Conte

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Compter et conter les étoiles

Il était une fois, un roi puissant mais âgé, qui régnait sur un royaume minuscule au fin fond du MoyenOrient. Le pays était composé de dunes; il y faisait très chaud même au beau milieu de la nuit. La ville où vivait le roi se situait en plein désert. Le palais avait été bâti sur une ancienne oasis; chaque fois que soufflait une tempête, le sable envahissait le moindre recoin du palais.

Le roi avait pour nom Al Kader et était avide de connaissances. Il vivait dans un immense palais. La bâtisse était richement décorée; les murs et le sol étaient recouverts d'or, les meubles étaient taillés dans un bois précieux. Des fresques ornaient le plafond, le sol était recouvert de mosaïques de pierres précieuses. Le roi habitait cette somptueuse demeure avec sa femme Nyrina et ses enfants: son fils aîné Ghalib, son fils cadet Mansour et ses deux filles Esma et Djamila. Il aimait aussi s'entourer de grands savants: il voulait qu'ils lui apportent des réponses aux nombreuses questions qu'il se posait. En particulier il y en avait un avec lequel le roi aimait à s'entretenir. Il s'agissait d'un très vieux mage que le sultan affectionnait particulièrement parce qu'il incarnait la sagesse. Le vieil homme vivait à l'écart de la cour royale. C'était un personnage étrange et rêveur qui désirait acquérir le plus de connaissances possibles. Il affectionnait particulièrement les sciences célestes.

Un jour le roi décida de convier son mage pour s’entretenir d’astronomie. Un soir, ils devisèrent un certain temps dans les jardins. La soirée était plaisante; une douce brise rendait l’atmosphère agréable et rafraîchissait le visage des deux interlocuteurs. 1


Le zéphyr faisait bruire le feuillage de la luxuriante végétation exotique. A la fin de l’entretien, le roi finit par poser au mage une question qui le préoccupait depuis un certain temps : il aurait aimé savoir combien d’étoiles illuminaient le ciel et s’il était même possible de les compter. Il connaissait les catalogues d'Hipparque et de Ptolémée comportant un millier d'étoiles; mais il était convaincu qu'il devait y en avoir beaucoup plus. Une seule solution s'imposait: il fallait les compter!

Interloqué, le mage l’arrêta brusquement : « Mais vous rendez-vous compte Majesté de l’ampleur d’un tel projet ? L’expression métaphorique « compter les étoiles » désigne une tâche impossible ! ne l’oubliez pas ! ». Mais le roi n’était pas disposé à abandonner aussi rapidement son projet. Il aimait relever les défis ; et là c’en était un. Le mage reprit la parole : « J’ai observé qu’il y avait un très grand nombre d’étoiles qui émaillaient le ciel. Il serait vraiment impossible de les compter sans se tromper. Ces petits points me fascinent autant qu’un orfèvre devant une réserve d’or inexploitée. Cela risque d’être complexe de compter toutes les étoiles ! ». Al Kader proposa au mage de faire venir des scientifiques qui pourraient se pencher sur la question. Il fut décidé que prochainement le mage pourrait rencontrer les scientifiques afin de se lancer dans la réalisation de ce projet d’envergure. Une date fut arrêtée.

Le soir choisi vint. Roi, mage et éminents scientifiques étaient réunis sur la plus haute terrasse du palais. L’observation tourna court : au loin, dans le désert, on apercevait les signes annonciateurs d’une tempête de sable

