Emile gallé et le verre la collection du musée de l'École de Nancy (extrait)

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ÉMILE GALLÉ ET LE VERRE LA COLLECTION DU MUSÉE DE L’ÉCOLE DE NANCY



Ce catalogue est dédié à Françoise-Thérèse Charpentier (1916-2003), conservateur du musée de l’École de Nancy de 1962 à 1986 et auteur des premières recherches et publications sur Émile Gallé.


Ouvrage réalisé sous la direction de SOMOGY ÉDITIONS D’ART Conception graphique STÉPHANE COHEN assisté d’Elvina Cohen-Russo Contribution éditoriale FLORENCE LEROY Fabrication FRANÇOIS COMBAL Suivi éditorial FLORENCE JAKUBOWICZ

ISBN 2-85056-737-X Dépôt légal : mai 2004 Imprimé en Italie (Union européenne)

© Somogy éditions d’art, Paris, 2004 © Musée de l’École de Nancy, Nancy, 2004


ÉMILE GALLÉ ET LE VERRE LA COLLECTION DU MUSÉE DE L’ÉCOLE DE NANCY

MUSÉE DE L’ÉCOLE DE NANCY


Après une trop longue éclipse, l’École de Nancy a retrouvé aujourd’hui la notoriété qui lui revient, entraînant tout naturellement dans son sillage la renommée du musée qui lui est dédié depuis quarante ans. La pugnacité et la compétence de ses conservateurs successifs et la générosité de nombreux donateurs privés ont permis d’enrichir les collections de cet établissement rare et très original, qui suscite à juste titre l’admiration des nombreux visiteurs venus chaque année découvrir ses trésors et ses expositions sans cesse renouvelées. Si la célébration de l’Année de l’École de Nancy en 1999 a achevé de redonner à cet écrin toute la splendeur qu’il mérite, celle du centenaire de la mort d’Émile Gallé offre, au travers de son exposition sur ses fabuleuses verreries, une nouvelle occasion de démontrer, s’il en était besoin, l’extraordinaire puissance artistique de ce mouvement, et donc de son musée qui possède un nombre important d’œuvres de cet artiste industriel et poète tant recherché. Il ne manquait qu’un ouvrage de référence, digne témoin des richesses patiemment réunies. Rencontre féconde de l’art et de l’industrie, l’École de Nancy a insufflé à la Lorraine de la fin du XIXe siècle une dynamique économique remarquable. La SNVB, banque du groupe CIC, profondément attachée à cette région par ses origines et son histoire, est un acteur engagé de l’économie locale. Fondée par des industriels et des financiers contemporains de Daum et Gallé, la SNVB, dans le prolongement naturel de sa vocation première, a choisi d’accompagner par des actions de mécénat les initiatives susceptibles de mieux faire connaître les patrimoines culturels des régions du Grand Est où elle intervient. C’est dans cet esprit qu’elle est devenue le partenaire privilégié du musée de l’École de Nancy. Active à ses côtés depuis plus de vingt ans, la SNVB a contribué, avec régularité et passion, à son rayonnement, par des opérations aussi diverses que le financement du fléchage urbain du musée, l’édition de plusieurs albums, l’organisation d’expositions dans ses agences, la restauration ou le don de différentes œuvres. Fidèle à ses engagements, c’est avec enthousiasme et fierté que la SNVB soutient aujourd’hui la publication de ce catalogue, Émile Gallé et le verre. La collection du musée de l’École de Nancy, qui saura ravir tant les historiens d’art que les amateurs de l’œuvre d’Émile Gallé et de l’Art nouveau. Je souhaite qu’en le découvrant, vous partagiez les valeurs qui inspirent notre action.

Philippe Vidal Président de la banque SNVB


Cet ouvrage a bénéficié de l’aide et de la collaboration de nombreuses personnalités, et nous souhaitons exprimer notre gratitude aux personnes qui ont permis, par leur concours, sa publication : Véronique Ayroles, Georges Barbier-Ludwig, Christophe Bardin, Martine Bailly, Helen Bieri-Thomson, Isabelle Biron, Philippe Bouton-Corbin, Damien Boyer, Alix de Chambrion, Virginie Furhmann, Aude Jeandel, Claire Leblanc, François Le Tacon, Martine Mathias, Marie Mayot, Jean-Luc Olivié, Blandine Otter, Bénédicte Pasques, Jérôme Perrin, Bernard Ponton, François Pupil, Katrin Rief, Eva Schmitt, Philippe Thiébaut, Mélanie Trognon, Ikonobu Yamane, ainsi qu’aux personnes qui ont souhaité rester anonymes. À l’occasion de la parution de ce catalogue, nous souhaitons remercier les nombreux donateurs et mécènes qui, par leur geste généreux, ont permis depuis des années l’enrichissement des collections de verre du musée de l’École de Nancy. Nous exprimons plus particulièrement nos remerciements aux descendants d’Émile Gallé pour leur soutien indéfectible envers le musée. Nous souhaitons enfin associer à ces remerciements l’ensemble du personnel du musée de l’École de Nancy, en particulier le personnel de la conservation : Véronique Baudouin, François Bourdon, Damien Boyer, Monique Parisse, François Parmantier, Francine Pellerin, Françoise Sylvestre et Emmanuelle Wambach.

Cet ouvrage est publié par la Ville de Nancy – musée de l’École de Nancy avec le soutien de :

Avec le concours du Conseil général de Meurthe-et-Moselle et du Conseil régional de Lorraine Cet ouvrage a été publié à l’occasion des manifestations « Hommage à Émile Gallé (1846-1904) »


PRÉFACE

P

réfigurant l’exposition sur les « Verreries d’Émile Gallé, de l’œuvre unique à la série » au musée de l’École de Nancy, en mai 2004, l’ouvrage que voici est appelé à faire date, à servir de référence, tant la conservatrice de l’établissement, Valérie Thomas, et la Ville de Nancy souhaitaient voir aboutir cet ambitieux projet.

C’est que, rejointe par le Haut Comité aux célébrations nationales et le ministère de la Culture et de la Communication, qui a accepté de mettre Émile Gallé à l’honneur et d’accorder son label national aux manifestations commémorant le centenaire de sa mort, Nancy a décidé, avec ses partenaires, de faire de 2004 l’Année Gallé. Dans un tel contexte, il était essentiel de pouvoir disposer, dans un document de grande qualité portant sur les créations de verre d’Émile Gallé, d’une somme scientifique qui en ferait l’inventaire, afin de mieux mesurer l’apport de l’artiste au renouveau des arts décoratifs et de rendre possibles de futures et fructueuses recherches. C’est à ce travail lent, patient et difficile que se sont livrés avec talent et passion ceux qui, connaisseurs érudits et avertis de son univers, en facilitent l’accès, dans un esprit d’ouverture et avec un sens aigu de la pédagogie, à un large public français et international, ravi et séduit de découvrir des facettes inattendues de l’artiste, de l’inventeur, du chef d’entreprise. Cet ouvrage est une nouvelle manifestation de l’intérêt soutenu et légitime que la Ville, encouragée par la générosité de ses héritiers et descendants, a toujours porté à Émile Gallé, tant sa personnalité créative s’identifie à un essor économique, une prospérité intellectuelle et industrielle sans précédent pour Nancy, au début du XXe siècle. Car il faut se souvenir qu’une grande partie des collections ont été fondées par les soins mêmes d’Émile Gallé avant d’être poursuivies par d’autres dans un respect exemplaire et fervent ; elles ont trouvé refuge à l’origine dans les bâtiments aujourd’hui protégés au titre de l’Inventaire des monuments historiques du 86, boulevard Jean-Jaurès à Nancy.


