Arts One Magazine, Volume 1

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2€

1 Peinture SculPture DeSSin Art numérique inStAllAtionS BAnDe DeSSinée DeSign Architecture hôtelS PhotogrAPhie mécénAt VoyAgeS

Art

PhilAnthroPie


MÉCÈNES ARTSONE 02

:: REMERCIEMENTS ArtsOne volume 1

NOS MÉCÈNES PREMIUMS ArtsOne Magazine paraît aujourd’hui grâce à l’esprit visionnaire et philanthropique de nos deux premiers mécènes premiums :

Banque Neuflize OBC Fondation Yves Rocher

Un magazine ArtsOne acheté = 1 arbre planté en Russie par la Fondation Yves Rocher.*

Le Fonds de Dotation Claudel remercie tout particulierement : Philippe Vayssettes, Jacques Rocher, Nicolle Bouton, Henry Jean Servat, Alexandre Ag, Carla Bruni-Sarkozy, Olivier Dassault, Anne de Champigneul, Michel Soyer, Candice Hossein, Francois Delahaye, Emmanuel Limido.

FONDS DE DOTATION CLAUDEL

* Plantons pour la planète, à découvrir sur www.yves-rocher-fondation.org


EDITO :: ArtsOne volume 1

DAMIEN CLAUDEL 03

Edito

A

rts & philanthropie sont les raisons d’être d’ArtsOne. Passionné d’art et grand amateur de presse, j’ai voulu que ce nouveau magazine réponde aux différents défis que le XXIe siècle lance au secteur culturel. Entreprendre aujourd’hui dans ce domaine est de plus en plus difficile. Ne laisse-t-on pas entendre un peu partout que le papier est mort et que l’intérêt des mécènes se porte de plus en plus vers la science ou le sport. Il fallait donc, pour contrer cet accès de pessimisme, innover, trouver un nouveau modèle économique pour créer une revue d’art : esthétique, à fort contenu et à un prix raisonnable. Le magazine que vous tenez entre les mains possède 196 pages de rubriques, d’interviews, de portraits et de photographies pour la somme de 2 euros. Ce « petit miracle » a été possible grâce à la constitution d’un fonds de dotation d’intérêt général. Depuis de nombreuses années, les Américains créent des Fondations et donnent pour que la culture vive et se diffuse. La France, longtemps en retrait, dispose aujourd’hui d’une structure juridique qui permet, d’une part, de récolter des dons pour une cause prédéfinie et, d’autre part, de défiscaliser une partie substantielle de ces derniers : le fonds de dotation. Le fonds Claudel a mis l’art et sa transmission au cœur de ses préoccupations et souhaite sensibiliser un large public à la création contemporaine. Deux euros, c’est pour nous la garantie que la majorité de ceux qui le souhaiteront pourront lire le magazine. Je pense là plus précisément aux étudiants, aux jeunes en général. ArtsOne est la première réalisation du fonds Claudel dont l’ambition est de développer toute une activité autour de l’art d’aujourd’hui. Consacré en priorité aux artistes vivants, le magazine s’intéresse autant aux peintres, sculpteurs, dessinateurs, qu’aux stylistes, designers ou architectes. Si la discipline ne peut être discriminante, l’âge ne peut l’être non plus. ArtsOne sera donc très attentif à rendre hommage aux artistes qui ont passé une grande partie de leur vie en atelier, mais aussi aux jeunes talents qui timidement ou de manière provocante s’aventurent dans le monde de l’art. Le magazine fait également la part belle à ceux qui ont permis à ArtsOne de voir le jour : les mécènes. Collectionneurs éclairés, ils sont aussi passionnés que discrets. Si l’art qu’ils défendent brille parfois jusqu’à s’arracher à l’encan, eux demeurent bien souvent dans l’ombre. La France a mis longtemps à reconnaître la nécessité de soutiens privés, dans le domaine de l’art comme dans celui de la culture en général. Elle découvre aujourd’hui ces acteurs essentiels qui, par-delà leur réussite et leur contribution à l’essor et au rayonnement de notre pays, incarnent une France pays des arts et des lettres. Car si « l’art est un continent aux frontières indistinctes », il demeure aussi « le plus court chemin de l’homme à l’homme » confiait André Malraux, lui qui sut incarner avec tant de panache la culture, sans jamais la confiner à l’Hexagone. Damien Claudel

:: Damien Claudel et Marine Delterme dans l’atelier parisien de l’artiste. Photo Mathieu Baumer

Contact Fonds de dotation Claudel, 83, avenue de Wagram, 75017 Paris, France. art@fondsdedotationclaudel.com


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:: Olivier Dassault, Falcon Parking.

:: Miguel Chevalier, Fractal Flowers Cave

:: Marc Petit

:: SOMMAIRE

ArtsOne volume 1


SOMMAIRE :: ArtsOne volume 1

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SOMMAIRE ArtsOne volume 1

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INSTANTANÉS

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L’ART EN DIALOGUE :: Charlotte Waligora s’entretient avec Pouppeville

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BEAUX-ARTS :: Le temps suspendu d’Hicham Berrada

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LES MOTS :: Le dessin impossible de Christian Boltanski

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LA TOILE :: Les musées à l’heure du Web interactif

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LES BULLES :: Trois destins pour un polar urbain

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L’OBJET :: Le sacre de Libellule

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SHOWROOM :: Futurs classiques

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PETITE HISTOIRE :: Le « tapis toile », un art séculaire revisité

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ENQUÊTE :: Centre Pompidou-Metz – L’art à la rescousse

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D’UNE RÉGION L’AUTRE :: Bordeaux, le réveil de la belle d’Aquitaine

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L’ENTRETIEN AVEC MIGUEL CHEVALIER :: La métamorphose des algorithmes

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UN APRÈS-MIDI AVEC MARC PETIT :: In sculptura veritas

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L’ATELIER DE JEAN-MARC BRUNET :: Le « point rouge »

PEINTURE 84_91 92_97 98_101

:: Les bleus à l’âme de Jacques Monory :: Noires pulsions de Noémie Rocher :: Franck Lestard – Vanité des vanités


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:: Jacques Monory

:: Hôtel La Mamounia, Marrakech

:: Jeux de lumières nocturnes au parc des Nations, à Lisbonne

:: SOMMAIRE

ArtsOne volume 1


SOMMAIRE :: ArtsOne volume 1

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PEINTURE :: Antoine Roegiers – Maître magicien

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INSTALLATION :: Patrick van Caeckenbergh – Les nourritures terrestres

DESIGN 114_119 120_121 122_123

:: matali crasset – Le design à visage humain :: Oscar Ono – L’essence chatoyante des lieux

DESIGN HÔTELS

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La Mamounia – Luxe, calme et raffinement W Miami - Coup de pouce à la création design Les Bahamas - 16 trésors à découvrir W Barcelona – Une voile entre ciel et mer Sybille de Margerie – L’élégance des couleurs

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ARCHITECTURE :: Roland Castro – Le chantre de l’utopie concrète

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PHOTOGRAPHIE :: Olivier Dassault – L’image transcendée

SCULPTURE 138_141 142_147 148_151

:: Marine Delterme – Le temps du regard :: Duvier Del Dago – Tisserand d’un monde diaphane :: Romain De Souza – Les souffrances en majesté

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DE PAGE EN IMAGE :: Gianbattista Bresciani – Une peinture que traverse le silence du vent

LE MÉCÉNAT 158_163 164_167 168_169 170_171 172 173 174_175 176 177 178_179 180

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AILLEURS

Banque Neuflize OBC Fondation Yves Rocher Gonzague Saint Bris - Rien sans amour Anne-Marie Springer – Indiscrets complices Fondation Prince Albert II de Monaco Le prix « ArtsOne » Fonds de dotation Claudel Fondation Total Fondation Antoine de Galbert – Maison Rouge Fondation Rustin Prix Meurice

:: Lisbonne, au-delà du fado 192_193

PLEINS FEUX

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ABONNEMENT


:: INSTANTANÉS

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ArtsOne volume 1

INSTANTANÉS

Rubrique dirigée par Caroline Figwer ::

FRANCESCA CARUANA LA MAIN ET L’ESPRIT Mon travail actuel est une gestualité maîtrisée. La peinture donne le fond, toujours, et le dessin donne la structure, il ossifie le tout, offre son squelette même discret à l’ensemble. Platon a dit : « Le dessin, c’est le graphe d’une idée ». On ne peut pas mieux exprimer ce qui se passe concrètement dans le mouvement de la main et de l’esprit. Ce qu’on appelle le talent repéré dans l’histoire classique à travers des chefs-d’œuvre de Léonard ou d’Ingres devrait définitivement être étendu à Cy Twombly, par exemple, et pour les mêmes raisons. Pas pour des concessions historiques. La figuration n’est pas une justification, la ressemblance n’est qu’un bon devoir du dessin, ce n’est pas son intelligence. Enfant de Support/Surface, époque oblige, j’ai canalisé le plaisir du dessin au profit de celui du tracé. Ça a mis de nombreuses années à devenir la pratique libre

que j’en ai aujourd’hui : le trajet du dessin apparaît aléatoire, le rôle de sa corporéité le légitime. Sur ou dans la couleur, le dessin architecture massivement ou parcimonieusement la peinture. Parfois apparaît une figure (fil de barbelé, paille, herbe…), c’est sans importance, et grand mal prendrait à celui qui voudrait enkyster la figuration dans un sujet car il n’y trouverait aucune anecdote, voire aucune narration... La narration à la rigueur oui, à condition de la considérer comme plastique. Il s’agit en réalité d’une logique plastique. » Francesca Caruana

Contact :: www.francesca-caruana.com Légende :: Paysage de mer, acrylique, graphite, mine de plomb sur bâche. Photo Michel Castillo


INSTANTANÉS :: ArtsOne volume 1

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LE « RÉ » DE JÖRG HERMLE Après la publication d’une monographie de mon travail, j’ai eu envie d’aller ailleurs. C’était comme si ma peinture se secouait et laissait tomber le superflu. Après une série de toiles sur fond vert, j’ai sorti un vert de cobalt pour le marier avec du rouge cadmium. A cinq ans, une coulée de rouge dans du vert m’avait profondément ému. Etait-ce ce souvenir qui me poussait alors à ce mélange ? Je ne saurais le dire. Le mélange des deux fut, contre toute attente, épouvantable au point que j’ai dû ajouter un peu de jaune, de blanc pour rendre la couleur acceptable. Seulement, en y regardant

de plus près, elle était devenue terre de Sienne naturelle avec un peu de blanc de Titane. Le reste : dessin noir accompagné de couleurs tendres. J’emploie toujours un noir dioxyde de fer car il sèche mieux que les noirs organiques. Ainsi est née ma série Terre de Sienne. Au peintre qui me dit “ Je n’aime pas cette couleur ”, je demande si un musicien peut ne pas apprécier le “ ré ” ! » Jörg Hermle Contact :: www.jorg-hermle.com Légende :: La vie écolo, 120 x 120 cm, 2010. Photo Jörg Hermle


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SABRINA GRUSS A LA SUITE D’ORPHÉE Rares sont les personnes qui reçoivent des chats morts par La Poste. Moi, j’ai ce privilège. Ils sont arrivés au creux d’un carton en provenance de Pont-Aven, telles deux galettes. Ils en avaient la couleur. Le jour de l’inventaire, on les découvrit côte à côte, sur le haut de l’armoire de la chambre fermée depuis le décès de leur maîtresse. Quelques jours plus tard je me retrouvai (grâce à M. Jakez, galeriste de son état, qui ne recule devant rien pour encourager ma création) l’héritière des deux greffiers. Heureuse de rendre hommage à la dame. L’oie de Manon était un chien… sur les talons de la fillette depuis sa naissance. Mais le renard avait les crocs, et de Cocoua ne laissa que le cou, la poitrine et le dos. “ Je voudrais que vous l’honoriez ”, disait la petite voix sur mon répondeur. Nous l’avons enterrée, Manon et moi, comme il se doit. Aujourd’hui le roi des gueux chevauche l’oiseau qui a retrouvé des pattes, une queue et un bec… Témoin des grandes ou petites tragédies d’humains, d’animaux ou de végétaux, chacune de mes créatures porte en elle une histoire secrète qui m’est parfois connue ou révélée, et qui tout doucement se mêlera à la mienne le moment venu. Il faut enterrer, déterrer, recomposer, remettre debout pour jouer et sourire à nouveau. » Sabrina Gruss Contact :: http://sabrinagruss.free.fr Légende :: Le roi des gueux. Photo Sabrina Gruss

:: INSTANTANÉS

ArtsOne volume 1


equestrio un objet de collection qui se renouvelle tous les trois mois

www.equestrio.com


:: INSTANTANÉS ArtsOne volume 1

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L’HOMME SELON FABIEN MERELLE La pudeur a changé son fusil d’épaule, elle se cache désormais derrière des corps lisses, nus, idéalisés. Usée jusqu’à la corne par nos faiseurs d’images la nudité a perdu de son pouvoir d’évocation. Un genou émergeant d’un jupon, une main extirpée d’un gant ne feraient plus rougir personne. L’objet du désir a été traité sans ménagement et l’envie elle-même, la sexualité, semble disparaître sous le papier glacé et le carcan d’une société moins polissonne, plus policée qu’elle ne le croit. Le dessin permet, entre autres, de réaliser, de projeter ses fantasmes ; celui-ci en est un. La suite, tout le monde ou presque la connaît, c’est la pieuvre d’Hokusai, ou l’homme devient un monstre de désir. J’ai revêtu la bête des attributs qui sont les miens, le pyjama, le marcel, le rêve. L’animalité peuple mon travail parce qu’elle dit mieux ce que l’homme est : un cochon qui marche sur ses deux pattes arrière. » Fabien Merelle Contact :: www.fabienmerelle.com Légende :: Poulper. Photo Fabien Merelle


Ensemble, pour un monde plus vert.

La Fondation Yves Rocher poursuit son engagement auprès des Nations Unies dans l’opération

-

PLANTONS POUR LA PLANETE, et se donne pour objectif de planter 50 millions d’arbres.

Crédits Photos : P. Wallet

Plantez pour la Planète ! Rendez-vous sur le site web de la Fondation Yves Rocher et rejoignez la «Tribu des Planteurs», en trois clics. Choisissez un lieu de plantation, plantez un arbre et laissez un message à la Planète.

Rejoignez cette mobilisation internationale et plantez un arbre sur : www.yves-rocher-fondation.org


:: INSTANTANÉS ArtsOne volume 1

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IVANA ADAIME-MAKAC S’ESSAYE À LA « DÉDOMESTICATION » Rééducation est une installation évolutive à entretenir, montrée lors du salon de Montrouge. Elle constitue le premier volet d’un projet utopique à long terme qui tend à la “ dédomestication ” du vers à soie. Cette pièce met donc en scène des spécimens face à une expérience : ils peuvent choisir entre se nourrir des feuilles coupées et disposées à leur portée (comme dans un élevage) ou monter sur le mûrier pour prélever leur aliment à la source. Cet animal, qui n’existe plus à l’état sauvage, ne m’intéresse pas pour sa capacité à produire de la soie, mais pour son statut d’animal transformé et éloigné de son milieu d’origine, conséquence de 5 000 ans d’élevage. L’arbre est enchâssé dans un socle en carreaux de céramique noire, qui imite les paillasses de laboratoire, sur lequel vers à soie et feuilles de mûrier blanc

se dégagent de manière graphique. Pendant la durée de l’exposition, l’installation se transforme progressivement. Le jour du vernissage, le feuillage de l’arbre était intact et les vers à soie étaient à peine visibles pour les visiteurs pressés. En quatre semaines, ils ont multiplié leur poids par mille, l’arbre a été mangé par quelques intrépides, des débris de feuilles et d’excréments se sont accumulés et des cocons sont apparus. Cette pièce comporte également une dimension performative liée à son entretien quotidien et aux divers gestes et stratégies déployés pour assurer son déroulement. » Ivana Adaime-Makac Contact :: www.ivanaadaimemakac.fr Légende :: Rééducation (et détails), 2009-2010. Installation. Photos I. Adaime-Makac


To get the best view of the Eiffel Tower in Paris, don’t go out; stay in. In the capital of style, there can be no more elegant accommodation than the Eiffel Suites at the Hôtel Plaza Athénée. Decorated in exquisite classical or art deco style, each features a window with a gilded surround, framing the tower itself. A view outside every bit as stunning as the inside. Tel.: +33 1 53 67 66 65 www.plaza-athenee-paris.com

An Extraordinary Collection The Dorchester

The Beverly Hills Hotel

Le Meurice

Hôtel Plaza Athénée

Hotel Principe di Savoia

The New York Palace

Hotel Bel-Air

Coworth Park

45 Park Lane

LONDON

BEVERLY HILLS

PARIS

PARIS

MILAN

NEW YORK

LOS ANGELES

ASCOT (2010)

LONDON (2010)


:: INSTANTANÉS ArtsOne volume 1

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AGNÈS BAILLON DÉFIE LE TEMPS

L

es baigneuses nous regardent : debout, en maillots de bain, bonnetssur la tête, les bras le long du corps ou les mains croisées sur le ventre, elles attendent… Le sentiment de sidération bouscule le réalisme de leurs morphologies. Les personnages d’Agnès Baillon nous ressemblent et nous dépassent. « J’essaie d’éviter les anecdotes et tous les signes temporels ou culturels d’identité. Cette “ déconnotation ” est un parti pris, le moyen d’accéder à une dimension universelle. Si je définis le sujet avec un vêtement ou une coiffure, je limite l’imaginaire du spectateur. Cette absence lui permet de projeter sa propre histoire. » Peintre avant de devenir sculpteur, l’artiste travaille le bronze comme la résine et n’hésite pas à prendre le pinceau, notamment pour les yeux. « C’est la peinture qui crée le regard et l’expression. Par elle, je combine réalisme de l’expression et ouverture sur l’intérieur, univers des sentiments. »

Celle qui remet toujours en question son travail en cours refuse de s’installer dans une façon de faire. « J’ai besoin de prendre des “risques”, d’essayer, de me tromper, de douter. » Récemment, elle a décidé d’utiliser le papier mâché. « Je réalise qu’il y a, au fond, un désir de retour aux origines, à un mode d’expression “ archaïque ”. La texture du papier mâché peint puis frotté donne l’impression qu’en dépit de l’érosion du temps, les personnages continuent de vivre. C’est apaisant de créer des êtres qui finalement nous survivent, c’est une petite victoire sur la mort. » Contact :: Galerie Felli, Paris. www.galeriefelli.com Du 21/05 au 4/09, « Un peintre, un sculpteur : Denis Pouppeville et Agnès Baillon », au Fort de Condé (02). www.fortdeconde.com

Légende :: Groupe de nageuses, 2009. Photo Agnès Baillon


INSTANTANÉS :: ArtsOne volume 1

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LES COUTURIERS EXPOSENT DANS LES MUSÉES ET LES ARTISTES INVESTISSENT LES MAGASINS. L’ART ET LA MODE SE NOURRISSENT ET SE COMPLÈTENT. IMPOSSIBLE DE L’IGNORER.

JOSSE DÉSORMAIS HAUTE COUTURE

LE CREDO DE SORBIER

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e créateur français Franck Sorbier parle de son art : « La Haute Couture est un monde à part, un espace de liberté, de fantaisie et de beauté mais aussi d’excellence et d’exigence. La Haute Couture est la planète de l’artisanat d’art. Point de rencontre de compétences qui allient techniques ancestrales et innovation. La Haute Couture est un patrimoine unique au monde, c’est une part de notre histoire. A ce titre être grand couturier est un engagement, un sacerdoce. La Haute Couture est aussi un univers propice aux rencontres humaines riches et fécondes. La Haute Couture était pour moi un rêve qui est devenu réalité. » Contact :: www.francksorbier.com Photo : Frank Sorbier Haute Couture Eté 2011, photos Piero Biasion. Maquillage : MAC par Lyne Desnoyers. Coiffure : Alexandre de Paris par Jean Luc Minetti

SIMOËNS CRÉATEUR DEPUIS L’ENFANCE

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remier assistant de Rose Torrente-Mett, ensuite directeur de studio Haute Couture et prêt-à-porter de luxe de la célèbre maison Torrente, Christophe Josse devient, après le départ de la créatrice en 2003, directeur de la collection Haute Couture, avant de décider de voler de ses propres ailes. L’été 2005 voit défiler à Paris la première collection sous son nom. Trois ans plus tard, le créateur ouvre son atelier showroom, rue Saint-Honoré à Paris. En janvier dernier, la maison Christophe Josse est élue nouveau membre permanent de la Chambre syndicale de la Haute Couture, ce qui lui confère désormais l’appellation : « Haute Couture ». Contact :: www.christophejosse.com

E

tre créatif, c’est se surpasser, utiliser ses connaissances du passé et avoir une vision globale de la modernité pour créer un univers personnel et inédit. » Dès l’enfance, peinture, théâtre et cinéma sont les terrains de jeu favoris du créateur Maxime Simoëns. « L’art n’a pas de limite mais je pense que la beauté prend une part importante. A notre époque, les artistes ont tendance à croire que la nudité ou l’absurde les rendent créatifs, à mon sens c’est la stimulation de l’esprit et des sens qui fait d’une simple production humaine une œuvre d’art. » En novembre, la maison Maxime Simoëns intègre le calendrier de la Couture. Pour la première fois, un créateur devient membre de la Fédération sans qu’il n’ait jamais défilé. Contact :: www.maximesimoens.com


DENIS POUPPEVILLE 18

:: L’ART EN DIALOGUE ArtsOne volume 1

Entretien avec Charlotte Waligora :: Photos Nathalie Bencal et Lionel Hannoun

DENIS POUPPEVILLE Petite rencontre joyeuse sur un lac d’ennui

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Une œuvre crépusculaire constellée de fulgurances ; féerique et baroque, facétieuse ou sarcastique, magique toujours. Une peinture venue d’un temps où la vie pouvait ressembler à un théâtre d’ombres, somptueuse et crapuleuse. Et lorsque la nuit enfante songes et mensonges, parfois les princes comme les peintres qui s’y aventurent, revêtent des hardes comme pour mieux s’envelopper de ses mystères. Charlotte Waligora : Le petit peuple que vous présentez a considérablement évolué. A la fin des années 1970, il n’était pas rare de voir dans votre peinture un seul personnage sur fond noir, bonhomme fantomatique aux yeux ronds et lumineux qui nous regarde parfois interloqué. Petit à petit tout a changé. Vous êtes passé de la toile au papier, de la peinture à une mixité technique délirante où tout est permis, à de plus petits formats et à toute une histoire… Denis Pouppeville : Je crois qu’autrefois mes peintures étaient des présences… Des êtres qui sortaient de la nuit et se situaient entre abstraction et figuration. Finalement peutêtre n’étaient-ils pas complètement finis, pas complètement nés. Je crois n’avoir pas trop mal réussi ces tableaux-là, mais à un moment ce type de peinture m’entraînait de plus en plus vers de l’abstraction et en réalité, l’abstraction – que j’aimais beaucoup – finissait par m’ennuyer. J’avais la prétention de vouloir être assez unique et tous les copains faisaient de la peinture abstraite très belle, très élégante, superbe. Au fond, abstrait ou figuratif n’a pas un sens énorme car l’important, au bout du compte, c’est la peinture. Pour revenir à cette époque, j’ai beaucoup dessiné dans les journaux pour gagner ma vie et je me suis trouvé avoir un goût assez forcené pour la caricature, le dessin de presse et même l’illustration, notamment celle du XIXe siècle. Là, il y a des sujets, des anecdotes, de la figuration qui comptent presque plus que la plastique. Quoique… Les dessins de Chaval, par exemple, sont plastiquement parfaits. Réintroduire de la figuration et des histoires, montrer ces êtres humains qui font à peu près n’importe quoi, qui sont mes contemporains, qui sont moi-même, aussi. Tout cela me permettait de relier ma peinture à quelque chose de plus vivant, d’à la fois fantasmé mais aussi que je pouvais observer. (1) Hommage à Jules Renard

Légendes 2 1

3 4

1 :: Charlotte Waligora et Denis Pouppeville dans l’atelier de l’artiste. 2 :: La Brutonne aux pieds d’ange, 2008. 3 :: Sans-titre, 2008. 4 :: Vue d’atelier.


L’ART EN DIALOGUE :: ArtsOne volume 1

DENIS POUPPEVILLE 19

Je me suis mis à dessiner comme un dingue. Je produisais pour la presse où l’on me donnait des sujets avec lesquels il n’était pas facile de faire rire ; en même temps, ça me permettait souvent de développer un monde plus personnel de dessins de tout petit format, d’exalter une espèce de fantaisie qui naissait, malgré moi. Au fil du temps, c’est ce qui s’est imposé parce que j’étais bien là-dedans. Je ne pouvais pas retourner aux peintures abstraites. Tout cela était complètement sorti de ma tête. C. W. : Naissance d’une histoire qui se met en place. Il se passe beaucoup de choses dans vos œuvres. J’avais déjà parlé de « chroniques imaginaires de gens ordinaires ». D. P. : Oui, c’est ça, exactement ça. D’ailleurs, j’aimais bien dire à l’époque : « Je suis un peintre anecdotique ». D’abord parce que je savais que ça ferait chier tous les peintres, que c’est ma sauvagerie, et que je n’ai jamais vu la vie autrement qu’une succession d’anecdotes. J’aime beaucoup la peinture classique, ancienne. Prenons l’exemple de Nicolas Poussin. Il y a une construction plastique fabuleuse. Picturalement, c’est absolument parfait, mais il nous raconte aussi des anecdotes. C’est un tissu d’histoires. J’aime bien quand Paul Klee dit qu’il fait de l’abstraction avec de la mémoire. C’est un petit serpent qui passe par le jardin que Klee traverse tous les matins pour aller à son atelier. Après on le voit dans les tableaux… Ça, c’est la mémoire. C. W. : Jubilation est un terme que vous employez souvent. Il y a, chez vous, la jubilation de la peinture. D. P. : Voilà ! Ma prétention serait d’aboutir à ça… En réalité, modestement, j’essaye d’aller dans le sens. La peinture me fait jubiler, la couleur me fait jubiler, le dessin me fait jubiler, le rythme me fait jubiler. J’aime me distraire comme ça. Alors raconter des histoires c’est très bien, être un peu littéraire ça ne me pose aucun problème mais en réalité ce que j’aime c’est qu’au bout du compte il y a un rapport à la couleur, au dessin, à la composition qui doit être… J’adore Chaïm Soutine, par exemple, et ce qui me fascine chez lui, c’est cette jubilation permanente qui lui permet d’ailleurs d’éviter le tragique. C. W. : Vos personnages ont vraiment des gueules, ces « gueules de tarés, de pauvres », parfois idiots mais surtout inconscients, à vrai dire « innocents »… D. P. : Ils sont inventés de toutes pièces, mais finalement pas tant que ça. Quand je prends le métro par exemple, je les vois mes personnages ! Comme eux, j’ai mes petitesses, mes petits soucis : il faut payer ses impôts, ma femme me trompe, la machine à café ne marche plus, il faut que j’aille chercher une baguette de pain… Finalement l’animation de la vie, c’est beaucoup de petites choses. Ça m’étonnerait quand même qu’un jour on m’enterre sous l’arc de Triomphe comme un héros… Parfois, je passe par des crises de misanthropie parce que je suis facilement révolté… Mon vieux copain Jacques Menier me disait toujours, toi tu es un « révolté docile ». Ça me convient bien. C. W. : Romain Gary qui dans La nuit sera calme évoque d’une certaine manière le petit jeu du « moi je » et la relation avec toute une série de « je » dit : « Si tu veux comprendre la part que joue le sourire dans mon œuvre – et dans ma vie – tu dois te dire que c’est un règlement de comptes avec notre « je » à tous, avec ses prétentions inouïes et ses amours élégiaques avec lui-même. Le rire, la moquerie, la dérision sont des entreprises de purification (…) la source même du rire populaire et de tout comique est cette pointe d’épingle qui crève le ballon du « je », gonflé d’importance (…) le comique est un rappel à l’humilité. » Il dit un peu plus loin qu’il est allé au-delà de la haine, là où se situent les éclats de rire… D. P. : Le rire satanique ! Un rire plus satanique que divin. Quoique… Dans le rire, il y a peut-être quelque chose de divin. Là, ce n’est pas le rire du Grand Sérieux. C’est le pied de nez au jeu de billes dans la cour de récréation, aux premières amertumes que l’on éprouve quand on est gamin et quand on joue aux billes parce qu’il y a toujours un type plus fort que vous. Le premier aux premières amertumes et à celles qui vont suivre. C’est aussi le rire de la conscience de notre propre condition.

Contact Galerie Béatrice Soulié 21, rue Guénégaud 75006 Paris. Tél. : 01 43 54 57 01 et www.galeriebeatricesoulie.com Du 21 mai au 4 septembre, « Un peintre, un sculpteur : Denis Pouppeville et Agnès Baillon », au Fort de Condé (02). www.fortdeconde.com


PARIS 20

:: BEAUX-ARTS ArtsOne volume 1

BEAUX-ARTS

La plupart d’entre eux n’ont jamais exposé en galerie ou du moins pas individuellement. Tout juste sortis des écoles ou en cours de cursus, ils sont les futures stars des cimaises. « ArtsOne » vous propose de faire la connaissance de jeunes artistes qui rêvent de vivre de leur art.

Par Hicham Nazzal :: Photos Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris

Le temps suspendu d’Hicham Berrada Adepte des performances, ce lauréat du Prix des Beaux-Arts de la Fondation Bernar Venet, déploie un univers où science et poésie nouent un dialogue fécond. Rencontre avec un jeune sage enclin à revisiter le temps.

:: Hicham Berrada.

Contact www.hichamberrada.com

I

l donne à vivre ses tableaux en une quinzaine de minutes, le temps d’une fugace performance où il se met aussi en scène. Dans ses installations, il milite pour le retour à une forme d’innocence empreinte de poésie. Bien que très attaché à l’apport rationnel de la science, Hicham Berrada, dont la dernière exposition vient de s’achever à la Maison des Arts de Malakoff, revendique également une part mystique où le temps est appelé à jouer un rôle prépondérant.

ArtsOne : Vous avez vécu à Casablanca avant de venir étudier en France aux Ateliers de Sèvres de Paris. A quel moment s’est cristallisé en vous le désir d’art ? Hicham Berrada : Cela remonte à un concours de peinture lancé dans mon école lorsque j’avais 8 ans, et que j’avais d’ailleurs remporté. On devait peindre à la gouache notre nouvelle aire de jeu. Je me souviens avoir pris un plaisir rare à me plonger dans un projet qui, sur le moment, m’a semblé de la toute première importance ! Vous intégrez l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA) en 2006 et y restez trois années. Quels souvenirs gardez-vous de ces années ? Les Beaux-Arts ont surtout été pour moi le lieu de rencontres très importantes. Michel Salerno, responsable de la « base métal », m’a appris une certaine façon de penser les analogies entre les choses, qu’elles soient vivantes ou inertes. C’est aussi en première année que j’ai rencontré Dimitri Afanasenko et Marc Johnson, deux étudiants avec lesquels j’ai constitué un collectif intitulé « A problem for critics » (ndlr : suivant l’exemple de l’exposition homonyme de 1945 à New York). Et d’autres encore. Les Beaux-Arts furent des moments de partage. Autre lieu important dans votre jeune parcours, le Cent Quatre, lieu de création de la ville de Paris, où vous devenez résident en 2009,


BEAUX-ARTS :: ArtsOne volume 1

où vos installations et performances commencent à vous faire connaître. Le Cent Quatre m’a permis de me confronter à la sculpture dite monumentale, rêve que je nourrissais depuis longtemps. J’en garde un très bon souvenir. Mickaël Mergui qui a en charge le côté sonore de mes performances a été un précieux collaborateur. Dans votre travail on retrouve toujours un vif intérêt porté au mystère de la création du monde, à la science, la nature et ses lois universelles. Et cette interrogation constante du temps qui passe. Un mysticisme assumé ? J’aime penser les analogies entre science et poésie dans un raisonnement de mysticisme rationnel. Je tente de prolonger la pensée alchimique du XVIIIe siècle, de l’actualiser en connaissance et conscience des dernières avancées. Dans l’ensemble de mon travail, je partage l’un des fantasmes scientifique récurrent au fil des siècles : l’idée que tout est lié, que tout est dans tout. Certaines de vos installations font penser au photographe et écologiste américain Ansel Adams (1902-1984), célèbre pour ses photographies en noir et blanc de l’Ouest américain, véritables hymnes à la nature. Casper Friedrich, chef de file de la peinture romantique allemande du XIXe siècle, n’est pas loin non plus… Avant d’entrer à l’ENSBA et de faire les

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Légendes

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1 et 2 :: Présage, plan montrant la pièce et un détail, œuvre présentée aux Beaux-Arts de Paris pour le Prix Bernar Venet en juin 2009. « C’est une performance où je procède à des réactions chimiques dans un aquarium monté sur un châssis en acier ; je crée ainsi un tableau en 30 minutes, qui évolue lentement et reste visible pendant la durée de l’exposition. » 3 et 4 :: Le temps suspendu #3, installation.

rencontres que j’ai évoquées, mon travail était, dans un certain sens, déjà « engagé ». J’avais ainsi présenté, au concours d’entrée des Beaux-Arts, 120 prises de vue de Marocains surpris désœuvrés dans la rue… Aujourd’hui, je veux tendre vers un travail qui parle simplement de l’homme. Je ne souhaite plus l’inscrire dans un temps donné mais perpétuer ce qu’ont fait Casper Friedrich ou Ansel Adams, à savoir rendre compte du rapport de l’homme à la nature. Vous avez récemment déclaré « Je tente de recréer l’émerveillement d’un enfant qui regarderait le monde et d’approcher cet état d’inconscience. » Si l’avancée technologique peut amoindrir la capacité à rêver, vous n’aimez pas opposer science et poésie. L’enfance, un « temps suspendu » comme rempart au « temps qui passe » ? J’essaye de travailler comme un scientifique tentant de retrouver l’émerveillement d’un enfant devant le monde qu’il découvre. Je pense comme beaucoup d’amis chercheurs qu’une question élucidée en pose dix nouvelles qui nous confrontent avec toujours plus de force à notre ignorance ! La science et la philosophie doivent avancer main dans la main. Selon moi, le modèle par excellence est l’humanisme, et force est de constater que les personnes que j’admire, qu’elles soient scientifiques, artistes, philosophes ou même forgerons sont avant tout des humanistes. Il y a une dimension cinématographique dans vos performances. Dans l’installation « Présage » par exemple, ce rapport à la couleur, au mouvement, souffles quasi simultanés amplifiés par la musique de Mickaël Mergui, résonne comme un film prétexte à l’évasion. On sent chez vous un vrai souci de mise en scène dans vos gestes, vos regards… Le cinéma, une suite logique ? La répétition des mêmes gestes, relève parfois chez moi d’une sorte de méditation. Mes performances sont des tentatives de composer un cinéma in situ et en live, de faire que l’image que l’on voit projetée sur l’écran soit vraiment là, ancrée dans un moment présent, un temps en construction. J’ai toujours reproché au cinéma « le faux ». Mon travail tend indéniablement vers le cinéma. J’ai d’ailleurs collaboré cette année avec Pierre Torreton sur le tournage d’un court-métrage, dans les Carpates, en Ukraine, et j’en suis encore bouleversé.


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:: BEAUX-ARTS ArtsOne volume 1

Clémence Renaud

Partitions intemporelles Mon rêve d’artiste, disons plutôt mon idéal, mon désir, c’est avant tout de pouvoir jouir d’une liberté totale.

P :: La jeune artiste et La Thérapie de l’objet, 2009. Sculpture sonore, bois et haut-parleur. Photo DR

Bio Née en 1982, elle vit et travaille à Paris. Clémence Renaud est sortie diplômée de L’Ecole des beaux-arts de Paris en 2009, avec les félicitations du jury.

Contact http://clemencerenaudart.tumblr.com

osée au côté d’une longue boîte blanche rappelant un divan stylisé d’analyste, une chaise pliante invite le spectateur à s’asseoir et à prêter une oreille inquiète, amusée ou attendrie aux pensées et interrogations livrées… par l’objet, qui « ne va pas trop », a « un coup de déprime », se sent tout à la fois « utile et inutile ». Qu’elles soient sculptures, vidéos ou installations, les œuvres de Clémence Renaud sont à écouter autant qu’à observer ; elles invitent à un jeu complice et interactif auquel il appartient à chacun d’établir les règles. « A l’âge où l’on apprend à lire et à écrire, j’ai simultanément appris à lire et jouer de la musique au Conservatoire. Cet acquis a beaucoup influencé ma sensibilité, mes idées, mes choix, et représente finalement le point de départ de tout ce que j’ai entrepris artistiquement », explique la jeune femme, qui mène notamment un fascinant travail sur le concept de l’interprétation : « Quand il faut, à partir

d’une partition, créer une interprétation personnelle tout en respectant l’extrême précision de cette écriture, il est, entre autres, question d’invisible, d’impalpable, alors que la construction musicale semble quasi mathématique. Cette difficulté qui reste en partie mystérieuse pour moi, ce rapport à la musique, je l’ai rejoué avec les mots, les tournures de phrases et avec la sculpture. Considérant mes objets comme des instruments et mes textes comme la base de multiples interprétations, j’ai cherché à donner à l’autre la possibilité de s’y confronter, de s’y retrouver ou de s’en distancier. » Et nous, de rester tout ouïe. S. D.

:: Faux contact, 2010. Photo DR

Eric Dizambourg

Burlesque bucolique Mon rêve d’artiste, ce serait celui de m’installer à une table avec un rond de serviette à mon nom et de passer la nuit avec Peau-d’Ane.

D

rôle, absurde et décalé, mais également technique, captivant et attachant, le travail d’Eric Dizambourg n’en finit pas d’interpeller et de titiller son public. A la fois peintre et vidéaste, l’homme s’évade allègrement des cadres imposés, se joue des limites inhérentes à chacune des deux disciplines comme des frontières que d’aucuns imposent à la réalité. La campagne et sa simplicité sont ses thèmes de prédilection, granges et étables ses décors favoris, cochons, poules, chiens, moutons et autres rats deviennent les héros de son univers bucolique, les fidèles messagers de ses réflexions sur la vie. Parmi eux déambule un curieux individu qui, sous les traits de l’artiste, vaque à des occupations semblant parfois n’avoir de sens qu’à ses yeux. Un mystérieux ruban aux allures de patchwork multicolore déroule de toile en film, et de film en toile, sa présence entêtée. Cocasse, le leitmotiv réclame attention, son extravagance inévitablement pose question. Tour à tour chaussette,

écharpe, caleçon, cagoule ou costume, cet élément protéiforme contraste autant par son absence de référentiel que par sa gamme chromatique, quasi fluorescente, qui vient appuyer les tons sombres et terreux déterminant l’humble ruralité des scènes évoquées. Soustraits à leur contexte initial, les éléments figuratifs voient leur sens détourné, quand il n’est pas annihilé, et s’animent d’une nouvelle et peutêtre salvatrice superficialité. A chacun d’y puiser de nouvelles spéculations sur la voie drôlatique d’une autre compréhension du monde. S. D. Bio Né en 1982, il vit et travaille à Paris. Eric Dizambourg sort diplômé de l’Ecole des beaux-arts de Paris en 2009, avec les félicitations du jury.

:: Quelques-unes des toiles monumentales de l’artiste. Photos ENSBA et DR

Contact www.ericdizambourg.com


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BORDEAUX 23

Simon Rulquin

Jeux d’artifice Mon rêve d’artiste ? Devenir riche, et une fois riche posséder une dent en or.

J Bio Né en 1982, Simon Rulquin vit et travaille à Graz, en Autriche, et à Bordeaux, dont il est sorti diplômé de l’Ecole des beaux-arts en 2009.

Contact www.simonrulquin.com

eune auteur d’une œuvre déjà prolifique, Simon Rulquin semble être aussi à l’aise avec le dessin, la peinture et la sculpture qu’avec la vidéo ou l’installation. Autant de modes d’expression qui lui ouvrent la voie d’une réflexion sur la contemplation, d’un jeu à la frontière ténue de la fiction et du réel, de l’abstraction et de la figuration, terrain propice à bien des métamorphoses de l’événement choisi comme du paysage privilégié. Ses travaux récents, quel que soit le média employé, évoquent ou piègent les artifices, l’illusion en exploitent toutes les nuances : de l’habileté à la ruse, du piège à la tromperie, en passant par la féerie pyrotechnique. Ciels nocturnes déchirés par la scintillante traînée d’une comète, constellés de feux d’artifice, transpercés et trahis par les néons et autres faisceaux lumineux, ou livrés à la magie d’une aurore boréale, font partie des mondes qui l’inspirent. Explosions et

lumières naturelles ou artificielles, éclatement et :: Œuvre de la série Au centre de la Terre, 2010. Carbone, plomb, pierre noire sur papier 30 x 40 cm. Photos DR

déflagrations de couleurs riment ainsi avec beauté et séduction, hasard et illusion, mais également violence et danger. Sa série récente de dessins intitulée Au centre de la Terre, clin d’œil à Jules Verne, s’inspire de gravures de Gustave Doré. S’y entremêlent des artifices formels, tels la fumée, le bouillonnement, les falaises baignant dans une atmosphère lunaire, et des figures « empruntées à l’abstraction géométrique de Malevitch ou à la science-fiction ». Ici, c’est la simplicité du noir et blanc qui vient souligner et intensifier les effets de la lumière. S. D.

Yves Guillo

La poésie du concept Mon rêve d’artiste, c’est que les opportunités pleuvent.

J

e suis artiste quand je trouve, le reste du temps je cherche », lâche avec modestie Yves Guillo. Lorsqu’en 2004, après des études de graphisme et de photographie, il intègre les Beaux-Arts de Bordeaux, l’étudiant espère simplement y affiner ses « réponses » graphiques. « Je n’ai eu le désir d’être artiste, se souvient-il, que quand mes recherches ont pris du sens, que mes productions sont devenues des supports à ce que je trouvais. » Nous sommes en 2007, le jeune homme termine sa troisième année. Dès lors, il s’applique à repérer les liens entre certains de ses travaux qu’il pensait « différents les uns des autres », jusqu’à ce qu’il y décèle « les empreintes de la matérialisation », qui deviendront le cœur de sa démarche et de sa réflexion esthétique. Yves Guillo

développe notamment tout un travail autour du concept, de sa représentation potentielle grâce aux mathématiques et le passage par le filtre d’un outil, lequel le rend « intelligible et autonome ». Mais, « devenu perceptible, le concept est à l’état de survivance. (…) Il se fige en un objet résiduel, une empreinte. » Sculptures, vidéos et installations viennent appuyer ses raisonnements exploratoires et nous entraînent dans un univers tout à la fois surréaliste, touchant et poétique. Ses travaux à venir devraient nous emmener sur les traces de « la trajectoire d’un projectile spécifique », son dernier sujet d’étude. L’idée étant de dépasser la représentation tridimensionnelle, d’« intégrer des dimensions supplémentaires et leur donner une accessibilité sensorielle puis intelligible ». Vivement qu’il trouve ! S. D.

:: En haut, Pentatop II, 2010. :: Hypertor II, 2008. Vidéo, 3’. Photos DR

Bio Né en 1982, il vit et travaille à Bordeaux. Yves Guillo sort diplômé de l’Ecole des beaux-arts de Bordeaux en 2009.

Contact www.yvesguillo.com


VALENCIENNES/ÉPINAL 24

:: BEAUX-ARTS ArtsOne volume 1

Baptiste Menu

Poète du territoire

Photos DR

Si l’art tend vers la vie, alors j’aimerais continuer à être heureux dans ma pratique. Et si en plus cela peut servir aux autres, j’aurais atteint mon objectif.

Bio Né en 1985, Baptiste Menu sort diplômé en 2009 des Beaux-Arts de Valenciennes, avec les félicitations du jury, avant d’intégrer, pour une durée d’un an, la section postdiplôme design et recherche de l’Ecole d’art et design de Saint-Etienne. Photos DR

Contact www.echo-system.fr

L

a pratique artistique se prête bien aux rêves ; nous produisons des images et des formes pour les communiquer. J’essaie, à mon échelle, de trouver des réponses adaptées aux problèmes d’aujourd’hui. » Loin de s’évader dans un univers imaginaire qui lui serait exclusif, Baptiste Menu préfère être acteur d’un monde imparfait, puisant son texte dans le langage du design d’espace, le déclamant haut et fort sur la scène de nos villes et campagnes. Le paysage,

qu’il soit urbain ou champêtre, est en effet son champ favori d’expérimentation et d’intervention. Il y travaille, dans un souci d’interactivité avec le lieu investi comme avec les hommes qui l’occupent, qu’il s’agisse de la photographie, de l’éclairage, de l’aménagement d’espace ou de la performance. « Dans mes projets j’accorde une grande importance aux processus de construction et à notre responsabilité, en tant que créatifs, dans la transformation de notre environnement. » Une installation réunissant 2 000 bouteilles d’eau (notre photo) en plastique offre une vision inédite du réemploi, « l’une des pratiques écologiques les plus pertinentes ». Chaque réalisation s’inscrit « dans des logiques de production in situ, afin de trouver des réponses au cas par cas », et si la subjectivité du regard est transcendée par des propositions d’ordre pragmatique, « il en ressort une poétique intimement liée à chacun des territoires accueillant les projets. » S. D.

Christophe Holstein

Réminiscences à fleur de peau Je rêve d’avoir du temps fameux ! Un temps foisonnant d’amis autour d’une table en bois massif, au bord d’une eau tranquille, à côté d’un jardin qui chante bien, et derrière une grange à gogo, avec des ateliers à la folie !

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es dessins sont comme une descente à l’intérieur de moi. » Cette affirmation introspective résonne comme une évidence. Christophe Holstein n’a jamais douté de sa vocation d’artiste, même s’il se cherche encore avec tout autant de détermination que d’humilité. Après s’être essayé à différentes techniques, le jeune homme a décidé d’opter pour la simplicité du papier, la franchise et la subtilité des crayons de couleur et des stylos, outils les plus proches de la « justesse » à laquelle il aspire. « Je suis en train de trouver des moyens qui m’appartiennent vraiment, confiet-il. J’ai l’impression de peindre avec mes crayons. » Ses dessins, le plus souvent, prennent source

dans les paysages intimes de son enfance. Ceux de son village natal, espace sûr et rassurant, l’habitent depuis toujours et abritent les flâneries de ses pensées, accompagnent l’éclosion des réminiscences, douces ou brutales, joyeuses ou sombres, qu’il transcrit sur la feuille. Sentiments et impressions, l’âme des souvenirs qui demeurent, tissent un univers onirique qui reflète peut-être un rêve éveillé dont il est le vrai témoin. Particulièrement attaché aux artistes bruts et à tout ce que l’art recèle d’humanité, Christophe Holstein poursuit son cheminement avec une ferveur et une énergie créatrice qui forcent le respect. S. D. :: Sans titre. Photos DR

Bio Né en 1985, Christophe Holstein termine à l’automne 2010 son cursus à l’Ecole supérieure d’art d’Epinal.

Contact sexy-ranger-mauve@hotmail.fr


BEAUX-ARTS :: ArtsOne volume 1

NICE 25

Benoît Mazzer

Comme dans un miroir Je n’ai pas vraiment de rêve d’artiste mais plutôt un besoin vital de fabriquer, objets, et objets de pensée.

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Bio Benoît Mazzer est né à Nice en 1982. Il vit et travaille en Allemagne. Il sort diplômé de l’Ecole des beaux-arts de la Villa Arson en 2010.

Contact benoitmazzer@hotmail.fr

iscret quand il s’agit d’évoquer son travail, au bout de quelques mots les paroles s’enflamment. D’Allemagne où il séjourne, Benoît Mazzer retrace son parcours à la fois riche et mouvementé. A 19 ans, il entreprend des études de design et musarde par la Sorbonne où il obtient une licence d’esthétique. Parallèlement à ces studieuses activités, il expérimente tour à tour les domaines de la sculpture, de la peinture et de la photographie. « J’ai très vite compris que mettre de l’esprit dans la matière me réjouissait davantage que de théoriser sur l’art. J’ai donc entamé un cursus à l’Ecole des beaux-arts de Rueil-Malmaison pour obtenir un Dnap et finalement conclure mon parcours à la Villa Arson. Si la forme, celle des objets, est à l’origine de mes recherches, c’est surtout la peinture qui m’a séduit : à la fois pour son processus de création et son aboutissement visuel. J’ai imaginé de nouveaux outils pour appliquer la matière, et testé toutes sortes de supports, des surfaces planes puis des volumes.

Certaines de mes pièces peuvent être qualifiées de sculptures picturales : c’est cet amalgame qui m’intéresse. » L’installation Reflets de Persée met en scène une œuvre suspendue toute de miroirs concaves, source de lumière et révélatrice des toiles disposées autour : un « dispositif qui nous parle de la peinture quand celle-ci devient le prisme par lequel nous regardons notre histoire ». C. F.

:: Les reflets de Persée, 2010. Miroirs de surveillance, moteur, chaîne, dimensions variables. Photos DR

Shihe Gao

L’équilibre sous tension Le rêve que je nourris est de continuer à découvrir et regarder le monde à travers ma pratique artistique en espérant que mes œuvres me survivent.

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iplômé de l’Académie des beaux-arts de Lu Xun, Shihe Gao a quitté sa Chine natale et plus précisément la province du Liaoning au nord-est de Pékin lors d’un programme d’échange international avec la Villa Arson en 2004. Il découvre alors les multiples

:: Superposition, 2010. Lattes de lit, L. 3,5 m. Photos DR

facettes de l’art contemporain occidental et décide en 2008, après une incursion de deux ans dans le monde du travail, de poursuivre sa formation artistique en France. S’inspirant du taoïsme, l’un des courants de pensée fondateurs de la civilisation chinoise impliquant une profonde solidarité sinon une harmonie de l’homme avec la nature, le jeune artiste travaille sur les processus en expansion, imagine différentes possibilités de représentation de l’équilibre idéalement recherché. Ses installations, sculptures, céramiques ou vidéos affichent inversions, superpositions, tensions et réseaux qui prolifèrent dans l’espace. « J’essaye de proposer une vision contemporaine de l’universalité. Mes œuvres, quelquefois qualifiées d’organiques, peuvent donner la sensation de se déployer à l’infini. La tension soutient la forme, c’est une façon pour moi de souligner la diversité des équilibres mais aussi une façon d’interpeller le regard du spectateur. » C. F.

Bio Shihe Gao est né en 1982 à Shenyang (Chine). Il vit et travaille à Nice et bientôt à Paris. Il sort diplômé de l’Ecole des beaux-arts de la Villa Arson en 2010.