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Il fut décidé que l’observation se ferait dans un premier temps de manière théorique à partir de dessins. Le mage décida donc de faire un fond de ciel étoilé qui permettrait d’élaborer aussi une méthode de comptage. Sa proposition fut adoptée à l'unanimité. Quelque temps après, Roi, Mage et Scientifiques se trouvèrent de nouveau réunis pour faire le point sur l'avancée des travaux. C'est alors que le monarque s'enquit du fruit des recherches de ses savants et de son mage: « Pourriez-vous m'expliquer la méthode pour laquelle vous avez opté? » Le Mage prit la parole: « Nous sommes partis des hypothèses suivantes: admettons que les étoiles sont situées à la même distance de la terre et que leur répartition est uniforme. Vous vous doutez bien, Majesté, que les étoiles sont trop nombreuses pour toutes les compter! Il faut sélectionner quelques portions de ciel pour réaliser un échantillonnage de mesures. Pour ce faire nous avons donc pris un papyrus à l'intérieur duquel nous avons découpé un rectangle de 6,4 X 4,8. Nous avons appliqué notre petit cadre au hasard sur le fond de ciel étoilé en fermant un œil, le bras tendu. On a répété ce comptage 10 fois sur la carte et nous avons fait une moyenne étendue ensuite à toute la surface de la carte. »

Le roi interrompit le mage: « Mais ta méthode n'est pas bonne....Le ciel n'est pas rectangulaire! Il est rond! -Non, Majesté...Ce n'est pas ainsi qu'il faut envisager les choses, intervint l'un des scientifiques. Les Anciens parlaient de la sphère des fixes en évoquant le ciel étoilé...Aristote concevait le monde comme clos, fini et hiérarchisé. La limite du monde était la sphère des fixes, les fixes étant les étoiles accrochées à la sphère céleste transparente. Cette sphère tourne, ce qui permet d'expliquer à la fois le mouvement apparent des étoiles et l'existence des constellations. La terre est au centre, fixe et immobile. Le ciel est donc sphérique et nous n'en voyons que la moitié. » Le roi Al Kader avait compris le raisonnement du scientifique. Mais il envisageait déjà une autre restriction à la méthode des scientifiques: « -Si tu prends une petite fenêtre, tu compteras moins d'étoiles que dans une grande! C'est évident! 3


-Non, Majesté...Il faut d'abord que l'on vous expose les différents paramètres qui entrent en jeu et dont il faut tenir compte. Tout d'abord c'est vrai qu'il y a la taille de la fenêtre. Si l'on fait un cadre 2 fois plus grand on se rend compte qu'il n'y a pas deux fois plus d'étoiles. La répartition étant supposée homogène, on voit 2 fois plus d’étoiles mais la surface d’observation est 2 fois plus grande. La taille de la fenêtre ne modifie pas le comptage. » Le mage commençait de manifester des signes d'impatience. Personne ne s'occupait plus de lui. Il assistait à une discussion à bâtons rompus entre le roi et les scientifiques! Et il souhaitait conserver son rôle charismatique auprès du souverain; s'il ne reprenait pas la parole, il passerait pour un ignorant et un incompétent auprès du roi. Il ne pourrait plus prétendre être son conseiller dans différents domaines. C'est alors qu'il intervint pour poser une question qu'il estimait judicieuse: « Mais si on rapproche de nos yeux la fenêtre découpée dans le papyrus, on verra un champ plus large et donc on en comptera davantage!, affirma d'un ton péremptoire et un rien suffisant le petit homme. Les scientifiques se mirent tous à sourire dédaigneusement devant le raisonnement simpliste du mage. Une des personnes du groupe intervint pour montrer au conseiller en titre du roi que son argument était erroné. « Quand on diminue la distance d'observation, le champ d'observation augmente. Dans notre cas les angles sont petits et lorsque la distance est divisée par deux, le champ en est doublé c'est-à-dire que les deux dimensions de la fenêtre sont multipliées par deux. On voit alors 4 fois plus d'étoiles dans la fenêtre. Mais le calcul montre que le carré de la distance est divisé par 4. Nous obtenons donc le même nombre d'étoiles. Ainsi, la distance de la fenêtre à l'observateur ne modifie pas le comptage.

-Hélas, Majesté, intervint un autre membre du groupe, tout cela reste théorique ...Depuis le premier jour du Mutamer, les tempêtes de sable font rage et nous ne pouvons vous inviter à une observation réelle du ciel....

