Jules chéret et l'âge de l'imprimé. L'image dans tous ses états (extrait)

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Le musée Roybet Fould

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e musée Roybet Fould rend hommage à l’œuvre graphique de Jules Chéret (1836-1932) à travers une collection de petites estampes ayant appartenu à Roger Marx, soutien décisif de la carrière de l’affichiste. Au nombre de 175 pièces, chromos, couvertures de romans, titres de musique, invitations, faire-part de naissance, menus, cartes postales, programmes de spectacles, ces éphémères soulignent les temps forts de son ascension artistique. Du milieu du xixe siècle à la première décennie du xxe siècle, ils mettent en évidence, par leur diversité, la cohérence du geste qui introduit l’art dans les petites images et prévaut à l’engouement social pour la collecte de ces vieux papiers. Explorer ces images permet d’observer, de souligner et de tisser des relations entre elles et avec les affiches de Chéret, fondant, en cela, une visibilité médiatique qui, par la récurrence des thèmes et l’adaptation des motifs, contribue à forger l’image de Chéret lui-même.

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Jules Chéret et l’âge de l’imprimé

Jules Chéret

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ébergé dans le pavillon de la Suède et de la Norvège, construit pour l’Expo­s ition universelle de 1878 à Paris, le musée Roybet Fould est inauguré en 1951. À cette époque, le domaine de Bécon devient propriété de la Ville de Courbevoie et se transforme en parc public. Consuelo Fould (1862-1927), petite-fille d’Achille Fould, ministre et membre du Conseil privé de Napoléon III, a fait don de sa propriété. Artiste-peintre, elle a travaillé dans cette villa-atelier d’été pendant près de quarante ans. Elle y a côtoyé des peintres, des sculpteurs, des romanciers, mais aussi des journalistes. Sa mère, Joséphine Willemine Simonin – plus connue sous le nom de Valérie, ou sous le pseudonyme de Gustave Haller –, ancienne pensionnaire de la Comédie-Française, était devenue sculpteur puis chroniqueuse et romancière. Elle avait épousé en troisièmes noces le prince Georges Bibesco Stirbey, grand collectionneur d’art et amateur de théâtre. L’ancien château de Bécon, situé au cœur du domaine, recevait les plus grands artistes de l’époque, souvent membres actifs de l’Orphelinat des Arts, situé à Courbevoie. Fondée en 1880 par Marie Laurent, cette institution caritative s’est développée grâce à la générosité des personnalités du monde des arts, parmi lesquelles on compte Sarah Bernhardt, Gustave Doré mais aussi Roger Marx ou Jules Chéret.

Jules Chéret

Jules Chéret

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978-2-7572-0958-5 23 €

Musée Roybet Fould

ules Chéret (1836-1932) est formé à la lithographie dès l’âge de treize ans : il se fait la main sur des supports de petite taille (prospectus, en-têtes de lettres, petites affiches, fairepart, calendriers), abordant des genres aussi diversifiés que l’imagerie pieuse (1853), la mise en page de meubles (pour les catalogues du fabricant Marple, Londres, 1854), l’affiche de librairie (1855-1857), les vues d’architecture locale (Dole, 1858), le dessin d’armoiries (1859) et de titres de musique (Londres, 1862). À la même période, sa rencontre en Angleterre avec le parfumeur Eugène Rimmel est décisive : c’est grâce à ses fonds financiers que le lithographe s’installe à Paris, où il fonde une imprimerie orientée vers la production d’« affiches-tableaux (genre anglais) » (1867). C’est le début d’une activité intense, associée à une visibilité remarquable qui masque ses déboires financiers. Chéret finit par vendre son entreprise à Chaix en 1881 ; il en devient le directeur artistique pour la section affiche jusqu’en 1895. Entretemps, il a commencé son ascension artistique et sociale, marquée par sa première exposition personnelle en décembre 1889, accompagnée d’un catalogue préfacé par Roger Marx. Le soutien indéfectible du critique s’est avéré déterminant, l’encourageant vers le décor, la peinture murale et le mobilier. Ces activités que Chéret déploie conjointement jusqu’en 1922 l’amènent à passer les dernières années de son existence à Nice, où il meurt à l’âge de quatre-vingt-seize ans.


Remerciements L’organisation de cette exposition n’aurait pas été possible sans le soutien de la ville de Courbevoie. Nous remercions particulièrement M. Jacques Kossowski, député-maire, et M. Yves Jean, adjoint délégué à la culture et au patrimoine culturel. Nous témoignons notre plus vive reconnaissance au collectionneur privé qui a mis son fonds de petites estampes au service du musée Roybet Fould, permettant ainsi la présentation de pièces inédites et rares de Jules Chéret. La collaboration scientifique d’institutions a grandement facilité nos recherches par leurs conseils et leurs informations : qu’elles trouvent ici l’expression de notre sympathie. L’exposition a bénéficié des prêts de la bibliothèque Forney à Paris, des Silos, maison du livre et de l’affiche à Chaumont (Haute-Marne) et de l’Institut national de la propriété industrielle à Courbevoie. Nous souhaitons remercier, pour leurs actions essentielles à Cet ouvrage accompagne l’exposition temporaire Jules Chéret et l’âge de l’imprimé. L’image dans tous ses états présentée au musée Roybet Fould, à Courbevoie, du 13 mai au 24 août 2015.

la réalisation de cette exposition, Jérémy Bardet, Franck

Commissariat d’exposition Virginie Vignon, docteur en histoire de l’art, docteur en sciences de l’information et de la communication Emmanuelle Trief-Touchard, attachée de conservation du patrimoine, directrice du musée Roybet Fould

rine Hubert-Kazmierczyk, Chantal Lachkar, Muriel Mantopoulos,

Bougamont, Thierry Devynck, Sandrine Dresolin, Renaud Fuchs, Steeve Gallizia, Christophe Guglielmo, Laure Haberschill, Cathe­ Valérie Marchal, Catherine Méneux, Alice Moschetti, Patrick Ramseyer, Olivia Stroud, Valérie Thomas. Nous remercions également l’ensemble de l’équipe du musée Roybet Fould pour son aide technique et scientifique. L’auteur Après son doctorat en histoire de l’art contemporain sur Jules Chéret (2007), Virginie Vignon a soutenu un doctorat en sciences

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination éditoriale : Laurence Verrand Contribution éditoriale : Sandra Pizzo Conception graphique : Marie Gastaut Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros © Somogy éditions d’art, Paris, 2015 © musée Roybet Fould, 2015 www.somogy.fr ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-0958-5 ISBN musée Roybet Fould : 978-2-9547398-2-3 Dépôt légal : juin 2015 Imprimé en Italie (Union européenne)

de l’information et de la communication sur la conception typographique comme objet communicationnel et pratique sociale (2014). Elle est membre du GRIPIC (Groupement de recherches interdisciplinaires sur les processus d’information et de commu­ nication) (EA 1498) au sein du CELSA de l’université ParisSorbonne. Ses travaux portent sur les processus industriels de production et de circulation de l’image, considérant les enjeux de leur inscription matérielle comme valeur constitutive d’une identité médiatique des formes au sein des pratiques sociales. Elle a récemment participé à la coordination du no 178 (décembre 2013) de Communication & Langages sur le graveur, typographe et enseignant-chercheur français Gérard Blanchard (1927-1998).


Jules Chéret

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Virginie Vignon

Musée Roybet Fould


Préfaces

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iche d’un patrimoine érigé ou acquis dans la seconde moitié du xixe siècle, Courbevoie renoue avec les fastes de ce demi-siècle en accueillant une exposition inédite consa-

crée à Jules Chéret. Issu d’une collection privée, le fonds exposé met également en valeur l’histoire locale en évoquant quelques grands noms de l’époque, dont certains séjournèrent à Courbevoie et fréquentèrent le lieu même où ils sont aujourd’hui présentés, à commencer par l’artiste lui-même. Désireuse de mettre en valeur son patrimoine, la Ville de Courbevoie s’est engagée dans une politique culturelle ambitieuse visant à favoriser l’accès aux œuvres tout en soutenant la création artistique. Grâce au renouvellement et à la diversification des partenariats, l’ancien domaine de Bécon, réaménagé en parc public depuis 1951, continue ainsi de dévoiler ses richesses. La réhabilitation récente du Pavillon des Indes, qui a permis au bâtiment de retrouver sa vocation de résidence d’artiste en association avec l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, est un exemple de cette vitalité. L’exposition présentée dans ce catalogue illustre une nouvelle fois les bénéfices du partage d’informations et de l’association entre les institutions publiques et les acteurs privés. Elle montre aussi que le patrimoine d’une ville reste toujours à découvrir et à enrichir, grâce aux artistes et aux œuvres qu’ils nous laissent. Jacques Kossowski Député-maire de Courbevoie Yves Jean Adjoint délégué à la culture et au patrimoine culturel


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résentée au musée Roybet Fould, l’exposition Jules Chéret et l’âge de l’imprimé a été rendue possible grâce à la générosité d’un collectionneur et au travail scientifique de

Virginie Vignon. Elle est donc le fruit d’une rencontre entre passionnés. L’institution, média ou vecteur, valorise ainsi le parcours d’un artiste, ses recherches et son époque. Évoqué tantôt comme affichiste novateur, tantôt comme illustrateur amusé, amateur fervent de théâtre et de beauté féminine, Jules Chéret est maître dans l’art de la composition et de la fabrication d’une image. L’exposition revient sur sa carrière à travers son rapport privilégié à l’illustration, qu’il manipule, exploite et réadapte. En interrogeant ce fonds largement inédit, on pose un regard nouveau sur l’œuvre de Jules Chéret et sur les glissements opérés entre différents types de support. C’est aussi l’occasion pour le musée d’interroger de nouveau son histoire et de renouer avec ce qu’il fut : lieu de création, d’échanges et de rencontres. En effet, parmi les habitués de Courbevoie et de l’institution de l’Orphelinat des Arts, Jules Chéret et son épouse brillèrent par leur activité et leur extrême générosité. L’illustrateur donnait des affiches et participait largement aux loteries organisées, au profit de l’œuvre, par les présidentes, Mesdames Marie Laurent et Théophile Poulbot. C’est fort de ce passé à explorer et à valoriser que le musée a souhaité s’engager dans cette manifestation. Emmanuelle Trief-Touchard Attachée de conservation du patrimoine et directrice du musée Roybet Fould