Préface

C’est dire qu’Émile Gallé qui, dès l’installation, en 1894, de sa cristallerie à Nancy, s’est pris à imaginer et rêver d’un musée de l’École de Nancy pour y abriter ses productions, a contribué à faire germer l’idée d’une telle institution, aujourd’hui localisée rue du Sergent-Blandan après l’acquisition, voici quarante ans, de la maison Corbin par la Ville. S’est constitué, au fur et à mesure des donations successives, un patrimoine d’une richesse, d’une diversité et d’une beauté qui ne trouvent leurs équivalents dans le monde qu’au Kunstmuseum de Düsseldorf, et dont l’Année de l’École de Nancy en 1999 et des expositions récentes ont permis de donner un juste aperçu, contribuant ainsi à un très large rayonnement de notre ville grâce, en particulier, au réseau Art nouveau européen network. Il ne fait pas de doute que Françoise-Thérèse Charpentier, la première conservatrice – durant vingt-quatre ans – du musée de l’École de Nancy, qui vient de disparaître, laissant des études, des travaux et des écrits sur Émile Gallé dont la pertinence reste d’actualité, serait fière du travail accompli par ses successeurs. Quel plus bel hommage lui rendre déjà que de lui dédier ce catalogue, pour dire à quel point Émile Gallé peut continuer, chez les jeunes générations et à travers, par exemple, le Pôle verrier ou Artem, à inspirer une démarche et un état d’esprit à ceux, nombreux, qui continuent à se réclamer de son exemple.

André Rossinot, maire de Nancy, ancien ministre


Vue extérieure du musée de l’École de Nancy, façade 1925.


Verreries d’Émile Gallé, vitrine de Jules Cayette, vitraux de Jacques Gruber provenant des Magasins réunis d’Eugène Corbin. Musée de l’École de Nancy.


Verreries d’Émile Gallé, vitrine-fenêtre donnant sur le jardin du musée, à l’arrière-plan l’aquarium. Musée de l’École de Nancy.


SOMMAIRE

14 LA COLLECTION DE VERRE D’ÉMILE GALLÉ DU MUSÉE DE L’ÉCOLE DE NANCY Valérie Thomas, conservateur, musée de l’École de Nancy

18 ÉMILE GALLÉ – REPÈRES BIOGRAPHIQUES Françoise Sylvestre, documentaliste, musée de l’École de Nancy

22 LE VERRE DANS L’ŒUVRE D’ÉMILE GALLÉ Valérie Thomas

32 GALLÉ, LE VERRE ET SES TECHNIQUES – QUELQUES REPÈRES Jean-Luc Olivié, conservateur, centre du Verre, musée des Arts décoratifs, Paris

44 CATALOGUE DE LA COLLECTION DU MUSÉE DE L’ÉCOLE DE NANCY Françoise Sylvestre, Valérie Thomas

45 SERVICES DE VERRES Catalogue nos 1 à 102

89 OBJETS D’ART Catalogue nos 103 à 367

199 LUMINAIRES Catalogue nos 368 à 383

209 ÉTUDES Catalogue nos 384 à 401

216 BIBLIOGRAPHIE


LA COLLECTION DE VERRE D’ÉMILE GALLÉ DU MUSÉE DE L’ÉCOLE DE NANCY Valérie Thomas

L’

histoire du musée est étroitement liée à celle de l’École de Nancy, puisque la création du musée d’Art décoratif en décembre 1900, suite à une délibération du conseil municipal, précède de deux mois celle de l’association Alliance provinciale des industries d’art ou École de Nancy, en février 1901. L’idée d’un musée était dans l’air depuis plusieurs années, en particulier depuis l’organisation en 1894 de la première exposition d’art décoratif à Nancy, aux Galeries Poirel. À l’issue de cette manifestation, qui avait permis aux artistes de la future École de Nancy de présenter ensemble leurs œuvres aux Nancéiens, le comité d’exposition avait acheté dix-sept pièces pour le musée projeté, dont quatre verreries d’Émile Gallé1.

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La collection de verre d’Émile Gallé

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Le verre tient donc, dès leur constitution, une place importante dans les collections, confirmée par l’acquisition en 1904 de quarante-deux pièces auprès de Paul Couleru, dépositaire de la maison Gallé, ainsi qu’auprès d’Émile Gallé2. C’est l’artiste lui-même qui établit le choix ; la sélection regroupe des pièces datées entre 1872 et 1902, jalons de son évolution technique et esthétique : vase Orchidées de 1897 pour l’invention de la marqueterie de verre, cruche Raisin de 1895 pour les inclusions métalliques, vase La Nuit japonaise de 1900 pour le travail remarquable de gravure3... Les collections du musée d’Art décoratif sont alors exposées dans le musée de Peinture et de Sculpture installé dans les locaux de l’hôtel de ville, place Stanislas. Les verreries d’Émile Gallé sont regroupées dans une unique vitrine à deux niveaux. Cet important achat reste sans suite puisque seules deux pièces de verre entrent les années suivantes dans les collections, dont en 1913 un chef-d’œuvre, la coupe Rose de France, offerte par les descendants de l’ancien président de la Société d’horticulture Léon Simon4. En 1935, la donation d’Eugène Corbin5, collectionneur et principal mécène de l’École de Nancy, est à l’origine du développement du musée qui prend alors le nom de musée de l’École de Nancy — Donation Corbin. Les

œuvres du musée d’Art décoratif rejoignent la collection Corbin, composée de plus de sept cent cinquante pièces École de Nancy, de toutes techniques et par divers artistes. Dans cette donation sont présentes cent huit verreries d’Émile Gallé. Il s’agit d’un ensemble hétérogène comprenant des pièces de qualités, de techniques et d’époques diverses mais produites pour la plupart du vivant de l’artiste. Ainsi, l’amphore du Roi Salomon conçue pour l’Exposition universelle de 1900, le vase Espoir de l’Exposition universelle de 1889, la Lampe aux ombelles — l’un des premiers exemples de luminaires de Gallé, créée vers 1902 — proviennent de cette donation. Mais la collection Corbin compte également de nombreuses verreries modestes ou restées à l’état d’ébauche ou d’étude. Les factures de la maison Couleru témoignent d’achats d’Eugène Corbin par lots où se mêlent « pièces riches » et pièces courantes6. La donation Corbin est installée dans l’une des ailes des Galeries Poirel, salle d’exposition située au cœur de la ville, qui a accueilli toutes les manifestations nancéiennes de l’École de Nancy de 1894 à 1904. Les verreries sont entassées dans des vitrines placées au centre de la galerie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les collections sont retirées des Galeries Poirel et mises en caisses. À la fin du conflit, la municipalité ne