Il fallait attendre que la mauvaise période se termine. Quelques jours passèrent. Les tempêtes montrèrent des signes d’affaiblissement. Tout le monde se réjouissait de l’amélioration des conditions météorologiques. Il fut décidé d’un commun accord qu’on observerait un soir, dès que le ciel serait clément. 4


Les scientifiques avaient choisi d’observer sur une terrasse du palais ; l’endroit offrait des inconvénients : d’une part des serviteurs entretenaient des flambeaux afin d’éclairer les allées du palais ; cette source de lumière gênait les scientifiques dans leur observation du ciel. D’autre part, la lune faisait parfois son apparition et gênait les observations. Malgré l’intruse, tous les membres de la communauté scientifique purent toutefois faire plusieurs séries de comptage. Il ne restait plus qu’à analyser les résultats de leurs observations. Le roi les réunit à nouveau pour connaitre les conclusions de leurs observations. Le mage lui aussi avait été convié à la réunion. Mais il n’appréciait guère devoir s’effacer devant les scientifiques. Pour l’instant il songeait au tour qu’il pourrait leur jouer ; il cherchait ce qui lui permettrait de susciter l’admiration du roi. « Alors Messieurs, quelles sont vos conclusions ? » Un scientifique, élu porte-parole, s’avança respectueusement vers le roi pour lui présenter le fruit de leurs observations. « Sire nous avons réalisé plusieurs échantillonnages. Nous faisions chaque fois 5 séries de 10 comptages. Le nombre d’étoiles aperçues est quasi équivalent dans les séries d’une même soirée d’observation. Nous nous sommes aussi rendu compte que nous sommes gênés par la luminosité du ciel. C’est pour cette raison qu’il serait bon de supprimer toutes les sources de lumière qui illuminent le palais ! L’astre Sélène modifie notre perception du ciel mais nous ne pouvons avoir aucune incidence sur lui ! Ainsi la luminosité du ciel influence le nombre d’étoiles vues. » Le mage qui était resté silencieux un instant se mit à sourire malicieusement. Il allait avoir un rôle à jouer! Il allait montrer à tous que lui aussi était un homme important grâce à son savoir. Après avoir demandé au roi l'autorisation de s'absenter, il se retira discrètement et alla chercher dans son habitation une lampe qui, prétendait-il, avait des pouvoirs magiques. Quelque temps après il était de retour; il s'arrêta dans un coin de la grande salle. A l'abri des regards derrière un bouquet de jasmins il posa sur un petit guéridon richement décoré le précieux objet qu'il avait apporté: il voulait ménager l'effet de surprise! Il se mit à prononcer des formules magiques. Ses 5


incantations ne tardèrent pas à déclencher des phénomènes étranges et inquiétants... De la lampe montaient des volutes de fumée épaisse qui envahirent progressivement la salle. Les scientifiques se mirent à toussoter et à vitupérer contre le sorcier. Quel tour de magie était-il en train de leur jouer ? Même le roi ne semblait guère apprécier le tour d’illusion joué par son mage. Au bout d’un certain temps, la pièce entière fut envahie par la fumée. Brutalement ils furent pris d’un étourdissement ; la tête leur tournait, les murs de la salle semblaient bouger, le sol paraissait onduler. Ils avaient l’impression de perdre leurs repères ; ils s’appelaient afin de pouvoir savoir où ils étaient. Les scientifiques commençaient à être apeurés. Progressivement les voiles de fumée s’évaporèrent. Les scientifiques décidèrent de se retirer : le mage les effrayait, il était très certainement fou ! Les savants voulaient sortir de la pièce à présent méconnaissable mais ils ne trouvaient pas la porte tant ils étaient terrorisés par le pouvoir du mage. Celui-ci se réjouissait du tour qu’il venait de leur jouer. Il leur indiqua une lourde porte de chêne. Ils s’y précipitèrent pour fuir. Seul un scientifique plus téméraire et plus malin s’était planté fermement devant l’homme aux étranges pouvoirs avec l’intention de voir ce qu’il allait faire. Le roi, exaspéré par tant de remue-ménage, somma son serviteur de s’expliquer. Ce dernier informa son public médusé qu’il venait de faire apparaitre un génie qui allait les aider à voyager dans le temps ; il leur permettrait ainsi de voir le ciel à des époques différentes et avec des conceptions et des connaissances nouvelles. Enthousiasmés par un tel projet, le roi et le scientifique pressèrent le mage pour que le merveilleux voyage commence. Le petit homme demanda alors à son génie de les emmener dans une époque qui leur permettrait d'avancer dans la résolution de leur problème. Le génie prononça alors une formule magique. Tous les assistants se sentirent pris d'un vertige et ils sombrèrent progressivement dans une torpeur. *** Le jour venait de se lever. Le soleil éclairait doucement un petit parc. Dans un bosquet, nos trois voyageurs revenaient progressivement à eux, aidés par la température matinale un peu fraîche. Le roi observa attentivement l'endroit où il se trouvait. A côté de lui se trouvait une lampe: il se rappela alors le rôle du génie. Mis à part cet objet, tout lui était inconnu: le vaste jardin verdoyant, l'essence des arbres (jamais il n'en avait vu de pareils), la demeure en pierres....Jamais il n'avait vu un palais ainsi construit! Des pierres de taille composaient l'édifice flanqué de deux tours aux extrémités de la façade. De grandes ouvertures laissaient entrer la lumière à l'intérieur de la maison. 6


