Le Fil Novembre/Décembre 2014

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POUR TOUS CEUX QUI ONT LA PASSION DES DROITS HUMAINS novembre/décembre 2014

voLUme 44 n° 006

CHELSEA MANNING :

« IL FAUT PARLER HAUT ET FORT, QUITTE À COURIR DES RISQUES »

Écrivez une lettre, signez une pétition, envoyez un tweet... Découvrez que de simples mots peuvent changer des vies.

ÉCRIRE POUR LES DROITS


À Moscou, une militante tient une manifestation inopinée en compagnie de mannequins arborant des affiches, pour attirer l'attention sur une mesure interdisant en Russie les rassemblements de plus d'une personne, même pacifiques. Cette action faisait partie de notre semaine d'action mondiale pour la Russie d'octobre 2014, sous le mot-clé #SpeakOut. Nous nous sommes mobilisés ensemble pour les libertés fondamentales et les droits humains, aujourd'hui menacés dans tout le pays. Regardez manifester les mannequins dans notre vidéo : http://bit.ly/RussiaDummy


DANS CE NUMÉRO DU FIL « ENSEMBLE, NOUS AVONS CE POUVOIR » Notre secrétaire général, Salil Shetty, nous explique pourquoi Écrire pour les droits, le principal événement organisé dans le monde en faveur des droits humains, peut vraiment changer les choses. PAGE 4.

UNE INTERVIEW DE CHELSEA MANNING Depuis sa cellule du Kansas, aux États-Unis, Chelsea l'affirme : lorsqu'on a la possibilité de dénoncer l'injustice, on ne doit pas manquer cette occasion. PAGE 6.

7 MANIÈRES DONT L'ARABIE SAOUDITE MUSELLE LES INTERNAUTES Un blogueur de ce pays révèle les différentes tactiques employées par les autorités pour empêcher les gens de s'exprimer librement. PAGE 8.

LE COMBAT DE BHOPAL CONTINUE Faites connaissance avec les militants qui se battent toujours pour obtenir justice, 30 ans après la terrible fuite de gaz qui a tué des milliers de personnes à Bhopal, en Inde. PAGE 11.

UN SECRET PERCÉ À JOUR John Jeanette a suivi un itinéraire de transformation qui implique tout son être ; il est temps que la Norvège assume pleinement sa vocation de défense des droits humains. PAGE 14.

« PROVOQUER DES CONFLITS, TROUBLER L'ORDRE PUBLIC » Liu Ping, devenue une fervente combattante contre la corruption, paie son engagement au prix fort. Sa fille raconte ce qui s'est passé. PAGE 16.

STOP TORTURE DANS LE MONDE ENTIER Qu'est-il arrivé à Moses, Jerryme, Daniel et Erkin ? Comment pouvons-nous les aider à obtenir justice au Nigeria, aux Philippines, au Venezuela et en Ouzbékistan ? PAGE 22.

ÉGALEMENT DANS CE NUMÉRO

© Amnesty International

Merci de tout cœur, déclare un ancien prisonnier au Bélarus (EN PREMIÈRE LIGNE, PAGE 3) ; un village grec déchiré par la haine, et ce que nous pouvons y faire (PAGE 10) ; une personne extraordinaire des Émirats arabes unis (PAGE 20), et de grands obstacles surmontés en Afrique du Sud (PAGE 20). editorial Studio, Amnesty International, International Secretariat, Peter benenson House, 1 easton Street, Londres Wc1X 0dW, royaume-Uni © Amnesty International Ltd, Index : nWS 21/006/2014, ISSn : 1472-443X, Imprimé par banbury Litho, banbury, royaume-Uni. Tous droits de reproduction réservés.

Illustration de couverture : Portraits réalisés par l'artiste Juan Osborne et associés aux récits d'Écrire pour les droits 2014.

ÉDITORIAL

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ UNE VIE dans ce numéro du FIL, vous ferez la connaissance de 12 personnes et groupes très variés. Qu'est-ce qui les rapproche ? Une chose : il est bel et bien possible, dès aujourd'hui, d'avoir une influence positive sur le cours de leur vie. en décembre, pour la 12e année consécutive, des femmes, des hommes et des enfants du monde entier se réuniront – dans des maisons de quartier, sur des places publiques, chez eux ou sur Internet – pour une activité très simple : écrire des lettres. nos messages – plus de 2,3 millions en 2013 – ont un pouvoir bien à eux. Imaginez : vous passez des jours, des mois, des années à vous dire que le monde vous a oublié. et puis, soudain, des milliers de lettres arrivent : la preuve concrète que vous n'êtes pas seul. c'est ce qui est arrivé à Ales bialiatski, au bélarus, qui a été libéré plus tôt dans l'année (voir page 3). et c'est ce qui arrivera à un grand nombre d'autres personnes quand nous taillerons nos crayons ou nous mettrons à nos claviers pour la plus grande manifestation mondiale relative aux droits humains, Écrire pour les droits. rejoignez-nous ! vous trouverez tout ce dont vous avez besoin pour y participer dans ce numéro spécial du FIL, le magazine mondial de campagne d'Amnesty.

À PROPOS DU FIL Pour lire LE FIL en ligne, ainsi que notre blog LIVEWIRE, rendez-vous sur livewire.amnesty.org Suivez-nous sur Twitter @AmnestyOnline Rejoignez-nous : http://www.amnesty.org/fr/join En vous abonnant, vous recevrez six numéros du FIL par an* Courriel : wire.subscribe@amnesty.org Tél. : + 44 (0) 20 7413 5507 *15£/24$/17€ par an (35£/54$/41€ pour les institutions).


ACTUALITÉS

BONNES NOUVELLES ET INFORMATIONS

À LA MÉMOIRE DES RÉFUGIÉS NOYÉS © Amnesty International

Des cérémonies ont eu lieu dans le monde entier en octobre, en souvenir de plus de 500 réfugiés et migrants qui ont perdu la vie l'année dernière lors de deux naufrages près de l'île de Lampedusa, au large des côtes italiennes. L'Italie a sauvé de nombreuses vies, parmi celles et ceux qui bravent le danger dans l'espoir de passer en Europe. Mais le pays a annoncé récemment qu'il allait mettre un terme à son programme de recherche et sauvetage et le remplacer par un projet qui selon nous ne répond pas aux besoins. Un grand merci aux milliers de personnes qui ont déjà demandé aux dirigeants de l'UE de ne plus laisser mourir des gens en mer. Continuez à signer ! http://bit.ly/Fortresseurope #SoSeurope #MyBodyMyRights End #AbortionStigma

L'AVORTEMENT N'EST PAS UN CRIME EN FINIR AVEC L'INTERDICTION TOTALE DE L'AVORTEMENT AU SALVADOR Des militants, des avocats et des femmes de zones rurales se sont impliqués dans notre campagne Mon corps, mes droits au Salvador à l'occasion du lancement de notre rapport sur l'interdiction totale de l'avortement, en septembre. Dans le pays, des groupes de jeunes ont donné des pièces de théâtre, prononcé des discours passionnés et joué des morceaux de musique consacrés à 17 femmes emprisonnées pour des questions liées à la grossesse. Des centaines de personnes ont bravé une pluie torrentielle pour participer à un rassemblement en faveur des droits des femmes.

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MAGNIFIQUE RÉUSSITE DE NOTRE CAMPAGNE STOP TORTURE

n Ángel Colón (photo ci-dessus), un migrant torturé et placé en détention au Mexique, a été remis en liberté en octobre après l'intervention auprès du gouvernement de milliers d'entre vous ! n Au Nigeria, les autorités ont réagi publiquement après avoir reçu des milliers de messages électroniques sur le cas de Moses Akatugba, torturé et condamné à mort (voir page 22). Nous nourrissons l'espoir de recevoir bientôt de bonnes nouvelles sur ce cas. n Nous avons remis près de 350 000 signatures, données dans 117 pays, réclamant justice pour Claudia Medina, torturée au Mexique, et plus de 215 000 en faveur d'Ali Aarrass, torturé au Maroc. n Des manifestations silencieuses ont eu lieu dans plus de 10 villes européennes où l'ambassade d'Ouzbékistan avait délibérément ignoré les demandes de rencontre pour remettre une pétition signée par 200 000 personnes sur le cas de Dilorom Abdoukadirova, qui a été torturée dans ce pays. Pour en savoir plus : www.amnesty.org/stoptorture


ACTUALITÉS

© Amnesty International

EN PREMIÈRE LIGNE

« J'AImerAIS remercIer ToUT Le monde de ToUT cœUr »

RAPPORT 2014/15 D'AMNESTY INTERNATIONAL

UN PAS DE GÉANT POUR LE CONTRÔLE DES ARMES Cinquante-trois pays ont désormais ratifié le Traité sur le commerce des armes. Ces règles sur les ventes internationales d'armes vont donc entrer en vigueur le 24 décembre 2014. C'est un progrès immense, qui va permettre de sauver des vies humaines. Il reste cependant beaucoup trop d'États qui n'ont pas encore fait assez d'efforts pour mettre un terme à la souffrance humaine causée par la vente irresponsable d'armes. Nous devons maintenir la pression sur toutes les nations afin qu'elles aillent jusqu'au bout et mettent en œuvre le traité. http://bit.ly/noAtrocities

LE SAVIEZ-VOUS ? Amnesty International a connu une belle croissance : ce mouvement

PRÈS DE 200 000 SIGNATURES POUR NOTRE PÉTITION RÉCLAMANT DES LOIS PLUS ÉQUITABLES POUR LES FEMMES Un grand merci à tous les signataires de notre pétition demandant aux autorités algériennes, marocaines et tunisiennes de réformer les lois qui mettent en danger les femmes et jeunes filles ayant subi des violences sexuelles. Le chiffre est impressionnant : vous êtes 197 713 à avoir signé dans le cadre de notre campagne Mon corps, mes droits. Nous allons remettre la pétition à des représentants du gouvernement de chacun des trois États, à commencer par la Tunisie, en novembre. La remise de la pétition intervient au moment où l'on prépare une nouvelle loi sur les violences contre les femmes. C'est le moment opportun pour intervenir et faire en sorte que les victimes de violences sexuelles soient entendues. Associez-vous à notre action de solidarité : http://mb-mr.tumblr.com © Amnesty International/Graham Seely

Le rapport annuel de notre organisation sur la situation des droits humains dans le monde, une publication réputée, paraîtra en février 2015. Passant en revue de manière détaillée les événements intervenus en 2014, ainsi qu'une partie de ceux de 2013, c'est un ouvrage de référence couvrant 150 pays. Il comprendra également des résumés régionaux et des synthèses sur de grands thèmes liés aux campagnes mondiales d'Amnesty et au travail de l'organisation. Pour en savoir plus : www.amnesty.org

mondial rassemble plus de 7 millions de personnes dans presque tous les pays du monde. rejoignez-nous : www.amnesty.org

DITES-NOUS CE QUE VOUS PENSEZ DU FIL ! Merci de prendre cinq minutes pour remplir notre enquête auprès des lecteurs du FIL ! Nous analyserons les résultats afin de réaliser un magazine encore meilleur. Vous pouvez gagner un bel ensemble Amnesty One World (cartes de vœux, éphéméride et calendrier), ou bien un pack cadeau avec différents produits. http://bit.ly/WireSurvey

Ci-dessus : En Autriche, des sympathisants d'Amnesty demandent justice pour Claudia Medina, torturée au Mexique.