Les images de ChĂŠret, une visibilitĂŠ exemplaire

6


Sommaire Introduction 11

L’éphémère, de l’objet à la collection 13 L’imprimé et ses statuts : quels enjeux pour les collections d’éphémères ? 16 Une démarche collectionniste en pleine expansion au xixe siècle Approche d’un collectionneur de la première heure : Roger Marx

17 17

Un préalable à la collection : les marques de l’estime réciproque 25 Encourager Chéret à produire à tous les niveaux de la vie quotidienne Encourager Marx par le référencement visuel

25 33

Dans l’intimité de la collection : du récit à l’archéologie 37 Origine et récit d’une collection d’éphémères Description globale et archéologie de la collection actuelle

37 38

Les images de Chéret, une visibilité exemplaire 43 Un univers visuel fondé sur la variante des motifs et la déclinaison des supports 44 Un discours iconographique entre résonance et adaptation Des fondements internes à la résonance : au cœur de l’univers visuel de Chéret

47 56

Des relais médiatiques et publicitaires pour des œuvres multiples 86 Du Courrier français aux Maîtres de l’affiche 87 Le motif féminin chez Chéret 101 Au sortir de la pantomime : l’expérience bibliophilique de Chéret et Champsaur 118

Des œuvres à la construction du mythe 122 Le maître et ses portraits Les scènes d’atelier : théâtre du reportage… … Et récit d’une consécration par l’intimité du réseau

122 126 128

Biographie des principaux noms cités 136 Bibliographie sélective 140 Jules Chéret, Polonia. Suite de valses sur les motifs de F. Chopin par Pierre Muller, 1888 [d’après la bibliographie] Détail (fig. 81)


Liste des abréviations Arts du spectacle : département des Arts du spectacle de la BnF BnF : Bibliothèque nationale de France Biblio : référence bibliographique BINHA : bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art Cabinet des Estampes : département des Estampes et de la Photographie de la BnF Cat. Chéret 2010 : Réjane Bargiel et Ségolène Le Men (dir.), La Belle Époque de Jules Chéret. De l’affiche au décor, Les Arts décoratifs/Bibliothèque nationale de France, 2010 Couv. : couverture DL : dépôt légal D. Pauvert : Dorothée Pauvert-Raimbault, Félicien Champsaur et le modernisme : à la croisée des arts, thèse de doctorat en littérature française, sous la direction d’Annie Renonciat, université Paris-Diderot, 2010 INHA : Institut national d’histoire de l’art INPI : Institut national de la propriété industrielle LAS : lettre autographe signée Musique : département de la Musique de la BnF (site Richelieu) Succle : succursale Tolbiac : site François-Mitterrand de la BnF V&A : Victoria and Albert Museum

Avertissement Issus pour la plupart de la presse quotidienne du xixe siècle, les articles sont référencés in extenso en note de bas de page et ne sont pas repris en bibliographie. C’est également le cas d’autres sources comme les fonds d’archives et des références citées dans les biographies en fin d’ouvrage. Les pièces exposées sont indiquées comme telles dans les notices des figures qui accompagnent le texte du catalogue. Les pièces appartenant à la collection privée mise à disposition du musée Roybet Fould sont identifiables par leur numéro. Jules Chéret, L’arc-en-ciel, 1893 Réduction d’affiche et épreuve d’artiste avant la lettre Issue de Maindron, Les Affiches illustrées, 1896, no 111 Détail, collection particulière no 009 Œuvre exposée


L’imprimé et ses statuts : quels enjeux pour les collections d’éphémères ?

9


Fig. 1 – A. Besnard, Jules Chéret, 1888 Défet d’illustration de presse, gravure à l’eau-forte de Florian, 14,2 × 6,9 cm Frontispice issu d’un article de Frantz Jourdain, La Revue illustrée, t. 7, décembre 1888-juin 1889 Collection particulière, no 156 Reproduit dans l’exposition

10


Introduction

À

la suite de notre thèse soutenue en 20071, le parcours professionnel de Jules Chéret (1836-1932) n’a eu de cesse

d’être éclairé par la bibliographie. Mener des recherches sur les circonstances de son ascension artistique et sociale a permis non seulement de souligner en quoi « Jules Chéret fut en France l’inventeur de l’affiche en couleurs2 », mais également de mettre en cohérence la pluralité de ses soutiens au regard de ses nombreux talents : à ce titre, le catalogue édité en 2010 a notamment mis en lumière la diversité de son œuvre (dessin de mobilier et décoration d’intérieur) comme faisant l’objet de véritables mécénats3 parachevant une carrière débutée quarante plus tôt, à la fin des années 1850, en Grande-Bretagne. C’est par l’affiche que Chéret atteint la notoriété lui permettant ensuite de varier ses activités au regard d’un engouement artistique et social resté sans précé-

Fig. 2 – Jules Chéret, Parfumerie des Nymphes. Savon des Nymphes Marque de commerce et de fabrique déposée le 19 avril 1876 au greffe du tribunal de commerce de Paris Étiquette, Imp. J. Chéret (bas), chromolithographie Archives Institut national de la propriété industrielle, 1MA25561

dent. La thèse de Nicholas-Henri Zmelty démontre précisément

Fig. 3 – Jules Chéret, Savon Saint James

que ses affiches ont constitué, dès les prémices de l’affichoma-

Marque de commerce et de fabrique déposée le 18 janvier 1879 au greffe du tribunal de commerce de Paris Emballage, Imp. J. Chéret (bas), chromolithographie Archives Institut national de la propriété industrielle, 1MA33395

nie, une référence pour des collectionneurs dont les trouvailles sont au fondement des futures collections publiques françaises4. Le présent catalogue ainsi que l’exposition qui l’accompagne s’attachent davantage à circonscrire l’œuvre de Chéret en complé­ment de sa carrière d’affichiste, s’intéressant à ce que l’éditeur G. Boudet désigne en 1898, « sous le nom d’affiches à la main, par opposition à l’affiche murale […], toutes les petites

en marge des affiches, tout en permettant des mises en relation

estampes, invitations, menus, programmes, billets de faire-part,

d’ordre iconographique et stylistique avec d’autres travaux de

cartes d’adresses, etc.5 ». Sans prétendre à l’exhaustivité, la col-

Chéret entre 1868 et 1910 (fig. 2 et 3).

lection de petites pièces qui constitue le cœur de cette publica-

Du fait de la chronologie qui l’institue, de la variété des supports

tion ­complète l’état des connaissances sur ce qui a été produit

médiatiques qui le composent et des secteurs d’activité dont il sert la communication, un tel ensemble contribue à réaffirmer que l’imaginaire de Jules Chéret passe par l’image et que, en tant que professionnel de l’image, il s’efforce, à travers l’imprimé, de

1. V. Vignon, 2007. 2. Anonyme, « Distinctions : Jules Chéret, commandeur de la Légion d’honneur », Bulletin officiel de la Chambre syndicale de la publicité, no 23, 6e année, 1913, p. 6-9.

répondre à l’horizon d’attente de ses contemporains. Avant d’essayer de comprendre en quoi consiste ce rapport idéologique à l’image, cherchons à clarifier l’existence de ces supports média-

3. Voir Réjane Bargiel, « Jules Chéret décorateur », dans R. Bargiel et S. Le Men (dir.), 2010, p. 77-107. Voir également Réjane Bargiel, « Chez le baron Vitta, l’affichiste Jules Chéret devient décorateur », dans W. Saadé et F. Blanchetière (dir.), 2014, p. 84-93.

tiques que l’usage qualifie d’éphémères. Constitués en collec-

4. N.-H. Zmelty, 2014.

comme par leur mise en valeur, contribuent à en démultiplier le

5. G. Boudet, avant-propos, dans L. Maillard, 1898, non paginé.

phénomène.

tions au xixe siècle, ces imprimés débouchent sur des pratiques sociales, incrémentent des discours qui, par leur rassemblement



L’imprimé et ses statuts : quels enjeux pour les collections d’éphémères ?

L’éphémère, de l’objet à la collection

Jules Chéret, Camille Stéfani Détail (fig. 14)

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ommençons par interroger quelle réalité recouvre au xixe siècle la petite estampe en termes de support.

Qu’ils soient administratifs ou commerciaux, les imprimés de petite taille peuvent être désignés par des appellations aussi distinctes que petites estampes, travaux ou ouvrages de ville, bilboquets1 – terminologie multiple à laquelle la langue anglaise substitue le vocable d’ephemera2, « éphémères » en français. Que l’on cherche à identifier plus précisément ces éphémères et l’on constate avec le collectionneur John Grand-Carteret que « cartes de visite, cartes de souhaits, billets de part, quel

Fig. 4 – Jules Chéret, Royal Savon au suc de laitues Aimé Désiré Lavandier Marque de commerce et de fabrique déposée le 12 octobre 1871 par René Joly, parfumeur, au greffe du tribunal de commerce de Paris Étiquette, Imp. J. Chéret Rue Brunel Paris (bas), chromolithographie Archives Institut national de la propriété industrielle, 1MA23926 et 1MA23927

que soit l’acte de vie humain visé par eux, cartes d’invitations, programmes de fêtes et de soirées, pièces administratives et politiques, traités échangés entre particuliers ou entre gouvernements, brevets, diplômes, images, placards sous toutes leurs formes, cartes à jouer, thèses, calendriers muraux, feuilles d’éventails ou d’écrans, tentures destinées à tapisser les appartements, découpages, piquages, étiquettes, cartes d’adresses, enveloppes en leurs applications multiples, billets de loterie, tickets d’expositions, factures, feuilles commerciales, affiches, prospectus : tout ça c’est du papier ayant un but déterminé, prenant des appellations diverses suivant l’usage auquel il se trouve destiné3 ». Bien qu’étant diffusés en masse, surtout au xixe siècle, ces objets de la vie quotidienne, à la fonction essentiellement utilitaire (consigner et/ou transmettre une information), ont une durée d’existence dépendante de l’intérêt social qui

Fig. 5 – Jules Chéret, Savon Crème aux sucs de roses & lys, Aimé Désiré Lavandier Marque de commerce et de fabrique déposée le 12 octobre 1871 par René Joly, parfumeur, au greffe du tribunal de commerce de Paris Étiquette, Imp. J. Chéret Rue Brunel Paris (bas), chromolithographie Archives Institut national de la propriété industrielle, 1MA23928 et 1MA23929

leur est porté. Échappant en partie au circuit de vente directe, pouvant être distribués, envoyés, offerts, « ces textes et ces images semblent plus que tous autres soumis à l’action du temps, dans la mesure où ils sont liés à l’actualité, ou en raison de leur apparence matérielle, plus que tous autres voués semble-t-il à la dispersion et à la disparition4 ». Comment expliquer l’intérêt des collectionneurs du xixe siècle pour ces menus objets ? Qu’est-ce qui est recherché à travers eux ?