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Émile Gallé et le verre

jugeant pas prioritaire la présentation des collections École de Nancy, Eugène Corbin tente par divers moyens d’obliger la Ville à remplir ses obligations. En 1951-1952, la Ville de Nancy acquiert une des propriétés d’Eugène Corbin, située dans la cité, rue du Sergent-Blandan, afin d’y établir le musée de l’École de Nancy. Il faudra plus de dix ans pour aménager la maison et y installer les collections. De longs travaux sont engagés. Parallèlement, les années cinquante sont fastes pour l’enrichissement des collections. Il existe de nombreuses œuvres en mains privées ou sur le marché de l’art, les prix ne sont pas très élevés et le musée a peu de concurrents dans ce domaine.

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Ainsi, il peut acquérir en 1955 auprès du fils d’Henry Hirsch la collection de verreries Gallé appartenant à ce dernier. Henry Hirsch7 était un ami d’Émile Gallé et l’un de ses plus fidèles « informateurs » de l’activité artistique parisienne. Le musée achète dix-huit verreries dont des pièces de premier plan. Comme le vase Fourcaud daté de 1904, la dernière œuvre en verre créée par Émile Gallé, qu’Henry Hirsch se procura vers 1914 auprès de son dédicataire, professeur à l’école des Beaux-Arts et premier biographe de Gallé. Ou la coupe Il faut aimer conçue par Émile Gallé en 1903 pour le mariage de son ami Henry Hirsch, d’après la coupe Vol d’éphémères présentée à l’Exposition universelle de 1889 et acquise par le musée des Arts

décoratifs de Paris. C’est à la même époque que se situe l’achat lors d’une vente aux enchères de la Lampe aux coprins. Toutes les acquisitions ne sont pas faites avec la même pertinence, et il est intéressant de signaler l’achat de deux « verreries industrielles » des années 1925 lors d’une vente organisée en 1954 par Sotheby’s ; mais une provenance prestigieuse, la collection du roi d’Égypte Farouk, devait justifier cet intérêt. En 1963, Jacqueline Corbin, fille d’Eugène Corbin, fait au musée de l’École de Nancy une nouvelle donation comprenant cinquante-sept verreries d’Émile Gallé. Ces pièces ont la même origine, la collection par Eugène Corbin, et les mêmes particularités que celles du don de 1935, puisque se mêlent de nouveau pièces courantes et « pièces riches ». Parmi ces dernières, on peut citer le vase Hommes noirs ou le bol La Nature, tous deux conçus pour l’Exposition universelle de 1900. Après de longues années de fermeture, le musée de l’École de Nancy est de nouveau inauguré en juin 1964 dans l’ancienne propriété d’Eugène Corbin. Le choix muséographique de Françoise-Thérèse Charpentier, conservateur du musée, est celui d’une reconstitution d’une ambiance début de siècle par la juxtaposition de pièces de mobilier et d’objets d’art. Les verreries d’Émile Gallé trouvent évidemment une place de choix dans cette muséographie.

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La collection de verre d’Émile Gallé

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Dans les années suivant l’inauguration du musée, Françoise-Thérèse Charpentier va mener une politique d’enrichissement cohérente, perspicace et pertinente des collections de verre d’Émile Gallé, complétant les lacunes et diversifiant les techniques, les décors et les formes. Ce développement des collections s’illustre par des achats et des donations au musée dont il serait fastidieux d’établir la liste. Peuvent être cependant cités, pour leur caractère exemplaire, l’acquisition du vase Géologie en 1966, de la lampe-surtout de table Les Pontédéries en 1969, de la Main aux algues et aux coquillages en 1971, de la coupe La Nuit en 1972, le don du canthare Le Bleu Matin en 1981... Cette ligne sera suivie par le successeur de Françoise-Thérèse

Charpentier, Georges Barbier-Ludwig, dans la mesure des moyens financiers mis à sa disposition et dans le contexte d’un marché de l’art où les œuvres Art nouveau, dont celles d’Émile Gallé, connaissent leurs prix records. Le musée de l’École de Nancy tente toujours d’enrichir et de compléter ses collections de verre par des pièces historiques ou des œuvres dont l’institution ne possède d’équivalent ni dans la technique, ni dans le décor, ni dans la forme. Le début des années 2000 a été ainsi illustré par le don à l’établissement d’un des modèles de la coupe Libellules en 2000 et l’achat du Vase Ancolies conçu en 1902 pour les fiançailles d’Émile André, architecte et membre de l’École de Nancy.

1. AD 7 ; AD 8 ; AD 9 ; AD 10.

2. Sur les quarante-deux pièces achetées, quatre sont offertes par Émile Gallé (Porte-bouquet aux pavots, AD 44), Édouard Bour, vice-président de la commission d’acquisition (vase Orchidées des bois, AD 61), G. Paul, secrétaire de la commission (vase Fleur de solanée, AD 62) et P. Couleru (vase Chardons, AD 62). 3. Bour É., « Le musée des Arts décoratifs à l’hôtel de ville de Nancy », 1904, pp. 34-40. Nicolas E., « Les Verreries d’Émile Gallé au musée de Nancy », 1904, pp. 151-154. 4. À noter que la première verrerie de Daum entre dans les collections du musée d’Art décoratif en 1924. 5. Jean-Baptiste dit Eugène Corbin (1867-1952). À ce sujet, voir l’ouvrage de P. Bouton-Corbin, Eugène Corbin, collectionneur et mécène de l’École de Nancy, 2002. 6. Facture du 15 mars 1903, achat de neuf pièces de verre. Facture du 22 septembre 1903, achat de cinquante-cinq pièces de verre. Facture du 6 juin 1904, achat de seize pièces de verre. 7. Henry Hirsch (1862-1944), magistrat.

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ÉMILE GALLÉ REPÈRES BIOGRAPHIQUES Françoise Sylvestre

Pour une biographie plus complète, voir les « Repères chronologiques » du catalogue de l’exposition « Gallé », 1985, pp. 69-74.

1846

1865

Le 4 mai, à Nancy, au 1, rue de la Faïencerie, naît Émile Gallé, fils unique de Charles Gallé (1818-1902) et de Fanny Reinemer (1825-1891) qui y tiennent un commerce de cristaux et de porcelaine.

Émile Gallé obtient son baccalauréat ès lettres au lycée impérial de Nancy. Un séjour à Weimar lui permet d’approfondir ses connaissances en allemand, en minéralogie et en musique.

1854

1866

Charles Gallé reçoit une commande de la Maison de l’Empereur pour un service de verre gravé au chiffre de Napoléon III.