© Amnesty International

Dans une ambiance musicale, sur fond de banderoles déployées et de slogans tels que « Nous sommes des femmes, pas des couveuses ! », des dizaines de femmes ont joué des coudes pour signer notre pétition réclamant la dépénalisation de l'avortement. La pétition est encore active. Signez-la ! http://bit.ly/banabortionelsalv

Dans sa cellule du Bélarus, le prisonnier politique Ales Bialiatski a reçu environ 40 000 lettres, dont beaucoup dans le cadre d'Écrire pour les droits 2012. Il a finalement été libéré en juin, après presque trois ans de détention. Il nous raconte ce que ces lettres ont changé pour lui. Quand j'ai été arrêté, je me suis dit : « Voilà. C'est arrivé, je dois être patient et tenir le coup. » Quelle que soit la situation, on a toujours le choix – l'important est de ne pas se précipiter et de prendre la bonne décision pour soi-même, et pas pour les personnes qui nous veulent du mal. Tout s'est inversé pour moi. Pendant plus de 15 ans, j'avais protégé ceux qui étaient en difficulté, et je me trouvais désormais dans leur situation. Mais, même en prison, j'ai eu l'impression que mon combat continuait. L'important était de ne pas craquer. Le but des autorités était que je forme un recours en grâce pour que j'avoue ma culpabilité, que je me repente. Mais je savais que je n'écrirais jamais une telle demande.

LA VIE EN PRISON En prison, il y avait peu d'air frais et, pendant les premiers mois, j'avais mal à la tête. Nous avions des promenades autorisées d'une heure maximum, mais mon seul horizon était les murs de ma cellule ou la cour de promenade. Il était interdit de s'allonger ou de dormir pendant la journée, donc nous dormions assis, la tête tournée dans la direction opposée à la porte, pour que les gardiens ne nous voient pas. Ils m'ont empêché de voir ma femme et de recevoir des colis de nourriture. Cela faisait partie d'une forme de pression exercée sur les prisonniers politiques. Mais l'énorme quantité de lettres que je recevais chaque jour m'apportait un puissant sentiment d'optimisme et la certitude que ma position était la bonne. En tout, en près de trois ans, j'ai reçu environ 40 000 lettres. En prison, ces lettres prennent une valeur nettement plus importante qu'à l'extérieur. Quand je les recevais, j'étais très, très heureux – je passais du temps à regarder chacune d'entre elles. Celles qui me faisaient le plus plaisir étaient les lettres et les dessins d'enfants. J'aimerais remercier tout le monde de tout cœur. Je ne m'attendais pas du tout à être libéré. Comme la prison, la liberté est une réalité différente à laquelle il faut s'habituer. Mon plus grand bonheur est de pouvoir retrouver ma famille et mes amis. Je continue de travailler pour la protection des droits humains au Bélarus – nous n'allons pas rester sans rien faire. Nous n'abandonnerons pas.

3 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]


ÉCRIRE POUR LES DROITS SALIL SHETTY

ÉCRIRE POUR LES DROITS

« ENSEMBLE, NOUS AVONS CE POUVOIR » Salil Shetty, secrétaire général d'Amnesty, explique comment vos lettres, signatures, courriels et tweets peuvent apporter de réels changements dans le monde.

© Amnesty International

Le militantisme a façonné toute ma vie. Mon père, journaliste, s'est battu pour les droits des dalits en Inde, et a toujours dit la vérité aux autorités – même à l'âge de 83 ans. Ma mère travaillait sur les droits des femmes et m'a inculqué l'importance de défendre la justice. Je me rappelle encore avoir recueilli des signatures à l'âge de 15 ans pour une pétition contre l'état d'urgence décrété par la Première ministre Indira Gandhi, qui suspendait la plupart des droits civils et politiques en Inde. On entend souvent dire qu'à elle seule, une petite action ne peut pas changer les choses. Mais en réalité, nous ne faisons rien de façon isolée – et c'est la raison pour laquelle nos actions ont tant de pouvoir. Lorsqu'Amnesty International a été fondée, en 1961, certains cyniques l'ont décrite comme « l’une des plus grandes folies de notre temps ». Il semblait complètement impensable que le « simple fait » d'écrire des lettres ou de mener ce type de petites actions puisse vraiment changer les choses. Bien sûr, au cours des cinquante dernières années, nous avons souvent pu démontrer à ces sceptiques qu'ils avaient tort. Pas une semaine ne passe sans que les personnes pour lesquelles nous travaillons – qui ont été victimes de terribles atteintes à leurs droits humains – ne nous écrivent ou ne nous remercient en personne pour le travail que nos millions de membres font en leur faveur. Pour les lettres que vous écrivez, les actions que vous menez et le bruit que vous faites en faveur de la justice. Quand Aung San Suu Kyi a reçu le prix Ambassadeur de la conscience d'Amnesty International en 2012, elle a rendu hommage aux très nombreux membres d'Amnesty qui étaient convaincus que les droits humains pouvaient devenir une réalité en Birmanie. Même lorsque les sceptiques pensaient que rien n'était possible, des milliers de personnes comme vous ont maintenu la pression pour faire changer les choses. Écrire pour les droits s'appuie sur une idée qui est au cœur d'Amnesty, et si l'opération a désormais une ampleur inédite, c'est grâce à vous. Vous avez envoyé plus de deux millions de lettres et de messages l'année dernière, mais je sais que nous pouvons faire encore mieux cette année. Ce geste n'est pas vide de sens. Au cours des années, grâce à vos lettres, des prisonniers d'opinion ont été libérés. Des tortionnaires ont été déférés à la justice. Des détenus sont traités plus humainement. Avec votre aide, je sais que nous pouvons renouveler ce succès. Merci d'écrire une lettre cette année, et d'ajouter votre signature pour créer un réel changement dans le monde.

Ci-dessus : De jeunes militants du Portugal ont pris un selfie avec Salil il y a quelques mois. À droite : En Pologne, des jeunes gens et jeunes filles avec des lanternes lors d’Écrire pour les droits 2012 ; Lettres et cartes postales envoyées à Yorm Bopha (voir page 5) en 2013.

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ÉCRIRE POUR LES DROITS UN GUIDE SIMPLIFIÉ

PETIT GUIDE POUR ÉCRIRE POUR LES DROITS ÉCRIRE POUR LES DROITS, QU'EST-CE QUE C'EST ?

Chaque année, en décembre, des sympathisants d'Amnesty International écrivent des millions de lettres pour des personnes dont les droits les plus fondamentaux sont bafoués. C'est le plus grand événement du monde en faveur des droits humains. L'année dernière, des activités extrêmement variées et pleines de vitalité ont été organisées dans le monde entier – des rassemblements express en Russie ou des concerts au Brésil, en passant par des marathons en Guinée et des manifestations publiques en Israël.

Écrire une lettre, signer une pétition, envoyer un tweet... Quelle que soit votre action, vos messages contribueront à défendre les droits humains d'hommes et de femmes du monde entier. POURQUOI DEVONS-NOUS AGIR ?

Dans le monde entier, la liberté est menacée. Des militants sont enfermés uniquement pour avoir exprimé leurs opinions sur Internet. Des manifestants sont torturés et injustement incarcérés. Des femmes et des jeunes filles meurent en couches parce qu'elles ne peuvent pas obtenir les soins auxquels elles devraient pouvoir prétendre.

À QUI ÉCRIVONS-NOUS ?

Nous écrivons à la personne disposant de l'autorité nécessaire pour aider à faire changer les choses (roi, président, ministre, chef de la police...). Vous pouvez aussi écrire des messages de soutien aux personnes que nous défendons.

EST-CE QUE ÇA MARCHE ?

Oui ! Chaque année, de véritables changements surviennent grâce à vos lettres et à vos actions. Des personnes injustement emprisonnées sont libérées. Des tortionnaires sont traduits en justice. Des détenus sont traités plus humainement. Voici quelques exemples tirés des deux dernières éditions…

© Amnesty International

© Amnesty International

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ UNE VIE Voici la marche à suivre :

Gracié en Azerbaïdjan

Jabbar Savalan, jeune militant d'Azerbaïdjan, a été gracié et libéré en 2011 dans les jours qui ont suivi l'arrivée de vos lettres dans le pays. « Le soutien que j'ai reçu était tel que je n'avais pas l'impression d'être en prison. Je ne me sentais pas seul, je savais que des gens croyaient en moi. »

Libérés en Russie

En 2013, les lettres de sympathisants d'Amnesty ont attiré l'attention sur trois militants, arrêtés à la suite d'une manifestation qui avait eu lieu sur la place Bolotnaïa, à Moscou. Cette pression a conduit à la remise en liberté de deux de ces hommes, Vladimir Akimenkov et Mikhaïl Kossenko.

Libre au Cambodge

Yorm Bopha – qui avait été emprisonnée après avoir manifesté contre les expulsions forcées qui ont touché sa communauté – a été libérée en novembre 2013, après que les autorités ont reçu près de 253 000 lettres émanant de sympathisants d'Amnesty International. « Je remercie tous ceux et celles qui ont consacré du temps à écrire des lettres au gouvernement. Je suis très heureuse de savoir que nous ne sommes pas seuls. »

1. Parcourez ce numéro du Fil pour lire les histoires de toutes les personnes et de tous les groupes sur lesquels nous concentrons nos efforts. 2. Trouvez des informations supplémentaires, regardez des vidéos et agissez sur www.amnesty.org/writeforrights 3. Envoyez un message de soutien sur Twitter à @AmnestyOnline en utilisant le hashtag #W4R.