1. Voir M. Audin, 1929. 2. Voir l’avant-propos de Michael Twyman dans A. Marshall et B. Mogila (dir.), 2001, p. 5. 3. J. Grand-Carteret, 1896, p. ii. 4. N. Petit, 1997, p. 32.

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Fig. 6 – Jules Chéret, Eau de jeunesse. Teinture progressive Aimé Désiré Lavandier, Paris London Marque de commerce et de fabrique déposée le 19 mars 1870 par Aimé Désiré Lavandier, parfumeur, au greffe du tribunal de commerce de Paris Étiquette, chromolithographie Archives Institut national de la propriété industrielle, 1MA12809

Fig. 7 – Jules Chéret, Parfumerie de la Société hygiénique. Savon Florida Marque de commerce et de fabrique déposée le 18 juillet 1881 par Louis Adolphe Ameline, employé, au greffe du tribunal de commerce de Paris Emballage, Imp. J. Chéret (bas), chromolithographie Archives Institut national de la propriété industrielle, 1MA41553

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L’imprimé et ses statuts : quels enjeux pour les collections d’éphémères ?

S

i l’époque est à l’imprimé, le papier en constitue le princi-

spécialisées. Symbolisant à lui tout seul le pouvoir de la presse,

pal vecteur. Un vecteur qui passe par différents états selon

cet âge du papier, tel qu’il apparaît à la une du Cri de Paris illus-

la technique employée : cette allusion au vocabulaire spécialisé

trée par Félix Vallotton en 1898, véhicule texte et image imprimés,

de l’estampe non seulement fait le titre de la présente exposi-

inscrivant le papier et l’imprimé dans un rapport de dépendance

tion et de son catalogue, mais marque un lien avec le métier

dont l’hégémonie ne saurait encore être remise en question.

d’imprimeur-lithographe exercé par Jules Chéret en même temps

Au regard du statut de ces images produites et reproduites, cir­

qu’il renvoie aux rudiments de la lithographie en couleurs.

culant sous différentes formes, comment comprendre l’acte de

Les épreuves d’état, ou épreuves d’essai, sont autant d’étapes

collection ? Avant d’aborder le regard et l’approche de Roger Marx

intermédiaires dans l’élaboration du rendu recherché par l’artiste.

en tant que collectionneur d’éphémères de Chéret, essayons de

Tirées à quelques exemplaires, ces planches imprimées consti-

situer plus largement ce type de collection au xixe siècle dans ses

tuent chacune une mémoire d’étape qui permet au praticien

implications sociales et matérielles.

d’exercer un contrôle en vue de ce qu’il souhaite obtenir au final. Du fait de leur rareté, ces épreuves sont aussi particulièrement prisées des collectionneurs. Considérer l’image imprimée dans tous ses états peut aussi être entendu dans un sens figuré, soulignant sa capacité à être reproduite ou déclinée sur des supports complémentaires (du programme de théâtre au billet d’entrée, par exemple) et la possibilité qu’elle a d’être relayée dans la presse comme dans les revues

Fig. 8 – Jules Chéret, Savon superfin aux violettes de Parme Aimé Désiré Lavandier Marque de commerce et de fabrique déposée le 12 octobre 1871 par René Joly, parfumeur, au greffe du tribunal de commerce de Paris Étiquette, Imp. J. Chéret Rue Brunel Paris (bas), chromolithographie Archives Institut national de la propriété industrielle, 1MA23930 et 1MA23931

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Fig. 9 – Jules Chéret, Parfumerie des fées. Sarah Félix Marque de commerce et de fabrique déposée le 26 avril 1872 par Sarah Félix, fabricante de parfumerie [sic], au greffe du tribunal de commerce de Paris Étiquette, lithographie Archives Institut national de la propriété industrielle, 1MA14917


Une démarche collectionniste en pleine expansion au xixe siècle

Du fait de leur omniprésence quantitative et du lien symbolique que ces petites choses entretiennent avec toute activité humaine, elles peuvent être promues en tant que sources historiques de

Si elle est réservée à quelques personnalités isolées dans les

connaissance, voire d’enseignement, à même de justifier de leur

années 1830-1840, l’activité du collectionneur évolue vers une

« utilité culturelle11 ». Ces « documents humains, directement

pratique sociale collective de grande ampleur après 1870. Baptisé

prélévé[s] sur le vivant12 », contribuent non seulement à légitimer

« collectionomanie5 » – autrement dit, tout peut faire collection –,

l’activité du collectionneur, dont l’entreprise de préservation et

le phénomène est souligné par Pierre Larousse comme l’« un

de valorisation de l’éphémère se situe alors à mi-chemin entre

des goûts qui sont appelés à caractériser plus spécialement ce

l’historien et l’iconophile, mais aussi à établir un rapport nouveau

siècle6 ». Dans les années 1885, le collectionnisme tourne à la

au passé. « L’histoire telle qu’elle se redéfinit au xixe siècle par

collectionnite autour du rassemblement et de la réunion d’objets

référence au document se révèle donc largement tributaire de

courants. C’est le cas des affiches illustrées en couleurs, « dont

la collection, comme mode de pensée et comme pratique spéci-

on sait qu’[elles] sont l’objet d’une concurrence très importante

fique de l’objet, en lien avec une conception déterminée du passé,

[entre collectionneurs]7 », si bien qu’« il en est qui, redoutant de

révolu, mais encore tangible dans des restes à préserver13. »

forcer l’entrée de la place, s’arrêtent, si je puis dire, à ces ouvrages

Comment se manifeste ce rapport au passé ? Comment s’exerce

extérieurs, collectionnant uniquement, mais avec une ardeur qui

cette médiation par l’objet ? Selon quels dispositifs ? C’est ce que

égale les petites choses aux grandes, les adresses, les cartes

nous allons essayer de comprendre à travers le regard de Roger

gravées, les billets d’invitation, les annonces ou programmes de

Marx (1859-1913), collectionneur de Chéret.

théâtre, les armoiries et les ex-libris8 ». Alors même que la matérialité de ces objets du quotidien autant que leur banalité sont dénoncées comme faisant d’eux des curiosités9, pourquoi faire de l’éphémère un objet de collection ? La question paraît irrémédiablement liée à « l’histoire des consom-

Approche d’un collectionneur de la première heure : Roger Marx

mations », qui, selon Maurice Roche, permet de mieux saisir que

De par son poids politique et ses convictions dans le domaine des

« le monde extérieur des objets n’est pas le lieu de notre totale

arts graphiques, Roger Marx a compté parmi les appuis les plus

aliénation mais le moyen d’un processus créatif ». C’est à travers

déterminants de Jules Chéret dans le processus qui l’a mené vers

lui qu’a lieu « la continuité du matériel et du symbolique, l’effort

une reconnaissance artistique. Mais, réciproquement, c’est en

d’intelligence et de travail cristallisé […], l’union des représenta-

écrivant la préface au catalogue de la première exposition per-

tions et des réalités10 ».

sonnelle de Chéret, en décembre 1889, que Marx manifeste pour la première fois sa prise de position en faveur de l’affiche illustrée en couleurs14 ; à cette occasion, comme en témoigne l’argus

5. Voir Françoise Hamon, « Collections : ce que disent les dictionnaires », dans Jean-Louis Cabanès et Dominique Pety (dir.), « La collection », Romantisme, no 112, février 2001, p. 55.

de presse de l’artiste15, le critique d’art est unanimement salué par ses confrères pour son acuité à rendre compte, à la suite de

6.vPierre Larousse, Grand Dictionnaire universel, 1866-1878, « Collection­ neur », t. IV, p. 601. 7. Anonyme, « Collectionneurs », L’Écho de Paris, 29 juin 1895, p. 5. 8. Henri Nogressau, « Invitation à la physiologie de l’iconophile et du marchand d’estampes », L’Art et l’Idée, t. I, 20 mars 1892, p. 186. 9. « En général, elles [les curiosités] touchent à l’art par quelque point, mais elles ne sont pas de l’art lui-même. […] On sent que la limite est difficile à tracer. Les costumes, les meubles, les bijoux, les armes, les porcelaines et les faïences, les produits de l’art industriel en un mot, sont essentiellement des curiosités. Les tableaux, les sculptures, les gravures doivent rester en dehors de cette classification » : voir Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel, 1866-1878, « Curiosité », t. IV, p. 683. 10. M. Roche, 1997, p. 16.

11. Dominique Pety, « La collection au xixe siècle : l’art chosifié », dans J.-Y. Mollier, P. Régnier et A. Vaillant (dir.), 2008, p. 140. 12. D. Pety, 2010, p. 28. 13. Ibid. 14. C. Méneux (dir.), 2006, notice 37, p. 100. 15. René Bordeau, Coupures de journaux relatives à Jules Chéret, quatre volumes in-4o, BnF, cabinet des Estampes (Yb3 1650), et deux carnets in-8o, BnF, cabinet des Estampes (Yb3 1657).