Pendant ce temps, le mage et le scientifique avaient recouvré à leur tour leurs esprits. Tous trois trouvaient qu'il faisait très froid dans cette étrange contrée. Le scientifique s'enquit auprès du mage du nom de ce pays. Ce dernier n'en savait rien. Ils décidèrent d'examiner l'endroit où le hasard (ou du moins le génie) les avait conduits. S'extirpant de leur bosquet, ils avancèrent en direction de la somptueuse bâtisse d'où s'élevait une mélodie aux notes cristallines et d'une grande puissance sonore.

Derrière un rideau de verdure, au milieu d'un vaste terrain, ils s'aperçurent alors de la présence d'un objet insolite: il s'agissait d'un long tube d'environ 12 mètres de long et d'un mètre cinquante de diamètre. Il était installé sur un échafaudage de bois. Nos trois héros s'approchèrent prudemment de ce curieux instrument. Quelle utilité pouvait-il avoir? S'agissait-il d'une arme? Ils décidèrent d'un commun accord de ne pas pousser plus loin leur investigation dans ce domaine et ils se dirigèrent à nouveau vers la maison d'où s'élevait la musique.

Ils s'approchèrent d'une fenêtre qui se trouvait au rez-de-chaussée et virent un spectacle qui les laissa cois: devant ce qui ressemblait à une table, un homme habillé d'une étrange façon tapait sur de petites lames blanches et noires d'où s'élevait une agréable musique. Avaient-ils fait du bruit en s'approchant? Toujours est-il que le musicien porta son regard en direction de la fenêtre et aperçut les intrus.

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Il s'arrêta de jouer et se précipita à l'extérieur avant que les trois visiteurs n'aient le temps de réagir. Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver devant des hommes à l'excentrique tenue! Mais d'où pouvait venir ces inconnus? ***

