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TENDANCE

L’obsession est le premier pas vers la folie, l’entrée irréversible vers un monde sans cohérence. Les obsessions, « ces démons d’un monde sans foi » comme les appelle Emile Cioran, ont toujours été considérées comme le chant des sirènes menant l’esprit humain sur les rochers de la déraison. Et sans raison, l’être humain redevient animal. L’esprit obsédé est esprit possédé. Mais, comme toujours, les choses changent. Et une fois de plus, notre époque se démarque par le renversement des valeurs. Aujourd’hui, en effet, l’obsession est louée. Ou du moins, elle fascine. Au point que lorsque l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, institution on ne pet plus sérieuse de l’après-guerre, sort son magazine, elle le nomme, justement et simplement, Obsession. Ce qui, au-delà du jeu de mot et de la double lecture, en dit long sur cette nouvelle tendance. De Michael Fassbender en obsédé sexuel, à Michael Shannon en obsédé de la fin du monde dans Take Shelter, ou Nathalie Portman en danseuse obsédée jusqu’à la folie et la mort par son rôle, le cinéma nous a dernièrement largement nourri d’obsessions. C’est que l’obsession fascine, l’esprit qui sombre fascine. Et dans une société du spectacle, la fascination est la valeur ultime. Ce qui fascine fait vendre, même s’il s’agit de montrer la destruction lente d’un esprit. Si la télé-réalité et toutes ses dérives d’élimination de candidats sont les fruits malsains de notre nature morbide, alors l’obsession en est son pendant artistique et esthétique. Il faut lire, pour réellement comprendre ce qu’est l’obsession et surtout comprendre l’esthétique de la folie, le chapitre dédié au rangement et au nettoyage, dans l’autobiographie d’Andy Warhol, Ma Philosophie de A à B et vice-versa. Evidemment, la publicité se rue sur cette tendance. Montrer des individus obsédés par des produits est un summum pour un publicitaire. Malheureusement, impossible tant que l’obsession est vue pour ce qu’elle est : une destruction. Trop anxiogène. Mais extraordinairement efficace lorsque l’obsession devient un comportement accepté. Les nymphes d’Axe perdant le contrôle de leur désir, l’abonné de Canal Plus prêt à tout pour la qualité de ses programmes… l’obsession est détournée, allégée. Il n’en existe plus que sa face théâtralisée et drôle. Mais ne nous trompons pas, cela reste toujours de l’obsession. Que nous dit cette tendance obsession sur notre époque ? Si l’on revient à la phrase de Cioran, il s’agit du signe d’un monde sans foi et donc sans morale. Sans espoir et sans vision d’avenir. Dans un monde sans repère, l’obsédé apparaît comme un chanceux, il est le pendant athéiste des individus mus par leur destinée (nombreux au cinéma au début des années 2000 avec les trilogies Matrix et Seigneurs des Anneaux). Ou, au contraire, on peut imaginer l’obsession comme le signe du retour de la morale. L’obsession est une sorte de pré-folie. Et si les sérial-killer ont envahi nos écrans et nos livres pendant des années, leur comportement amoral et inacceptable est aujourd’hui refoulé, au profit du simple obsédé. Tout aussi fou, mais pas encore criminel.

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