Le brevet de fournisseur de Sa Majesté l’Empereur est attribué à Charles Gallé.

1867 1855 À l’Exposition universelle de Paris, Charles Gallé obtient une mention honorable dans la classe 18 (industrie de la verrerie et de la céramique). Il devient responsable du magasin. L’enseigne, auparavant « Veuve Reinemer et Gallé », devient « Gallé-Reinemer ».

Émile Gallé est associé à la direction de l’entreprise familiale. À l’Exposition universelle de Paris, il représente son père qui obtient une mention honorable pour la verrerie, classe 16 (cristaux, verrerie de luxe et vitraux).

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Repères biographiques

Dufey, Portrait d’Émile Gallé, vers 1889. Photographie ancienne. Musée de l’École de Nancy.

1871 Le traité de Francfort retire à la France une partie de ses territoires. Meisenthal, la verrerie avec laquelle travaille Charles Gallé depuis 1861, est désormais située en pays annexé. Non seulement elle fournit les blancs, mais elle réalise tous les décors, à l’exception de quelques gravures effectuées à Nancy. Émile Gallé se rend régulièrement à Meisenthal où il acquiert des connaissances techniques et commerciales. Il représente son père à l’Exposition internationale de Londres.

1872 Représenté par son fils à l’Exposition universelle et internationale de Lyon, Charles Gallé y obtient une médaille d’or dans la classe 33 (porcelaines et cristaux).

1873 Charles Gallé et sa famille quittent le logement de la rue de la Faïencerie pour s’installer dans la propriété de la Garenne. Charles cède la direction du magasin à son beau-frère, Henri Dannreuther (1855-1911), qui tenait un commerce de cristaux et de porcelaines à Colmar avant l’annexion. Le magasin prendra quelques années plus tard le nom de Couleru-Dannreuther, suite au mariage de Marguerite Dannreuther, nièce de Charles Gallé, avec Paul Couleru.

1875 Émile Gallé épouse Henriette Grimm (1848-1914), fille de Daniel Grimm (1817-1903), pasteur de Bischwiller. De leur union naîtront quatre filles.

1876 Arrivée dans l’entreprise de Louis Hestaux (1858-1918). Il travaillera à l’atelier de dessin jusqu’en 1914.

1877 Émile Gallé prend la direction de l’entreprise familiale. Ses connaissances en botanique lui valent d’être élu secrétaire de la Société centrale d’horticulture de Nancy.

1878 Émile Gallé est présent à l’Exposition universelle de Paris. Il y obtient une médaille de bronze dans la classe 19 (cristaux, verrerie et vitraux).

1879 Participation à l’exposition d’art contemporain au musée des Arts décoratifs de Paris. Marcellin Daigueperce (1843-1896), ancien représentant en porcelaine de Limoges, devient le concessionnaire de Gallé à Paris.

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Émile Gallé et le verre

1884 La VIII Exposition de l’Union centrale des arts décoratifs (pierre, bois, terre et verre) ouvre ses portes. Gallé y obtient deux médailles d’or, l’une pour la céramique, l’autre pour la verrerie. e

comme décorateur sur verre. Il y travaillera jusqu’en 1919. Pour les soixante-dix ans de Louis Pasteur, Émile Gallé réalise un vase, cadeau des maîtres et de ses anciens élèves de l’École normale supérieure (musée Pasteur, Paris).

1885 Voyage à Berlin. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur.

1886 Il est présent à l’exposition des sciences et arts appliqués à l’industrie de Limoges.

1889 À l’Exposition universelle de Paris, Gallé expose dans les trois disciplines et obtient un grand prix dans la classe 19 (cristaux, verrerie et vitraux). Il est fait officier de la Légion d’honneur.

1890 Il est nommé sociétaire de la Société nationale des beaux-arts.

1891 Décès de Fanny Reinemer. Émile Gallé exprime ses sentiments dans les vases dits « de tristesse ». Création d’une section d’objets d’art au salon de la Société nationale des beaux-arts. Gallé y présente plusieurs œuvres de verre. Ses verreries seront régulièrement exposées à ce salon.

1892 À l’occasion de sa visite à Nancy, le président Sadi Carnot reçoit en cadeau de la Ville un vase de Gallé. L’Union des dames de France remet à madame Carnot un petit vase de Gallé dédicacé (musée de l’École de Nancy, inv. 991.24.1).

1893 À l’Exposition universelle de Chicago, le musée des Arts décoratifs de Paris envoie des verreries de Gallé. Paul Nicolas (1875-1952) est engagé chez Gallé

1894 Participation à plusieurs expositions à l’étranger (Anvers, Bruxelles), à Paris (Société nationale des beaux-arts) mais surtout à Nancy, où est organisée la première exposition d’art décoratif lorrain. Le comité de l’exposition offre à la Ville de Nancy des pièces de Gallé afin de constituer le futur musée d’Art décoratif. Émile Gallé ouvre dans son entreprise même une cristallerie dont la mise à feu a lieu le 29 mai. À partir de cette date, toute activité de Gallé cesse à Meisenthal. Début de l’affaire Dreyfus. Gallé n’hésite pas à prendre fait et cause pour le capitaine. Plusieurs verreries, le calice Le Figuier (musée de l’École de Nancy, inv. HH18), les Hommes noirs (musée de l’École de Nancy, inv. JC 15)... témoignent de ses grands principes de justice et de vérité.

1896 Marcellin Daigueperce disparaît. Son fils Albert lui succède. Émile Gallé ouvre un dépôt de vente à Francfort.

1898 Gallé est membre fondateur et trésorier de la Ligue des droits de l’homme et du citoyen à Nancy.

1898 Gallé met au point deux nouvelles techniques verrières et en dépose les brevets d’invention : l’un pour « un genre de décoration et patine sur cristal », l’autre pour « un genre de marqueterie de verres et cristaux ».

1899 Il est membre fondateur de l’Université populaire de Nancy.

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Repères biographiques

1900 À l’Exposition universelle de Paris, Gallé obtient le grand prix pour la verrerie. Une médaille d’or en verrerie est donnée à Louis Hestaux et deux autres à ses collaborateurs Auguste Herbst et Ismaël Soriot. Gallé est fait commandeur de la Légion d’honneur. En mai 1900, Gallé prononce son discours de récipiendaire à l’académie de Stanislas de Nancy, « Le décor symbolique ».

organisée par la Société lorraine des amis des arts ouvre ses portes. Parmi les nombreuses œuvres présentées, les plus prestigieuses sont prêtées par le collectionneur et ami de Gallé Henry Hirsch (1862-1944). La présidence de l’École de Nancy revient à Victor Prouvé (1858-1943). La cristallerie est dirigée par la femme de Gallé, Henriette, secondée par son gendre Paul Perdrizet (1870-1938).

1901

1908

L’association L’École de Nancy. Alliance provinciale des industries d’art est créée. Émile Gallé est membre du comité directeur et président. Un deuxième dépôt est créé à Londres. Participation à diverses expositions (Dresde, Paris, Saint-Pétersbourg). Cures à Plombières et à Bussang.

