastronomie et de cuisine et les villes se sont réintéressées à la

question. » Deux villes surtout, ont initié le chemin bien avant. Belo Horizonte, au Brésil, a débuté sa politique alimentaire locale en 1991. Pour lutter contre la malnutrition, le maire a privilégié les petits producteurs de la ceinture péri-urbaine. Il a créé des restaurants populaires de produits locaux très bon marché, approvisionné les cantines scolaires et mis sur pied des marchés paysans. Son initiative a inspiré aux niveaux fédéral et national. Plus au nord, c’est à Toronto qu’une autre initiative a fait des émules. En 1992, pour lutter contre l’obésité, la mairie a créé un « food policy council », composé de représentants des services de la santé, de l’éducation, de l’environnement... « Il s’agissait du premier conseil municipal de l’alimentation dans le monde. A partir des années 2 000, apparaît l’idée que l’alimentation est transversale et concerne la santé, l’aménagement urbain, l’éducation, les espaces verts, l’environnement, le foncier... la Ville a de nombreux leviers pour agir sur sa gestion. » Le mouvement est lancé. Il ne s’agit pas uniquement d’instiller un peu de bio à la cantine, de créer deux ou trois jardins partagés et des marchés paysans, mais d’avoir une véritable cohérence, de l’étape de la production à celle du traitement des déchets. Le mouvement est international, les villes anglo-saxones en tête. La France n’est pas en avance, mais elle s’y met (Grenoble, Nantes, Lyon, Lille...) L’année dernière, c’est à Milan que 120 villes, dont Montpellier, ont signé le pacte éponyme (lire ci-dessous), s’engageant à mener une politique alimentaire urbaine saine et durable, sachant que la population urbaine représentera 70% de la population mondiale en 2050. Helene gosselin w Carolyn Steel, Hungry city, how food shapes our lives.

Repères

C M J N

Pacte de Milan

Colloque

En signé le pacte de Milan, en octobre dernier, 120 villes, dont sept françaises (Bordeaux, Grenoble, Lyon, Marseille Montpellier, Nantes et Paris) se sont engagées à développer des systèmes alimentaires durables, qui fournissent des aliments sains et abordables à tous, réduisent le gaspillage, préservent la biodiversité et atténuent les effets du changement climatique.

Le 5ème rendez-vous annuel de la Chaire Unesco alimentations du monde, est intitulé « Je suis ce que je mange ». Il a lieu ce vendredi toute la journée à Montpellier SupAgro. Il abordera les liens complexes qui unissent alimentation, santé et bien-être. Excès de consommation, alimentations particulières (sans gluten, végan, bio)... quels impacts des nouvelles façons de manger ?

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Les marchés paysans se multiplient pour répondre à la demande grandissante de produits locaux.

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Montpellier tâte le terrain sur 14 hectares n La Métropole de Montpellier a fait de l’agro-alimentaire l’un des sept piliers devant assurer son rayonnement. Isabelle Touzard, vice-présidente en charge de l’agro-écologie et l’alimentation et directrice adjointe de Montpellier Sup Agro, est à la manoeuvre. Elle prend appui sur des démarches engagées ça et là mais qui manquent encore de cohérence : le bio dans la restauration scolaire, le carré des producteurs du marché d’intérêt national (MIN), deux agri-parcs... Un projet d’installation agricole a été lancé (14 ha) sur les Domaines de Viviers et Condamine, propriétés de la Ville. « L’objectif est de relancer une agriculture nourricière pour répondre aux attentes qui sont extrê-

mement importantes. Il faut aller à contre-courant de la tendance à laisser les terres en friche, faire pousser du blé dur pour toucher les primes de la PAC, ou les utiliser comme enclos pour les chevaux », décrit l’élue. Pour commencer, la Métropole à lancé un appel d’offre sur une petite surface, histoire de tâter le terrain. « On ne cherche pas des salariés mais des porteurs de projet, et il y en a à la pelle. Le problème est l’accessibilité foncière. Reconstituer les exploitations implique une surface mais également du bâti, des clôtures, du matériel... Ce n’est pas en 2 ans que l’on restaure un tissu agricole érodé depuis 100 ans ». Source de cohésion sociale, de

requalification du paysage, instrument de lutte contre les incendies..., l’agriculture périurbaine prend une place centrale dans une véritable stratégie alimentaire. « La demande en produits locaux explose, il faut organiser les filières pour que les produits locaux ne partent pas à Rungis. » La Métropole envisage de cartographier les réseaux locaux existants pour que les consommateurs sachent où chercher. « Nous allons aussi agir sur la commande publique pour les écoles, maisons de retraite, hôpitaux, marchés de traiteurs pour les institutions. Encore fautil que les filières soient capables de répondre à la demande ». Un chantier d’envergure. HG


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