ActuaLitté

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Christophe Alévêque

Interview décapante autour de Libertude, égalitude, Fraternitude

Actialuna

Pionnier du design éditorial numérique en France

Librairie Capdeville

En dehors des sentiers battus, des piles de livres

ActuaLitté # 1 L’actualité des univers du livre /// Août 2010

Paris Plage : la grande affluence ? Seulement à la bibliothèque Flammarion !

La nouvelle étude du MOTif

Inception : entre Platon, Dick et Cronenberg

USA : des livres contre des burgers !

Japon : L’iPad « c’est dégoûtant »

Et aussi...

Sorties

Chroniques /// Interviews /// Nouveautés Technologies /// Livres numériques

///

N°1/août 2010 - GRATUIT - une publication du magazine ActuaLitté.com

BELGIQUE 0,0€ - SUISSE 0,0 CHF - DOM 0,0€ - TOM 0,0€ - CANADA 0,0 $C - LUXEMBOURG 0,0 € - etc...


ActuaLitté août 2010 [Éditorial]

N

ous y voilà. La version papiel d’ActuaLitté est une revue littéraire, peut-être même ouvert une petite disponible, vous la tenez entre vos mains, ou plutôt, librairie pour alimenter la convergence des idées. Hier, devant vos yeux. Depuis deux ans maintenant c’est sur Internet que s’est posé notre regard, avec la que le magazine existe, les chiffres parlent pour nous conviction que le livre y avait sa place, et qu’une bataille : plus de 18000 articles en ligne  ; presque un millier de était en cours sur ce terrain. Demain, c’est certainement dossiers – reportages, interviews, points de vue – dont sur le papier que vous pourrez nous retrouver. Ce 700 chroniques de livres ; 300 000 lecteurs nous suivent n’est paradoxal, pour un magazine en ligne axé sur le chaque mois. Le projet est né comme un pari autour d’une débat numérique, que si on voit les choses cloisonnées, explosion, celle d’un bouchon de champagne, un soir de enfermées dans des cages trop étroites. Et puis, Internet fête, bercés de musique, souffre d’une absence, sous l’œil implacable celle d’une invention « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. » de Mister Bukowski révolutionnaire : le Samuel Beckett – au bras d’une sombre sommaire ! Comment prostituée, sur un poster. démêler les fils des 700 Tout aurait pu rentrer dans l’ordre si Cécile n’était pas, articles que nous publions chaque mois ? Cette version déjà à cette époque, la mémoire de ces soirées bien papiel, c’est notre regard sur une actualité que nous arrosées, si elle ne s’était pas souvenue de tout cela. C’est avons contribué à forger, chaque mois. Et qu’importe si par le jeu d’une fierté mal placée que ses amis ont relevé les premières versions papiel ne sont pas parfaites, nous le défi, et que nous en sommes là. Le ciment d’ActuaLitté, avons Beckett avec nous. Et quelques certitudes, au milieu contrairement à ce qu’en diront les mauvaises langues, des doutes. Vous saviez que l’Everest, du haut de ses 8848 n’est pas l’alcool, mais bien le livre. Il est le centre mètres, n’est pas la plus grande montagne du monde ? de nos activités depuis notre jeunesse ; nous a suivis C’est le Mauna Kea, le plus haut sommet des îles Hawaï, dans nos études de lettres pour les uns ; d’histoire, de dont la hauteur absolue est de 10230  mètres, et prend droit ou de langues pour les autres ; il continuera de naissance 6000 mètres sous l’océan Pacifique. Parfois, la l’être tant que nous aurons l’envie de lire et d’écrire. valeur des choses que l’on fait tient moins aux hauteurs Qu’importe sa forme ou son format, qu’il contienne des qu’on atteint qu’aux profondeurs desquelles on est parti. images, soit fait de papier ou d’une suite de 1 et de 0, C’est ce que nous gardons en tête à la rédaction, les il est toujours question de livres. L’écrit, toujours, car soirs de blues. C’est ce qui nous redonne l’envie d’écrire il est la base d’une transmission, première étape avant et de sourire qui font notre magazine. Voilà ce que nous l’appropriation. Cinquante ans plus tôt nous aurions fondé voulons partager avec vous. Des sourires.

Actialuna D E S I G N

É D I T O R I A L

Actialuna est une entreprise qui explore les approches éditoriales originales propres aux différents supports numériques, dans la dynamique des nouveaux comportements de lecture.

A C T I A L U N A O U V R I R A L E 3 1 A O Û T S O N B L O G L A B O R AT O I R E S U R L’ E R G O N O M I E

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Actialuna

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DE

LECTURE

NUMÉRIQUE.