Henriette Gallé publie, sous le titre Écrits pour l’art, les principaux écrits de Gallé.

1909 L’Exposition internationale de l’est de la France est inaugurée dans le parc Sainte-Marie à Nancy. Le pavillon de l’École de Nancy expose un ensemble d’œuvres de Gallé.

1902 Participation à l’exposition de la Société industrielle de Mulhouse. Début de la production de lampes électriques. Louis de Fourcaud, professeur d’esthétique et d’histoire de l’art, entreprend une biographie de Gallé publiée dans la Revue de l’art ancien et moderne. En remerciement, l’artiste lui dédie le vase Fourcaud (musée de l’École de Nancy, inv. HH3). Le 3 décembre 1902 meurt Charles Gallé.

1903 L’Union centrale des arts décoratifs organise en 1903 au pavillon de Marsan l’exposition de l’École de Nancy. Gallé y présente des vases, des coupes et des lampes.

1910 Le musée Galliera à Paris organise une rétrospective des verreries de Gallé à l’occasion de l’exposition de la verrerie et de la cristallerie artistique.

1914 Décès d’Henriette Gallé. Poursuite de la production verrière sous la direction de Paul Perdrizet.

1927 La Société anonyme des Établissements Gallé est fondée.

1931 Les Établissements Gallé ferment. Arrêt de la production verrière.

1904

1935

Cures au Luxembourg et à Baden-Baden. Le musée d’Art décoratif de Nancy est officiellement inauguré. La commission du musée achète à Gallé trente-huit vases. Le 23 septembre 1904, Émile Gallé s’éteint. Le 30 octobre à Nancy, l’exposition d’art décoratif

Le magasin de la rue de la Faïencerie cesse son activité.

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LE VERRE DANS L’ŒUVRE D’ÉMILE GALLÉ Valérie Thomas

É

voquer l’œuvre d’Émile Gallé, c’est considérer trois techniques différentes : la céramique, le bois et le verre. D’où le surnom d’« homo triplex » attribué à l’artiste par son ami le critique d’art Roger Marx1. Mais dès son époque, et longtemps après sa disparition, c’est l’œuvre de verre de Gallé qui a fait l’objet du plus grand nombre d’articles, d’études et de commentaires de la part des journalistes et des historiens de l’art. Même dans les années 1920-1930, alors que l’Art nouveau est loin de faire l’unanimité, le nom de Gallé apparaît encore dans des publications et des revues associé au domaine du verre. Ainsi est-il présenté dans deux articles comme « la référence » de la verrerie française du XIXe siècle. Guillaume Janneau, en 1925, année de l’Exposition des arts décoratifs, le cite pour le comparer au verrier contemporain Marinot2. Et en 1929, Ernest Tisserand rédige sur l’œuvre de verre de Gallé et de Lalique3 un article dont les propos sont louangeurs pour le Nancéien : « Il a mis le poème en verre et, pour arriver à ses fins, réalisé de telles inventions techniques, accompli de tels tours de force matériels... » De même peut-on être surpris par le commentaire de Le Corbusier sur l’artiste : « La vie de Gallé est belle, partagée entre l’étude directe de la nature et le caprice du feu de ses fours. Gallé laisse des objets qui sont de belles œuvres, plastiques et sensibles... Gallé est un homme louable et son œuvre est louable. » Ces lignes, extraites du livre L’Art décoratif aujourd’hui publié en 1925, sont illustrées d’une verrerie de Gallé, le vase La Forêt guyanaise4. En 1953, James Barrelet5 consacre dans son ouvrage un long chapitre à l’artiste verrier, dans lequel il indique que « l’œuvre de Gallé est inégale... Il n’en est pas moins vrai que certaines pièces de cet artiste peuvent être classées parmi les chefs-d’œuvre de l’art du verre ».

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Le verre dans l’œuvre d’Émile Gallé

1 Émile Gallé parmi les employés de la halle du travail du verre, vers 1897. Photographie ancienne, collection particulière.

Relever en introduction les propos d’artistes, de critiques d’art ou d’historiens du verre sur l’œuvre de Gallé permet de signaler que celle-ci, en particulier les pièces de verre, n’a jamais laissé indifférent, et qu’elle a conservé dans l’imaginaire collectif du XXe siècle une place de choix. Ce sont évidemment les techniques verrières mises au point, développées et améliorées par l’artiste qui sont la raison principale de ce long engouement et de cette admiration constante. Dans son livre, James Barrelet n’a pas oublié d’indiquer qu’Émile Gallé ne pratiquait pas lui-même le verre ; et cette ambiguïté a pesé sur la définition du rôle exact du Nancéien dans la création de ses verreries. Il faut pourtant dire qu’il en est, au même titre que de ses faïences et ses meubles, le créateur et le concepteur. Contrairement aux frères Daum et même s’il s’est entouré d’excellents collaborateurs, dessinateurs, ouvriers d’art..., Gallé a toujours gardé une maîtrise et un contrôle absolu de ses productions (fig. 1). Bien qu’il n’ait pas été formé dans une école d’art et n’ait pas possédé un grand talent dans ce domaine — lui-même se plaint souvent de « ses affreux boquillons6 » —, c’est la direction artistique que lui confie son père, Charles Gallé-Reinemer, lorsqu’il entre dans l’affaire familiale en 1867.

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À cette époque, la maison Gallé-Reinemer est déjà reconnue à Nancy et en France pour ses porcelaines et cristaux. Le musée de l’École de Nancy possède quelques pièces du service dit à « fleurs et rubans », daté de 1867, qui propose un décor émaillé de myosotis et de nœuds, attribué par Françoise-Thérèse Charpentier à Charles Gallé. La décoration des verres est conçue à Nancy par l’atelier de dessin, l’exécution peut être réalisée par la verrerie de Meisenthal, qui fournit les

blancs, ou effectuée à Nancy, rue Saint-Dizier, près du magasin, où sont disponibles fours et outils de gravure. À son arrivée dans la maison familiale, Émile Gallé ne révolutionne pas les choix décoratifs. Il reprend les modèles ayant cours dans l’art du Second Empire, où la flore joue déjà un rôle prédominant. De même, il continue de concevoir des objets d’art et des services de verres, articles qui faisaient la réputation de la maison Gallé-Reinemer. Plusieurs services édités à cette époque le seront pendant de nombreuses années. Dans une lettre adressée à Gabriel Mourey en 19017, Gallé précise : « Depuis trente ans, mon père et moi nous avons eu pour souci constant de tirer la gobeleterie de table de la décadence profonde... Dès avant la guerre de 1870, au sortir de philosophie, je commençais déjà à galber selon la nature les formes de verres à boire que je dessinais pour notre industrie ; ces adaptations de la fleur étaient la préoccupation de mon père, et la mienne à fortiori comme botaniste. » La première pièce portant clairement la signature d’Émile Gallé conservée par le musée est une coupe gravée