Contact www.gaoshihe.com


:: LES MOTS

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ArtsOne volume 1

Ce qu’il serait peut-être beau de dire, c’est ces limbes. Comme quand les enfants ne sont pas nés, quand c’est en possibilité. Le dessin serait beau parce qu’il serait l’œuvre qui n’est jamais accomplie. Il faudrait pouvoir dire : “ Ce dessin est un tableau qui n’a jamais eu lieu. ” En même temps là et pas là, sorte de présence-absence. Tout dessin serait l’absence de quelque chose d’autre… Conçu en prévision de quelque chose (une sculpture, une peinture), il nous mettrait dans l’attente de ça. Dans l’avant-ça.” Christian Boltanski


LES MOTS :: ArtsOne volume 1

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Par Florent Founès ::

:: Le livre

Le dessin impossible de Christian Boltanski

L’art, pour Boltanski, est épreuve contre le temps, lutte contre l’oubli, combat perdu contre la mort et son cortège tragique. L’artiste, qui représente cette année la France à la biennale de Venise, devenu l’un des plus prestigieux plasticiens contemporains, livre ici en quoi le dessin lui est à la fois essentiel et impossible…

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ne pipe qui a la fâcheuse manie de toujours vouloir s’éteindre, une musique de fond un ton trop haut qui confond les propos ; les deux complices n’en ont cure ; dans un coin du bistrot Christian Boltanski, l’artiste autodidacte et Dominique Radrizzani, historien et critique d’art esquissent le dialogue autour du « dessin impossible ». Boltanski ne dessine pas – ou prétend ne pas dessiner. Mais il affirme que le dessin est la vie. S’il dessine, ce sont des « œuvres dans les limbes… ». Il est peintre, mais depuis longtemps ne fait pas de peinture… Le ton est familier, une vieille et amicale connivence nourrit l’échange paradoxal entre les deux hommes. Mais il faut bien dénouer l’écheveau : homme Protée que hantent la mémoire, la mort, l’enfance, l’inconscient, mais pour qui « l’art c’est de dire la vérité », Boltanski a exploré bien des médiums – cinéma, photo, vidéo, peinture, installation. Pour mieux conjurer, dirait-on, l’inexorable fuite du temps et une enfance marquée par le génocide juif qui teinte toute sa recherche à la fois de dérision et d’une sourde mélancolie. Entre rire et larmes et ses souvenirs de jeunesse où il s’invente mille enfances, l’artiste joue les Fregoli ; ventriloque et clown, ombre parmi son théâtre d’ombres, il griffonne, projette des vies comme pour transcender la sienne, mais impose sa griffe désespérée, déjouant par tous les moyens la mort qui mène sa traque et que chacun s’efforce à coups d’artifices d’occulter. En filigrane un enfant joue à cache-cache ; nous n’en saurons pas plus. L’art de voiler, de changer de masque ou de déguisement, peut-être, mais surtout de nous rappeler que l’art est fait pour questionner sans fin. Sur sa propre singularité et son appartenance à l’humaine condition mais aussi sur ces blessures secrètes ou révélées qui façonnent toute œuvre, toute vie.

Une mémoire affective traverse l’œuvre de l’artiste. Un culte du secret aussi et ce sentiment de l’urgence qu’il y a à protéger ce temps enfoui avant qu’il ne disparaisse. Depuis les Saynètes, où l’artiste se réapproprie une enfance engloutie qu’il cherche à rendre la plus neutre possible, la plus impersonnelle, il ne dessine plus. Et de préciser à son interlocuteur : « Il y a un truc que je n’ai pas réglé. J’ai toujours l’impression que c’est presque mal – la psychanalyse pourrait en dire beaucoup – de toucher… il y a en moi une vraie terreur de toucher. De toucher ou, par le fait qu’on produit un dessin, d’être dévoilé. » Une envie de fabriquer, avoue-t-il, le taraude. Fabriquer ou toucher. En réalité le dessin est omniprésent, essentiel. Le dessin, le plus pauvre des arts « Toute personne fait des dessins au téléphone, reconnaît-il. Même moi je fais des dessins… Si tu voyais ma table, il y a trois cents dessins faits au téléphone… La seule manière de rendre physique quelque chose qui n’est plus que dans la tête, dans la mémoire, c’est le dessin… Il est vraiment le plus pauvre des arts : un petit bout de papier et une mine, l’art le plus minimum et le plus minimal. » « Un dessin parfait, fait pour être un dessin, n’est plus un dessin… », affirme Boltanski. Et cette distorsion entre ce que l’on veut exprimer et la pauvreté des moyens à notre disposition : ici un simple bout de papier et la pointe d’un crayon, ne symboliserait-elle pas quelque obscure transcendance, une lueur de sacré enfouie en nous ? Quoi qu’il en soit, Radrizzani ne veut en croire ni ses yeux ni ses oreilles ; et du dessin, il en voit partout chez Boltanski, et de lui rappeler, notamment le portrait de sa grand-mère, tracé de mémoire après sa mort. Alors, si « le dessin est la vie », preuve est donnée que le dessin est décidément une chose impossible.

Légendes

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1 :: Page 17 : Le Blagueur, Christian Boltanski, 1974. 2 :: Page 25 : Les Malheurs de bébé, Christian Boltanski, 1974. 3 :: Page 8 : Le Dessin impossible, Christian Boltanski, 2003. Photos DR courtesy éditions Buchet-Chastel

:: Le dessin impossible de Christian Boltanski, de Dominique Radrizzani. Entretien et documents, collection Les cahiers dessinés, Buchet-Chastel, 124 p., 19 €.


:: LES MOTS

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ArtsOne volume 1

:: Critique Pierre Alechinsky :: Rein, comme si de rien

:: Rein, comme si de rien, texte et dessins de Pierre Alechinsky, éditions Fata Morgana, 32 p., eau-forte et dessins réalisés d’après des mies de pain modelées par le sculpteur, 14 €.

« Tu as soif ? », il acquiesce. Une gorgée, puis je tiens serrée sa main de gisant et il serre la mienne. Mais déjà dans le sommeil, il tombe. Mais déjà il se réveille, desserre aussitôt sa main, la récupère… Reinhoud ne serrait jamais la main. On la lui serrait. « Alors, mon vieux camarade… » Ecrit et illustré par Pierre Alechinsky, ce vibrant et tendre hommage à Reinhoud d’Haese, sculpteur et ancien de Cobra décédé en 2007 – « un grand boîteux herculéen » auquel l’éditeur Bruno Roy a consacré de nombreux ouvrages –, évoque l’un des ateliers de son vieil ami, un cabanon perdu dans la garrigue de Saint-Rémy-de-Provence. Au Palais des Beaux-Arts de Liège, Edgar Tytgat avait admiré le Coq de Reinhoud, passant de celle-ci à une sculpture tirée de la masse d’un tilleul, Le Dragon d’Etienne Martin, autre invité de Cobra. Un prix, celui de la Jeune Sculpture belge en 1957, lui offre une liberté nouvelle. Une « fureur de sculpter » s’empare alors de lui. A l’aube, il achève la sculpture commencée la veille…, « un peuplement de métal, du burlesque au tragique » qui mènera Reinhoud à l’illustration d’ouvrages de bibliophilie : Rabelais, Fabre, Jarry, les auteurs qu’il aime. Ses personnages en cuivre repoussé, en étain, découpés dans le laiton, insectes ou oiseaux, rougeoyants, grivois ou monstrueux crient cette liberté insolente. Rein en flamand signifie pureté ; c’était son diminutif. Alechinsky écrit à la fin de ce livre : « Je crois à sa sculpture. Je ne suis pas le seul à y croire. Même un arbre croit à la sculpture de Rein… » Et d’ajouter : « Le genou dans la robe s’impose, qui monte la garde depuis plus de trente ans devant mon atelier des Yvelines. Eh bien, il arrive que sa silhouette me fasse sursauter. Je réponds alors d’un hochement de tête. Phantasme qui a pris une signification autrement impressionnante depuis que Rein n’est plus. »

:: Questions à... François de Villandry Ecrivain, poète et éditeur, François de Villandry publiait dans les années 80, la revue « Artère » associant poésie et peinture. Nous lui avons demandé si une telle revue serait encore possible aujourd’hui, ce que lui, le poète de Passeport de nuits pensait des critiques d’art, et enfin d’évoquer ses projets d’édition. « Dans les années 80, la passion était l’opium de l’existence. Les revues de poésie pullulaient dans le cosmos de la création. Les esprits étaient réfractaires, Internet n’existait pas, les interdits non plus, la poésie stimulait les sens. Aujourd’hui, elle somnole sous des sédiments d’indifférence, mais comme depuis des millénaires, ses inspirations réintégreront demain notre environnement avec énergie, ses identités briseront les modes polluantes pour se remettre en Page Une. »

S. S IRO T TE X

PAU TE/TEX LD T EV IL

« Pour moi, l’art est subjectif ; je trouve souvent les critiques cavalières et dénuées de sens. Les seules approches qui m’émeuvent sont les regards des poètes, voire d’écrivains. Authentiques, ils n’alambiquent pas des phrases et périphrases pour polluer le vent, simplement ils jettent leur émotion avec des mots puissants et des couleurs virtuelles qui nous transportent bien souvent au-delà de l’image. »

Texte/Text

« Sans avoir prémédité ces merveilleuses rencontres, Fragments international vient de publier deux livres d’artistes femmes : Nicole Bottet et Sophie Sirot, et un troisième avec Danièle Perré est en préparation. Par ailleurs, nous travaillons à un ouvrage sur les gravures de Garouste. »

Photo Pierre Guerlain

Gilbert LASCAULT


LES MOTS :: ArtsOne volume 1

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:: Présentation Chaque mois, des dizaines de nouveaux ouvrages viennent enrichir les rayonnages dédiés à l’art contemporain. « ArtsOne » vous propose sa sélection.

NILS-UDO

ART + SCIENCE

HUMBERTO & FERNANDO CAMPANA

Photographies

Stephen Wilson

Entretien avec Cédric Morisset

Tout ce que la nature lui offre, il le transmue : brins d’herbe, fleurs, boue ou pierre, tout lui est prétexte pour rendre grâce à la terre, à sa féconde et intarissable imagination. Peintre, Nils-Udo l’est resté même lorsqu’il photographie ses installations éphémères, ses nids géants, lorsqu’il joue de la lumière et des ombres portées, crée une nature virtuelle ou la réinvente. Entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, aux portes de l’invisible, c’est à une chatoyante rêverie poétique qu’il nous convie où des baies rouge-orangé de sorbes se nichent au creux d’un tronc de hêtre gris, où chaque vision est comme une porte ouverte sur l’infini.

Au XXIe siècle, de nombreuses œuvres d’art sont créées non pas dans des ateliers, mais au sein de laboratoires où des artistes s’intéressent aux questions culturelles, philosophiques et sociales liées à la recherche de pointe dans les domaines scientifique et technologique. Première étude sur le sujet, Art + Science de Stephen Wilson propose un panorama de ce nouveau courant de l’art contemporain méconnu du grand public. Les œuvres les plus emblématiques créées depuis 2000 par près de 250 artistes sont ici illustrées et commentées.

Ils ont dépoussiéré le design brésilien et en sont devenus les maîtres incontestés. Bouleversant les règles établies, balayant les diktats en vigueur, se fiant à leur seule inspiration, entre art et artisanat, et conférant noblesse aux matériaux les plus humbles, les frères Campana iront même jusqu’à dénoncer la dictature dans leur pays avec les « Incontournables » un mobilier en fer rouillé ! Ce livre d’entretien conduit par Cédric Morisset retrace leurs souvenirs d’enfance, leur parcours attaché aux savoir-faire locaux, et leurs premiers succès dans un pays partagé entre bossa nova et dictature militaire.

Gourcuff gradenigo - 60 p., illustrations en couleur, 12 €

Thames & Hudson - 208 p., plus de 250 illustrations, 38 €.

Archibooks - 93 p., nombreuses illustrations, 12, 90 €

Nous avions découvert que notre langage est celui de l’erreur, de l’imperfection, de l’irrationnel, de l’imprécision. C’est notre poésie.” Humberto Campana


:: LA TOILE ArtsOne volume 1

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Par Caroline Figwer ::

Web 2.0 L’expression « Web 2.0 » désigne certaines des technologies et des usages du World Wide Web qui ont suivi la forme initiale du Web, en particulier des interfaces permettant aux internautes ayant peu de connaissances techniques de s’approprier de nouvelles fonctionnalités pour interagir de façon simple, à la fois avec le contenu et la structure des pages, mais aussi d’échanger entre eux.

Légendes

2

3

1

1 et 2 :: La Tate Modern Gallery, à Londres. Photo Tate

3 :: Œuvres de Hanne Darboven, exposition elles@centrepompidou. Photo Centre Pompidou

Les musées à l’heure du Web interactif Si les nouvelles technologies de l’information ont révolutionné les réseaux de communication de nos sociétés et plus en amont nos habitudes de consommation, culturelles et autres, les musées ont vu, dès 1997, dans le World Wide Web une formidable opportunité d’accroître la diffusion des œuvres et des savoirs dont ils sont à la fois les dépositaires et les garants.

A

près l’étape fastidieuse et titanesque de la numérisation des œuvres, aujourd’hui la plupart des collections des grands musées sont consultables en ligne. Avec l’avènement de la seconde génération du Web, le Web 2.0 (lire ci-contre) et une prévalence de la notion de partage sur la toile, nous sommes entrés dans l’ère des réseaux. Le musée virtuel n’est plus seulement une source d’information accompagnant en amont et en aval une visite d’exposition mais un espace dynamique et interactif qui gagne en autonomie avec des offres attrayantes qui répondent, dans le monde entier, tant aux chercheurs, étudiants et professeurs qu’au grand public. Pour faire face à ces nouveaux enjeux, à l’ampleur du travail à accomplir, très tôt les musées ont mis en place des outils performants, basés sur des échanges d’expériences au plan international. La conférence annuelle Museums and the Web (http://conference.archimuse.com) est l’un des plus performants. La dernière session, qui a eu lieu en avril dernier à Denver dans le Colorado, portait principalement sur la question de la relation avec le public, sur l’utilisation et l’intégration des réseaux sociaux par les sites des musées, considérant ces communautés de partage (blogs, Facebook, mySpace ou encore Flickr pour les images) comme un moyen efficace pour se rapprocher des publics et ainsi de les mieux connaître pour répondre à leurs attentes. La possibilité d’une collaboration avec Wikipédia a également été évoquée et discutée pour améliorer et tenir à jour les contenus qui se rapportent aux musées. L’encyclopédie en ligne enregistre aujourd’hui un trafic extrêmement important et une alliance avec les musées pourrait être perçue comme un gage de qualité. L’utilisation de la

vidéo et des réseaux comme YouTube ou Dailymotion est déjà un acquis. Chacun y crée sa chaîne et l’alimente de divers contenus : coulisses d’exposition, interviews d’artistes ou expositions virtuelles. Twitter est le tout dernier « outil » à avoir fait son apparition et semble avoir gagné sa place, au vu du succès de l’opération organisée pour la Nuit européenne des musées : La Nuit twitte. Suivant de près les évolutions des technologies de l’information, les établissements muséaux sont devenus de véritables producteurs multimédia. Le directeur du Tate Online, lors de la conférence Museum next, conclut son intervention par ces quelques mots : « Le contenu en ligne doit être facile à trouver, partageable et social, réutilisable et syndicable. » Un leitmotiv mais aussi une réalité que l’on retrouve sur son site qui inscrit le Tate comme l’un des chefs de file du secteur en matière de développements et de contenus Web.


LA TOILE :: ArtsOne volume 1

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1 500 000

C’EST LE NOMBRE MENSUEL DE VISITEURS UNIQUES QUE RECENSE LE TATE ONLINE (42 % SONT DES VISITEURS VIVANT HORS DU ROYAUME-UNI). C’EST PRESQUE TROIS FOIS PLUS QUE LE NOMBRE DE VISITEURS DES QUATRE MUSÉES TATE RÉUNIS (7 475 195 VISITEURS ANNUELS). LES PAGES LES PLUS VISITÉES SONT CELLES DE TATE CHANNEL, DE TATE KIDS ET DES COLLECTIONS.

:: Le Tate Online, un modèle

:: Pompidou mise sur les expos

Le Tate Online, créé en 1998, présente sur la Toile, grâce a sa plate-forme haut débit, les quatre musées (Tate Britain et Tate Modern à Londres, Tate Liverpool et Tate St Ives à Cornwall) qui constituent l’institution et abritent les collections nationales d’art moderne et contemporain du Royaume-Uni. Tate média, le département dédié à la création du contenu Web de ce portail, compte aujourd’hui plus de vingt collaborateurs. Il a pour mission la mise en valeur des collections en ligne, la création de contenus dynamiques et innovants dédiés aux enfants, aux familles, à la communauté éducative ou aux professionnels de l’art. En créant une telle entité le Tate Online est devenu l’unique producteur multimédia pour les quatre musées et s’est affranchi des contraintes éditoriales des médias traditionnels tout en détenant le copyright sur ses productions. Le Tate Online représente aujourd’hui, tant dans la forme que dans le contenu, l’une des offres les plus attrayantes de la communauté muséale internationale.

Le Centre Pompidou, dont le site internet a été mis en ligne en 2000, a créé il y a quatre ans l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) pour anticiper les mutations de l’offre et de la consommation culturelle en regard des dernières technologies numériques. Actif depuis 2008 sous le statut d’association de recherche autonome, on lui doit cette même année le « site-événement » Traces du Sacré, qui a réuni plus d’une centaine de médias inédits autour de cette grande exposition : reportages vidéo, interviews d’artistes, conférences, extraits de spectacles, œuvres commentées (http://traces-du-sacre.centrepompidou.fr)... Plus récemment et en collaboration avec l’Institut national de l’audiovisuel, le Centre Pompidou a réitéré avec elles@centrepompidou. A noter la création récente d’espaces dédiés au jeune public (www.junior.centrepompidou.fr) et aux personnes handicapées (www.handicap.centrepompidou.fr). Contact :: www.centrepompidou.fr

Contact :: www.tate.org.uk

Mais aussi...

www.newmuseum.org www.unesco.org/webworld/avicom/

www.histoiredesarts.culture.fr

www.moma.org/meetme/index (le projet Alzheimer du MoMA pour un art accessible aux gens atteints de démence)


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:: LES BULLES ArtsOne volume 1


LES BULLES :: ArtsOne volume 1

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Par Xavier Renard :: Illustrations Laurent Bonneau courtesy éditions Dargaud

Laurent et Julien Bonneau

TROIS DESTINS POUR UN POLAR URBAIN Un inspecteur de police paumé, un voyageur évanoui dans le métro, un troisième homme qui traîne son vague à l’âme, et les autres voyageurs qui se détournent. Ne ratez pas la rame…

L

a bande dessinée est sans doute actuellement l’une des disciplines les plus ouvertes pour les jeunes artistes. A force de fréquenter les stands du célèbre festival de bande dessinée à Angoulême, Laurent et Julien Bonneau se sont engouffrés dans la brèche. C’est Dargaud qui publie leur série Metropolitan, dont le deuxième volet Cocaïne est paru en septembre, un an après la sortie du tome 1, Borderline. Ce polar rondement mené en trois volets a enthousiasmé Christel Hoolans, la directrice éditoriale adjointe de Dargaud Benelux : « Dès que j’ai eu ce projet entre les mains, j’ai pris mon téléphone en espérant très fort que cette pépite ne soit pas déjà signée par la concurrence… » Le découpage cinématographique, l’épure graphique et le traitement très contemporain des couleurs qui intensifient la noirceur de la trame narrative ont estomaqué l’éditrice : « C’est presque du jamais vu en bande dessinée. » Laurent Bonneau vit un rêve éveillé. Originaire de Bordeaux, ce jeune dessinateur de 21 ans, qui a suivi un cursus en cinéma d’animation à l’école Estienne à Paris avant de s’inscrire aux Arts-Déco, déborde d’activités entre ses études, ses projets personnels (films, documentaires…) et son travail chez Dargaud. Dans la famille Bonneau, le dévoreur de bandes dessinées, c’est lui. Il conseille des œuvres à son frère aîné, infirmier à Bordeaux que rien ne destinait au 9e art : « Julien n’a jamais eu l’intention d’en faire son métier », raconte Laurent. N’empêche : « C’est lui qui trouve les idées, mais nous construisons le récit ensemble. Ça nous permet de mélanger fond et forme, alors que les deux sont trop souvent dissociés. Ici, tout est pensé

en même temps. » Pour eux deux, c’est une « belle aventure humaine », un bonus qu’ils apprécient à sa juste valeur : « Travailler avec son frère ? Il n’y a que des avantages. On se connaît très bien, on se complète. » Les références fourmillent. Pour la BD, il cite Emmanuel Guibert, Nicolas de Crécy, Dave Mckean, Blast de Manu Larcenet, Sept secondes de Gérald et tant d’autres. En cinéma, la liste est encore plus fournie : « C’est plus dur. J’admire Gaspard Noé, les “ Matrix ”, Wim Wenders, Gus Van Sant, Bruno Dumont… Et, finalement, tous les réalisateurs pour lesquels le temps est un élément essentiel dans la mise en scène. J’aime ce qui est contemplatif et en tension. » « Cocaïne » est plus dans l’action Très attiré par la réalisation cinématographique, il se sent malgré tout plus libre quand il croque ses planches. Comme si tous les champs des possibles s’ouvraient à lui : « On peut jouer avec le format et la forme de la case dans la page. Il y a aussi un rapport à l’ellipse qui est très intéressant. Au cinéma, c’est plus frustrant, la forme d’un film est presque unique. » De Borderline, Laurent Bonneau met en avant la spontanéité, l’insouciance de la première œuvre. Le tome 2 est, à ses yeux, plus abouti. « Le 1er volet désigne des faits, des ambiances. La suite est plus dans l’action. Dans la forme, c’est aussi moins classique. J’en suis beaucoup plus satisfait. » Son éditrice a aussi observé « des améliorations dans le découpage ». Après Metropolitan, les frères Bonneau plancheront sans doute sur un projet radicalement différent. « Après le polar urbain. Pourquoi pas un décor à la campagne ? » Quoi qu’ils fassent, Christel Hoolans les accompagnera « à coup sûr ».

L’HISTOIRE Vincent Revel, 49 ans, est un inspecteur de police « paumé, qui erre dans cette société de cinglés ». Il secourt Alexei, un jeune homme évanoui dans le métro alors que les autres passagers s’en détournent. Huit ans plus tard, celui-ci a fait fortune dans l’informatique. Vincent qui traîne une souffrance sourde, enquête sur le meurtre d’un joaillier. Un troisième personnage entre en scène : Marc qui vient d’être licencié sans ménagement. Les lignes de leur vie vont se croiser dans le métro où une bombe artisanale a été posée. Tous trois sont montés à bord de la rame où va se jouer leur destin.

:: Metropolitan, Cocaïne, tome 2, Dargaud, 56 p., 13,50 ¤. Le tome 3 devrait paraître en librairie en septembre.


:: LES BULLES ArtsOne volume 1

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CRITIQUE :: La Colline empoisonnée

Illustration Freddy Nadolny Poustochkine courtesy éditions Futuropolis

U

n papillon cerf-volant pour fil conducteur de destins entrecroisés, le Cambodge en toile de fond, une colline qui distille son venin, et des enfants, cambodgiens et français, brutalement confrontés à travers leur insouciance et leurs peurs à l’Histoire qui mutile les âmes et l’amour qui se défait en chemin. La Colline empoisonnée est la traduction de Tuol Sieng, du nom d’un lycée de Pnom Penh plus connu en Occident sous son nom secret S-21, centre de détention et de torture des Khmers rouges entre 1975 et 1979. Entre taches orange des robes des moines bouddhistes et les fûts noirs des troncs calcinés, le récit est un chassé-croisé dans le temps et l’espace. Rêve, résurrection, souvenirs forment un entrelacs où la logique y perd ce que la poésie y gagne. Les cases sont éclatées pour que le papillon dévoré par de méchants oiseaux noirs puisse se transformer en cerf-volant merveilleux que tous convoitent. Deux histoires dont l’onirisme brouille les pistes : celle d’un novice pris dans l’étau génocidaire de Pol Pot, et celle d’une petite fille venue d’un pays lointain qu’unit une tendre complicité avec un garçon de la cité où elle a trouvé un ultime havre. Une errance vécue par des enfants où les adultes sont singulièrement exclus ; un tableau noir où un enfant armé d’une craie conjugue le verbe « disparaître », des images du Bouddha et de stupa transparaissant des volutes de fumée d’une forêt pétrifiée, tout est dit de la folie des hommes.

L’AUTEUR

Pour son second livre de BD, Freddy Nadolny Poustochkine s’est inspiré d’une pensée d’un moine taoïste chinois : « La nuit dernière, j’ai rêvé que j’étais un homme et maintenant je me demande : suis-je un papillon qui a rêvé qu’il était un homme, ou suis-je un homme qui rêve, pour le moment, qu’il est un papillon ? » De père ukrainien et de mère française, l’auteur a effectué de longs séjours au Viêt-Nam dont il est tombé amoureux.

Il y a Mildred, qui oublie de payer son loyer, Vrej, un émigré arménien qui se targue d’être

d’une banlieue indéfinie, voici une galerie de personnages déjantés, un ado mutique à la

antisémites, la main sur le cœur et le doigt sur la gâchette… Le tout est sans queue ni tête, bien

comblé d’un appendice nasal d’exception et qui renifle sans discrimination, restes de cuir chevelu sous les ongles après une séance de grattage éperdue, comme les odeurs de cookies sortis du four ; dans ce monde d’ennui et de solitude

dégaine définitivement larvaire ou un prof parano, usé, harcelé, et qui ne rêve que de rétablir la peine capitale ou à défaut de cinglantes fessées. Phineas, un adolescent fugueur va trouver refuge chez une paire d’oncles racistes,

sûr, nous sommes au royaume du nonsense et l’absurde y est roi, mais les couleurs claires, orange et bleues, si elles se veulent rassurantes, ne masquent guère l’humour au scalpel qui dissèque des vies en demi-teintes.

Illustration J. Pham courtesy éd. Cambourakis

COMMENTAIRE DE CASES :: Sublife


LES BULLES :: ArtsOne volume 1

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ALBUMS

PERSONNAGE :: Brume rouge, t.2

U

n super-héros au surnom évocateur, Kick-Ass (Botteles-Fesses), cagoulé et armé de matraques, seize ans et déjà largué, Dave Lizevski peut afficher à son palmarès de super-combattant du crime deux jambes cassées, la rate éclatée, deux ou trois plaques de métal dans le crâne et la notoriété grâce à une vidéo apparue sur YouTube. Mais pour prix, notre inoxydable héros s’en prend plein la tronche, transpire l’hémoglobine, même si les courtscircuits en dessous de la ceinture auxquels il se trouve exposé – technique éprouvée des temps modernes qu’on appelle ici et là « question » ou « gégène » – n’entament que provisoirement sa libido. Les choses se gâtent, si l’on peut dire, un peu plus lorsque Kick-Ass rencontre Big Daddy et Hit Girl, autres super-héros tout aussi tartes et vindicatifs, dont cette charmante psychopathe de onze ans qui transperce ses ennemis à coups de sabre ! Ecossais, scénariste de comics, Mark Millar, auteur, entre autres, de la BD Wanted, et son complice l’Américain John Romita (Spider-Man) aux dessins explosifs, abondamment teintés de rouge, manient avec jubilation le second degré (ici au premier) et leur humour décalé dynamite voluptueusement les codes du genre. Et si le héros est allègrement mis en pièces, la BD n’est pas en reste.

:: La Colline empoisonnée, Futuropolis, 352 p., 28 €.

:: Brume rouge, t. 2, Mark Millar et John Romita Jr., traduction Alex Nikolavitch, Panini Comics, 142 p., 11 €.

Illustration John Romita courtesy Panini Comics

:: Sublife, John Pham, traduction Aude Pasquier, éditions Cambourakis, 64 p., 12 €.


PHILIPPE DRUILLET 36

:: L’OBJET ArtsOne volume 1

Par Nathalie Bencal :: Photos Lionel Hannoun

Philippe Druillet Guillaume Piéchaud

LE SACRE DE LIBELLULE C’est l’histoire d’une rencontre. Celle d’un artiste séduit par un objet singulier. Le dessinateur Philippe Druillet livre ici les dessous de son coup de cœur pour un banc dénommé « Libellule » et signé Guillaume Piéchaud, sculpteur sur métal.

D

ifficile de résumer la carrière de Philippe Druillet en quelques lignes : célèbre à 28 ans grâce à la BD et son premier album Lone Sloane, la trilogie Salammbô, inspirée de l’œuvre de Flaubert, le consacre définitivement. Ses dessins pleine page, tout en mouvement, font exploser les petites cases traditionnelles. En 1974, il fonde la maison d’édition Les Humanoïdes associés et participe à la naissance de Métal Hurlant. Mais peu à peu, il délaisse le dessin, trop minutieux, trop solitaire, et se tourne vers le cinéma. Il crée des décors de films, des affiches et aussi des images 3D pour la Géode à Paris. Quand il fait la connaissance de Benjamin de Rothschild, collectionneur de BD, il est loin d’imaginer les nouvelles voies que cette rencontre va lui ouvrir. Son « prince moderne », comme il l’appelle, l’incite à la création de mobilier (près de 300 pièces à ce jour), l’amène à la sculpture et plus récemment à l’architecture de jardins. A 67 ans, Philippe


L’OBJET :: ArtsOne volume 1

PHILIPPE DRUILLET 37

ArtsOne : Quels rapports entretenez-vous avec les objets ? Philippe Druillet : Je suis un collectionneur et un amateur, dans le sens étymologique, du terme, c’est-à-dire celui qui aime. Quand je vais aux puces, je suis comme un guerrier qui chasse des trésors. Je pars en quête de la beauté et de la mémoire. Mon approche est très charnelle, je dois toucher, soulever et soupeser les œuvres pour les appréhender. Il y a en chacune d’elles une trace humaine, une pensée, un artiste. A mon sens, l’objet est une œuvre qui porte un regard sur le monde. Il relève aussi bien du domaine de l’art que de celui de la tradition. Pourquoi le banc « Libellule » de Guillaume Piéchaud ? Parce qu’il y a dans cet objet à la fois la connaissance du feu, du métal et la maîtrise de matériaux ancestraux. Je me reconnais en lui, tout comme j’y reconnais du Hector Guimard et du Jules Lavirotte. Je sais où je suis. Coup de foudre ou amitié ? Les deux, je suis content d’avoir un ami qui a du talent et j’ai la chance de le connaître en tant qu’artiste. D’ailleurs, j’aurais bien aimé être commissairepriseur, car c’est un métier qui donne la possibilité de faire connaître les artistes aux autres. Qu’est-ce qui en fait un objet unique ? L’objet unique n’existe pas. Même si La Pietà de MichelAnge m’a touché au plus profond de moi, cela ne m’a pas empêché d’avoir d’autres émotions pour d’autres œuvres comme en visitant les (vraies) grottes de Lascaux. Est-ce un objet habité ? Il est habité par l’âme de celui qui l’a façonné. S’il était un métal précieux ? Qu’importe, c’est la forme et l’âme de l’œuvre qui comptent. Si c’était une confiserie ? Je la mangerais avec ma copine !

Druillet est un créateur hors normes, un homme de démesure. Ce dernier trait de caractère marque aussi sa passion pour les objets et les œuvres d’art. Quand il nous ouvre les portes de son atelier près de la gare Montparnasse, l’endroit est singulièrement habité. Par les souvenirs, d’abord : une couverture de Métal Hurlant, des sculptures conçues pour Daum, des affiches de films – d’Au nom de la rose à La Guerre du feu –, et quelques pièces de mobilier « rothschildien ». Par ses collections ensuite : statuettes en bois d’art africain, trophées de toutes sortes comme cette tête de rhinocéros noir, photographies et choses plus insolites comme ce crâne aux orbites remplies de cristal. Au milieu de la pièce, l’objet qui nous intéresse : un banc en inox aux reflets moirés, aux formes généreuses mais aux pieds arachnéens, signé Guillaume Piéchaud. Philippe Druillet se livre alors au jeu des questions et des réponses.

Pourriez-vous le troquer ? Non, cet objet accompagne ma vie. Je préférerais plutôt en avoir un deuxième. Ce qui m’importe c’est de vivre dans la beauté. Un artiste qui réussit à faire naître l’harmonie dans une œuvre en assure à la fois la pérennité et le message. Quel livre pourriez-vous laisser sur ce banc ? Des millions, il y a une telle littérature ! Mais bon, je pencherais pour Démons et merveilles de Lovecraft.

Une sélection d’œuvres de Guillaume Piéchaud (ci-dessus), est exposée en permanence à la galerie Loft (Paris). Un catalogue au format original (18 x 18 cm) les a réparti en trois thématiques évocatrices : les araignées et autres animaux terrestres, les reptiles et les créatures marines.

Le banc « Libellule » a-t-il un rapport avec votre œuvre ? Ce banc fait partie de mon univers graphique par son côté mouvant, pointu et vital à la fois. Dans son apparente « staticité », il insuffle le mouvement, une fulgurance qui correspond à mon travail. Contacts Quelle est sa plus forte résonance ? S’il avait un équivalent musical ce serait le Sacre du printemps de Stravinski.

www.galerieloft.com www.guillaumepiechaud.com www.druillet.com


:: SHOWROOM ArtsOne volume 1

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Par Nathalie Bencal :: Photos DR

Showroom

FUTURS CLASSIQUES Top tendance, chacun de ces objets trouvera durablement une place dans votre intérieur. Leur élégante originalité n’a d’égale que leurs matériaux et leurs formes indémodables.

CES OBJETS DU TEMPS JADIS Au salon Maison & Objet, le stand de Frédérique Morrel a fait son effet : licornes, têtes de cerf et coussins recouverts de tapisseries anciennes savamment mis en scène ont attiré les amateurs de pièces originales. Inspirée par les canevas de sa grand-mère, la créatrice offre une seconde vie à tous ces ouvrages oubliés depuis longtemps au fond d’un tiroir, tout en veillant attentivement à leur collecte. Décriés pour leur apparence désuète, voire kitch, ces derniers sont récupérés par ses soins mais aussi par des amis. Ensuite, ils sont assemblées en un savant patchwork et disposées sur des animaux empaillés ou du mobilier. Pour chaque pièce, Frédérique Morrel invente une histoire qui nous parle de nature, de chasse, de corrida, voire d’érotisme. Modèle Jeff, 1 950 €. 65 x 75 x 55 cm. www.frederiquemorrel.com

HONNI SOIT QUI MALLE Y PENSE

ÇA BALANCE PAS MAL SUR LES SKIS

Créé par le designer bruxellois Maarten de Ceulaer, cette armoire composée de mallettes en cuir est totalement modulaire. Constituée de six éléments, elle a été conçue pour s’adapter à votre garde-robe, chaussures et chapeaux compris. Si son look évoque les voyages d’antan et les valises luxueuses des années 50, la « valise-armoire » de chez Casamania est à l’opposé de ses lourdes et encombrantes aînées. Elle se déplace du bout des doigts et se métamorphose (presque) d’un regard. Couleur : dégradé de bleu ou de vert, blanche. 118 x 210 x 70 cm. Prix : 8 575 €. www.uaredesign.com

Elégance, utilité et simplicité sont les maîtres mots de la maison d’édition d’objets Petites Productions. Depuis 9 ans, Marie Thurnauer, fondatrice de la société et designer, y veille. Avec des matériaux et des procédés de qualité, elle cherche le juste équilibre entre la forme et la destination de chaque création. Les skis de chaise, en bois de hêtre, ne font pas exception. D’utilisation facile, ils s’arriment d’un clic, sous les pieds de n’importe quelle chaise, pour la transformer en… « fauteuil » à bascule ! Après usage, ils se font si discrets qu’on les oublierait ! Skis de chaise, 97,50 €. www.petites-productions.com


SHOWROOM :: ArtsOne volume 1

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L’INDE SUR CANAPÉ La marque Moroso réalise des canapés, des fauteuils et des compléments d’ameublement depuis presque 50 ans sans jamais que son succès ne soit démenti. N’hésitant pas à faire appel aux meilleurs designers de la scène contemporaine de Ron Arad en passant par Patricia Urquiola, elle collabore cette fois avec le couple indo-écossais Nipa Doshi et Jonathan Levien Ce canapé, My beautiful Backside, aux formes peu communes, est totalement imprégné de la culture indienne : coussins adaptés à la manière de s’asseoir dans ce pays, dossier brodé de fil d’or et pieds aux finitions en laiton, un matériau typique de son artisanat. Un très beau modèle qui renouvelle le genre. Modèle My beautiful Backside. Deux largeurs : 160 cm (notre photo), 7 595 € ou 261 cm, 11 720 €. Existe aussi en bleu profond et bleu clair. www.madeindesign.com

LE SALON FAIT SON CIRQUE Les Ateliers du Drugeot sont une institution dans les meubles d’appoint en Anjou depuis 30 ans. Toujours prêts à explorer de nouveaux territoires, les compagnons ébénistes ont imaginé une collection insolite sans pour autant en perdre le sens pratique. L’objectif était de faire sourire et d’intriguer en créant des objets d’une extrême originalité. Toujours fidèles aux essences de bois noble (du chêne essentiellement), ils fabriquent des étagères qui défient les lois de la gravité. Constitué de cercles de bois empilés, l’Equilibriste (ci-dessus), entre jongleurs et autres saltimbanques, nous transporte dans l’univers ludique d’une piste aux étoiles. A noter que chaque cercle est conçu pour accueillir une tablette en verre prête à recevoir petits ouvrages, porcelaines, sulfures ou autres tabatières ! A partir de 750 € (selon les finitions) pour une étagère en chêne, de couleur naturelle, livrée montée. 70 x 223 x 22 cm. Tél. : 02 41 92 46 69.


LE TAPIS TOILE 40

Par Nathalie Bencal :: Photos Vincent Baillais

:: PETITE HISTOIRE ArtsOne volume 1

Le « tapis toile », un art séculaire revisité Convoités des années, parfois conservés comme des reliques, issus de la haute technologie ou faits main, les objets peuplent, voire hantent nos intérieurs, muets témoins d’une histoire commencée bien avant que notre regard ne les découvre. L’atelier de Françoise Caratini nous révèle les petits secrets de ces tapis peints sur toile qui font chanter sa vitrine.


PETITE HISTOIRE :: ArtsOne volume 1

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inquième arrondissement de Paris, non loin de la place Monge, une boutique enchante le regard de celui qui passe. Une vitrine où vibrent des couleurs qui éclaboussent le pavé parisien de leurs chauds rayons. A l’intérieur, les « tapis toile » de la créatrice Françoise Caratini embrasent sol et murs de leurs fulgurances bigarrées. Dans l’arrière-salle, sur les étagères, la cohorte de pigments, peintures, pinceaux, perles et paillettes veille sagement. A 58 ans, cette créatrice autodidacte assume pleinement son titre de peintre décoratrice et d’artiste plasticienne qui n’a pas oublié un passage éclair aux Beaux-Arts, vite écourté par le houleux Mai-68. Celle qui peignait les murs de sa chambre depuis l’enfance voit, à 22 ans, son talent remarqué par le tour-operateur Jet Tour. Pendant deux ans, il lui revient de créer les ambiances des hôtels. Affranchie par cette expérience et de nouvelles études à l’Institut supérieur des arts appliqués de Paris, elle devient décoratrice pour le théâtre, la télévision, et travaille aussi pour des expositions. Trompe-l’œil et peintures murales font désormais partie de son univers. Une collaboration avec la marque de vêtements Poivre blanc la plonge dans l’événementiel et la conduit à réaliser ses premières peintures sur tapis (en sisal). Une idée qui ne vient pas d’elle, insiste-t-elle. « A l’époque, Caroline Cassier, ma sœur,

LE TAPIS TOILE 41

s’intéressait déjà à cette technique vieille de plusieurs siècles. » Ni une ni deux, les deux complices décident alors de tenter l’aventure ensemble, avec la volonté d’appliquer soigneusement la recette séculaire. Puis tout s’enchaîne : essais de vernis sur les toiles et, très vite, Françoise ouvre l’atelier. C’était il y a quatre ans. De sa sœur, elle dit avec fierté qu’elle a un goût prononcé pour les motifs et une minutie dont elle-même est bien dépourvue. Le tandem se complète. La pratique de Françoise s’apparente davantage à celle d’un travail pictural. Comme dans cette dernière création, résultat d’un jeu de matières et de couleurs pour un rendu « écorce de bois ». Quand il nous faut choisir un modèle, nous nous tournons à l’unisson vers un motif Murano inspiré d’un voyage que les deux sœurs ont fait à Venise. Etape par étape, découvrons les secrets de fabrication d’un « tapis toile » : de la préparation aux finitions. Un véritable exploit de dentellière qui a nécessité pas moins de deux semaines de travail. >>>

Contact Atelier Françoise Caratini, 30-32, rue des Lyonnais 75005 Paris. Prix allant de 120 à 350 ¤ le m2. http://francoise.caratini.free.fr


LE TAPIS TOILE 42

:: PETITE HISTOIRE ArtsOne volume 1

1 :: Préparation du tissu

2 :: Choix des motifs

Les toiles de base sont toutes de couleur écrue, en coton ou en lin. Choisir l’une ou l’autre a des conséquences. La toile de lin qui possède plus d’aspérités permet d’obtenir un effet final plus granulé. Sa trame peu discrète se verra. Pour la pièce qui nous occupe, Françoise Caratini a choisi une toile de coton à l’aspect lisse qu’elle agrafe sur le mur : ainsi tendue, l’étoffe va recevoir pour la rigidifier un enduit acrylique de couleur blanche. Deux couches sont nécessaires sur chaque face. Le temps de séchage de chacune d’elles est d’une demi-journée. Deux jours doivent donc être consacrés à cette première étape. Une fois sec, l’enduit sera poncé avant d’être peint afin de bien adoucir sa surface.

Les sœurs Caratini partent généralement d’une idée, d’un document ou d’un objet de la vie courante, comme le jersey d’un tricot, la bague d’une amie, une dentelle ou des imprimés japonais sashiko (dessin généralement bleu marine et blanc, que l’on retrouve traditionnellement au Japon sur la vaisselle et les tissus). Les voyages sont aussi une source d’inspiration comme celui effectué en Martinique et durant lequel elles seront séduites par les frises de bois des maisons. Ici, le modèle Murano a été inspiré par les verroteries de l’île éponyme lors d’un passage à Venise. En tout cas, pas question d’utiliser les livres de motifs. Trop rébarbatifs à leur goût.


PETITE HISTOIRE :: ArtsOne volume 1

LE TAPIS TOILE 43

3 :: Projection du dessin

4 :: Peinture et vitrification

Une fois le motif choisi, il sera travaillé sur ordinateur jusqu’à la réalisation de la maquette complète du « tapis toile ». Françoise Caratini utilise, entre autres, les logiciels Painter et Photoshop qui lui permettent de faire des montages à l’infini. Une fois terminé, le dessin est projeté à taille réelle sur la toile enduite. Le « tapis toile » Murano ne déroge pas à cette règle, d’autant qu’il est riche en motifs. A l’aide d’une craie très fine de couturière, la créatrice redessine l’ensemble. Un travail de patience indispensable au bon déroulement de l’étape peinture à venir.

Chaque motif est peint, couleur après couleur. Ici l’orange, l’argent et le noir se succèdent. Cette étape peut prendre de deux jours à deux semaines selon les modèles, voire un mois pour un « Murano » plus complexe que celui-ci. Une fois la peinture sèche vient le temps de la vitrification pour assurer la pérennité du tapis. L’atelier utilise sans modération un vernis à parquet : au lieu des trois couches préconisées, cinq seront appliquées pour permettre une meilleure résistance. Deux jours de séchage seront encore nécessaires avant d’ourler le tapis et lui assurer longue vie.


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:: ENQUÊTE ArtsOne volume 1

Par Max Renn :: Photos Centre Pompidou-Metz

Centre Pompidou-Metz

L’ART À LA RESCOUSSE Alors que l’institution vient tout juste de souffler sa première bougie, et que certains évoquent déjà une success-story à la Guggenheim de Bilbao, « ArtsOne » fait le point sur ce projet ambitieux.


ENQUÊTE :: ArtsOne volume 1

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n an déjà que le Centre Pompidou-Metz a ouvert ses portes au public ! Après l’exposition inaugurale intitulée « Chefsd’œuvres ? » – qui, devant son succès, s’est vue prolongée jusqu’en janvier dernier – le musée messin accueille depuis peu Daniel Buren et offrira cet automne ses salles aux frères designers Ronan et Erwan Bouroullec pour leur première grande rétrospective française. Enfin, en septembre, une grande exposition thématique, intitulée ERRE, explorera les notions de déambulation et de labyrinthe dans l’art d’aujourd’hui. Nuls errements, en revanche, dans la programmation du CPM : entre une carte blanche offerte à une valeur sûre

CENTRE POMPIDOU-METZ 45

de l’art contemporain en France et une rétrospective plus ambitieuse de deux artistes méconnus du grand public, l’institution semble avoir pris ses marques. Mais, sous couvert de décentralisation, la naissance du petit frère du Beaubourg parisien, peut-elle d’ores et déjà, un an après son ouverture, être considérée comme une réussite ? Les quelque 300 000 personnes qui ont assisté à la manifestation de préfiguration de l’ouverture du CPM, intitulée « Constellation », en 2010, et les 100 000 premiers visiteurs en deux mois d’exploitation, pouvaient laisser entendre que le Centre Pompidou avait, en choisissant de s’implanter à Metz, visé juste. Pourtant, l’aventure du Centre Pompidou-Metz constitue une première dans >>>

Légendes

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1 :: Centre Pompidou-Metz, janvier 2010. Photo Olivier H. Dancy courtesy Shigeru Ban Architects Europe et Jean de Gastines Architectes/ Metz Métropole/ Centre Pompidou-Metz

2 :: Vue de nuit du Centre Pompidou-Metz, mars 2010. Photo courtesy Shigeru Ban Architects Europe et Jean de Gastines Architectes/Metz Métropole/ Centre Pompidou-Metz/ Photo Roland Halbe

3 :: Vue de la galerie 3, Centre Pompidou-Metz, mars 2010. Photo courtesy Shigeru Ban Architects Europe et Jean de Gastines Architectes/Metz Métropole/ Centre Pompidou-Metz/ Photo Roland Halbe


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Légendes

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1 et 2 :: Vues d’artiste du musée des Confluences à Lyon. Photos DR 3 :: Musée du Louvre-Lens : hall d’accueil, vue est. Image Cyrille Thomas/SANAA, Imrey Culbert, Catherine Mosbach

4 :: La Tate Liverpool. Photo Tate 5 :: Le Guggenheim de Bilbao Photo Guggenheim Bilbao

:: ENQUÊTE ArtsOne volume 1

>>> l’histoire de la décentralisation culturelle en France. Une idée qui naît en 1997, alors que le Centre GeorgesPompidou, présidé par Jean-Jacques Aillagon fermait ses portes au public afin de laisser place à une importante campagne de rénovation. Riche de 65 000 œuvres, l’établissement se trouvait alors à la tête d’une collection quatre fois plus importante qu’à son ouverture en 1977. A partir de là, tout s’enchaîne. En janvier 2003, un accord est annoncé entre le Centre Pompidou et la ville de Metz (28e ville française) pour la construction d’un nouveau lieu, qui sera réalisé en partenariat avec les collectivités locales. Ce sont les architectes Shigeru Ban et son associé français pour l’Europe, Jean de Gastines qui, parmi 150 dossiers déposés, remportent le concours international en décembre 2003. La première pierre est posée à Metz par Madame Pompidou le 7 novembre 2006 ; le chantier aura duré trois ans. Moins de neuf ans se seront écoulés entre la décision de créer l’antenne messine et son ouverture,

un délai étonnamment bref, au regard des autres projets d’envergure en cours (lire ci-dessous). Le bâtiment en lui-même est constitué de trois galeries superposées, de 80 mètres de long chacune, protégées par une membrane autonettoyante en téflon de 8 000 m2. Chacune se termine par une baie vitrée ouvrant d’un côté sur le centre-ville, de l’autre sur une zone en friche. Le choix architectural du lieu aura été moins critiqué que celui de son homologue parisien, construit par Renzo Piano et Richard Rogers et qui à l’époque avait fait grand bruit. Tout juste a-t-on comparé le nouveau Centre à une tente de cirque ou à un crustacé géant échoué à l’intérieur des terres. S’il est effectivement moins iconoclaste que son grand frère parisien, il n’est pas pour autant privé d’une identité propre – aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Son coût de construction ? 86 millions d’euros, soit un peu plus que l’enveloppe allouée au départ. Et son coût de fonctionnement de 10 millions d’euros est principalement pris en charge par les collectivités locales.

D’AUTRES PROJETS DE MUSÉES

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lusieurs autres projets de musées français sont actuellement en cours. Les deux plus importants sont le musée des Confluences à Lyon et le Louvre à Lens. Le premier est un titanesque projet muséal visant à regrouper les collections de l’ancien Muséum d’histoire naturelle de Lyon sur un promontoire au confluent de la Saône et du Rhône. Onze ans après son lancement, il n’en est toujours qu’au stade

des fondations qui ont déjà englouti le budget initialement prévu pour l’ensemble, soit 61 millions d’euros ! La note définitive devrait tutoyer les 200 millions d’euros. L’ouverture du musée est prévue pour 2015… (www.museedesconfluences.fr) Cent cinquante millions d’euros pour la construction et dix millions d’euros de fonctionnement par an, tel devrait être le coût de l’aménagement

d’un Louvre à Lens. En collaboration avec l’établissement parisien, le musée lensois, implanté au milieu des corons, devrait présenter environ 300 œuvres issues des collections parisiennes. Ce musée est la locomotive d’un projet de reconversion de la région – qui finance majoritairement le projet. 700 000 visiteurs sont espérés pour son année d’ouverture. L’inauguration est prévue fin 2012 (www.louvrelens.fr).


ENQUÊTE :: ArtsOne volume 1

Au moment de l’ouverture du musée à Metz, Bilbao et son Guggenheim avait été évoqué avec, en arrière-pensée, l’espoir que le Centre, la ville et la région de Metz connaîtraient une renaissance analogue à celle du port basque. Il y a cependant des différences notables entre les deux... C’est sur fond de rivalités politiques que le Guggenheim voit le jour à Bilbao, en 1997. De rivalités entre le gouvernement de la province de Biscaye et l’Etat espagnol. Désireuse de jouer un rôle au niveau international, et en quelque sorte de damer le pion à Madrid, Bilbao déroula ainsi un tapis rouge à Thomas Krens, alors directeur du Guggenheim. Franck Gehry, architecte du musée, dans une interview au magazine ARTnews, en 1988, précisait alors : « Les Basques étaient très explicites. Ils voulaient un Opéra de Sydney. Ils voulaient la chose qui ferait venir les gens à Bilbao et donnerait de l’importance à la ville. C’est ce que j’ai essayé de faire. » De plus, la construction du « Gugg » s’inscrivait dans une dynamique de reconstruction d’une majeure

CENTRE POMPIDOU-METZ 47

partie de la ville, sinistrée depuis la crise économique des années 1980. Cette vaste campagne impliquait notamment la construction d’un nouveau réseau métropolitain confiée à Norman Foster, et une extension de l’aéroport, confiée, elle, à Santiago Calatrava, autre star mondiale de l’architecture. Par ailleurs, Bilbao, de par sa proximité avec la mer, a toujours été une destination touristique courue, à la grande différence de Metz. Bilbao en Lorraine… Le Guggenheim de Bilbao est un succès monumental – avec pas moins de cinq millions de visiteurs entre 1997 et 2002. Une étude menée en 2002 a ainsi démontré que le musée a permis la création indirecte (et la sauvegarde) de 4 000 emplois et que son impact sur l’économie locale, pour la seule année 2001, était de 147 millions de dollars. Une manne ! Outre le Centre Pompidou-Metz, « l’effet Bilbao » comme on n’a pas hésité pas à l’appeler, >>>


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:: ENQUÊTE ArtsOne volume 1

>>> a suscité des envies à travers le monde. A l’instar de la métropole basque, de nombreuses villes ont désiré se doter elles aussi d’une succursale du prestigieux établissement américain. Si le contrat passé entre Bilbao et le Guggenheim interdit une autre émanation de ce dernier en Europe, le concept de musée pensé comme outil de développement économique est à l’origine en France de plusieurs projets, aujourd’hui en cours et certains en voie d’aboutissement, tels que ceux de Lyon, Marseille et l’antenne du Louvre à Lens, dont l’ouverture est prévue fin 2012. Autre délocalisation réussie, celle de la Tate, en GrandeBretagne, avec ses petites sœurs ouvertes à Liverpool, en 1988 et à Saint-Ive’s, en Cornouailles, en 1993. Ontelles pour autant des points communs avec le musée messin ? Tous deux ont été inaugurés dans des zones industrielles en friche, 200 000 visiteurs étaient attendus la première année à Liverpool. Aujourd’hui, la réussite est au rendez-vous avec près de 700 000 visiteurs annuels.