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S.O.S. EUROPE BULGARIA

© Filip Claus

POURQUOI IL FAUT PRENDRE LE RISQUE DE DÉNONCER L'INJUSTICE Chelsea Manning purge une peine de 35 ans de prison pour avoir communiqué des informations confidentielles du gouvernement américain au site Internet Wikileaks. Depuis sa cellule du Kansas (États-Unis), Chelsea l'affirme : lorsqu'on a la possibilité de s'exprimer haut et fort contre l'injustice, on ne doit pas manquer cette occasion.


CHELSEA MANNING ÉTATS-UNIS

« C'est absolument incroyable d'avoir autant de soutien. Si j'avais la possibilité de répondre à chaque personne qui m'envoie un message de soutien, je le ferais. » chelsea manning, à propos du choix de son cas pour la campagne d'Amnesty Écrire pour les droits.

Comment avez-vous vécu le fait de voir le système judiciaire américain s'abattre de tout son poids sur vous et le fait d'être présentée comme un traître ? J'ai observé avec un grand intérêt la logistique déclenchée par les poursuites dont j'ai fait l'objet : les grosses sommes d'argent dépensées, les litres de carburant consommés, les kilomètres de papier imprimés, les longues listes de personnel de sécurité, d'avocats et d'experts. C'était parfois ridicule. Ce qui me semblait particulièrement ridicule, c'était d'être présentée comme un traître par les représentants de l'accusation. Je les avais vus en dehors du tribunal pendant au moins 100 jours avant et pendant le procès, et j'avais réussi à bien saisir qui ils étaient en tant que personnes. Je suis à peu près certaine qu'ils ont tout aussi bien saisi qui j'étais en tant que personne. Je reste convaincue que même les avocats dont la plaidoirie étayait l'accusation de trahison ne croyaient pas un mot de ce qu'ils disaient.

Que diriez-vous à quelqu'un qui a peur de dénoncer l'injustice ? D'abord, j'aimerais souligner que la vie est précieuse. En Irak, en 2009-2010, la vie ne valait pas grandchose. Il m'était devenu insupportable de voir le nombre de personnes qui souffraient et qui mouraient et de constater l'indifférence que tous ceux qui m'entouraient, y compris les Irakiens eux-mêmes, avaient appris à éprouver. Cela a vraiment changé ma façon de voir la vie, et j'ai pris conscience que même si dénoncer les injustices engendre des risques, ils valent la peine d'être courus. Ensuite, dans la vie, on a rarement l'occasion de pouvoir faire effectivement changer les choses. De temps à autre, on peut se trouver face à un choix important. A-t-on vraiment envie de se retrouver, 10 ou 20 ans plus tard, à se demander ce qu'on aurait pu faire de plus ? Je ne voulais pas que ce genre de questions me hante. Pourquoi avez-vous choisi cette œuvre en particulier (voir ci-dessus à droite) pour vous représenter ? C'est la représentation la plus fidèle de ce à quoi je pourrais ressembler si j'étais autorisée à me présenter et à m'exprimer comme je l'entends. Même après avoir révélé, en 2013, que je suis transgenre, (voir la fiche d’information en page 15) je n'ai pas pu m'exprimer en tant que femme en public. J'ai donc travaillé avec Alicia Neal, une artiste californienne, pour qu'elle dessine un portrait réaliste qui représente de façon plus exacte ce que je suis. Malheureusement, en raison des règles actuelles des centres de détention militaires, il est très peu probable que je puisse être prise en photo avant ma libération, c'est-à-dire probablement pas avant 20 ans, même en cas de libération conditionnelle ou de grâce. Ci-dessus : Cette œuvre est « la représentation la plus fidèle de ce à quoi je pourrais ressembler si j'étais autorisée à me présenter et à m'exprimer comme je l'entends », explique Chelsea Manning. Au milieu : Chelsea Elizabeth Manning, qui s'appelait auparavant Bradley, a officiellement changé de nom au début de l'année pour qu'il reflète son identité transgenre et le fait qu'elle souhaite vivre en tant que femme.

© David Coombs

Quelles conséquences pensiez-vous que cette décision pourrait avoir pour vous ? En 2010, j'étais beaucoup plus jeune. Les conséquences me semblaient très vagues. Je m'attendais au pire, mais je ne me rendais pas vraiment compte de ce que cela pouvait impliquer. Mais je m'attendais à être diabolisée et à ce que ma vie soit examinée et analysée dans les moindres détails pour retrouver toutes les fois où j'ai pu faire fausse route, tous mes défauts et toutes mes failles, et à ce qu'ils soient utilisés contre moi devant le tribunal de l'opinion publique. J'avais notamment peur que mon identité de genre soit utilisée contre moi.

Vous êtes considérée par beaucoup comme une lanceuse d'alerte. Pourquoi les lanceurs d'alerte sontils importants ? Dans un monde idéal, les gouvernements, les sociétés et les autres grandes institutions seraient par défaut transparents. Malheureusement, le monde n'est pas idéal. De nombreuses institutions ont amorcé un lent processus vers l'opacité, et il faut que les gens s'en rendent compte Je pense que le terme « lanceur d'alerte » a une connotation largement négative pour les gouvernements et les entreprises, et qu'il est associé à « mouchard » ou « balance ». Il faut trouver un moyen d'y remédier. Très souvent, les mesures qui sont censées protéger ces personnes sont en fait utilisées pour les discréditer.

© Alicia Neal/Chelsea Manning Support Network

Pourquoi avez-vous décidé de communiquer des documents sur les guerres d'Irak et d'Afghanistan ? Ces documents étaient importants parce qu'ils portaient sur deux conflits anti-insurrectionnels liés entre eux, racontés en temps réel sur le terrain. L'humanité n'avait jamais eu accès à des données aussi complètes et détaillées sur la réalité de la guerre moderne. Quand on réalise que les coordonnées géographiques citées représentent un endroit qui existe et où vivent des gens, que les dates appartiennent à notre histoire récente, que les chiffres sont en fait des vies humaines – avec tout l'amour, l'espoir, les rêves, la haine, la peur et les cauchemars que cela implique –, il est difficile d'oublier l'importance de ces documents.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>> Priez instamment le président barack obama de faire immédiatement libérer chelsea manning, d'ordonner l'ouverture d'une enquête sur les graves violations qu'elle a pu dénoncer, et de protéger les personnes qui révèlent des informations relevant de l'intérêt public au lieu de les inculper. Utilisez la formule d’appel « dear President obama » / « monsieur le Président » et envoyez votre lettre à l’adresse : President barack obama The White House, 1600 Pennsylvania Avenue nW, Washington dc 20500, états-Unis www.whitehouse.gov/contact/submit-questions-andcomments www.facebook.com/barackobama Twitter : @barackobama @WhiteHouse Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

7 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]


RAIF BADAWI ARABIE SAOUDITE

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MANIÈRES DONT L'ARABIE SAOUDITE MUSELLE LES INTERNAUTES

© REUTERS/Kacper Pempel

8 WIRE [ NOV/DEC 2014 ]


RAIF BADAWI ARABIE SAOUDITE

ED BANN

Raif Badawi purge une peine de 10 ans de prison en Arabie saoudite, notamment pour avoir créé un site web. Un autre blogueur du pays – qui doit garder l'anonymat pour sa sécurité – nous parle des différents stratagèmes dont usent les autorités pour museler les internautes.

1. BÂILLONNER TOUTE PERSONNE AYANT UNE OPINION INDÉPENDANTE « Dans l'ensemble, la situation est très mauvaise en Arabie saoudite, surtout pour les personnes qui ont des opinions indépendantes, à contre-courant. Récemment, des journalistes, des athlètes, des poètes, des blogueurs, des militants et des utilisateurs de Twitter ont fait l'objet d'enquêtes, d'arrestations et de détentions de courte durée. »

2. REJETER TOUS LES PROBLÈMES SUR LE TERRORISME « Les autorités sont fragiles. Elles se de différents moyens pour bâillonner servent D E BANN et réprimer la dissidence, notamment la loi sur le terrorisme, un texte scandaleux utilisé pour terroriser les personnes qui ont des opinions. Les tribunaux prononcent des peines de prison de 10 ans ou plus pour un simple tweet. Les personnes athées ou en D ANNE avec des organisations de défense des droits Bcontact humains sont accusées de “terrorisme”. »

« Les tribunaux prononcent des peines de prison de 10 ans pour un simple tweet. » 3. LANCER DES ATTAQUES PERSONNELLES CONTRE LES BLOGUEURS « On m'a fait toutes sortes de problèmes. Les autorités sont allées voir les fournisseurs d'accès ED ANN hébergeaient mon site web personnel en leur qui B demandant de le bloquer et d'en effacer tous les contenus. Elles m'ont également envoyé des agents des forces de sécurité pour me dire d'arrêter ce que j'étais en train de faire dans mon intérêt et celui de ma famille. Plus tard, j'ai été officiellement interdit de blog et menacé d'arrestation si je continuais. J'ai cédé et j'ai arrêté pour protéger ma famille. »

ED BANN

4. INTERDIRE, ACCUSER À TORT ET LICENCIER

« Beaucoup de blogueurs ont vu leurs activités restreintes ou interdites. Certains d'entre eux – que je connais – font toujours l'objet d'une enquête au sujet de blogs qu'ils ont tenus en 2008, alors qu'ils ont quitté la blogosphère depuis. Les blogueurs saoudiens peuvent également perdre leur travail et se voir empêchés de gagner leur vie. Beaucoup doivent faire face à des allégations les présentant comme “athées” ou mensongères ED BANN “fous”. La quasi-totalité des aspects de la vie du blogueur font l'objet de restrictions. »

5. GÉNÉRALISER LA CYBERSURVEILLANCE ET LA CENSURE « La censure bat son plein, surtout depuis l'adoption de la loi sur le terrorisme. Un poète a été arrêté à la suite d'un simple tweet dans lequel il critiquait indirectement le roi Abdullah en des termes D Sachant qu'il y a plusieurs millions symboliques. ANNE B d'internautes en Arabie saoudite, cela veut dire que les autorités gardent un œil sur tout ce qui s'écrit. Nous avons également appris dans la presse internationale que l'Arabie saoudite se servait de la cybersurveillance pour pirater et surveiller les comptes des militants. »