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Émile Gallé et le verre

2 Émile Friant, Portrait d’Émile Gallé,1884. Dessin au crayon, collection particulière.

pièces de près, n’avaient pu laisser Émile Gallé indifférent. Au sein de son œuvre, ces divers répertoires vont parfois être mêlés, juxtaposés dans des objets marqués d’un fort éclectisme. Ainsi l’éventail Une poule survint daté de 1878 associe-t-il forme et motifs japonais à la présence de fleurs de lys et d’une citation tirée des Fables de La Fontaine. Une version en faïence de cet éventail portant le même décor témoigne des influences réciproques entre verre et céramique dans l’œuvre de Gallé. Cette parenté peut également être relevée en ce qui concerne les formes. Le petit vase dit « craquelé » daté vers 1880 et une pièce de faïence de 18899 partagent la même forme simple, avec une seule anse, dérivée de l’Antiquité. Les verres de cette période sont marqués par l’emploi de très beaux émaux colorés ; Émile Gallé en rappelle l’origine dans les « émaux durs des Arabes » qui distinguent les verreries islamiques dès le XIIe siècle.

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à décor religieux, datée de 1870. Sûrement objet de commande, cette coupe, assez inhabituelle dans l’œuvre de l’artiste par son thème, montre une claire influence du verre de la période Renaissance, ne propose aucune innovation technique ou décorative, mais atteste déjà d’une grande qualité d’exécution. Les années 1870 correspondent à la formation d’Émile Gallé, une période d’essais et de recherches pendant laquelle il puise dans la tradition verrière occidentale des formes et des décors, tout en cherchant parallèlement d’autres sources d’inspiration, dans l’art tant européen qu’islamique ou extrême-oriental. En 1878, lors de l’Exposition universelle à Paris, de nombreux objets chinois et japonais mais également des pièces d’art islamique avaient été montrés8, et ces présentations, qui lui avaient permis de voir et d’étudier ces

En 1877, après dix ans d’apprentissage, Émile Gallé prend la direction de l’entreprise familiale. Son père, Charles Gallé-Reinemer, restera cependant présent au sein de l’établissement et son avis demeurera prépondérant jusqu’à son décès. Les années suivantes sont marquées par la poursuite d’expériences techniques, formelles et décoratives. Les séjours de Gallé à Meisenthal, malgré l’annexion de la Moselle par les Allemands en 1870, lui permettent de mieux connaître le verre, d’expérimenter cette matière, d’en voir ses capacités, ses défauts. La production verrière devient de plus en plus complexe et variée. L’année 1884 peut être illustrée dans les collections du musée de l’École de Nancy par l’Escargot des vignes et la coupe Primavera, deux œuvres qui témoignent de recherches divergentes (fig. 2). Le vase Escargot des vignes s’inspire des « nautiles », objets montés ornant les cabinets

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Le verre dans l’œuvre d’Émile Gallé

3 Les Industries d’art à l’Exposition universelle de 1889, verrerie. Cristaux gravés en intailles et camées. Fabrication et composition de M. Émile Gallé, de Nancy. Imprimé, musée de l’École de Nancy.

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de curiosités, et présente un décor figuratif composé par Victor Prouvé et gravé sur un verre blanc, dans la tradition de la verrerie européenne. De forme simple, la coupe Primavera est ornée de fleurs de primevères se détachant sur un verre coloré presque opaque, dans des tonalités rose grisé. Surtout, cette coupe annonce un répertoire qui va devenir prédominant dans l’œuvre de Gallé, celui de la flore, issu de ses liens avec les horticulteurs nancéiens10. Cette pièce en est d’ailleurs l’un des premiers témoignages puisqu’elle est dédicacée à Victor Lemoine, obtenteur d’une nouvelle variété de primevères à feuilles de cortuse appelée du nom d’Henriette Gallé-Grimm. Outre le thème floral, la coupe Primavera atteste des expériences menées par Gallé dans la coloration du verre. De cette époque datent des pièces témoignant de l’influence directe de la Chine, du Japon et de l’islam. De l’art musulman, Émile Gallé retient surtout l’emploi de l’épigraphie et la profusion décorative. Un vase du musée de l’École de Nancy reprend la forme d’une lampe de mosquée, mais avec un décor différent : des cartouches ornés de personnages et d’animaux se détachant sur un fond de rinceaux et d’arabesques florales. Ces motifs répétitifs et couvrants, ne laissant aucun espace vide, propres à l’art islamique, ont ici pour modèle l’art du métal. Influence visible également dans la technique, puisque ce verre monochrome est simplement gravé ; mais afin de différencier les motifs du fond, ce dernier a été recouvert d’une matière noire imitant la pâte noire appliquée sur les métaux syriens et persans. Ce vase est également orné d’un cartouche présentant des lettres arabes, mais ces dernières n’y occupent pas une place de choix, comme dans le cas du vase Espoir de 1889. Émile Gallé ne pouvait qu’être sensible à cette écriture, qui se prête

parfaitement à l’ornementation et jouit dans l’architecture et l’art musulmans d’une vocation décorative évidente. Sans en être à l’origine, la présence notable de l’écrit dans cette civilisation n’a pu que le conforter dans l’emploi de citations afin d’orner ses œuvres. Le Japon, lui, est présent dans les répertoires de formes et de décors mais aussi dans le traitement des motifs. L’art japonais accorde à la faune et à la flore une attention particulière et n’hésite pas à en faire le sujet central de nombreuses œuvres, des plus modestes aux plus riches. Émile Gallé partage cette sensibilité envers la nature que la fréquentation d’estampes et d’objets japonais de sa collection personnelle et de l’atelier de la manufacture n’a fait que renforcer. Mais cette influence ne se limite pas aux thèmes décoratifs, elle intéresse également le traitement. Ainsi le vase Herbes et Papillons du musée de l’École de Nancy se fait-il remarquer par une représentation très libre, presque graphique, des brindilles et des ombellifères auxquelles se mêlent des papillons, aboutissant à une quasi-stylisation des motifs très éloignée du naturalisme de vases contemporains ou plus tardifs. À l’influence du Japon, on pourrait ajouter celle de la Chine.