Mais ce succès n’est pas venu tout seul, puisqu’il aura fallu le réaménagement de tout le quartier d’Albert-Dock, l’inauguration de plusieurs autres musées à proximité et l’ouverture de cafés, restaurants et autres logements haut de gamme. Signe de sa réussite, le célébrissime Prix Turner a été remis en 2007… à Liverpool et non à Londres. Une première dans son histoire. La Tate Liverpool est aujourd’hui le deuxième musée d’art contemporain le plus visité outre-Manche. Elle a entraîné dans son sillage la création d’une biennale (FACT) et plus récemment de la A Foundation, donnant à la ville une ampleur internationale sur la scène de l’art contemporain. Pain béni pour les galeristes A Metz, la volonté affichée est d’attirer en Moselle les entreprises et les investisseurs, tout en propulsant l’industrie vers le secteur tertiaire. Pierre Streiff, président de la chambre des métiers et de l’artisanat de Moselle a

METZ ET ALENTOUR

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e développement culturel de l’Est, dont le Centre Pompidou-Metz fait bien entendu partie, se situe dans le cadre d’un projet économique beaucoup plus vaste. Ce dernier vise à relier les différents pays d’Europe, notamment ceux du Nord et ceux du Sud ; il repose sur une politique ambitieuse de développement des transports à l’échelle supranationale. Le Sillon mosellan se situera ainsi à la croisée de ce qu’il est convenu d’appeler un réseau d’« Eurocorridors » autoroutiers, fluviaux et ferroviaires. Concernant l’offre culturelle actuelle, elle est déjà riche dans cette région transfrontalière. Nancy, ville de l’Art nouveau, de Daum et de Gallé est à moins d’une heure de route ou de train. De même pour le Luxembourg (sur la même ligne TGV que Metz), et son musée d’Art contemporain, le Mudam, construit par Leoh Ming Pei, lauréat du Prix Pritzker. Citons également le Frac Lorraine, installé à Metz, la Synagogue de Delme (notre photo), à proximité, le musée Georges-de-la-Tour à Vic-sur-Seille, le château de Malbrouck à Manderen et le musée départemental d’Art ancien et contemporain d’Epinal. Concernant l’Allemagne toute proche, l’offre n’en est pas moins importante avec le musée de la Sarre, à Sarrebruck, réparti sur plusieurs sites et accueillant chaque année plus de 400 000 visiteurs. Quelques chiffres donneront l’ampleur

des enjeux : 24 millions de consommateurs européens à moins de 200 kilomètres ; deux touristes nord-européens sur trois passent par le Sillon lorrain, réseau d’agglomérations regroupant Nancy, Metz, Thionville et Epinal, soit une population de 1,2 million d’habitants. Qu’il s’agisse de politique économique ou culturelle, l’heure est désormais à la décentralisation.


ENQUÊTE :: ArtsOne volume 1

ainsi pu déclarer : « Ce musée contribuera à véhiculer une image nouvelle de notre territoire, participera directement à son rayonnement et à son attractivité. Il sera un élément majeur du dynamisme économique et assurera un rôle de locomotive pour de nombreux projets. » Ont ainsi été lancés les travaux de la seconde phase de la ligne ferroviaire Est à grande vitesse, ainsi que les travaux d’élargissement de l’autoroute A 31. Cependant, le CPM s’ouvre aujourd’hui dans une zone encore vierge de 20 hectares : l’ancienne gare de triage. Bien qu’à deux pas de la gare TGV, il n’en demeure pas moins un peu isolé, cerné par la ZAC de l’Amphithéâtre et le Parc de la Seille. Une situation qui n’est toutefois pas inédite : le musée d’Art contemporain de Lyon n’at-il pas ouvert ses portes, en 1995, dans une zone tout aussi ingrate et désolée… à la différence qu’il s’inscrivait dans un vaste projet d’urbanisme. A Metz, 150 millions d’euros ont déjà été dépensés dans des travaux visant à

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aménager la zone autour du musée. Si un projet de parking est d’ores est déjà en cours, celui de la médiathèque a, quant à lui, été abandonné. Faut-il y voir un manque d’ambition ou un premier signe d’essoufflement ? Pour le moment, le souhait de Dominique Gros, maire de la ville demeure : « Faire de Metz une métropole ancrée dans la modernité et tournée vers l’avenir. » Les galeries locales ont, quant à elles, été promptes à saisir l’opportunité présentée par le Centre. La galerie Cri d’Art s’est réinstallée depuis 2009 à l’extrémité du Parc de la Seille. Pour Bernard Staudt, son propriétaire, qui a constaté une petite hausse de son nombre de visiteurs depuis l’inauguration, le marché de l’art entre la France et l’Allemagne manque de perméabilité : « On ne peut pas dire que les acheteurs allemands viennent en France et vice versa. Chacun reste chez soi. » D’ailleurs, on le constate, depuis la création de la foire de Karlsruhe en 2003, de moins en moins de galeries allemandes exposent à St’Art, la foire de Strasbourg. >>>

Légendes

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1 :: Galerie 3, Chefs-d’œuvre à l’infini. A droite : la vitrine de livres et de revues. A gauche : Green Power, Öyvind Fahlström, 1969 (Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Donation Daniel Cordier, 1989). Au fond : Made in Japan – La Grande Odalisque, Martial Raysse, 1964 (Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don de la Scaler Foundation, 1995). Photo Rémi Villagi, ADAGP, Paris 2010

2 :: « Architecture, contre architecture : transposition, travail in situ », Daniel Buren, Mudam, Luxembourg, octobre 2010 (détail). L’artiste est l’invité du Centre Pompidou-Metz jusqu’au 9 septembre avec l’exposition « Echos, travaux in situ ». Photo DB, ADAGP, Paris.


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:: ENQUÊTE ArtsOne volume 1

>>> Autre galerie messine, la galerie Shimoni, à Montignylès-Metz, a offert, en 2010, coïncidant avec l’ouverture du CPM, une exposition judicieusement intitulée « Les Grues de Pompidou » On y découvrait la juxtaposition des photographies prises par Hervé Legros en 1977 montrant la construction du Centre Pompidou et les clichés de Philippe Cousin prises sur le site de Metz en 2006. Abolition du temps et de l’espace, télescopage de deux chantiers, écho aux diverses maquettes de musées présentées dans le cadre de l’exposition inaugurale du CPM, depuis celle du Corbusier pour le Pavillon français de l’Exposition internationale (1937), jusqu’à celle du Centre de Metz, justement. Désormais, la construction elle-même d’un musée est un « work in progress », une action artistique en soi, voire un chef-d’œuvre. Laurent Le Bon, directeur du CPM, s’est fait fort de rappeler que toute la dialectique de l’exposition « Chefs-d’œuvre ? » reposait sur ce point d’interrogation. Parmi les 800 œuvres exposées, 700 provenaient de Paris. D’autres, telles les délicates sculptures en verre ou en ailes d’insectes de l’artiste lorrain Patrick Neu, avaient été commandées à l’artiste par le CPM, témoignant par là de la volonté de l’institution de s’insérer dans le circuit artistique local. Enfin, on y voyait aussi quinze toiles de Rémy Zaugg, prêtées par un musée voisin, le Mudam luxembourgeois ; volet discret d’une collaboration entre les deux établissements Quatre à six expositions sont organisées chaque année grâce au fonds de la maison mère, car le

musée de Metz ne possède pas de collection permanente. Elles seront autant monographiques que thématiques ; l’histoire du Centre Beaubourg sera également un des axes de la programmation, de même que le soutien à la création artistique par le biais de la production d’œuvres. Une « formidable machine à exposer » S’il est encore un peu trop tôt pour juger de la pérennité du succès du CPM, les chiffres parlent d’eux-mêmes. 615 000 visiteurs ont franchi les portes du musée en 2010 – alors que le directeur Laurent Bon, lors de l’inauguration en mai 2010, en attendait entre 200 000 et 250 000 ! Pour Hélène Guénin, responsable-adjointe de la programmation, comme elle l’a expliqué en mars dernier, « ce chiffre de fréquentation est absolument exceptionnel et ne devrait pas être atteint ni en 2011, ni même en 2012 ». L’attrait du public pour l’ouverture de ce nouveau lieu culturel a certainement joué sur les entrées ; pour les prochaines années il faudra sans doute tabler sur un nombre de visiteurs plus conforme à celui des estimations initiales. Quoi qu’il en soit, le CPM reste, à en croire l’expression d’Alain Seban, président de Pompidou Paris, une « formidable machine à exposer ». Une formidable machine à exposer, certes, mais aussi un lieu qui cherche à s’ériger en modèle de développement économique par la culture. Espérons que le temps donnera raison à cette vision.

Le Groupe Wendel, mécène fondateur du CPM

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,5 million d’euros sur cinq ans, tel est le montant du don fait par le Groupe Wendel au Centre Pompidou-Metz, ce qui lui confère le statut de « Mécène fondateur ». Le temps où les Wendel, une des plus grandes dynasties françaises, régnaient en maître sur la sidérurgie française est désormais bien loin, puisqu’elle est aujourd’hui, avec un CA de 5,5 milliards d’euros en 2010, une des premières sociétés françaises d’investissement. Son rôle consiste à mettre en œuvre des actions afin d’accroître le développement à long terme et la croissance des entreprises dans lesquelles le groupe est actionnaire. En un sens, le don au CPM se situe dans cette lignée. Comme l’ont précisé dans un communiqué Frédéric Lemoine (ci-contre), président du directoire de Wendel et Ernest Antoine Seillière, président du conseil de surveillance de Wendel et vice-président de l’association des Amis du Centre Pompidou-Metz : « Wendel est très fière de cet accord, qui lui permet de soutenir un projet phare pour la Lorraine, berceau du groupe et de ses familles fondatrices. »


ENQUÊTE :: ArtsOne volume 1

CENTRE POMPIDOU-METZ 51

Le Centre PompidouMetz en chiffres 21 mètres :: hauteur de la nef principale. Ce qui en fait le second lieu d’art contemporain avec la plus grande hauteur sous plafond en Europe, juste après le Turbine Hall de la Tate Modern. 5 000 m2 :: surface dévolue aux salles d’expositions. 77 mètres :: hauteur de la flèche sur le toit de l’édifice. Elle rappelle implicitement l’année de l’ouverture du Centre Beaubourg : 1977. 18 kilomètres :: longueur cumulée de toutes les poutres en épicéa de la structure. 333 :: nombre de kilomètres séparant Paris de Metz ; c’est aussi le nom de la brasserie au rez-de-chaussée du Centre. 615 000 :: nombre de visiteurs en 2010. A titre de comparaison, Metz recense 124 000 habitants.

Contact Tél. : 03 87 15 39 39 www.centrepompidou-metz.fr

Légendes

2 1 1 :: Galerie 2, Rêves de chefs-d’œuvre. Vue de la « La grande galerie des cartels » ; à gauche : « Parade de chefsd’œuvre ». Photo Rémi Villagi 2 :: Centre PompidouMetz, vue de nuit, mars 2010 © Shigeru Ban Architects Europe et Jean de Gastines Architectes / Metz Métropole / Centre PompidouMetz / Photo Roland Halbe


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:: D’UNE RÉGION L’AUTRE ArtsOne volume 1

Par Armelle Bajard :: Reportage photo Lionel Hannoun

Bordeaux, le réveil de la belle d’Aquitaine C’est sans doute lors de la lointaine domination anglaise au Moyen Age que la ville a acquis ce flegme, et parfois cette froideur hautaine. Mais la vieille dame aux allures guindées d’antan, et qui n’a plus rien à envier de ses splendeurs passées, retrouve son âme juvénile grâce à ces créateurs venus du monde entier troubler les méandres alanguis de la Garonne.

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ordeaux, princesse lointaine, ville musée froide et distante… Voici quelques clichés à remiser aux oubliettes des réputations erronées ! Car depuis quinze ans, la belle d’Aquitaine s’est comme réveillée d’un long sommeil. Bordeaux a entrepris et réussi une mutation profonde. Les quais s’offrent maintenant à la promenade, la Garonne s’est réenchantée, et le tramway a redistribué les cartes des quartiers. Dans le domaine des arts plastiques, une éclosion flagrante a eu lieu ces cinq dernières années. De nombreuses galeries ont ouvert leurs portes, des collectifs d’artistes se sont créés, avec à leur tête une nouvelle génération qui n’est en peine ni d’idées ni d’énergie et affiche sa volonté d’ouvrir la ville sur le monde. La candidature malheureuse de Bordeaux au titre de capitale européenne de la culture pour 2013 lui a permis de se doter d’un événement culturel de portée internationale ; Evento, biennale de création urbaine, a connu sa première édition en octobre 2009. Aujourd’hui, le vignoble n’est plus le seul pôle d’attraction, l’art contemporain lui dispute d’autres pampres millésimés ! >>> Le Lion de Xavier Veilhan occupe en majesté la place Stalingrad depuis juillet 2005. Photo Armelle Bajard


D’UNE RÉGION L’AUTRE :: ArtsOne volume 1

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BORDEAUX


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:: D’UNE RÉGION L’AUTRE ArtsOne volume 1

CAPC :: La mémoire au présent

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Photo Lysiane Gauthier

A droite, vue de l’exposition Insiders, pratiques, usages, savoir-faire, organisée dans le cadre d’Evento.

Il est des bâtiments industriels construits comme des cathédrales. Situé dans un ancien entrepôt, le CAPC a la chance de bénéficier d’une nef monumentale de 1 000 m2, voûte idéale pour organiser des expositions d’envergure. Mise à l’honneur une fois par an, la collection du musée est constituée de plus d’un millier d’œuvres qui témoignent des avant-gardes, des années 1960 à nos jours. Y sont représentés, entre autres, l’art minimal, l’art conceptuel, Supports-Surfaces ou la Figuration libre. Le CAPC possède également dans son catalogue des œuvres de Nan Goldin, Tony Oursler, Fabrice Hybert ou Tatiana Trouvé. L’arrivée de la directrice Charlotte Laubard (notre photo) en 2006 a permis au musée de renouer avec l’esprit de laboratoire et de découverte de ses débuts, de procéder à l’ouverture de nouveaux champs d’intérêt. La programmation culturelle s’étend au cinéma et aux musiques actuelles. En 1973, le Centre d’arts plastiques contemporains, association de passionnés, présentait des expositions d’avant-garde dans la ville. Aujourd’hui, le CAPC est devenu un des acteurs majeurs de l’art à Bordeaux. Contact :: 7, rue Ferrère 33000 Bordeaux. Tél. : 05 56 00 81 50 et www.capc-bordeaux.fr

GALERIE ILKA BREE :: La part belle à la photo Ilka Bree (notre photo) a fait des études d’histoire de l’art et travaillé dans de nombreuses galeries en Allemagne. Son installation à Bordeaux lui a donné l’envie de relever le défi de l’art contemporain. Sa gale-rie éponyme ouvre ses portes en 2005. « Pour mes débuts, j’ai misé sur de grands noms comme Boris Mickhailov ou Miles Coolidge. Si, aujourd’hui, la photographie reste très importante parmi la quinzaine d’artistes que je représente, je n’ai pas souhaité pour autant en faire une spécialité », explique la galeriste. Place a été faite dans son catalogue à d’autres médiums comme la peinture avec l’Autrichien Leopold Landrichter ou l’Israélienne Anat Shalev. La galerie représente également deux jeunes artistes bordelaises, Amandine Pierné et Caroline Molusson. Contact :: 7, rue Cornac 33000 Bordeaux. Tél. : 05 56 44 74 92 et www.galerie-ilkabree.com

Exposition Humble Rumble d’Anat Shalev.


D’UNE RÉGION L’AUTRE :: ArtsOne volume 1

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GALERIE ÉPONYME :: Un hasard qui fait bien les choses La galerie Eponyme, qui compte déjà cinq années d’existence, inaugure de nouveaux locaux. Pour l’occasion, les artistes Barbara Breitenfellner, Marion Orel et Gwenaël Salaün ont les honneurs des cimaises. Frédérik Aubert (notre photo) a choisi le nom de sa galerie pour une simple raison : « Le plus important est de mettre en avant l’artiste que j’accueille. A chaque exposition, la galerie revêt l’identité de l’artiste présenté et de son travail. » Le galeriste est entré dans le commerce de l’art par hasard mais il confesse aimer son métier « tour à tour populaire et bourgeois, en liaison avec son quartier et avec le monde entier. » Si Frédérik Aubert privilégie la photographie, le dessin et la vidéo, il reste cependant très attentif aux qualités singulières de toute œuvre. Contact :: 3, rue Cornac 33000 Bordeaux. Tél. : 09 81 74 24 00 et www.eponymegalerie.com

RUSTHA-LUNA POZZI-ESCOT :: L’art d’être une femme protée Formée à la sculpture au Pérou, Rustha-Luna Pozzi-Escot (notre photo) a travaillé sur le corps de la femme. A son arrivée en France, le décalage de la condition féminine entre l’Europe et l’Amérique du Sud l’a conduit à interroger la notion de genre et la fragilité même du concept. L’artiste brandit les armes de l’ironie pour balayer les stéréotypes machistes et/ou occidentaux. Dans la série de portraits Femmes armées, elle revêt les vêtements et les armes des clichés les plus grossiers, tour à tour Africaine à machette, James Bond girl armée d’un Colt ou femme andine lestée de son lance-pierres. « Je ne suis pas dans une démarche de militantisme ou de revendication. Mais j’entends bien donner mon avis, même si j’utilise un langage léger », explique la jeune femme. L’humour est bien à l’œuvre quand on s’aperçoit que l’artiste a fabriqué les costumes avec des accessoires féminins : pas moins de 9 931 barrettes ont été cousues sur la robe de la photo Occident ! De même, la dérision fait mouche quand au verso d’une carte représentant l’artiste, on retrouve l’image brodée d’une icône médiatique, Jim Morrison ou Che Guevara. Contact :: www.rusthaluna.com

De gauche à droite, Andina et Mythologie 3D.

RUSTHA-LUNA POZZI-ESCOT

Exposition Handschlag avec les artistes Marion Orel, Barbara Breitenfellner et Gwenaël Salaün.


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:: D’UNE RÉGION L’AUTRE ArtsOne volume 1

XU GUO

XU GUO :: Furtivement vôtre

Entre ici et ailleurs, Xu Guo (notre photo) s’est posé à Bordeaux il y a huit ans. Peintre et aquarelliste, l’artiste a respecté la tradition que son père lui a transmise. Mais l’influence de sa terre d’élection s’est furtivement insinuée dans son travail. Si les thèmes et les symboles restent chinois, l’apport de la couleur, que l’artiste juge romantique, est très occidental. Depuis son arrivée en France, Xu Guo n’a pas résisté à la tentation de la photo numérique, nouvel espace de recherche. Ses clichés de lieux désertés et de foules anonymes dégagent une profonde mélancolie et nous disent l’éphémère de l’existence, « une allégorie de la vie qui jamais ne s’arrête ». Contact :: www.artmajeur.com/guoxu De gauche à droite, Rêve de printemps, Trace sur le mur et Village neigé.

Il y a en France quelques galeries qui font figure à la fois de précurseur et d’institution. Le Troisième Œil en fait partie. Et pourtant c’est une lueur d’étonnement qui s’allume dans l’œil d’Anne-Marie Marquette (notre photo) quand elle constate que trente-sept années se sont écoulées depuis ses débuts. La galeriste reconnaît avoir une vraie fascination pour ceux qui créent, qui ont le don d’expression. « Chaque rencontre est un petit miracle. Et c’est cette émotion indicible que j’ai voulu partager en embrassant cette carrière. » Au fil de neuf expositions par an, collectionneurs et amateurs d’art rencontrent le travail de la vingtaine d’artistes que compte le catalogue : Christian Gardair, Jean-Yves Gosti, Henriette Lambert ou Tony Soulié, pour ne citer qu’eux. Le travail et l’enthousiasme d’Anne-Marie Marquette ont conduit le Troisième Œil jusqu’à Paris où la galerie avait une adresse jusque récemment ; un retour n’est pas exclu. S’il est un constat à faire de cette belle aventure artistique, il tient en une phrase de l’intéressée : « Ma joie ne s’est pas émoussée. » Contact :: 17, rue des Remparts 33000 Bordeaux. Tél. : 05 56 44 32 23.

Photo F. Deval

LE TROISIÈME ŒIL :: Le miracle de la rencontre

LE TROISIÈME ŒIL Sur les cimaises, les œuvres du peintre Louttre B.


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ESPACE 29

ESPACE 29 :: Le pied à l’étrier

Le calme qui règne à l’Espace 29 n’est qu’apparent. A l’étage, ils sont quarante à travailler, peintres, sculpteurs mais aussi illustrateurs, vidéastes ou photographes, tandis qu’au rez-de-chaussée, une galerie de 70 m2 accueille un artiste choisi par un comité de sélection. Ce jour-là, François Bresson, un jeune peintre récemment installé à Bordeaux, a les honneurs des cimaises pour sa première exposition personnelle. Un coup de pouce qui reflète la volonté de l’association. « Depuis 2005, nous organisons dix expositions par an qui sont bien souvent de premières expériences pour les artistes sélectionnés », explique Nathaniel Raymond (notre photo), chargé de développement. Dans le même esprit, un artiste est accueilli tous les ans en résidence au mois d’août et expose son travail lors de l’exposition de rentrée, en septembre. Contact :: 29, rue Fernand-Marin 33000 Bordeaux. Tél. : 05 56 51 18 09 et www.espace29.com

Vue de l’exposition Kindergarten : l’étrange Noël de l’Espace 29.

CHRISTOPHE MASSÉ :: Portraits en abyme C’est un atelier hanté par la présence de centaines de visages, qui affichent tous la même expression, entre mélancolie et sidération… Ce compagnon en forme d’autoportrait escorte Christophe Massé (notre photo) depuis ses débuts. « Je le chasse mais il revient », confesse le peintre. L’artiste le décline en travaillant par séries sur des matériaux multiples, hier fragments de skate-board, aujourd’hui chaussons de danse et scies circulaires. « Je stocke quelque temps les supports avant de trouver le déclic pour les peindre », expliquet-il. Cette multitude qui l’entoure, ce journal intime qu’il peint jour après jour assouvit son besoin de foule, apaise son sentiment de solitude. Christophe Massé croit au partage et à la générosité. Il invite donc un autre artiste à investir son espace le 28 de chaque mois pour une journée de vernissage et d’exposition. Le cycle, baptisé Sous la tente, entame sa troisième saison. Contact :: 28, rue Bouquière 33000 Bordeaux. Exposition tous les 28 du mois, de 10 heures à 20 heures. Tél. : 06 47 63 34 75 et http://toffer.canalblog.com

MASSÉ En haut, Autoportrait dans la foule.


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:: D’UNE RÉGION L’AUTRE ArtsOne volume 1

FRAC

FRAC AQUITAINE :: Mille et une pièces exposées

Photo Delphine Chanet

Entre no man’s land et invitation au voyage, le Frac Aquitaine se niche au cœur d’un paysage magique. Il occupe en effet le rez-de-chaussée d’un hangar portuaire des années 30, réhabilité en 2000. Pas de réserves ici : à l’intérieur, les 1 000 pièces de la collection s’exposent à l’étage dans des caisses tandis que 300 m2 au rez-dechaussée sont consacrés aux expositions ; près de 50 % du fonds est constitué de photographies. « Notre collection a un caractère généraliste auquel je tiens. Je m’attache depuis mon arrivée à la compléter et à l’ouvrir », explique Claire Jacquet (notre photo), aux commandes des lieux depuis janvier 2007. Le Frac participe également à la production d’œuvres, comme la sculpture de néon monumentale, située sur les silos à grain en face du hangar. Respublica de l’artiste bordelais Nicolas Milhé veille sur le destin de son commanditaire. Contact :: Hangar G2, Bassins à flot n° 1, quai Armand-Lalande 33300 Bordeaux. Tél. : 05 56 24 71 36 et www.frac-aquitaine.net

Vue de l’exposition Casus belli de Nicolas Milhé.

« Je n’ai personne à convaincre », jure Denis Olivier (notre photo). Le photographe se contente de jeter le trouble dans l’esprit du spectateur. Armé de son appareil, l’artiste part pour se perdre. De ces longs tête-à-tête avec des paysages désertés sortent des clichés d’un univers hostile, vidé de toute présence humaine. La technique de la pose longue est mise ici au service d’une interrogation angoissante sur le temps et les traces que laisse l’humanité. De retour de ses errances, Denis Olivier aborde un autre domaine et laisse alors libre cours à sa créativité pour élaborer des montages. Ces photos uniques, surréalistes dans l’esprit, laissent pourtant transparaître une vraie matérialité. Là encore le but de l’artiste est atteint : égarer le spectateur, le mener sur des chemins instables. Un autre voyage entre burlesque et cauchemar. Contact :: www.denisolivier.com

OLIVIER

DENIS OLIVIER :: Des chemins effacés

Dreamspace reloaded#34.


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TIN BOX :: Coup de foudre en boîte « C’est un peu grâce à elle que je suis devenue galeriste », confie Nadia Russell (notre photo). « Elle », c’est Anne-Marie Durou, une artiste qui travaille tricot et matériaux composites pour bâtir des sculptures textiles. Pour exposer ce coup de foudre créatif, Nadia Russell se fait alors galeriste itinérante. La « box », une cabine à roulettes évolutive, lui permet de promener ses expositions de lieu en lieu. Au fil des années, six autres artistes ont rejoint le catalogue. « Si la ligne esthétique de la galerie est pour l’instant difficile à définir, les points communs entre ces créateurs sont les notions de labeur ou de savoir-faire. » Depuis 2007, Nadia Russell exerce son métier dans une galerie plus traditionnelle. Mais la « box » fait toujours partie de l’aventure. Les artistes de la galerie sont invités à l’investir ou à l’utiliser comme support de création lors des expositions qui leur sont consacrées. Contact :: 76, cours de l’Argonne 33000 Bordeaux. Tél. : 06 63 27 52 49 et www.galerie-tinbox.com

TIN BOX Vues de l’exposition de Rustha-Luna Pozzi-Escot.

CHRISTOPHE CONAN :: Les gorgones en ville

Ci-dessus, de haut en bas : Hippoglossus Hippoglossus et Paralichthys Dentatus. A droite, Nid de guêpes.

Dans la vitrine de l’atelier de Christophe Conan (notre photo), un rhinocéros prête son flanc de métal au regard du passant. Ici l’artiste peint, sculpte, expose parfois. Si au début de sa carrière, il a mis en scène l’évolution de l’humanité, Christophe Conan a depuis élargi sa vision au monde animalier. « Mon propos, ici, n’est ni politique ni écologique. Quand je parle de la nature, c’est de l’homme dont il s’agit. » Pour preuve, la série de méduses que l’artiste a proposée au public bordelais pour l’exposition Sculptures en ville. « J’ai choisi les méduses car au vu de leur prolifération dans les océans, elles ont déjà gagné. » En travaillant par séries, l’artiste renoue avec l’esprit des cabinets de curiosités. Contact :: 16, rue du Faubourg-des-Arts 33300 Bordeaux et www.christopheconan.com

CONAN

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LA MORUE NOIRE

:: D’UNE RÉGION L’AUTRE ArtsOne volume 1

LA MORUE NOIRE :: A Bègles, l’art en partage

Derrière la Morue noire se cache un collectif trop nombreux pour être cité ici (voir notre photo). Mais dans cette ancienne sécherie de poissons de Bègles, six artistes ont une même vision de l’art et de la manière de le partager. Leurs ateliers sont ouverts au public tous les jours, de 14 heures à 19 heures. Au rez-de-chaussée, le sculpteur Michel Lecœur accueille d’ailleurs, ce jour-là, une exposition temporaire. A l’étage, cinq autres ateliers – dont ceux des peintres Bernard Ouvrard et Philippe Prymersky – et une salle pour exposer et aider « les artistes qu’on aime ». Et pour donner encore plus de visibilité aux créateurs et aux artistes émergents, la Morue noire organise tous les deux ans en alternance une biennale 2D de peinture, photo et vidéo et une biennale 3D de sculpture. Encore et toujours une histoire de générosité. Contact :: 7 bis, allée de Francs 33130 Bègles. Tél. : 05 56 85 75 84 et www.lamoruenoire.fr

En haut, l’atelier du peintre Bernard Ouvrard. Ci-dessus à droite, la façade de la Morue noire.

ET AUSSI :: D’autres galeries : www.cortexathletico.com, www.galerieacdc.com, www.galeriedx.com, www.arretsurlimage.com Un artiste qui expose des artistes dans son atelier : http://i.krapo.free.fr Deux lieux d’exposition : www.asuivre.fr et www.pola.fr et un musée à Bègles : www.musee-creationfranche.com C’est un garage et un lieu d’exposition : www.legaragemoderne.org C’est une librairie et un lieu d’exposition: http://lamauvaisereputation.free.fr. Enfin, pour tout savoir de l’actualité de l’art à Bordeaux et en Aquitaine : www.art-flox.com

Base sous-marine C’est un endroit à nul autre pareil. La base sous-marine a été construite par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale pour abriter une flotille de sous-marins. Sur les 42 000 m2 de cette monumentale construction, 12 000 m2 environ sont aujourd’hui ouverts au public. Le lieu accueille des expositions – sculpture, peinture, photographie – ou des spectacles d’art vivant. Une visite à ne pas manquer.

Contact :: Boulevard Alfred-Daney 33300 Bordeaux. Tél. : 05 56 11 11 50 et www.bordeaux.fr

BASE SOUS-MARINE


D’UNE RÉGION L’AUTRE :: ArtsOne volume 1

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AGENDA :: Quelques rendez-vous à ne pas manquer viennent rythmer tout au long de l’année la scène artistique bordelaise

:: Le Bus de l’art contemporain Chaque premier dimanche du mois, le Bus de l’art contemporain propose une visite guidée des galeries, musées et collectifs d’artistes. Les passagers sont accueillis à chaque étape par les galeristes ou des artistes. C’est l’occasion, en une après-midi, de découvrir les dernières expositions en compagnie d’un médiateur, diplômé en histoire de l’art. Contact :: Kiosque culture, allée de Tourny 33000 Bordeaux. Tél. : 05 56 79 39 56. Tarif : 5 ¤.

:: Art Chartrons Quartier traditionnel des antiquaires et brocanteurs, le quartier des Chartrons recèle également d’autres trésors. Depuis 2007, l’association Art-Chartrons propose deux fois par an, un parcours de vernissages qui permet de découvrir les galeries et lieux culturels du quartier. Ces événements s’étalent sur quatre jours en juin et en novembre. Contact :: www.arts-chartrons.info Respublica de Nicolas Milhé, sur les silos à grains, face au Frac. Les Parisiens ont pu admirer cette œuvre au Musée d’art moderne de la ville de Paris, lors de l’exposition Dynasty, à l’été 2010. Photo Pierre Antoine

:: Evento Avec Evento, biennale artistique et urbaine, Bordeaux s’est doté d’un événement culturel de portée internationale. Les clés de la première édition d’octobre 2009 ont été confiées à l’artiste Didier Faustino. En suivant la thématique « Intime Collectif », une trentaine d’artistes sont intervenus dans la ville pendant une semaine. La direction artistique de l’édition 2011 sera assurée par l’artiste Michelangelo Pistoletto et sa fondation Cittadellarte. Rendez-vous en octobre 2011 ! Contact :: www.bordeaux.fr

EVENTO

Le pont d’Evento

Invité à intervenir dans la ville pour la première édition de la biennnale Evento, l’artiste plasticien Tadashi Kawamata a conçu et dessiné cette passerelle. Construite avec du bois de la tempête qui a ravagé les Landes en janvier 2009, ce pont qui s’envole au-dessus de la Garonne, relie la place des Quinconces, lieu central de la ville, et les quais. Avec ses 120 mètres de long et ses 12 mètres de large, la passerelle est un lien entre la ville et son fleuve. Un symbole à plusieurs niveaux donc. L’œuvre s’appelle Foot path mais pour beaucoup de Bordelais, elle est devenue le pont d’Evento, emblème de la première édition de la biennale. Malgré sa popularité, la passerelle a été démontée en juillet 2010.


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:: ENTRETIEN ArtsOne volume 1

Propos recueillis par Marie-Laure Desjardins :: Portrait Lionel Hannoun, photos La Fabrika

Miguel Chevalier

LA MÉTAMORPHOSE DES ALGORITHMES


ENTRETIEN :: ArtsOne volume 1

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Précurseur de l’art digital, l’artiste nous offre des fleurs-cristal qui vous suivent du regard, se courbent en muette salutation ; d’autres se déploient en un vertigineux éventail de couleurs et semblent vouloir grandir à l’infini pour disparaître à jamais, comme par enchantement. Monde virtuel et interactif, ballet de plantes imaginaires ; la nature elle-même semble mise au défi de la magie informatique de ce nouveau thaumaturge de l’art.

F

in de matinée, un ciel bas et blanc accompagne la traversée du périphérique, direction Ivry-sur-Seine. Dans l’impasse, un portail sans fioritures accueille le visiteur ; encore quelques mètres et surgit le monde fascinant de Miguel Chevalier. Projetées au sol et au mur, les Sur-Natures et les Fractals Flowers dansent au rythme des allées et venues de l’équipe de La Fabrika. En majesté, un écran de Leds dévoile Pixels Liquides, une des dernières créations de l’artiste. L’ambiance est studieuse et affairée, une exposition se prépare et une partie du matériel doit partir aujourd’hui. Ici, ni toiles à emballer ni sculptures à emmailloter, mais des ordinateurs, des vidéoprojecteurs, des câbles, des prises… Tout avait pourtant commencé avec un crayon à la main ! 1980, Miguel Chevalier entre aux Beaux-Arts de Paris section dessin. Le jeune homme, qui a longtemps vécu au Mexique où il est né, puis en Espagne, déchante rapidement du classicisme de l’enseignement.

L’institution n’a pas suivi les engouements des années 1970 : pas d’atelier de photographie, ni de vidéo. Une fois le diplôme en poche, il intègre l’Ecole nationale supérieure des arts-décoratifs où il étudie le design industriel et les nouveaux matériaux. Le designer Roger Tallon l’incite à utiliser les ordinateurs. Il les découvre au CNRS auquel il accède la nuit. C’est à ce moment-là que Miguel Chevalier pressent les immenses possibilités artistiques de ces outils que peu de personnes comprennent. Une bourse en poche, il décolle pour les Etats-Unis : séjour qui achèvera de le persuader de poursuivre dans cette voie. « A mon retour, dès que je montrais mon travail, les gens me prenaient pour un technicien, un ingénieur et non un artiste… J’étais à contre-courant mais persuadé que les choses finiraient par aller dans mon sens. » Depuis lors Miguel Chevalier expose ses œuvres génératives et interactives dans le monde entier. Rencontre avec un artiste qui courtise les algorithmes. >>>

Légende

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2 1 :: Constellations numériques 2010, logiciel Cyrille Henry.

Contact La Fabrika 1, impasse Prudhon 94200 Ivry-sur-Seine. Tél. : 01 58 46 02 76 www.miguel-chevalier.com


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Légendes

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1 :: Fractal Flowers Cave, logiciel Cyrille Henry, 2010. Carrières du Mas de la Pyramide, Saint-Rémy-de-Provence, dans le cadre du festival AP’Art. 2 :: Miguel Chevalier dans son atelier d’Ivry-sur-Seine. 3 :: Seconde Nature, avec la collaboration de Charles Bové (designer), logiciel Music2eye, commanditaire Euroméditerranée. Place d’Arvieux à Marseille, commande dans le cadre de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture. 4 :: Pixels liquides est un hommage à la peinture des années 50 de Jackson Pollock, de Sam Francis, et de Pierre Soulages. Cette œuvre s’inscrit dans la continuité de l’action painting. Une peau de pixels colorés évolue de façon autonome sur le mur de Leds. Le déplacement du spectateur crée une traînée de couleur qui se mélange et fusionne avec la « peinture lumière » en trame de fond. Avec cette technique du « dripping électronique », une peinture de la lumière, le corps du spectateur devient un pinceau numérique. Photo courtesy galerie Georges Verney-Carron, Lyon

:: ENTRETIEN ArtsOne volume 1

>>> ArtsOne : Quand vous avez décidé de devenir artiste, vous vous imaginiez peintre. Que s’est-il passé ? Miguel Chevalier : Voyant que j’étais intéressé par la peinture, mon père, qui était historien, m’a conseillé d’explorer de nouveaux champs artistiques. Il me disait : « Bien sûr, tu peux aimer la peinture mais si tu n’explores pas de nouvelles possibilités tu vas répéter en un peu moins bien ce que d’autres ont fait de façon magistrale. » Il m’a montré que tous les artistes qui ont marqué le XXe siècle ont toujours poussé plus loin la peinture : de Pollock à Fontana en passant par Klein, Buren ou Nam June Paik. Quand je suis arrivé aux Arts-Déco, Roger Tallon m’a incité à aller voir du côté de l’infographie et m’a introduit auprès du critique d’art Pierre Restany. C’est avec lui que j’ai commencé à comprendre que de nombreux artistes du mouvement des Nouveaux Réalistes comme Arman ou Villeglé ne travaillaient déjà plus dans le champ de la peinture, mais au-delà. César, compressait les voitures, il n’utilisait plus la main mais la machine. J’ai eu envie d’aller encore un peu plus loin qu’eux. N’était-ce pas un choix difficile ? Au début, les gens me prenaient pour un informaticien ! J’étais obligé d’argumenter tout le temps. J’expliquais que toutes les avant-gardes utilisaient les moyens de leur époque et que donc, à terme, je ne pouvais pas croire que l’art numérique n’allait pas s’imposer comme une écriture à part entière dans le champ des arts plastiques. Il allait forcément devenir un moyen de création au même titre que la peinture, la photo ou la vidéo. Maintenant, c’est plus facile même s’il demeure encore des réticences et que peu d’artistes s’engagent dans cette spécificité. Je fais partie de ceux qui, depuis les années 1980, disent que les nouvelles technologies offrent matière à questionner le monde qui est le nôtre. Aujourd’hui cette persévérance commence à être payante. J’essaye d’investir des espaces inattendus, de montrer qu’on peut faire des œuvres pour des musées, des centres d’art, mais aussi pour des projets à l’extérieur. Ce travail ne s’adresse pas qu’à une élite. Il s’adresse à tous. Il a fallu quatre-vingts ans pour que la photo s’impose comme un art, de mon côté, je n’en suis qu’à vingt-six… L’art numérique est-il en rupture avec les beaux-arts ? Non, Cézanne disait qu’il ne faut plus appréhender la nature telle qu’on la voit mais la recomposer par le cylindre, la sphère, le cône. Il a engendré le cubisme dont on pourrait trouver un prolongement dans les Fractals Flowers. Elles ont ce côté fragmenté et ouvrent des horizons qui n’ont pas pu être explorés par ces artistes qui ne possédaient pas nos outils actuels. On peut trouver tant au XIXe qu’au XXe siècle beaucoup de précurseurs de nos univers numériques. Un artiste comme Seurat, en développant son travail sur le pointillisme, préfigure le tube cathodique. Mondrian, avec ses Boogie Woogie, annonce l’effet « pixel ». Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, mon travail n’est pas totalement en rupture avec le champ de la peinture. Au fond ce qui m’intéresse, c’est de prendre en compte les liens

qui existent avec les artistes du passé et de développer une écriture qui fait naître de nouveaux champs. Je pense qu’à chaque époque les artistes essaient d’être de leur temps avec les outils qu’ils ont à leur disposition. J’essaie d’être du mien avec ceux d’aujourd’hui. Quand nous regardons une de vos œuvres, elle se déploie sur un mur, un écran, dans une carrière de pierre… Mais quelle est-elle en réalité ? L’écran plasma ou de Leds n’est qu’un support, le vidéoprojecteur un outil de transmission. L’œuvre, c’est le logiciel. Avec les différentes graines virtuelles, je peux composer un jardin comme un paysagiste. Les couleurs, la croissance et la taille peuvent être paramétrées. Ce qui permet des variations infinies. Le logiciel est personnalisé pour permettre à chaque jardin d’être unique ce qui engendre des œuvres différentes. Par exemple, pour Fractal Flowers, j’ai créé nombre de graines et sélectionné les meilleures espèces. Maintenant elles sont semblables à des touches de piano avec lesquelles je suis capable de jouer de très nombreuses partitions. Pour Pixels Liquides, c’est un peu différent. Le paramétrage est fixe mais une dose d’aléatoire a été introduite dans le programme, ce qui assure de belles surprises. Il y a une part maîtrisée et une part d’imprévu. Un peu comme dans la vie, certaines rencontres modifient votre rapport aux choses et peuvent vous entraîner vers d’autres horizons. C’est ce qui peut parfois faire peur car l’œuvre n’est jamais totalement achevée, mais toujours en devenir. Un caractère totalement nouveau et une qualité à laquelle tous les autres médiums ne peuvent pas prétendre. Comment travaillez-vous ? Générativité et interactivité, qui entrent dans la réalisation d’installations de réalité virtuelle, obligent à travailler avec des informaticiens. Il arrive parfois que certaines personnes, comme Jeffrey Shaw, possèdent la double compétence de développeur et d’artiste mais cela est très rare. Pour ma part, mes connaissances en informatique me permettent d’agir avec mon équipe d’informaticiens comme un réalisateur le ferait avec son équipe de tournage. Je commence par créer des esquisses photographiques, vidéographiques, des maquettes et ensuite je vois avec eux comment on peut les mettre en œuvre grâce à la création de logiciels spécifiques. Entre le moment où j’ai l’idée et celui où elle se réalise, il peut se passer un à deux ans. Ensuite, cette œuvre peut être configurée en fonction de différents types d’espace, musée, centre d’art ou collectionneur privé. Tout le monde sait que dans le domaine des nouvelles technologies les choses évoluent très vite. Comment vos collectionneurs peuvent-ils être assurés de pouvoir « lire » encore vos œuvres dans 20 ans ? Chacune de mes œuvres possède un « mode d’emploi » et chaque collectionneur ou institution a reçu une sauvegarde de l’œuvre choisie et de tous ses paramètres. >>>


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Légendes

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1 à 5 :: Herbarius 2059 en collaboration avec Jean-Pierre Balpe, logiciel Cyrille Henry. Sur ce grand livre blanc, sont projetés côte à côte une fleur fractale de Miguel Chevalier qui se développe sous les yeux du lecteur et un texte de Jean-Pierre Balpe généré en temps réel qui donne une description de la plante à la façon des herbiers du Moyen Age. Un dialogue à chaque fois renouvelé grâce à la « part de liberté » introduite dans le logiciel.

:: ENTRETIEN ArtsOne volume 1

>>> La Fabrika garantit aux acheteurs la migration des œuvres avec l’évolution des techniques et du matériel informatique. Si, dans 10 ou 20 ans, ce matériel devient obsolète, nous les ferons évoluer pour que les œuvres réalisées aujourd’hui puissent continuer d’exister. Nous faisons également des vidéos qui montrent comment elles sont présentées, comment elles se développent, etc. Une telle infrastructure coûte cher mais ainsi je suis garant de la pérennité de toutes mes œuvres.

L’hiver 2009, au Grand-Bornand, vous avez projeté des flocons virtuels sur la neige... C’était un peu un défi car je n’avais jamais fait une telle installation à l’échelle d’un paysage. Aujourd’hui, beaucoup de municipalités sont à la recherche d’activités culturelles. Ainsi de nouveaux projets naissent régulièrement comme Seconde Nature, inauguré place d’Arvieux à Marseille en octobre dernier ou Fractal Flowers, présenté dans une ancienne carrière romaine, lors du festival AP’Art 2010.

Vos vœux 2010 étaient accompagnés d’une œuvre générative pour iPhone. Pensez-vous que de telles créations vont se multiplier ? Les nouvelles technologies inspirent de nouvelles œuvres. Après Pixel Snow que les gens ont pu télécharger sur leur iPhone, nous avons créé Pixel Flowers pour iPhone et iPad. Un choix de huit graines et huit fonds différents permet d’aménager de petits jardins virtuels. Les gens peuvent faire des photos et les envoyer à leurs amis. Bientôt, une version de Pixels Liquides pourrait être aussi téléchargeable. On n’y pense pas mais Apple vend chaque année des dizaines de millions d’exemplaires de son iPhone. Si seulement 1 % des utilisateurs télécharge une œuvre à 1 euro, vous vous rendez compte ! Cela permettrait de créer de nombreuses autres œuvres.

Cet art monumental que vous pratiquez dans les villes ne puise-t-il pas sa source dans votre enfance au Mexique, le pays des fresquistes par excellence ? Dès mon plus jeune âge, j’ai eu la chance de côtoyer beaucoup d’artistes, aussi bien dans le monde du cinéma que dans celui de la peinture ou de l’architecture. Nous habitions à côté de l’architecte Luis Barragan, un des premiers à avoir introduit des couleurs très vives dans ses constructions ; souvent j’allais à l’atelier de David Siqueiros, qui faisait partie de l’avant-garde mexicaine avec l’art muraliste. On retrouve dans mes créations les couleurs de l’Amérique latine, la monumentalité de ces artistes qui investissaient l’espace public à l’échelle architecturale. Après-coup, je me rends compte que tout cela m’a influencé même si je m’en détache dans ma vie d’artiste.


ENTRETIEN :: ArtsOne volume 1

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Légende

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6 :: Fractal Flowers in vitro, logiciel Cyrille Henry, 2010. Exposée dans le cadre d’Istanbul 2010, capitale européenne de la culture, cette serre abrite de singulières plantes colorées qui croissent, disparaissent et répondent aux mouvements des visiteurs.


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:: UN APRÈS-MIDI AVEC ArtsOne volume 1


UN APRÈS-MIDI AVEC :: ArtsOne volume 1

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Par Marie-Laure Desjardins :: Photos Lionel Hannoun

Marc Petit

IN SCULPTURA VERITAS Ni inquiétante ni violente, ni triste ni rassurante, l’œuvre de Marc Petit nous parle d’errance, de fuite du temps, des stigmates que la vie imprime, visibles et invisibles ; de nos espoirs et aussi de nos désespérances. Un mot pourrait la résumer : mélancolie. Mais cet écartèlement en l’homme ne signifie-t-il pas chez cet humaniste, une forme de croisée des chemins, entre aspiration et verticalité ?

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arc Petit est un artiste comme on en rencontre à l’enseigne de la postérité. De ceux que les critiques ont sublimé, que le temps a rendu inaccessibles et que la légende a fini de magnifier. Tout chez lui porte à la réflexion, à l’émotion. Alors que l’artiste parle de vie et de mort, de lumière et d’ombre, de sculpture et de dessin, le temps, qui s’étire, s’accélère, maîtrisé par des mains impossibles à oublier qui vivent d’une volonté propre et forgent le destin d’un héros à part. Marc Petit est un personnage de mythologie : fougueux, tempétueux et acharné à poursuivre son chemin. Il y a chez lui de l’Ulysse fidèle et aventureux, du Jason en quête d’inaccessible, du Sisyphe quand la recherche tourne court et de l’Orphée qui brave les Enfers par amour. Lui qui déclare vouloir vivre 150 ans doit se préparer à l’éternité. François Ollandini, qui lui a offert un musée, l’a très bien compris. Il sait que les gens viendront admirer les sculptures de son ami bien après que son propre nom est tombé dans l’oubli. Marc Petit est un ogre aussi dans la façon qu’il a de dévorer les gens qu’il aime. Jamais rassasié, il veut vivre chaque instant. « Quand tu embrasses ta femme, embrasse-la vraiment », exhortet-il. Une manière d’être au présent, dans chaque geste, chaque regard. L’énergie de l’homme n’a d’équivalent que sa sculpture. Le regardeur s’avance toujours vers une œuvre. Ce jour-là à Bosmie-L’Aiguille, c’est un homme qui ouvre la porte. « J’ai fait mes premières sculptures à 14 ans », tonne l’artiste. Mais la source du fleuve est plus lointaine. Marc est né >>>

Contact

Légendes 1 :: Marc Petit dans son jardin de Bosmie-L’Aiguille. 1

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2 :: La Conversation, 1997. Bronze, 190 x 150 cm. Photo MLD

Du 11 juin au 2 octobre, rétrospective à l’abbaye d’Auberive (52160). 400 pièces, sculptures et dessins, seront présentées www.abbaye-auberive.com www.marc-petit.com


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:: Les Mea Culpa « Les souffrances communes et le destin partagé les unissent d’un seul et même lien. Elles parlent une langue semblable et se comprennent. L’impression de vide ou de manque les réunit. Il n’est sans doute pas simple d’être comblé d’une vie qu’on expulse de soi. Elles ont aussi à nous dire en confession, dans une parole tendre et sévère à la fois : ‘‘ Mea culpa ’’. »

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>>> dans une famille d’artisans. Son père, tailleur de pierre, et sa mère, couturière, se séparent quand il n’est encore qu’un petit enfant. « J’ai un souvenir de mon père me disant qu’il y a deux métiers dans la vie : sculpteur ou architecte. Est-ce que ça m’a marqué ? » A Cahors, où la famille est installée, le centaure du parc frappe l’imaginaire du gamin tout impressionné par sa taille. « J’ai revu cette sculpture récemment, ce n’est pas un chef-d’œuvre ! Franchement, il n’y avait pas de quoi s’émouvoir. » Pourtant, elle plante dans l’esprit de l’enfant une graine qui éclate à l’adolescence. A 14 ans, Marc entreprend d’attaquer des cailloux au tournevis pour appréhender la dureté de la pierre. Il s’achète quelques ciseaux à bois et sculpte sans rien y connaître. Influencé par des œuvres découvertes dans une encyclopédie, il taille de petites pierres abstraites, pleines de vide. « Je m’amusais à faire des trous pour ainsi dire. Ce n’est que des années plus tard que je me suis rendu compte de l’importance du vide dans mon travail. Je me suis souvenu alors qu’il y était naturellement, dès l’origine, sans qu’on puisse dire que c’était une solution plastique. »

La poésie d’un gosse de sixième En classe de seconde, Marc Petit a pour professeure d’histoire-géographie une certaine madame Lorquin. Un jour qu’il lui confie vouloir devenir sculpteur, elle lui propose de le présenter à son mari, Premier Grand Prix de Rome. La première rencontre laisse un goût amer au jeune homme. Devant les pièces qu’il lui montre, Lorquin a la dent dure. Il cherche toutefois la formule adéquate : « C’est de la poésie d’un gosse de sixième », finit-il par lâcher. « Et il n’a plus voulu me voir pendant 3 ou 4 ans… Il était terrible mais j’en parle avec affection. J’ai eu de la chance de le rencontrer. » Si Marc a du mal à avaler la sentence, il n’est pas pour autant découragé. La fin de l’année scolaire approche et il annonce à sa mère qu’il va arrêter le lycée pour devenir sculpteur. Il achète quelques livres, se renseigne. « Pour moi LE sculpteur, c’était Michel-Ange », se souvient l’artiste. Il veut donc apprendre à tailler la pierre et s’inscrit à un stage. C’est là qu’il fait la connaissance de René Fournier qui le met en garde : « Oh là ! petit, on ne commence pas par la pierre mais par le modelage et les outils ! » A partir de ce jour, ce dernier devient son professeur. Il lui fait travailler la terre et le plâtre. « Il m’apprend le B.A. BA. Ce qui était très intéressant, c’est qu’il corrigeait mon travail une fois que je pensais l’avoir terminé. Il n’a jamais vu comment je me débrouillais pour monter mes sculptures. Une méthode qui m’a évité d’être formaté. Personne ne m’a jamais dit ‘‘ fais comme ci ou comme ça ”, personne ne m’a jamais imposé une étape avant une autre. J’ai bénéficié d’une grande liberté. » Dont Marc Petit mesure les conséquences à chaque fois qu’une de ses pièces ne tient pas. Face aux échecs, il réfléchit, il analyse et apprend. A 18 ans, il quitte le toit familial et s’installe avec Cathy. « Je flirtais avec elle, je n’avais pas encore 14 ans ! » préciset-il gaiement. La jeune femme a un métier, elle épouse l’homme, sa passion, et souhaite pourvoir aux besoins


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matériels du ménage autant de temps qu’il le faudra. « C’est une chance inouïe d’avoir eu quelqu’un qui m’offre le gîte et le couvert. J’en parle facilement aujourd’hui que ça marche bien, mais ne pas gagner un centime pendant 15 ans, ce ne fut pas facile à vivre. » Il y a les voisins qui ne comprennent pas. Ceux qui se demandent « Qui c’est ce flemmard ? » Car à l’époque, Marc Petit sculpte la nuit pendant que tout le monde dort. Il vit à contretemps. « J’aimais bien me coucher à 4 heures du matin et me lever à 4 heures de l’après-midi ! Je déteste le matin. Le matin, je ne comprends rien, je ne mémorise pas. Pas étonnant que j’aie été un cancre à l’école. Imaginez un peu, me faire faire des maths à 9 heures ! » Les colères mémorables de Lorquin Alors qu’il fête ses 20 ans, Marc continue de travailler avec René Fournier et organise sa première exposition dans un local appartenant à une banque de Cahors. Pour l’occasion, il parvient à circonvenir Lorquin et le traîne à l’exposition. Le sculpteur fait le tour des pièces, annonce qu’il a celle abstraite en horreur mais qu’il n’a pas le temps et qu’il reviendra le lendemain… « Et il est revenu. Nous avons déjeuné et passé le reste de la journée ensemble. A partir de là, il s’est mis à corriger mon travail. Fournier m’avait dégrossi, appris ce que tout prétendant à la sculpture doit connaître. Lorquin m’a permis d’aller plus loin. » Ses colères sont mémorables et Marc Petit en fait les frais pour son plus grand bien. Un jour qu’il lui montre une sculpture, le maître dit « J’adore ça, jusque-là… » Il montre alors les genoux du personnage et s’emporte : « Tu n’as pas le droit de laisser à l’abandon une partie de la sculpture, tu peux ne pas faire de torse, de tête, de pieds, de mains… mais si tu décides de faire un corps entier, tu dois tout traiter à égalité : genoux, bouche, nez, oreilles… Pour qui te prends-tu ? Tu portes la sculpture ! » Cette sévérité poussera l’élève toujours plus haut et la peur de mal faire ne le quittera jamais. « Même à 35 ans, alors que j’exposais à Paris et que ça commençait à marcher un peu, j’allais le voir avec la boule au ventre. Pourtant, je savais qu’il aimait mon travail, il avait écrit sur moi des choses extraordinaires, mais malgré ça je redoutais son jugement. Il aimait tellement la sculpture. » Avec Lorquin, Marc Petit découvre l’œuvre de Germaine Richier. C’est la révélation. Le jeune artiste lui voue une véritable vénération. « Pour moi, Richier est le plus grand sculpteur du XXe siècle. Je suis certain qu’il y a sept à huit sculptures d’elle qui peuvent rivaliser avec les plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art », déclare-t-il. Il se souvient avoir vu La Feuille face à la mer, au musée d’Antibes, et d’en avoir eu les larmes aux yeux. Depuis toutes ces années, il regarde et regarde encore mais une part de mystère demeure. « Je comprends jusqu’à un certain point puis je ne comprends plus ! C’est magique. Richier avait une espèce d’invention permanente, une liberté incroyable gagnée de bagarre en bagarre. Je me rends compte combien c’est difficile d’être libre >>>

Légendes 1 :: Mea Culpa, 2002. Bronze, 175 x 50 cm.