6. MOBILISER UNE CYBER-ARMÉE « Les autorités disposent d'une puissante armée d'informaticiens qui diffusent une image trompeuse de la situation en Arabie saoudite pour leurrer les gens à l'étranger. Ils créent des sites web, des chaînes YouTube et des blogs qui s'en prennent aux militants et aux opposants en les faisant passer pour des athées, des infidèles et des agents qui prônent la désobéissance au roi. En revanche, ces sites web, ces chaînes et ces blogs font souvent l'éloge de l'État et de son action. J'ai personnellement été victime de ce type de campagnes orchestrées par l'État visant à ternir ma réputation. »

7. INFLIGER DES SANCTIONS BRUTALES « Le cas de Raif Badawi (voir ci-après) illustre une fois de plus la cruauté d'un État qui continue de gouverner au moyen de sanctions archaïques comme les coups de fouet, les fortes amendes et les peines de prison excessives. Le gouvernement saoudien doit savoir que le monde ne lui appartient pas et qu'il ne peut pas réduire le monde au silence par l'argent. »

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>> raif a été condamné à 10 ans de prison pour avoir créé un forum en ligne dédié au débat social et politique en Arabie saoudite. Il lui était reproché d'avoir créé le site « Saudi Arabian Liberals » et insulté l'islam. Sa peine a été assortie d'une sanction de 1 000 coups de fouet, de l'interdiction de quitter le pays pendant 10 ans et de l'interdiction d'apparaître dans les médias. veuillez écrire au roi d'Arabie saoudite en l'exhortant à libérer raif badawi dans les meilleurs délais. Utilisez la formule d’appel « excellence » et envoyez votre lettre à l’adresse : His majesty King Abdullah bin Abdul Aziz Al Saud, The custodian of the Two Holy mosques, office of His majesty the King, royal court, riyadh, royaume d'Arabie saoudite. Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

9 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]


PARASKEVI KOKONI GRÈCE

DÉCHIRÉS PAR LA HAINE Avant, ils étaient voisins. Aujourd'hui, le racisme et la peur déchirent cette petite ville grecque tranquille.

Etoliko est une ville paisible de l'ouest de la Grèce dont le centre est situé sur une île, reliée au continent par un pont élancé qui dessert le plus vieux quartier rom de la ville. Les Roms y ont côtoyé les autres habitants pendant des générations. Ils sont allés en classe avec eux, ont travaillé avec eux, ont tissé des liens d'amitié avec eux. Aujourd'hui, beaucoup de Roms n'osent pas traverser le pont pour se rendre dans le centreville, de peur d'être roués de coups. Certains disent que tout a commencé avec la crise économique. Lorsque les difficultés financières de la Grèce se sont aggravées en 2010, le pays a connu une recrudescence de la peur et de la suspicion. Les agressions racistes et l'intolérance ont gagné du terrain sur l'ensemble du territoire. En juin 2012, Aube dorée, un parti néonazi, a recueilli près de 7 % des suffrages lors d'une élection nationale.

Conjugués, ces phénomènes ont chamboulé la vie des Roms d'Etoliko. Pour Paraskevi Kokoni, 35 ans, mère de sept enfants, c'était la fin du monde qu'elle avait connu. En août 2012, des centaines de personnes, dont beaucoup avaient semble-t-il des liens avec Aube dorée, ont fait une descente dans leur quartier, jetant des cocktails Molotov sur les habitations roms. « Ils criaient qu'ils allaient tuer des gens », se souvient-elle. La police n'a rien fait pour repousser la foule hostile. C'était la première d'une série d'attaques violentes contre les Roms d'Etoliko.

FRAPPÉS À COUPS DE RONDIN DE BOIS En octobre 2012, Paraskevi était allée faire des courses dans le centre-ville d'Etoliko avec son fils et son neveu Kostas, 23 ans, lorsqu'ils sont tombés dans une embuscade tendue par un groupe d'habitants. « Deux des hommes m'ont attaquée tandis que les autres rouaient Kostas de coups de poing et de pied, raconte-t-elle. J'appelais au secours mais personne ne venait. » Elle s'est enfuie avec son fils et a couru au poste de police du quartier, mais l'agent qui était

présent leur a dit qu'il avait trop peur pour intervenir. Plus tard, le mari de Paraskevi a retrouvé Kostas dans la rue, sans connaissance. Ses blessures et celles de Paraskevi ont nécessité leur hospitalisation. Pendant que la maison était vide, des intrus y sont entrés par effraction. « Ils ont cassé les vitres. Ils ont cassé la vaisselle, explique-t-elle. Quand on est rentré, on n'a pas trouvé un seul verre pour boire de l'eau. Il n'y avait plus une seule assiette. Ils avaient tout cassé. » Paraskevi a pris sa famille avec elle et a quitté Etoliko pour toujours. « La police ne nous a pas protégés, dénonce-t-elle. Nous avons déménagé à Patras. Nous avons quitté notre chez-nous. Mes enfants ne veulent pas retourner dans la maison. Ils ont peur. » En novembre 2013, trois des hommes impliqués dans l’attaque ont été inculpés de coups et blessures graves. L'affaire est toujours en instance. Quant à Paraskevi, elle vit aujourd'hui en location dans un appartement. Après avoir été propriétaire pendant des années, elle a du mal à payer son loyer. Elle a perdu sa maison, ses voisins, son quartier.

© Amnesty International/Giorgos Moutafis

À gauche : « Mort aux Tsiganes », peut-on lire sur cette inscription tracée à la bombe sur le mur d'un terrain de basket-ball de la ville grecque d'Etoliko, qui a été le théâtre d'agressions en bande visant des Roms en 2012 et 2013.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>> exhortez les autorités grecques à faire le nécessaire pour que les agresseurs de Paraskevi soient jugés sans délai et que leur condamnation, quelle que soit sa nature, reconnaisse le caractère raciste de l'attaque. Formule d’appel : dear minister, / monsieur le ministre, Adresse : ministry of Justice, Transparency and Human rights 96 mesogeion Avenue, 115 27 Athens, Grèce Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

10 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]


HABITANTS DE BHOPAL INDE

POURSUIVRE LE COMBAT

Trente ans après, les personnes qui ont survécu à la fuite de gaz mortel ne veulent pas renoncer à leur combat pour la justice et passent le témoin à la nouvelle génération.

Il y a 30 ans, la fuite de gaz toxique d'une usine de pesticides de Bhopal, en Inde, a tué environ 10 000 personnes en trois jours. Des centaines de milliers de personnes continuent de subir les répercussions de cette fuite et de la pollution créée par l'usine avant même la catastrophe. Mais les

survivants résistent. En 2006 ils ont obtenu une eau de meilleure qualité pour les habitants. Toutefois, le site est toujours pollué et les survivants réclament une indemnisation appropriée. Leur mouvement tenace et puissant réunit jeunes et moins jeunes dans le combat pour la justice.

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MY BODY MY RIGHTS DDD

Shahzadi Bi (debout, au premier plan) chez elle avec sa famille, à Blue Moon Colony, à quelques mètres du site où se trouvait l'usine de Union Carbide (septembre 2014). Elle et ses proches ont été atteints par la fuite de gaz. Depuis lors, elle soutient avec force la campagne pour la justice. Rampyari Bai est l'une des rescapées de Bhopal les plus tenaces. Cette femme aujourd'hui âgée de 90 ans s'est mobilisée au lendemain de la catastrophe. En 1984 elle vivait dans un bidonville près de l'usine, avec son fils et la femme de celui-ci, enceinte et sur le point d'accoucher. Alors que l'air se chargeait d'émanations de gaz, sa belle-fille a senti les premières contractions. Elle est morte, et son bébé aussi, peu après. Rampyari a eu un cancer et souffre d'insuffisance respiratoire. Pourtant, dit-elle, elle n'a jamais reçu l'indemnisation à laquelle elle a droit et continue de se battre pour cela. En 2011 elle a été frappée pendant une manifestation, avec une telle brutalité qu'elle ne peut plus marcher aujourd'hui sans qu'on l'aide. Mais c'est la lutte qui la maintient en vie, explique-t-elle.

« Nous avons beaucoup manifesté. Nous avons traversé des canalisations à la nage, nous avons dû nous enfuir en courant lorsque la police nous prenait en chasse, mais nous n'avons jamais renoncé à nous battre. Je dis cela à tout le monde autour de moi, sœurs, frères, mères, filles : ils doivent s'inspirer de notre lutte. Je n'abandonnerai pas ce que j'ai entrepris, pourchasser les autorités. Je me battrai jusqu'à ce que j'obtienne une indemnisation. Jusqu'à ma mort s'il le faut. Jusqu'à mon dernier souffle, je continuerai à me battre. » rampyari bai

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Âgée de 20 ans, Safreen Khan appartient à une nouvelle génération de militants. Elle est trop jeune pour avoir vécu les événements en direct, mais toute sa vie a été marquée par les suites de la catastrophe. Ses parents, qui vivaient près de l'usine à l'époque, souffrent depuis de difficultés respiratoires et de problèmes oculaires. Safreen a quant à elle un retard de croissance, un phénomène très fréquent chez les gens qui vivent dans des zones où l'eau est contaminée, expliquent les militants locaux. C'est à l'école que Safreen a entendu parler pour la première fois de la catastrophe de 1984. Elle s'est rapidement engagée dans la campagne pour la justice. Avec sept autres enfants elle a fondé Children Against Dow-Carbide. La première action de l'organisation a été la marche entre Bhopal et Delhi (plus de 700 km) effectuée en 2008.

Trente ans après la catastrophe, Amnesty a demandé au photographe renommé Raghu Rai d’illustrer par son travail les conséquences durables de l’événement sur la population de Bhopal. En 1984, Raghu avait été témoin des effets terribles de la fuite de gaz. Ses photos nous présentent des gens dont la vie a été ravagée et qui ont pris la tête d’un combat collectif. Toutes les photos : © Raghu Rai/Magnum


MY BODY MY RIGHTS DDD

« Les gens ne veulent plus attendre maintenant. Ils souffrent toujours de la perte de leurs proches morts ce jour-là. Il faudrait quand même, au bout de tout ce temps, que notre gouvernement et l'entreprise se décident enfin à les écouter et à agir, parce que 30 ans, c'est trop long pour obtenir justice. » Safreen Khan, photographiée à bhopal devant une peinture murale commémorative, juste en face de l'usine Union carbide désaffectée

© Private

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ LEUR VIE >>> demandez justice pour les habitants de bhopal. Utilisez la formule d’appel : dear Prime minister, / monsieur le Premier ministre, et envoyez votre lettre à narendra modi, Prime minister of India, Prime minister’s office, South block, raisina Hill, new delhi-110011, Inde Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

13 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]


JOHN JEANETTE SOLSTAD REMØ NORVÈGE © DR

© DR

UN SECRET PERCÉ À JOUR

Le commandant de sous-marin John Remø prenait soin de dissimuler toutes les preuves, cachant les vêtements de femme à la cave. Ce n'est qu'au bout de 30 ans que le secret a été éventé.