[Sommaire] ActuaLitté août 2010

P.4 Around The Word

Canada : l’iBookstore arrive enfin... Et les librairies ferment ! Angleterre : les librairies sont condamnées / USA : Le Graphite Kindle DX pour 379 $ Amérique du sud : urgence pour des tarifs postaux / USA : des livres contre des burgers ! Japon : L’iPad « c’est dégoûtant » / Tunisie : Plan de lutte pour les écrivains Israël : un inédit de Kafka / Angleterre : des romanciers « profondément décevants » Singapour : un britannique en prison à cause de son livre

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11 France

Festival d’Angoulême : une convention à la légalité douteuse ? L’accord d’exclusivité d’Amazon : les inquiétudes d’Antoine Gallimard

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14 Rencontres

Hervé Langlois : Directeur marketing @ Soleil Productions Actialuna : une certaine vision du design éditorial numérique eBookZ 2 : le piratage de livres en France sous surveillance Christophe Alévêque : son coeur penche entre Royal et Sarkozy Des libraires pas comme les autres : Capdeville (75012)

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26 Chroniques

Ciel Liquide, de Karim Madani / Montana 1948, de Larry Watson Inapte à dormir seule, Anna Cabanna Jour J t. 2 - Paris secteur soviétique /New Harlem t. 3 - Revisionnisme

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30 Ailleurs /// Cinéma

Entre Platon, Dick et Cronenberg, le rêve et le réel, avec Inception

ActuaLitté Papiel Directeur de publication : Nicolas Ramirez (nr@actualitte.com) Directeur de la rédaction : Nicolas Gary (ng@actualitte.com) Rédacteurs : Victor de Sepausy (victordesepausy@actualitte.com), Mario Geles (mario.g@actualitte.com), Cécile Mazin (cecilem@actualitte.com), Clément Solym (clements@actualitte.com), Adrien Aszerman (aa@actualitte.com), Ont collaboré à ce numéro : Bastien Morel a.k.a. bâton agile. Un des jeunes Sioux qui ira loin. Clarisse E. Que son nom soit sanctifié. L. B. : magicienne ! Vous pouvez joindre l’ensemble de la rédaction à cette adresse : contact@actualitte.com Toutes les photographies de ce papiel sont sous license Creative Commons. Merci à tous ceux qui nous supportent. Désolé à ceux qu’on insupporte.

ActuaLitté.com

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Around The Word Canada : l’iBookstore arrive enfin... Avec trois gros éditeurs.

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D.R. mastrobiggo

etite avancée pour les lecteurs canadiens qui jusqu’alors se rongeaient la poutine en attendant des jours meilleurs.

juillet qui s’est donc dédoublé pour devenir au Canada un jour de grande fête - notons que c’était le 143e anniversaire cette année de la naissance du pays et, qu’accessoirement, c’est aussi la fête du déménagement au Québec (si, si, c’est très sérieux).

En effet, Apple a dévoilé la version iBookstore dédiée au Canada le jour même de la fête nationale du pays. Il y a vraiment des coïncidences qui ressemblent à des coups marketing fulgurants...

Selon toute vraisemblance, si l’application iBooks était bien disponible jusque-là sur l’iPad des acheteurs canadiens, elle était bridée par Apple (comme sa version française) aux seuls titres libres de droits. Sans accès au catalogue américain, ce qui semblait étrange.

C’est l’éditeur Simon & Schuster qui a manifestement dégainé le premier, en annonçant sa détermination à Les lecteurs pourront compter sur trois des cinq prendre davantage part au projet iBookstore et offrir grands éditeurs qui ont déjà signé des accords avec aux utilisateurs de quoi alimenter leurs lectures la firme à la pomme, puisque l’on retrouvera dans le inlassablement. Les ouvrages sont vendus entre 12 $ catalogue Hachette, Simon & Schuster, et HarperCollins. et 18 $ CA (entre 9 et 13,5 €). L’ensemble de leurs titres numériques sera disponible B.M. dans la boutique en version canadienne. Un premier

...Et les librairies ferment à cause des livres numériques ! Ou des gros commerces qui bouffent la recette.