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2 :: Pièce présentée par Jean-Claude Hyvernaud à la galerie Artset, à Limoges. Photo MLD 3 :: Le grand bûcher (détail), 2005. Bronze, 220 x 120 cm.


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>>> quand on fait de la sculpture. On sait où il faudrait aller, mais il n’y a pas de recette pour y arriver ou alors ce sont celles des autres… » Un jour Lorquin a dessiné trois jambes de même dimension : une de Rodin, une normale et une de Richier. « Quelle est la plus grande ? » a-t-il demandé à Marc. « Celle de Richier », a répondu l’élève. « A toi de chercher ta grandeur », exige alors le professeur. Le risque aurait été de faire du Marc Petit De son côté, Fournier laisse lui aussi des leçons indélébiles : « En sculpture, il faut faire venir la force de l’intérieur et qu’elle pousse vers l’extérieur, autrement tu feras toujours une sculpture molle. » La mollesse, la pire ennemie du sculpteur guette à chaque geste et les solutions peinent à être trouvées. « Quand on a peu de pratique, c’est un peu du chinois. On est les mains dans la terre ou dans le plâtre, on est comme des couillons ! Il faut faire tout en se respectant. » Car il ne s’agit pas là de copier Phidias ou quelqu’autre génie, mais bien de trouver sa voie. Marc apprend qu’il est impossible de tricher et qu’il doit faire attention à ne pas se perdre. La sculpture peut rendre fou. « Il y a des périodes terribles. Je me souviens d’un hiver, où j’allais chaque matin à l’atelier. Il faisait froid, je travaillais dix à douze heures et le soir je détruisais tout. Ça a duré plusieurs mois. Ma femme rentrait le midi car elle avait peur que ça finisse mal. » L’artiste essaie de faire monter en lui des souvenirs à même de l’entraîner de nouveau dans la création. « J’étais désespéré et je ne modelais plus que des choses ridicules que je jetais au fur et à mesure… » Au fond de l’impasse, il façonne une énième petite tête dans la cire et la colle, presque machinalement, sur un bout de bois ramassé là, dans la poussière. Eurêka ! Les Dérisoires venaient de prendre source sous son regard médusé par tant d’évidence. Cette simple association le relance complètement. Il produit dans cette veine une série de 57 petites sculptures, un travail à l’origine de tous les « bois » qu’il créera par la suite, et qui aujourd’hui encore porte des fruits. « Si je n’avais pas osé affronter cette épreuve, le risque aurait été que je me mette à faire du Marc Petit toute la journée. » Une idée insupportable. Dans l’atelier, il conserve deux pièces « faites malhonnêtement » pour qu’elles lui rappellent sans cesse « le résultat obtenu quand je me prends au sérieux et que je joue les cadors ! » En 1984, Cathy et Marc s’installent à Bosmie-L’Aiguille dans la région de Limoges. Cathy y a trouvé un travail, Marc continue de manger son pain noir. Peu de gens s’intéressent à son œuvre et dans le meilleur des cas, les galeristes lui avouent tout net : « C’est magnifique ce que vous faites, mais vous ne vendrez jamais une sculpture, c’est trop dur. » Il sait, depuis qu’un journaliste de SudOuest a qualifié ses personnages de « fantômes », que le public ne perçoit souvent que le côté sombre de son travail. Pourtant sur ce chemin escarpé, il ne sera jamais seul. Son entourage l’encourage, l’aide à persister dans sa voie. Il montre ses sculptures dès qu’il en a l’occasion mais ne vend toujours rien. Si le combat pour la reconnaissance est rude, l’événement qui marque cette période est de l’ordre


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de la famille, de l’intime. En une demi-heure, la femme de son enfance, celle qui le protégeait, va lui apprendre la vie. Marc Petit recueille le dernier souffle de sa grandmère. « Dans ces moments-là, on ne parle plus mais on se dit beaucoup de choses. Elle m’a fait comprendre qu’il faut investir chacun de nos gestes, de nos élans, de nos mots comme s’il était le dernier. Je crois que ma sculpture cherche cet essentiel. » A partir de ce jour, l’artiste va s’astreindre à vivre avec l’intensité de celui qui a compris l’éphémère de l’existence. Une règle qui marque la relation qu’il a avec ses proches mais aussi avec la sculpture. L’urgence s’installe. Non pas celle qui presse mais celle qui pousse à faire, à chercher, avec acharnement, à se réaliser. Mais quelle est donc cette quête ? « Je cherche la vérité, une vérité sans enjoliveurs ! Les freins servent, le moteur aussi, mais eux non. J’aimerais mettre dans ma sculpture ces freins, ce moteur, juste ce qui est indispensable. Je voudrais montrer la beauté tout en sachant que c’est une prétention. » La beauté selon Marc Petit, on l’aura compris, n’a rien à voir avec l’esthétique lisse et jeune communément répandue dans notre société. L’artiste, lui, traque les aspérités, les rides, les plis et les creux, tout ce qui dit ce que cet homme, cette femme ont vécu ; l’usure d’un corps tout au long d’une existence dédiée à la vie. « Evidemment que certaines personnes sont heurtées par ce que je montre et qu’elles ne veulent pas voir. Dans la mesure où je suis figuratif et travaille sur le corps, tout le monde se projette. Certains souhaitent ne pas devenir comme ça et moi j’essaie de leur dire que si ils y arrivent, ils seront beaux ! » D’exposition en foire, il faut y croire et prendre des risques L’année suivante Marc est lauréat de la Fondation de France. Les 25 000 francs du prix lui font l’effet d’avoir gagné au loto. Fort de cette manne, il en emprunte 25 000 autres pour fondre une dizaine de sculptures en bronze que la galerie MH Bou présente. « C’était vraiment la première fois que je montrais mon travail avec bonheur. Cette expo a très bien marché puisque, avec les retirages, 17 pièces ont trouvé acquéreur ! » L’épisode marque le début de la reconnaissance. Les premiers collectionneurs font leur apparition. « Ils sont fidèles. Peu nombreux sont ceux qui n’ont qu’une pièce. Je préviens toujours du danger… Soit on déteste mon travail et on ne veut pas le voir, soit on l’aime et on l’aime vraiment ! » Pour le prouver, l’artiste évoque alors cette femme d’une quarantaine d’années qui en voyant Le Pliant s’est détournée et a longé le stand de manière à soustraire la sculpture à son regard, mais aussi cette autre qui en voyant la même pièce est venue jusqu’à lui et l’a serré dans ses bras sans mot dire. Elle devait avoir un peu plus de 70 ans. De là à penser que l’on n’aime que ce qui nous ressemble… Les années passent, nous sommes en 1996. Marc Petit a 35 ans et continue de se battre. D’exposition en foire, il veut y croire. Il prend des risques, fait réaliser des pièces, >>>

Légendes 1 :: Marc Petit dans son atelier. 1

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2 :: Le maître fondeur Guillaume Couffignal, installé à Aixe-sur-Vienne, assure la réalisation de nombreux bronzes de l’artiste. 3 :: La Quarantaine (détail), 2001. Bronze, 90 x 110 cm.


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>>> avec la complicité de son fondeur, sans savoir si elles trouveront preneur. De Gand, il doit aller à Paris. Quand il arrive à Mac2000, le moral est bas. Le salon belge n’a rapporté que de quoi couvrir les frais. C’est alors que le miracle se produit : il vend 29 sculptures en dix jours. « Ça a été vraiment le début. L’année suivante, j’en ai vendu 32 et 40 un an plus tard. » Dans la foulée, l’artiste rencontre la galerie Arnoux à Paris et celle du Ratmort à Ostende. Le succès d’estime rejoint alors la réussite matérielle. Marc Petit peut souffler mais pas se reposer. « C’est plus agréable de travailler dans un certain confort. L’artiste maudit, ce n’est pas mon truc ! D’autant que la sculpture ça coûte cher à fabriquer. Si aujourd’hui, je veux faire une pièce de 2 mètres de haut, je sais que je peux la fondre. C’est super ! Avant j’avais des sculptures qui me semblaient intéressantes, mais je n’avais pas les moyens de toutes les fondre. Si vous montrez dix pièces, vous avez une chance de vendre les dix. Si vous n’en montrez que deux, dans le meilleur des cas, seuls deux partiront… Ce n’est pas grave, mais c’est important. » Le détachement du grand âge… Au quotidien, Marc Petit mène une vie d’ « employé de bureau », comme il aime à le préciser. Il accompagne un de ses fils à l’école pour 9 h. A 9 h 15, il est à l’atelier. A 13 h, il rentre boire un café, ne déjeune pas, et retourne à son ciseau jusqu’en fin d’après-midi. « C’est ma journée de base, obligatoire. Evidemment, souvent ça déborde ! » Quand le sculpteur doit s’absenter quelques jours, il ne laisse jamais l’atelier seul… « J’attaque une sculpture pour ne pas avoir à redémarrer dans le vide. J’ai une trouille bleue de ne plus y arriver. Je suis un laborieux. J’essaye de garder ma naïveté, ce qui implique de la curiosité, de l’inconnu, de la peur aussi. » Il est temps alors d’évoquer les sources d’inspiration. « Je ne suis pas un artiste inspiré ! Je crois qu’une sculpture a gagné sa vie quand elle me permet d’en faire une autre, d’aller plus loin et je m’acharne à ça. Quand je la regarde, je me demande comment la tête peut prendre plus d’ampleur, le bras s’allonger, le vide être mieux ressenti. Je travaille sur l’humain car j’ai besoin du sentiment. Certaines choses viennent de mon enfance, comme cet amour pour les personnes âgées. Le détachement qui arrive avec le grand âge donne une certitude, une puissance, une force. Le besoin de plaire disparaît, il n’y a plus le temps de jouer. » S’il lui arrive encore, comme lorsqu’il était enfant, d’être traversé de visions grandioses, d’édifices aériens jetés entre deux rives, en signe d’union, Marc Petit n’a nulle obsession de la grandeur, de la taille de l’œuvre à accomplir. Il passe des petites aux grandes pièces sans plus de distinction. Seul sculpter compte. Certaines pièces comme Le Lit ou La Famille sont réalisées dans un état proche de la transe. Instants de grâce, et de la grâce à la foi… « Certains pensent que je l’ai sans le savoir mais je ne suis pas croyant. Cette croix qui revient dans mon travail n’est pas celle du Christ, c’est le B.A. BA de la sculpture : une forme horizontale


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qui s’oppose à une verticale. Il n’y a pas plus simple mais toute l’histoire de l’art essaye de résoudre cette opposition. Comment faire pour que chacune d’elles ait sa grandeur, qu’elles se servent sans se bouffer, qu’elles aient quelque chose à se dire, à partager. Comment unifier ces deux lignes opposées, voilà ce qui me préoccupe. » Marc Petit sculpte comme il courait plus jeune : en quête d’un second souffle. « Pour avoir le droit d’y arriver, il faut accepter d’en baver. Il faut affronter la sculpture et de temps en temps en profiter. » « Dessine, dessine, dessine ! » Dans ce corps à corps très physique s’immisce un beau jour le dessin. Jusqu’alors, l’artiste ne s’y soumettait que contraint et forcé par un Lorquin intransigeant : « Dessine, dessine, dessine ! » lui répétait le maître, mais jamais aucun croquis ne précédait l’ombre d’une sculpture. Pendant des années, l’artiste se contente d’être un bon élève. Jusqu’à ce jour de 2001 où, bercé par un texte de Jan Dau Melhau, il se laisse aller à esquisser une série de sculptures… La sensation est là, elle ne le lâchera plus. A 40 ans, vingt ans après sa première expo, Marc Petit présente ses dessins. La matière le fait basculer. « La sculpture est un marathon pour lequel il est nécessaire de ne pas se précipiter si l’on veut aller loin, avec le dessin c’est différent, il faut faire très vite. » Le danger est réel, pour Vortex, un texte de Joseph Danan qu’il doit illustrer, l’artiste dessine 18 heures par jour et perd six kilos. « L’éditeur m’avait demandé 30 dessins, j’en ai fait 456 en 14 jours. Les premiers sont arrivés assez vite mais je sentais qu’il y avait encore à puiser. Et à un moment, je me suis dit ‘‘ Je vais en faire 456 ’’. A la fin, je ne les regardais même plus, je les comptais 322, 323, 324… » Il donnera les 30 et conservera le reste. La peur est de nouveau sa compagne et il la couve. « Le dessin demande une attention permanente. Un trait de trop, et c’est fini ! En sculpture, vous ne pouvez pas foutre en l’air un très beau morceau en trois minutes. » Pour aiguiser sa vigilance, l’artiste se met dans des situations impossibles. Il s’installe sciemment sur une table trop basse pour renforcer le caractère d’urgence. Cathy lui a interdit de travailler le week-end. « Je suis un peu excessif, c’est bien qu’elle soit là », reconnaît dans un large sourire celui qui assure que dessin et sculpture se nourrissent l’un l’autre. Le 18 octobre 2008 est inauguré à Ajaccio le musée MarcPetit, insigne honneur dont très peu d’artistes vivants sont gratifiés, et rêve réalisé de François Ollandini, collectionneur de l’œuvre avant de devenir ami de l’homme (lire page 82). Alors qu’il s’était porté acquéreur de plusieurs pièces importantes, il explique à l’artiste son souhait de créer la « Fondation Ollandini-musée Marc-Petit » et ajoute : « Si tu refuses, je ne me vexerai pas. » Le cadeau est immense, à la hauteur de leur rencontre. Tout chez Marc Petit renvoie à l’humain, son histoire, ses sentiments et au partage. « On raconte qu’il y a une fin à tout cela. J’ai réfléchi à notre condition. L’immortalité serait insupportable et la mort ne l’est guère plus. Notre situation est donc absurde. Cela apprend la légèreté, une légèreté qui aurait du poids ! »

Légendes 1 et 2 :: A partir de 2001, le dessin est devenu un mode d’expression à part entière chez l’artiste.

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Photo MLD et Sylvain Crouzillat

3 :: Terra Maire, plâtre. Photo MLD


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Tout pour une Petite Fougue

« Hiver 1993. Paris, près du marché de Buci. Une galerie. Sur la table, cinq petites sculptures. Et immédiatement, l’émotion. L’une après l’autre je les prends. L’une après l’autre, je les regarde. Ou plutôt, elles me regardent. Elles me voient tel que, moi, je les vois. Je leur ressemble, elles me ressemblent. C’est de moi qu’elles me parlent. » * Ce jour-là, François Ollandini repart avec La petite Fougue. Il ne connaît pas l’artiste, ignore jusqu’à son nom. Ce Corse, pionnier du développement touristique dans son pays, vient d’être touché comme jamais par l’œuvre de celui qui, à Bosmie-L’Aiguille arpente chaque jour son atelier sans autre certitude que celle d’être un sculpteur. « C’est à travers l’art du tourisme que je suis devenu collectionneur. En 1990, à l’occasion du centenaire de l’entreprise Ollandini, je me rends compte qu’elle n’a pas de mémoire en dehors de celle de mon père. Je reconstitue alors son histoire et décide de réunir tous les documents qui lui sont relatifs. Je collecte systématiquement toutes les affiches touristiques de la Corse. » Ensuite ce sera le tour des peintures corses… L’étudiant en philosophie et sociologie, happé par l’activité familiale, entame un nouveau parcours. « En 1993, quand je rencontre La petite Fougue, je sais que cette sculpture est un résumé de l’existence, un accouplement de vie et de mort. Vivant malgré la mort et vivant jusqu’à la mort. » Ce n’est que dix ans plus tard que François Ollandini rencontrera par hasard Marc Petit dans un salon. A l’époque, il habite déjà dans l’ancien Lazaret d’Ajaccio qu’il a entièrement réaménagé avec son épouse Marie-Jeanne. Dans l’allée qui ceint le bâtiment, il a décidé de faire une promenade de quarante sculptures. « C’est pour ça que je me rends à Mac2000. Je cherche des sculpteurs et je fais la connaissance de Marc Petit. L’homme est aussi grand que son œuvre. » La suite est une histoire d’amitié qui se noue autour de La Douce du Lazaret, des Silences, de La Quarantaine, de L’Exode et de tant d’autres qui feront naître l’idée du musée. Chaque année ce sont plus de 10 000 personnes qui fréquentent les lieux. Le Lazaret accueille aussi diverses manifestations culturelles : musique, danse, littérature, théâtre, conférences. Autant d’occasions de faire découvrir une œuvre unique. * Extrait du coffret Musée Marc-Petit Contact :: www.lazaretollandini.com

Légendes 1

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1 :: Le Lazaret d’Ajaccio abrite la Fondation Ollandinimusée Marc-Petit depuis octobre 2008. Photo MLD 2 :: L’Exode, 2000. Bronze, 270 x 130 cm. Photo MLD

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3 :: La Fuite, 2002. Bronze, 65 x 73 cm. Photo MLD 4 :: François Ollandini et Marc Petit chez l’artiste, protégés par L’Ange. 5 :: La Douce du Lazaret, 2005. Bronze, 160 x 140 cm. Photo MLD 6 :: Le Sarment d’éternité, 2008. Bronze, 200 x 50 cm. Photo MLD


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:: La Douce du Lazaret « J’ai une tendresse particulière pour cette Douce. Je trouve que sa grandeur ne se découvre vraiment qu’à mesure que nous l’approchons. De loin, on la dirait de taille humaine ; mais une fois assis auprès d’elle, nous sommes petits. Elle modifie la perception physique que nous avons de nous-même et nous invite à l’humilité. Elle nous rassure par son intense présence. » Les textes accompagnant les œuvres sont tirées du coffret Musée Marc-Petit.

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:: L’ATELIER ArtsOne volume 1

Par Anne-Sophie Pellerin :: Photos Lionel Hannoun

LE « POINT ROUGE » DE JEAN-MARC BRUNET

Ils se cachent au fond d’une cour ou d’un jardin, au bout d’une impasse, derrière une haute porte dont les lourds vantaux cédaient autrefois le passage à des calèches chahutées sur le pavement grossier de cours ombreuses. Ces ateliers ont défié le temps mais témoignent toujours, du fond de leur retraite, d’un art vivant. Celui du peintre abstrait Jean-Marc Brunet a trouvé son ancrage dans la campagne picarde, terre de ses origines.


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ertains noms de village n’évoqueront jamais que des points sur la carte de France. Chassemy aurait pu figurer dans la longue liste de ces localités anonymes que l’on traverse sans jamais s’y arrêter. Pourtant, dans ce nom qui chante, vibre un on ne sait quoi qui attire, vous titille aimablement. « Chassemy, Chassemoi, sont dans un bateau », a-t-on envie de chantonner, mais la comptine fait vite long feu ! Chassemy est le descendant de Cucusma, le village où chantent les coucous, nous dit la tradition ! A cette poétique des origines, Jean-Marc Brunet n’a su résister et il a construit son nid dans une jolie maison à deux pas de la boulangerie. Ici, la simplicité et la générosité sont de mise. L’homme nous accueille d’une solide poignée de main et d’un sourire solaire. Passé le portail, une porte donne sur un escalier abrupt qui mène au saint des saints : l’atelier. Sous le toit en soupente, l’espace joue des ombres et des lumières, de la matière et de la couleur pour capter l’immatériel, l’émotion et le sensible. Le talent du coloriste révèle des bleus célestes, des gris nébuleux, des ocres issues de terres africaines

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et des rouges « barbares », évocateurs de voyages au Maghreb et en Afrique centrale, ou en hommage à ses amis poètes, Jean-Marc Natel ou Jean Orizet. Jeux de résonances Depuis trois ans, le peintre aborde une nouvelle séquence dans sa peinture, qu’il qualifie de néo-impressionisme abstrait, plus lyrique et jubilatoire que les précédentes. A ce travail vertical sur chevalet, JeanMarc Brunet trouve une résonance particulière dans l’horizontalité des gestes qu’il réalise chaque jour dans son autre atelier, celui de gravure, situé dans un bâtiment attenant et relié au premier par une passerelle. Des allers-retours entre deux univers qui permettent à cet artiste au souffle puissant de jouer les funambules et d’ignorer superbement les frontières, géographiques ou culturelles, en quête de ce point mystérieux qui peut enflammer une toile. >>>


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:: L’ATELIER ArtsOne volume 1

:: L’ATELIER PEINTURE LA TABLE DE TRAVAIL

« Sur ce meuble à roulettes avec un plateau en marbre à l’ancienne, tout doit être propre et rangé car je n’ai pas la patience de chercher quelque chose plus de dix minutes. En plus de la peinture à l’huile, de l’essence et du white-spirit, on y trouve un pot pour les couleurs sombres, un autre pour les claires. Je me sers de petits et de gros pinceaux. Je commence par travailler avec des “ huiles légères ” – gras sur maigre – pour marquer les choses, et je monte avec des peintures plus subtiles, broyées huit fois, très riches. J’ai abandonné les pigments naturels il y a très longtemps car je trouvais la texture trop volatile. Ma gamme chromatique n’est pas très large, j’utilise les couleurs primaires, des valeurs noires et blanches, et quelques intermédiaires : des orange, ocres rouges ou jaunes, que je travaille un peu sur la table et surtout en multiples couches sur la toile, pour atteindre des résonances

très particulières. Puis, je reprends, touche, essuie au chiffon, fais des vaet-vient incessants, guidé par le chemin de mon œil. Corot pouvait faire vibrer une toile avec un seul point rouge. Je cherche le mien. Quand je m’arrête, je file dans l’autre atelier. »

LES PETITS OBJETS « Ma boîte à outils, c’est mon côté bricoleur. Le limonadier, lui, ouvre les pots récalcitrants. Les crayons, je les utilise pour remplir de dessins plein de carnets, qui n’ont rien à voir avec des carnets de voyage comme ceux de Delacroix ! Pour témoigner de mes séjours en Afrique ou au Maghreb, je préfère les feuilles volantes. »


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LA LUMINOSITÉ DE L’ATELIER

« Une superbe lumière du Nord s’immisce par un Velux. C’est une de mes préférées avec celles des demi-saisons, qui, elles, révèlent avec douceur les modifications successives de la nature. Cette lumière qui change en fonction des saisons et du temps, j’essaye de la capter après les jus successifs qui montent sur ma toile. Averses et ses bleus illustrent bien ce jeu. »

LES TOILES « J’achète les châssis et les rouleaux de toile que je monte et prépare moi-même pour les imprégner d’une mémoire. Ce côté physique dans la préparation, avec la colle de peau et le blanc de Meudon, est très important : j’ai besoin de nourrir la toile pour qu’elle m’appartienne. Le grand format s’est imposé comme un rapport évident au corps. Je travaille ensuite sur plusieurs pièces en même temps, en

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suivant le rythme de la peinture à l’huile qui sèche lentement. C’est alors le temps qu’il faut dompter. Et déjà, ce n’est plus le même travail ! »

LES MANIES DE L’ATELIER « Deux mots me viennent à l’esprit quand je rentre dans mon atelier vers 5 h 30 du matin : peinture et café. Je m’assieds, prends possession des lieux. Comme il fait encore nuit, je ne peins pas, je lis, je ressors des toiles et cela pendant au moins trois heures. Je suis calé sur ce rythme depuis très longtemps. »


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:: L’ATELIER GRAVURE LA TECHNIQUE

« La taille-douce permet une grande précision dans le dessin, dans la maîtrise du trait. Sur des plaques de cuivre et de zinc principalement, j’alterne les lignes fines avec des “ morsures ” creusées grâce aux techniques, notamment de l’eau-forte, burin ou pointe sèche, pour retranscrire une vibration. Comme en peinture, je cherche la “ virgule ” qui remet tout en question, en évitant à tout prix l’anecdote. Dans cet art, je guette le poétique et refuse toute agressivité. »

LA PRESSE « J’ai acheté cette presse taille-douce, entièrement démontable, il y a quelques années et l’ai placée au centre de la pièce pour que la lumière vienne l’envelopper tout entière. Grâce à une immense verrière, je capte l’essentiel de la lumière du jour. »

LE PAPIER « J’utilise toutes sortes de grammage de papier. Comme en peinture, j’aime les grands formats qui me permettent de gagner en liberté. J’expérimente toutes les formes d’abstraction à travers le graphisme de la gravure, ce que j’ai totalement abandonné en peinture depuis trois ans. » LE MOT DE LA FIN

« J’aime cette phrase d’André Malraux qui dit que ‘‘ L’art est un anti-destin ’’. J’y vois la magie de mon travail au quotidien, mon émerveillement sans cesse renouvelé. »


L’ATELIER :: ArtsOne volume 1

LA MONOGRAPHIE Les éditions Fragments International ont sorti l’automne dernier une monographie de l’artiste simplement intitulée Jean-Marc Brunet. La préface, le texte et la postface sont signés respectivement Pierre Drachline, Charlotte Waligora et Michel Butor. 128 p., bilingue français-anglais. Prix : 35 €. www.fragmentsinternational.com

Contact www.jean-marc-brunet.com Du 1er au 27 juin, « Brunet-Orizet » à la galerie Evelyne Héno 27, rue Casimir-Périer 75007 Paris www.evelyneheno.com Le peintre et le poète seront présents lors du vernissage le 7 juin.

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JACQUES MONORY 84

:: PEINTURE ArtsOne volume 1


PEINTURE :: ArtsOne volume 1

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Par Pauline Mérange :: Portraits Lionel Hannoun, photos ADAGP

Les bleus à l’âme

de Jacques Monory

Utilisation de la monochromie, touches froides, atmosphère lourde de menaces… Inspirée du cinéma, l’œuvre de ce pilier de la Figuration narrative traduit son inquiétude devant la violence de la société moderne et l’inéluctabilité de la mort. Coup de projecteur sur l’artiste au chapeau.

E

n ce jour de pluie, dans une rue pavillonnaire de Cachan, la brusque luminosité de l’atelier de Jacques Monory fait ciller les yeux. Une vaste pièce blanche du sol au plafond, où les miroirs multiplient les reflets de la verrière. Les toiles sont retournées contre le mur. Une seule reste en évidence, le travail en cours, trois mètres sur deux, au centre de la salle. Sa masse sombre tranche avec l’aveuglante clarté ambiante. Des maisons en enfilade plongées dans une pénombre lunaire. Dans une fenêtre, en bas à droite du tableau, une blonde longiligne et, mari ou amant, un homme en costume ; le couple semble entre la dispute et l’étreinte. Tons crépusculaires de l’architecture, bleu glaçant pour le tandem. L’intimité de la scène contraste avec la rue déserte. Le lien entre ces deux énigmes reste à inventer… « Toute ma peinture est un arrêt sur image. J’ai un scénario dans la tête, je coupe un morceau de pellicule, et puis un autre, encore un autre, et je peins. Je suis convaincu que je n’aurais pas fait la même chose sans l’empreinte du cinéma. » Pantalon et pull à col roulé beige, lunettes fumées, Jacques Monory, qui cultive avec élégance

son image de dandy, a la réputation d’entretenir le secret autour de lui. On l’imaginait grave et sombre. Il est réservé, certes, mais souriant, chaleureux, concentré. Ses toiles se lisent comme des plans successifs, des séquences isolées à partir desquels chacun doit composer son propre film. Pour remonter le fil de ses souvenirs, on choisira un glossaire sous forme d’hommage au septième art.

Flash-back Jacques Monory est né le 25 juin 1924 à Paris. Son père, Luis, a quitté l’Argentine en 1914 pour se battre aux côtés des Français. De la guerre d’Espagne aux maquis du Vercors, il consacrera une grande partie de sa vie au combat. « C’était un extravagant toujours par monts et par vaux à la recherche de l’aventure. Quand il était à Paris, il travaillait comme chauffeur de maître pour de riches sud-américaines en goguette, mais il s’ennuyait ferme. Alors il racontait ses histoires fabuleuses de révolutions du bout du monde. Mais il me faisait peur aussi parce qu’il distribuait les baffes. » Sa mère, Angèle, couturière, est originaire de la Nièvre. >>>


>>> « Elle, au contraire, incarnait la douceur. Chez nous, c’était un défilé de très jolies dames, les mannequins des maisons de couture, qui empruntaient des modèles que ma mère copiait. Je les regardais en douce se déshabiller, elles sentaient si bon. » L’enfant unique grandit à Montmartre, plus souvent dans la rue que sur les bancs de l’école. Son immeuble jouxte les studios Pathé. « Le lieu était devenu notre terrain de jeux préféré. On avait construit là notre cabane, on regardait les tournages simultanés, on se baladait à la fermeture. Tout revêtait un parfum de mystère. Et puis, dès l’âge de sept ans, ma mère m’emmenait au cinéma une fois par semaine. Elle était drôle, elle disait : ‘‘ J’ai pleuré, c’était beau ! ’’ Si elle n’avait pas versé de larmes, le film ne valait pas le coup. » Il se tient à une place régulière d’« avant-dernier ou dernier » de la classe. « On a diagnostiqué sur le tard une dyslexie qui m’a rassuré. Je n’étais donc pas idiot, j’avais une excuse. Mais ma grande chance a été de rencontrer un instituteur, Gilbert Grelier, qui m’a pris en sympathie et m’a sauvé la peau. Sinon, je serais sans doute devenu un petit délinquant, ou même, si j’avais

pris des forces, un vrai gangster. » L’enseignant emmène l’adolescent au Louvre. « Le premier tableau que j’ai vu, c’est l’Embarquement pour Cythère de Watteau. Je l’ai trouvé tellement beau que, sur le coup, j’ai renoncé à être assassin comme prévu pour devenir peintre. Les jours de congé, ce professeur me conviait chez lui. Il avait le don de mettre de la joie partout. Je me souviens qu’il avait décoré son piano de grosses fleurs vertes. Il peignait aussi le paysage de sa fenêtre. C’est lui qui m’a lancé ‘‘ Fais comme moi ! ’’ et m’a donné un pinceau. J’ai tout de suite été enivré par l’odeur de térébenthine. » Pour parfaire sa vocation, il prend des cours du soir de dessin. A quinze ans, il réussit le concours de l’Ecole des arts appliqués. « On touchait à tout : la sculpture, la céramique, la gravure, la laque… » Il opte pour une formation de peintre décorateur. « Cette école a été une véritable opportunité. Aujourd’hui encore, quand je rencontre une difficulté en peignant, je me souviens des techniques enseignées par Jacques Zwobada, mon maître de dessin. Je me suis démerdé dans la vie grâce à lui et à mon instituteur. »


PEINTURE :: ArtsOne volume 1

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Les dates 1971 :: Velvet Jungle, New York, exposition à l’ARC, musée d’Art moderne de la Ville de Paris. 1976 :: Il entre à la galerie Maeght avec ses Opéras glacés. 2005 :: Détour, exposition pour l’inauguration du Mac-Val, Vitry-sur-Seine. 2008 :: Figuration narrative, 1960-1972, exposition collective au Grand Palais, Paris. 2009 :: Tigre, exposition à la Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence.

Films et romans

:: Tigre n°5 « J’ai toujours aimé les tigres parce qu’ils sont emblématiques de la sensualité, de la féminité et de la mort. Ils sont mystérieux et contradictoires. Leur félinité d’assassin liée à leur beauté féroce me fascine. »

Scène d’ouverture Les débuts d’artiste de Jacques Monory n’ont pourtant pas été faciles. Pour gagner sa vie, il entre chez Servaire, une petite entreprise à Montreuil qui fabrique des poignées de portes. « Après la guerre, les gens avaient besoin de nouvelles armoires. Mais ce mobilier était dégueulasse, faux, tocard. Heureusement, je travaillais du lundi au mercredi, et j’avais tout le reste de la semaine pour peindre. » Doutes, hésitations, incertitudes. Le jeune artiste se cherche. La période consacre le règne de l’abstraction. « Vous étiez vraiment considéré comme un nul total si vous sortiez de la ligne. » Exposée dans les sous-sols d’un marchand de couleurs de la rue de Clichy, une série de harengs saurs lui vaut une rencontre salutaire : Robert Delpire. « Bob a beaucoup aimé mes poissons. » Début d’une longue amitié et collaboration. Il rejoint pendant dix ans l’éditeur de livres d’art. « J’ai été ainsi au contact des meilleurs photographes : Henri CartierBresson, Robert Frank, Werner Bischof, William Klein… Je peignais le matin, je travaillais l’après-midi, et le soir, nous allions courir les filles. Mais j’étais un peu frustré. Je faisais une peinture abstraite, épaisse, marron,

Jacques Monory est aussi passé derrière la caméra pour trois courtsmétrages (Ex en 1968, Brighton Belle en 1974 et La Voleuse en 1985) et une vidéo (Le moindre geste peut faire signe en 1988). Il a signé deux romans, Diamondback (1979), polar qui raconte le périple d’un homme traqué par des tueurs à travers les Etats-Unis, et Angèle (2005), roman noir qui a pour narrateur un assassin professionnel.

presque galeuse, une peinture de fantômes. » Des années plus tard, gardant sans doute en mémoire cette longue période de tâtonnements, le peintre prodiguera ce conseil aux artistes en herbe : « Que vous fassiez des croûtes ou des chefs-d’œuvre, il n’y a qu’un seul critère : être obligé de le faire. Si peindre n’est pas une nécessité, autant abandonner tout de suite. » En 1962, il détruit la quasi-totalité de ses œuvres et opte pour la peinture figurative, réalisée à partir de photographies et de reproductions, >>> qui va devenir sa marque de fabrique.

Légendes 1 2

3

1 :: Peinture sentimentale n° 10, 2009. Huile sur toile et fin ruban de papier-miroir, 100 x 300 cm. 2 :: Tremblement n° 1, 2000. Huile sur toile, 170 x 300 cm. 3 :: Tigre n° 5, 2008. Huile sur toile, 320 x 380 cm.


Techniques de montage

Gros plan

Monory collectionne ainsi les images, clichés de presse comme instantanés personnels. Son premier outil n’est pas le pinceau, mais l’objectif. Il garde même son Leica en main dans les salles obscures comme devant la télévision pour immortaliser une scène de film ou un bout de reportage qui nourriront son œuvre. « Aucun dessin ne peut rendre le mouvement tel que le capte la photo. Si j’invente, ce sera banal, la vie est beaucoup plus forte. » Il note dans un carnet la place des documents qui composeront le tableau. Associations, juxtapositions, superpositions. Dans la pénombre, il projette ensuite les documents sur la toile. Il inscrit les contours au feutre avant que la palette passe ces esquisses rapportées au filtre de sa subjectivité. Pour ses compositions, Monory dispose d’une gamme qui va du plan-séquence statique à la fresque agitée. Les murs blancs de l’immobilité opposent une voiture filant vers l’horizon sur une route américaine et un tigre vautré sur un piédestal. Abréviation du vide n° 10 confronte un carrefour urbain, avec toute la signalétique moderne, coupé en son centre par la course folle d’un cheval au galop. Opposition entre un monde aseptisé et la liberté de l’animal. Tremblement n° 2 opte pour une combinaison chaotique de fragments qui semblent issus d’une éruption : un chien dans son élan, des mains, une croix, un sablier, une giclée de pierres. L’artiste travaille toujours par séries, variations autour de la même idée, dont les titres résonnent comme autant de bandes-annonces de polars : Meurtres, New York, Opéras glacés, Death Valley, Catastrophes, Technicolor, Fuites, Toxique, Tanatorolls, Métacrimes, Alptraum, Enigmes, Les éléments du désastre, Nuit. « J’aimerais ne faire qu’un seul tableau mais il me faut du temps pour me rapprocher de l’image juste. » Il devient un pilier de la Figuration narrative, au côté des Rancillac, Erró, Télémaque, Klasen… Les expositions, en solo ou collectives, en France comme à l’étranger, se multiplient.

La série des Meurtres, en 1968, lui ouvre les portes de la reconnaissance. Pour Meurtre n° 1, le regard barré par un rectangle noir, comme dans les magazines à scandale, Jacques Monory se représente lui-même, blouson cintré, pantalon noir, visé par un revolver que tient une main baguée de femme à l’autre bout de la toile. L’image d’une rue calme de La Havane, où jouent des enfants, est déchirée par la trajectoire du projectile. Le personnage est touché au ventre. Dans les séquences suivantes, après un passage en revue des lieux du crime, salles de bains dallées et couloirs d’hôpital, sa silhouette va s’effondrer, avant de se relever et de s’enfuir, laissant derrière elle un vrai miroir criblé de balles. « Cette série est sûrement la plus intéressante psychanalytiquement. Ma femme venait de me quitter et j’étais malade de cette rupture. Avec ce travail, j’ai repris la santé, je me suis guéri. Et puis j’ai rejoint ici le grand écran, l’acteur meurt à la fin du film, mais il ressuscite dans le film suivant. La magie du cinéma, c’est l’immortalité. » Le peintre, qui tire dans sa propre image pour conjurer la tentation du suicide, écrit là une page fondamentale : il opte pour la fragmentation de l’image et affirme la part autobiographique de son œuvre.

Focus Jacques Monory se pose en effet comme le héros de ses propres toiles, un personnage récurrent engagé comme figurant ou propulsé au premier plan. Dandy, joueur de billard, cow-boy, gangster ou tueur en série, il apparaît en jean et lunettes noires, en imper et chapeau mou, ou même en personnage casqué sur son deltaplane avec sa chienne sur le dos. Dans Abréviation du vide n° 8, il revisite le mythe du duel au soleil en se mettant deux fois en scène : l’élégant costumé du premier plan pointe son arme sur son double, plus âgé, nu comme un ver. En 2001, il présente La Vie imaginaire de Jonq’Erouas Cym, anagramme de Jacques Monory, en


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Le premier tableau que j’ai vu, c’est l’« Embarquement pour Cythère » de Watteau. Je l’ai trouvé tellement beau que, sur le coup, j’ai renoncé à être assassin comme prévu pour devenir peintre.

dix-sept tableaux. Le portrait d’un criminel en smoking et nœud papillon, recherché par la CIA, qui sera emprisonné avant de reprendre goût à la vie en dansant avec sa compagne devant l’Empire State Building dynamité. Les images du monde se mêlent à une autobiographie fantasmée, sublimée, pour former une sorte de journal intime. « Au fond, je raconte toujours la même histoire, mes émotions, mes souvenirs, mes sensations, liés au fait que j’aurais peut-être dû être un délinquant, que c’est vraiment chiant de mourir, et que, pour être honnête, j’ai peur. »

La réplique Des revolvers, une fille couchée sur des dollars, des bords de mer déserts, des blondes fatales, des scènes de crime, des avions de guerre, des grosses cylindrées… Metteur en scène de fragments, créateur d’atmosphère, Monory nous plonge dans une ambiance de film noir. Sa peinture, sans fil narratif linéaire, recherche le climat, entre rêve et illusion. Même quand la scène paraît calme, la mort rôde. Trompeuse apparence de Velvet jungle n° 13/1, où le peintre tient son fils par la main près d’un lac dans une nature luxuriante. Au milieu des jonquilles, tapi au premier plan, un tigre guette sa proie. Même la série des Baisers, catalogue d’étreintes passionnées, est lourde de menaces : une seringue, un calibre 38, une crosse de fusil. « J’aime bien cette réplique dans Quai des brumes de Marcel Carné. Un artiste observe la mer puis parle de sa peinture et il dit si ma mémoire est bonne : “ Quand je regarde des baigneurs, je vois des noyés. ” »

Suspens On retrouve ce memento mori (souviens-toi que tu vas mourir) qui court, en filigrane, dans toute l’œuvre de Monory. Comme une longue bande d’actualités, le vacarme de l’époque, les soubresauts de l’Histoire, se mêlent aux tourments intimes : les combattants du Vietnam, les camps, Hiroshima, un crash aérien, des émeutes, un homme sur une chaise électrique, des tortures, une accumulation de squelettes et de crânes… Pourquoi ce goût pour la violence ? « Je trouve le monde très sauvage. Je le montre comme il est, comme il a toujours été, sans préjugés. » Couleur n° 11 plonge un homme en chemise blanche, cigarette aux lèvres et mains dans les poches, dans l’antichambre de la mort, une pièce entièrement carrelée qui tient de la salle d’interrogatoire. Face à lui, une bureaucrate derrière son écran semble programmer le dernier voyage. Mangé par le cadre, le mot « Death » en lettres capitales. Des images en suspension figurent les allégories de la mort : un génie mi-mandarin mi-aztèque qui rit aux éclats, une femme en robe bustier qui découpe aux ciseaux ses gants de soirée, un chien qui veille sur un homme recroquevillé, une tête de mort barrée aux dents grimaçantes, une sépulture indienne. « Ce tableau est inspiré d’une photo d’Agustín Casasola prise durant l’une des révolutions mexicaines des années 1920. Le type est un petit voleur de rien, avec son sourire, dans cette position nonchalante face au peloton d’exécution. Il est pour moi un exemple sublime. »

Etalonnage Le peintre a imposé sa patte par l’utilisation récurrente d’une couleur : le « bleu Monory », comme on dit le « bleu Klein ». Ses compositions sont plongées pour la plupart dans un bain monochrome froid, glacé, presque électrique, qui installe une mise à distance, parant la matérialité de la scène représentée de l’irréel des songes. « Cette couleur correspond tout à fait à ce que je veux dire. La vie est une illusion et tremper mes représentations dans le bleu indique que ce sont des mensonges. J’aime beaucoup la phrase d’Edgar Poe que j’ai donnée pour titre à l’un de mes premiers tableaux : ‘‘ For all that we see or seem is a dream within a dream ’’ (Car tout ce que nous voyons ou sentons est un rêve à l’intérieur d’un rêve). » Le choix est aussi lié à un souvenir d’enfance, une fois encore une émotion cinématographique. Le projectionniste d’un film en noir et blanc avait placé une cellophane bleue pour souligner la nuit. « Je revois encore l’image de cette rencontre sous les étoiles : >>>

Légendes 1 :: Spéciale n°54, 2008. Huile sur toile, 200 x 300 cm.

1

2 :: Jacques Monory dans son atelier. 2


:: Voiture de rêve n°5 « C’est une jolie anecdote. Tout le bas du tableau avait été effacé par ma chienne Ida. Je l’avais laissée seule dans l’atelier une nuit après avoir peint toute la journée sans m’intéresser à elle. Elle s’est vengée par jalousie. Elle est restée bleue toute une semaine. J’ai rajouté le papier métallique bleu sur la partie de la toile abîmée. Et je ne lui en ai pas tenu rigueur. »

>>> un officier et sa princesse vêtus de blanc dans un décor de forêt. Ce plan n’est jamais ressorti de mon esprit. » Raison technique, encore. « Le bleu est idéal. On peut le travailler en dégradé en partant quasiment de la valeur du noir pour arriver jusqu’au bleu clair ou au blanc. Si vous tentez l’opération avec du rouge, c’est à vomir. » Monory fera plusieurs incursions dans la couleur, partant des teintes criardes des Technicolor, caricatures du monde doré d’Hollywood, pour arriver aux déflagrations bariolées des Ciels, nébuleuses et galaxies, représentations oniriques de constellations. En sous-titre du N° 39, il inscrit pourtant : « J’espérais l’extase, je n’ai eu qu’un supplément de détachement. » Dans Couleur n° 5, seuls les sièges,

le nom de la station de métro Port-Royal et l’imperméable de son double sont bleus, mais Monory écrit alors, nostalgique de sa teinte fétiche, « Dream of the blue » sur le grand fond jaune du panneau central.

Rushes Dans ses toiles, le peintre inclut des éléments de son story-board mental qui ne devraient pas passer la barrière de la projection. Images rayées d’une croix rageuse, pointillés, flèches, repères : autant de biffures, partie intégrante de l’œuvre, qui nient et soulignent en même temps. « Quand je n’aime pas, je raye. » Contestant la limite du cadre, il associe parfois


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Je trouve le monde très sauvage. Je le montre comme il est, comme il a toujours été, sans préjugés.

des objets à ses peintures : miroir des Meurtres, douilles, cordelette qui serpente au pied du spectateur, mitraillette, cibles géantes utilisées dans les stands de tir, masques d’escrime, morceau de pellicule… Enfin, il utilise les mots, qui s’ajoutent à la composition tel un sous-titrage. Un griffonnage, le terme « roman » comme une ponctuation, un préambule pour soutenir le scénario de la série La voleuse : « La petite fille et moi nous leur échappions toujours. Nous avions le même plaisir à voler dans les magasins chics. » Sur Noir n° 26, une mire touchée en plein cœur jouxtant l’explosion d’un bâtiment, on lit : « Mes pensées étaient horribles, mon avenir nul… » Dans Tremblement n°1, un hommage aux mouvements de caméra, cette phrase : « Quand on parle de l’année prochaine les diables se mettent à rire. »

Accessoires La liste des œuvres où figurent des armes est innombrable. Revolvers, carabines, mitrailleuses, lances, couteaux… Technicolor n°7 les résume toutes, présentant un parking de drugstore américain depuis la devanture d’une armurerie qui compte près d’une cinquantaine de fusils et de guns. En objet culte, on élira le revolver, pièce centrale de nombreux tableaux. « J’avais un oncle par alliance, un crétin militariste, qui m’avait fait cadeau à 8 ou 9 ans d’un revolver dont le barillet était cassé, heureusement. J’ai fait l’admiration de tous mes camarades à l’école communale. A côté de leurs pistolets à eau ou à bouchon, c’était moi le champion ! Peut-être que c’est parti de là. Mais je dois être obsédé. Quand je suis fatigué et que je peins pour me délasser, j’ai tendance à représenter un revolver, ça m’apaise. »

Générique Le tribut du peintre se traduirait ici par une liste de remerciements en résumé de quelques-unes de ses influences, le passage en revue de son panthéon personnel. Le roman est forcément noir, américain de préférence, Raymond Chandler ou Dashiell Hammett. Et quand Monory prend la plume, dans Angèle, il choisit pour narrateur un tueur à gages. Au rayon cinéma, on rappellera que son œil s’est éduqué devant les films noirs américains des années 40 et 50. Ses opus d’élection sont Citizen Kane d’Orson Welles, Le Faucon maltais de John Huston, Scarface d’Howard Hawks, La Jetée de Chris Marker, L’Enfer est à lui de Raoul Walsh, sans oublier Le Démon des armes de Josef Lewis. En clin d’œil à cette série B où deux amants, bien avant Bonnie and Clyde, fuient, traqués par la police, le peintre apposera sous plexiglas l’affiche du film dans Couleur n° 1, fameuse vanité en forme d’autoportrait dans un café désert avec tigre et tête de mort. En peinture, enfin, il cite Les Ménines de Vélasquez ou Olympia de Manet. Il consacre cinq toiles pour saluer le romantique allemand Caspar David Friedrich, « beaucoup mieux que le tape-à-l’œil Delacroix ». Dans Spéciale n° 54 enfin, il rend hommage à Edward Hopper, son artiste fétiche, en couchant sur la toile une étrange bâtisse, située à deux pas de chez lui, sœur jumelle de la fameuse Maison au bord de la voix ferrée de l’Américain. La signalisation permet un trait d’humour : la rue Jonq’Erouas Cym touche le panneau indiquant un imaginaire centre Edward Hopper.

Clap de fin Dans Angèle, publié en 2005, Monory fait dire à son héros : « Mes rêves sont d’imperceptibles décalages de ma vie vécue ; ou plus justement peut-être, ma vie vécue est la décalcomanie de ma vie rêvée. » La phrase vient comme en écho d’un tableau de 1969. Deux toiles sont juxtaposées : la première montre un rayon de soleil au milieu des nuages, la seconde, en miniature, le peintre grimé en cow-boy, le regard perdu dans les cieux. Le titre de l’œuvre, J’ai vécu une autre vie, sonne comme le viatique d’un homme qui compte sur son art pour défier la Grande Faucheuse. Sûrement la dernière chose qu’on penserait à lui contester.