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Enfant, John est imprévisible. Il jure, se bagarre, joue dans un groupe de rock. Puis il s'engage dans la marine et devient commandant de sous-marin à l'âge de 27 ans. Une nuit, un appel arrive pour lui sur le téléphone du navire. C'est sa femme. Elle vient de trouver un sac de vêtements féminins à la cave. John comprend qu'il est découvert mais il est trop risqué d'en parler sur une ligne militaire. Il lui promet de lui écrire une lettre. Le lendemain matin, le sous-marin de John largue les amarres pour aller patrouiller dans le nord de la mer de Barents, au plus fort de la Guerre froide. Pendant ce temps, son épouse attend le courrier qui lui révélera la vérité sur son mari.

EN TERRAIN DANGEREUX L'histoire débute plus de 20 ans auparavant, dans une petite ville côtière de Norvège. Âgé de 4 ans environ, John est surpris par sa mère vêtu d'une robe. Elle se met en colère : c'est du jamais-vu, et c'est interdit. « On a eu peur tous les deux. J'ai compris que j'étais sur un terrain dangereux, mais je me suis toujours sentie fille, j'ai toujours voulu avoir l'air d'une fille et jouer avec les filles. » John, qui grandit dans les années 1950, une période conservatrice, comprend qu'il peut recevoir l'amour dont il a besoin en se faisant passer pour un garçon. Un amour conditionnel. « J'ai commencé à jouer la comédie mais, à trop en faire, j'ai surcompensé et je suis devenu plutôt déplaisant. En peu de temps, j'ai appris les pires gros mots et comment me battre. »

S'il est un mauvais garçon à l'adolescence, John est aussi très mélomane. Ce qui lui permet de continuer à explorer sa féminité refoulée. Sa tante possède une guitare et lui donne les clés de chez elle pour qu'il puisse s'exercer. « Elle avait de très beaux vêtements, des sousvêtements en soie et des chaussures à talon. C'était un sentiment de liberté et de bonheur intense d'être là-bas, de tout essayer, et d'être moi-même. Mais j'étais triste de ne pouvoir le montrer à personne. » Sa tante est certainement au courant mais n'en dira jamais rien. « Ma tante était menue et je me souviens encore de la tristesse que j'ai éprouvée quand ses chaussures sont devenues trop petites pour moi. » John quitte la maison à 17 ans et se marie peu après ses 20 ans. Sa femme et lui ont un fils. Avec sa barbe drue et son métier viril, le père de famille répond aux attentes liées à son genre.

LA VÉRITÉ ÉCLATE Lorsqu'elle reçoit enfin la lettre, l'épouse de John en est curieusement soulagée. Elle avait d'abord cru que John avait assassiné une femme et caché ses vêtements dans un sac. Mais, une fois le secret éventé, il apparaît clairement que leur relation repose sur un mensonge et ne peut plus continuer. « Je l'aimais et j'avais peur de la perdre. J'espérais que mon besoin d'être une femme disparaîtrait – que le fait de me marier avec elle me permettrait de vivre sans. Mais, au bout d'un mois, je me suis remise à m'habiller en femme en secret. » Trente ans après la découverte du sac de vêtements dans la cave, l'heure est enfin venue pour


JEAN JEANETTE SOLSTAD REMØ NORVÈGE © Amnesty International

elle de se libérer de son secret et de s'afficher dans la rue commerçante la plus animée d'Oslo sous les atours d'une femme : « C'était un sentiment de liberté extraordinaire. » Les passants n'imagineraient jamais que cette sexagénaire élancée à la mise élégante et à la démarche assurée possède encore le corps d'un homme.

SEXE : M Elle n'a guère de mal à changer de nom. Pour ses amis, elle est simplement Jeanette aujourd'hui. Mais, en public, elle se sert du nom John Jeanette pour mettre en évidence la discrimination à laquelle les autres personnes transgenres et elle sont toujours confrontées en Norvège. Parce que changer de genre officiel – être désignée comme une femme sur les pièces d'identité, comme le permis de conduire ou le passeport – est une autre paire de manches. La loi norvégienne impose une « véritable conversion sexuelle » obligatoire basée sur un protocole sommaire des années 1970. Cette procédure implique en particulier le retrait des organes reproducteurs – et donc la stérilisation de la personne. Un diagnostic psychiatrique est également requis et vous oblige à accepter que vous souffrez d'un trouble mental. John Jeanette refuse d'endurer ces épreuves. « Les hormones changent votre corps et votre esprit – c'est comme revivre l'épreuve de la puberté », explique-t-elle. Elle est donc toujours présentée comme un homme sur tous ses papiers officiels. Son identité transgenre est

ainsi devenue publique, ce qui est pour elle une humiliation et lui vaut souvent des commentaires lorsqu'elle se présente à la réception d'un hôtel, qu'elle va chercher des médicaments ou qu'elle emprunte un livre à la bibliothèque de son quartier. « C'est une femme qui est assise dans la salle d'attente, mais c'est un homme que l'on appelle. J'y suis préparée mais j'éprouve à chaque fois le même sentiment d'humiliation et de frustration. » John Jeanette ne veut pas être forcée de passer par une opération pour changer de genre sur ses papiers d'identité. Elle dit avoir été stupéfaite de découvrir que des militants d'Amnesty du monde entier soutiendront son combat en décembre. « Je pense que c'est très important pour les gens qui se trouvent dans ma situation, a-t-elle confié. Ensemble, nous pouvons faire bouger les choses. »

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>

exhortez le gouvernement norvégien à modifier la loi de sorte que John Jeanette puisse changer de genre à l'état civil sans avoir à subir de traitement médical obligatoire. Utilisez la formule d’appel « dear minister,/ monsieur le ministre, » et envoyez votre lettre à l’adresse : minister bent Høie, ministry of Health and care Services, Po box 8011 dep, 0030 oslo, norvège courriel : postmottak@hod.dep.no Twitter : @helse_og_omsorg www.facebook.com/helseogomsorgsdepartementet Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

QUELQUES INFORMATIONS Que veut dire être transgenre ? ce terme désigne des personnes dont l'identité de genre est différente du genre sous lequel elles ont été officiellement enregistrées à l'état civil à leur naissance. on pense souvent que les personnes transgenres sont homosexuelles. or, l'identité de genre n'a rien à voir avec l'orientation sexuelle. Pourquoi la situation de John Jeanette relève-t-elle des droits humains ? L'obligation faite aux personnes transgenres de choisir entre une opération de stérilisation irréversible et la nonreconnaissance de leur genre par l'état civil est une violation de leur droit de vivre à l'abri de toute discrimination et de tout traitement inhumain, cruel ou dégradant. Pourquoi la période est-elle propice au changement ? Le danemark vient d'adopter une loi historique qui autorise les personnes transgenres à changer officiellement de genre à l'état civil sans se voir diagnostiquer un trouble mental ou se voir imposer une opération. Seule l'Argentine dispose de lois analogues. en révisant sa loi à son tour, la norvège se montrera à la hauteur de sa réputation de championne des droits humains et de l'égalité.

De gauche à droite : John, qui grandit dans une petite ville côtière dans les années 1950, une période conservatrice, comprend qu'il peut recevoir l'amour dont il a besoin en se faisant passer pour un garçon. À 27 ans, John Jeanette est nommé au poste de commandant de sous-marin dans la marine norvégienne. Aujourd'hui, John Jeanette est une sexagénaire élancée à la mise élégante et à la démarche assurée. 15 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]


LIU PING CHINE

Une démarche généreuse a transformé l'ouvrière chinoise Liu Ping (ci-dessous) en militante anticorruption acharnée. Liao Minyue, sa fille, (à droite) raconte ce qui s'est passé.

Ma mère, Liu Ping, était une simple citoyenne, une femme au grand cœur. Nous étions très proches. Quand mes parents ont divorcé, il y a une dizaine d'années, j'ai choisi de vivre avec elle. Nous ne nous sommes jamais disputées, pas une fois. Nous allions ensemble au marché pour récupérer des légumes invendus, pour nous nourrir. Pour moi ce n'était pas du tout honteux. C'était au contraire de bons moments, des moments privilégiés car nous étions ensemble. Mais un jour, tout a changé. Le soir, ma mère travaillait comme vendeuse de rue non déclarée pour compléter son salaire mensuel de 800 yuans (une centaine d'euros) - elle était ouvrière dans une aciérie. On est venu lui chercher querelle à son étal et mon oncle est intervenu. Il a été tabassé. Les autorités locales n'ont pas réagi à ces violences, mais un groupe d'avocats a proposé de se charger de l'affaire gratuitement. Cette démarche généreuse est à l'origine de l'engagement de ma mère. Elle s'est mise à militer activement pour les droits des travailleurs. C'était en 2011. J'étais encore au lycée. Notre vie a changé du tout au tout après ça.

DISCOURS, TRACTS, PASSAGES À TABAC Ma mère a commencé à prendre la parole dans la rue, à distribuer des tracts. Elle a tenté aussi de se présenter en tant que candidate indépendante à l'Assemblée populaire locale, afin d'aider les travailleurs qui avaient été contraints de prendre leur retraite. Elle restait des jours d'affilée sans rentrer à la maison. Des inconnus se présentaient chez nous. Je comprends maintenant que c'était des policiers en civil. Je m'inquiétais pour elle, surtout quand je ne parvenais pas à la joindre – en général cela voulait dire qu'elle avait été passée à tabac. Je n'étais pas

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© AP Photo/Aritz Parra

EMPRISONNÉE POUR AVOIR « CHERCHÉ À PROVOQUER DES CONFLITS ET TROUBLÉ L'ORDRE PUBLIC »

du tout d'accord avec ce qu'elle faisait, et j'ai tout fait pour qu'elle s'arrête. J'ai aussi eu la visite de policiers et de cadres du parti au niveau local, qui voulaient me faire intervenir auprès d'elle pour qu'elle s'arrête. Je ne savais pas à quoi elle était mêlée. Elle ne m'avait rien dit, pour me protéger. Dans le quartier, des gens disaient qu'elle trempait dans des affaires louches, et j'ai commencé à croire ce que j'entendais. Du coup, nos rapports se sont détériorés.