Un dialogue s'instaura alors. Le roi se présenta lui et ses compagnons. Il expliqua qu'ils venaient d'un très lointain pays et qu'ils avaient voyagé dans le temps. Leur hôte les regarda d'un air ébahi; mais il avait envie de les croire. Leur physionomie, leurs costumes, leur air hagard, tout portait à croire qu'effectivement ils se trouvaient dans une époque et un lieu qui n'étaient pas les leurs. A leur tour ils demandèrent au musicien de se présenter et lui posèrent diverses questions. Il dit qu'il s'appelait William Herschel. Ils étaient arrivés au XVIIIème siècle, plus exactement en 1785 dans un pays qui avait pour nom Angleterre. Le roi voulut savoir quel était ce merveilleux instrument qui produisait de la musique. Herschel lui répondit qu'il s'agissait d'un clavecin. Il expliqua qu'il était à la fois musicien et astronome et que dans cette tâche il était aidé de sa sœur Caroline. Le scientifique se rappela alors de l'étrange construction qu'ils avaient aperçue dans la propriété. Il interrogea l'astronome. Celui-ci leur expliqua son projet: il souhaitait compter les étoiles dans de nombreuses directions afin de déterminer la position de la terre dans la galaxie. Les trois visiteurs avaient du mal à comprendre les propos de leur hôte. Le mot « galaxie » ne leur disait rien par exemple. Ils lui exposèrent le but de leur voyage et de leur quête: eux aussi voulaient compter les étoiles! Devant l'intérêt de ses « invités », William Herschel leur proposa d'aller voir de plus près l'instrument qu'il avait imaginé. En chemin il leur expliqua qu'il était parti des hypothèses suivantes: les étoiles avaient toutes la même luminosité intrinsèque. Mais, comme elles avaient des éclats différents, c'est qu'elles devaient se trouver à des distances différentes. Il exposa toute sa théorie. Il supposait aussi que leur répartition devait être uniforme. Par conséquent, si l’on comptait davantage d’étoiles dans une région du ciel c’était que le volume exploré était plus grand et donc que la distance limite était plus lointaine. Ainsi, si l’on comptait 8 fois plus d’étoiles dans une région que dans une autre, c’est que le volume était 8 fois plus grand ; donc la distance limite se révélait 2 fois plus grande (2x2x2 =8).

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Le roi, le mage et le savant étaient restés muets durant l'exposé d'Herschel. Ils étaient fascinés. Ils décidèrent d’appliquer ces hypothèses et cette méthode à leur comptage à l’œil nu. Ils demandèrent l'autorisation à leur hôte de rester jusqu'à la tombée de la nuit. Celui-ci s'empressa d'accéder à leur requête et les invita à diner le soir même avec lui et sa sœur. Le soir venu, la météo était de leur côté; ils observèrent le ciel et appliquèrent la méthode d'Herschel. Les résultats ne se firent pas attendre et le savant les exploita immédiatement en se livrant à des calculs qui prenaient en compte le nombre minimum et le nombre maximum d’étoiles comptées dans les différentes séries. La conclusion était sans appel : quelle que soit la direction observée, il trouvait à peu près le même nombre d’étoiles, la limite observable était donc la même. Il présenta la conclusion à laquelle il était arrivé au souverain: « quelle

que soit la direction dans laquelle nous observons nous comptons à peu près le même nombre d’étoiles ». Il ajouta : « nous observons facilement que les étoiles n'ont pas le même éclat, elles ne sont donc pas toutes à la même distance de l'observateur. Par conséquent l'univers observable à l'œil nu est contenu dans une sphère et nous sommes au centre… »

Tous les quatre se mirent à réfléchir à la conclusion à laquelle ils étaient arrivés et une nouvelle question leur vint à l'esprit: quand on regardait le ciel étoilé, voyait-on la réalité? *** 9


Les voyageurs étaient pressés de terminer leur périple. Il leur fallait songer à retourner dans leur pays et à leur époque. Mais auparavant ils devaient effectuer un autre voyage dans une autre époque. C'est ainsi qu'ils prirent congé de leur hôte. Le mage retourna chercher la lampe magique et fit apparaître le génie: ils étaient prêts pour une nouveau voyage fantastique! Quelques instants après nos trois amis se retrouvèrent dans un endroit bien différent du précédent. Le génie les avait encore transportés dans une époque et dans une contrée bien loin des leurs. Il faisait froid dans ce nouveau pays et la nuit commençait de tomber. Intrigués, ils se regardaient et n'osaient dire mot. L'endroit où ils se trouvaient leur semblait bien étrange: ils étaient entourés de bâtiments qui étaient loin d'avoir la splendeur des palais orientaux! Il s'agissait de cubes de béton percés de fenêtres. Le roi interrogea le mage:  Mais où nous trouvons-nous?  Sire je n'en ai pas la moindre idée! Pas le moindre brin d'herbe ne venait égayer le sol gris sur lequel ils avaient atterris. Le savant ne s'occupait guère de ce qui se passait au sol. Il était préoccupé par ce qui se trouvait au-dessus de sa tête. Quel ciel étrange! Quelle ne fut pas sa surprise de ne voir que peu d'étoiles! Il interpella ses compagnons de voyage: « Regardez la voûte céleste! Les étoiles ont presque disparu... » Le roi et le mage restèrent bouche bée. Le roi ajouta: « Cet endroit est pourtant éclairé; regardez ces étranges torches qui brûlent en permanence! » Il ne s'agissait ni plus ni moins que de lampadaires qui éclairaient une cour de collège!