A lire :: Monory, de Pascale Le Thorel, éditions Paris Musées, 288 p., 49 ¤. :: Jacques Monory, de Jean-Christophe Bailly, éditions Ides et Calendes, 90 p., 21,40 ¤. :: Angèle, de Jacques Monory, éditions Galilée, 64 p., 13 ¤.

Légendes 2 1

Contact www.jacquesmonory.com

1 :: Voiture de rêve n° 5, 2007. Huile sur toile et papier bleu métalisé froissé, 100 x 100 cm. 2 :: Monophonie n° 9, 2005. Huile sur toile et objets, 173 x 260 cm.


NOIRES PULSIONS

Noémie Rocher


PEINTURE :: ArtsOnevolume 1

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Par Romuald de Richemont :: Portrait Lionel Hannoun, photos Vincent Baillais

Le noir est sa couleur, son état normal, le commencement et la fin. Il cèle aussi la part secrète, le jardin que l’on ne révèle, où tout se joue, se noue et se dénoue ; mais pour en savoir plus, il faut traverser la toile aux tons d’ébène, tel un miroir sans tain. Le noir recèle ici des profondeurs où le passant qui s’y reflète pourrait bien se perdre.

S

ur le pas de la porte, elle a la grâce d’un chat noir. Cinq minutes avant, elle nous appelait pour nous orienter à la sortie du métro Marcel-Sembat, « après la maison Bijoux, c’est tout droit ». En suivant les entrechats de l’artiste peintre dans les escaliers qui mènent au troisième et dernier étage, celui de son appartement, on est surpris par une marche qui porte l’empreinte rouge sanguine d’un pied nu. Etonnante Noémie Rocher, plutôt connue pour resplendir du spectre achromatique : « Mon état normal est le noir. C’est vraiment ma couleur », précise-t-elle d’emblée en entrant au salon. On se promet alors de lui rappeler avant de partir que « Kem », dans l’Egypte de Pharaon, signifiait « noir » mais aussi « achèvement ». A tout juste trente ans, Noémie Rocher vient de poser ses bagages dans l’ancienne maison familiale. Mais elle peut « partir du jour au lendemain ». Parisienne jusqu’à l’âge de dix ans, elle vit à Aix-en-Provence une enfance persillée d’intermèdes heureux au pays de la Gacilly et dans la forêt bretonne de Brocéliande où le clan Rocher passe ses vacances, et, à dix-huit ans, rejoint Londres « la ville rouge, animale », celle du London Calling du groupe rock The Clash et du collectif des Young British Artists dont elle gagne l’amitié. Avec Mat Collishaw, artiste britannique touche-à-tout, elle fait du brainstorming sur les titres de ses toiles : Symetric prostitutes (prostituées symétriques), Sudden Swallow (soudaine hirondelle) ou Anarchy Tunnel (tunnel de l’anarchie). Damien Hirst comme un mentor Dans l’atelier du polémique Damien Hirst, elle devient petite main sur des tableaux « hyper-figuratifs ». Partie pour une semaine, elle y reste un an : « Je considère Hirst comme un mentor. Néanmoins, je ne m’inspire pas de son travail. Il est dans le conceptuel, je suis dans le ressenti. » >>>

Légende 1 :: Noémie Rocher dans son atelier, à Boulogne-Billancourt. 1



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>>> Et que pense le maître de son élève ? « Que je devrais m’orienter vers le portrait, peindre des visages. » Passée par les Arts Plastiques, les Beaux-Arts ou encore la Guildhall de Londres, Noémie Rocher est allergique à tout cursus qui tenterait de lui dicter sa loi. La liberté de créer prend la forme d’un parcours atypique pour cette timide qui se pense compulsive mais se soigne d’un sourire franc. « La peinture est ma manière de m’exprimer », confie-t-elle décontractée, entre un thé à la pomme et une golden croquante. En 2001, la petite-fille d’Yves Rocher monte Galerie Noémie. Une marque de cosmétiques qui joue la part de l’art : parfum white spirit et l’actrice fétiche d’Almodovar, Rossy de Palma, en égérie iconoclaste. Assise en tailleur sur un pouf, Noémie Rocher fume une cigarette sortie d’une énorme pipe kitsch dans l’attente du feu roulant des questions. Sur le mur, d’un noir bouillant sur fond de toile blanche, un pont express la relie à « une époque de transition » que, pudique, elle évoque sans plus de précision. Dans son dos, de même envergure, un rythme cardiaque sort des brumes opaques d’un cadre qui fait symboliquement écho à l’infarctus d’un proche : « Le battement du cœur s’arrête, puis repart », précise-t-elle simplement. A peine présentée, encore sur le qui-vive, Noémie Rocher préfère les allégories qui puisent dans la rhétorique du non-dit : « Je ne souhaite pas être trop explicite sur mes peintures. Je privilégie la sensation. L’abstrait est une sorte de miroir, les gens projettent ce qu’ils ont envie d’y voir. » En contrepoint de ces noirs abstraits, elle garde à ses côtés un exemplaire des pilules de Damien Hirst, dont les couleurs primaires communiquent avec des sérigraphies chatoyantes de Peter Blake qui lui font face. Sans conteste, il y a du pop en Noémie Rocher. Même si c’est des autres que vient la couleur. Je peins debout à même le sol avec un pinceau de calligraphe chinois Pour rejoindre son repaire de création au sous-sol, on passe devant des gravures de maisons closes filant le long d’un mur en colimaçon. Extraites des années 1960, des pin-up de Playboy exhibent des peaux nues gravées de messages d’humour. « J’ai fait ça lors de mon dernier passage à Londres. Couleurs saturées et messages tatoués ; je ne sais pas encore comment les montrer. » Quatre étages plus bas, le fatras de l’atelier respire l’effervescence. Par terre, des toiles attendent les ultimes retouches avant leur départ pour une exposition à la Fondation Barclay, organisée par la galerie Damien Claudel. « Je peins debout à même le sol avec un pinceau de calligraphe chinois. Pour cette série, je me suis inspirée du thème de Narcisse. En regardant dans l’eau : soit on regarde au fond du lac, soit on se voit. » Avec un vernis industriel, elle a créé un effet de glace sans tain. Devant ces tons d’ébène, le spectateur distrait passe en se mirant dans la toile, sans l’apercevoir. En revanche, s’il capte les reflets de la lumière, de ces frémissements de crépuscule se lèvent alors aubes et aurores. Les gages >>>

Légendes 1 :: Lost Fiction, 97 x 130 cm. 2 1

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2 :: Illeterate Dawn, 86 x 116 cm. 3 :: Feeble Relief, 96 cm x 146 cm.



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>>> que l’artiste offre au noir témoignent de leur multiplicité. « Il n’est pas du tout noir, il est prune. Il faut mettre un spot », lâche-t-elle en maîtresse de l’équivoque qui connaît et expérimente, comme les photographes, toutes les profondeurs du noir. Depuis sa première exposition en 2002, alors accompagnée de son père Daniel Rocher – sculpteur et fondateur de Daniel Jouvance – et du sculpteur joaillier Pascal Morabito, Noémie Rocher a su tirer sans le rompre, le fil de ses pulsions : scarifications du deuil de l’adolescence, lignes de cœur en émoi, crucifixion de l’égo et des ruptures sentimentales. « Je mutile la toile à ma place. Il faut rester dans ses douleurs pour faire naître des étoiles. J’en ai besoin pour créer. » L’artiste intimiste traque les sinusoïdes de son surmoi : c’est la toile qui révèle le sujet, l’instinct qui satisfait à la représentation, les signes qui jaillissent de l’abstraction. Comme le prisme de quartz en médaillon qui orne sa poitrine, aussi mystérieux que son regard noir aux pupilles mordorées que soulignent ses cheveux châtain foncé. Sur l’épaule, une fleur scorpion De ses jeux de ténèbres aux miroirs d’eau de ses huiles sur toiles, Noémie Rocher s’interroge quant aux origines de sa constellation. « J’adore Soulages, Rothko, Bacon. Mais de là à dire qu’ils m’influencent parce que je peins du noir, non, je ne pense pas. » Alors que les inspirations traditionnelles manquent, l’artiste nous glisse un petit livret, juste sorti de l’imprimerie, baptisé Allégeance. « J’ai emprunté pour ce recueil où j’illustre des poésies d’Andrée Chedid, le titre d’un poème de René Char dans lequel il évoque le dessaisissement de l’artiste envers son œuvre. » Sans titres, elles, ses œuvres accompagnent les vers de la grandmère égyptienne du chanteur pop M. « J’ai ancré l’espérance/Aux racines de la vie/Face aux ténèbres/J’ai dressé des clartés (…) », qui renvoient dans une double page, à une création où encre et goudron se repoussent chimiquement pour laisser percer les espoirs de la jeune peintre. De cette édition sans autre but que l’amour des arts, Noémie Rocher confesse qu’elle cache sous les couches successives de ses peintures des cœurs symboliques. Principe alchimique : sa fièvre créatrice permet à ses pulsions de faire palpiter la toile. Ainsi que sa peau. Sur l’épaule gauche, Noémie Rocher a tatoué son parrain zodiacal : une « fleur scorpion ». Jadis, l’arachnide noire fut l’emblème de la déesse Selkis, génie de l’Ouest, gardienne du tombeau de Toutankhamon, bienveillante envers les maux des hommes et protectrice des défunts dans l’au-delà. Ne devait-elle pas aussi rendre amnésique, car de retour à la station de métro Marcel-Sembat, on réalise que l’on a finalement oublié de demander à l’artiste, à propos du « Kem », si peindre le noir constituait un achèvement d’artiste. Toujours est-il que, manifestement favorisée par les auspices des dieux du Nil, à la lisière du rêve et du réel, Noémie Rocher réécrit une mythologie : celle où le noir réincarne nos instincts enfouis.

Légendes 1 :: Velvet Plot, 120 cm x 60 cm. 2 :: Sans titre, 130 x 89 cm.

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3 :: Sans titre, 81 x 116 cm. 2

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Par Caroline Figwer :: Portrait Lionel Hannoun, photos Cyrille Cauvet

Franck Lestard

Vanité des vanités Renouvelant un genre pictural que l’on associe à la nature morte et qui trouve ses origines au XVIIe siècle, les Vanités de Franck Lestard évoquent l’inanité des choses de ce monde et la finitude de toute existence. Le temps passe, les corps se délitent… Par-delà les coulures du lavis, le sujet s’efface, comme absorbé dans les profondeurs du néant que préfigure la masse blanche du papier.

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FRANCK LESTARD 99

Les dates 1979 :: Création de deux bandes dessinées, une histoire de losers et de chômeurs déglingués. 1984 :: Installation à Saint-Etienne et découverte du milieu underground punk rock. 1985 :: Découverte de la littérature et du cinéma d’auteur. 1987 :: Entrée à la faculté des Beaux-Arts. 1995 :: Création de la galerie L’Assaut de la Menuiserie.

Légendes

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1 :: Vanité, 2007. Encre de Chine sur papier, 180 x 150 cm. 2 :: Franck Lestard dans son atelier stéphanois.

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mmitouflée dans sa brume hivernale la ville de Saint-Etienne pare ses façades de couleurs chatoyantes et ocrées comme pour en faire oublier la grisaille ou encore le charbon noir qui fit d’elle, dès le début du XIXe siècle l’un des fleurons de l’industrie métallurgique française. Pour un grand nombre d’artistes installés dans la région, le bénéfice de ce riche passé industriel réside dans le legs d’un patrimoine architectural idéal pour accueillir leurs ateliers. Celui de Franck Lestard, situé dans l’arrière-cour d’un immeuble, garde l’empreinte d’une ancienne menuiserie, dont la devanture conserve les traces de son histoire. Passée la verrière qui inonde de lumière l’antre de l’artiste, le visiteur est accueilli par deux immenses corbeaux noirs, épinglés sur le mur. Oiseaux de mauvais augure par excellence, dans nos traditions populaires, l’air vindicatif, ils nous toisent du regard attisant le souvenir de vieux démons. Stéphanois d’adoption, Franck Lestard est né en 1967 à Longwy, en Lorraine. Après la crise des années 1970-1980,

qui frappa de plein fouet l’industrie sidérurgique française, son père, privé de travail, se vit contraint de s’expatrier dans la région stéphanoise alors encore épargnée. Un bac technique en poche, c’est paradoxalement son goût pour la littérature et le cinéma d’auteur qui amène le jeune homme à s’intéresser aux arts plastiques. Ni dissimulation ni repentir Après un passage rapide à l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Lyon, il obtient sa maîtrise en arts plastiques à la faculté des arts et des lettres de SaintEtienne et s’implique passionnément dans l’étude du dessin et de la peinture. Quelques œuvres en volume ponctuent néanmoins son travail et ses recherches, avec des matériaux qui privilégient la lumière comme le silicone ou la paraffine. Très vite, l’encre aquarellée sur papier gagne ses faveurs pour sa transparence qui préserve le dessin et qui selon lui n’autorise aucune dissimulation, ni même de repentir du geste. Une technique qui répond à un >>>


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Contact www.flestard.blogspot.com Galerie Martagon 47, Grand-Rue 84340 Malaucène. Tél. : 04 90 65 28 05. www.galeriemartagon.com

Une galerie d’art En 1995, il fonde, avec des amis, L’Assaut de la Menuiserie, une galerie d’art associative dédiée à l’art contemporain, un lieu d’échange où les arts plastiques côtoient tour à tour le monde du théâtre et de la performance, mais aussi celui de la musique, où Franck Lestard connaît quelques succès à la guitare ! Depuis peu, il en a abandonné la gestion pour se consacrer pleinement à son œuvre picturale. www.assautdelamenuiserie. blogspot.com/

>>> désir de montrer une réalité sans fard, dépouillée de toute complaisance ; à l’image de son auteur préféré, Louis-Ferdinand Céline dont il apprécie la virulence et la verdeur des descriptions qui rendent palpables des scènes où se révèlent la chair, des corps mis à nu, ou encore la barbarie des hommes. En attestent certains passages de Voyage au bout de la nuit, et leur sombre beauté, comme cette description d’un groupe d’enfants qui, par jeu, s’acharnent à torturer le corps d’un petit cochon. Dans un même élan, Franck Lestard, de façon quasi obsessionnelle, se livre à une analyse de la nature humaine proche de la dissection, tant dans son anatomie, dans ses comportements, que dans son rapport à l’autre et à son environnement. Une exploration qui se matérialise dans son œuvre en une figure, à la fois touchante et corrosive, de la condition humaine. Un corps qui s’enlise dans le néant Dans un style proche de l’épure, la virtuosité du geste et la simplicité du trait suggèrent la forme quand la blancheur du papier s’empare du volume, évoquant tout à la fois l’immatérialité de la vie et la fragilité de l’être et de la nature qui l’entoure. Fasciné par le noir, et la

profusion des profondeurs et des nuances qu’il offre au regard, l’artiste utilise la couleur avec parcimonie, pour accentuer certaines tonalités, ou comme point de force afin de mieux souligner le propos évoqué. Dans ses œuvres de petits formats, les seuls jusqu’alors utilisés pour représenter la forme humaine, le dessin à la fois minutieux et délicat évoque une certaine préciosité, peut-être celle de la vie qui s’enfuit. En témoigne ce petit homme l’air abasourdi, dont le corps s’enlise dans le néant par une petite trappe en forme d’ellipse. Cette dernière, faite de ruban adhésif, s’immisce dans la plupart de ses compositions comme le symbole d’une faillite annoncée. L’effacement qui se traduit dans la transparence des matériaux utilisés, dans les coulures de la peinture, les changements d’échelle ou encore les équilibres précaires, ceux d’avant la chute ou ceux que l’on retrouve dans l’œuvre inachevée, sont les éléments récurrents d’un vocabulaire propre à l’artiste. Par les effets d’une subtile alchimie, la composition, au-delà de l’aspect macabre et de l’inquiétude qu’elle distille, révèle une sensibilité à fleur de peau, dont les questionnements perdurent dans l’attente fiévreuse d’une réponse.


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De façon quasi obsessionnelle, Franck Lestard se livre à une analyse de la nature humaine.

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Légendes

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1 :: Sans titre, 2009. Paraffine, 40 x 20 x 20 cm. Photo Lionel Hannoun

2 :: Sans titre, 2010. Aquarelle et encre de Chine sur papier, 180 x 148 cm. 3 à 6 :: Série de dessins, 2008. Encre de Chine, stylo bic et films adhésifs colorés sur papier, 42 x 29,7 cm.


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Par Neel Chrillesen :: Portrait Lionel Hannoun, photos Antoine Rogiers

Antoine Roegiers

MAÎTRE MAGICIEN Maîtrisant aussi bien le pinceau que les outils numériques, Antoine Roegiers dévoile les arcanes des chefs-d’œuvre de la peinture flamande et nous immerge dans l’univers inspiré de Bosch ou de Bruegel. Ses vidéos sont autant de voyages singuliers où, à partir d’infimes détails, il nous révèle l’esprit même de l’œuvre.

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n les étudie en histoire de l’art, on les croise dans les musées, on les connaît, de nom ou de visu, de près ou de loin. Ils font

une histoire. Bosch a conçu son tableau comme un film où toutes les scènes sont montées sur un seul et même plan. Je ne le comprenais pas, alors je l’ai décomposé. J’ai réinterprété chaque scène

Tout d’un coup, je pouvais me plonger dedans, voir tous les détails, les histoires qu’ils contenaient. » Ce sont d’ailleurs ces détails qui déclenchent son tout premier ouvrage numérique à partir d’une

partie de la culture générale au point d’en oublier leur essence. Sauf pour Antoine Roegiers. Il contemple les tableaux de maîtres comme on feuillette un livre de contes, sans jamais se lasser des histoires qu’ils lui racontent, à l’affût du détail qui fait basculer la scène. Fasciné par ces œuvres du XVe siècle qui « nous parlent encore aujourd’hui », ce jeune artiste belge les revisite d’une façon singulière : en les animant. La Tentation de saint Antoine d’après le tableau de Jérôme Bosch est tout simplement magique ! Chaque élément de la peinture originelle prend vie. Tout se déroule comme si Antoine Roegiers s’était glissé à travers les siècles dans la peau de son illustre aîné et en dévoilait les secrètes pensées. « Ce qui m’intéresse, c’est la représentation à plat de toute

en respectant son sens et l’esprit de l’œuvre. » Pour les Proverbes flamands de Bruegel, l’artiste avoue sa fascination pour la clé mathématique de l’œuvre. « C’est un tableau où figurent 118 proverbes, donc 118 petits tableaux en un seul, 118 mouvements arrêtés. Une fois animé, chaque personnage est astreint, à jamais, à ne réaliser que l’action du proverbe. » Pour l’observateur, l’exercice est à haute concentration : regarder partout en même temps pour ne rien manquer.

œuvre classique. « Je réalisais une copie de Rubens au musée du Louvre et chaque jour en y allant, je passais devant le tableau de Le Nain, L’Académie. Son étrangeté m’attirait. C’est une scène de groupe inhabituelle, les personnages posent mais en s’épiant, comme s’ils attendaient le bon moment pour s’entretuer. » Un sentiment auquel l’artiste donnera libre cours dans une première vidéo. « J’avais déjà réalisé de petits films d’animation, mais celui-là était le premier à partir d’une œuvre de maître et le début d’un nouveau travail. Je suis totalement autodidacte avec les outils numériques, mais la création sur ordinateur m’a dès le départ procuré un grand plaisir. On peut inventer le mouvement, travailler la narration et la poésie ; c’est efficace. La vidéo est plus lisse aussi, on peut tout contrôler >>>

Tout d’un coup, je pouvais me plonger dedans Les œuvres classiques, Roegiers l’admet, n’ont pourtant pas toujours été son violon d’Ingres. « Je crois que j’ai véritablement découvert ces tableaux de maître lorsque je les ai vus projetés sur un écran durant des cours d’histoire de l’art.

Légendes 1 :: Antoine Roegiers parmi les pots et pinceaux de son atelier. Peinture et création numérique font pour lui partie d’un « projet total ».

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2 :: Il existe deux versions du film La Tentation de saint Antoine. L’une prend la forme d’un triptyque qui tient dans les mains. Le panneau central voit défiler la vidéo, tandis que les panneaux de bois latéraux sont peints chacun sur leurs deux faces.


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:: DE L’INERTE À L’ANIMÉ Au tout début, l’artiste s’appliquait à crayonner image par image, suivant la technique du dessin animé. Chaque personnage était ainsi redessiné puis colorié à la palette graphique. « Mais je me suis aperçu que je perdais le caractère de l’œuvre, sa poésie ». Alors, Antoine Roegiers décide de se concentrer sur un personnage à la fois, de le décomposer en isolant chacun des éléments constitutifs, afin de faciliter l’exercice d’animation à venir. Suivent la reprise numérique du tableau, l’opération de fragmentation et le réassemblage du tout numériquement. Au centre de la page, la séquence crayonnée est un document de travail, en dessous duquel vient un exemple d’animation.

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>>> et revenir en arrière pour corriger, ce qui est difficile en peinture. » La peinture, cependant, Antoine Roegiers ne la délaisse pas – « elle est très importante pour moi, même si je me cherche sans doute encore ». Il garde comme objectif de réunir ces deux moyens d’expression : peinture et création numérique, pour « un projet total », tout en rêvant de faire une exposition « exclusivement de peintures ».

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En attendant, il termine la version animée des Sept Pêchés capitaux de Bruegel. Cette fois il a travaillé non à partir d’images haute définition de l’œuvre originale, mais à partir des dessins à la plume du maître qu’il a redessiné « pour obtenir un effet 3D ». Durée de l’œuvre : 19 minutes. Durée du travail pour y arriver : un an et demi. « Mes films sont de plus en plus longs, une pièce en amène toujours une autre… »

Afin d’expliquer son attirance particulière pour la peinture flamande classique, Roegiers évoque l’univers de folie, l’imaginaire et la poésie des artistes. « Leurs tableaux font voyager par le détail. » Il se peut cependant qu’il y ait une autre raison : l’artiste arrive en France à l’âge de trois ans de sa Belgique natale, un pays qu’il admet avoir toujours « beaucoup rêvé ». « Ça reste mon pays même si je ne le connais pas assez à >>>

Légendes 1 :: Le paysage virtuel a été créé en totalité pour le film. La Tentation de saint Antoine s’inspire du tableau du même nom de Jérôme Bosch (1505-1506) et s’accompagne d’une musique d’Antoine Marroncles. 2 :: A la manière de son illustre aîné, Antoine Roegiers ne respecte sciemment pas les échelles.


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>>> mon goût. J’ai souvent pensé y retourner. Je me sens plus proche de l’esprit belge que de l’esprit français. Faire ma première grande exposition solo à Art Bruxelles avec la galerie Guy Bärtschi l’an passé avait donc une signification particulière. La réaction et l’enthousiasme des gens face à La Tentation de saint Antoine m’ont beaucoup touché. Certaines personnes sont venues me remercier en me disant qu’ils étaient fiers d’être belges ! » Un pont entre modernité et tradition Fils de l’écrivain Patrick Roegiers, Antoine baigne dans un milieu culturel dès sa plus tendre enfance. « Il y avait souvent des artistes à la maison, on allait au théâtre, voir des expos… Mon père était très ‘‘dans l’image” ». Tout cela ne fait pas pour autant du fils un « participant », mais plutôt un observateur. « Enfant, j’étais très solitaire, rêveur. Je dessinais énormément, sans doute comme une sorte d’échappatoire, mais cela me procurait une réelle joie. » Les sujets préférés du jeune garçon : « Des scènes de guerre, des robots, des incendies… ». « A 10 ans, j’ai commencé à prendre des cours de dessin le mercredi matin. » Un choix qui scelle l’envie artistique mais ne définit pas pour autant la route à suivre. « J’ai fait beaucoup d’écoles, de pub, d’arts appliqués, de graphisme…, des formations qui me servent aujourd’hui. » Cependant, ce n’est qu’en intégrant les BeauxArts de Paris que tout « devient clair ». « Ce fut une expérience très riche. J’y ai trouvé un pont entre la modernité et la tradition qui m’a donné envie de travailler à partir de classiques pour arriver à quelque chose de plus contemporain. » C’est également lors d’une exposition organisée par l’école, en 2005, qu’Antoine Roegiers fait une rencontre déterminante. « Claude Berri est venu au vernissage. Je ne le connaissais pas collectionneur. Je lui ai montré Les Proverbes flamands et il m’a téléphoné dès le lendemain matin. Tout d’un coup, je me suis retrouvé chez lui, à contempler les œuvres qu’il possédait, à parler de mon travail… C’était époustouflant. Il était âgé, mais avait cette lueur dans l’œil, cette excitation quasi enfantine devant l’art. » Les deux hommes se rencontrent régulièrement, une exposition est prévue dans l’espace Claude

Une histoire de clown qui se termine bien De ses parents aussi, Antoine Roegiers reçoit un soutien sans faille. « Il n’y a jamais eu de remise en cause, ils m’ont toujours épaulé. » Mais à côté d’une maman totalement « supportrice », il y a un père moins complaisant. « Nous parlons beaucoup. Il a un énorme respect pour les artistes, une foi dans l’art. Du coup, je le fais intervenir dans mon travail. Il me dit ce qui ne

Contact Du 22 octobre au 15 janvier 2012, Les Sept Pêchés capitaux, dans la collection de Thomas Olbricht, à La Maison rouge, Paris. www.antoineroegiers.com

Légendes

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Berri, mais la disparition du cinéaste en décide autrement. « Je l’ai adoré. Nous avions un rapport simple et chaleureux. Je lui dois beaucoup. »

marche pas et je l’écoute. Il me pousse à aller plus loin. Il m’arrive même de déconstruire un projet suite à nos discussions. » De là à faire une œuvre en commun, il n’en est pas question. « On n’est pas assez fusionnels pour travailler ensemble ! » Pour Antoine Roegiers, la famille est importante. Il ne dissimule pas la tendresse qu’il a pour ses parents et sa petite sœur. Tous figurent d’ailleurs sur des tableaux qu’il a peints et dans lesquels il a introduit « une histoire et une symbolique propres à chacun ». Le tableau de son père, enfant, existe même en version animée : Patrick Roegiers y ouvre la bouche et crie. « Je veux qu’il perturbe tout le monde ! » Objectif atteint. Le portrait qu’il peint de sa sœur, la comédienne Aurore Roegiers, figure sur la couverture du livre Le journal d’Aurore (écrit par… son père). « J’ai toujours été très proche d’elle. Nous avons une grande complicité. » C’est ainsi qu’il a accepté, il y a quelques années, de l’accompagner à un stage d’été de clown ! Il découvre alors le travail de comédien, qu’il connaît maintenant de l’intérieur puisqu’il partage, depuis quelques années, la vie de l’actrice Vanessa David, révélée dans le film Sweet Valentine. Grâce à elle, et pour elle, il apprend maintenant à mieux gérer son temps. « J’ai une nette tendance à m’enfermer dans mon travail. Quand je n’ai aucune contrainte, je deviens obsessionnel, j’ai beaucoup de mal à relâcher, à prendre la distance nécessaire. C’est surtout vrai pour la vidéo, car c’est moins physique que la peinture. On n’est pas toujours disponible pour peindre, mais pour l’ordinateur si. » Malheureusement pour lui, personne à part ses proches ne se plaindra du temps qu’il passe devant l’écran ; car moins l’attente est longue plus le bonheur de découvrir une nouvelle création est à son comble ! René Magritte soutenait : « Il faut que la peinture serve à autre chose qu’à la peinture. » Antoine Roegiers lui a donné sa réponse.

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1 à 3 :: Une seconde version du film La Tentation de saint Antoine propose trois projections simultanées (sur environ 2 m de haut et 5 m de large). Le géant a pour l’occasion été recréé artificiellement à partir d’un autre tableau de Jérôme Bosch.

4 :: Tout personnage (ici le géant) est soigneuseument décomposé par l’artiste, qui isole ainsi chacun des éléments constitutifs. Suivront la reprise numérique du tableau, l’opération de fragmentation et le réassemblage du tout.


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Par Dinah Sagalovitsch :: Portrait Lionel Hannoun, photos Studio crasset

matali crasset

LE DESIGN À VISAGE HUMAIN A quoi bon un somptueux canapé si les enfants ne peuvent grimper dessus… Forte de cette conviction, la designer a su innover en évacuant d’emblée la question de l’esthétique. Une générosité et un sens de l’hospitalité qui sont l’image de marque de l’une des plus fortes personnalités du design contemporain.

C

’est au fond d’une paisible cour arborée du Xe arrondissement, loin de l’agitation urbaine, que vit et travaille matali crasset *. Côté atelier de création, derrière les grandes baies vitrées, l’atmosphère est studieuse pour la petite équipe de quatre personnes qui l’entoure. Côté habitation auquel on accède par une vaste cuisine conviviale et un escalier circulaire, l’ambiance s’anime avec le passage des enfants (Popline et Arto) et des amis qui sont souvent d’anciens clients. Le travail et la vie privée s’entrecroisent ici sans rupture, en accord avec les thèmes de fluidité, de flexibilité ou de modularité qu’elle a popularisés. Avec un sens aigu des attentes de l’époque, matali crasset a cherché dès l’origine à donner du sens à ses réalisations, sans céder aux phénomènes de mode car pour elle, « le design est hors mode », et de préciser : « Je travaille sur des lames de fond émergentes, des grands courants que je sens arriver, pas du court terme. » On l’imagine volontiers « intello austère », icône d’un certain milieu parisien, plutôt « bourgeois-bohême », et

on la découvre pragmatique (ce qu’elle reproche d’ailleurs aux écoles d’art, trop théoriques à son goût alors qu’il faut d’abord « attraper un fil, expérimenter, acquérir des savoirs »), d’un optimisme rare en ces temps-ci (« sans doute avec une dose de naïveté », reconnaît-elle), sans aucune affèterie. Fille d’agriculteurs, élevée dans un petit village du nord de la France, la jeune Nathalie (son prénom d’origine) se souvient avoir débarqué dans ce milieu « comme une extraterrestre ». « Je me suis beaucoup ennuyée dans mon adolescence, j’avais conscience d’être loin de tout, mon rêve était de venir à Paris », raconte-t-elle. Des débuts chez Philippe Starck Diplômée de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (ENSCI-Les Ateliers) en 1991 et ayant eu la révélation de sa vocation en concevant un flacon de parfum, elle n’est pas restée sur sa chaise. Après une première expérience d’un an à Milan, auprès du designer italien Denis Santachiara, elle est recrutée, sur simple lettre de candidature, par le « tycoon » de la profession, >>>

* Le m et le c minuscules de matali crasset sont souhaités par l’artiste.

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1 :: matali crasset dans son atelier parisien. 2 :: Compo’sit, 2009. Canapé créé pour la marque Dunlopillo.


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Légendes 1 :: Instant seat, chauffeuse et instant table, 2009. Contreplaqué de hêtre. Photo Moustache, Tania & Vincent

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2 :: Vue de la cantine de la Ménagerie de Verre à Paris. Mobilier instant seat et instant table. Photo Moustache, Patrick Gries 3 :: o-re-gami, 2009. Corbeille à papier en cuir régénéré, créée pour la marque italienne Regenesi.


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J’aime la gymnastique d’esprit qui consiste à passer d’un projet à l’autre.

>>> Philippe Starck, d’abord dans son agence parisienne puis, pendant cinq ans, à Thomson multimédia, où il lui confie le Tim Thom, le studio de création de l’entreprise. Elle se souvient : « C’était comme un conte de fées, travailler pour Thomson qui faisait alors sa révolution culturelle et avec Starck. Si je peux faire des choses si diversifiées aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à lui. Il a montré que c’est un vrai métier. On n’a plus besoin d’expliquer à quoi sert le design, il a ouvert les portes. » Mais elle revendique son autonomie : « Chacun doit apporter quelque chose de différent. » Sa différence, elle l’affirme avec éclat en 1998 : non seulement en créant sa propre agence, avec le nouveau prénom qu’elle s’est choisi, mais aussi en faisant l’événement au Salon du meuble de Milan avec Quand Jim monte à Paris (Domeau & Pérès). Elle se souvient de l’accueil enthousiaste réservé à sa fameuse colonne d’hospitalité qui se déplie et devient un lit assorti d’une petite lampe et d’un réveil : « Quand j’ai commencé à travailler sur du mobilier, je me suis demandé comment je pourrais travailler sur les notions de générosité et d’hospitalité qui m’habitent. Il y a douze ans, c’était nouveau : moins d’encombrement, un objet qui n’avait pas qu’une destination. Les gens sont venus m’encourager, me serrer la main. C’était un objet-test. J’en reste très contente, il n’est pas inscrit dans le temps mais dans une certaine relation à l’autre et, en l’occurrence, il est plus qu’un lit, il donne un espace. » Donner l’occasion d’expérimenter Au cours de la décennie suivante, les projets s’enchaînent dans les domaines les plus variés : design industriel, graphisme, scénographie, architecture intérieure… « C’est en gardant cette approche globale qu’on m’a proposé, sans l’avoir cherché, d’autres projets, toujours un peu expérimentaux, dans des contextes bien particuliers. En outre, j’aime la gymnastique d’esprit qui consiste à passer d’un projet à l’autre. » Elle ajoute : « J’accepte les contraintes, car un concept peut se réaliser de plusieurs manières et je fais toujours attention à transcender le cahier des charges. » Comme dans le cas de l’hôtel HI, à Nice, en 2003. D’un établissement haut de gamme en rupture avec les codes traditionnels du luxe, elle a fait un véritable Manifeste futuriste, proposant une organisation de l’espace radicalement différente d’une pièce à l’autre : « Chaque chambre est un concept de vie. L’idée était

de ne pas faire ressortir le côté vaniteux des gens mais de proposer un temps pour avoir des sensations, se questionner, donner l’occasion d’expérimenter. » Ses projets, dûment recensés sur son site Internet (avec son logo reconnaissable à la fameuse coupe qu’elle arbore), où virevoltent de malicieuses bulles symbolisant les intentions qui les sous-tendent (autonomie, générosité, empathie…), révèlent tout son univers, entre high-tech et poésie, idéaux et modes de vie. On peut naviguer ainsi d’objets >>>


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Les dates 1965 :: Naissance à Châlons-en-Champagne. 1991 :: Obtention du diplôme de l’ENSCI- Les Ateliers. 1998 :: Création de son agence à Paris. 2002 :: Conception de l’hôtel Hi à Nice. 2003 :: Aménagement du musée SM’s aux Pays-Bas. 2006 :: Prix du créateur de l’année au Salon du Meuble de Paris. 2009 :: Réalisation de la Maison des Petits au Centquatre, nouveau lieu de création et de production artistique à Paris. 2010 :: Ouverture des hôtels Dar HI, en Tunisie, et du HI Matic à Paris.

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Je travaille sur des lames de fond émergentes, des grands courants que je sens arriver, pas du court terme.

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1 :: Vue de l’exposition A rebours de Peter Halley et matali crasset, à la galerie Thaddaeus Ropac à Paris, 2007. Photo Charles Duprat courtesy galerie Thaddaeus Ropac

2 :: Nature morte à habiter, 2007. Fauteuil réalisé en collaboration avec Peter Halley pour l’exposition A rebours à la galerie Thaddaeus Ropac. Photo Charles Duprat courtesy galerie Thaddaeus Ropac

3 :: Maison des Petits, 2009. Photo CENTQUATRE, Jérôme Spriet

4 :: Openroom n°1, bureau et plate-forme. Photo Established & sons

Contact www.matalicrasset.com

>>> du quotidien transcendés par son imaginaire (le couteau/pelle à tarte Laguiole dessiné pour Pierre Hermé, le canapé Compo’sit pour Dunlopillo), aux incroyables aménagements d’espaces (le restaurant éphémère d’Alain Passard pour le Printemps, le musée SM’s en Hollande, le salon d’art contemporain de Montrouge). Une sensibilité unique On passe avec bonheur d’un pigeonnier pour colombophiles (projet dans le cadre du programme « nouveaux commanditaires » pour la Fondation de France) au splendide lustre Diamonds are a Girl’s Best Friend (Meta) ou encore à une exposition d’art contemporain, comme celle réalisée en 2007 avec Peter Halley chez Thaddaeus Ropac. Une ouverture d’esprit qu’on retrouve dans Le lieu commun, l’espace marchand qu’elle a créé dans le Marais en 2005 pour proposer, plus que des produits, des « secteurs de création » avec lesquels elle se sent en affinité et dans le respect des principes du commerce équitable. Hyperactive, elle multiplie les collaborations, songe à une comédie musicale et s’est aussi attelée à un livre de réflexion sur

son travail. Un siècle à peine après son émergence, le design se conjugue plus que jamais au féminin, comme le note Marion Vignal dans Femmes designers, un siècle de création. matali crasset, qui en est l’illustration, insiste sur la sensibilité qu’apportent les femmes à ce métier. Elle-même veille toujours, notamment, à désamorcer les rapports de pouvoir, « pour que tout le travail puisse passer dans le projet et pas dans les ego ». Derrière la frange impeccable, féminisme ou pas, c’est en effet cette sensibilité unique qui affleure et la rend si proche de chacun de nous : au détour d’une phrase sur le véritable enjeu du design qui « est de parler de la vie », ou sur ce métier qui conduit à « se remettre tout le temps en cause », également à travers l’hommage discret qu’elle rend à son mari Francis Fichot qui, dans l’ombre, « défriche » les projets et la décharge des questions d’intendance, ou encore avec ce constat désarmant : « Quand on fait ce travail à fond, on donne beaucoup de soi-même. Si on s’aperçoit qu’on ne partage pas les mêmes valeurs, qu’on n’est pas parti avec les bons partenaires, cela peut même s’avérer douloureux. » Et c’est peut-être cela sa réussite : avoir inventé le design à visage humain.


DESIGN :: ArtsOne volume 1

MATALI CRASSET 119


OSCAR ONO 120

:: DESIGN ArtsOne volume 1

Par Hicham Nazzal :: Photos studio Ono

Oscar Ono

L’essence chatoyante des lieux Dans un contexte d’âpre concurrence, Oscar Ono s’est imposé parmi les meilleurs architectes d’intérieur du moment. Son credo : porter haut sa passion des subtiles couleurs et pousser les feux de son inextinguible envie de surprendre. Son rêve : lancer des ateliers de décoration pour mieux balayer la banalité.

Légendes

Contact 1, 3 et 4 :: Vues du showroom parisien de l’artiste.

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2 :: A 33 ans, Oscar Ono est à la tête de deux agences de renommée internationale.

www.oscarono.com


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I

l est l’objet de toutes les attentions, les magazines de modes et tendances le présentent comme le nouvel architecte décorateur qui compte : Oscar Ono, 34 ans, bouscule les codes pour mieux les réinventer. Après un diplôme d’histoire de l’art et d’archéologie obtenu à l’Ecole du Louvre de Paris, cet amoureux de la couleur, de la perspective et de la symbolique entre par la grande porte de l’aménagement d’intérieur en 2003, en mettant en espace le centre culturel DART en plein cœur de Barcelone, 1 000 m2 dédiés à l’art contemporain. Un bel ascenseur pour la renommée. Son showroom parisien, à quelques encablures du canal Saint-Martin, conjugue, dans une véritable esthétique théâtrale, effets de lumières et effets de matières, dans des tons foncés et sophistiqués. Définitivement « caravagesque », l’artiste pousse le souci du détail jusqu’à orner le plafond de motifs surimprimés qui rappellent les heures flamboyantes de la Renaissance. Classique, Oscar Ono ? « Je préfère les choses intemporelles, nous confie-t-il. Je ne veux pas suivre les diktats des bureaux de style qui, dans leur coin, imposent les tendances et les codes couleurs du moment. Je préfère choisir des produits qui vont vieillir. Et bien vieillir. » Un insolent éclectisme Metteur en scène de son destin, cet admirateur des films – et des décors – de Jacques Tati, a découvert très tôt son désir de raconter des histoires : « Déjà, tout petit, chez mes parents, je déplaçais les objets, les meubles, je réglais le variateur de lumière selon l’humeur du jour. Ma chambre aussi était un formidable laboratoire d’expérimentation des styles ! J’ai eu très jeune le goût pour la symétrie, la lumière, et cette envie impérieuse de raconter l’histoire d’un lieu, d’en dégager une essence. Et le mettre en scène, ce n’est finalement rien d’autre que raconter son histoire. »

OSCAR ONO 121

Intrépide et prudent, policé et rebelle, Oscar Ono affiche un insolent éclectisme. A son actif, des hôtels haut de gamme (hôtel Evian Royal Hermitage, prochainement l’hôtel Mohamed V de Casablanca), des boutiques de luxe (vitrines pour Chloé, Lacoste), des bureaux, des restaurants (Villa Romana de Cannes), des galeries d’art, des appartements et villas privées, en passant par la décoration pour la télévision (grands shows sur TF1) et la scénographie d’événements de marques prestigieuses (Lalique, Google). Au sein de ses deux agences, secondé par dix-sept collaborateurs, il est l’âme de showrooms installés à Paris, Dublin, Amsterdam et Miami qui sont le reflet de sa passion créative. Une flamme inspirée qui s’élève à près de 500 000 euros de chiffre d’affaires. Oscar Ono Interiors Architecture, la première de ses deux sociétés, est en pleine expansion, et ce, dans un contexte de concurrence accrue. C’est avec Oscar Ono Flooring Manufacture que l’architecte décorateur donne sa pleine mesure (4,8 millions d’euros de chiffre d’affaires), un service spécialisé dans les revêtements de sols et de murs, aux finitions rares et raffinées où tradition (parquets de chêne) flirte sans complexe avec l’avant-gardisme le plus sophistiqué (mélange bois-cuir, incrustation de diamants, etc.). Du sur mesure ! Homme de défi, l’avenir, il le projette dans une confidentialité assurée : « Ma plus grande ambition, dans les prochaines années, serait de lancer des ateliers de décoration un peu à l’image de ce qu’a fait avec talent et créativité Joël Robuchon dans l’art culinaire. Durant une journée, animer des ateliers dans mon showroom et prodiguer des conseils à des particuliers qui viendraient avec leurs projets. Ce contact humain, je le désire tout autant qu’il m’anime. » Le conformisme et la banalité pris à contre-pied !


LA MAMOUNIA 122

:: DESIGN ArtsOne volume 1

Par Samantha Deman :: Photos La Mamounia

La Mamounia

LUXE, CALME ET RAFFINEMENT… Mythique établissement de luxe arabo-mauresque, La Mamounia, qui aura ébloui tant de célébrités depuis près d’un siècle, a rouvert ses portes à l’automne 2009, à l’issue de trois années de rénovation dirigée par l’architecte et décorateur français Jacques Garcia. Des travaux aussitôt salués par la communauté du luxe et du voyage et récompensés par deux prix internationaux.

Pratique La Mamounia s’élève sur quatre étages, compte 136 chambres, 71 suites et 3 riads (maisons privatives comprenant trois chambres, un salon, une terrasse et une piscine). Tarifs : à partir de 540 €. L’hôtel comprend par ailleurs quatre restaurants, cinq bars, une grande salle de réception de 450 m2 (modulable en trois salons), et un spa, lui aussi revu par Jacques Garcia. Les produits de soin qui y sont utilisés proviennent eux aussi du savoir-faire artisanal marocain.

Contact La Mamounia avenue Bab Jdid 40040 Marrakech, Maroc. Tél. : (212) 524 388 600 www.mamounia.com

E

lue hôtel de l’année 2010, par le magazine britannique Tatler et son guide voyage éponyme puis, à peine quelques mois plus tard, meilleur « resort » dans le cadre des Design Awards décernés par la revue américaine Travel and Leisure, La Mamounia peut se targuer d’avoir pleinement réussi sa cure de jeunesse entreprise en 2006 sous la houlette de l’architecte d’intérieur français Jacques Garcia. Erigé dans les années 1920 au cœur d’un domaine de 8 hectares aux oliviers centenaires, bordant les remparts médiévaux de Marrakech et offert deux cents ans auparavant par un sultan local à l’un de ses fils — Mamoun —, l’établissement a toujours témoigné d’une architecture harmonieuse, mêlant avec subtilité, à l’intérieur comme à l’extérieur, traditions marocaines et design contemporain occidental. Un premier bain de jouvence ravive le lustre Art-Déco de l’établissement en 1986. Vingt ans plus tard, un ample projet de rénovation choisit de mettre encore davantage l’accent sur le savoir-faire séculaire, au confluent des cultures berbères et arabo-mauresques, des artisans du royaume chérifien. « La Mamounia a toujours été un mythe. Il ne s’agissait pas tant d’un retour que de conserver l’image du départ (…), de retrouver l’esprit des lieux qui tourne autour des espaces centraux et de ce jardin fabuleux », explique au lendemain de la réouverture de l’hôtel Jacques Garcia. Cet endroit si particulier « m’a donné le goût de l’Orient ; son côté vu/pas vu, clair/obscur. C’est ce que j’ai voulu lui rendre », ajoute-t-il. De fait, la lumière tient ici un rôle essentiel. Qu’elle soit tamisée, feutrée, voluptueuse ou mystérieuse, elle vient mettre en valeur et optimiser les qualités intrinsèques de chaque matériau, chaque objet, chaque espace pensé et agencé par le maître d’œuvre de cette exceptionnelle restauration.

Sols, murs et plafonds des couloirs, alcôves, patios et fontaines de l’édifice abritent, jusque dans leurs moindres recoins, les fruits de minutieux et savants ouvrages multicolores. Les arts du zellige (carreaux de céramique sur argile), du tadelakt (forme d’enduit), du gebs (plâtre ciselé) et du zouaq (technique de peinture sur bois) ne sont que quelques-unes des nombreuses techniques ancestrales mises en valeur. S’y ajoute le travail du bois, du marbre, du cuir et du cuivre, tandis que soieries et passementeries viennent souligner des décors dignes des contes orientaux. « Ma patte passe par des choix de couleurs moins classiques comme les zelliges noirs et blancs, du tadelakt bleu majorelle, noir ou bordeaux », précise l’architecte français, qui célèbre ici le mariage heureux de la modernité et de la tradition. Témoin et symbole de cette union, une lampe qu’il a dessinée et à travers laquelle il livre son interprétation contemporaine de l’habituelle lanterne marocaine. Reproduite par centaines et dans toutes les tailles, cette création lumineuse toute de rouge et de blanc revêtue guide les pas du visiteur et rythme élégamment les chemins de son inoubliable séjour.

A la Mamounia, ma modernité c’est la tradition. Jacques Garcia Légende Jacques Garcia revisite la lanterne marocaine et parsème l’établissement de ses créations lumineuses, symboles de l’union complice et généreuse des traditions artisanales marocaines et du design occidental.


DESIGN :: ArtsOne volume 1

LA MAMOUNIA 123


W MIAMI 124

:: DESIGN ArtsOne volume 1

:: Le W Miami, fer de lance du Groupe W.

Par Alexandre Henry :: Photos W Hotels Worldwide

W Hotels Worldwide

Coup de pouce à la création design En un peu plus de 12 ans, le groupe hôtelier new-yorkais a implanté plus de quarante hôtels et complexes de villégiature dans le monde entier. Partenaire de Design Miami/Basel, il reçoit dans ses établissements les lauréats du prix « Designers of the Future Award » 2011.

L

e groupe hôtelier W Hotels Worldwide poursuit sa collaboration avec la foire Design Miami/Basel à l’occasion du prix « Designers of the Future Award » 2011. Ce prix créé en 2006, récompense les jeunes talents du design dont l’œuvre reflète innovation et esthétisme dans l’univers du design en édition limitée. Les lauréats (entre autres le designer Asif Khan, Royaume-Uni, l’équipe de design autrichienne Mischer Traxler et le Studio Juju, Singapour), dont les œuvres ont été réalisées sur commande à Bâle en juin 2010, sont invités à exposer dans plusieurs hôtels W à travers le monde. Avec l’ouverture de son premier hôtel à New York en 1998, W impose d’emblée une identité forte. Avec 41 hôtels et complexes de villégiature situés dans les villes et destinations exotiques les plus trépidantes du monde, la marque se positionne en leader du secteur hôtelier contemporain « lifestyle ». Ses établissements proposent une alliance unique entre design, mode, musique et loisirs. Forte du succès rencontré depuis plus de 12 ans, la marque W Hotels continue son expansion et devrait dépasser les 50 hôtels d’ici à la fin 2012. Des ouvertures sont

prévues à Paris, Canton, Shanghai, Abu Dhabi, Bangkok, Athènes... Pour chaque établissement, la marque s’efforce de promouvoir un design avant-gardiste, voire futuriste, inspiré par les lieux où elle s’implante et réalisé grâce à des collaborations avec de jeunes talents ou artistes renommés. Depuis le glamour d’inspiration ottomane d’une boîte à bijou pour le W Istanbul jusqu’au design adapté à la personnalité complexe de l’homme britannique du W London récemment inauguré à Leicester Square, chaque hôtel est le fruit d’une collaboration entre designers, architectes, graphistes, photographes et directeurs Monde Mode et Musique de W. Pour celui de Saint-Pétersbourg, premier de la marque en Russie et inauguré il y a quelques semaines, W s’est associé avec des architectes et designers de renommée internationale, Antonio Citterio & Partners, afin de mettre en avant toute l’élégance des traditions russes.

Contact www.whotels.com


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LES BAHAMAS 125

Par Karin Mallet Gautier :: Photos OT Bahamas

Les Bahamas

16 trésors à découvrir et redécouvrir Véritable Caraïbe dans la Caraïbe, l’archipel des Bahamas s’étire sur 1 200 km de la Floride à Cuba. Avec 700 îles regroupées en 16 destinations toutes différentes, elles vous offriront des expériences uniques : on pourra en élire une pour son séjour ou en combiner 2 ou 3 sur une durée plus longue, ou encore les découvrir en extension d’un séjour aux EtatsUnis (à 30 minutes d’avion de Miami) !

Un patrimoine culturel et architectural, très présent, un paradis pour les plongeurs, pêcheurs et golfeurs, une nature préservée avec une trentaine de parcs nationaux et seulement 6 % des plages exploitées touristiquement, le tout mêlé à l’accueil légendaire des Bahaméens, assurément... IT’S BETTER IN THE BAHAMAS !


W BARCELONA 126

:: DESIGN ArtsOne volume 1

Par Samantha Deman :: Photos W Hotels Worldwide

W Barcelona

Une Voile entre ciel et mer Pratique Le W Barcelona compte 403 chambres et 70 suites, plusieurs salles de conférences et réception dont un espace pouvant accueillir jusqu’à 1 000 personnes. Tarifs : à partir de 250 €.

Contact W Barcelona 1, plaça de la Rosa del Vents, Final Passeig de Joan de Borbo, Barcelone 08039, Espagne. Tél. : +34 (93) 295 2800 www.w-barcelona.com

Le premier établissement européen de la chaîne W Hotels Worldwide a été imaginé par l’architecte et designer barcelonais Ricardo Bofill, et s’installe dans la plus dynamique des cités espagnoles.