ARRÊTÉE POUR AVOIR DÉNONCÉ LA CORRUPTION Et puis, l'année dernière, ma mère et deux autres militants anticorruption ont été arrêtés parce qu'ils


LIU PING CHINE © AP Photo/Liao Minyue

Ci-dessus : La fille de Liu Ping, Liao Minyue, 22 ans, a d'abord essayé de convaincre sa mère de mettre fin à ses activités militantes. Elle a changé d'attitude quand la police a placé sa mère en détention, l'an dernier. À gauche : Un policier devant un tribunal où se tient le procès de membres du Mouvement des nouveaux citoyens, province du Jiangxi, Chine, octobre 2013. Le mouvement – un réseau informel d'avocats défenseurs des droits humains, de militants comme Liu Ping et de professionnels vivant en ville – est la cible des autorités car il réclame plus de transparence et de justice de la part des instances dirigeantes.

avaient tenu un petit rassemblement privé et déployé une banderole demandant que les responsables rendent public leur patrimoine – leurs biens immobiliers, leurs investissements. Elle a été accusée d'avoir « cherché à provoquer des conflits et troublé l'ordre public ». J'ai alors perdu toute confiance dans le Parti communiste chinois. J'ai mis en ligne une lettre ouverte dans laquelle j'annonçais que je quittais le parti. J'étais prête à assumer les conséquences. On dit que Maman et les deux autres militants sont liés au Mouvement des nouveaux citoyens, un réseau informel de défenseurs des droits humains. Quand elle a été condamnée à six ans et demi de prison, en juin, ça m'a indignée. J'ai mis en ligne une nouvelle lettre dans laquelle j'exprimais ma profonde désillusion.

Pendant toute l'année écoulée, je n'ai cessé de penser à l'attitude que j'avais eue face à l'engagement de ma mère. Je m'en veux beaucoup d'avoir essayé de lui faire cesser ses activités. Ce que ma mère et les autres subissent actuellement est la conséquence directe de notre passivité et de notre lâcheté. Je n'ai pas de scrupules maintenant à accepter des interviews et à évoquer son sort devant les médias. On m'a retiré mon passeport et j'ai fait l'objet de pressions de la part des responsables là où je travaillais avant, mais je n'ai pas peur, ce n'est pas grave de subir cela. Je n'ai qu'une mère, après tout.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>> Liu Ping aura 50 ans le 2 décembre. envoyez-lui un message de soutien à l'occasion de son anniversaire : Liu Ping, Jiangxi nanchang Women’s Prison, 630 changzheng road, Zhang Leng county, nanchang city, Jiangxi Province, 330100, People’s republic of china Placez des photos et des vœux d'anniversaire sur notre page Tumblr : messagesforliuping.tumblr.com Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

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MOHAMMED AL ROKEN ÉMIRATS ARABES UNIS

© DR

IL FAUT VRAIMENT ÊTRE UNE PERSONNE EXTRAORDINAIRE… L'avocat Mohammed al Roken a été condamné à 10 ans d'emprisonnement en juillet 2013 à la suite d'une vague de répression contre les militants politiques et les défenseurs des droits humains aux Émirats arabes unis. Nous avons rencontré trois personnes qui ont travaillé à ses côtés et nous parlent de ce courageux défenseur des droits humains.

« IL N'A JAMAIS LÂCHÉ L'AFFAIRE » Jennie Pasquarella est une avocate américaine qui a travaillé avec Mohammed al Roken en 2011 lors du procès de militants des droits humains (les « Cinq des Émirats »). La réputation de Doubaï, c'est le luxe et le prestige, mais si l'on fouille un peu sous la surface on découvre une réalité qui n'a rien de reluisant. Les Émirats arabes unis sont un État espion, où tout le monde fait l'objet d'une surveillance maladive, et surtout ceux qui sont censés mettre le pays en danger. C'est un pays qui ne respecte pas l'état de droit – ici on met les gens sous les verrous pour en tirer un profit politique. Tout au long du procès nous avons eu des rencontres quotidiennes avec Mohamed al Roken. Il nous donnait tous les détails sur la situation des

«Un État espion, où tout le monde fait l'objet d'une surveillance maladive » droits humains aux Émirats et nous expliquait tous les stratagèmes du tribunal. Il nous a consacré un temps incroyable – il était totalement dévoué à la cause des droits humains, de la démocratie, de l'avènement d'une société plus ouverte. Nos rencontres avaient lieu dans des lieux publics et il y avait presque constamment des gens qui le surveillaient. Parfois il disait : « Il faut qu'on parte, ces types-là nous écoutent ». Mais il n'a jamais lâché l'affaire – même lorsque des avocats comme lui recevaient des menaces de mort. Il faut

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vraiment être une personne extraordinaire pour travailler dans un pareil climat. Je suis affligée par son arrestation. C'est décourageant. C'est la dernière personne au monde à mériter cela. J'espère qu'une immense armée va se mobiliser en sa faveur. Il a défendu tant de gens !

IL CROIT AUX DROITS HUMAINS Ahmed Mansoor est un militant des droits humains de premier plan, que Mohammed al Roken a défendu lors du procès des « Cinq des Émirats », en 2011. Nous avons particulièrement apprécié la contribution de Mohammed al Roken lorsque nous avons rédigé une pétition réclamant l'élection du Parlement au suffrage universel. C'est une grande figure dans le domaine des droits humains, et il suit toutes les évolutions de la situation dans la région. C'est un homme qui inspire confiance. Cela fait des années qu'il défend les droits humains aux Émirats arabes unis. Ici, il y a des gens qui sont persécutés simplement en raison de leurs antécédents intellectuels, et finissent par être mutés ou contraints à prendre leur retraite. Il est le seul à s'occuper de ces affaires, pas pour de l'argent mais parce qu'il croit aux droits humains. C'est terrible de l'avoir arrêté. Quelqu'un comme lui devrait conseiller les plus hautes instances du pays. Il ne devrait pas avoir à passer un seul jour de sa vie en prison. Quelques semaines avant son arrestation, un membre haut placé de la famille

royale à Abou Dhabi l'avait consulté pour un problème personnel. Qu'est-ce qui justifie une pareille volte-face ? C'est une grande perte pour les Émirats arabes unis de ne plus pouvoir faire appel à cet homme. Maintenant qu'il est emprisonné, nous n'avons plus personne pour défendre ces cas. Il faut le libérer, dès aujourd’hui – en fait, il aurait dû être libéré hier.

UN PIONNIER D’AMNESTY Lorsqu'il était chercheur sur l'Arabie saoudite pour Amnesty, Lamri Chirouf a travaillé avec Mohammed al Roken pendant de longues années. À Amnesty, on ne pouvait pas aller à Doubaï sans aller voir Mohammed al Roken. Il a été l'un des pionniers de notre travail dans les pays du Golfe. Quand nous lui demandions son avis sur un point de droit, il ne nous facturait jamais rien. Sans


MOHAMMED AL ROKEN ÉMIRATS ARABES UNIS

© MARWAN NAAMANI/AFP/Getty Images

LES ÉMIRATS ARABES UNIS FICHE D’INFORMATION Création : 2 décembre 1971 Fédération de sept « émirats » (territoires) semiautonomes – Abou dhabi, Ajman, doubaï, Fujairah, ras al Khaimah, Sharjah, Umm al Qawain. Capitale : Abou dhabi. doubaï est l'autre pôle culturel et commercial des émirats. Population : neuf millions d'habitants. Seulement 10 % ont la nationalité émirienne. Il y a une grande majorité de migrants, originaires de l'Asie du Sud pour la plupart. beaucoup travaillent dans d'importants chantiers de construction. Président : Le cheikh Khalifa bin Zayed Al nahyan, souverain d'Abou dhabi, est arrivé au pouvoir en novembre 2004, après la mort de son père. Démocratie : Le gouvernement n'est pas issu d'élections. Médias : La législation sur la presse est stricte. La censure n'est pas rare et il est dangereux de critiquer les familles au pouvoir.

des gens comme lui Amnesty ne serait pas connue dans le Golfe. C'était une personne extrêmement dévouée. Il était toujours là quand nous organisions des activités dans la région. Nous avons mené un grand projet sur les droits des femmes dans les pays du Golfe, et il nous a aidés à obtenir des soutiens. C'est impossible de trouver un reproche à lui faire. Il est tellement impliqué. Il écrit, il participe à des séminaires, il agit. C'est un homme très dynamique. Et il a un fameux sens de l'humour aussi. J'espère qu'il l'a conservé, même après tout ce temps en prison.

Ci-dessus : Mohammed al Roken, avocat et professeur, a consacré de longues années à la défense des droits humains dans les Émirats arabes unis.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>> demandez au président des émirats arabes unis de remettre en liberté mohammed al roken, immédiatement et sans condition. Utilisez la formule d’appel « monseigneur » et envoyez votre lettre à : His Highness Sheikh Khalifa bin Zayed Al nahyan, President of the United Arab emirates, ministry of Presidential Affairs, Abu dhabi Po box 280, émirats arabes unis Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

Droits humains : Les organisations de la société civile ne peuvent pas travailler ouvertement, ce qui laisse peu de latitude au débat public. Répression : de très nombreuses arrestations, de probables cas de torture et des procès totalement iniques ont suivi la publication en mars 2011 d'une pétition signée par 133 citoyens de premier plan, dont mohammed al roken, et réclamant des réformes démocratiques. Football et compagnies aériennes : etihad Airways – sponsor du club de football de manchester city, qui évolue en Ligue 1 du championnat britannique – est une compagnie aérienne basée à Abou dhabi et appartenant à des membres de la famille au pouvoir dans les émirats. La compagnie emirates – sponsor de plusieurs grands clubs de football, dont Arsenal, le Paris Saint-Germain, le real madrid et l'Ac milan – est la propriété du gouvernement de doubaï.

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FEMMES ET JEUNES FILLES DE MKHONDO AFRIQUE DU SUD

Militante exemplaire, Maria Shongwe a surmonté un certain nombre d'obstacles auxquels sont confrontées de nombreuses femmes et jeunes filles en Afrique du Sud, notamment la pauvreté et le fait de vivre en étant séropositive au VIH.

« IL M'A VIOLÉE » Je suis née au Swaziland. Tous les jours il fallait faire 35 km à pied pour aller à l'école et en revenir. Il y avait un type – c'était comme un oncle. Un jour il m'a prise sur son vélo. Il est allé dans la forêt et il m'a violée. C'était la première fois pour moi, et je suis tombée enceinte. Mais je ne pouvais rien faire. Parce que si tu es une fille et que tu dis quelque chose de ce genre à tes parents, ils disent : « Ce n'est pas possible. C'est que tu es amoureuse de cet homme.