17


L’éphémère, de l’objet à la collection

Fig. 11 – Jules Chéret, Champs-Élysées, Jardin de Paris, Spectacle concert, Fête de nuit, Bal Réduction d’une affiche de 1890, chromolithographie, 29,1 × 21,7 cm Tiré à part d’une planche hors texte destinée à l’ouvrage d’Ernest Maindron Les Affiches illustrées, G. Boudet, 1896, entre les p. 78 et 79 Collection particulière, no 005

20


L’éphémère, de l’objet à la collection

22


U n pr éal ab l e à la co llect io n : l e s m arques d e l’ est ime r écip ro que

S

i l’on reconstitue l’implication de Roger Marx dans la défense

Grenier Goncourt3. Ce salon qu’Edmond de Goncourt lui-même

du travail graphique de Jules Chéret, la chronologie met en

envisage comme une « parlotte littéraire le dimanche4 » dispa-

avant deux types d’action : une valorisation par la citation systé-

raîtra peu de temps après, avec le décès du maître de cérémonie

matique et une diffusion par la création d’opportunités.

le 16 juillet 1896. Entre-temps, ce dernier a présidé le banquet donné en l’honneur de Chéret à la suite de sa nomination à l’ordre

Encourager Chéret à produire à tous les niveaux de la vie quotidienne

de la Légion d’honneur, en 18905. Marx, qui fait bien entendu partie des convives, est directement associé au succès de celui qu’il défend. Des extraits de la préface qui a constitué le texte du catalogue de la première rétrospective organisée sur l’œuvre de

Chronologiquement, c’est une lettre de Roger Marx envoyée à

Chéret en 18896 sont même publiés dans la presse en pendant de

Edmond de Goncourt en mai 1887 qui met ouvertement en évi-

l’événement7.

dence le rôle d’entremetteur que le critique d’art endosse à l’oc-

C’est depuis 1887 que, dans les colonnes du Voltaire notamment,

casion pour faciliter par ses appuis le lancement de projets édito-

Marx accompagne le parcours de Chéret, militant en faveur d’un

riaux ou patrimoniaux dans lesquels Chéret est partie prenante.

renouveau de l’ensemble des techniques de gravure : « Pourtant

À l’adresse de l’aîné des Goncourt, Marx rédige ainsi une sorte

ce qu’on méprise là, ce qui se trouve ainsi conspué, c’est un art en

de rapport de ses tractations auprès de l’éditeur Hachette : « Je

pleine force, en plein épanouissement – c’est cet art du graveur

me suis entretenu hier, Maître, longuement avec M. Roussel de la

dans lequel nous comptons des maîtres – Bracquemond, Legros,

Maison Hachette d’une édition des Frères Zemganno illustrée par

Gœneutte, Buhot, Chéret8 » ; « Aux collaborateurs de la première

Chéret ; l’idée n’est pas sans lui paraître heureuse ; il doit en parler

heure ne tarderont pas à s’ajouter, j’imagine, des lithographes

à M. Fouvet, qui décide ces sortes de publications, et me convo-

tels que Fantin-Latour, Chéret, Lunois ; les aqua­fortistes Buhot,

quer à un second rendez-vous où la question sera définitivement

Guérard ; les pointeséchistes Desboutin, Norbert Gœneutte ;

tranchée. M. Fouvet étant absent jusqu’au 10 mai, je vous deman-

des graveurs au burin comme Burnet, ou des graveurs sur bois

derai, Maître, de ne point encore parler à d’autre éditeur de votre

comme Florian, Léveillé9 ». Cet appel à la reconnaissance de

désir. Ce me serait un si grand plaisir de me tirer avec honneur de

l’estampe originale se double d’un attachement permanent à

la mission dont vous m’avez bien voulu charger1. »

n’omettre aucun de ses représentants. Chéret, qui occupe une

La démarche même de Marx souligne son implication à vouloir initier et matérialiser par l’édition un dialogue entre l’un des piliers de la littérature de l’époque et un producteur d’images de masse dont la notoriété ne peut qu’être favorisée par cette proximité. Même si le projet d’illustration ne verra finalement pas le jour2, Chéret comptera, encore en 1895, parmi les habitués du

3. « Le 1er février 1885, Edmond de Goncourt inaugure ce qu’il appelle son Grenier. Il a fait aménager dans la chambre où est mort son frère, au second étage de son hôtel particulier, à Auteuil, un espace pour recevoir, tous les dimanches après-midi, ses amis et disciples » : A. Martin-Fugier, 2003, p. 200. 4. Voir E. de Goncourt, 1989, « Mardi 18 novembre [1884] », p. 1115. 5. Horatius, « Le banquet de Jules Chéret », La Gazette des beaux-arts, 15 avril 1890.

1. LAS de Roger Marx à Edmond de Goncourt, début mai 1887. BnF Manuscrits, NAF 22469, fol. 178-179. 2. Le roman Les Frères Zemganno, édité chez Charpentier en 1879, ne semble pas avoir connu de nouvelle édition avant celle de 1909 chez Pierre Lafitte, illustrée par J. Wély.

6. Roger Marx, « Jules Chéret », préface, exp. Paris, 1889. 7. Voir par exemple Anonyme, « Le banquet Chéret », Journal des artistes, 20 avril 1890. 8. Roger Marx, « Les estampes du siècle », Le Voltaire, 22 octobre 1887, p. 1. 9. Roger Marx, « L’estampe originale », Le Voltaire, 17 juillet 1888, p. 2.


L’éphémère, de l’objet à la collection

place de choix, continue de susciter l’attention de Marx tant en

fait partie des individualités dont Marx entend bien spécifier la

répondant à des commandes liées à son entourage qu’en parti-

singularité, comme l’indique le sous-titre de son compte rendu à

cipant à des manifestations culturelles dont le critique assure la

la section « Décoration architecturale et industries d’art : les ten-

promotion dans la presse.

dances et les singularités » de l’Exposition universelle de 1889.

Le motif qu’il réalise pour le menu de la Vrille est un témoignage

Il va même jusqu’à appeler de ses vœux que l’on confie à Chéret

concret de cette proximité10. Aux yeux du romancier et critique

une commande officielle : « On s’étonne que la pensée ne soit

d’art Jules Claretie, l’association joue un rôle de tremplin pour la

venue à aucun d’eux [les dessinateurs de papier peint] de réclamer

jeune génération : « Le dîner de la Vrille, dont les invitations se font

l’appui d’un pareil collaborateur, de demander à Chéret quelque

chaque mois, sur une carte gravée, par un artiste (et quelques-

modèle, où éclateraient bien haut sa verve entraînante, son senti-

unes de ces compositions sont de petits chefs-d’œuvre), est,

ment primesautier de la vie, du mouvement, des couleurs16. » Ce

depuis deux ans, ouvert aux jeunes artistes destinés à percer11. »

souhait est relayé par le critique d’art Philippe Burty, comme l’at-

Aux côtés des peintres Paul Berton, Eugène Carrière, Édouard-

teste la correspondance entre les deux hommes : « Il y a quelques

Louis Dubufe, Félix Régamey et Alfred Roll, du comédien Coquelin

semaines, étant membre de la Commission de la décoration de

Cadet et des critiques Frantz Jourdain et Roger Marx, Jules

l’Hôtel de Ville, en remplacement de H. Rochefort, j’ai poussé une

Chéret est mentionné en 1889 comme étant membre de cette

pointe audacieuse à ces Messieurs : j’ai proposé Chéret pour une

association .

surface à décorer. Quelques poils en ont blanchi17 ! » Alors que

Marx n’omet pas non plus de le citer à l’occasion d’expositions

l’artiste ne recevra la commande officielle qu’en 1896, au terme

12

dont il couvre l’inauguration, comme celle de la Société des

de longues discussions18, le programme décoratif fixé reprend les

peintres-graveurs (« Voici ouverte l’exposition que je réclamais il

thèmes qu’il a déjà déployés dans le cadre de panneaux décora-

y a tantôt six mois13 ») ou encore celle des aquarellistes14, où il est

tifs, et pour lesquels Marx a mobilisé un remarquable dispositif

question du portrait de Chéret lithographié par Albert Besnard

médiatique. Purement iconographiques, ces quatre placards sont

(fig. 1). Le critique distille des encouragements, forge ses argu-

des chromolithographies arborant chacune des thèmes chers

ments au contact de la diversité des styles graphiques qu’il a

à Chéret, à savoir la comédie (fig. 15), la pantomime (fig. 16), la

sous les yeux et derrière lesquels des individualités émergent.

musique (fig. 17) et la danse (fig. 18), représentés par des allé-

Conscient que Chéret produit à une échelle industrielle, il insiste

gories. Marx salue l’édition de ce qu’il nomme des « papiers de

sur la destination de ses lithographies – dans la rue, les lieux

tenture » d’abord dans la Revue encyclopédique le 15 décembre

publics – à travers un art qui orchestre lui-même sa propre vulga-

189119 puis dans Le Voltaire trois jours plus tard, en reprenant

risation par l’entremise de la réclame et du commerce : « Les res-

exactement le même texte, les illustrations en moins20.

sources de l’impression, un maître de l’estampe contemporaine les a popularisées, et de l’œuvre de Chéret il sera loisible d’ap-

Page de droite

prendre par quels moyens nos faiseurs de tentures pourraient

Fig. 15 – Jules Chéret, La Comédie, 1891

reconquérir leur prestige d’antan15. » La personnalité de l’artiste

Panneau décoratif, 125 × 88 cm, chromolithographie, signé, Imp. Chaix, (Ateliers Chéret), 20 rue Bergère (Paris) (bas gauche) BnF, cabinet des Estampes, ENT TB-3 (1)-ROUL

10. Voir BnF, cabinet des Estampes, DC-329 (7)-FOL. 11. J. Claretie, 1881-1886, p. 32. 12. Cette liste est mentionnée dans le cadre du 70e dîner de la Vrille le 22 avril 1889 au Restaurant américain, 2, boulevard des Capucines, à Paris. Voir musée du Louvre, département des Manuscrits, « Notes et écrits divers relatifs à Eugène Carrière ». 13. Roger Marx, « Les peintres-graveurs », Le Voltaire, 29 janvier 1889, p. 2. 14. Savenay [Roger Marx], « Bulletin artistique », Le Voltaire, 6 février 1889, p. 2. 15. Roger Marx, « L’art à l’Exposition universelle. VI. La décoration architecturale et les industries d’art : les tendances et les individualités », L’Indépendant littéraire, no 21, 1er novembre 1889, p. 494.

26

16. Ibid. 17. LAS de Philippe Burty à Roger Marx, 21 février 1890. BINHA, archives 016 Roger Marx, correspondance, carton 112. 18. Daniel Imbert, « Les décors de l’Hôtel de Ville », dans Le Triomphe des mairies. Grands décors républicains à Paris 1870-1914, Paris, musée du Petit Palais, 1986, p. 445. 19. Roger Marx, « Les papiers de tenture de Jules Chéret », Revue encyclopédique, t. I, no 25, 15 décembre 1891, p. 860-861, article no 1082. 20. Roger Marx, « Les papiers de tenture de Jules Chéret », Le Voltaire, 18 décembre 1891, p. 2.