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GALLÉ, LE VERRE ET SES TECHNIQUES, QUELQUES REPÈRES Jean-Luc Olivié

É

mile Gallé est formé dès sa jeunesse au sein de l’entreprise familiale à la compréhension des techniques de mise en forme et de décor du verre. Mais, rappelons-le, il ne les pratique pas personnellement, du moins à un bon niveau de compétence professionnelle. Ainsi qu’il le formulera en 1889 dans les fameuses notices remises au jury de l’Exposition universelle, sa place, son « œuvre personnelle consiste surtout à rêver pour le cristal des rôles tendres ou terribles, à lui composer soigneusement des visages aimables ou tragiques, à mettre la technique aux ordres de l’œuvre préconçue, à jeter dans la balance d’opérations hasardeuses des chances de succès possible1 ». Plus prosaïquement, n’oublions pas qu’il est aussi chef d’entreprise et donc responsable de la coordination efficace des équipes techniques qui se succèdent pour donner naissance, suivant les cas, à l’œuvre ou au produit. Cette coordination doit tenir compte de facteurs de distance géographique et même du passage d’une frontière, puisqu’une partie de la fabrication est réalisée à Meisenthal jusqu’à ce que Gallé regroupe ses activités et crée sa propre manufacture à Nancy en 1894. Mais, bien que n’étant pas un exécutant, il est un véritable spécialiste du matériau et de sa mise en œuvre, un érudit et un créateur qui fera montre tout au long de sa carrière de poète et d’industriel du verre d’une exceptionnelle intelligence de le technique. Sa compréhension des réalisations des verriers de son époque s’enrichit de l’étude des œuvres du passé, qui lui permet tant d’apprécier les résultats formels et stylistiques que de décrypter les processus de fabrication afin d’élargir son vocabulaire technique.

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Gallé, le verre et ses techniques

1 Vase aux bleuets, vers 1879 Détail Musée de l’École de Nancy (inv. HD 8) Catalogue n° 115

La mise en forme des verres de Gallé est toujours basée sur la technique artisanale et millénaire du soufflage d’une masse de verre en fusion – la paraison – au bout d’une canne métallique creuse. Différents types de moules sont utilisés, qu’ils soient à profil simple (soufflé-moulé tourné) ou à relief asymétrique (soufflémoulé fixe). Mais ces moulages ne sont presque toujours qu’une étape dans un processus qui comporte aussi des apports à chaud : anses, pieds, filets, larmes, cabochons, etc. Des manipulations comme la torsion, l’élongation et l’ondulation des cols complètent éventuellement ces opérations à chaud, avant la mise en place de décors peints à froid nécessitant une cuisson (émail, or, grisaille, jaune d’argent...) et d’ornements ou finitions à froid (taille et gravure). Nous reviendrons sur les types de traitement à chaud particuliers que Gallé nomme « marqueterie » et « patine ».

COULEURS ET MATIÈRES Avant 1878, l’éventail des couleurs des verres de la firme familiale dont Émile Gallé prend la direction en 1877 se limite à celles de différentes matières transparentes et à des ambrés ou fumés translucides. En 1878, il affirme avoir mis au point « un verre à base de potasse coloré par une faible quantité d’oxyde de cobalt d’un ton de saphir assez agréable [...] Mise par moi au commerce sous le nom de clair de lune [...] » (1889, p. 333). Ce verre subtilement coloré (fig.1), souvent support d’émaux opaques, est parfois associé à une autre variation de la matière, connue à Venise

depuis le XVIe siècle et obtenue par un soudain refroidissement du verre chaud ; il s’agit du verre craquelé, dont on peut observer un exemple sur le petit vase à anse orné d’insectes émaillés. De 1878 à 1889, de nombreuses recherches de laboratoires et expériences chimiques lui permettent d’étendre la gamme de couleurs des émaux peints. « À son début dans cette voie, c’est-à-dire vers 1873, Gallé employait uniquement le rouge, le blanc, la turquoise et le vert opaque, ainsi que le bleu translucide et l’or, le tout cerné d’un trait de brun » (1884, p. 308). En 1884, lors de l’exposition de l’Union centrale des

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Émile Gallé et le verre

arts décoratifs, il présente de nombreux tons nouveaux d’émaux opaques ainsi que des émaux translucides. Rédigeant ses notices au jury en 1889, il affirmera « qu’il n’est guère aujourd’hui de nuances, si fugitives soient-elles, que ma palette d’émaux en relief sur le verre ne reflète, depuis l’orangé, le rouge de cire à cacheter, jusqu’au violet et au pourpre » (1889, p. 342). Parallèlement à cet élargissement de la gamme des couleurs à peindre, Gallé multiplie, surtout à partir de 1884, les tons de verre coloré dans la masse, mais il les emploie rarement sous une forme homogène. « Tacheté », « moucheté », « sali », le verre est fréquemment teinté de façon irrégulière, souvent sur la paraison de verre au bout de la canne, par des oxydes métalliques mais surtout par des poudres ou des copeaux de verre de couleur. C’est ainsi que Gallé enrichit ses associations entre le verre et les colorations irrégulières des pierres semi-précieuses et des matières naturelles comme le quartz coloré, l’améthyste, la sardoine, l’écaille... En 1889, il mentionne aussi l’ambre, les jades et différents types d’agates. Enfin, les mots « jaspures », « marbrages » [sic], « malaxages » apparaissent sous sa plume en 1889, avant qu’il ne précise que « l’élaboration de ces pièces singulières est réglée par moi-même durant le travail du verrier » et que les combinaisons d’une centaine de coloris de base lui « permettent d’obtenir une infinie variété d’accidents et de nuances, absolument inédites dans l’art du verrier » (1889, p. 334). En 1884, il présente ses premiers « doublés et des triplés avec couche marbrée » (1884, p. 303), mais c’est en 1889 que cette pratique connue des verriers romains, pratiquée par les Chinois depuis le XVIIIe siècle et très en vogue en Europe au XIXe siècle, prend vraiment

de l’importance chez lui. Cependant, aux contrastes francs de couleurs vives et généralement opaques, à la manière du blanc opaque sur bleu foncé du fameux vase antique dit de Portland, Gallé préfère la superposition de tonalités plus nuancées et variées, créant une riche et irrégulière polychromie avant même l’intervention du graveur. Deux couleurs de doublage formant la couche superficielle extérieure, particulièrement originales, font sa fierté : il s’agit d’un noir opaque appelé « hyalite » et d’un rose vif obtenu par des sels d’or, présents à partir de 1889 dans la palette du verrier. En 1889, ce procédé de couches superposées à chaud est utilisé uniquement pour des pièces d’exception, gravées artisanalement, à la roue, en camée (motif en relief) ou en intaille (motif en creux). Plus tard, après 1894, ce savoir-faire simplifié et associé à la gravure à l’acide donnera naissance à de véritables productions en série. La « patine » À la fois couleur et matière, le procédé décoratif dont Gallé dépose le brevet le 12 août 1898 et qu’il appelle « patine » correspond à l’exploitation d’un phénomène habituellement considéré par les verriers comme un défaut de fabrication rédhibitoire. Le verre, au cours de sa mise en forme à chaud, est exposé à des poussières de combustion. Sa surface en est troublée, ridée, et finalement « offre au toucher un matage soit doux, soit rugueux. C’est ce matage que j’appelle patine du verre, du cristal, quelles que soient les poussières employées pour souiller ainsi le verre à chaud2 ». Difficile à décrire et due à une altération physico-chimique du verre provoquée et partiellement contrôlée,

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Gallé, le verre et ses techniques