« LA LOI N'EN A RIEN FAIRE DE NOUS, LES FEMMES » Plus tard, j'ai été mariée à quelqu'un ici, en Afrique du Sud. Après le décès de mon mari, sa famille a tout pris, même mes meubles. Je me suis bagarrée devant les tribunaux. J'ai fait autre chose aussi. J'en ai assez de voir les femmes subir des violences. Parce que la loi n'en a rien faire de nous, les femmes. J'ai décidé de tout quitter et de m'installer à Amsterdam.

« NE LE DITES À PERSONNE » J'ai parlé à la dame [du dispensaire] et je lui ai dit que j'étais séropositive [au VIH]. Elle m'a dit : « Non, ne dites à personne que vous avez été testée positive. » J'ai dit que je voulais de l'aide, parce que je ne savais pas ce que ce virus allait faire dans mon corps. Elle n'a pas compris.

L'ENGAGEMENT Dans la petite ville d'Amsterdam, près de la frontière avec le Swaziland, Maria (à droite) a été la première à révéler publiquement qu'elle était séropositive. Elle a aussi ouvert une voie en fondant le comité local de la Campagne d'action pour le traitement du sida (TAC), une grande organisation nationale qui s'efforce d'obtenir une meilleure prise en charge médicale des personnes séropositives. Grâce à la détermination de Maria, 50 personnes ont pu bénéficier d'un traitement antirétroviral Ci-dessus : Cette image a été créée par l'artiste Juan Osborne pour représenter les femmes et les jeunes filles de Mkhondo, dans la province de Mpumalanga, à l'occasion de l'édition 2014 de la campagne d'Amnesty Écrire pour les droits.

20 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

Ma fille a commencé à être malade. Au bout de six mois, elle a été contrôlée positive au VIH. Il n'y avait pas de traitement par ici, alors elle est décédée. Elle avait 19 ans. Je me suis mise à aller aux groupes de soutien [de la TAC]. On commençait à parler de vivre avec ce virus, mais le traitement était introuvable ici. Je suis allée au dispensaire [privé] d'Iswepe, à 56 km d'ici, et j'ai parlé à l'infirmière. Elle a dit : « Les habitants d'Amsterdam peuvent commencer le programme [antirétroviral] parce que les gens d'ici ne veulent pas prendre les médicaments. » Mais c'était difficile parce que nous n'avons pas d'argent pour aller là-bas. Certains de ceux qui prennent les médicaments ne peuvent pas marcher. Je les prenais chez moi jusqu'à ce qu'ils aillent

© Amnesty International

UNE FORCE POUR LE CHANGEMENT

qu'elles n'avaient pu obtenir dans le système public de santé. Maria a également décroché récemment des fonds de la loterie afin de financer la création d'un orphelinat. Elle travaille maintenant pour la TAC dans la municipalité de Mkhondo, dont les services de santé comptent parmi les plus mauvais du pays. Elle évoque pour nous quelques moments de sa vie et de son travail.


FEMMES ET JEUNES FILLES DE MKHONDO AFRIQUE DU SUD

© Amnesty International

mieux. Je m'en occupais. Et je faisais du porte à porte. Sans aucun salaire. Je n'étais pas payée du tout. Quand je trouvais quelqu'un qui était malade, je lui disais ce qu'il fallait faire et je l'emmenais au dispensaire. Maintenant je suis conseillère [rémunérée] et je m'occupe des comités de la TAC dans toute la municipalité de Mkhondo.

DES FILLES QUI SE PROSTITUENT « Nous sommes sur la route du Swaziland, la route qui va de Nelspruit à Durban – il y a beaucoup de gens qui passent par ici. Vous voyez les [jeunes] filles qui vont vendre leur corps aux chauffeurs. Il y a beaucoup de tavernes, de pauvreté. Les parents meurent et les enfants se retrouvent tout seuls. Les hommes donnent 20 rands (2 dollars), pour elles c'est beaucoup d'argent. Elles couchent avec des garçons à un âge très jeune. J'ai mis en place un groupe pour ces filles, pour les éduquer sur la manière de préserver leur santé.

Ci-dessus : Des femmes traversent Amsterdam, une petite ville proche de la frontière entre l’Afrique du Sud et le Swaziland À gauche : Maria Shongwe chez elle à Amsterdam (Afrique du Sud), juin 2014.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ LEUR VIE >>> comme en témoigne l'histoire de maria, des habitants de mkhondo, en particulier des femmes enceintes et de jeunes mères, meurent de causes évitables faute de pouvoir bénéficier des soins qui leur sauveraient la vie. beaucoup de femmes ont également du mal à trouver des informations sur la contraception et à obtenir de leur partenaire qu'il utilise un préservatif. Il en résulte des grossesses non désirées et un risque accru de contracter le vIH. demandez au gouvernement sud-africain de faire de l'amélioration des services de santé à destination des femmes et des jeunes filles de la municipalité de mkhondo une priorité. Utilisez la formule d’appel « dear minister, / monsieur le ministre, » et envoyez votre lettre à : Pravin Gordhan, chair of the Inter-ministerial Task Team on Service delivery Private bag X802, Pretoria 0001, Afrique du Sud Fax : +27 12 326 4478 courriel : minreg@treasury.gov.za Agissez en ligne : www.amnesty.org

21 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]


MOSES AKATUGBA NIGERIA

« IL A UN CŒUR QUI BAT, EXACTEMENT COMME MOI » © Amnesty International

La Nigériane Tosin Francis est une ardente militante des droits humains. Elle nous explique pourquoi elle soutient Moses Akatugba. Moses était encore adolescent quand il a été arrêté et torturé. Il a été condamné à mort il y a un an. « L'affaire de Moses, c'est très important pour moi. Son histoire pourrait être la mienne. Il est nigérian, comme moi. Il a du sang qui lui coule dans les veines, comme moi, et il a un cœur qui bat, exactement comme moi. J'imagine son angoisse lorsqu'il se réveille tous les matins et qu'il pense à sa sentence capitale, à cette épée de Damoclès. Je pense à ses proches, qui ne savent pas ce qu'il va advenir de leur enfant. Quand j'ai découvert son cas, j'ai commencé à me documenter sur la torture, pour comprendre ce que c'est vraiment et quelles sont ses conséquences sur la vie des victimes. J'ai lu des livres et j'ai vu des films. J'ai découvert que j'étais capable d'en parler aux autres sans crainte et avec compassion. Et tous les gens à qui j'en ai parlé ont eu de très bonnes réactions. En soutenant Moses, j'ai la joie de plaider pour l'espoir, la justice et l'équité.

« NOUS SOMMES PLEINS D'ESPOIR » Nous, les militants des droits humains au Nigeria, nous devons affronter des difficultés dans notre travail : agressions, harcèlement, diffamation. Mais beaucoup de gens se mobilisent pour défendre leurs droits. Il y a une prise de conscience croissante, et nous sommes pleins d'espoir. Le gouverneur de l'État du Delta a réagi récemment aux pressions exercées par les sympathisants d'Amnesty et a indiqué qu'il étudiait l'affaire. Nous progressons. 22 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

Quelles que soient ses croyances, sa couleur, sa tribu, sa race ou sa sexualité, chaque personne a le droit de voir ses droits défendus. Personne ne mérite d'être puni injustement. À Moses, je veux dire : nous tous ressentons ta douleur, et nous la partageons. Nous sommes avec toi à chaque instant – dans ce moment sombre, ne craque pas, ne renonce pas. Tu es au cœur de nos pensées, au cœur de nos prières. Il y a une lumière au bout du tunnel, nous la voyons tous, et c'est la seule chose que tu dois voir. Nous avons bon espoir d'un dénouement heureux, et nous avons hâte de te retrouver bientôt. Avec toute l'affection de la famille amnestienne du monde entier. » Ci-dessus : Dessin évoquant la pratique de la torture au Nigeria, d'après le récit d'une victime de la torture. À gauche : Tosin est l'une des 80 000 membres d'Amnesty présents dans un pays où il n'y a pas de bureau de l'organisation. Parce qu'elle se sent liée à un mouvement mondial, elle a eu l'idée d'organiser pour la première fois un événement Écrire pour les droits au Nigeria en 2011, et elle fera de même cette année. Vivez-vous dans un pays où il n'y a pas de bureau d'Amnesty ? Cette vidéo explique comment organiser votre événement Écrire pour les droits en décembre 2014 : http://bit.ly/1wwSxt2


JERRYME CORRE PHILIPPINES

© Chijioke Ugwu Clement

« JE N'OUBLIERAI JAMAIS LEURS VOIX » L'histoire de Jerryme Corre est une nouvelle illustration des agissements de la police philippine, qui torture en toute impunité. En braquant les projecteurs sur cette pratique, nous pouvons y mettre un terme.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>> moses Akatugba avait 16 ans lors de son arrestation. Il a raconté à Amnesty qu'il avait été suspendu et frappé pendant plusieurs heures. on lui a tiré une balle dans la main et on lui a arraché les ongles. on l'a alors forcé à signer une déclaration déjà rédigée dans laquelle il « avouait » un vol à main armée. Il a été condamné à mort l'année dernière, alors qu'il était mineur au moment où il a été arrêté. écrivez au gouverneur de l'état du delta, emmanuel Uduaghan, pour lui demander de commuer la peine capitale prononcée contre moses et de mener une enquête complète sur les allégations de torture qu'il a formulées. Utilisez la formule d'appel « His excellency dr emmanuel Uduaghan, / monsieur le Gouverneur, » et envoyez votre lettre à : Governor of delta State, office of the Governor, Government House, Asaba, delta State, nigeria courriel : info@emmanueluduaghan.com.ng www.facebook.com/euduaghan Twitter : @euduaghan Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

« Ils sont arrivés à moto. Ils ont commencé à se ruer sur moi et m'ont obligé à m'allonger face contre terre, raconte Jerryme. Puis ils m'ont roué de coups de pied et de coups de poing. Je leur ai demandé qui ils étaient, s'ils étaient de la police. Si oui, je voulais qu'ils me disent de quel crime j'étais accusé. Je leur ai demandé s'ils avaient un mandat d'arrêt. Mais ils se sont contentés de répondre que je n'avais pas le droit de poser de questions. » Trois ans plus tard, après avoir été condamné pour détention de stupéfiants – une infraction qu'il dit ne pas avoir commise –, Jerryme croupit dans une cellule de prison humide et continue de revivre en pensées ces minutes terrifiantes. Les dernières minutes de liberté de ce chauffeur de 34 ans. Ce qui est arrivé ensuite à Jerryme, alors que les policiers tentaient de lui extorquer des aveux, est courant dans un pays où la torture est utilisée à très grande échelle et en toute impunité par la police. « Ils m'ont placé un chiffon sur la bouche et ont versé de l'eau dessus. J'avais l'impression de me noyer, je ne pouvais plus respirer. Puis ils m'ont aspergé d'eau jusqu'à ce que je sois complètement trempé et m'ont administré des décharges électriques, encore et encore. »