Un préalable à la collection : les marques de l’estime réciproque

27


L’éphémère, de l’objet à la collection

30


Dans l’intimité de la collection : du récit à l’archéologie

C

ette médiation de l’objet qu’institue la collection relève de

collection en 1914 met en évidence l’attachement du collection-

l’intimité par « l’intégration réciproque de l’objet et de la

neur pour l’œuvre dessiné de Chéret. Une liste dactylographiée

personne1 ». Un tel niveau relationnel constitue pour une person-

dresse un inventaire succinct de croquis, d’études préparatoires

nalité comme Roger Marx une limite à l’évocation, à la mise en

et autres dessins, déroulant un classement d’ordre quantitatif en

récit. « Maître d’un sérail secret, l’homme l’est par excellence au

fonction de leur emplacement dans l’appartement du critique6.

sein de ses objets . » La réserve qu’il entretient dans ses écrits

L’inventaire mentionne ainsi « un petit pastel par Chéret » dans

autour de sa propre collection représente la pierre d’achoppe-

la grande galerie, une « danseuse » dans la salle à manger, « trois

ment d’une rhétorique qui l’éloigne des autres collectionneurs,

sanguines dans un cadre » au mur du petit salon, « dix aquarelles

au profit de sa sensibilité. « Quelle que soit l’ouverture d’une col-

et croquis, ainsi que mon portrait par le même » dans le meuble

lection », dit Baudrillard, « il y a en elle un élément irréductible

du fond de la galerie jaune et, enfin, « un galvano » dans la com-

de non-relation au monde3. » C’est ce discours à soi-même que

mode Louis XIII contenant des médailles. Sont également signa-

nous souhaiterions tenter d’esquisser dans la constitution d’une

lés, parmi les « tableaux exposés encadrés », Le Moulin-Rouge

collection d’éphémères autour de Chéret.

– qui est probablement le pastel intitulé La Descente du Moulin-

2

Rouge au no 109 du catalogue de vente – ainsi que Farandole,

Origine et récit d’une collection d’éphémères

dont le descriptif semble correspondre au pastel no 108, désigné comme La Petite Danseuse jaune dans ce même catalogue. « Trois études à l’huile dans un cadre » achèvent l’ensemble constitué

L’attention que Roger Marx accorde à la production graphique

des « tableaux exposés encadrés », sans qu’il soit possible de les

de Jules Chéret est en réalité antérieure aux premières prises

identifier.

de parole de 1887. Elle relève d’une pratique qui touche à l’intime

Comment comprendre l’entreprise d’une telle collection si ce

chez lui : la collection.

n’est à l’aune de l’analyse de Roger Marx lui-même ? Son intérêt

Sachant que son père, Émile Marx, avait constitué une collection

pour le dessin de Chéret rend compte de la cohérence de son œil

d’affiches depuis le milieu des années 1880, qui contenait « une

averti de collectionneur autant que de la pertinence de son juge-

belle série d’œuvres de Chéret4 », Roger Marx y a non seulement

ment en matière de critique d’art. Les croquis, les études et les

été familiarisé dès son plus jeune âge, mais, étant lui-même col-

estampes cités à l’instant se définissent par une pluralité de tech-

lectionneur, il concevait cette relation à l’objet de manière si per-

niques (pastel, sanguine, aquarelle, galvanotypie) dont Chéret

sonnelle que « seules des mentions éparses dans sa correspon-

explore les possibilités graphiques, contribuant à renouveler leur

dance et dans quelques textes nous renseignent sur la genèse de

emploi, en termes plastiques comme par le choix des sujets. À

sa collection et sur la conception qu’il en avait5 ». La consultation

propos du pastel, Marx explique qu’« au vieux procédé français,

de ses archives à la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de

Chéret réserve ses plus riantes images » et qu’« entre de telles

l’art confrontée au catalogue de vente qui a vu la dispersion de sa

mains […], le pastel devait se rajeunir7 ». En matière d’imprimés, un reçu à l’en-tête du marchand d’estampes Edmond Sagot signale l’achat en 1902 par Roger Marx

1. J. Baudrillard, 1968, p. 126. 2. Ibid., p. 125. 3. Ibid., p. 149. 4. C. Méneux (dir.), 2006, notice 37, p. 100.

6. Voir inventaire dactylographié, en onze feuillets, de la collection de Roger Marx, BINHA, archives 016, carton XXII-5, dossier 2.

5. Catherine Méneux, « Roger Marx, collectionneur », ibid., p. 31.

7. Roger Marx, « Jules Chéret », préface, exp. Paris, 1889, p. viii.


L’éphémère, de l’objet à la collection

d’un lot de petites pièces de Chéret (fig. 24). Aucune information supplémentaire ne permet d’en détailler le contenu ni d’étayer que ces éléments constituent le lot no 345. Composée de « couvertures, titres de romances, cartes d’invitations, menus, programmes, réductions d’affiches, affiches, éventail, etc. », cette vente publique a lieu le 28 avril 1914, au titre du Catalogue des estampes modernes composant la collection Roger Marx. Néanmoins, que ce soit en termes quantitatifs ou par les différents médias qui le composent, cet « ensemble de 160 pièces, [dont] la plus grande partie en épreuve d’essai », serait susceptible de rejoindre l’esprit de la collection qui fait l’objet de la présente publication. Fig. 24 – Reçu d’achat de petites pièces BINHA, archives 016 Roger Marx, carton 21-5, « La Collection Roger Marx », dossier 3, « Achats auprès des marchands »

Description globale et archéologie de la collection actuelle Formée de 175 pièces, la collection actuelle est composée pour plus de la moitié de cartes publicitaires, de titres de musique, de programmes, de couvertures de romans, de menus et de réductions d’affiches, qui font la part belle aux épreuves d’essai. L’autre moitié est constituée majoritairement de cartes d’invitation et de billets d’entrée, auxquels il faut ajouter des couvertures de revues et des défets d’illustrations issus de la presse. Selon son propriétaire actuel, cette collection a été acquise en l’état, en une seule fois, il y a trente-cinq ans, auprès d’un marchand de gravures installé à Nancy et sur le point d’arrêter son activité. Alors étudiant en histoire de l’art, le futur propriétaire se trouve dans la boutique de cet homme alors que ce dernier est en discussion avec un confrère à propos de l’achat de son fonds de commerce. La négociation aboutit à un accord concernant la totalité des pièces, à l’exception des estampes du xixe siècle, dont l’intéressé ne souhaite pas être acquéreur. Après son départ, le marchand, qui entend vendre son reliquat, en propose l’achat au jeune étudiant, qui l’informe du caractère limité de ses moyens financiers. Après lui avoir demandé de combien il disposait sur son compte, le marchand propose à l’étudiant de choisir ce qu’il voudra pour cette somme. Le jeune homme prend des cartons sur lesquels sont inscrits des noms d’artistes du xixe siècle. L’un porte la mention « Chéret ». Le marchand l’informe que les pièces qu’il contient sont de la main de cet artiste, la plupart en épreuve d’essai, et qu’elles proviennent de la vente Roger Marx de 1914 ; elles représenteraient le reste de ce qui n’a pas été acheté à cette occasion. Selon lui, ces petites estampes ont été dissociées

38


Les images de ChĂŠret, une visibilitĂŠ exemplaire

42


L’imprimé et ses statuts : quels enjeux pour les collections d’éphémères ?

Les images de Chéret, une visibilité exemplaire

Jules Chéret, Le Punch Grassot se trouve dans tous les Grands cafés Détail (fig. 88)

43


L

a connaissance qu’a Roger Marx de l’œuvre de Jules Chéret est à ce point remarquable que, dès 1889, il signale

l’existence d’un système régissant l’iconographie et le style de ses compositions : « Une idée générale, un système domine et règle cette fantaisie, système d’un satiriste qui toujours voudra mettre en contraste le rude avec le délicat, le vulgaire avec le raffiné, le grossier avec le charmant1. » Ce système qui puise sa verve, son énergie, de l’opposition des masses, dans un dessin nerveux, souvent proche de la caricature, joue également à plein à travers les rappels de motifs d’un support à un autre. Entretenant l’impression d’un univers visuel qui effectue en permanence une révolution sur lui-même, c’est ainsi que les mêmes éléments d’iconographie déployés par Chéret peuvent se rencontrer à des moments distincts de sa carrière dans des fonctions qui n’ont plus rien de commun avec l’inspiration qui les a vus naître. La collection particulière que nous présentons permet d’observer ce premier niveau de circulation entre la variante des motifs et la déclinaison des supports.

1. Roger Marx, « Jules Chéret », préface, exp. Paris, 1889, p. v.

Un univers visuel fondé sur la variante des motifs et la déclinaison des supports

L

a différence d’iconographie, de composition et aussi d’impression qu’il faut entendre derrière le terme « variante » est

généralement liée à un phénomène de déclinaison, c’est-à-dire à un changement de support. Cependant, la production de Chéret compte quelques exemples pour lesquels la destination de l’imprimé n’a pas entraîné la moindre variation. Les couvertures de romans publiés chez Émile Lévy présentent la même composition (iconographie et impression comprises) que les affiches de librairie qui ont été réemployées comme telles pour annoncer la sortie de ces titres. Leur composition en trois parties, correspondant à la première de couverture, au dos et à la quatrième de couverture, ne fait aucun doute sur leur destination première (fig. 30, 31 et 32).

Fig. 30 – Jules Chéret, Graine d’horizontales de Jean Passe, c. 1885

1. Roger Marx, « Jules Chéret », préface, exp. Paris, 1889, p. v.

Couverture, signée, Imprimerie Chaix (succle Chéret) 18, rue Brunel Paris (bas 4e de couv.) Chromolithographie, 19 × 29 cm Collection particulière, no 051


Fig. 31 – Jules Chéret, Le Bureau du commissaire de Jules Moinaux, 1886 Couverture, signée, Imprimerie Chaix (succle Chéret) 18, rue Brunel Paris (bas 4e de couv.) Chromolithographie, 20 × 29,8 cm Collection particulière, no 059 Fig. 32 – Jules Chéret, Beaumignon de Frantz Jourdain, 1886 Couverture, signée, Imprimerie Chaix (succle Chéret) 18, rue Brunel Paris (bas 4e de couv.) Chromolithographie, 20 × 29,6 cm Collection particulière, no 058

45


Les images de ChĂŠret, une visibilitĂŠ exemplaire

58 Fig. 52


L’imprimé et ses statuts : quels enjeux pour les collections d’éphémères ?