A

ccuser les autres, ce n’est pas très joli. Mais quand l’une des dernières librairies indépendantes du Saskatchewan (province de l’ouest du Canada) ferme, la ville de Regina fait grise mine. L’entreprise familiale, Book & Brier Patch, effectue sa dernière année après 33 ans de bons et loyaux services. La pression incessante des banques aura eu raison de leur établissement, de même que les grandes surfaces et les revendeurs en ligne qui ont progressivement grignoté des parts de marché.

grandes boutiques, mais également le commerce des livres numériques qui gagnent en popularité. Les commandes en ligne recevraient ainsi plus d’intérêt de la part du public, qui délaisse les librairies de brique et de mortier. Depuis hier, une grande campagne de liquidation totale est en cours. Judith Silverthorne, directrice exécutive de la Guilde des écrivains de Saskatchewan se désole de cette nouvelle : « Je suis profondément, sincèrement attristée. Les conséquences seront désastreuses pour la communauté à Regina. »

Dans un communiqué émanant de la boutique, deux éléments sont pointés comme causes Selon elle, il sera compliqué de trouver une solution de premières de cette fermeture : les livres bon marché remplacement. et les remises clients qui sont effectuées par les C.S. 4 www.actualitte.com


Around The Word Angleterre : les librairies sont condamnées Priez pour nous !

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a librairie est morte, vive la librairie ? Pas vraiment, estime Luke Johnson, ancien président de la chaîne britannique Channel 4, qui avait à l’époque tout fait pour tenter de sauver, la chaîne de librairies Borders en Angleterre.

lui ressemble. Selon lui, les indépendants ont la possibilité d’exploiter les catalogues à leur guise et de répondre à leurs clients, parce qu’ils les Mais voilà, Johnson a échoué et il est désormais amer. connaissent. Au point d’annoncer qu’à son avis, les revendeurs classiques sont finis. Il estime même que les grandes Tout le monde ne partage surfaces, pourtant données comme les prochains points donc pas le point de vue de vente, réduisent déjà la voilure. En fait, l’avenir c’est très pessimiste (ou lucide Amazon et consorts. ?) de Luke Johnson. Comme pour confirmer les dires de l’ancien président de la chaîne britannique Channel 4, le marché du livre a perdu près de 3 % en ventes au cours des 12 derniers mois. A tel point que celui qui avait cru pouvoir inverser la tendance fini par dresser ce constat : « C’est une grande tristesse que l’on ne puisse pas y parvenir. À mon avis, les magasins physiques sont condamnés. » Alors qu’en penser ? Que tout le monde va mourir ? Mike Jones, éditeur chez Simon & Schuster estime pour sa part que les petites et moyennes boutiques ne doivent pas chercher à rivaliser avec les grandes enseignes elles devraient au contraire se consacrer à la création d’un lectorat précis et à la fabrication d’une offre qui

Mais il ne faut pas se voiler la face. Quand des grosses cylindrées comme Barnes & Noble ou Waterstone’s et consorts, pilotés par de plus grands groupes encore, peuvent proposer des tarifs réduits sur l’ensemble des ouvrages, on comprend toute la nécessité de la loi Lang sur le prix unique du livre en France. Et trouver légitime l’inquiétude pour le devenir des librairies outre-Manche, sans parler de ceux, plus rares encore, qui subsistent outre-Atlantique. C.S. Source : Dead Line

USA : Le Graphite Kindle DX pour 379 $ 300 € pour un bout de plastique ?

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a coque est noire, couleur graphite, son écran mesure 9,7 pouces, toujours avec de l’encre électronique, et cette nouvelle version du Kindle DX coûte 110 $ de moins que la première du nom. Les précommandes avaient débuté une semaine avant la mise en vente effective le 7 juillet du

Grphite Kindle DX, dernier modèle en date d’Amazon. Il dispose toujours d’une connexion sans fil, via la 3G et le réseau Sprint, et possède une mémoire de stockage de 4 Go. Son autonomie passerait d’une semaine avec la 3G branchée à 2 semaines sans la connexion. Il dispose également d’un accéléromètre pour basculer en mode paysage et profite des dernières mises à jour logicielles récemment diffusées. Pour le reste c’est toujours la même chose qu’un Kindle DX classique, mais vendu pour 379 $. C.S.

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Around The Word Amérique du sud : urgence pour des tarifs postaux préférentiels En plein pendant les vacances ! Quelle idée...

de prix. De même, le Guatemala, lui, dispose également d’une loi, mais la remise accordée n’est pas du tout intéressante pour les éditeurs ni les libraires. » Du bon tout de même, et des pistes à suivre. L’un des exemples positifs est celui du Chili, où l’association Editores de Chile est parvenue à ce que perdure le système des Sacs M, permettant l’envoi groupé dans une limite de 30 kg, et pour lequel un véritable tarif préférentiel existe. Cette solution rejoint la recommandation émise par le CERLALC, de parvenir à une réduction de 50 % au moins, ’Alliance internationale des éditeurs indépendants par rapport au tarif normal pour les envois nationaux vient de prendre position sur un problème que et internationaux, dans le cadre du livre, sans prendre rencontrent les éditeurs en Amérique latine, autour en compte la quantité d’ouvrages envoyés. des tarifs postaux pour le livre. Dans un communiqué En France, poursuit M. Joulin, il existe un tarif publié sur son site l’Alliance tire la sonnette d’alarme. préférentiel pour l’étranger, mais pas en national,