Perdus dans leurs observations, ils ne virent pas s'approcher d'eux une silhouette qui les dévisageait depuis un certain temps. « Mais qui êtes-vous? » 10


Les trois orientaux firent volte face et se trouvèrent nez à nez avec un homme qui ne leur ressemblait en rien. Celui-ci était vêtu d'un pantalon et d'un pull; au vu de sa tenue plus moderne, ils comprirent qu'ils étaient arrivés à une époque encore bien éloignée de la leur. L'homme reprit sa question: « D'où venez-vous? D'une fête costumée? » Les trois hommes exposèrent alors leur situation et demandèrent à l'inconnu où ils se trouvaient et à quelle époque. Après avoir regardé les trois visiteurs d'un air interloqué, il finit par leur répondre. Il leur expliqua qu'ils se trouvaient dans un collège et définit le rôle de ce lieu; il ajouta qu'ils se trouvaient au mois de septembre 2009; il se présenta: il était enseignant. Le savant exposa alors l'objet de leur voyage: le but était d'apporter une réponse à la question du roi: comment compter les étoiles? Il ajouta qu'il était surpris de voir relativement peu d'étoiles. Le professeur leur dit qu'ils étaient bien tombés car il était astronome amateur et lui aussi était passionné par l'observation et l'étude du ciel. Il ajouta qu'il serait content de pouvoir les aider dans leur quête mais qu'il ne fallait surtout pas rester dans cet endroit s'ils voulaient pouvoir observer le ciel du XXIème siècle!

Il les invita à monter dans sa voiture. Ce ne fut pas sans méfiance que les trois hommes s'installèrent dans le véhicule. Ils roulèrent pendant un bon moment avant de s'aller perdre au milieu de la campagne. Le mage se plongea dans un livre d'astronomie qu'il avait découvert sur la banquette arrière du véhicule. Les autres hommes ne l'entendirent plus pendant un moment. Arrivés à destination, ils descendirent tous de voiture. Le professeur leur fit remarquer que le ciel n'avait pas le même aspect qu'au collège. Le roi approuva mais ne reconnut pas le ciel qu’il connaissait; celui-ci n’était pas aussi noir mais pour ne pas décevoir son interlocuteur il feint de s'émerveiller: « Oui, effectivement quel beau ciel! Vous êtes un magicien, vous nous avez fait réapparaître les étoiles! Peut-être pourrezvous nous renseigner? Est-ce qu'on peut apercevoir toutes les étoiles qui existent ? » Le roi se tourna vers son mage et son savant:« Quand on regarde le ciel étoilé, est-ce que l'on voit la réalité? Y-a-t-il une limite à ce que l'on peut voir? » Dans un premier temps, le mage répondit: « Apparemment, enfin d'après ce que j'ai lu dans votre ouvrage les étoiles n'ont pas toutes la même luminosité propre. » Le savant ajouta que les étoiles étaient des sources de lumière et que par conséquent on les voyait toutes. C'est alors qu'intervint leur hôte du XXIème siècle: 11