S

a silhouette élancée et longiligne s’élève fièrement, le nez au vent, sur les bords de la Méditerranée, bordant à la fois le sud de l’une des sympathiques plages de Barcelone et le nord des docks portuaires. « Avant de commencer quoi que ce soit, raconte le concepteur du projet Ricardo Bofill, je me suis rendu sur le site face à la Méditerranée. Cela a été l’un des moments les plus excitants de mon existence. Je me tenais sur le brise-lames, regardant le bleu de l’horizon, les eaux profondes, et me disant : ce sera juste ici ! Quand je suis retourné au bureau, La Voile était née. » De fait, l’élégant bâtiment, dont les parois de verre argentées reflètent toutes les nuances des bleus marins et célestes, est ainsi surnommé depuis le 1er octobre 2009, jour de son inauguration. Tel le luxueux balcon d’un théâtre futuriste en plein air, le lieu offre de chacun de ses vingt-six étages une vue spectaculaire sur l’infini marin comme sur les toits à perte de vue de la ville. L’ensemble des chambres et aménagements intérieurs est également le fruit des travaux de l’architecte et de son équipe. L’esthétique est sobre, épurée, mais aussi dynamique et gaie, à l’image de cette cité cosmopolite et de tous les dynamismes. Controversé au moment de sa construction, il semble que l’édifice ait gagné le cœur des Barcelonais qui y voient désormais un nouvel emblème de la créativité et de la vitalité de cette métropole dont ils sont si fiers. « Cette ville offre un sublime mélange d’ancien et de moderne », renchérit Ricardo Bofill. « Nous avons de tout, des murs romains aux bâtiments les plus modernes et innovants. C’est le résultat de la mise en commun du travail de milliers d’architectes depuis 2 000 ans. J’espère que La Voile deviendra un petit bout de cette histoire. » Lire aussi page 124


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SYBILLE DE MARGERIE 127

Par Alexandre Henry :: Photo DR

Sybille de Margerie

L’élégance des couleurs Depuis plus de 20 ans, cette architecte d’intérieur enchaîne les réalisations à un rythme effréné. De Marrakech à Damas en passant par Amsterdam, Paris ou Genève, elle cultive le respect de la mémoire des lieux et un art du raffinement.

C

ouleurs, émotion, luxe et création sont les maîtres mots de Sybille de Margerie. Depuis 1989 (création de l’agence SM Design), cette architecte d’intérieur les interprète à travers des projets prestigieux. Particulièrement présente dans les domaines de l’hôtellerie de luxe, des casinos et des restaurants gastronomiques, Sybille de Margerie pense chacun de ses projets comme s’il était le premier. Sa démarche créative est dirigée par l’identité du lieu, sa situation géographique et la culture du pays. Elle crée ainsi une identité propre à chacune de ses créations : « Ma démarche est de faire un lieu qui crée de

l’émotion et qui soit en rapport avec sa culture d’origine. Je ne cherche pas à laisser mon empreinte partout où je passe. » Forte de plus de vingt ans d’expérience, l’agence SM Design compte plus de trente collaborateurs qui travaillent avec Sybille sur les projets en suivant sa

philosophie de travail : « La précision au moment de l’analyse, l’imagination au moment de la création, la rigueur au moment de l’exécution. » SM Design compte à son actif une pléiade de projets réalisés ou en cours de réalisation en France et dans le monde pour des investisseurs privés et des grands groupes tels que Louvre Hôtels, LVMH (Hôtel Cheval Blanc à Courchevel), Mandarin Oriental Group, Park Hyatt aux Etats-Unis ou Raffles. SM Design est la seule entreprise française retenue par la prestigieuse organisation hôtelière LHW (The Leading Hotel of the World) comme l’une des meilleures sociétés d’architecture d’intérieur dans le domaine de l’hôtellerie haut de gamme. L’année dernière, l’agence a reçu le prix de la « Meilleure architecture intérieure d’hôtel en Europe » pour l’hôtel Sofitel Amsterdam The Grand et le Venuez Award « Restaurant design of the year » pour le restaurant Bridges, à Amsterdam.

Principaux projets en cours > j[b J^[ =hWdZ } 7cij[hZWc" FWoi#8Wi > j[b CWdZWh_d Eh_[djWb } FWh_i > j[b CWdZWh_d Eh_[djWb } =[d l[" Ik_ii[ > j[b A_d] 7bX[hj } J[b 7l_l" ?ihW b > j[b EbZ 9WjWhWYj } 7iiekWd" ;]ofj[ > j[b FWha >oWjj } CWhhWa[Y^" CWheY

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:[ ]WkY^[ } Zhe_j[ 0 > j[b IeÓj[b J^[ =hWdZ 7cij[hZWc" H[ijWkhWdj BW FWbc[ ZÊEh } 9Wdd[i$ Photos Glenn Aitken, Fabrice Rambert.

Contact www.smdesign.fr


ROLAND CASTRO 128

:: ARCHITECTURE ArtsOne volume 1

Par Xavier Renard :: Portrait Lionel Hannoun, photos cabinet Castro-Casi-Denissof

Roland Castro

LE CHANTRE DE L’UTOPIE CONCRÈTE

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ans leur agence de Ménilmontant, les inséparables associés Roland Castro, Silvia Casi et Sophie Denissof font régner une ambiance à la fois studieuse et bon enfant. Avec le Grand Paris, défi prestigieux pour les dix agences qui concourent à la transformation urbaine de la Ville lumière, l’équipe d’architectes qui gravite autour de ce trio est électrisée par l’enjeu. L’occasion est par trop belle ! Le cuir tanné, façon baroudeur, Roland Castro, 70 ans, a la mine faussement contrariée. A l’évocation du sujet, et des grandes lignes de son projet pour

une « égalité urbaine », son débit s’accélère, le ton devient passionné, l’œil se plisse avec une pointe de malice. Ce projet arrive à point nommé. Il pourrait ponctuer une riche carrière démarrée tambour battant dans les années 1960, au cours de laquelle il n’a eu de cesse de combattre l’absence de mixité sociale. Fondé sur « la poésie urbaine », son Grand Paris consiste à faire de la mégapole un inattendu « lieu de voyage ». « Prenez, le lac d’Enghien, c’est un ailleurs métropolitain », illustre l’architecte. Susciter de l’envie, rendre attrayants des lieux aux potentiels sous-exploités, trop méconnus ou mal-aimés. Ainsi, son projet

ambitionne, par exemple, de transformer le parc de la Courneuve en une sorte de Central Park. « La Courneuve peut devenir le poumon francilien comme Rungis peut être le ventre de Paris. Il existe plein de lieux fécondables, il faut les révéler », s’emballe-t-il. Castro utilise le patrimoine existant sans faire dans la nostalgie, ni dans le pathos. Mieux, il le transcende avec une vision futuriste délibérée pour mettre fin à « l’apartheid urbain ». L’île de Vitry, la radicalité dans la douceur C’est le cas à Vitry-sur-Seine où le trio d’architectes projette de créer une île sur la


ARCHITECTURE :: ArtsOne volume 1

ROLAND CASTRO 123

Avec Silvia Casi et Sophie Denissof, l’architecte veut bouger les frontières, déplacer les lieux de pouvoir vers la périphérie, redonner de l’intensité et de la beauté à la banlieue. Leur Grand Paris veut faire de la mégapole parisienne un « lieu de voyage » inattendu, et inventer de nouveaux centres. zone industrielle des Ardoines à hauteur de la centrale thermique d’EDF. Construite en 1968, cette dernière devrait être abandonnée par EDF – qui n’envisage pas de la mettre en conformité avec les normes européennes – à l’horizon 2015. Cette future friche industrielle est un terrain de jeux formidable pour une intervention urbanistique forte qui redonnera vie à ce quartier industriel voué à une mort lente. « Cette zone est isolée de la ville et des habitations par un canal. Il y a deux idées fortes dans la création de cette île : révéler les potentiels des bords de Seine et créer du lien », explique-t-il.

Pour Casi, Denissof et Castro, perpétuer une activité de production s’appuyant sur la présence de Sanofi-Aventis, pilier de ce bassin d’emplois, est un objectif en soi. A condition toutefois qu’il devienne un lieu de vie, rendu possible par la construction de tours postmodernes, de 30 mètres de haut – autant en largeur – qui comprendraient une centaine de logements chacune. Avec comme ligne directrice : la densité, la compacité dans la douceur. Sujette à la controverse, la question de la hauteur ne leur pose pas le moindre problème. D’une même voix, ils assument : construire des tours n’est pas incompatible avec la recherche

Légendes 1

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1 et 2 :: Vues d’artiste du projet du Grand Paris avec Vitry-sur-Seine, à gauche, et La Courneuve, à droite.

d’une harmonie : « C’est une façon de répondre à l’étalement urbain. On peut fragmenter avec des sous-ensembles comme des jardins dans les espaces communs. Ça devient presque une géographie arborescente », rapporte Sophie Denissof. Castro opine de la tête. « Le problème, c’est souvent le manque d’appropriation des logements sociaux. En général, on construit la même typologie d’habitations. Nous avons essayé d’éviter ça. » Grandes tours ou pas, son obsession est de réaliser des logements dignes. Dans une tribune qu’il signe en février 2009 dans Libération, Roland Castro défendait « le droit à l’urbanité (qui) est le fil conducteur >>>


ROLAND CASTRO 130

:: ARCHITECTURE ArtsOne volume 1

Légendes

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1 :: Habiter le ciel est un projet de tour d’habitation avec jardins à chaque étage. 3

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2 :: Vue d’artiste du futur campus de l’Eseo à Angers. 3 :: La Médiathèque à Bagnolet. 4 :: Vues du collège-lycée expérimental d’Hérouville, dans le Calvados.

>>> de notre projet. Il comprend bien sûr le droit au logement, mais signifie surtout être en mesure d’habiter dans un bâtiment digne, dans un quartier dont le discours muet procure le sentiment d’appartenir à une communauté, dans une ville dont tous les lieux procurent un intérêt et à l’échelle métropolitaine, dans un espace qui offre à chacun les conditions à la fois du chez-soi et de l’ailleurs. » Son projet vise à apporter un supplément d’âme aux banlieues. Aussi propose-t-il d’édifier en dehors de l’hypercentre des lieux symboliques bien identifiés, tel un Panthéon contemporain à Vitry, un « lieu des mémoires »

au mont Valérien où se côtoieront l’histoire de la Shoah, de l’esclavage ou celle des harkis. Un opéra émergeant dans le port de Gennevilliers, une « foire du monde multipolaire » à Gonesse, la transformation du canal de l’Ourcq en « canal des savoirs », le long duquel de grandes institutions, comme le Collège de France, seraient installées, ou encore un « Champ-deMars de la République métissée » à Chelles structurent son Grand Paris qui « commence à Stalingrad, au sein de la capitale, et s’arrête, aux villes nouvelles », lesquelles doivent « retrouver leur rayonnement originel extramétropolitain ». Castro n’est pas, pour autant, entré en guerre

contre le « centre » : « Il faut juste redéployer les moyens avec équité. Paris est l’une des métropoles les plus concentrées du monde. Ça ne l’a pas aidé à se développer. » Il faut inventer une centralité périphérique Récemment, l’architecte urbaniste rêvait même de déménager l’Elysée en banlieue. « Il faut inventer une centralité périphérique », proposait-il en 2006, à la veille de l’élection présidentielle pour laquelle il espérait prendre part avec le Mouvement de l’utopie concrète qu’il créa trois ans plus tôt. A l’époque, ce mouvement défendait « 89 propositions pour


ARCHITECTURE :: ArtsOne volume 1

restaurer le lien social », son leitmotiv. « En déménageant les ministères en banlieue, on libère 150 hectares dans Paris. On en garderait 50 pour créer 15 000 logements sociaux et on vendrait le reste pour 100 milliards d’euros. Cette somme paierait le grand tramway circulaire, la reconstruction des ministères, et permettrait de construire 30 000 HLM et 80 000 logements étudiants en périphérie. » Ainsi à Vitry, « qui s’est beaucoup bagarrée pour son musée d’art contemporain », c’est le ministère de la culture qui y aurait pris ses quartiers. Faute de parrainages, il renonce à se porter candidat. Déçu ? Sûrement. Usé ? Un

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soupçon de voussure ; pour autant l’architecte n’est pas prêt de ployer… Après avoir réalisé la Bourse du travail à Saint-Denis, des logements collectifs à Noisyle-Grand, la médiathèque, l’hôtel et des logements rue de Bagnolet à Paris, l’université de technologie de Belfort-Montbéliard ou la rénovation d’une partie des cités des Hauts-de-Seine, son expertise n’est plus à démontrer. L’homme n’a rien perdu de son aura médiatique. Et il sait s’en servir pour se faire entendre. Pour lui, pas question que Paris accentue son retard. En 2020, Paris sera la 23e ville la plus peuplée du monde, loin derrière

les deux premiers géants Tokyo ou Bombay qui compteront 37 et 26 millions d’habitants. « Ce projet doit remettre Paris en ordre de marche. Or j’ai le sentiment qu’on a pris les choses à l’envers. On a privilégié la question des transports. Pourtant, ce n’est pas la gare qui fabrique la ville mais bien le contraire », affirmet-il. On ne peut en douter, sa détermination et son engagement n’ont pas rendu les armes : d’ores et déjà le grand pari est relevé !

Contact www.castrodenissof.com


OLIVIER DASSAULT 132

:: PHOTO ArtsOne volume 1

Propos recueillis par Marie-Laure Desjardins :: Portrait Lionel Hannoun, photos OD-art.com

Olivier Dassault

L’IMAGE L’IMAGE TRANSCENDÉE L’IMAGE

TRANSCENDÉE TRANSCENDÉE Epris des jeux d’ombre et de lumière, amoureux des détails, le photographe cherche à révéler l’invisible esthétique du quotidien. Guetteur de l’éphémère, il saisit l’instant où escalier, gouttière ou simple branche se transforme en toile abstraite.

Les dates 1951 :: Naissance le 1er juin à Boulogne-Billancourt. 1974 :: Obtention du diplôme d’ingénieur de l’Ecole de l’air. 1975 :: Première exposition. 1977 :: Inscription à la Sacem.

L

e rectangle de l’appareil photographique est un rectangle d’or ». Olivier Dassault l’a découvert très tôt, lorsque, encore adolescent, il inscrit le Parthénon aux proportions réputées parfaites dans son viseur. La surimpression devenue sa marque, il place lumière et matière au cœur de son œuvre. Il s’attache à des détails infimes d’architecture ou de la nature, complice du soleil qui s’y amuse, et les métamorphose en tableaux abstraits. S’il évoque Mondrian, Nicolas de Staël, Klee, Miró ou Soulages c’est pour rappeler que « la photographie est un tableau réalisé en une fraction de seconde ». L’œil toujours aux aguets, le boîtier à portée de main, peu importe ce qui le sollicite, Olivier Dassault ne perd jamais une occasion de saisir l’image unique. Mais sa vision ne s’arrête pas toujours là, elle transcende les apparences. C’est alors qu’apparaissent les « pièces uniques » : des images parfois inversées ou multipliées, en diptyque, triptyque ou présentées seules, posées sur une plaque d’aluminium recouverte d’altuglasse et enfermées dans un caisson de bois façonné à la main. A chaque photo son écrin. Il ne s’agit pas là de recette mais de pousser encore l’interprétation, d’aller au-delà de l’image pour lui donner un corps. Recomposer la beauté du monde est la mission que l’artiste s’est donnée. Rencontre avec un photographe hyperactif.

1998 :: Elu pour la première fois député de l’Oise. 2005 :: Publication de son dixième livre Ciels. 2010 :: Une première réalisation d’une série de photos d’objets précieux en collaboration avec le galeriste et ami d’enfance Hervé Aaron.

Légendes ArtsOne : Pourquoi la photographie ? Olivier Dassault : Durant ma jeunesse, j’ai eu la chance d’être initié à l’art par ma mère. De mon grand-père et de mon père, j’ai hérité d’un goût prononcé pour toute forme de création. C’est d’ailleurs le second qui m’a offert, à un retour de voyage au Japon, mon premier appareil photo. Très tôt, de la contemplation j’ai ressenti le besoin de passer à l’action. La photographie s’est imposée. Je lui suis fidèle depuis l’adolescence. >>>

1 :: Origin.

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2 :: Olivier Dassault dans son studio à Paris.


PHOTO :: ArtsOne volume 1

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:: PHOTO ArtsOne volume 1

>>> L’art plus important que tout ? Rien n’est plus important que la famille mais chaque individu a besoin d’exister au-delà de sa « tribu » ! Viennent ensuite les amis, naturellement, puis le travail, cet engagement de chaque jour. Et l’art, présent à tout instant… « C’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre », affirmait Auguste Rodin. Vous souvenez-vous de vos premières images ? A quinze ans, j’ai réalisé un portrait de ma petite sœur en noir et blanc ; la candeur de ses 5 ans m’a valu de remporter mon premier prix de photo dans le magazine Top. Puis j’ai réalisé des portraits de jeunes filles dans les soirées de l’époque que j’allais ensuite proposer à leurs parents. Mon entourage était critique et admiratif à la fois. En 1975, j’ai publié mon premier livre de photographies « impressionnistes » que j’ai dédié à mon grand-père. Etonné par mes allégories visuelles, il m’a demandé de réaliser quelques couvertures pour Jour de France. J’ai donc eu la chance de photographier des politiques, des people, des stars montantes. Vous portez un nom connu. Les avantages l’emportent-ils sur les inconvénients ? Je vais vous raconter une anecdote. Ma toute première exposition a eu lieu à la Fnac contrairement au souhait de mon grand-père de louer la galerie Bernheim. En préférant ce lieu grand public, je me confrontais aussi au comité de sélection qui pouvait bloquer sur mon nom. Mon dossier a été retenu, ce fut ma première victoire contre les préjugés. Certes, dans le domaine de l’art, mon nom attire plus en tant que collectionneur qu’en tant qu’artiste, mais dans d’autres il y a de nombreux avantages à appartenir à une famille qui est un exemple de réussite et d’engagement. Vous êtes aussi ingénieur, pilote, homme politique, musicien. A ceux qui disent qu’il est impossible de faire autant de choses avec le même talent, qu’avez-vous envie de répondre ? Une seule règle pour mener plusieurs projets de front : consacrer à chacun d’entre eux le temps nécessaire et suffisant, et être bien entouré. Quant à ceux qui jugent ma démarche superficielle, je leur propose d’assister à une de mes prises de vues puis au visionnage des diapositives. Le résultat pourrait les surprendre. L’art est un partage, une communion où j’aime me risquer. J’expose autant que je m’expose. Robert Doisneau a dit « Quand on est prisonnier de l’image, cela vous donne toutes les audaces ». Y a-t-il un point commun entre photographier, piloter un avion et jouer de la musique ? Les mains sont le lien. Elles me guident dans toutes ces activités : souvent parallèles et à différentes hauteurs, elles maîtrisent les instruments — du piano à l’avion, où l’improvisation et la rigueur se rejoignent —, me permettent de me sentir aussi bien dans les airs que sur terre. Elles ouvrent à l’infini les dimensions de temps et d’espace. Appareil en main, que se passe-t-il ? J’agis spontanément et souvent de façon intuitive. Je garde l’esprit ouvert et l’œil attentif. Je suis curieux de tout : j’explore et je traduis mes émotions. Un sentiment de liberté me gagne, ma respiration s’intensifie, je m’envole : créer est un besoin vital. Je suis profondément touché par le mystère et la beauté du monde. Il se passe quelque chose que je ne peux expliquer, une sorte de magie qui me permet de sublimer la réalité. Vous photographiez comme d’autres peindraient. De l’impressionnisme au cubisme, du fauvisme au surréalisme, j’ai toujours entretenu un rapport particulier à la peinture. Certains grands peintres tels que Mondrian, Nicolas de Staël, Paul Klee, Miró, Kandinsky, David Hockney ou Soulages, plus récemment, ont eu un impact fort sur mon travail. Un photographe n’a-t-il pas la chance de vivre plusieurs vies de peintre ? Botticelli a une place à part ? Son génie a su révéler des lumières, des couleurs, des visages, des émotions d’une >>>

Légendes 1 :: A la croisée des ciels. 1 2 3 4

2 :: Monde parallèle. 5

3 :: Démenciel. 4 :: Ombres florales. 5 :: Sarabande.


PHOTO :: ArtsOne volume 1

:: Sarabande « Je me suis éloigné de la photographie d’origine pour créer une œuvre, un tableau unique. Je me souviens très bien de la prise de vue initiale. Je m’apprêtais à partir à la chasse quand mon œil a été attiré par un reflet de soleil sur le coude d’une gouttière. J’ai su tout de suite que j’allais en faire quelque chose. J’ai cadré pour utiliser l’arrondi et j’ai bloqué mon film pour obtenir la surimpression. Il n’y a aucun trucage. La photo a simplement été inversée et tirée à 24 exemplaires. Ensuite ces dernières ont été fixées sur de l’aluminium et enchâssées dans un cadre de bois pour réaliser la composition. Cette pièce illustre bien l’intemporalité de mes créations. »

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:: PHOTO ArtsOne volume 1

>>> grande splendeur empreints à la fois d’humanité, de spiritualité et de sensualité… Etonnant de la part d’un grand timide mélancolique, poète et romantique. Ses allégories ont bouleversé Florence et la peinture jusqu’à nos jours. Il était aussi très proche de Léonard de Vinci qui a découvert la transposition d’une image à travers une chambre obscure percée d’un petit trou ; ainsi la Camera obscura rendait possible la projection inversée d’un instant du réel : les premiers pas vers la photographie ! L’analogisme entre les allégories de Botticelli et certaines de mes créations pourrait se résumer dans la « révélation » au sens propre et figuré, de cet instant magique : une œuvre de l’esprit, une part de rêve, une transposition du réel. Quelles sont vos autres références ? La question est vaste. Je suis un coloriste et pourtant j’admire les photographies en noir et blanc : Ronis, Steichen, Doisneau et Brassaï qui m’ont marqué par leur humanisme et leur pictorialisme. J’aime aussi le rapport au corps chez Lucien Clergue, Sarah Moon, David Hamilton, Helmut Newton. Et puis tant d’autres, Bettina Rheims, Peter Beard, Olivier Follmi, Yann Arthus-Bertrand… En musique, mes goûts vont de Mozart à Gabriel Yared en passant par Beethoven, Rachmaninov, Satie… Darius Milhaud aussi, auquel je suis apparenté. La surimpression distingue votre œuvre. Pourquoi ? J’affectionne tout particulièrement la surimpression à la prise de vue qui me permet de capter plusieurs formes, apparences ou présences, et de les transcrire dans des interprétations contemporaines. Je peux être aussi réaliste, voire hyperréaliste. Je cherche toujours à dépasser le stade de la contemplation et à aller plus loin que le sujet ne pourrait l’imposer. J’aime créer des mutations entre la réalité et sa reproduction, et dévoiler, par mes choix d’angles et de cadrage, une nouvelle forme d’esthétisme. La beauté est une notion importante ? La beauté est dans toute chose, l’art aussi. La traduction de l’art est dans le regard qu’on lui porte et qu’il nous apporte. Pour moi, la création est une source d’énergie et de vitalité. La révéler l’est tout autant. Mon souhait est de transmettre ma vision recomposée de la beauté du monde et de ses richesses cachées. Je n’ai de cesse de capturer l’instant et de le cristalliser avec l’éternel souci de l’esthétisme. « La mission de l’art n’est point de copier la nature, mais de l’exprimer », nous dit Balzac. Comment passe-t-on de l’envie de photographier à la constitution d’une œuvre et à sa reconnaissance ? Il peut s’écouler des années avant qu’une photographie soit exposée, même si j’ai tendance à vouloir présenter mes dernières créations en priorité. Chaque exposition et chaque livre naissent de rencontres et d’ambitions partagées. Les projets se dessinent et se décident en équipe, notamment avec Chantal Dusserre-Bresson, la directrice artistique de mon studio. Quant à la reconnaissance, sa quête me paraît légitime si l’artiste souhaite évoluer. Elle peut tout aussi bien venir des pairs, des maîtres que des simples spectateurs. C’est souvent face au jugement et au regard des autres qu’on se révèle. Artiste et pilote, qu’avez-vous appris du ciel ? A l’assaut du ciel, on s’ouvre vers l’infini. Quand on vit une partie de son existence dans les airs, on a la chance de voir et de percevoir ce qui se passe sur terre différemment. « Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur », affirmait Henri Cartier-Bresson. Légendes 1 :: Edificis.

Contact Studio Olivier Dassault 8, avenue Montaigne 75008 Paris. www.od-art.com

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2 :: Stratégie. 3 :: Equinoxe - Dubaï.

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4 :: Jeu de Construction. 5 :: Falcon Parking.


PHOTO :: ArtsOne volume 1

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Entretien avec Raphaël Enthoven :: Photos Mathieu Baumer

Marine Delterme

LE TEMPS DU REGARD Elle admire Freud et Barceló. Les regards de ses sculptures hors du temps hypnotisent. Marine Delterme s’entretient dans son atelier parisien avec le philosophe Raphaël Enthoven.


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onnue comme actrice, Marine Delterme mène également une autre vie, celle de sculpteur. Aux côtés de ses parents restaurateurs de tableaux, elle développe très tôt une sensibilité particulière pour l’art. Et quand elle parle des artistes qui lui sont chers, elle évoque aussi bien Lucian Freud que Miquel Barceló ou Ray Caesar. Les visages hors du temps qui naissent de ses mains semblent remonter à des aubes aussi lointaines que celle qui a enfanté l’énigmatique Scribe accroupi de Saqqarah exposé au musée du Louvre. Comme irriguée d’antiques pratiques, Marine développe depuis quelques années une technique singulière : les têtes réalisées en toiles vierges sont recouvertes d’aplats de couleurs parfois mélangées avec des textures comme le sable ou la terre. Pour ArtsOne, le philosophe Raphaël Enthoven l’a incitée à révéler quelques « secrets ». Raphaël Enthoven : Paradoxalement ton travail, ici celui des visages, est soit antique soit classique. Et il est beau par ce qui t’échappe. A travers la sculpture L’Age d’homme tu as su construire un langage universel : c’est un homme qui n’existe pas et dont pourtant le visage est familier et, un peu comme un portrait, où que tu sois tu as l’impression que ses yeux te regardent. Alors comment travailles-tu ? Fermes-tu les yeux lorsque tu sculptes ? Marine Delterme : Sculpter ces visages n’est pas du tout un travail intellectuel, pour moi. C’est un travail de détours, d’accidents, d’incidents, de voyages… C’est un travail d’impensé et, souvent, c’est en trouvant

Légendes 1 :: Marine Delterme dans son atelier parisen. 1

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2 :: L’enfant de l’hiver (Collection privée). 3 :: Le mirage (Collection privée).

quelque chose, une forme, un regard, un mouvement, que je réalise ce que j’étais en train de chercher. J’aime particulièrement cette façon d’avancer dans le noir. D’une façon intime, je croise de vieux fantômes, des pensées anciennes, des inquiétudes enfouies, et j’essaie de faire quelque chose de ce tréfonds. La cohérence peut éventuellement apparaître, mais après. Je me méfie toujours un peu des discours antérieurs à la création. Des discours que la création vient ensuite illustrer. Il me semble que les œuvres d’art deviennent parfois de simples commentaires de leurs propres commentaires. Je trouve cela pauvre. R. E. : A quel moment intervient la considération d’autrui ? M. D. : Assez tardivement. Je crois que je n’ai pas vraiment besoin de cette considération. Je dis ça sans tricher : j’ai l’impression de jouer dans ce travail quelque chose d’autre, qui me libère de cette attente atroce. Ainsi, même le jour d’un vernissage, je n’ai pas peur. C’est un peu comme avec ses enfants : même s’ils sont imparfaits, parfois défaillants, on ne craint pas de les présenter ; l’amour qu’on leur porte est tel qu’on ne redoute pas le jugement d’autrui. De la même façon, je suis assez sûre de moi. R. E. : Je trouve que tu as du génie dans le sens où c’est la nature qui te donne ses règles. Avoir du génie, c’est être attentif aux règles que la nature nous donne ; c’est la nature qui donne ses règles à l’art. En effet, le génie c’est comme une espèce de courroie de transmission par laquelle la nature parvient à donner ses règles à l’art. Ainsi les règles ne sont jamais des >>>


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:: SCULPTURE ArtsOne volume 1

>>> normes et chaque artiste est comme une catastrophe géologique nouvelle de génie et il crée une norme qui doit en même temps être caduque à l’artiste d’après. M. D. : C’est exactement de cette façon que je le conçois. La nature est la plus belle et la plus grande source d’inspiration, et elle est bien au-dessus de ce que pourrait réaliser n’importe quel artiste ; et ce, parce qu’elle n’a pas d’intention et qu’elle est d’une technicité et d’une inventivité redoutables. L’artiste en est l’interprète et l’intermédiaire. Mais le moyen d’y parvenir, c’est parfois de justement détourner ces règles. Tous mes visages sortent de mes cauchemars. R. E. : Les sculptures L’Age d’homme et La nuit ont un regard incroyable. Or le regard n’a pas besoin des yeux, alors pourquoi les yeux ? Les yeux ne sonnent-ils pas comme l’artifice, le maquillage de la sculpture ? M. D. : Ma première expérience esthétique forte a été ma rencontre avec le scribe égyptien, au Louvre. J’étais une petite fille, mais j’ai été très impressionnée par ce regard qui a traversé les siècles. C’est un regard de sidération qui se pose sur nous, quel que soit l’endroit d’où on le contemple. Alors qu’on pensait qu’on était en train de le regarder, on découvre que c’est en réalité l’inverse : c’est lui qui nous dévisage et qui nous suit du regard. Cette inversion tenait pour moi du miracle, et c’est quelque chose de cet ordre que je recherche dans mon travail. Dans un premier temps, j’ai en effet introduit des prothèses oculaires. Je les fais faire par des ophtalmologues : on réalise l’iris ensemble. Il ne s’agit pas d’inventer des poupées mortes. Mais au contraire, par cet artifice inanimé, de retrouver quelque chose de vivant et qui vous regarde.

R. E. : En allant vers l’uniformité fais-tu la morale à ton époque ? M. D. : Je ne crois pas faire la morale, mais c’est un regard orienté. La première étape, pour moi, a donc été ce travail avec l’artifice du regard. Je crois continuer le même chemin aujourd’hui. Ma prochaine série traite de la féminité et des femmes qui ont recours à la chirurgie esthétique. Je cherche à représenter un monde qui se situerait entre l’état primitif des guenons et l’aspect posthumain des êtres entièrement refaits. Je suis une sorte de chirurgien esthétique qui retoucherait des guenons. Je suis aussi leur costumière, car je les habille de manière très sexy, je les maquille, je les coiffe. Mais ce n’est pas de la morale. Et encore moins de la satire. La satire, c’est l’art de celui qui prétend savoir. Ce n’est pas mon cas. Disons qu’il s’agit plutôt d’ironie. Et d’une vieille fascination pour les monstres. R. E. : As-tu une théorie du beau ? M. D. : Non. Le sculpteur qui m’a le plus impressionnée, je pense, c’est Rodin qui, en représentant justement des monstres, faisait une belle représentation d’une chose laide. J’ai longtemps travaillé dans la mode et, d’une certaine façon, cette première expérience a façonné mon regard. Je pense que mon goût pour l’artifice vient de là. Mais je remarque aussi que mes visages sont toujours des allers-retours entre différentes époques : des images contemporaines côtoient des formes primitives, ancestrales, caverneuses. Je suis une femme de Cro-Magnon ; je n’ai pas de théorie du beau, mais je pourrais dire ceci : pour moi, la beauté se présentera toujours comme une abolition de la chronologie. La beauté, c’est d’abord une révolte contre le temps.

Légendes 3 1

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1 :: Damien Claudel et Marine Delterme dans l’atelier parisien de l’artiste. 3

2 :: Le Miracle, têtes en bronze peint (Collection privée). 3 :: L’Age d’homme (Collection privée).

Contact www.marinedelterme.com


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:: SCULPTURE ArtsOne volume 1


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Par Samantha Deman :: Photos courtesy galerie Odile Ouizeman, Paris

Duvier Del Dago Fernandez

TISSERAND D’UN MONDE DIAPHANE Bâties au gré d’une succession de nœuds et points d’attache, ses installations toutes de fils tendues, dessinent de mystérieux hologrammes qui viennent matérialiser ses songes et ceux, inaccessibles, de ses compatriotes. A 35 ans, l’artiste est déjà l’un des fers de lance de l’art contemporain cubain, chez lui comme à l’étranger.

S

’inspirant du jeu pour enfants où un dessin voit peu à peu le jour au gré des lignes tracées pour relier des points chiffrés, Duvier Del Dago Fernandez tire ses fils, les noue d’un crochet à un autre, et tisse patiemment sa toile complexe et tridimensionnelle. Véritables matérialisations sculptées et diaphanes de son univers imaginaire et onirique, ses installations mettent en scène personnages et objets, sous une lumière noire, et tracent dans l’espace d’étranges hologrammes auxquels, souvent, il vient superposer des images vidéo. L’artiste cubain raconte ses rêves et « donne corps à (ses) propres désirs », livrant chaque fois une histoire « très personnelle et très universelle ». >>>

Légende

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1 :: La guerra de todo el pueblo (détail), série Teoria y Practica, 2007. Installation vidéo, fil, bois, chevilles, projection vidéo (2’15’’).


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Le fil est le matériau qui s’apparente le plus au monde des idées. Ça fait penser aux rêves, à ce que l’on ne peut pas décrire mais que l’on peut toucher.

Légendes

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1 :: Espectador, série Teoria y Pratica, 2006. Installation, fil, bois, chevilles, projection vidéo, 6 x 1,8 x 0,7 m. Photo courtesy galeria Servando, La Havane

2 :: La guerra de todo el pueblo, série Teoria y Practica, 2007. Fil, bois, chevilles, projection vidéo, 2 x 0,5 x 0,5 m.

>>> Né en 1976 à Zulueta, petite bourgade de la province cubaine de Santa Clara, première région sucrière du pays située au cœur de l’île, Duvier Del Dago grandit à la campagne. Lorsqu’il ne dispute pas une partie de football avec ses copains, il part à la pêche ou à la chasse avec son oncle, ou accompagne son père, ingénieur agronome et topographe, dans ses tournées professionnelles. « J’aimais partir avec lui, en charrette, et le voir effectuer des mesures sur les terrains qui entouraient la centrale sucrière de Chiquito Fabregat. » Un travail de précision dont il a sans aucun doute hérité à en juger la rigueur avec laquelle il trace, sur papier millimétré, l’esquisse de chacun de ses sujets et détermine les points névralgiques par lesquels passeront les fils directeurs, préalable indispensable à la

transposition de l’ensemble, à bien plus grande échelle, dans un espace en trois dimensions. Le dessin, élément fondateur D’aussi loin qu’il se souvienne, le dessin a toujours constitué son terrain de jeu et d’expression favori. « Tout petit déjà, je gagnais des concours et participais à n’importe quelle activité scolaire pour laquelle il fallait peindre ou dessiner. » Dès sa sortie du primaire, ses parents tentent de l’inscrire dans une école d’arts plastiques, mais ils s’y prennent trop tard, la date des examens d’entrée est passée. L’artiste en herbe poursuit donc une scolarité classique à Zulueta, sans renoncer à sa passion ; et il s’y adonne en toute occasion, en autodidacte, dans un petit atelier de la Maison de la culture locale. L’adolescent dessine pour


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ses camarades « des choses qu’ils aimaient, mais étaient inaccessibles : des femmes, des voitures, des bateaux, des robots, des logos de marques », il décore les murs de toutes les salles de classe. Une nouvelle opportunité s’offre à lui en fin de troisième : des tests d’entrée vont être organisés à l’école des Arts plastiques de Trinidad, dans la province voisine de Sancti Spiritus. Cette fois-ci, le jeune homme est dans les temps, il présente avec succès sa candidature. « Mes parents ont dû faire de gros efforts pour me permettre de faire ces études. D’autant plus que Trinidad était loin de chez moi et qu’il était particulièrement difficile de trouver de l’argent pendant la période spéciale (N.D.L.R. : instaurée par Fidel Castro entre 1990 et jusqu’à 1994, lorsque l’URSS suspend son aide financière au régime en même temps que les

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Etats-Unis durcissent l’embargo). » Conscient des sacrifices consentis et du soutien confiant de sa famille, Duvier Del Dago aura à cœur de ne pas décevoir les siens. Diplômé en 1995, il rejoint les rangs, à La Havane, du prestigieux ISA (Institut supérieur d’art). Le jeune artiste y affine ses recherches, sonde plus avant les liens unissant les différentes techniques du dessin à d’autres disciplines. « J’ai toujours aimé faire fi des frontières pouvant exister entre le dessin et la sculpture ou la peinture. Celui-ci a été entravé pendant des siècles, subordonné à ces deux formes d’art comme s’il ne pouvait exister sans elles, alors que ce n’est pas le cas. » Il est encore étudiant lorsqu’il participe, en 2000, à la 7e biennale de La Havane, dans le cadre d’un projet collectif initié par l’un de ses professeurs, >>>

Contact deldago@cubarte.cult.cu duvier@yahoo.es A visionner, l’interview de l’artiste sur le site www.havana-cultura.com Galerie Odile Ouizeman, 10-12, rue des Coutures, Saint-Gervais 75003 Paris Tél. : +33 1 42 71 91 89 www.galerieouizeman.com


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DUPP, un laboratoire anticonformiste Née d’une méthode d’enseignement atypique, la galerie DUPP (Desde Una Pedagogia Pragmatica, ndlr : à partir d’une pédagogie pragmatique) est un projet d’exposition collective destiné à faire sortir la création artistique de ses lieux communs de représentation que sont galeries et musées. La galerie n’a pas d’adresse fixe et ne vend pas d’œuvres d’art. Son initiateur, René Francisco Rodriguez, est artiste et professeur à l’Institut supérieur d’art de La Havane. C’est en 1989 qu’il commence à faire travailler ses élèves en groupes et à les emmener hors des salles de classe à la rencontre du « monde réel ». Encouragés à mener des recherches sur le terrain, les étudiants explorent les liens entre l’art et la vie de tous les jours. La galerie DUPP participe à la reconnaissance nationale et internationale de plusieurs jeunes talents cubains. Parmi eux, Duvier Del Dago qui rejoint le groupe dès 1998, jusqu’à sa sortie de l’ISA en 2001. C’est dans ce cadre qu’il participe en 2000 à la 7e biennale de La Havane et remporte le Prix pour la promotion des arts de l’Unesco.

Les dates 25 mai 1976 :: Naissance à Zulueta, Cuba. 1997 :: Premières expositions personnelles et collectives à Cuba. 2000 :: Reçoit, avec le collectif DUPP et à l’occasion de la 7e biennale de La Havane, le Prix pour la promotion des arts de l’Unesco. 2006 :: Naissance de sa fille Salomé. 2009 :: Participation à l’exposition Latitudes, à Paris.

>>> René Francisco Rodriguez. L’occasion de faire une entrée remarquée sur la scène internationale de l’art contemporain. Le fil vient relayer le trait Duvier Del Dago termine son cursus un an plus tard et travaille quelque temps en duo avec l’un de ses condisciples, Omar Moreno, avant de s’installer, seul, dans un petit studio niché au cœur de la vieille ville de la capitale, qu’il « adore ». C’est là que mûrit l’idée de transmuer ses dessins en installations, de laisser le fil venir relayer le trait. La première d’entre elles naît en 2004, elle évoque une voiture de sport et préfigure la série Castillos en el aire (Châteaux en Espagne), illustrant toute la frustration et l’impuissance induites par l’absence d’une chose – qu’il s’agisse d’un objet ou d’un état d’esprit – ardemment espérée. Le désir, l’utopie sont deux thèmes qui n’ont jamais cessé de nourrir sa réflexion artistique. Le plasticien affectionne le fil de coton pour son esthétisme et son caractère éphémère. C’est aussi « la matière qui s’apparente le plus au monde des idées. Ça fait penser aux rêves, à ce que l’on ne peut pas décrire mais que l’on peut toucher, cela a un côté irréel. »

Sa démarche séduit, le jeune homme expose bientôt au Mexique, aux Etats-Unis, en Europe. Lors de l’été 2009, il invitait la mer au cœur de la forêt québécoise, à l’occasion du 10e Symposium d’art international in situ organisé par la Fondation Deroin à Val-David, au nord de Montréal, avant de s’envoler pour Paris et séjourner en résidence à la Cité internationale des arts, puis de participer, à l’automne, à l’exposition Latitudes 2009 organisée par la ville. S’il s’estime privilégié d’avoir pu ainsi voyager et « approfondir (son) travail, découvrir de nouveaux matériaux et rencontrer une diversité de lectures que l’on n’a parfois pas à La Havane», Duvier Del Dago ne semble pas pour autant vouloir suivre l’exemple de ses aînés, qui ont émigré en masse à l’aube des années 1990. « La question n’est pas de savoir s’il est difficile ou pas de vivre à Cuba, explique-t-il, je pense qu’un artiste est lié à ses propres particularités et qu’il sera toujours originaire de son pays, même s’il vit ailleurs. » Des particularités qu’il cultive et partage, notamment avec ses étudiants de l’ISA, où il enseigne, cela va de soi, le dessin, « représentation la plus proche de l’idée première de ce qui est, selon lui, une véritable œuvre d’art, une œuvre pure et sans artifices. »


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Légendes

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1 :: Materialista Objectivo (voiture), installation, fil, bois, chevilles, néons, 11 x 2,4 x 1,5 m, présentée lors de 9e biennale de La Havane en 2004 et pendant l’exposition Latido, en Norvège, en 2006. 2 :: Dialectica, série Castillos en el aire, 2009. Installation, fils, bois, chevilles et néons. Photo courtesy Paris Latitudes 2009

3 :: Dialectica, série Castillos en el aire, 2009. Installation, fils, bois, chevilles et néons. Photo courtesy Paris Latitudes 2009

4 :: Caja Negra (Boîte noire), série Castillos en el aire, 2009. Installation, fils, bois, chevilles et néons, 4 x 10 x 13 m.


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Par Romuald de Richemont :: Portrait Frédéric Filloux, photos Thibault de Puyfontaine

Romain de Souza

La souffrance en majesté Il sculpte des mains, des pieds, des bustes et s’arrête en chemin. A chacun de poursuivre les jetés, les pas de deux suspendus : le temps pour le sculpteur de s’immiscer au cœur du ballet, et la pesanteur s’envole à la flamme de son chalumeau, le laiton rend grâce aux formes en souffrance, s’épure, le corps crucifié exulte, il crie victoire : le feu a eu raison de la matière.

a ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! », lance pardessus le comptoir, le patron qui imite Audiard. — « Entre confrères ! T’as peut-être tout de l’artiste, l’ami, mais pas les mains… », répond le sculpteur pince-sans-rire, les mains vert-de-gris posées sur son chandail marin. Les petites phrases fusent de bon matin dans ce bistrot de Villejuif où tout le monde se connaît. A vingt-huit ans, Romain de Souza, accoudé au zinc, ressemble à un autoportrait d’Egon Schiele : silhouette élancée, maigreur et profil cabossé.

Réflexe de métallurgiste ? Ses longs doigts cisaillent les volutes d’un café brûlant. A une rue de là, il a installé son atelier dans un hangar d’artisans. Près de l’établi, entre bombonnes de gaz et capharnaüm, trône L’Homme chaise, la création fétiche qui lui a permis en 2005 de sortir couronné de la vénérable école Boule. « C’est grâce à elle que tout a commencé », ditil en se laissant choir à l’intérieur de l’ouvrage brasé à la baguette de cuivre, métal auquel il est resté fidèle. Les paupières mi-closes, l’artiste se remémore « ces derniers mois de folie ». Jusqu’aux premiers jours de septembre, sous la flamme du

chalumeau, ses angoisses de veille d’exposition se sont consumées en d’ultimes pièces, « des petits modèles pour les moins fortunés ». L’urgence passée, le brouhaha de l’entrepôt a fait place au bourdonnement du vernissage tant attendu. Dans le XIe arrondissement, le jeune aristocrate, dont la famille abandonna jadis les terres du Sud, a retrouvé le Paris populaire de son enfance avec cette exposition où il montrait, pour la première fois, son travail personnel de sculpteur. « Je souhaite que mes sculptures transpercent, mais de l’intérieur vers l’extérieur, pour toucher le cœur du spectateur. » >>>

Légendes 1 :: Glissement, 2009. Méplat de laiton cuivré, poli.

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2 :: Palpitation, 2009. Méplat de laiton cuivré, poli. 3 :: Croisement, 2008. Laiton cuivré, poli.

4 :: Marionnettiste, 2007. Tiges carrées de laiton poli.


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:: SCULPTURE ArtsOne volume 1

Légendes

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1 :: Chaussons, 2006. Tiges de laiton patinées vert-de-gris. 2 :: Touché de la Trinité, 2008. Méplat de laiton, brasure à l’argent, nickelage. 3 :: Conversation fraternelle, 2008. Fil de cuivre, patine ferronnerie, acier rouillé. 4 :: Romain de Souza dans son atelier.


SCULPTURE :: ArtsOne volume 1

ROMAIN DE SOUZA 151

Le corps tombe sous le sens. Voilà pourquoi je considère mes sculptures comme des personnes. C’est comme si, à chaque fois, j’assistais à une naissance.

>>> Prière exhaucée, aucune d’entre elles n’a raté sa cible. Sous la verrière de l’espace Kiron, pendant sept jours, majestueuses, ses vingt-huit pièces de cuivre, de laiton et de fer ont fait vibrer de plaisir le public par leurs traits enflammés, telles les flèches de saint Sébastien. Donner de la beauté à ce que l’on cache « Pour financer mes études, j’étais ouvreur à l’Opéra de Paris, c’est là que j’ai découvert comment les danseurs, une fois sur scène, transmuent la technique en art, les corps contraints en lignes épurées. » Illustration de « cet éphémère mouvement de lâcher prise où les âmes s’élèvent », Glissement, la sculpture annonçant l’exposition, symbolise l’apesanteur extatique de l’instant où les pointes du danseur effleurent le sol. Elan céleste que l’on retrouve dans le pied sculpté de Nicolas Le Riche, qui surplombait toutes les autres pièces, baptisé Merci en hommage au danseur étoile. Des pieds, Romain de Souza est remonté aux mains, au cœur qui leur donne sens, aux entrailles qui les nourrissent sans oublier les visages qui en scrutent les failles : « J’ai voulu donner de la beauté à ce que l’on cache. » Remisée la jolie veste en cachemire à col Mao, de retour dans ses vêtements de chauffe, il dresse le bilan : « Je suis arrivé aux torses et aux viscères dans la précipitation. J’ai le sentiment de n’avoir qu’ébauché mon travail. » Libérer le fruit de ses entrailles pour Romain de Souza, c’est transfigurer ce qui l’a foudroyé. Lorsque son univers bascule avec la disparition de son père, il a treize ans. La perte d’un repère à l’âge où l’on se cherche, aurait pu le plonger dans un abîme de douleur. Heureusement, à quinze ans, la providence lui a tendu la main : la rencontre avec le sculpteur dinandier Gilles Candelier a changé le cours de sa vie. « Quand je suis arrivé dans son atelier, il brasait du cuivre. J’ai senti l’odeur et j’ai dit stop : je veux faire ça. » Sans attendre, il achète un petit chalumeau à Butagaz et file dans sa chambre explorer sa passion toute neuve. En pleine adolescence, les maîtres Hundertwasser, Kiefer, Picasso, Warhol et Music, ce « témoin de l’enfer qui saisit l’essence primitive des corps », deviennent ses intimes grâce à

une grand-tante du Closel, collectionneuse et mécène de Beaubourg, dont il arrange les cimaises. « Pendant mon exposition L’Afrique aux camps, dans laquelle j’associais en peinture, masques africains et portraits rachitiques que m’inspirait l’artiste slovène rescapé de la mort, on m’a beaucoup répété : “ Tu es très mûr pour ton âge ” », se souvient le sculpteur déjà branché à vingt ans sur son propre courant. « L’art est une blessure qui devient lumière » : Romain de Souza, qui vit avec cette maxime de Georges Braque, l’éclaire d’un jour nouveau en découvrant l’œuvre de Nicolas de Staël : « C’est la première révélation que j’ai eue en tant qu’artiste, avec des mots très simples, il disait exactement ce que je ressentais. » Mes sculptures sont comme des personnes En si belles compagnies, Romain de Souza n’en fuit pas pour autant le monde. Avec le soutien de sa mère, il décroche son bac : 20 en art, cœfficient 6. Dans les ateliers d’artisans, il peaufine sa technique. La connaissance parfaite du métal serait-elle la voie de la perfection ? « Non, plutôt celle de la justesse. Au jeu de la maîtrise, ce sont les hasards bénis qui glanent

les éternités d’art et d’âme. » Sur la piste des trouvailles, il réalise des croquis en volume où chaque section carrée de cuivre représente un trait à la pointe Bic. Mais dans l’attente de la consécration, il faut bien déjeuner chaque jour. Et Romain de Souza ne badine pas avec son indépendance. Etabli à son compte, il panse les blessures du temps en restaurant les bronzes de Versailles et du musée JacquemartAndré, ainsi que les socles du musée Cernuschi. Funambule des genres, il perce les arcanes de l’ultracontemporanéité dans les plissés déhanchés du couturier japonais Issey Miyake. Sa belle gueule de consultant artistique peut séduire, il ne se grise pas de paillettes. Il préfère saisir l’harmonie dans laquelle les corps contraints s’élèvent : danseur aux pieds déformés par la conquête de la perfection ; mains épuisées à se chercher qui se tendent au ciel ; visages profilés dans le vide de l’absence ; entrailles vrillées comme la chute d’un oiseau blessé. Sa raison de créer s’incarne dans la souffrance que la beauté métamorphose. « Le corps tombe sous le sens. Voilà pourquoi je considère mes sculptures comme des personnes. C’est comme si, à chaque fois, j’assistais à une naissance. » A Saint Malo, il y a quelques mois, devant le rocher du Grand Bé où Chateaubriand repose face à l’Océan, le sculpteur s’était rappelé cette pensée du poète des Mémoires d’outre-tombe : « La vie sans les maux qui la rendent grave, est un hochet d’enfant. » En tout cas, l’idée folle lui est venue de ceindre de ses sculptures, les bois de mer dressés sur la digue comme autant de brise-lames. Si ce projet aboutissait, l’artiste sentirait de nouveau les embruns qui fouettaient les joues de son enfance lorsqu’il tenait la main de son père. Plus d’un demi-siècle après Le pèsenerfs d’Antonin Artaud, verra-t-on émerger Les brise-l’âme de Romain de Souza ? Vent arrière dans les voiles des muses, la mémoire de ses chers disparus en appelle à lui. A célébrer la vie !

Contact www.romaindesouza.com


GIANBATTISTA BRESCIANI 152

:: DE PAGE EN IMAGE ArtsOne volume 1

Par Florent Founès :: Photos Lionel Hannoun

Gianbattista Bresciani

Une peinture que traverse le silence du vent Au cœur de la peinture, à la pointe du pinceau, s’épure la nature vers l’intangible, l’invisible. Le peintre ne s’attarde pas au visible mais oiseleur de la transparence et de la lumière, capte ces forces impalpables qui sourdent de la terre. Et lorsque le Verbe incertain ne lui livre plus que brume, il écarte alors les lueurs d’aube tremblées et s’enfonce vers ce mystère sensuel d’une nature en fusion en veine de son chant intime.

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Légendes

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1 :: Dans Cortège abyssal, chacun des textes de Joanne Lanouette trouve résonance dans une encre de Gianbattista Bresciani (2).

a voix est ample, profonde, forgée au tranchant des roches volcaniques, trempée au silence des flancs escarpés. Elle ne vibre ni de la fougue d’un prédicateur ni des foudres d’un tribun ; c’est plutôt celle d’un homme qui connaît la patience des mots, leur lumière et la subtile exigence qui les relie. L’œil de l’artiste tente de capter l’invisible, de restituer la quête éperdue de l’image, celle qui défie l’équilibre entre hasard et austérité du trait. Une quête jamais défaite mais indéfiniment recommencée.