L

« Alertée par ses membres latino-américains de la remise en question et de la disparition progressive des tarifs postaux préférentiels pour le livre dans de nombreux pays d’Amérique latine, l’Alliance a, face à cette situation préoccupante, souhaité réagir en menant une action de plaidoyer.

alors qu’un tel dispositif est prévu dans quelques pays de l’Europe. « C’est une barrière très importante dans la diffusion du livre, et si le réseau hispanophone s’en est saisi, nous avons eu connaissance des mêmes problématiques autour de ces enjeux en Afrique. »

Alors que les éditeurs indépendants latino-américains rencontrent des difficultés toujours plus grandes pour faire circuler leurs productions, l’existence de tarifs postaux préférentiels pour le livre représente en effet un enjeu décisif pour le maintien d’une indispensable Pour l’heure, l’appel a été envoyé aux membres du rébibliodiversité. » seau hispanophone, mais également à Cultures France, Avertie en 2009, l’Alliance a donc entamé plusieurs qui n’en a pour le moment pas fait mention sur son site procédures pour faire remonter un maximum internet. « Il revient maintenant aux éditeurs de faire d’informations. C’est ensuite le réseau hispanophone, remonter cet appel aux pouvoirs publics de leur pays, comptant des éditeurs membres directs, ainsi que des mais c’est une procédure qui prendra des mois avant que l’on ne voie quelque chose évoluer. » Le ministère collectifs d’éditeurs qui est à l’origine du texte. des Affaires étrangères a également été informé de cet Or, il est évident que pour favoriser la circulation appel, mais les vacances, que voulez-vous... des livres, les services, la question des frais postaux se pose. Mathieu Joulin, de l’Alliance nous explique cependant qu’en fonction des pays, les situations ne sont pas du tout les mêmes. « En Uruguay, il existe une loi offrant un tarif préférentiel, mais elle n’est pas appliquée. L’envoi d’ouvrages à l’étranger devient hors 6 www.actualitte.com

L’intégralité de l’appel se trouve sur leur site internet. Si vous souhaitez signer ce texte, il est possible d’adresser un message à lhugues@alliance-editeurs. org en précisant les données suivantes : Nom, Prénom, Institution, adresse mail. C.S.


Around The Word USA : des livres contre des burgers !

Japon : L’iPad « c’est dégoûtant »

Aujourd’hui à Detroit. Et demain ?

« On dirait de la masturbation. » (Hayao Miyazaki)

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a chaîne de restauration lente et gastronomique McDonald’s et les bibliothèques de la ville de Detroit ont signé début juillet un accord pour alphabétiser nos chères têtes blondes. Le programme, gentiment intitulé Books & Backpacks (livres et sac à dos), a été monté par la Première Dame Yvette Bing (la femme du maire) et la bibliothèque principale de la ville.

Le principe est redoutable : contre une carte de fidélité attestant d’un emprunt de livre, tout gamin obtient un poinçon. Une fois la carte validée, il peut courir chez McDo pour obtenir un repas Happy Meal ou Mighty Kids Meal, les menus pour enfants. La joie de lire par les hamburgers ? Un sac à dos McDonald’s ainsi qu’un bon d’achat de 20 $ sont aussi promis à chaque jeune qui offrira un dessin à une des bibliothèques. La campagne débutera en août et s’achèvera quand ils seront tous obèses. Ah, non, c’est déjà le cas, en grande partie. Plutôt à la fin de l’année. Les résultats seront de toute manière atteints en termes de surcharge pondérale. « Sans compétences en lecture, comment pouvez-vous aller à l’école ? », interrogeait alors la femme du maire, élu l’an passé. « La bibliothèque est un bon endroit pour découvrir d’autres enfants et apprendre. » Le propriétaire d’un McDo de la ville estime que cet apprentissage des vertus de la lecture doit passer par une quête du plaisir. Apprendre aux enfants à prendre plaisir à lire, en leur offrant un gros burger, c’est une « win/win solution ». L’un dans l’autre, la connexion se fait comme avec un âne : si t’avances pas, le bâton ; si t’es sage, la carotte. Les vertus nutritives en moins ? N.G.