- Quand on observe une LED.... - une quoi ? interrompit le mage. Notre contemporain étaya son explication en définissant ce qu'était une LED. « Reprenons: une LED allumée à 1m ou à 10m ou encore plus loin à 100m nous apparaît de moins en moins brillante, pourtant sa luminosité propre n’a pas changée. Quand on observe un lampadaire de rue.... -«ah oui ! ces curieuses torches qui brillent sans flamme ? interrompit le mage. Le professeur reprit d'une voix où pointait l'exaspération: Oui ! supposons-le à plusieurs kilomètres et une LED à 1mètre, la LED nous apparaîtra plus lumineuse, pourtant sa luminosité propre est plus faible que celle du lampadaire. Par contre on ne verra plus la LED si on la place à la même distance que le lampadaire. On voit bien qu’il y a trois facteurs qui interviennent : la luminosité propre, la luminosité apparente et la distance entre l’observateur et la source de lumière. » Le savant prit alors la parole: « Pour les étoiles c'est pareil! Les disparités de luminosité entre les étoiles sont immenses ! » L'enseignant proposa une explication: « Ces différences proviennent en partie de ce que les étoiles se situent à des distances différentes de nous. En outre, elles sont effectivement très différentes les unes des autres comme le révèle de façon encore plus évidente la couleur de leur lumière. Quand on regarde attentivement le ciel on s’aperçoit que les étoiles n’ont pas toutes la même couleur, c’est qu’elles n’ont pas toutes la même température. En effet un morceau de fer chauffé va rougir, puis si on le chauffe davantage il sera chauffé à blanc ! De même les étoiles rouges sont plus froides que les blanches. Les scientifiques ont classé les étoiles par couleur, des plus chaudes (qui émettent davantage dans le bleu) aux plus froides (qui émettent davantage dans le rouge). Mais ils ont fait une découverte surprenante ! il n’y a pas comme on pourrait s’y attendre un grand nombre d’étoiles dans chaque catégorie avec une gamme de luminosité identique. Ils ont constaté que la très grande majorité des étoiles se répartissent sur une zone appelée séquence principale (où se trouve le soleil par exemple) et puis deux zones situées de part et d’autre où se trouvent les géantes et les naines blanches, étoiles beaucoup plus rares. 12


Nous ne voyons à l’œil nu que les étoiles les plus brillantes de la séquence principale de couleur bleue ainsi que les géantes de couleur rouge elles aussi très brillantes. » Les voyageurs extraordinaires avaient écouté avec beaucoup d'attention les explications fournies par leur hôte. C'est le savant qui formula donc la conclusion: Donc notre vision du ciel ne correspond pas à la réalité, nous voyons beaucoup plus d’étoiles géantes rouges et de bleues de la séquence principale que d’étoiles de type solaire alors que ces dernières sont très nombreuses tandis que les autres étoiles sont beaucoup plus rares. »

L'aventure des trois voyageurs touchait à sa fin; ils devaient retourner dans leur pays et à une époque bien éloignée de la nôtre. Ils prirent congé de leur dernier hôte tout en le remerciant des nombreuses explications qu'il leur avait données. Ils regardèrent s'éloigner la voiture et restèrent seuls dans une nature qui ne leur était guère familière. Le roi coupant court à cet instant nostalgique intervint: « Messieurs il nous faut repartir » Ensuite le mage sortit de l'une des manches de sa robe orientale la fameuse lampe. Par une formule magique dont lui seul avait connaissance, il requit l'intervention et l'aide du génie. Une épaisse fumée s'éleva de la lampe et enveloppa le paysage. Les trois hommes se sentirent pris d'un étourdissement. Quand ils ouvrirent à nouveau les yeux, ils regardèrent autour d'eux et découvrirent un paysage qui leur était beaucoup plus familier: le clair de lune était masqué par l'ombre des palmiers doucement bercés par le zéphyr. Au loin on devinait l'ombre des dunes. Devant eux s'élevait la muraille d'un palais....celui du roi...

Nos amis étaient loin d'avoir fini leur exploration...Toutes les questions n'étaient pas encore résolues...Des zones du ciel semblaient contenir moins d'étoiles: quel en était la raison? A cette question s'en ajoutaient d'autres encore plus complexes: le temps modifiait-il lui aussi notre perception du ciel?

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