FAITES ENTENDRE VOTRE VOIX Jamais aucun policier n'a été tenu de rendre de comptes pour des actes de torture commis aux Philippines. Mais il existe une lueur d'espoir, à l'heure où plusieurs milliers d'entre vous font entendre leur voix. Pas plus tard qu'en juin dernier, après avoir reçu des lettres envoyées par des membres d'Amnesty International, les autorités ont enfin ouvert une enquête sur les actes de torture

dont a été victime Alfreda Disbarro, une mère célibataire de 32 ans. « Je n'oublierai jamais leurs voix », confie Jerryme. Les souvenirs mettront du temps à s'effacer. Mais la justice a des vertus curatives et pourrait enfin obliger la police à rendre des comptes pour ses agissements. Comme l'a dit Jerryme au policier qui le frappait : « Vous avez fait le serment de protéger les gens, les gens comme moi. »

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>> demandez à la Police nationale philippine de mener dans les meilleurs délais une enquête impartiale et approfondie sur les allégations de torture de Jerryme corre. Utilisez la formule d’appel « dear Inspector General/ monsieur le directeur de la police » et envoyez votre lettre à l’adresse : Police director Alexander roldan Acting Inspector General Internal Affairs Service Philippine national Police compound camp General crame, Quezon city metro manila Philippines 1100 courriel : isapd@pnp.gov.ph, niasprd@yahoo.com.ph, rias_ncr@pnp.gov.ph Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

23 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]


DANIEL QUINTERO VENEZEULA

© Carlos Becerra

« ON POUVAIT RESSENTIR LE DANGER» Daniel Quintero, un étudiant vénézuélien de 21 ans, n'aurait jamais pu imaginer qu'il serait torturé après avoir participé à une manifestation contre le gouvernement. Il nous parle de ce qui lui est arrivé et de son état d'esprit actuel.

« J'ai décidé de descendre dans la rue pour manifester en février 2014 simplement parce que, dans notre pays, un certain groupe de personnes ne respecte pas la façon de penser des autres. « Il régnait une atmosphère de guerre – on pouvait ressentir le danger, il y avait trop d'adrénaline. Cent agents de sécurité se tenaient devant moi dans la rue avec des boucliers, juste parce que nous pensions différemment. « J'espérais que la situation se calmerait, mais cela n'a pas été le cas. » En fait, Daniel a été arrêté par des membres de la Garde nationale vénézuélienne. « Ils m'ont donné des coups de pied et des coups de poing au visage et dans les côtes, et des coups de crosse sur le front. »

COUPS ET MENACES Après lui avoir enlevé ses vêtements, ne lui laissant que ses sous-vêtements, ses tortionnaires l'ont menotté et forcé à passer neuf heures plié en deux, les mains sur les chevilles. Au moindre mouvement, ils le frappaient. À un moment donné, le commandant lui a dit qu'ils allaient le brûler. « Il avait un bidon d'essence, des fils métalliques et des allumettes. Tous les soldats formaient un cercle autour de moi pendant qu'il m'administrait neuf coups de matraque. » Daniel a également été menacé de viol.

24 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

« On ne pense jamais qu'une telle chose peut nous arriver, que l'humanité peut en arriver là. Ces méthodes archaïques d'un autre âge – cette douleur physique infligée sans aucune raison – c'est inhumain. Cela ne devrait plus exister aujourd'hui.

UNE NOUVELLE FAÇON DE VOIR LES CHOSES « La torture et les agressions m'ont affecté physiquement mais, spirituellement, elles m'ont donné de la force. Cela vous donne plus d'outils pour continuer le combat, sans haine. Au contraire, cela apporte une nouvelle façon de voir les choses. Si je pouvais dire quelque chose à mes tortionnaires, je leur dirais : je vous pardonne. « Sortir de cette expérience et découvrir que j'ai le soutien de nombreuses personnes par le biais d'Amnesty, c'est magnifique. Je ne sais pas comment exprimer ma gratitude, à part dire merci, merci beaucoup. » Daniel Quintero fait partie des nombreuses personnes qui auraient été torturées au Venezuela. Les autorités semblent avoir pris pour cible des personnes qu'elles soupçonnent d'avoir participé aux manifestations organisées à travers le pays en février 2014. Ci-dessus : Les forces de sécurité prennent position dans les rues, ici dans l’État de Tachira, au Venezuela, à la suite de manifestations favorables et hostiles au gouvernement en février 2014.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>> exhortez le président du venezuela à ordonner l'ouverture d'une enquête exhaustive et indépendante sur les allégations de torture formulées par daniel, et à traduire les responsables présumés en justice. Utilisez la formule d’appel « monsieur le Président » et envoyez votre lettre à l’adresse : Sr. nicolás maduro moros, President of venezuela, Final Avenida Urdaneta, esq. de bolero, Palacio de miraflores, caracas, distrito capital, venezuela Twitter : @nicolasmaduro Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights


ERKIN MOUSSAÏEV OUZBÉKISTAN

© DR

« MON FILS N'EST PAS UN ESPION » L'Ouzbékistan est l'un des États les plus autoritaires du monde et il est dangereux d'y exprimer son opinion. Mais, près de neuf ans après que son fils Erkin a été accusé d'espionnage puis torturé et placé en détention, Aïdjan Moussaïev a jugé que l'heure était venue de raconter leur histoire. Quelqu'un a décidé que mon fils serait dépossédé de neuf précieuses années de vie. Il est de mon devoir de père de le défendre, alors qu'il est accusé à tort, et de me battre pour la justice. Ces neuf dernières années, j'ai écrit d'innombrables courriers aux autorités. Compte tenu des risques, je ne laisse personne travailler sur cette affaire et j'écris moi-même aux autorités. Je suis un vieil homme et je crains pour la sécurité de mes autres enfants et de mes petits-enfants. J'ai passé un an à essayer d'obtenir un rendez-vous avec le procureur général, mais il a toujours refusé de me voir. Nous fondons beaucoup d'espoir sur Écrire pour les droits pour attirer enfin l'attention sur le cas d'Erkin. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour obtenir la justice.

MANŒUVRES POLITIQUES En 2006, Erkin a été arrêté juste avant de prendre l'avion. Il allait au Kirghizistan assister à une conférence en rapport avec ses fonctions au sein du Programme des Nations unies pour le développement. Un dossier contenant des informations confidentielles avait été placé subrepticement dans ses bagages. Ensuite, nous n'avons plus su où il était. Nous ne savions même pas s'il était en vie. Finalement, 10 jours plus tard, nous avons appris qu'il était détenu par le Service de sécurité nationale. Il nous a fallu encore attendre quatre mois avant de pouvoir le voir. Pendant que nous étions à sa recherche, Erkin subissait de terribles tortures. Pendant un mois, il a été soumis à des passages à tabac quotidiens et à des interrogatoires nocturnes. On lui a dit que sa

famille l'avait dénoncé. Il a été forcé de signer des « aveux » dans lesquels il reconnaissait être un espion. Les mots ne peuvent pas exprimer nos sentiments lorsque nous avons appris ce qui lui était arrivé. C'était de la tristesse, de la colère, de l'incompréhension et de la douleur. Mais aussi la ferme volonté d'obtenir justice. Peut-être sommesnous devenus les pions d'une sorte de jeu politique, mais nous ne pouvons rien y faire.

CHANGÉ PAR LA TORTURE Ses amis et collègues disaient d'Erkin qu'il était honnête et droit. Il faisait toujours de son mieux pour aider ses proches, et cela n'a pas changé. Mais, au bout de neuf ans de prison, il ne fait aucun doute qu'il a changé mentalement. La torture et la pression psychologique l'ont vieilli et il a besoin de soins dignes de ce nom. En prison, on lui donne au mieux de l'aspirine. La plupart du temps, on ne tient pas compte de ses demandes. Chaque année, nous avons droit à quatre visites longues (de deux jours chacune), quatre visites courtes (de deux heures chacune) et sommes autorisés à lui apporter six colis (de 10 kilos chacun). Erkin adore apprendre et il m'a demandé un jour de lui apporter un livre de français pour apprendre la langue (son anglais est presque irréprochable). Mais même un simple manuel de français lui a valu des ennuis en prison. Les dirigeants de la prison – eux-mêmes plus ou moins illettrés – l'ont accusé d'espionnage en le voyant lire des livres étrangers. Malgré tout, Erkin ne perd pas espoir que la justice triomphe un jour. Dans une lettre récente, il nous demandait de mener ce combat jusqu'au bout, quoi qu'il lui arrive, et de laver son honneur.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>

écrivez aux autorités ouzbèkes en leur demandant de libérer erkin, au motif que les appels répétés en faveur d'un nouveau procès respectant les règles d'équité sont restés sans réponse depuis plus de huit ans. réclamez une enquête approfondie sur les allégations selon lesquelles erkin aurait été torturé en détention. Utilisez la formule d’appel « dear Prosecutor General/ monsieur le Procureur » et envoyez votre lettre à l’adresse : Prosecutor General rashidzhon Kodirov Prosecutor General’s office of Uzbekistan ul. Gulyamova 66 Tashkent 700047 ouzbékistan Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

Ci-dessus : Les parents d'Erkin Moussaïev chez eux, en Ouzbékistan. Professeur de géologie à la retraite, aujourd'hui âgé de 81 ans, le père d'Erkin a passé neuf années à militer pour la libération de son fils, au mépris du danger.

STOP TORTURE ENSEMBLE, C'EST POSSIBLE dans le monde entier, des milliers de personnes interviennent pour que daniel, erkin, Jerryme, moses et bien d'autres qui ont connu le même sort obtiennent justice dans le cadre de notre campagne mondiale Stop Torture. rejoignez-nous ! www.amnesty.org/writeforrights

25 LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]


« Avec un stylo, on peut changer le monde » MALALA YOUSAFZAI LAURÉATE 2014 DU PRIX NOBEL DE LA PAIX ET DU PRIX AMBASSADEUR DE LA CONSCIENCE D'AMNESTY


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