U

ne chose est sûre Hayao Miyazaki n’est pas un amateur de nouvelles technologies, ni même de celles qui sont déjà rentrées dans l’usage courant comme le lecteur DVD, le fax ou l’ordinateur. Ne cherchez pas, il n’en possède pas. Quant à la télévision, il ne la regarde que rarement. Sûr, ses créations dessinées à la main ont un charme fou qui est hors de portée des créations informatiques (sans les dénigrer). Et peut-être que ce petit côté vieux jeu fait partie du charme de Miyazaki. Lors d’une interview accordée à Neppuu - l’organe officiel du studio Ghibli -, l’auteur pousse pourtant le bouchon. Et c’est l’iPad qui en prend un coup. « Pour moi, il n’y a aucun sentiment d’admiration ou d’exaltation quel qu’il soit », balance-t-il. Et de s’interroger sur la nature des gestes des usagers sur leur iPad. Des gestes étranges qui ressemblent à des caresses... Le maître en rajoute une petite couche, bien plus explicite : « C’est dégoûtant. Dans les trains, le nombre de personnes qui font ces gestes étranges ressemblant à de la masturbation, s’est multiplié ».

Une observation des comportements dans le train qui ne date pas d’hier, puisque Miyazaki lui-même se rappelle avoir été excédé quand les gens se sont tous mis à lire des manga dans le train et plus tard quand ils ont commencé à envoyer des messages via leurs téléphones. La faute au trop grand nombre d’informations qui circulent dans notre société : il est facile de se perdre et de ne pas savoir ce sur quoi on doit se concentrer pour avancer dans la société. Pourtant, il encourage tout le monde à ne pas être un simple consommateur mais un créateur. M.G. www.actualitte.com 7


Around The Word Tunisie : Plan de lutte pour les écrivains Israël : un inédit de Kafka C’est l’artiste, c’est le bohème, qui sans souper, rime, rêveur. Dans un coffre en Suisse. Sinon, c’est trop facile.

S

ecrétaire général du tout nouveau syndicat des écrivains tunisiens, Lassaâd Ben Hassine a détaillé le 20 juillet, les grandes lignes d’un programme visant à apporter un certain confort matériel et une reconnaissance nationale. Une véritable « guerre » syndicale, annonce-t-il, en 49 points. Prélude au plan d’attaque : « Nous avons mis noir sur blanc nos demandes qui sont, à mon sens, très logiques pour revaloriser l’écrivain tunisien et l’aider à créer, au-delà des soucis du quotidien et des préoccupations de la vie. » La littérature mise au ban ? Des problèmes aussi urgents que variés que le syndicat souhaite résoudre en six mois. La conférence a été l’occasion de critiquer le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine qui « accorde plus d’importance au théâtre et au cinéma qu’à la littérature », le ministère de l’Éducation dont une circulaire aurait « interdit aux directeurs des établissements scolaires l’achat des livres tunisiens », mais aussi l’Enseignement supérieur qui délaisse la production nationale au profit de la littérature orientale. Plus que dans un plaidoyer, M. Ben Hassine a évoqué les conditions de vie désastreuses des écrivains en termes d’assurance sociale, de logement et de représentation dans les institutions du pays. « Nous avons découvert que 95 % des écrivains tunisiens n’ont pas de maison. Ils logent soit chez de la famille soit dans des maisons louées. » Afin de sortir la profession du désintérêt des pouvoirs publics et donner un coup de fouet à leur diffusion, le syndicat souhaite « lancer un journal ou une revue permettant aux écrivains tunisiens de publier leurs écrits et leurs études ». Des formulaires ont d’ores et déjà été envoyés afin d’établir une base de données des écrivains du pays. B.M. Source : Jetset Magazine

8 www.actualitte.com

L

’ouverture de coffres contenant la documentation de Franz Kafka à Zurich a permis de retrouver le « manuscrit original d’une nouvelle très célèbre », a révélé le quotidien Haaretz. Cette redécouverte a lieu alors qu’un procès oppose les ayants droits de Max Brod, exécuteur testamentaire et ami de l’auteur praguois, aujourd’hui décédé, à l’État israélien qui réclame les documents. En effet, Max Brod qui a légué le fond à sa secrétaire, avait fui l’Europe avec la montée du nazisme. En trouvant refuge en Israël en 1939, l’état estime être le possesseur de la production écrite. C’est dans ce contexte que la Cour en droit des familles de Tel Aviv a ordonné l’ouverture des coffres lundi 19 juillet, en même temps que d’autres coffres étaient ouverts à la banque UBS de Zurich en présence d’avocats, d’experts en manuscrits et spécialistes de la littérature allemande.