59 Fig. 53


Un univers visuel fondé sur la variante des motifs et la déclinaison des supports

Fig. 74 – Jules Chéret, La Femme de Ch. de Condé, Vanier Éditeur, c. 1891 [d’après la bibliographie] Première de couverture, signée Lithographie en bistre et encre blanche, 23,7 × 17,6 cm Biblio : un autre exemplaire dans la collection Dutailly est daté de 1891. Cette composition a été republiée dans Le Courrier français, no 20, 14 mai 1893, p. 9 Collection particulière, no 063 Œuvre exposée

71


Un univers visuel fondé sur la variante des motifs et la déclinaison des supports

Fig. 77 – Jules Chéret, 18 Rue Saint-Lazare, Cercle funambulesque, 4 décembre 1888 [d’après la bibliographie] Première de couverture de programme, signée Lithographie en sépia et encre blanche sur fond beige, 12,8 × 21 cm Biblio : BnF, Arts du spectacle, 8-RO-11540 Collection particulière, no 001

73


Des relais médiatiques et publicitaires pour des œuvres multiples de « découvreur de talents et d’amateurs d’art2 » qui a été le sien à propos de Chéret : « Il est passé le temps où je soulevai des étonnements – il y a cinq ans – en regardant comme de parfaites œuvres d’art les affiches d’une semaine ou deux au plus. De l’art cela, qui ne se trouvait après aucun tourniquet, dans aucune exposition officielle et même indépendante, impressionniste, tachiste, cloisonniste, synthétiste – de l’art, ces feuilles peintes3. » Aussi Champsaur s’empresse-t-il d’insister en particulier sur l’œuvre d’illustrateur de Chéret à travers les exemples de ses propres publications. « Pour ma part, cherchant une variante, je lui demandai d’appliquer cette verve épanouie sur les murs, en de moindres dimensions pour des illustrations et des couvertures de livres (mais des affiches aussi, par exemple pour un roman : L’Amant des danseuses [fig. 90 et 92]. Ensuite pour une pièce : La Gomme [fig. 91])4. » Ces titres, qui correspondent à des ouvrages écrits par Fig. 90 – Jules Chéret, En vente chez tous les libraires. L’Amant des danseuses. Roman moderniste par Félicien Champsaur, 1888 Affiche de librairie, Imp. Chaix (succ. Chéret) 20 Rue Bergère (bas droite), signée et datée Chromolithographie, 128 × 93 cm, BnF, cabinet des Estampes, ENT DN-1 (Chéret, Jules/51)-ROUL

Champsaur et pour lesquels Chéret a réalisé des couvertures déclinées en affiches de librairie5, rendent explicite la démarche du critique. Non seulement ce dernier se place à l’initiative de la collaboration avec l’affichiste, mais encore il justifie a posteriori son choix d’avoir fait appel à lui : « Si on parlait un peu du roi de l’affiche ? […] Aujourd’hui, sa prééminence est reconnue6. »

D

Manifeste, cette collaboration, qui correspond à cinq ouvrages ans le cadre de notre thèse, un recensement exhaustif des

auxquels s’ajoutent des couvertures illustrées7, est mise en évi-

coupures et des discours constituant l’argus de presse de

dence à la manière d’un retour sur investissement par Champsaur.

Jules Chéret a été effectué. Il en ressort que les premiers critiques qui ont manifesté leur soutien à l’égard de son œuvre l’ont fait à travers la presse quotidienne. À ce titre, l’écrivain et journaliste

2. D. Pauvert-Raimbault, 2010, p. 23.

Félicien Champsaur (1858-1934) fait figure de précurseur.

3. Félicien Champsaur, « Jules Chéret », L’Événement, 22 septembre 1889.

Chroniqueur au Figaro dès 1879 et à L’Événement depuis

4. Félicien Champsaur, « Jules Chéret », L’Événement, 19 septembre 1889.

de Chéret avec la publication de cinq articles entre 1885 et 18901.

5. Voir les descriptions des affiches pour L’Amant des danseuses et La Gomme par Ségolène Le Men dans « L’œuvre de Chéret en résonance », dans R. Bargiel et S. Le Men (dir.), 2010, p. 68 et 71.

C’est ainsi qu’en 1889, quelques mois avant la première rétro­

6. Félicien Champsaur, « Jules Chéret », L’Événement, 19 septembre 1889.

spective consacrée à l’affichiste, il n’hésite pas à souligner le rôle

7. Jules Chéret illustre Lulu (pantomime en un acte), Les Bohémiens, La Gomme (tous trois parus chez E. Dentu, en 1887, 1888 et 1889), La Chanson du moulin à vent (Simonis Empis, 1897) et Lulu, roman clownesque (E. Fasquelles, 1900). Il réalise également les couvertures illustrées de Dinah Samuel, Entrée de clowns (1886), Les Bohémiens (1887), L’Amant des danseuses (1888), Les Étoiles (1888), Lulu, pantomime en un acte (1887).

1884, Champsaur y inaugure un engagement critique en faveur

1. Le Figaro, 16 mai 1885, L’Événement, 25 août 1888, 19 et 22 septembre 1889 et 1er janvier 1890.

86


Fig. 91 – Jules Chéret, En vente chez tous les libraires. La Gomme par Félicien Champsaur, 1889

Fig. 92 – Jules Chéret, Félicien Champsaur, L’Amant des danseuses. E. Dentu. Éditeur, 1888

Affiche de librairie, Imp. Chaix (succ. Chéret) 20 Rue Bergère (bas droite), signée Chromolithographie, 89 × 124 cm BnF, cabinet des Estampes, ENT KB-1 (3)-ROUL

Première de couverture, signée, Lithographie en bistre et encre blanche, 20 × 14,5 cm Bibliothèque des Arts décoratifs, Album Maciet 281-34

En demandant à Chéret de composer des couvertures illustrées

Champsaur est emblématique des tendances formelles du maga-

comme des affiches, l’écrivain-journaliste a fait montre de ses

zine en France jusqu’en 1914. Bien que la collection particulière ne

connaissances en matière de presse illustrée. Baignant dans une

contienne pas de référence à l’écrivain-journaliste dans les élé-

culture où l’économie marchande conditionne la mise en page

ments qui la composent, Champsaur, par sa personnalité et les

du journal, il s’est réapproprié « l’image périodique » au point de

projets menés avec Chéret, permet d’établir un lien entre deux

raisonner en termes d’impact visuel. Il en a communiqué l’idée

types de presse : la revue illustrée à caractère bibliophile, comme

à Chéret pour qu’il la mette en pratique. Ce dernier, qui est à ses

Les Maîtres de l’affiche (1895-1900), et le journal illustré à carac-

yeux autant artiste qu’industriel , a réussi à donner à la couver-

tère publicitaire, à l’exemple du Courrier français (1884-1914) ;

ture de roman les attributs d’une affiche en les confondant. Ce

tous deux étant, par leur présence dans cette collection, les axes

trait d’union constitue une sorte de raccourci qui anticipe l’usage

à travers lesquels nous souhaiterions poursuivre la réflexion.

8

actuel de la couverture de livre présentée telle quelle par voie d’affiches, et dont la force évocatrice conserve des accointances avec la une du journal. C’est cette démarche d’influences média-

Du Courrier français aux Maîtres de l’affiche

tiques des supports entre eux qui peut être entendue dans les propos de Champsaur. Elle marque un aspect du phénomène de

Pivot d’une presse illustrée dont il encourage les pratiques et qui

relais dans lequel les images de Chéret sont partie prenante.

contribue à nourrir son approche littéraire9, Champsaur cherche

Mais ce relais à travers la presse n’est-il pas au fond un prétexte

à diversifier le visage de ses textes, en publiant les illustrations

à multiplier encore et encore les mêmes images, dès lors qu’un

issues de ses livres sous forme de variantes dans la presse. Pour

journal les reproduit ou s’en fait l’écho ? De ce point de vue,

cela, il fait généralement appel aux auteurs de ces compositions

8. « Suprême artiste : Jules Chéret […] fabricant d’affiches, [c’]est un dessinateur extraordinaire absolument hors de pair, et à la fois un maître imprimeur » : voir Félicien Champsaur, « L’imagerie parisienne », Le Figaro, 16 mai 1885.

9. « Champsaur, lui, dépasse l’opposition [qui confine le journalisme à l’aspect mercantile de la littérature] et montre qu’une inspiration artistique peut également naître de la presse » : voir D. Pauvert-Raimbault, 2010, p. 49.

87


Des relais médiatiques et publicitaires pour des œuvres multiples

Fig. 102 – Jules Chéret, Saxoléine, pétrole de sûreté extra blanc, déodorisé, ininflammable en Bidons plombés de 5 litres, 1896 Réduction d’affiche, Imprimerie Chaix (Ateliers Chéret) Rue Bergère, 20. Paris. 254.96. (Encres Lorilleux) (bas gauche) Héliogravure de Ch. Devaux (bas droite), 32,1 × 24,9 cm Paru dans Le Courrier français, no 4, 26 janvier 1896, p. 11 Collection particulière, no 099 Œuvre exposée

93


Des relais mĂŠdiatiques et publicitaires pour des Ĺ“uvres multiples

97


Des œuvres à la construction du mythe

D

epuis 1885, date du début de son argus de presse, Chéret fait non seulement l’objet de récits en rapport avec sa bio-

moins bio-bibliographique. Le ton satirique de la publication est directement hérité de son fondateur, le dessinateur André Gill2.

graphie, mais surtout, de manière beaucoup plus étonnante, les

Le portrait-charge de Choubrac montre Chéret sensiblement à la

critiques s’attachent à le décrire physiquement. Cet aspect qui ne

même époque que celle qui a vu la publication de sa description

laisse d’interpeller durant la lecture en continu des coupures de

physique dans Le Gaulois. Le texte qui l’accompagne présente à

presse s’accompagne de portraits iconographiques, placés ponc-

peu de chose près les mêmes arguments : « M. Jules Chéret est

tuellement en illustration des articles. Pourquoi les critiques ont-

un beau et grand gaillard, un véritable gentleman. Il a rapporté

ils insisté à ce point sur la physionomie de Chéret, alors qu’il est

d’Angleterre une rectitude d’allures qui ne se dément jamais.

lui-même décrit comme quelqu’un de modeste ? Au-delà d’une

L’œil est affectueux et doux, énergique et fier. » La position dans

volonté de le faire connaître en même temps que son œuvre et, en

laquelle il est représenté, accoudé sur une pierre lithographique,

cela, de participer à son ascension artistique et sociale, comment

un porte-crayon surdimensionné posé à ses côtés, éclaire le

expliquer le maintien de cette pratique dans la presse au-delà de

spectateur sur sa profession (fig. 133). Cependant, son attitude

sa mort ?

décontractée – une main sous le menton, le regard franc, les sourcils légèrement froncés, l’autre main pratiquement dans la

Le maître et ses portraits

poche, déhanché, les jambes croisées, en appui sur un pied – dénote une certaine familiarité qui contraste avec « la rectitude d’allures » mentionnée à l’instant. Pour l’auteur du texte d’ac-

Le premier article à dresser un portrait physique de Chéret est

compagnement, cela mérite explication : « Alfred Choubrac, et

placé dès le début de son argus de presse. Tiré du Gaulois, il date

nous ne voulons pas le contrarier sur ce point, admet que pour

de 1885 et inaugure la pratique d’une longue série. « Jules Chéret

les dessinateurs d’affiches, tous artistes expérimentés et pour

est un grand beau garçon, tenant droite sa tête énergique et bron-

lesquels la pierre lithographique n’a plus de secrets, le dessin est

zée aux cheveux rejetés en arrière, poivre et sel ; la moustache

un jeu3. » D’où la pièce de domino situé à l’arrière-plan face à un

noire et fine renforce le rictus vaillant de la bouche ; la main, ner-

Chéret confiant et sûr de lui. Et le commentateur d’enchérir : « De

veuse et nouée de veines apparentes, comme la main d’un sculp-

là à croire que ce jeu est comparable à celui des Dominos, il n’y

teur, explique la mâle facture du dessinateur1. » Pour l’époque, ce

a qu’un pas ; Choubrac le franchit, et c’est pourquoi, de propos

portrait détonne avec l’âge de l’affichiste, qui a alors quarante-

délibéré, la charge qu’il nous a généreusement offerte représente

neuf ans.