Morandi, « le calme, la rigueur, l’équilibre des couleurs » et Vincent Van Gogh « la force, la puissance, l’énergie ». Ils resteront ses modèles sinon ses maîtres. Plus tard, d’autres compagnons de route viendront accompagner sa quête initiatique : Bram van Velde et ses fulgurances et Braque, l’aristocratique. « J’ai commencé à peindre très tôt ; à 5-6 ans, j’effectuais des collages de papiers colorés que je découpais et que j’assemblais. » Vertes années où il ignore encore le doute ! Et déjà Paris en rêve. Gamin, il passe des journées entières en montagne en

Gianbattista Bresciani porte en lui cette rigueur quasi janséniste qui l’a tenu éloigné des sentiers battus, et a préservé sa liberté. Une voie étroite empruntée très jeune et qui plonge ses racines dans une province tranquille de Lombardie, à Bergame, où ses premiers éveils d’artiste, avant même de savoir dessiner, sont pour Giorgio

compagnie de son père. « On regardait le ciel, on regardait le vide et le plein : tout était là. » Des sensations vives nourries de la solitude échangée sans le bruit des mots et qui restent à jamais présentes. Il découvre « le vide du lac », ce « vide plein » dans lequel se reflètent les sommets et leurs fines aiguilles de lave gris perle, d’où jaillissent, >>>


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J’aurais voulu me sentir âpre, essentiel, comme les galets que tu roules, mangés par l’eau saumâtre : éclat hors du temps, témoin d’une volonté froide qui ne passe. Extrait d’Os de seiche d’Eugenio Montale, Poésie du monde entier, éditions Gallimard.

:: DE PAGE EN IMAGE ArtsOne volume 1


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Souffle furieux du siroco qui brûle le terrain calciné, vert-jaune ; et là, au ciel peuplé de lueurs blêmes passe quelque flocon de nuage, et s’égare. Extrait d’Os de seiche d’Eugenio Montale, Poésie du monde entier, éditions Gallimard.

:: Sans titre, diptyque, technique mixte sur toile. 2 x (195 x 130 cm). Photo Pierre Guerlain


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:: DE PAGE EN IMAGE ArtsOne volume 1

Les dates 1949 : Naissance à Bergame, en Italie. 1973 : Première exposition personnelle à la Galerie 38, à Bergame. 1996 : Rencontre avec le peintre Mechtilt. 2002 : Découverte de l’œuvre d’Erri De Luca avec Opera sull’acqua e altre poesie (Œuvre sur l’eau et autres poésies). 2003 : Lagodualitá, œuvres éphémères réalisées avec des cailloux du lac Sebino. 2004 : A l’intérieur de l’extérieur, parcours sensoriel, pictural et musical avec le musicien de jazz Bruno Wilhelm. 2005 : In Situomaggio, exposition en solo à l’Espace Saint-Louis, Bar-le-Duc, en hommage aux bâtisseurs de cathédrales.

Légendes

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1 :: Sans titre, technique mixte, 65 x 54 cm. 1 :: Sans titre, technique mixte, 146 x 114 cm.

Contact Gianbattista Bresciani 7, allée des Arts 92430 Cachan Tél. : 01 47 40 96 44 ou 06 60 82 32 96 www.gianbattista-bresciani.com

>>> sublimes de beauté dans le frisson des brumes matinales, des roches à lames verticales, et où plus tard s’inscrira sa peinture. Car l’art, pour cet enfant de la nature, commence ici, au milieu des roches volcaniques et métamorphiques qui rivalisent d’élégance au jeu de savantes calligraphies, et dans la transparence de l’air quand l’accompagne « le silence du vent ». Il a 12 ans lorsque son père meurt. Il lui avait inculqué ce précepte : « Travaille et laisse faire les choses. » Plus tard, lorsqu’il exprimera son désir de s’inscrire aux Beaux-arts, sa mère, après l’avoir accompagné, lui dira : « Ecoute, je ne peux pas te payer cette école, c’est trop cher. » Il décide alors de suivre les cours du soir. Mais entre natures mortes, paysages ou portraits, il aura vite épuisé l’académisme de cet enseignement. Il n’est pas non plus d’une pâte qu’on modèle à son aise, et lorsque le professeur le tancera d’un : « Comment se fait-il que tu fasses des choses différentes des autres ? », la page est déjà tournée. L’artiste en derviche Vient alors le temps de l’émancipation. Gianbattista

lui a appris qu’on doit d’abord semer avant de récolter. Formes, matière, couleur viennent de la terre, sans césure. Peu lui importe d’appartenir à une galerie ou de dépendre d’un marchand ; il estime que sa peinture n’a vraiment acquis une maturité que depuis une dizaine d’années. Autant dire que si le doute subsiste, il en tire une force nourrie d’humilité : « Peintre ou écrivain, rien n’est définitif, il faut toujours recommencer, s’efforcer d’aller plus loin, creuser… On s’imagine que le travail est facile, mais quand on s’aventure au loin, quand on pousse les feux, on se fragilise aussi… Bram van Velde laissait s’écouler deux ou trois heures avant de s’attaquer à la toile. » Entre ombre et lumière, ce cheminement en manière de détachement, de renoncement aussi, peut-être, témoigne d’une ferveur insolente qui tels les champs bleus et les cités rouges de Paolo Uccello, n’a cure du réalisme : l’espace n’est-il pas tissé de lignes de fuite et sa géométrie parfaite qui semble obstinément vouloir échapper à l’émotion, ne voile-t-elle pas l’autre paysage, celui du dedans, sorte de « mont analogue » à conquérir ? La lumière transcende la masse brune, comme inerte, de la terre, la silhouette

Bresciani débarque à Paris, en terre inconnue, sans amis. Les premières années, il vit tant bien que mal des petits tableaux plus ou moins figuratifs qu’un comparse lui vend à Montmartre. Puis il met son talent et ses qualités d’écoute au service d’enfants sourds-muets. Sa recherche solitaire, il l’assume, la laisse mûrir ; son atavisme paysan

d’un arbre s’élance et le ciel se prend à danser. L’artiste s’est fait derviche et ses paumes s’adressent en muette prière, entre le haut, et le bas. « Quand on frôle de tels espaces, semble lui dédicacer Philippe Jaccottet, il ne faut pas prétendre à les connaître ; il faut s’accorder à leurs ondes. »


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GIANBATTISTA BRESCIANI 157

:: Joanne Lanouette

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’écrivain, comme le poète, donne la parole aux mots, et cela m’enchante. Joanne fait partie des poètes que j’admire : Cesare Pavese, Emily Dickinson, Federico García Lorca ou Fernando Pessoa. » Cet hommage du plasticien Gianbattista Bresciani au poète québécois Joanne Lanouette (notre photo) est aussi l’histoire d’une rencontre et d’un dialogue pardelà la distance. « Ma poésie est ma parole ; peut-être l’unique lieu de ma parole. Le lieu où celle-ci se libère », déclare la jeune femme dont le maître, celui qui l’a menée à la poésie, est le philosophe Martin Heidegger. Et le peintre de lui faire écho : « Ses poèmes ont déclenché une envie forte de les accompagner sur le chemin

précieux de l’échange partagé. Cet échange est peutêtre lié au fait que je suis très proche des écrits de Julien Gracq, Philippe Jaccottet, Charles Juliet, Erri De Luca, Mario Luzi.., et que la rencontre de l’autre a toujours nourri ma peinture. » Cette osmose entre la poésie de Joanne Lanouette – « l’inconscient de tous les arbres », ce « cœur dans un rectangle gris » – enchante les neuf encres du livre coffret du peintre, fait sourdre les veines du minéral, et du végétal illumine « un mur de pierre qui culbute/et se met à fleurir en une gerbe rouge/qui vire au noir… ». Lente maturation des mots, attente de la main en suspens, en partance, chacun sculpte, au fond de soi, ce qui demeure inexprimé.

Photo DR

Cortège Abyssal ou « la poésie comme chemin de vie »


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:: MÉCÉNAT ArtsOne volume 1

Par Anne-Laure Seibt :: Monumenta 2010 – Photo Didier Plowy – Tous droits réservés ministère de la Culture et de la Communication

La banque Neuflize OBC

LE MÉCÉNAT C’EST UNE HISTOIRE DE PASSION, D’ENVIE DE VALORISER ET DE PARTAGER


MÉCÉNAT :: ArtsOne volume 1

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ArtsOne : La banque privée Neuflize OBC a intégré le mécénat dans sa stratégie. Sur quels domaines concentrezvous vos actions ? Carole Tournay : – Nous avons choisi de devenir mécène dans les arts visuels, principalement le cinéma et les arts plastiques ainsi que la photographie à travers notre filiale Neuflize Vie. Dans ces domaines, nos actions s’articulent autour de deux grands axes : la valorisation du patrimoine et le soutien à la création contemporaine. Cet engagement n’est pas nouveau et a d’ailleurs été consacré par le ministère de la Culture et de la Communication. La banque et sa filiale Neuflize Vie ont reçu la distinction de « Grand mécène » en juin 2009.

La banque Neuflize OBC est très active dans le mécénat culturel. L’institution financière noue des partenariats avec des institutions, accompagne des expositions, des festivals et des forums sur tout le territoire. Carole Tournay, responsable Mécénat et Evénements chez Neuflize OBC nous détaille les actions menées par la banque.

Comment une banque devient-elle un Grand mécène ? Très logiquement. Nos actions de mécénat sont le fruit d’une réflexion sur notre histoire, nos valeurs, nos clients et notre métier. La banque que l’on connaît aujourd’hui est née du mariage entre deux institutions financières historiques, Neuflize Schlumberger Mallet Demachy et Odier Bungener Courvoisier (OBC). Toutes deux étaient déjà impliquées dans le monde de l’art. A titre d’exemple, Edouard André, descendant de la banque Neuflize, a constitué avec son épouse, une jeune fille Jacquemart, une des plus grandes collections privées d’œuvres d’art du XVIIIe siècle et de la Renaissance. Robert Demachy a quant à lui dirigé le Photo-Club de Paris et La Revue photographique. Par ailleurs, valoriser la création contemporaine et le patrimoine est totalement en ligne avec notre cœur de métier. En tant que banquier, nous préservons, valorisons et transmettons un patrimoine hérité, tout en construisant le patrimoine de demain. Or la création contemporaine constitue justement ce patrimoine futur. Comment s’opère la sélection des projets ? Conformément à nos valeurs, nous souhaitons nous engager dans la durée. Nous privilégions donc des actions pérennes. Nous sommes par exemple le mécène historique de l’opération La Nuit des musées et, depuis 2007, l’un des principaux mécènes de l’exposition Monumenta. Les attentes et les affinités de nos clients guident également nos choix. Enfin, nous prenons aussi en compte notre implantation géographique sur le territoire national.

Vous évoquez votre engagement dans la durée, la crise mondiale vous a-t-elle contrainte malgré tout à revoir votre stratégie ? A aucun moment nous n’avons remis en cause notre politique de mécénat. Sur certaines manifestations, nous sommes présents depuis dix ans et il serait vraiment dommage de rompre de tels liens, et ce, quel que soit l’environnement économique. Quels bénéfices retirez-vous de cette stratégie de mécénat ? Le bénéfice est surtout un bénéfice à long terme qui permet d’enraciner et d’inscrire notre nom dans l’histoire. Comment ces investissements sont-ils perçus en interne ? Le mécénat a aussi des effets bénéfiques en interne puisque ces engagements sont source de fierté et de cohésion. Nos équipes bénéficient d’invitations et de visites guidées pour l’ensemble des manifestations que nous soutenons. Un journal interne les informe par ailleurs de nos actions. Et vos clients, comment les informez-vous ? Ils reçoivent régulièrement une lettre d’information. Nous leur organisons aussi des événements spécifiques. Par exemple, à l’occasion de l’exposition Monumenta 2010, outre la visite privée de l’exposition avec des médiateurs, nous avons convié une cinquantaine d’entre eux à participer à un déjeuner en présence de Christian Boltanski, Catherine Grenier, la commissaire de l’exposition et Anne-Marie Charbonneaux, présidente du Cnap. Cela permet d’échanger sur le travail de l’artiste dans un cadre convivial et privilégié. Nous essayons au maximum de favoriser les rencontres avec les différents acteurs de la manifestation. Si vous deviez donner un conseil à une entreprise qui souhaite se lancer dans le mécénat ? Le mécénat c’est une histoire de passion, d’envie de valoriser et de partager. Il est important de voir cela comme un partenariat qui permet à chacun de s’enrichir. Donc, encore une fois, privilégier plutôt les relations pérennes dans des domaines que l’on juge porteurs pour la création. Légendes 2 1

1 :: Personn(e)s, Christian Boltanski, Monumenta 2010. 2 :: Carole Tournay, responsable Mécénat et Evénements.


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:: MÉCÉNAT ArtsOne volume 1

ÊTRE AU CŒUR DE LA CRÉATION CONTEMPORAINE ET FAIRE RAYONNER LES ARTISTES

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a banque Neuflize OBC est partenaire de Monumenta depuis sa première édition. Chaque année, pour ce rendezvous dédié à l’art contemporain, un artiste de rang international est invité à investir la nef du Grand Palais pour y produire in situ des œuvres monumentales. Après Anselm Kiefer, Richard Serra et Christian Boltanski, c’est Anish Kappor qui relève ce défi en 2011 . Neuflize OBC soutient également en 2011 la Bibliothèque nationale de France site François Mitterrand pour l’exposition événement Richard Prince : American Prayer, la première rétrospective de grande envergure consacrée en France à cet artiste plasticien et photographe majeur de la scène artistique américaine. Depuis cette année, Neuflize OBC donne son nom au Pavillon, laboratoire de création du Palais de

Tokyo, une résidence d’artistes créée en 2001 par Ange Leccia qui la dirige depuis son ouverture. La banque s’est également associée à la triennale d’art contemporain dédiée à la scène française, la Force de l’Art. Pour la deuxième édition qui s’est tenue en 2009, elle a contribué à la production de trois œuvres. Son engagement pour la création s’illustre encore par son soutien au Prix de dessin contemporain décerné par la Fondation Daniel et Florence Guerlain. Neuflize 0BC est aussi partenaire de la Fiac (Foire internationale d’art contemporain de Paris) depuis 2005. Sa filiale d’assurance vie a constitué une collection très réputée et représentative de la création d’images contemporaines, aussi bien photos que vidéos. De plus, Neuflize Vie est le partenaire privilégié depuis de nombreuses années du Jeu de Paume et de la Maison européenne de la photographie.

Fidèle à sa maison mère néerlandaise ABN AMRO, Neuflize OBC soutient l’institut néerlandais au travers d’expositions comme De Geer van Velde à Rineke Dijkstra. Un panorama de l’art néerlandais dans les collections des Frac en 2010 ou Luuk Wilmering. Histoires naturelles en septembre 2011. L’artiste français Julien Prévieux a aussi bénéficié de l’aide de la banque pour son installation présentée à la biennale de Rennes l’an passé. Cette manifestation unique en Europe traite de la relation entre l’art et l’économie. Enfin, régulièrement, une exposition autour d’une collection privée est organisée dans les locaux de la banque. En octobre dernier, une partie de l’ensemble composé par un collectionneur français autour de l’art contemporain chinois a été dévoilée aux clients de la banque et à quelques « happy few ».


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Légendes 1 :: Portrait d’Anish Kapoor par Johnnie Shand-Kydd, 2003. 5 1 2

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2 :: Affiche de l’expostion Monumenta 2011. 3 :: Richard Prince. Photo Antoine Jarrier.

4 :: Affiche de l’exposition Richard Prince : American Prayer à la BnF, jusqu’au 26 juin 2011.

5 :: Equation, Catharina van Eetvelde, 2009. Aquarelle, acrylique et crayon sur papier, 178 x 140 cm. Prix du dessin Daniel et Florence Guerlain 2010. Photo Catharina van Eetvelde

6 :: Odessa, Ukraine, 10 août 1993, Rineke Dijkstra (1959, Sittard, Pays-Bas), photographie couleur, 154 x 130 cm. Photo Rineke Dijkstra, collection Frac des Pays de la Loire

7 :: Mexico City, Bernard Plossu, 1996. Epreuve aux sels d’argent. Photo Bernard Plossu, collection Neuflize Vie


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:: MÉCÉNAT ArtsOne volume 1

VALORISER LE PATRIMOINE

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oucieuse de valoriser le patrimoine hérité, la banque Neuflize OBC accompagne des opérations visant à faire perdurer l’œuvre de nombreux artistes. Elles peuvent être ponctuelles, comme le partenariat avec la Fondation Maeght pour l’exposition consacrée au sculpteur Giacometti, en octobre 2010. Ou bien se traduire par le financement d’un catalogue. Pour le travail de Marcel Gromaire, la banque a ainsi contribué au financement du catalogue publié à l’occasion de l’exposition L’érotisme de Marcel Gromaire : nus en quête d’idéal (1920-1960), qui s’est tenue au musée des Années 30 à Boulogne-Billancourt de novembre 2010 à janvier 2011. Neuflize OBC a même participé à l’acquisition d’un trésor national : Aphrodite, nymphe de sainte-Colombe, qui a rejoint les collections du musée de Saint-Romainen-Gal, dans le Rhône. Cette statue date du IIe ou IIIe siècle et appartient à un type de statues fontaines répandu dans le monde antique oriental et méditerranéen. Et tout au long de l’année, Neuflize OBC est le grand mécène de la Cinémathèque française, une institution qui abrite, restaure et met en valeur le patrimoine cinématographique. Les expositions de la Cinémathèque, en montrant à la fois les richesses de ses fonds et les liens entretenus par le cinéma avec les autres arts, mêlent patrimoine, création contemporaine et 7e art, trois thématiques chères à la politique de mécénat de la banque. L’exposition de ce début d’année consacrée à Stanley Kubrick jusqu’au 31 juillet, sera suivie dès septembre d’un hommage à Fritz Lang et au film culte Metropolis.

DES ACTIONS INSCRITES DANS LA DURÉE

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a banque Neuflize OBC donne la priorité aux actions pérennes et est ainsi devenue le mécène historique de nombreuses manifestations. Tout comme la banque était présente dès l’origine pour Monumenta et pour le Prix du dessin contemporain, elle reste le fidèle partenaire

d’événements incontournables. Ainsi le festival Paris Cinéma, événement cinématographique du début de l’été, vise à rendre le 7e art accessible au plus grand nombre. Une volonté de promouvoir l’art qui justifie aussi la participation à la Nuit des musées, depuis sa création. Un mécénat auquel Neuflize Vie s’associe en commandant à un artiste le visuel utilisé pour l’affiche de l’opération (le photographe Joachim Mogarra pour l’édition 2011).

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1 :: Cinémathèque française-Musée du cinéma. Bâtiment de Frank O. Gehry. Photo Stéphane Dabrowski

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2 :: Affiche de l’exposition Kubrick à la Cinémathèque, du 23/03 au 31/07 2011. 3 :: Affiche de la Nuit européenne des musées 2011. 4 :: Ange Leccia. Courtesy Galerie Almine Rech 5 :: Installation de Jorge Pedro Nunez, exposition The Multicultural in Our Time, Gyeonggi Museum of Modern Art, Ansan City, Workshop du Pavillon en Corée du Sud, 2010. © Palais de Tokyo/GMOMA


MÉCÉNAT :: ArtsOne volume 1

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CINQ QUESTIONS À ANGE LECCIA Directeur du Pavillon Neuflize OBC, laboratoire de création du Palais de Tokyo Qu’est-ce que le Pavillon ? Le Pavillon est le laboratoire de création du Palais de Tokyo à Paris. Il est dévolu à la création artistique contemporaine et conçu comme une structure flexible et réactive. Pareille souplesse est impérative dans un domaine qui évolue sans cesse. A ce titre, le Pavillon demeure encore aujourd’hui un véritable projet, dix ans après sa création. Cela signifie qu’il se remodèle continuellement et qu’il doit s’adapter à une situation mouvante, celle de la jeune création. Chaque année, notre « cellule d’expériences artistiques » accueille une dizaine d’artistes et de curateurs en provenance du monde entier. Leur résidence est placée sous le signe de l’élargissement de leur réflexion et d’un enrichissement de leur pratique. Ne nous le cachons

exposition dans l’ancien terminal de l’aéroport mais aussi d’une foire d’art contemporain, d’une série de concerts et d’un séminaire de trois jours. Faisant suite à plusieurs expériences de collaboration artistique, le Pavillon participe à ce projet en tant que groupe et proposera une œuvre singulière reflétant l’engagement collectif des artistes. Enfin, le troisième projet de l’année est une exposition qui se tiendra au Dallas Contemporary à l’issue d’un workshop de trois semaines entre le désert et la frontière mexicaine, entre Marfa où l’artiste Donald Judd a créé sa fondation dans les années 1980 et les espaces telluriques de Big Bend National Park, au Texas. Parallèlement à ce programme annuel, le Pavillon vient de produire une publication confiée à Benoît Maire, lauréat 2010 du Prix de la fondation Ricard et ancien résident du programme. Cette publication, conçue sur le modèle d’un objet cinématographique

pas : ce programme est très ambitieux. Et par là même, il est source d’incertitudes et d’hésitations. Reste qu’il est aussi le meilleur procédé pour préserver une exigence face à la création.

croise la pratique de théoriciens, de cinéastes et d’artistes autour des enjeux de l’image aujourd’hui.

Quelle a été votre démarche au moment de sa création ? Depuis le début des années 1980, mon propre parcours artistique m’a amené à obtenir de nombreuses bourses de séjour à l’étranger qui ont le plus souvent marqué un moment de solitude. Cet isolement est venu nourrir mon travail, mais il m’a également persuadé de l’importance des rencontres. Ainsi, le Pavillon a été imaginé avant tout comme un espace de partage, un lieu d’échanges et de débats. Je crois à la nécessité de s’ouvrir à d’autres pratiques artistiques. C’est pour cette raison que le Pavillon accueille régulièrement musiciens, chorégraphes, architectes, graphistes… La spécificité du Pavillon est de leur proposer des collaborations, parfois même des expériences de créations collectives. Quels sont les projets du Pavillon pour 2011 ? Les artistes ont débuté leur résidence avec une exposition dans la friche du Palais de Tokyo, cet espace magistral en ruine qui accueillait la Cinémathèque française dans les années 80. Sur une proposition de l’artiste Alain Declercq, ils étaient invités à repenser, réactiver ou réinterpréter une œuvre antérieure en instaurant un dialogue entre leur travail et l’espace en friche du Palais de Tokyo. Le second projet de l’année a débuté au mois de mars à Cork, à l’issue d’une session de travail de 10 jours en Irlande. Le Pavillon a été convié cette année à participer à la première édition d’un événement artistique ambitieux qui sera l’occasion d’une

Quels ont été les faits marquants de l’histoire du Pavillon ? L’histoire du Pavillon est liée à celle du Palais de Tokyo puisqu’ils ont été créés conjointement. De très nombreux artistes de la scène internationale ont transité par ce programme depuis dix ans : Parmi eux, Apichatpong Weerasethakul, palme d’or à Cannes en 2010, Laurent Grasso, prix Marcel Duchamp, Isabelle Cornaro et Benoît Maire, Prix de la fondation Ricard, Matteo Rubbi, prix Furla pour l’art contemporain. Par ailleurs, plusieurs artistes du Pavillon étaient présents dans l’exposition Dynasty au musée d’Art moderne de la ville de Paris et au Palais de Tokyo. Enfin, certains anciens résidents ont représenté leur pays lors des différentes biennales de Venise, et ce, à peine quelques années après le Pavillon ce qui atteste la qualité de leur démarche. Que vous apporte le soutien de Neuflize OBC ? Dans le nouveau projet d’aménagement du Palais de Tokyo, sous l’égide de son président Olivier Kaeppelin, le Pavillon est appelé à se développer et à affirmer ses missions auprès des jeunes artistes internationaux. Tout cela ne peut se faire aujourd’hui qu’avec le soutien sans réserve d’un mécène dont l’engagement sur la scène artistique est reconnu depuis longtemps. C’est pour cette raison que le Pavillon vient de s’associer avec Neuflize OBC et prend le nom de Pavillon Neuflize OBC, laboratoire de création du Palais de Tokyo, assurant ainsi l’avenir de nouvelles collaborations artistiques.


FONDATION YVES ROCHER

:: MÉCÉNAT

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ArtsOne volume 1

Par Anne-Laure Seibt ::

LA FONDATION YVES ROCHER S’ENGAGE AUPRÈS DES FEMMES Le groupe de La Gacilly, fabricant de cosmétiques à base de végétaux depuis 50 ans, a créé une fondation sous l’égide de l’Institut de France. Cette structure mène des actions en faveur des femmes et de la nature. La marque a également initié un mécénat dans l’art avec le Centre Pompidou. Rencontre avec Jacques Rocher, président de la fondation Rocher.

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1 :: Jacques Rocher à Nairobi en mars 2007 au côté de Wangari Maathaï, Prix Nobel de la Paix 2004 et marraine de l’opération Plantons pour la planète. Photo Eric Sampers

2 à 4 :: Portraits de jeunes planteurs en Inde (3) et au Sénégal (2 et 4). Photos Patrick Wallet

Contact www.yves-rocher-fondation.org

moureux de la nature et précurseur écologique, Yves Rocher a été l’un des premiers à percevoir tout le potentiel du monde végétal en termes de produits de beauté et de soins du corps pour les femmes. C’est dans son grenier, à La Gacilly, en Bretagne, qu’il a créé une première pommade et inventé ainsi la cosmétique végétale. C’était il y a 50 ans. Aujourd’hui, le groupe poursuit son œuvre dans le respect de la nature et des femmes, les deux clés de son succès. La fondation Yves Rocher, sous l’égide de l’Institut de France, a ainsi créé, en 2000, le prix Terre de Femmes. Cette distinction récompense les femmes qui, à travers le monde, agissent pour préserver l’environnement. « Il s’agit d’un soutien financier, bien sûr, mais aussi moral », souligne Jacques Rocher, président de la Fondation et maire de La Gacilly, siège historique du groupe. En 2010, pour la France, le premier prix a été décerné à Violaine Neto-Gameiro, la créatrice d’une ferme-école de culture de spiruline au Burkina Faso. La spiruline est une algue qui se développe rapidement et qui grâce à sa richesse en protéines permet de lutter contre la malnutrition. Pour récompenser son engagement, Violaine Neto-Gameiro a donc reçu une dotation de 10 000 euros. Elles sont, chaque année, une quarantaine de lauréates comme elle à bénéficier de cette aide. Egalement soucieuse de protéger la nature et de sauvegarder l’environnement, la marque Yves Rocher soutient l’opération Plantons pour la Planète. Ce programme signé avec les Nations unies prévoyait de planter un million d’arbres. Trois ans plus tard, cet objectif a été revu à… 50 millions d’unités

d’ici à 2014. « Nous voulons agir pour l’environnement. Mais il ne faut pas compter sur nous pour jouer les Cassandre et prédire la fin du monde. Nous préférons nous concentrer sur des actions qui véhiculent un message d’optimisme », poursuit le président. Et de l’optimisme, il y en a sur tous les visages des planteurs immortalisés par le photographe Patrick Wallet. Ses portraits réalisés sur le terrain au cours de voyages aux quatre coins du monde sont autant de témoignages qui soutiennent cette cause. Ses clichés ont été exposés à Genève au palais du programme des Nations unies, puis à Rennes, avant d’être présentés l’an dernier au Festival de photo de La Gacilly. 250 000 visiteurs pour 200 clichés Créé grâce au soutien de l’enseigne Yves Rocher et de nombreux autres partenaires, il s’agit du plus grand festival de photographies en plein air de l’Hexagone. Chaque année, de juin à septembre, il est possible d’y découvrir plus de 200 clichés grand format. Près de 250 000 visiteurs s’y pressent, qu’ils soient écologistes engagés, amoureux de la photographie ou simples touristes. Pour la 7e édition, le thème était la biodiversité. « S’interroger sur la biodiversité est probablement le meilleur moyen de réconcilier l’homme et la nature », affirme Jacques Rocher. Cette année, le Festival Photo Peuples et Nature va faire la part belle au patrimoine vert de notre Terre *. « Les photos sont accrochées sur les murs des maisons ou intégrées au labyrinthe végétal, ce qui fait qu’elles sont accessibles à tous gratuitement », se félicite-t-il. >>>

* 8e édition du 3 juin au 30 septembre. www.festivalphoto-lagacilly.com


MÉCÉNAT :: ArtsOne volume 1

FONDATION YVES ROCHER 165


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:: MÉCÉNAT ArtsOne volume 1


MÉCÉNAT :: ArtsOne volume 1

>>> Ainsi, en même temps qu’elle rajeunit son image en rénovant ses gammes de produits et ses boutiques, la marque continue de se rapprocher de l’univers de l’art. Son récent partenariat avec le Centre Pompidou a fait couler beaucoup d’encre. Ses détracteurs se sont interrogés sur la place de ce fabricant de cosmétiques dans ce lieu d’expositions et de culture. « Yves Rocher est une marque de proximité, accessible. La vocation historique de Beaubourg est assez proche. Cette institution installée en plein cœur de Paris existe justement pour rendre accessible la création contemporaine au plus grand nombre », tient à préciser Jacques Rocher. Formidable succès pour « elles@centrepompidou » C’est grâce à un passionné d’art, Stéphane Bianchi, le directeur général délégué du groupe Yves Rocher, que ce partenariat a vu le jour à l’occasion de l’exposition elles@ centrepompidou. Inauguré en mai 2009, l’accrochage thématique autour des artistes femmes dans les collections du Musée national d’art moderne a remporté un tel succès qu’il y eut deux renouvellements des pièces exposées. « Ce sont plus de 1 000 œuvres et plus de 300 artistes qui auront été mises en avant entre mai 2009 et février 2011.

FONDATION YVES ROCHER 167

Cette présentation, radicale et inédite, a permis de redéfinir la place des artistes femmes dans l’histoire de l’art des XXe et XXIe siècles, explorant les voies d’une réécriture « au féminin », a précisé le Centre Pompidou. Parmi les artistes sélectionnées, la scène artistique française a été particulièrement bien représentée, avec de jeunes créatrices comme la plasticienne Frédérique Loutz, née en 1974, remarquée à la dernière Force de l’Art, ou encore Lili Reynaud Dewar, née en 1975. De plus, le musée a mis en avant l’entrée de deux figures phares des Young British Artists, Tracey Emin (1963, Angleterre) et Angela Bulloch (1966, Canada) ; de même que celle de leur compatriote, Lucy Skaer (1975, Angleterre), lauréate du Turner Prize 2009. Une programmation qui a su séduire près de 2 500 000 visiteurs ! Pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance de la voir, un site Internet dédié est encore visible. Réalisé conjointement par l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) et le Centre Pompidou, il réunit des portraits d’artistes en vidéo ainsi qu’une sélection d’œuvres majeures ou encore des archives audiovisuelles de l’Ina jusqu’à présent inédites sur Internet. Finalement, n’est-ce pas dans le droit fil d’une marque de beauté que d’apporter sa contribution à ce qui permet d’embellir du monde ?

Légendes

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2 1 :: Festival de photo de La Gacilly, galerie rue La Fayette. 2 :: Festival de La Gacilly, galerie du Bout du Pont. 3 :: Les Piques d’Annette Messager, installation présentée dans le cadre de l’exposition elles@centrepompidou. Photo Philippe Migeat, Centre Pompidou, ADAGP, Paris, 2009


GONZAGUE SAINT BRIS

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ArtsOne volume 1

Par Damien Claudel :: Portrait David Nivière, photo DR

Gonzague Saint Bris

RIEN SANS

AMOUR

L’année dernière, l’écrivain et journaliste publiait, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Musset, une biographie du poète chez Grasset. Ce mois-ci sort « Balzac, sa vie est un roman » aux éditions Télémaque. Gonzague, qui a grandi au manoir du Clos Lucé près d’Amboise où vécut et mourut Léonard de Vinci, hôte illustre de François 1er, s’occupe de la rubrique Grands Mécènes de ArtsOne et se prête au jeu des questions-réponses.

ArtsOne : Après Musset, Balzac. Pourquoi un tel attachement au romantisme ? Gonzague Saint Bris : Les révolutions ratées

faites la même chose, vous ne vous dispersez pas, vous vous concentrez sur l’essentiel, vous être un « Renaissance Man » !

font les romantismes réussis. Mai 1848 a fait Musset, mai 1968 nous a faits. Ce sont dans des périodes bourgeoises (Louis-Philippe ou Pompidou) que naît la rébellion romantique. J’appartiens à une génération qui avait vingt ans en 68. Dix ans plus tard, j’ai créé l’Académie Romantique : Frédéric Mitterrand, Brice Lalonde, PPDA et moi-même. Ils ont tous réussi, sauf moi ! Le Romantisme est comme la Renaissance, ce sont deux mouvements pluridisciplinaires et européens qui font semblant d’aller à la recherche du passé alors qu’ils produisent une énergie nouvelle : « Je suis une force qui va » clame Victor Hugo. « J’appartiens à ce parti d’opposition qui s’appelle la vie » déclare Honoré de Balzac. « Qui dit Romantisme, dit Art Moderne », constate Baudelaire. En France, si vous faites à la fois des livres, des films, des DVD, si vous créez des événements tout en faisant de la radio, de la télévision et de la presse, on vous traite de « touche-à-tout ». En Amérique, si vous

Quel artiste vous a le plus fasciné ? G. S. B. : Léonard de Vinci et j’ai eu la chance d’être élevé dans la demeure où il a rendu l’esprit, au château du Clos Lucé d’Amboise qui est dans ma famille justement depuis l’époque romantique. On a tout dit sur la multiplicité de ses talents, sans avoir encore découvert à quel point il était aussi un grand écrivain. Il faut lire ses Pensées pour le comprendre : « Ne pas prévoir, c’est déjà gémir », « Qui pense peu se trompe beaucoup », ou encore : « Regarde la lumière et admire sa beauté. Ce que tu as vu d’abord n’est plus, ce que tu verras ensuite n’est pas encore. » N’ayant pas eu de grandsparents – les miens sont morts en déportation pour faits de Résistance – j’ai choisi Léonard. C’était pour moi le grand-père idéal. Il m’a tout appris, tout enseigné. Il était à la fois puissant et subtil pour un enfant qui allait grandir, comme lui, en autodidacte. Ce qu’il y a de remarquable

dans la présence de Léonard en France, c’est que ce miracle est dû au mécénat d’un très jeune homme de vingt ans, qui mesurait près de deux mètres de haut et s’appelait François Ier. Le Vinci était déjà vieux et après la mort de Julien de Médicis, le frère du Pape Léon X, Léonard ne peut plus supporter Rome et la façon dont le Saint Père le méprise parce qu’il ne finit jamais ses œuvres. Il aurait pu terminer sa trajectoire dans la misère, mais à Bologne, auprès du pape, il rencontre le vainqueur de Marignan qui va l’inviter en France. Entre ce génie qui n’a pas eu d’enfant et ce souverain qui très tôt a perdu son père s’établit une relation filiale, à tel point que le roi-chevalier finira par appeler le maître toscan « Padre ». Puisque vous parlez de mécénat, quels sont pour vous les plus grands mécènes d’aujourd’hui ? G. S. B. : Je voudrais citer deux personnes et, évidemment, ce sont des femmes. Elles ont en commun de posséder à la fois la grâce de l’intelligence et l’intelligence de


MÉCÉNAT :: ArtsOne volume 1

la grâce. La première s’appelle Maryvonne Pinault et la seconde Nicole Bru. Maryvonne Pinault sait vous faire partager le voyage des arts à travers le temps, qu’elle soit à Paris ou à Venise. Toujours avenante et attentive, énergique et souriante, elle connaît aussi bien le mobilier du plus pur XVIIIe siècle que l’avant-garde et l’art contemporain. Elle marie avec une grande aisance dans ses décors l’art ancien et les formes nouvelles. Elle incarne par la générosité de ses actions la phrase si peu connue de Marcel Proust : « Le comble de l’intelligence, c’est la bonté. » Quant à Nicole Bru, elle est un mélange d’énergie et de capacité d’apaisement. On dirait que son regard bleu acier, comme la musique, adoucit les mœurs. C’est à la musique qu’elle dédie sa vie et sa fondation. Ce centre de musique romantique, qu’elle a monté à Venise dans un Palazzo, et la façon dont elle révèle et fédère les jeunes talents venus du monde entier est tout simplement admirable. Comme le disait si bien Mozart : « Je suis né du ciel et de la terre, mais j’appartiens au ciel. »

GONZAGUE SAINT BRIS 169

Et vous qui êtes un philanthrope, êtes-vous aussi un mécène ? G. S. B. : Bonne question : je suis un passionné des valeurs immatérielles. Je combattrai sans cesse pour que vive et soit reconnue la culture populaire. Créateur des clips culturels, pionnier des radios libres, je m’attache à servir toute forme d’expression qui échappe au conformisme. Voilà quinze ans, par exemple, que j’organise le dernier dimanche d’août, dans mon pays natal en Touraine, La forêt des livres, une signature d’écrivains sous les arbres centenaires dans le village forestier de Chanceaux-prèsLoches. L’été dernier, Jean d’Ormesson en était le président et Charles Aznavour l’invité d’honneur. C’est une fête culturelle, gratuite et ouverte à tous. Un phénomène extraordinaire puisqu’elle réunit autour de 150 auteurs, 60 000 personnes en une seule journée. Nous le devons au talent de nos équipes, mais aussi à l’action déterminante de nos mécènes. Car sans le conseil général d’Indre et Loire ou les sponsors privés des grandes marques qui attachent leur nom à une haute valeur

artistique, La forêt des livres ne pourrait exister. J’en profite pour les remercier. Avec eux, nous avons réussi la performance d’avoir pour une signature dédicace un public de concert pop. C’est pourquoi, sans doute, la presse américaine a qualifié La forêt des livres de Woodstock de la littérature et Glynedebourne de la culture. Quelle est votre devise ? G. S. B. : Celle de ma famille : « Rien sans amour ».

Contact www.gonzaguesaintbris.com

Légendes

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1 :: Gonzague Saint Bris. 2 :: Manoir du Clos Lucé, près d’Amboise, demeure familiale de la famille Saint Bris.


ANNE-MARIE SPRINGER 170

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Par Hermine de Clermont-Tonnerre :: Photos Linda Bujoli

Anne-Marie Springer

Indiscrets complices Il lui a fallu oser la passion pour la traquer, la débusquer et sans vergogne la révéler. Des lettres d’amour dispersées dans le temps et l’espace, aux quatre coins du monde. Elle a choisi de les rassembler pour un voyage indiscret au cœur des grands élans amoureux. D’aucuns s’y sont brûlés, d’autres consumés, mais tous s’y sont exaltés.

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nne-Marie Springer veille amoureusement sur une superbe collection de lettres d’amour, une passion nourrie de rencontres et d’exceptionnels moments de vie. En 1994, elle met au monde une petite Zoé et décide de lui choisir un cadeau qui plus tard lui rappellera son année de naissance. Dans une vente consacrée à Napoléon, elle découvre une lettre du jeune officier Bonaparte à Joséphine qui la bouleverse. La précieuse déclaration déclenche alors une passion qui ne la quittera plus. Au fil des années, les témoignages enflammés de ces amours épistolaires, fussent-ils platoniques parfois, s’accumulent. Ce fut « tout un travail à

accomplir, long et fastidieux : des transcriptions difficiles, des informations à rassembler pour dater et identifier les destinataires parfois peu ou pas connus ». Lorsque l’on parcourt ces aveux, avec tout le respect et la discrétion qui leur sont dus, beaucoup nous parlent de ces femmes qui souvent demeuraient dans l’ombre de leurs illustres amants. « Je pense notamment à Anita Fesser de Madero, l’amie secrète de Jean Giraudoux… Lorsqu’elle quitte Paris pour l’Argentine et épouse un autre homme. Il écrit alors « Quand elle ouvrira cette enveloppe, ta main aura sa bague de fiançailles. J’espère que la pierre sera assez grosse pour t’entraîner sans plus de résistance au fond du bonheur conjugal » et plus loin


MÉCÉNAT :: ArtsOne volume 1

« Tant pis si ma lettre te fait pleurer, tu n’avais qu’à ne pas choisir comme amant un écrivain » » Parmi ces quelque deux mille lettres, Edith Piaf écrit à Tony « J’ai envie de m’allonger et de m’endormir, et puis je rêve où tu seras près de moi, nous serions si bien, bien, bien ! Dire si tout s’était bien passé, nous aurions encore onze jours pour nous retrouver, tiens, rien que d’y penser, mon cœur se déchire ; que la vie est donc compliquée ! » Depuis plus de 17 ans, Anne-Marie Springer s’est donné l’émotion pour guide. C’est elle d’abord, et non le prestige d’une signature, qui lui a fait choisir tel billet doux plutôt qu’un autre. Bientôt, les classeurs craquent et la demeure du XVIIIe siècle de la collectionneuse se transforme en musée. Anne-Marie aménage les combles, fait fabriquer des meubles à tiroirs en citronnier et ébène de Macassar, bois nobles ô combien pour abriter nobles ou lourds secrets et parfois même de coquines indiscrétions. Les mots enflammés d’inconnus côtoient ceux de Chateaubriand, d’Apollinaire, de Berlioz ou encore de Diane de Poitiers. Sans oublier Chopin, Einstein, Colette, Saint-Exupery… « Lorsque nous écrivons, nous aimons émouvoir notre destinataire. Je pense que tout homme ou femme aimerait dormir pour la postérité dans ces coffres d’ébène. Comment ne pas vouloir enrichir cette collection ? » Anne-Marie Springer est touchée par la puissance des mots, par la beauté de certaines déclarations. Rien de plus excitant que de découvrir une correspondance faite d’échanges, de confessions, de poèmes érotiques aussi… Apollinaire écrivait à Louise De Coligny-Chatillon dite

ANNE-MARIE SPRINGER 171

Lou « Si tu savais comme j’ai envie de faire l’amour, c’est inimaginable. C’est à chaque instant la tentation de saint Antoine, tes totos chéris, ton cul splendide… L’intérieur si mince, si doux et si serré de ta petite sœur, je passe mon temps à penser à ça, à ta bouche, à tes narines. C’est un véritable supplice. C’est extraordinaire ce que je peux te désirer. Tu m’as fait oublier mes anciennes maîtresses à un point inimaginable. » Quelle surprise sans doute pour ces âmes d’écrivains de se voir ainsi ensevelis, couchés sous verre pour la postérité. Ces missives jalousement cloîtrées dans le deuxième tiroir à droite soigneusement fermé à double tour du secrétaire ou de la coiffeuse de Madame, à l’abri des regards indiscrets, et d’autres qui, de rage ou de tristesse connaîtront les affres des flammes ! La vie en a décidé autrement : Anne-Marie Springer les livre en plein jour. Même les plus inattendues comme cette lettre de Louis XV destinée à son petit-fils Ferdinand de Bourbon, après que ce dernier a consommé sa première nuit d’homme marié. Un grand-père qui parle à la fois tendrement et sans détours, jusqu’à mettre en garde contre la masturbation ! « Il est naturel qu’elle n’y ait pas participé » puis « soit avec de l’aide ce qui est bien mauvais… en ayant beaucoup usé dans mon jeune temps, ce dont je me repens beaucoup. » Et puis, il y a ces mots qui font pleurer dans les chaumières. « Tu me fais mourir, il faut que tu viennes ce soir, mort si tu veux, il faut que tu viennes ! » écrit Marie Dorval à Alfred de Vigny après qu’il l’a quittée. « Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir » nous dit un poète des passions.

Légendes

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1 :: Anne-Marie Springer. 2, 3 et 4 :: Des meubles à tiroirs en citronnier et ébène de Macassar ont été spécialement réalisés pour accueillir plus de 2 000 missives. 5 :: Les combles de la demeure suisse du XVIIIe siècle aménagées pour la collection.

En librairie Lettres intimes, Collection dévoilée, aux éditions Textuel, 240 pages.


FONDATION PRINCE ALBERT II DE MONACO 172

:: MÉCÉNAT ArtsOne volume 1

Par Alexandre Henry :: Photos DR

Fondation Prince Albert II de Monaco

SAUVEGARDER LA PLANÈTE

Attentif aux dégradations et aux menaces pesant sur notre fragile planète, Albert de Monaco créait en 2006 une fondation destinée à lutter contre une fatalité souvent issue des travers humains.

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u’il s’agisse de préserver une espèce en voie de disparition, de créer des unités de dessalement grâce à l’énergie renouvelable, de mettre en place des programmes de gestion d’eau dans des pays frappés par la sécheresse ou d’aider à la réalisation d’inventaires pour accélérer l’acquisition des connaissances sur la biodiversité terrestre et marine, la Fondation Prince Albert II de Monaco est sur tous les fronts ! « J’ai décidé de créer une Fondation dédiée à la protection de l’environnement et au développement durable (...). Il s’agit d’un défi planétaire commun qui demande des actions urgentes et concrètes, en réponse à trois grands enjeux environnementaux : le changement climatique, la biodiversité et l’eau », explique S.A.S. le Prince Albert II de Monaco. Cette institution, qui veut être un accélérateur de projets et de solutions pour l’environnement, encourage une gestion durable et équitable des ressources naturelles et place l’homme au cœur de ses projets. Pour être un acteur important de la protection de l’environnement, elle souhaite s’entourer et créer des réseaux de scientifiques, d’entreprises et de citoyens prêts à œuvrer ensemble par-delà les frontières. La Fondation s’appuie sur un travail de veille scientifique et technique de niveau international, favorise l’émergence de lieux de débats pour les acteurs de l’environnement (chercheurs, porteurs de projets, entreprises, institutions), mobilise des soutiens financiers et s’applique à mettre en place des outils d’investissement socialement responsables. La Fondation Prince Albert II de Monaco concentre ses efforts dans des zones géographiques prioritaires : les zones polaires (Arctique et Antarctique), le bassin méditerranéen et les pays les moins avancés principalement en Afrique et Asie. Pour solliciter le soutien de la Fondation, il suffit de déposer son projet directement sur le site Web de cette dernière. Chacune des initiatives soutenues y est répertoriée.

Légendes

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1 :: Programme de réintroduction du Gypaète barbu dans le Parc national du Mercantour lancé en 2007. Photo Christian Joulot. 2 :: « Monaco s’engage contre la déforestation ». 3 :: Projet de « Sauvegarde du thon rouge en Méditerranée », lancé en 2008 en partenariat avec le WWF et l’Association Monaco Développement Durable.

Contact www.fpa2.mc


LE PRIX ARTS ONE En 2012, ArtsOne récompensera 8 artistes d’avenir pour les aider à développer leur nouvelles créations. Peinture, photographie, sculpture, design, décoration, arts numeriques, hôtels, bande dessinée.

Règlement du prix disponible sur demande : prixartsone@fondsdedotationclaudel.com


FONDS DE DOTATION CLAUDEL

:: MÉCÉNAT

Par Anne-Laure Seibt :: Portrait Vincent Baillais

Fonds de dotation Claudel

TOUT POUR L’ART

Propriétaire d’« ArtsOne », ce fonds de dotation est destiné à promouvoir l’art contemporain sous toutes ses formes. Rencontre avec Damien Claudel, son président.

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1 :: Damien Claudel, président du Fonds de dotation Claudel. 2 :: Cheval sur cercle, bronze, Valérie de Sairigné. 3 :: L’âge d’homme, bronze, Marine Delterme

ArtsOne : Vous êtes grand amateur d’art, d’où vous vient cette passion ? Damien Claudel : Je crois que c’est en découvrant Rembrandt qu’est né mon désir d’art. J’avais à peine 20 ans, mais déjà une âme de collectionneur, et j’ai été terriblement frustré de ne pas pouvoir acquérir une de ses toiles ! J’ai trouvé un palliatif en achetant des copies. Il s’agissait tout de même d’huiles sur toile de deux mètres de haut. Dans le même temps, je réalisais mes propres toiles à l’acrylique et au couteau. Puis j’ai confronté ces deux époques, celle du passé et la contemporaine, en les exposant dans mon appartement. Il était déjà hors de question que je recouvre mes murs de posters, ou même de lithographies. Aujourd’hui, le goût des copies m’est passé mais pas celui des œuvres de grande taille. Et j’ai la chance de pouvoir découvrir des originaux d’artistes vivants.

Pourquoi cet intérêt pour les artistes vivants ? C’est évident, parce que je peux les rencontrer, évoquer leur travail avec eux. C’est une chance inouïe. Et aujourd’hui, grâce à Internet, on découvre encore plus d’artistes. Je suis plus particulièrement le travail de cinq d’entre eux : Robert Keramsi, Valérie de Sairigné, Roseline Granet, Marine Delterme et Noémie Rocher. Pourquoi avoir créé ce fonds ? C’est un projet qui me taraudait depuis toujours. Depuis l’âge de 20 ans, je suis obnubilé par le fait de trouver un moyen de créer un capitalisme éthique. Plutôt que de payer des impôts qui vont « on-ne-sait-où », je me suis dit qu’investir dans une fondation serait un bon moyen de redistribuer les bénéfices des mécènes. Je souhaite avoir le pouvoir de choisir vers quelles opérations d’intérêt général les réorienter. J’ai donc commencé très tôt à me


MÉCÉNAT :: ArtsOne volume 1

renseigner sur les modalités pour créer une fondation. Mais les contraintes demeuraient très lourdes. Lorsque, enfin, j’ai été contacté par le cabinet d’avocats Delsol spécialisé dans la création des fonds de dotation en France, j’ai su que j’allais pouvoir réaliser mon souhait. Je m’étais promis de créer ma fondation à 40 ans. Eh bien, le fonds de dotation Claudel a vu le jour en novembre 2009, le mois de mes 40 ans. Quel en est l’objectif ? Concrètement, l’argent des mécènes investi dans ce fonds servira à diffuser la connaissance et le savoir dans le domaine de l’art contemporain et plus particulièrement des artistes vivants. Et cela grâce à un magazine, une résidence d’artistes, à Plombières-les-Bains dans les Vosges, un site Internet et des expositions. Contrairement à ce que l’on entend tout le temps, je suis convaincu que la presse ne mourra pas. En tout cas pas les magazines accessibles. Et c’est grâce au mécénat qu’on pourra compléter les revenus de la presse et limiter sa dépendance au marché publicitaire tout en lui assurant de conserver sa qualité. C’est pourquoi ArtsOne est vendu 2 euros. Quel est l’intérêt d’investir dans un fonds de dotation ? Tout d’abord il faut choisir un fonds de dotation en fonction de sa passion. Comme je viens de vous le dire, cela permet de choisir librement comment et à qui seront redistribués les dons des mécènes. Ensuite, cela se traduit par d’importantes réductions d’impôts. Pour un particulier qui investit 1 000 euros, 665 euros seront déduits du montant de ses impôts, pour une entreprise, 600 euros. Que pensez-vous du mécénat en France ? Avec la création des fonds de dotation, la France qui était très en retard, a pris un temps d’avance. Le fonds de dotation, à mi-chemin entre la fondation et l’association, n’a retenu que les avantages de ces deux structures. C’est plus facile à créer qu’une fondation et plus prestigieux qu’une association. Et surtout, dans le cas d’un fonds de dotation, le président garde tout le pouvoir. Pas de risque d’être victime d’un putsch après avoir apporté vos capitaux et vos idées. En France, certains groupes ont déjà compris l’intérêt de ces investissements. En témoignent des exemples comme ceux des fondations Pinault, Neuflize OBC, Yves Rocher qui œuvrent déjà en ce sens. Et cela devrait continuer à se développer.