Dan Novhari, avocat de la fille de la secrétaire de Max Brod a déclaré qu’ « un commentaire sur le contenu [des boîtes] à cette heure risquait de gêner le procès en cours ». La découverte de manuscrits originaux parmi les coffres de Tel Aviv infirme les déclarations de la seconde ayant droit, Hava Hoffe. Ces derniers mois, celle-ci déclarait ne pas posséder de manuscrits de ce genre. Présente à la cour de Zurich, lundi, Hava Hoffe n’avait pas été autorisée à pénétrer dans la banque ou la salle de conférence où le contenu des coffres a été examiné. B.M.


Around The Word Angleterre : des romanciers « profondément décevants » Et c’est un professeur d’Oxford qui le dit...

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n leur ficherait des baffes, si l’on s’écoutait, et surtout si l’on prêtait l’oreille aux propos de Gabriel Josipovici, ancien professeur de littérature comparée à l’université d’Oxford. Pour lui, les romanciers anglais actuels sont de petites frappes, des frimeurs de bas étage, dont l’ambition dévorante sert de muse autant que leur orgueil les rend indignes des honneurs qu’ils reçoivent. Fiers comme des poux...

évidemment pas à la France. Presque des hooligans Notre universitaire travaille de toute manière à un ouvrage, interrogeant notre modernité, pour tenter de comprendre ce qui lui est arrivé. Des romans qui manquent d’une vision plus large et n’ont qu’un « horizon limité », tout cela n’est pas terrible. Et surtout pas assez travaillé.

Et de citer des Salman Rushdie, Ian McEwan ou encore Julian Barnes, portés aux nues par « un public mal instruit, alimenté par les médias ». Un point de vue que partagent de plus en plus d’universitaires - lesquels sont des frustrés, c’est notoire, de ne pas écrire de romans...

Philipe Roth trouverait grâce à ses yeux : ses oeuvres peuvent être drôles, mais seulement parce qu’elles répondent aux exigences d’un littéraire, découlant de l’ironie fine journaliste. Dans l’ensemble, la et maîtrisée, si plaisante au goût production reste le fait de personanglais et si typique par ailleurs. Et nages arrogants et autosatisfaits. regardez-les se pavaner, comme des Et qui sont pour beaucoup publiés écoliers gratifiés d’un bon point. par Random House.

« Nous sommes dans une période de grande jachère », ajoute Gabriel, qui définit le roman anglais moderne comme « profondément décevant, un parent pauvre de ses ancêtres d’avant-garde moderniste ». Tout cela parce que le cynisme a fini par occuper l’ensemble du paysage

« Ces défauts sont généralement moins évidents chez les Irlandais ou les Américains, voire dans les écrits de l’Europe continentale », ajoutet-il. Bon, sans balancer une liste trop longue, Beigbeder, Nabe ou Foenkinos ne sont pas des modèles d’humilité... Mais l’Europe ne s’arrête

Contacté par le Guardian, l’éditeur assure qu’il n’est pas du tout d’accord avec l’universitaire, et les auteurs ne sont pas disposés à faire de commentaires... C.S.

« Vous avez de la chance dans le cinéma, les producteurs vous enflent que depuis les frères Lumières. Dans l’édition, c’est depuis Gutenberg qu’on se fait avoir ! » Anonyme

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Around The Word Singapour : un britannique en prison à cause de son livre Personne ne lui a dit : Midnight Express est sorti il y a plus de 30 ans.

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epuis la mi-juillet, Alan Shadrake s’est fait passer les menottes aux poignets par les autorités de Singapour. Mais après tout, venir dans le pays pour la promotion d’un livre qui met en cause l’impartialité de la justice locale et son recours systématisé à la peine de mort (par pendaison), pour juguler la criminalité, était un brin provocateur. Accusé d’outrage au tribunal, il ris- La police locale avait confirmé le 20 que tout de même deux années de juillet son arrestation, sans aucun prison ferme. Enfin. Risquait. « Je remords : « Alan Shadrake a égalene vais pas ramper devant eux», ment reçu une convocation formua lâché l’auteur au sortir de son lée par le procureur général, visant audition, alors que le procès vient à obtenir un mandat d’incarcération finalement d’être ajourné. « Je vais pour outrage au tribunal. » poursuivre ce combat », ajoute-t-il à la BBC, alors que pèse également Selon l’AFP, qui dévoile le report du une plainte pour diffamation sur les procès, l’accusé s’est présenté deépaules du ressortissant britanni- vant une salle comble. Il a obtenu deux semaines pour se préparer à que, âgé de 75 ans.