Chéret appuyé sur le double six. Il exprime ainsi d’une manière

Un peu plus tôt, Alfred Choubrac réalise son portrait en pied pour

aussi originale qu’inattendue que Chéret est le plus fort4. »

la série biographique illustrée Les Hommes d’aujourd’hui, éditée depuis 1885 par Léon Vanier. Le principe de cette revue de quatre pages est de placer en couverture le portrait en couleurs d’une personnalité contemporaine et de le faire suivre d’un texte plus ou 2. Le journal Les Hommes d’aujourd’hui, publié par l’éditeur Cinqualbre, commence sa parution en septembre 1878 et s’arrête en 1899, après 470 livraisons. Champsaur rédige les trente premiers numéros, jusqu’en 1880. Puis Gill poursuit la publication jusqu’en 1883 avec le même éditeur. Le journal est repris par Léon Vanier, qui obtient la participation de Paul Verlaine et d’autres écrivains jusqu’en 1899. Voir Annick Chauvière, « Les Hommes d’aujourd’hui », dans J.-M. Place et A. Vasseur, 1977, p. 90-135. 3. Pierre ou Paul, « Jules Chéret », Les Hommes d’aujourd’hui, no 275, c. 1885, dernière page [non paginé]. 1. Tout-Paris, « Le carnaval des murs », Le Gaulois, 24 juillet 1885.

4. Ibid.


Fig. 133 – Alfred Choubrac, caricature de Jules Chéret, in Les Hommes d’aujourd’hui, no 275, c. 1885 Première de couverture, gravure de Rougeron Vignerot, 29,2 × 20,3 cm Collection particulière, no 086 Reproduit dans l’exposition

123


Les images de ChĂŠret, une visibilitĂŠ exemplaire

134


L’imprimé et ses statuts : quels enjeux pour les collections d’éphémères ?

Annexes

Jules Chéret, Saxoléine, Pétrole de sûreté, 1894 Carte publicitaire, signée et datée Chromolithographie, 14,5 × 10 cm Texte publicitaire sur le produit au verso Collection particulière, no 096 Détail

135


Biographie des principaux noms cités Henri Beraldi

de plats, d’assiettes, etc.) et est sollicité pour réaliser le décor

(Paris, 1849-Paris, 1931)

d’intérieurs de lieux publics (faculté de pharmacie de Paris, 18831886 ; hôpital de Berck-Plage, 1897-1901 ; amphithéâtre de chimie

Issu d’une famille d’origine italienne installée à Paris, Angelo-

de la Sorbonne, 1896 ; Comédie-Française, 1905-1913) et privés.

Ferdinand Beraldi est connu sous le nom de Henri Beraldi. En

Membre de l’Académie des beaux-arts à l’Institut de France

parallèle à des études de droit menées jusqu’en licence (1869),

(1912), directeur de la Villa Médicis (1913-1921), membre de

il entame une carrière de haut fonctionnaire au ministère de la

l’Académie française (1924), directeur de l’École nationale supé-

Marine, où il est promu chef de bureau en 1890. Bibliophile averti

rieure des beaux-arts (1922-1932), il est le premier peintre à faire

depuis 1872, il fonde, deux ans plus tard, la Société des amis des

l’objet de funérailles nationales sous la IIIe République.

livres, dont il est le président de 1901 à sa mort, et devient membre fondateur, en 1889, de la Société des bibliophiles contemporains, présidée par Octave Uzanne. Créateur de livres illustrés sur le

Félix Bracquemond

thème de Paris (onze volumes parus entre 1892 et 1916), initiateur

(Paris, 1833-Sèvres, 1914)

d’un mouvement en faveur de la reliure française de son époque (Marius-Michel, Mercier père et fils…), il possède l’une des trois

Si Auguste Joseph Bracquemond, dit Félix Bracquemond, reçoit

bibliothèques françaises les plus remarquables de l’entre-deux-

une formation de peintre au sein de l’atelier de Joseph Guichard

guerre. Il est aussi un ardent collectionneur d’estampes et de des-

au début des années 1850, c’est en graveur qu’il se considère dès

sins originaux : des portraits, mais aussi des « adresses, cartes,

1853, avec l’envoi au Salon d’un autoportrait le montrant avec les

billets d’invitation, ex-libris, armoiries, etc. » (voir Mes estampes.

outils nécessaires à la gravure. Ayant acquis ses connaissances

1872-1884, Lille, L. Danel, 1884, p. 4), dont les pièces sont dis-

techniques à la lecture de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert,

persées lors des ventes publiques des 12-13 décembre 1927, des

il s’est formé par lui-même et a théorisé ses propres réflexions sur

30 novembre et 1er décembre 1928 et du 31 mai 1930.

la nature du décor et de l’ornement dans de nombreux articles et publications. Proche d’Edmond de Goncourt, avec qui il partage

Albert Besnard (Paris, 1849-Paris, 1934)

son goût pour l’art japonais, il est l’un des premiers découvreurs en France d’Hokusai. S’inspirant de ses gravures aux motifs de fleurs et d’oiseaux, il entre dans l’atelier du céramiste Théodore Deck et réalise son premier service, Rousseau, qu’il présente à

Admis à l’École des beaux-arts en 1866 dans la section peinture,

l’Exposition universelle de 1867. Entretemps, sa maîtrise de l’eau-

Grand Prix de Rome en 1874, il fait la connaissance des principaux

forte et de la lithographie est unanimement reconnue, si bien qu’il

tenants du mouvement préraphaélite en Angleterre (1881-1884)

fonde en 1862 la Société des aquafortistes. Proche des person-

à l’issue de son séjour à la Villa Médicis (1875-1878). Constitué

nalités de la Nouvelle Athènes, il encourage Jean-Baptiste Corot,

de nombreux portraits, son œuvre peint fait l’objet de cata­logues

Jean-François Millet, Édouard Manet, Edgar Degas et Camille

de son vivant ; une monographie par son biographe, Frantz

Pissaro à s’essayer à la gravure. Alors qu’il participe à la première

Jourdain, est même publiée en 1888 (Le Peintre Albert Besnard,

manifestation, chez Nadar en 1874, des futurs impressionnistes, il

Paris, Boussod-Valadon). Besnard est l’auteur de plusieurs séries

est à la tête de l’atelier de recherche que la manufacture de porce-

d’eaux-fortes et de pastels, auxquelles Roger Marx rend hom-

laine Haviland a ouvert à Paris, dans le quartier d’Auteuil. De 1872

mage, notamment en 1893 (The Painter Albert Besnard, Biography

à 1881, des services de table et des pièces de céramique uniques

with Original Etchings and Illustrations after His Pictures, Paris,

sont exécutées par lui ou sous sa direction. Nommé président

A. Hennuyer). À partir de 1880, il s’illustre dans le domaine des

d’honneur de la Société des peintres-graveurs français (1890)

arts décoratifs (vitraux, cartons de tapisserie, décors de pianos,

et de la Société des peintres-lithographes (1895), il continue de


répondre à des commandes dans le domaine des arts décora-

John Grand-Carteret

tifs : mobilier, tapisserie, broderie, orfèvrerie, verre, reliure, dont

(Paris, 1850-Paris, 1927)

certaines pièces ont été exécutées autour de 1900 pour le baron Vitta à destination de sa villa La Sapinière d’Évian, chantier qui

Écrivain, journaliste, critique d’art, collectionneur, Antoine-Henry

implique également Auguste Rodin et Jules Chéret.

Grand, connu sous le pseudonyme de John Grand-Carteret, ­commence sa carrière en Suisse. Fondateur à Genève de La Trique

Félicien Champsaur (Turriers, 1858-Paris, 1934)

fédérale (1872), il dirige dès 1876 la Revue suisse des beaux-arts, d’archéologie, de littérature et de bibliographie et donne des conférences à l’université de Genève jusqu’en 1882. De 1880 à 1885, il se consacre au journalisme en collaborant, à Paris, à des

Issu d’une famille modeste, Félicien Champsaur, qui est résolu

titres comme La Patrie, La France, L’Estafette, L’Indépendant,

à faire carrière à Paris, envoie en septembre 1876 une lettre à

Le National, L’Ère nouvelle, Le Figaro, ainsi qu’à des revues telles

Louis Blanc afin de solliciter son aide pour commencer sa car-

que la Revue des deux mondes, la Revue bleue, la Revue encyclopé-

rière dans la presse au service de la République. De 1877 à 1879,

dique. En 1885, il publie Les Mœurs et la Caricature en Allemagne,

il écrit pour La Lune rousse du caricaturiste André Gill, avec qui il

en Autriche, en Suisse (Paris, Louis Westhausser). Cet essai sur

fonde en septembre 1878 la revue illustrée Les Hommes d’aujour­

l’image satirique consacre l’un de ses premiers centres d’intérêt,

d’hui, à laquelle il collabore jusqu’en avril 1879. Par l’intermé-

sujet qu’il va déployer à travers plusieurs publications succes-

diaire de Gill, il fréquente le club des Hydropathes, dont il est, à

sives entre 1890 et 1893. Collectionneur et passionné d’images,

vingt ans à peine, le bras droit du président, Émile Goudeau, puis

il dirige la revue mensuelle Le Livre et l’Image avant d’assumer

devient membre des Incohérents au début des années 1880. Son

le commissariat d’expositions sur le livre et l’industrie du papier

caractère ambitieux le mène à faire le grand écart entre ses col-

(Paris, palais de l’Industrie, 1894 ; Exposition centennale, dans

laborations pour des quotidiens à grand tirage, comme Le Figaro,

le cadre de l’Exposition universelle, 1900). Ce second centre

Le Gaulois, L’Événement (1884-1888), et sa participation à des

d’intérêt pour la production imprimée de son temps marque son

petites revues telles que L’Hydropathe et Le Chat noir. Fondateur

approche à la fois historique et sociale de l’éphémère, considé-

de ses propres titres (Panurge…), il s’exerce à différents genres

rant que toute image vaut en tant que telle et pour elle-même.