Contact Fonds de dotation Claudel 83, av. de Wagram 75017 Paris art@fondsdedotationclaudel.com

FONDS DE DOTATION CLAUDEL 175


FONDATION TOTAL

:: MÉCÉNAT

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ArtsOne volume 1

Par Armelle Bajard ::

Photo courtesy Fondation Total

Fondation Total

Le dialogue des mondes Légendes

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1 :: Catherine Ferrant, déléguée générale de la Fondation Total et directrice du mécénat Total. 2 :: La Chambre blanche de Sammy Baloji, Biennale des images du monde au Quai Branly. Photo musée du Quai Branly

3 :: The Shape of things to come, de Benoît-Marie Moriceau. Projet pour l’exposition Dynasty, Palais de Tokyo. Photo DR

Contact http://fondation.total.com

A travers sa fondation, le groupe Total développe de nombreux soutiens à la création. Mécène du Louvre, du Quai Branly ou du musée Dapper, il s’engage durablement dans des actions qui visent, par-delà les cultures, à mettre l’art à la portée du plus grand nombre.

S

i les actions de mécénat révèlent les valeurs d’une entreprise, celles de la Fondation Total se fondent sur le dialogue et la transmission. « Dans le domaine de la culture, nous avons à cœur de valoriser les arts et traditions des pays dans lesquels le groupe développe ses activités », explique Catherine Ferrant, déléguée générale de la Fondation et directrice du mécénat Total. Vaste programme et vaste champ d’action puisque la firme est présente sur quatre continents ! Témoignage de cet engagement, la Fondation est engagée dans la durée auprès de nombreux musées. Le groupe est notamment le premier partenaire industriel du département des arts de l’islam du Louvre. Par ailleurs, la Fondation a rejoint le cercle des Grands mécènes du musée du Quai Branly en soutenant son cycle d’expositions africaines. L’art contemporain n’est pas en reste. Pour « désenclaver les mondes », comme le formule avec force Catherine Ferrant, la Fondation soutient, en partenariat avec le Quai

Branly, des résidences d’artistes étrangers. L’exposition « Angola, figures du pouvoir », jusqu’au 10 juillet au musée Dapper, et première grande manifestation consacrée aux arts de l’Angola, est investie par le plasticien angolais António Ole. La jeune garde française n’en est pas pour autant oubliée puisque la Fondation Total a soutenu l’exposition Dynasty, présentée conjointement au musée d’Art moderne de la ville de Paris et au Palais de Tokyo l’été dernier. La valorisation des cultures passe aussi par la solidarité et la générosité. La Fondation souhaite rendre accessibles à tous les expositions qu’elle soutient. En collaboration avec les associations, elle veille à inviter ceux qui sont persuadés ne pas avoir leur place dans un musée. Par deux fois déjà, le Louvre a ouvert exceptionnellement ses portes un mardi, jour habituel de fermeture, pour un public qui d’ordinaire ne fréquente pas les musées. Une démarche philanthropique innovante au service de la même idée : perpétuer sans cesser de l’enrichir le dialogue entre les mondes.


MÉCÉNAT :: ArtsOne volume 1

LA MAISON ROUGE 177

Par Anne-Laure Seibt :: Photos La Maison rouge

Antoine de Galbert

Collectionneur engagé Amateur d’art contemporain, galeriste et surtout collectionneur passionné, Antoine de Galbert a aussi le sens du partage. En 2004, il crée La Maison rouge, fondation privée reconnue d’utilité publique, pour faire découvrir au public les trésors de collectionneurs privés.

L

a Maison rouge. Pour expliquer ce nom, Antoine de Galbert n’hésite pas… « La maison c’est l’intime et le rouge peut évoquer le cœur, la passion et peut-être aussi la couleur des bordels ! », s’amuse-t-il. En 2004, lorsqu’il décide de repeindre d’un rouge profond, presque gourmand, la petite maison située au beau milieu de cette friche sur le quai de la Bastille, rien n’est encore gagné. « Tout ceci me paraît très loin. Nous avons rencontré de multiples difficultés avant de pouvoir ouvrir ce lieu mais depuis tout fonctionne bien. Une vingtaine de personnes travaillent d’ailleurs ici à l’année. Au-delà du contenu culturel, cette fondation est aussi un vrai projet humain et social », se réjouit-il. La Maison rouge est l’une des rares fondations privées en France. « Derrière la plupart d’entre elles, il y a des entreprises à la recherche de montages fiscaux », lâche-t-il. Pour celui qui aime rappeler que « la culture n’est pas quelque chose qui est écrit » et que « chacun a la sienne », fonder rime avec donner. Bien né – il est l’un des héritiers du groupe Carrefour – et grand amateur d’art contemporain, Antoine de Galbert a cherché comment marier tout cela pour que d’autres en profitent. Et il a choisi d’ouvrir cet espace au public afin de donner accès aux trésors amassés par des passionnés comme lui. S’il puise évidemment dans sa collection pour définir la programmation de la maison, il n’imagine pas une seconde de la consacrer uniquement à ses pièces. « Collectionner est du domaine du privé », déclare-t-il. Une manière élégante de signifier qu’il ne cautionne pas le déballage médiatique autour de certaines acquisitions. Ainsi, il ne dévoile les siennes que par bribes, et parfois même ailleurs qu’à Paris. Du 22 octobre prochain au 15 janvier 2012, les collections de Thomas Olbricht et d’Antoine de Galbert se croiseront. Le collectionneur allemand présentera ses œuvres à la Maison rouge, tandis que le Français dévoilera une partie des siennes au Me Collectors Room à Berlin. Une odyssée sans fin.

Légendes

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1 :: Au rythme de 3 à 6 par an, les expositions se déroulent selon un calendrier régulier, de février à mai, de juin à septembre, et d’octobre à janvier. 2 :: Cette ancienne usine construite autour d’un pavillon d’habitation possède aujourd’hui quatre salles d’exposition d’une superficie totale de 1 300 m2.

Contact www.lamaisonrouge.org


FONDATION RUSTIN

:: MÉCÉNAT

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ArtsOne volume 1

Par Marie-Laure Desjardins :: Portrait Lionel Hannoun, photos Vincent Baillais

Fondation Rustin

AU SERVICE D’UNE ŒUVRE

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réée par plusieurs collectionneurs belges à Anvers, en 1994, la fondation Rustin a été reprise quelques années plus tard par Maurice Verbaet et Corinne van Hövell. Aujourd’hui sise à égale distance entre le centre Pompidou et la galerie Templon, elle a pour vocation de faire rayonner à travers le monde l’œuvre du peintre français Jean Rustin, installé à Paris depuis 1947. Lieu permanent d’exposition de ses dessins et peintures, elle est aussi un centre de documentation et un pôle de référence pour les musées, centres d’art et galeries qui s’intéressent à l’œuvre. Rencontre avec Maurice Verbaet, collectionneur impénitent. ArtsOne : Comment êtes-vous devenu collectionneur ? Maurice Verbaet : Mes parents m’ont donné

Ce que les mots ne savent ou ne peuvent dire, Jean Rustin l’a exprimé dans le plus pur dépouillement, sans céder au pathos ni se payer de mots, comme s’il « habitait » des siècles de peinture. De son vivant la Fondation lui offre la postérité que lui vaut une œuvre hors du temps.

le goût des voyages et des découvertes culturelles. A 16 ans, je commençais à fréquenter seul les musées. J’achetais des revues, des livres d’art. J’aimais m’informer. Tout mon argent de poche passait chez les brocanteurs, pour ma collection. Aujourd’hui encore je suis toujours dans le rouge à la banque à cause d’elle. Ma collection se compose en majorité d’art belge de 1870 à 1950 et depuis presque vingt ans de Rustin. Racontez-nous votre premier souvenir relatif à Jean Rustin. En 1990, je travaillais dans la banque et lisais la presse financière. Ce jour-là j’ai été attiré par un article relatant une exposition de Jean Rustin accompagné d’une photo noir et blanc d’une de ses toiles. J’ai été subjugué par la force extraordinaire de l’œuvre de ce peintre dont je n’avais jamais entendu parler. Il me

fallait le rencontrer d’urgence ce qui fut fait très rapidement. Cette petite photo a pour ainsi dire changé ma vie. De l’admiration à la prise en charge de l’œuvre, il n’y a qu’un pas… Nous nous rencontrions souvent et régulièrement Jean me demandait si je ne pouvais pas m’occuper de son œuvre. Après un très grave accident de moto, j’ai décidé de prendre une année sabbatique, de réflexion. J’ai décidé de quitter le monde de la finance et de suivre ma vraie passion, la peinture et donc Rustin. C’était risqué mais je suis un dangereux passionné ! Quel est le but de la Fondation Rustin ? Tout simplement la défense et la diffusion de l’œuvre de Jean. J’aimerais que nul ne l’ignore. Autant dire qu’il reste beaucoup à


MÉCÉNAT :: ArtsOne volume 1

FONDATION RUSTIN 179

Légendes 1

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1 :: Maurice Verbaet devant une toile de Jean Rustin. 2 :: Sans titre. 3 à 5 :: Vues de la Fondation.

faire car aujourd’hui pour réussir la promotion d’un artiste il faut pénétrer le monde de l’art. Les artistes les plus connus sont américains pas seulement parce qu’ils sont bons mais parce qu’ils sont soutenus par des mécènes puissants. De notre côté, nous manquons de moyens, mais grâce à la compétence et l’énergie de Charlotte Waligora, la directrice de la Fondation, nous avons des résultats. L’an dernier, une toile de Jean est entrée au Fonds national d’art contemporain. Un nouveau pas de franchi vers une véritable reconnaissance de l’œuvre par les institutions. Notons que je partage la présidence de la Fondation avec Corinne van Hövell, une collectionneuse d’Anvers comme moi.

nous nous voyons souvent et nous sommes capables de nous téléphoner plusieurs fois dans une même journée. Il comprend mon humour belge au deuxième degré et moi le sien !

Quelle relation entretenez-vous avec l’artiste ? Un grand respect. Il fait partie de ma famille,

Que pensez-vous du mécénat ? Le mécénat sous toutes ses formes est une réalité aux Etats-Unis. Ici, il reste encore

Comment voyez-vous l’avenir de la Fondation Rustin ? La Fondation est un moyen, pas un but. L’important c’est d’atteindre les objectifs que l’on s’est fixés. Les projets sont nombreux, tous visent à la valorisation de l’œuvre de Jean Rustin. Un nouveau site Internet est d’ores et déjà en ligne. Grâce à lui chacun peut se tenir au courant de toutes les expositions, conférences, sorties de livre et autres événements relatifs à la Fondation.

beaucoup à faire. Il est probable que l’Etat pourrait encore stimuler les dons par une fiscalité plus clémente. Pour ma part, je ne fais pas grande différence entre mécénat et subsides de l’Etat car dans les deux cas la réalisation d’un projet dépend d’un tiers et celui qui bénéficie du don est forcément redevable. Mieux vaut garder sa liberté ! Un conseil pour ceux qui auraient envie de devenir mécène. Revenez dans vingt ans, mon histoire ne fait que commencer ! Plus sérieusement : suivez votre passion !

Contact Fondation Rustin 1, impasse Berthaud, au niveau du 24, rue Beaubourg 75003 Paris. Tél. : 01 42 84 46 35 et www.rustin.eu


PRIX MEURICE

:: MÉCÉNAT

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ArtsOne volume 1

Légendes

1 2 3 1 :: L’hôtel Meurice, Paris. 2 :: Renaud AugusteDormeuil, lauréat 2009. 3 :: Zoulikha Bouabdellah, lauréate 2008.

Contact www.prixmeuricepour lartcontemporain.com

Par Anne-Laure Seibt :: Photos Le Meurice/Dorchester Collection

Le Prix Meurice pour l’art contemporain

Grâce à Dali !

L’hôtel Meurice renoue avec l’art. Lui qui a reçu tant de célébrités entre ses murs crée, en 2008, le Prix Meurice pour l’art contemporain qui récompense de jeunes talents et leurs galeristes.

héritage parfois extravagant, mais aussi à l’intérêt qu’il porte à l’art de son temps, l’hôtel, fraîchement redésigné par Philippe Starck et sa fille Ara, a créé le Prix Meurice pour l’art contemporain. POURQUOI ? Créé en 2008, ce prix a pour vocation d’aider les artistes émergents de la scène française à se faire connaître à l’étranger. Une fois par an, un artiste reçoit une aide directe à la création de 10 000 euros et la galerie qui le représente bénéficie d’une aide à la diffusion de 10 000 euros en vue d’une présentation de l’œuvre sur le stand d’une foire internationale. COMMENT ? Tous les modes d’expression des arts plastiques et visuels sont concernés : peinture, sculpture, installation, photographie, vidéo, etc. Le prix est décerné solidairement par un jury de professionnels à un artiste âgé de moins de 50 ans travaillant en France et à la galerie qui l’expose.

QUI ? C’est en 1835 que l’hôtel de luxe aux 5 étoiles, le plus ancien palace de la capitale, ouvre ses portes rue de Rivoli dans le 1er arrondissement de Paris. Depuis, de nombreux artistes y ont séjourné et y ont laissé de mémorables souvenirs. Salvador Dali avait ainsi transformé l’ancienne suite royale d’Alphonse XIII en atelier dans lequel il lui est arrivé de faire monter des chèvres — sur lesquelles il tirait des balles à blanc —, ou encore une moto ! Fidèle à cet

QUAND ? C’est au mois d’octobre que le jury rend son verdict. Zoulikha Bouabdellah, représentée par la galerie B.A.N.K. et Renaud Auguste-Dormeuil et la galerie In Situ ont été respectivement les lauréats 2008 et 2009 de ce prix. L’an passé, Eric Baudart, représenté par la galerie Chez Valentin, a été récompensé. Rendez-vous en octobre pour connaître le nom du lauréat 2011.


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Par Romuald de Richemont :: Reportage photo Lionel Hannoun

LISBONNE au-delà du fado Moins convenue que Berlin ou Londres, aussi folle que Barcelone, plus originale que Milan, la capitale portugaise possède tous les atouts pour enchanter les amateurs d’art contemporain. A la marge des grands circuits, elle s’intéresse en tout premier lieu à la jeune création. Un séjour qui pourrait bien être tenté de jouer les prolongations !

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ravelling saccadé sur les arcades de la Praça do Comercio, plan d’ensemble des sept collines lisboètes, dédale de places et d’impasses sur les pas d’un étudiant au fado débonnaire : dans La chanson de Lisbonne, premier film parlant portugais de Cotinelli Telmo tourné en 1933, on trouve des figurants comme le réalisateur centenaire Manoel de Oliveira, mais la vedette sensuelle aux charmes éternels est bien Lisbonne. En pénétrant les couleurs chaudes sorties des toiles de l’artiste lusitanien Júlio Pomar, on se perd en flâneries que la cité blanche nous inspire, balisée par les ardoises des bistrots : « You’re lost, come in ! » (Vous êtes perdu, entrez !). Parti de la ville basse, Baixa, la seule partie rectiligne de la capitale refaite après le tremblement de terre de 1755 et la complainte de Voltaire, on hésite entre s’embarquer directement dans les navettes fluviales qui joignent de l’autre côté de l’estuaire


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1 et 3 :: Le tramway et les pavés lustrés par le temps sont indissociables de la vieille ville. 2 :: A l’intérieur de l’élévateur de Santa Justa, conçu en 1902 par Raoul Mesnier du Ponsard.

Barreiro, Seixal ou Montijo, ou prendre les tramways aux itinéraires transversaux et autres modernités du XIXe siècle qui comblent le touriste. Avec l’élévateur néogothique de Santa Justa, conçu en 1902 par l’élève portugais d’Eiffel, Raoul Mesnier du Ponsard, on débouche en trente secondes sur le belvédère du quartier noctambule du Bairro Alto. De là, on surplombe le château São Jorge, le Rossio, la ville basse et le Tage. En longeant les vestiges du couvent des Carmes, laissés en l’état depuis 1755, on aborde la petite fontaine de la place du Largo do Carmo, où le temps semble à tout jamais suspendu. Cerné de graffitis faits au pochoir, est-ce Fernando Pessoa, poète ubiquiste s’il en est, et guide aux doubles hétéronymes, que l’on aperçoit à la terrasse du café art nouveau A Brasileira ? Une pâtisserie d’amandes douces et un expresso pris sur le pouce, on pourrait pousser à pied jusqu’à la maison du barde à Campo de Ourique, mais on saisit le mythique tramway 28.

Sorte de passe-muraille incroyable, l’« electrico » frôle les murs aux allures d’antan en glanant les airs de fado de l’Alfama puis fonce en direction du Largo da Graça. Dans le petit matin dominical, les Lisboètes conversent de balcon à balcon, sur fond de façade d’azulejos, ces céramiques colorées qui ont un temps habillé le métropolitain parisien. Sur cet autre belvédère, Lisbonne se montre généreuse en indiscrétions qui vont se répétant de toit en toit… Non loin, on contourne l’église de Santa Clara où les puces locales s’affichent clairement à la Feira da Ladra (la Foire de la voleuse). En descendant, les ruelles se multiplient pour servir les amoureux d’un labyrinthe d’escaliers, de recoins en impasse et de venelles ou autres « beco ». Le quartier du fado est bonne muse pour ceux qui savent s’y réfugier le temps d’un baiser. A bord du bus, on suit de loin les quais ouest de Lisbonne pour se rendre à la Tour de Belém et au Mosteiro >>>

4 à 8 :: Vues de et depuis le parc des Nations, qui abrita l’Exposition universelle de 1998.

Contact Office du tourisme Rua do Arsenal 15 Tél. : +351 210 312 700 www.visitlisboa.com www.visitportugal.com


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:: AILLEURS ArtsOne volume 1

Légendes

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1 :: Le pavillon du Portugal de l’Expo 98 fut construit par l’architecte Alvaro Siza Vieira. Derrière lui se dressent les tours São Gabriel et São Rafael érigées en 2008 par José Quintela da Fonseca. 2 à 4 :: Jeux de lumières nocturnes au parc des Nations.

>>> dos Jerónimos, monastère où repose aujourd’hui Vasco de Gama en compagnie de Luís de Camões. En glanant l’intraduisible nostalgie lusitanienne du saudade, Wim Wenders confessait dans son film Lisbon Story, qu’il n’avait pas écrit de script. Seule Ainda (Encore), la bande originale du groupe Madredeus, lui suffisait. Encore, toujours, Lisbonne enchante les ballades comme personne : Je vais disant/Certaines choses/Je vais sachant/Certaines autres/Elles sont vraies/Les amitiés/Les aventures. Le cinéaste avait raison de se fier à son intuition. Lisbonne sera toujours un film et chaque visiteur un de ses acteurs. A la rencontre des nymphes du Tage Et puis, il y a Lisbonne la nuit… Les feux des anciens docks balisent la promenade orientale du Tage, fleuve mêlé d’écume loué jadis par Fernando Pessoa, le poète de l’intranquillité : « Pour le voyageur arrivant par la mer, la ville s’élève, même de loin, comme une belle vision de rêve. » Quelle que soit

la saison, c’est bien au songe d’une nuit d’été qu’invite le parc des Nations, naguère lice de l’Exposition universelle de 1998. Après plus d’une décennie d’intégration urbaine, les défis architecturaux de l’Expo 98 couvrent les rives océanes aux reflets mordorés de l’autre capitale ibérique d’un voile lumineux jeté aux ors de la nuit. Arrivé sous les arcades de verre, palmeraie cristalline de la station de métro de l’Orient, de l’architecte espagnol Santiago Calatrava, le regard s’évade dans les profondeurs de l’édifice aux multiples paliers. En suivant le prolongement du dôme du centre Vasco de Gama, où l’eau ne cesse de ruisseler sur de troubles transparences, les tours quasi jumelles São Gabriel et São Rafael de Jose Quintela da Fonseca se reflètent telles les figures de proue du front de mer tout proche. A leur tête, des houppettes métalliques scintillent et jouent avec les vents. Offert aux magnificences de Poséidon, le parc des Nations resplendit des visions nyctalopes qu’il projette.


AILLEURS :: ArtsOne volume 1

Les bannières des 146 pays présents lors de l’Exposition universelle dévoilent la ligne stratosphérique du pavillon Atlantique, inspiré des caravelles du XVIe siècle. En contrepoint, l’Océanarium sur pilotis de Peter Chermayeff diffuse à travers le verre dépoli de sa façade, des couleurs d’aurores boréales. Pour y accéder, des passerelles survolent les bassins. Enfin, le pavillon du Portugal de l’architecte national Siza Vieira emporte l’émotion. Comme en suspens, gonflée sous les alizés, une large toile de ciment lévite entre deux corps de bâtiment sobres et sveltes. Ici, tressaillent des éclairs d’architecture qui, si le jour en dispose, flamboient dès que le soleil tourne le dos à la mer. Au loin, au bord ultime de l’Europe, dressée en icône des rêves de conquêtes, trône la Tour Vasco de Gama, extravagante sculpture de 145 mètres de haut. Elle s’arc-boute fièrement face aux attaques impétueuses, défiant les souffles de l’Atlantique. Déroulé plus loin en une perspective gigantesque, autre

LISBONNE 185

hommage appuyé à l’explorateur de la route des Indes, le pont Vasco de Gama rejoint la bourgade de Montijo en traversant l’estuaire dans sa plus grande largeur. Dans le clair-obscur de ce soir rempli d’échos iodés, les haubans et sémaphores de l’ouvrage, parmi les plus grands d’Europe, suggèrent un jeu de jonchets sur le point de s’entrechoquer. En poursuivant à l’ouest, divine rencontre avec les nymphes du Tage, si peu pudiques qu’elles en deviennent ludiques grâce aux interventions malicieuses du sculpteur Joao Cutileiro. Au terme de la balade, brève escale dans l’un de ces paisibles estaminets de la marina dessinée par Ignasi Raventos Villa. Ici, le léger roulis du fleuve balance des canotes de plaisance au rythme des foulées des joggeurs. Et là, dans les traces du crépuscule où le Tage semble dormir, on voyage comme personne, atteint comme Pessoa « d’une torpeur confuse, toutes mes sensations collées les unes aux autres, saoul de ce que j’ai vu. »

REPÉREZ-VOUS DANS LISBONNE

Restaurant

Boire un verre

Architecture

Lieu de rdv

Culture

A noter

Balade

Transport


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:: AILLEURS ArtsOne volume 1

GALERIA JOÃO ESTEVES DE OLIVEIRA :: L’antre d’un refusé Galeriste autodidacte, João Esteves de Oliveira (notre photo) évite les impétrants en se consacrant exclusivement aux travaux sur papier. Des modernes aux contemporains, le collectionneur à l’esprit vif entretient ses amitiés : Cabrita Reis, Júlio Pomard, Julião Sarmento ou encore Pedro Croft ou Ana Jotta, « la Louise Bourgeois portugaise ». « Meilleur client de (sa propre) galerie », l’ancien banquier présente une programmation au fil de sa collection personnelle. Dans son antre aux charpentes rescapées du tremblement de terre, João Esteves de Oliveira campe depuis 2001 sur les flancs de l’Académie des beaux-arts. Armé de sa mythique chemise blanche et de ses lunettes rouges, il défraye la chronique dès 2003 : blackboulé de la Foire d’art contemporain, il riposte en organisant le Salon d’un refusé, en clin d’œil aux impressionnistes. Bref, c’est « l’électron libre » de la ville. Lors des vernissages, le faux réduit de la galerie prend ses aises grâce à une porte dérobée… Rua Ivens 38 Tél. : +351 21 325 99 40 www.jeogaleria.com

A Casa do Bacalhau La tradition culinaire portugaise dit qu’il y a 365 manières de préparer la morue : ici, une douzaine de plats du fameux « bacalhau » permet d’amorcer cette quête sans fin. Un cadre agréable appuyé par une carte des vins et une assemblée bien lusitaniennes. :: Rua do Grilo 54 Tél. : +351 218 620 000

Hotel do Chiado A deux pas de la station de métro Baixa Chiado, cet hôtel-boutique chic, bénéficie d’une des plus belles terrasses pour prendre un verre avant de dîner et d’un panorama confidentiel.

GALERIA 3+1 :: Brésil lusitanien Dans l’écurie réhabilitée d’un ancien palais, Jorge Viegas (notre photo) et ses deux associés ruent dans les conservatismes ibériques. Voilà plus de deux ans qu’une vingtaine d’artistes portugais et brésiliens composent la programmation du lieu, le « +1 » de l’enseigne. « Pour le Brésil, le Portugal est une porte d’accès vers l’Europe », explique le galeriste captivé par « les inspirations brutales » de l’art contemporain pas seulement carioca. De Rio de Janeiro à São Paulo, Jorge Viegas préfère Belo Horizonte, la capitale ultraculturelle de l’Etat de Minas Gerais. Entre souci d’identité et artisanat, la jeune galerie attise « le choc des cultures à travers le mélange des races. » Lusophones oblige, la terre d’exil réinvente les codes de l’ancienne puissance tutélaire. Interrogez l’équipe sur le graffiti d’entrée qui mêle chinois et numérologie.

Rua Seppa Pinto 31 Tél. : +351 210 170 765 www.3m1arte.com

:: Rua Nova do Almada 114 Tél. : +351 291 724 276 www.hoteldochiado.com :: Vue de l’exposition Favelas, du photographe brésilien Pedro Lobo.


AILLEURS :: ArtsOne volume 1

GALERIA QUADRADO AZUL :: De Porto à Lisbonne En 1986, Manuel Ulisses baptise sa galerie de l’œuvre futuriste K4 o Quadrado Azul d’Amadeo de SouzaCardoso et d’Almada Negreiros, créée en 1917. Pionnier de l’art contemporain à Porto, il découvre la capitale ibérique dix ans plus tard. « Maintenant que Lisbonne s’ouvre à l’art contemporain, les gens sont bien plus réceptifs à ses manifestations », explique Isabel Souto Gonçalvez (notre photo), chargée de communication. Avec un parterre exclusif d’artistes établis, la programmation de garde portugaise adoube les sang-mêlé, tel Thierry Simões, à moitié français. Au creux d’une petite place ouverte aux seuls flâneurs, ce sont près de 150 m2 d’arcades voûtées qui libèrent des volumes chromatiques éclectiques et des installations énigmatiques. Les artistes résidents passent souvent à l’improviste, comme chez eux. Largo dos Stephens 4 Tél. : +351 213 476 280 www.quadradoazul.pt :: Vue d’une exposition du peintre Ãngelo de Sousa.

CARPE DIEM, ARTE E PERSQUISA :: Un ovni chez le marquis de Pombal Incontournable rendez-vous alternatif, l’ovni de la création lisboète vit dans les murs d’un ancien palais du marquis de Pombal. Au fil des rénovations de l’ancien squat, les artistes étrangers sont invités comme autant de résidents éphémères. Sous fresques et moulures XVIIIe, performances et installations s’articulent dans un mélange avant-gardiste des patrimoines. Bardés de titres académiques et pratiques, Lourenço Egreja et ses deux compères, Paulo Reis et Rachel Korman (notre photo), dévoilent au rythme d’une exposition tous les trois mois une programmation en forme de carte blanche étalée sur deux ans. Au détour d’une salle de bal, on croise le carnet d’exil du Camerounais Barthélémy Toguo et, plus loin, dans un boudoir, un banquet dévoré par des rapaces, de l’espagnol Greta Alfaro. Carpe Diem est la petite Villa Médicis de Lisbonne. Avec une équipe cosmopolite, on y parle toutes les langues.

Rua de O Século 79 Tél. : +351 210 966 274 www.carpediemartepesquisa.com :: Road for exile, installation du Camerounais Barthélémy Toguo.

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Théâtre National Sao Carlos Dans le mouchoir de poche du Chiado, le rendez-vous incontournable des amateurs du répertoire lyrique et d’harmonies symphoniques. :: Rua de Serpa Pinto 9 Tél. : +351 213 253 000 www.saocarlos.pt

A Brasileira Ouvert depuis 1905, c’est le lieu incontournable pour un café – demander l’histoire du « bica » – et une pâtisserie sur le pouce. Pessoa y a encore sa table entourée des fumeurs de passage. A voir aussi pour sa noria d’huiles sur toile art nouveau. :: Rua Garrettv 120

Parc des Nations Du parc de l’Exposition universelle de 1998, résolument tourné vers le Tage, la vue suit le pont Vasco de Gama, le plus long d’Europe avec ses 17 kilomètres émaillés de défis architecturaux : le Pavillon Atlantique, celui de la Connaissance, le Pavillon du Portugal et la Gare de l’Orient, l’Océanarium de Lisbonne et la tour Vasco de Gama.

Musée Calouste Gulbenkian Une référence née de la collection privée de l’homme d’affaires arménien qui lui a donné son nom, ce musée est placé au cœur de l’un des plus beaux parcs de la capitale. :: Av. Berna 45-A Tél. : +351 217 823 000 www.museu.gulbenkian.pt


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Solar do Castelo Un hôtelboutique aux espaces pombaliens juché en haut de l’Alfama, à l’intérieur du Castelo São Jorge, caché dans un dédale de petites ruelles. On n’y accède qu’en taxi et encore… :: Rua das Cozinhas 2 Tél. : +351 218 806 050 www.solardocastelo.com

Claras em Castelo Une cuisine intime et familiale à deux pas du Castelo São Jorge. Entre une cuisinière portugaise et un ancien marin français, une bonne occasion pour humer Lisbonne et ses terroirs alentour.

:: AILLEURS ArtsOne volume

GALERIA RATTON :: Azulejos au goût du jour Les murs de Lisbonne tiendraient-ils sans leurs façades d’azulejos ? Ces carreaux de céramique, exportés jusqu’au métropolitain parisien, sont le credo de la galerie Ratton. « Le défi est de rénover l’esprit de la céramique en attirant les artistes », explique Ana Viegas (notre photo) qui, depuis 1987, produit sur faïence traditionnelle les projets d’artistes majeurs : Júlio Pomar ou Joana Rosa, petite-fille du sculpteur Leopoldo de Almeida, ou encore la peintre Graça Morais. « Les azulejos appartiennent à un espace non-conventionnel », remarque la directrice de la galerie, habituée à la démesure des espaces publics. Bien archivés dans un recoin de la galerie, on débusque une kyrielle d’azulejos aux mille motifs : une faveur à demander sans barguigner. La galerie est aussi le rendez-vous de la gent littéraire.

Rua Academia das Ciéncias 2C Tél. : +351 21 346 09 48 galeriaratton.blogspot.com

:: Bartlomeu de Gusmao 31 Tél. : +351 218 853 071 :: Vue d’une exposition de Graça Morais.

GALERIA ANTÓNIO PRATES :: Production de A à Z Derrière la galerie éponyme d’António Prates (notre photo), se cache un atelier de sérigraphie, une maison d’édition et un club pour « démocratiser l’art contemporain. Car il y a vingt ans personne n’achetait, aujourd’hui si ». Né en pleine campagne portugaise, António Prates délaisse les codes urbains pour dévoiler une passion de collectionneur acharné. « Créer, pas copier », souligne-t-il, désireux que la jeune avant-garde portugaise puise à même ses racines les « innovations » de demain. « C’est comme une grande famille, c’est mon style de vie, je travaille dans l’art mais avec simplicité », raconte-t-il en pygmalion enjoué et entreprenant. En plus des Français Ivan Messac et feu Arman, l’Argentin Antonio Seguí côtoie Cruzeiro Seixas comme la jeune et polémique artiste Eva Alves, auteur d’un presse-purée… en velours. Passer en fin de journée pour rencontrer António Prates.

Rua Alexandre Herculano 39A Tél. : +351 21357 1167 www.galeriaantonioprates.com

:: Vue de l’exposition Série Madoff, d’Antonio Seguí.


AILLEURS :: ArtsOne volume 1

LISBONNE 189

FILOMENA SOARES :: Un espace hors norme Temple absolu de l’art contemporain de la capitale. Entre un dépôt de pommes de terre et un garage, l’ancien entrepôt explose les communes mesures d’exposition. Ici, les créateurs devenus démiurges profitent d’un espace saisissant : voilà les baleiniers de Moby Dick – en référence à l’appendice – de João Pedro Vale et les délires séculiers d’António Olaio avec Crying my brain out. « Le but est de présenter des artistes étrangers et l’inverse », cible Lucia, en charge de la communication, en évoquant les voisins peu habitués à ce genre de manifestations. Initié dans le mouvement de l’Expo 98, Filomena Soares et Manuel Santos (notre photo) offrent une place aux artistes qui ne collent pas aux espaces de la vieille ville. Y faire halte au cours de l’itinéraire du parc des Nations de l’Exposition universelle 98.

Rua da Manutenção 80 Tél. : +351 218 624 122/3 www.gfilomenasoares.com

:: Vue de l’exposition Crying my brains out d’António Olaio.

INFLUX CONTEMPORARY ART :: L’Africa Tage Jeune galerie dynamique, on y entre comme dans un ventre : celui du berceau de l’humanité. L’Afrique est le pari osé d’un trio de collectionneurs qui coïncide avec celui des créateurs du continent noir et de sa diaspora : « Ils ont besoin de vendre pour survivre, leurs œuvres voyagent avec eux, au gré de leur passage », explique Nuno Salgueiro-Lobo, dans un portugais qu’il apprend à mâtiner de français à l’adresse des artistes d’Afrique de l’Ouest. Du Sénégal, avec Soly Cissé, au Maghreb avec le franco-tunisien Mourad Gharrach, les artistes affluent des quatre coins du continent noir, sans omettre les liens lusophones avec l’artiste partisane et mozambicaine, Valente Malangatana Ngwenya. Ici, le corps et l’esprit participent d’une même passion. A cinq minutes de l’aéroport, détour à l’aller ou au retour.

Rua Fernando Vaz 20B Tél. : + 351 91 850 1234 www.influxcontemporary.com

:: Dans les bras de Nuno Salgueiro-Lobo, une œuvre du Sénégalais Soly Cissé.

Centre historique Le centre-ville du vieux Lisbonne réunit plusieurs quartiers unis par une même histoire mais tous différents d’âme : le Bairro Alto, moderne et typique. S’y mélangent tradition et dernières tendances ; le Chiado, poumon culturel et artistique ; le Carmo pour l’histoire de la ville à ciel ouvert avec les ruines intactes du tremblement de terre de 1755 et le Largo do Carmo, place inséparable de la révolution des Œillets du 25 avril 1974 ; la Baixa, la seule partie rectiligne de la ville qui relie le Terreiro do Paco du front de mer à la place du Rossio.

Belém Legs de l’« âge d’or » de Manuel Ier, c’est d’ici que partirent les caravelles, notamment celle de Vasco de Gama vers les Indes. Incontournable avec le Monastère des Hiéronymites du XVIe siècle et la Tour de Bélem, tous deux inscrits au patrimoine culturel de l’humanité de l’Unesco, Luis de Camões et Vasco de Gama reposent au sein de cette architecture dont les flèches gothiques annoncent la Renaissance.


LISBONNE 190

:: AILLEURS ArtsOne volume 1

CRISTINA GUERRA :: La galerie des idées

Feira da Ladra La Foire de la voleuse, tout y est de seconde main. :: Campo de Santa Clara Tél. : +351 96 254 0775

Tramway 28 L’« electrico » mythique Transport de Lisbonne parcourt inlassablement la capitale. Des fados de l’Alfama, à la maison de Pessoa à Campo de Ourique, la ligne 28 est le plus sûr moyen de savoir se perdre en croisant les charmes de Lisbonne.

Elevador Santa Justa De style néogothique, cet élévateur est l’ascenseur qui vous propulse du quartier de la Baixa aux ruines du couvent des Carmes, laissé en l’état depuis 1755. Par ailleurs, l’un des belvédères les plus connus de Lisbonne. Pas besoin d’adresse, on ne voit que lui. Les autres belvédères sont situés à San Pedro de Alcântara, Castelo São Jorge, Santa Luzia, Graça, Jardim do Torel, Senhora do Monte, Monte Agudo, Penha de França, et Parque Eduardo VII.

L’un des rendez-vous obligés de Lisbonne. La galerie de Cristina Guerra appartient au trio de tête de l’establishment lisboète. Avec une scénographie portée par un espace modulable, les artistes sont libres d’agencer et de présenter l’ensemble de leurs travaux préparatoires. On traverse l’univers des signes d’un Matt Mullican (nos photos) comme on pénètre les interrogations existentielles de Julião Sarmento : ici, l’impertinence frappe par son acuité. La programmation largement portée par les images et les idées découvre des spécificités piquantes. Présent dans la plupart des foires d’art contemporain ainsi qu’à la FIAC, le public de la galerie est résolument international. Attention, il est préférable de prendre rendez-vous.

Rua Santo António à Estrela 33 Tél. : +351 213 959 559 www.cristinaguerra.com

:: Vue de l’exposition Inside Matt Mullican’s cave.

GALERIA PEDRO SERRENHO :: L’esprit de la jeune création Dans un sous-sol lumineux aux multiples mezzanines, Pedro Serrenho distribue les premières chances. Avant que le marché n’aspire les prétendants diplômés en art, lui, les expose. Avec vingt-trois artistes principalement « débauchés » à la sortie des cours, Pedro Serrenho lorgne sur la « quatrième année » : celle des projets. « Je défends le droit à la curiosité en dehors des galeries guindées, pour les collectionneurs ‘‘ d’art jeune ’’. » Ainsi, ses prospectives lui permettent d’avoir une programmation étendue sur deux ans. « Neufs et frais », selon son expression, on goûte les acryliques pastel de Gil Maia sans pour autant bouder les cartons symboliques de Carlos Barão, cinquantenaire toujours dans le vent. A deux pas de la maison de Fernando Pessoa.

Rua Almeida e Sousa 21A Tél. : +351 213 93 07 14 www.galeriapedroserrenho.com

:: Pedro Serrenho devant les œuvres d’Isabel Pereira.


AILLEURS :: ArtsOne volume 1

LISBONNE 191

GALERIA PEDRO CERA :: Miroirs du réel Calée au détour de deux tours, la galerie Pedro Cera plaide délibérément en faveur des miroirs du réel. Ouvert à tous les moyens d’expression, l’ancien collectionneur a sauté le pas : il est devenu galeriste tout en gardant sa faconde d’avocat. Suffit-il de savoir que le Français Yves Oppeneim se joue des périmètres de la galerie pour saisir qu’il y est question de recherche ? Les céramiques cognitives d’Adam Pendleton ou les clichés de A room with a view du Portugais berlinois Nuno Cera, sont autant d’atouts remarquables pour cette jeune galerie. « Nous avons de bons artistes mais pas assez de collectionneurs ; l’art contemporain est encore neuf à Lisbonne, d’où également un manque de soutien des institutions », analyse Mercedes Costa (notre photo), directrice du lieu. Investie dans les foires à l’international comme à l’Association portugaise des galerie d’art, Pedro Cera concilie l’utile et l’agréable surprise au style. Prendre langue avec le volubile Pedro Cera.

Rua do Patrocínio 67E Tél. : +351 21 8162032 www.pedrocera.com

MARZ GALERIA :: Nouvelle vague C’est la galerie que vous voulez connaître pour y avoir été avant les autres. « Prendre des risques », c’est la maxime des fondateurs transfuges de la Marz Galeria, Carlos Marzia et Nancy Dantas (notre photo). « Tout est question d’échange, on suit les artistes à partir de la genèse de leurs projets », explique en préambule Nancy Dantas. Avec des travaux volontairement conceptuels et minimalistes, cette belle adresse appréhende sur deux niveaux les perceptions parallèles d’une nouvelle génération d’artistes : les persiennes fantomatiques de l’Argentin Nicolás Robbio ou les clairs-obscurs au graphite de Diogo Pimentão. De cette atmosphère particulière se dégage une ligne esthétique commune, sorte de cooptation d’artistes unis par un projet de galerie. Ainsi, huit résidents suffisent. Sous des néons soleil qui sondent le futur, la quadrature du cercle est bien souvent résolue par la simplicité d’œuvres poussées jusqu’à l’intime. En fin de journée, afin de profiter de la fraîcheur du sous-sol.

Rua Reinaldo Ferreira 20A Tél. : +351 218 464 446 www.marz.biz :: Vue de l’exposition Partida de Nicolás Robbio. Photos Marz galeria

Lisboa Card Pour 24, 48 ou 72 heures (33 € pour trois jours), c’est le moyen le plus pratique pour sauter du tramway 28 dans une station de métro, et bénéficier de réductions dans les musées et autres rendez-vous lisboètes.

Fondation d’art contemporain et moderne Berardo Issue de la collection privée du même nom, dans le quartier de Belém, on y retrouve Pablo Picasso, Jackson Pollock, Salvador Dali, Roy Lichtenstein et la Portugaise Paula Regoun. Entrée gratuite. :: Praça do Império Tél. : +351 213 612 878 www.museuberardo.pt


MARC ZAFFUTO ET EMMANUEL D’ORAZIO 192

:: PLEINS FEUX ArtsOne volume 1

Par Hicham Nazzal ::

Marc Zaffuto et Emmanuel d’Orazio

Ils ont choisi…

S

Les créateurs des soirées « Club Sandwich » où le Tout-Paris se presse nous font découvrir les artistes qu’ils aiment et reçoivent à l’Espace Cardin.

’ils étaient un chiffre, ils seraient le « deux ». Le « deux », effet miroir, le « deux », parfait reflet. Bousculant depuis six ans le monde de la nuit, le duo Marc Zaffuto et Emmanuel d’Orazio règne de main de maître(s) – de cérémonie, forcément – sur la sortie la plus chic de la capitale parisienne, la soirée « Club Sandwich ». Les éditions Bal Noir, Drôle d’oiseau ou encore Casanova – où les convives sont invités à jouer le jeu du déguisement raffiné – sont déjà cultes. Systématiquement revêtus

d’un costume évoquant le même personnage, Marc Zaffuto et Emmanuel d’Orazio accueillent leurs convives à l’Espace Cardin. Ce lieu mythique chargé d’histoire(s), qui a vu défiler nombre de personnalités hautes en couleur, est idéal. Ces soirées qui ne sont pas sans rappeler les grandes heures du Studio 54 ou du Palace, ont su convaincre et fidéliser elles aussi toute une partie de la « planète art ». Nous avons ainsi demandé à notre duo de dresser pour nous le « Panthéon » de leurs amis artistes les plus mordus… de « Club Sandwich » !

RYAN McGINLEY

:: www.ryanmcginley. com En 2003, à l’âge de 25 ans, il devient le plus jeune artiste exposé au Whitney Museum en solo de New York. Sacré « Pho tographe de l’année en 2003 par le magaz » ine américain Photo, il reçoit quatre ans plu prix du « Jeune photog s tard le raphe » du Centre inte rnational de la photog A la façon d’un Larry raphie. Clark ou d’une Nan Go ldin, Ryan McGinley photographie son ent ourage, épris de jeunes se et de liberté, où la symboliserait une vie nudité utopique et hédoniste débarrassée du présen t.

STEVEN KLEIN

dio.com d’avoir :: www.stevenkleinstu d’armes principal est ain né en 1961. Son fait éric am r clients teu ers lisa div réa r pou Photographe et de grande envergure pagnes de publicité rement cam uliè de rég ue tion trib lisa réa con Il la . signé Nike…) der Mc Queen, D & G, xan séries Ale ses in, c Kle ave , lvin ce qui de prestige (Ca e et française) et W ue (versions américain du moment. Vog és me pris s com plu ues les rev hes à des un des photograp , Tom Cruise, en fait sur Madonna, Brad Pitt

:: STEVEN KLEIN : Home Work, Vogue US, Décembre 2007. :: RYAN MCKINGLEY : Tim (Black Eye), 2005. Tirage couleur en 3 exemplaires, 27,9 x 35,5 cm. Photo courtesy galerie du jour agnès b. :: TERENCE KOH : Boy by the Roman Sea, à Carrare en Italie, 2010. Photo Valerio E. Brambilla. :: CASEY SPOONER : Casey Spooner. Photo Fisherspooner. :: GILBERT & GEORGE : Union, 2008, technique mixte, 226,5 x 381 cm, et Star Wheels, 2008, technique mixte, 226,5 x 381 cm. Photos Gilbert & George courtesy galerie Thaddaeus Ropac, Paris/Salzburg. :: FRANCESCO VEZZOLI : Le surréalisme c’est moi ! , 2009. Photo Francesco Vezzoli courtesy galerie Yvon Lambert.


PLEINS FEUX :: ArtsOne volume 1

MARC ZAFFUTO ET EMMANUEL D’ORAZIO 193

CASEY PO ONER

Né le 2 févr ier 1970 au x Etats-Uni suit des ét s, ce music udes à l’Ins ien titut d’Art qu’il rencon de Chicago tre Warren . C’est là Fischer av le groupe ec qui il fo électro Fisc nde en 1998 herspooner à leur actif . Avec troi , et des clip s albums s vidéo très se bâtit un artistiques, e solide ré le duo putation de participe ég qualité. Cas alement à ey Spoone des perfor r comme au mances ar sein du co tistiques, llectif Doo rika, instal lé à Chicago .

OH TERENCE K

nouveau déjà en lui le rtains voient unkboy.com ce np s, ia Asian as an w. de 33 w m A w no :: se. 2003, sous le origine chinoi ue a lieu en sitions, t un artiste d’ tiq po es tis ex h ar s e Ko se e èn de nc une Tere rition sur la sc isé pagnent chac emière appa s qui accom ement très pr Warhol. Sa pr ien, est égal ces ritualisée tic an as rm pl rfo et pe tre in de rs pe h, Lo y. Ko e Bo Punk habité. Terenc eurs. mplètement et collectionn il apparaît co s, galeristes ur te va er ns ns, co par institutio

FRANCESCO V EZZOLI

Artiste contemp orain âgé de 39 ans, d’origine italienne. Il trava ille essentiellem ent la photo et la vidéo. Son sujet de prédilec tion se concentre sur l’obsession du public pour la célébrité et la vie privée des people. Fra ncesco Vezzoli obtient sa cons écration lors de la Biennale de Ve de 2007 où il pré nise sente une parod ie de campagne présidentielle am éricaine, celle de Patrick et Patric Hill, respectiveme ia nt incarnés par Sharon Stone et Bernard-Henri Lévy dans Demo crazy.

, trés en 1967 ORGE E sont rencon G se Art & e) of T rr R ge te E le GILB é en Angle artins Col George (n connaître tral Saint M

d Cen en Italie) et font d’abor pture à la s Gilbert (né iant la scul uple. S’ils se ud co ét omontage en ot en nt ph s, s aille ur 24 an hui pour le puis ils trav à l’âge de d’ de ur et jo rs s, au eu re ul lébrés n de Lond mmes de co ils sont cé and Desig ormance, dans des ga traux. tes de perf blanc puis vi tis et ar ir de e no re m iè an com abord en noir, à la m d format, d’ cernés de de très gran en carreaux és up co et dé très vives,


:: ABONNEMENT

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ArtsOne :: Numéro 1 2e trimestre 2011 Fonds de dotation Claudel et magazine ArtsOne, président et fondateur : Damien Claudel Directeur de la publication :: Damien Claudel Rédactrice en chef :: Marie-Laure Desjardins Chefs d’édition :: Samantha Deman :: Caroline Figwer :: Florent Founès Photographes :: Vincent Baillais :: Mathieu Baumer :: Pierre Guerlain :: Lionel Hannoun

Ont collaboré à ce numéro :: Armelle Bajard :: Nathalie Bencal :: Neel Chrillesen :: Alexandre Henry :: Pauline Mérange :: Hicham Nazzal :: Anne-Sophie Pellerin :: Xavier Renard :: Max Renn :: Romuald de Richemont :: Dinah Sagalovitsch :: Anne-Laure Seibt :: Charlotte Waligora Rubrique grands mécènes :: Gonzague Saint Bris Rubrique grands collectionneurs :: Hermine de Clermont-Tonnerre

Rubrique philosophie :: Raphaël Enthoven Création graphique :: Magazine : Fenêtre sur cour [Cédric Pabolleta, Alexandra de Lapierre] :: Couverture : Damien Claudel

ArtsOne volume 1

ArtsOne 83, avenue de Wagram, 75017 Paris. art@fondsdedotationclaudel.com

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Éditeur :: FDC 83, avenue de Wagram 75017 Paris

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Imprimeur certifié norme Imprim’vert

ISSN :: En cours

Ventes, réassort :: A juste titre Hélène Ritz Tél. : 04 88 15 12 40

Dépot légal : :: À parution Diffusion : :: Presstalis

Abonnements 2012 A photocopier et à envoyer sous enveloppe affranchie à : ArtsOne Abonnements, Damien Claudel, 83 avenue de Wagram, 75017 Paris. Oui, je profite de cette offre d’abonnement d’un an pour recevoir 4 numéros d’ArtsOne magazine, au prix de 12 euros. Offre valable en France Métropolitaine et pour la Principauté de Monaco. Pour l’étranger, nous consulter (art@fondsdedotationclaudel.com) SOCIÉTÉ NOM ADRESSE

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Contacts Pour les vernissages, les foires d’art contemporain ou pour les dossiers d’artistes, concours, événements, adressez vos courriers à : ArtsOne magazine Damien Claudel 83, avenue de Wagram, 75017 Paris. art@fondsdedotationclaudel.com Tél. : 00 33 (0)1 48 88 95 95


L’art et la

philanthropie ont enfin

leur magazine

Falcon sunset, © Olivier Dassault

ArtsOne, en kiosque chaque trimestre.

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FONDS DE DOTATION CLAUDEL 83, AVENUE DE WAGRAM, 75017 PARIS, FRANCE. ART@FONDSDEDOTATIONCLAUDEL.COM


A

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L

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IVANA ADAIME-MAKAC

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ANGE LECCIA

PIERRE ALECHINSKY

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FRANCK LESTARD

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JONATHAN LEVIEN

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AGNÈS BAILLON

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SYBILLE DE MARGERIE

CHRISTIAN BOLTANSKI

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CHRISTOPHE MASSÉ

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BENOÎT MAZZER

GIANBATTISTA BRESCIANI JEAN-MARC BRUNET

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RYAN MCGINGLEY

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HICHAM BERRADA LAURENT ET JULIEN BONNEAU

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BAPTISTE MENU

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FABIEN MERELLE

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HUMBERTO ET FERNANDO CAMPANA

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JACQUES MONORY

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FRANÇOISE CARATINI

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FRÉDÉRIQUE MORREL

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FRANCESCA CARRUANA

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ROLAND CASTRO

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FREDDY NADOLNY POUSTOCHKINE

MAARTEN DE CEULAER

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MIGUEL CHEVALIER

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CHRISTOPHE CONAN

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DENIS OLIVIER

MATALI CRASSET

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OSCAR ONO

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NILS-UDO

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OLIVIER DASSAULT

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MARC PETIT

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DUVIER DEL DAGO FERNANDEZ

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JOHN PHAM

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MARINE DELTERME

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GUILLAUME PIÉCHAUD

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ROMAIN DE SOUZA

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DENIS POUPPEVILLE

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ERIC DIZAMBOURG

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RUSTHA-LUNA POZZI-ESCOT

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NIPA DOSHI

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CASEY POONER

PHILIPPE DRUILLET

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GILBERT & GEORGE

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CLÉMENCE RENAUD

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NOÉMIE ROCHER

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SABRINA GRUSS

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ANTOINE ROEGIERS

YVES GUILLO

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JOHN ROMITA

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SIMON RULQUIN

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XU GUO

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JÖRG HERMLE CHRISTOPHE HOLSTEIN

J CHRISTOPHE JOSSE

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SHIHE GAO

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MAXIME SIMOENS

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FRANCK SORBIER

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T MARIE THURNAUER

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STEVEN KLEIN

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TERENCE KOH

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PATRICK VAN CAECKENBERGH

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FRANCESCO VEZZOLI

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France, Monaco 2 € Italie, Belgique, Luxembourg 5 € Espagne, Portugal 8 € Grande-Bretagne 6 £ Etats-Unis $10 Bahamas $10 Suisse 12 CHF Canada $10 Liban US$10 Emirats Arabes Unis US$10

M 03530 - 1 H - F: 2,00 E - RD

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