plaider sa cause. Quelle largesse ! Le livre, Once a Jolly Hangman: Singapore Justice in the Dock, raconte comment les juges du pays ont la fâcheuse tendance à user pour un oui ou un non, de la peine de mort, appliquée pour des délits pas toujours à la hauteur du verdict. Alan Shadrake n’est d’ailleurs pas complètement inconscient. Avant son départ, il avait déclaré en conférence de presse qu’il s’attendait à quelques ennuis en se rendant à Singapour. Son ouvrage contient en effet un entretien avec un ancien bourreau, mais n’a pas en soi été interdit à la vente par les autorités. C.S.

INTERLUDE : DÉBUT Extraits : Le dictionnaire des injures littéraires (L’Éditeur) Ta gueule Bukowski !

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et été ActuaLitté.com vous propose en avant-première des extraits du Dictionnaire des injures littéraires de Pierre Chalmin à paraître chez L’Éditeur en septembre. Ce petit bijou recense les injures adressées aux plus grands noms de la littérature... ARAGON (Louis) (1897-1982) écrivain français Louis Aragon : l’oeil de Moscou, le con d’Irène, les yeux d’Elsa, les couilles des autres. José Artur Pensées À quoi bon lire un Péguy sans la foi, un Barrès sans terre ni mort, un Hugo qui bégaie ? Rémi Soulié Le Vrai-Mentir d’Aragon

>>> 10 www.actualitte.com


France GOETHE (Johann Wolfgang von) (1749-1832) écrivain allemand Tout est saucisse en Allemagne ; la phrase allemande est une saucisse, l’Allemagne politique est une saucisse, Goethe, saucisse.

pas mieux — Tous les homosexuels sont d’admirables fils. Je n’ai rien contre les enculés croyez-le… mais en fait de création littéraire de Gide je n’en perçois pas l’atome. Louis-Ferdinand Céline Lettre à Milton Hindus, 11 juin 1947

SAND (Aurore Dupin, baronne Dudevant, dite George) Paul Claudel (1804-1876) Journal écrivain français

GIDE (André) (1869-1951) écrivain français

Le difficile avec George Sand, c’est qu’on ne sait jamais prendre cet auteur au sérieux. Comme femme, elle inspire le dégoût, comme homme il donne l’envie de rire.

Gide — sa gloire est d’avoir rendu ou re-rendu l’enculage licite dans les meilleures familles — (de la néoGustave Flaubert socratie) … Gide a droit à toute la reconnaissance des Les Gloires du romantisme, in Le Second Volume de jeunes bourgeois et ouvriers que l’anus tracasse… oh ! Bouvard et Pécuchet tu vois maman Gide notre plus grand écrivain français trouve que se faire enculer est parfaitement légitime, George Sand, la vache bretonne de la littérature. louable, artistique, convenable… Très bien mon fils, je Jules Renard t’en bénis, répond la mère qui au fond ne demande Journal, 23 février 1891

INTERLUDE : À SUIVRE Festival d’Angoulême : une convention à la légalité douteuse ? Ou qui dérange du monde, en tout cas.

D

ans une lettre rédigée le 1er juillet et adressée au maire d’Angoulême, le commissaire général du salon du livre et patron de l’agence Tome 2, Bertand Morisset, remet en cause la convention qui doit être signée entre Neuvième Art + et les collectivités locales, concernant le Festival d’Angoulême.

l’attribution d’un marché public avant d’envisager de signer cette convention. Morisset s’interroge sur la légalité de la convention

Bertrand Morissent considère en effet que cette façon de faire n’est pas légale et demande à Philippe Lavaud, le maire d’Angoulême « de bien vouloir [le] tenir informé de votre intention, ou non, d’enclencher un appel d’offres pour la réalisation de ce festival afin qu’une concurrence saine et souvent émulatrice puisse s’opéElle permettra à Angoulême et rer ». aux collectivités locales de verser directement leurs subventions à Neuvième Art + (la Dans sa lettre, dévoilée par Sud Ouest, il poursuit : société qui organise le festival). Ces subventions d’un « Que les choses soient claires, je n’ai aucun problème peu plus d’un million d’euros en tout comptent pour avec la société de Franck Bondoux qui fait vraiment environ un tiers du budget. Bertrand Morisset estime très bien son boulot. Je n’ai rien contre le fait >>> que la ville aurait dû organiser un appel d’offres pour qu’il signe. Mais dans des conditions qui www.actualitte.com 11