2 Vase Écume de mer, vers 1903-1904 Détail Musée de l’École de Nancy (inv. HV 12) Catalogue n° 314

la patine n’est pas une technique d’ornementation au rendu précis mais plutôt une famille d’effets de matière et de surface. Les effets inédits, souvent étranges, qui conservent le caractère aléatoire de cette « patine » sont employés dans les réalisations d’exception des dernières années de Gallé, mais ne s’adaptent pas bien à des séries, même de haut de gamme. Enfin, en 1903, en cherchant à imiter un certain aspect de la soude, Gallé met au point une matière dans laquelle des « grumeaux » blancs sont comme suspendus dans la masse transparente du verre. Ces suspensions blanchâtres ne sont pas sans rappeler certains effets de flocons de neige obtenus par les verriers chinois au XVIIIe siècle, mais Gallé les utilise aussi pour évoquer l’écume de mer (fig. 2). Les nouveautés mises au point par Gallé et ses équipes dans le domaine des coloris et des matières ne consistent donc pas simplement en des procédés inédits rendus possibles par le développement de la chimie appliquée, typique des industries de son siècle, mais aussi en des trouvailles, en des manipulations, en des jeux qui relèvent de l’imagination créatrice autant que de l’étude scientifique.

L’ORNEMENTATION À FROID La gravure à la roue L’abrasion du verre par des meules en rotation, technique dérivée du travail des pierres dures, connue depuis l’Antiquité, a trouvé un nouvel élan à partir de la fin du XVIe siècle. Mais jusqu’au début du XIXe siècle,

il ne semble pas que la France ait produit grâce à cette technique des pièces originales et prestigieuses. Tout d’abord parisienne, cette gravure, sur cristal ou verre, se développe dans les manufactures de l’Est à partir du milieu du siècle avec l’arrivée en France de spécialistes formés en Allemagne ou en Bohême. En 1884, Gallé annonce que ses « gravures sont toutes exécutées au touret, à l’émeri, à la roue de plomb, de cuivre ou de bois », et affirme, assez péremptoirement : « Elles sont poussées jusqu’au fini le plus précieux. Les figurines sont exécutées aussi soigneusement que les

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Émile Gallé et le verre

6 Vase Lis de mer, vers 1903 Musée de l’École de Nancy (inv. HH 9) Catalogue n° 313

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Vase Le Genièvre, 1900 DÊtail de la signature Cat. no 244


Vase ForĂŞt guyanaise, 1900 DĂŠtail de la signature Cat. no 247


CATALOGUE DE LA COLLECTION DU MUSÉE DE L’ÉCOLE DE NANCY Françoise Sylvestre, Valérie Thomas

SERVICES DE VERRES Catalogue n 1 à 102 os

OBJETS D’ART Catalogue nos 103

à 367

LUMINAIRES Catalogue nos 368

à 383

ÉTUDES Catalogue nos 384

à 401

Avertissement Toutes les dimensions sont en centimètres. Les dénominations en italique sont celles inspirées par une citation ou inscription sur les pièces. Les autres numéros font référence à une numérotation dont nous n’avons pu identifier le sens (numéro de catalogue ancien ?, numéro de liste ancienne ?...). La quatrième section du catalogue correspond à un ensemble de pièces que nous avons réunies sous le nom d’études. Il s’agit de verreries restées à l’état d’essai, d’ébauche, et qui n’ont jamais fait l’objet d’une finition. Elles n’étaient pas destinées à la vente, mais à rester dans l’atelier afin de servir de modèles pour d’autres pièces.


SERVICES DE VERRES


5 Carafe Ă vin Fleurs et Rubans, 1867 Inv. 003.0.2


8 Grande coupe Fragile Pignus, 1870 Inv. 998.9.1


18 Cruche Perspective europĂŠenne, vers 1878 Inv. 992.5.1


22 Cruche émaillée au poisson japonais, 1878-1900 Inv. JC 33


25 Verre Ă vin, service Larmes, vers 1880 Inv. 305


75 Verre à madère conique, vers 1894 Inv. TT.83.43


60 Verres Ă liqueur Ballade des dames du temps jadis, 1884-1900 Inv. 403 bis 1 Ă 403 bis 5


66 Verre Ă pied Pampres, vers 1884-1889 Inv. 311


64 Cruche Toujours de même, 1884-1889 Inv. 003.0.9


65 Flacon persan, vers 1884-1889 Inv. VD 4


69 Service à liqueur Chardons, vers 1889 Inv. JK.1.1 à JK 1.9


79 Verre ballon Ă spirales, vers 1895 Inv. 298


93 Verre à eau, service Chrysanthèmes, vers 1902 Inv. TT 83.34


98 Verre Ă vin Ombelles, 1903-1904 Inv. TT.83.38 bis


OBJETS D’ART


108 Éventail Une poule survint, 1878 Inv. PT 6


115 Vase aux bleuets, vers 1879 Inv. HD 8


120 Vase Escargot des vignes, 1884 Inv. HH 16


124 Vase octogone Grenouilles, 1884 Inv. AD 31


126 Coupe Primavera, 1884 Inv. AV1


132 Coupe montée La Nuit, vers 1884 Inv. SO 1


146 Vase Espoir, 1889 Inv. 341


147 Vase à bague médiane, 1889 Inv. HH4


156 Vase Seulette suis, 1889-1900 Inv. HH 5


158 Vase au lis martagon, vers 1889 Inv. VD 3


172 Vase Les Anémones de Pâques, 1892 Inv. HH 12


178 Vase Moonwort, 1894 Inv. HH 8


201 Vase Sang de bœuf à spirales, vers 1895 Inv. 356


205 Vase canthare ProuvĂŠ, 1896 Inv. 955.1.1


231 Vase diabolo L’Étang, vers 1898-1900 Inv. OAO 1122


232 Broc Les Pins, vers 1898-1900 Inv. JC 16


237 Vase calice Le Figuier, vers 1898-1900 Inv. HH 18


244 Vase Le Genièvre, 1900 Inv. 342


250 Amphore du Roi Salomon, 1900 Inv. 308


251 Vase Hommes noirs, 1900 Inv. JC 15


258 Vase La Nuit japonaise ou Fleurs de pommier et papillon, 1900 Inv. AD 60


261 Vase cornet Iris, 1900 Inv. AD 57


296 Coupe Rose de France ou coupe Simon, 1901 Inv. AD 338


297 Vase La Soude, vers 1901-1903 Inv. 64-1


308 Vase Les Pins de Ravenne, 1903 Inv. HH 1


315 Vase GĂŠologie, 1903-1904 Inv. KG 1


316 Vase Fourcaud, 1904 Inv. HH 3


317 Coupe Libellules, 1904 Inv. 00.13.1


318 Main aux algues et coquillages, 1904 Inv. RD 1


LUMINAIRES


371 Lampe aux ombelles, vers 1902 Inv. 265


375 Lampe Cycas revoluta, 1903-1904 Inv. 988.6.1


376 Surtout lumineux Les Pontédéries, 1904 Inv. PT 5


ÉTUDES


387 Étude de marqueterie, 1898 Inv. 354




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