Carapaces

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Suzanne était heureuse de voir son projet abouti et comment elle allait montrer sa joie. Elle avait dû voir sourire Suzanne deux fois depuis qu’elle la connaissait. C’est sa mère qui la lui avait présentée, avec un empressement inhabituel. Elles semblaient se connaître depuis longtemps, complices en quelque sorte et pourtant gênées, sans conversation réelle. Quand Louisa leur avait demandé où et quand elles s’étaient rencontrées, elles avaient invoqué une mémoire défaillante et des relations communes. Maman avait dix ans de plus que Suzanne et elle n’avait jamais aimé l’immaturité. Pourtant, ce jour-là, je n’insistai pas. J’étais contente de voir ma mère différente, plus dense, lestée d’une vie à elle, de quelques zones d’ombre mystérieuses. Elle avait toujours été si transparente, comme vidée de sa substance, absente d’elle-même. Grâce à Suzanne, elle devenait un peu une énigme. C’était bien. Petit à petit, Suzanne est devenue mon amie. Elle vivait avec un mari insupportable, archaïque et prétentieux. Elle n’en disait rien mais le redoutait visiblement. Arrivée à 55 ans, elle songeait timidement à s’émanciper et donnait un coup de main à la librairie de sa petite ville, conseillant en lectrice assidue les clients indécis, tenant la caisse et, le soir venu, le balai. Quand j’émis l’idée devant


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