littéraires : d’abord des sonnets, puis des articles mondains et

Son plaidoyer en faveur de l’image l’amène aussi à s’intéresser

surtout des romans. Il s’essaie également au théâtre ainsi qu’à

à la mode, qui, en tant que troisième axe de publication, se veut

l’écriture de ballets, pantomimes, opéras et chansons. Son écri-

un sujet léger (La Femme en culotte, Paris, Flammarion, 1899 ;

ture joue sur le visuel, du fait de sa passion pour les arts du spec-

Le Décolleté et le Retroussé, quatre siècles de gauloiseries, 1500-

tacle et les arts graphiques. Tous ses romans sont illustrés, sans

1900, Paris, Éditions Bernard, 1910).

se limiter à leur couverture. À ce titre, il sait s’entourer des meilleurs illustrateurs de son époque, qu’il a pour la plupart connus au sein des rédactions où il continue de collaborer. En tant que

Grass-Mick

critique d’art, il a l’assurance de ses résolutions et de son intuition

(Paris, 1873-Marseille, 1963)

pour défendre des artistes inconnus ou contestés : Félicien Rops, Jules Chéret, Auguste Rodin, François Raffaëlli, Edgar Degas,

Intéressé très tôt par le dessin, la peinture et l’art de la médaille,

Jean-Jacques Henner mettent en évidence ses choix esthétiques

Augustin-Nicolas-Georges Grassmick commence sa formation

aussi bien que son mécénat. Il se constitue une collection à partir

à quatorze ans comme apprenti lithographe chez A. Lemoine,

de leurs œuvres.

puis s’oriente vers la peinture décorative dans l’atelier des frères Dangler, où il travaille pendant trois ans. Il apprend ensuite la peinture de vitraux au contact de Georges Lavergne. Jusqu’à son service militaire, il est connu comme dessinateur pour différents journaux de caricatures comme La Chronique amusante, Le Soldat, Le Phare littéraire et artistique, dont il est le directeur. 137


Bibliographie sélective Ouvrages C. Aubert, 1901

F. Champsaur, 1888

Aubert Charles, L’Art mimique, 200 dessins par l’auteur, Paris,

Champsaur Félicien, Lulu, pantomime en un acte, préface

E. Meuriot Éditeur, 1901.

d’Arsène Houssaye, Paris, Dentu Éditeur, 1888.

M. Audin, 1929

P. Charaudeau et D. Maingueneau, 2002

Audin Marius, Histoire de l’imprimerie par l’image : bibelots ou bil-

Charaudeau Patrick et Maingueneau Dominique, Dictionnaire

boquets, Paris, Henri Jonquières, t. IV, 1929.

d’analyse de discours, Paris, Le Seuil, 2002.

R. Bargiel et S. Le Men, 1987

J. Claretie, 1881-1886

Bargiel Réjane et Le Men Ségolène, L’Affiche de librairie au

Claretie Jules, La Vie à Paris, Paris, V. Havard, 1881-1886.

xixe siècle, Paris, RMN, 1987.

J. Coignard, 2002 R. Bargiel et S. Le Men (dir.), 2010

Coignard Jérôme, Le Vertige des images, la collection Maciet,

Bargiel Réjane et Le Men Ségolène (dir.), La Belle Époque de

Paris, Union centrale des arts décoratifs-Le Passage, 2002.

Jules Chéret. De l’affiche au décor, Paris, Les Arts décoratifs/ Bibliothèque nationale de France, 2010.

E. de Goncourt, 1989 Goncourt Edmond et Jules (de), Journal, Mémoires de la vie lit-

J. Baudrillard, 1968

téraire, texte intégral établi et annoté par Robert Ricatte, Paris,

Baudrillard Jean, Le Système des objets, Paris, Gallimard, 1968.

Robert Laffont, coll. Bouquins, vol. II (1866-1886), 1989.

Ch. Bénard, 1889

J. Grand-Carteret, 1896

Bénard Ch., La Mimique dans le système des Beaux-Arts, Paris,

Grand-Carteret John, Vieux papiers, vieilles images, cartons d’un

Félix Alcan Éditeur, 1889.

collectionneur, Paris, A. Le Vasseur, 1896.

W. Benjamin, 2009

J. Grand-Carteret, 1902

Benjamin Walter, Paris, capitale du xixe siècle. Le livre des pas-

Grand-Carteret John, L’Enseigne : son histoire, sa philosophie, ses

sages, traduit de l’allemand par Jean Lacoste, Paris, Cerf, 2009.

particularités, les boutiques, les maisons, la rue, la réclame commerciale à Lyon, Grenoble, H. Falque et F. Perrin, 1902.

H. Beraldi, 1886 Beraldi Henri, Les Graveurs du xixe siècle. Guide de l’amateur d’es-

M. Green et J. Swan, 1993

tampes modernes, Paris, Librairie L. Conquet, 1886.

Green Martin et Swan John, The Triumph of Pierrot : the Commedia dell’arte and the Modern Imagination, University Park,

L. Broïdo, 1992

Pennsylvania State University Press, 1993.

Broïdo Lucy, The Posters of Jules Chéret. 46 Full-Color Plates and an Illustrated Catalogue Raisonné, New York, Dover, 1992.

P. Hugounet, 1889 Hugounet Paul, Mimes et Pierrots, notes et documents inédits pour servir à l’histoire de la pantomime, Paris, Librairie Fischbacher, 1889.


L’imprimé et ses statuts : quels enjeux pour les collections d’éphémères ?

143


Le musée Roybet Fould

âge de l’imprimé

et l’

L’image dans

tous ses états

L

L’image dans tous ses états

e musée Roybet Fould rend hommage à l’œuvre graphique de Jules Chéret (1836-1932) à travers une collection de petites estampes ayant appartenu à Roger Marx, soutien décisif de la carrière de l’affichiste. Au nombre de 175 pièces, chromos, couvertures de romans, titres de musique, invitations, faire-part de naissance, menus, cartes postales, programmes de spectacles, ces éphémères soulignent les temps forts de son ascension artistique. Du milieu du xixe siècle à la première décennie du xxe siècle, ils mettent en évidence, par leur diversité, la cohérence du geste qui introduit l’art dans les petites images et prévaut à l’engouement social pour la collecte de ces vieux papiers. Explorer ces images permet d’observer, de souligner et de tisser des relations entre elles et avec les affiches de Chéret, fondant, en cela, une visibilité médiatique qui, par la récurrence des thèmes et l’adaptation des motifs, contribue à forger l’image de Chéret lui-même.

J

Jules Chéret et l’âge de l’imprimé

Jules Chéret

H

ébergé dans le pavillon de la Suède et de la Norvège, construit pour l’Expo­s ition universelle de 1878 à Paris, le musée Roybet Fould est inauguré en 1951. À cette époque, le domaine de Bécon devient propriété de la Ville de Courbevoie et se transforme en parc public. Consuelo Fould (1862-1927), petite-fille d’Achille Fould, ministre et membre du Conseil privé de Napoléon III, a fait don de sa propriété. Artiste-peintre, elle a travaillé dans cette villa-atelier d’été pendant près de quarante ans. Elle y a côtoyé des peintres, des sculpteurs, des romanciers, mais aussi des journalistes. Sa mère, Joséphine Willemine Simonin – plus connue sous le nom de Valérie, ou sous le pseudonyme de Gustave Haller –, ancienne pensionnaire de la Comédie-Française, était devenue sculpteur puis chroniqueuse et romancière. Elle avait épousé en troisièmes noces le prince Georges Bibesco Stirbey, grand collectionneur d’art et amateur de théâtre. L’ancien château de Bécon, situé au cœur du domaine, recevait les plus grands artistes de l’époque, souvent membres actifs de l’Orphelinat des Arts, situé à Courbevoie. Fondée en 1880 par Marie Laurent, cette institution caritative s’est développée grâce à la générosité des personnalités du monde des arts, parmi lesquelles on compte Sarah Bernhardt, Gustave Doré mais aussi Roger Marx ou Jules Chéret.

Jules Chéret

Jules Chéret

âge de l’imprimé

et l’

L’image dans

tous ses états

978-2-7572-0958-5 23 €

Musée Roybet Fould

ules Chéret (1836-1932) est formé à la lithographie dès l’âge de treize ans : il se fait la main sur des supports de petite taille (prospectus, en-têtes de lettres, petites affiches, fairepart, calendriers), abordant des genres aussi diversifiés que l’imagerie pieuse (1853), la mise en page de meubles (pour les catalogues du fabricant Marple, Londres, 1854), l’affiche de librairie (1855-1857), les vues d’architecture locale (Dole, 1858), le dessin d’armoiries (1859) et de titres de musique (Londres, 1862). À la même période, sa rencontre en Angleterre avec le parfumeur Eugène Rimmel est décisive : c’est grâce à ses fonds financiers que le lithographe s’installe à Paris, où il fonde une imprimerie orientée vers la production d’« affiches-tableaux (genre anglais) » (1867). C’est le début d’une activité intense, associée à une visibilité remarquable qui masque ses déboires financiers. Chéret finit par vendre son entreprise à Chaix en 1881 ; il en devient le directeur artistique pour la section affiche jusqu’en 1895. Entretemps, il a commencé son ascension artistique et sociale, marquée par sa première exposition personnelle en décembre 1889, accompagnée d’un catalogue préfacé par Roger Marx. Le soutien indéfectible du critique s’est avéré déterminant, l’encourageant vers le décor, la peinture murale et le mobilier. Ces activités que Chéret déploie conjointement jusqu’en 1922 l’amènent à passer les dernières années de son existence à Nice, où il meurt à l’âge de quatre-vingt-seize ans.


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