France respectent la légalité… Sans appel d’offres, les élus se privent d’éléments de comparaison. Pourquoi la centaine de sociétés capables en France d’organiser cet événement ne pourrait pas concourir ? Qui dit que d’autres n’auront pas de meilleures idées à des prix plus intéressants ? ». Il précise toutefois que si la convention est attaquable, ce n’est pas dans ses intentions de le faire, ni même de se porter candidat à l’organisation du festival. Le cas particulier du Festival d’Angoulême

ternational de la Bande Dessinée d’Angoulême se fait bien en respect des règles publiques ». Le délégué général de Neuvième Art +, Frank Bondoux a lui aussi très vite réagi. « Cette lettre est de nature à jeter le trouble. J’y vois une tentative de déstabilisation du leadership d’Angoulême », a-t-il expliqué à Sud Ouest, ajoutant : « J’ai du mal à saisir quel est l’intérêt de Bertrand Morisset dans cette affaire, puisqu’il ne représente que lui, pas la profession. Je rappellerai qu’avec Paris BD et La fête de la BD, il a déjà tenté de proposer des alternatives à Angoulême ».

Seulement voilà, après avoir pris connaissance du courrier le maire a coupé court à toute remarque dans Une attaque « bizarre »... un communiqué dont fait état Livres Hebdo : « Pour l’organisation du festival, cette association [FIBD] a Revenant sur la question de la légalité de la procédure, il indique : « Que les choses soient claires, il n’y a pas besoin de passer par la procédure d’appels d’offres car le Festival n’appartient pas à une institution. Ce n’est pas la Ville qui est organisatrice. Nous avons un contrat de concession, signé pour dix ans avec l’association du Festival de la BD, pour l’organisation du FIBD.

Ensuite, la question est de savoir si les puissances publiques ont envie de financer ou non le Festival… C’est tout ! Je ne comprends pas que l’on fasse ce procès d’intention à Angoulême, alors que les Francofolies à La Rochelle, le Printemps de Bourges ou le Main Square à Arras fonctionnent de cette manière. Cette histoire d’appel d’offres n’a vraiment aucun sens ». B.Morisset, S. Eyrolles, A. Gallimard, D. Compain, durant le Salon du livre de Paris 2010

conclu en 2007 une concession d’exploitation avec la SARL Neuvième Art+ pour une durée de dix ans, sachant qu’une convention triennale régit les relations avec la Ville et le FIBD et permet tous les trois ans de poursuivre, et si nécessaire, de préciser le cadre de leur coopération. Il n’est pas nécessaire de passer par la procédure d’appel d’offres car le Festival n’appartient pas à une institution. La Ville soutient le Festival, mais elle n’en est pas l’organisatrice de la même manière que les Francofolies à La Rochelle, le Printemps de Bourges ou le Main Square à Arras qui fonctionnent sur un mode similaire. Le financement du Festival In12 www.actualitte.com

...Mais des questions de financements qui ne le sont pas moins Or, le problème soulevé par Bertrand Morisset est bien celui des subventions que le Festival perçoit, de qui elles proviennent, et comment elles permettent la réalisation du Salon de la BD. Contrairement au Salon du livre de Paris, qui lui ne perçoit rien de personne, et assure seul son propre financement. De la sorte, on peut considérer que le jeu des équilibres entre les deux grandes manifestations est forcément biaisé. « La pérennité du Festival ne me semble pas compromise. Il y a eu un certain nombre de difficultés » mais désormais « on va pouvoir travailler main-


France tenant de manière tranquille », avait d’ailleurs assuré versée, venant du ministère de la Culture et du Haut le ministre de la Culture, de passage au FIBD. Commissariat à la jeunesse et aux solidarités actives. L’an passé, la Chambre de Commerce et d’Industrie avait d’ailleurs mis la main à la poche, après que la municipalité d’Angoulême avait décidé de baisser les crédits alloués à la manifestation. Ce sont 30.000 € que la CCI avait alors versés au Festival pour lui assurer une saine édition 2010.

Tout un jeu de financements par le biais de l’argent public qui ne semblent pas du goût de M. Reed Expo... Une histoire qui n’aurait pas lieu d’être ?

Contactée par ActuaLitté, Marie-Noëlle Bas, de la Coordination Programmation & Partenariats Média La polémique avait éclaté en novembre 2009 concer- pour le FIBD, n’a pas souhaité commenter plus avant. nant les fonds qui seraient nécessaires pour le bon Pour eux, cette histoire n’a simplement « pas lieu déroulement de la manifestation. Et l’intervention de la d’être » et il n’est pas question de polémiquer plus. Elle CCI dans cette histoire avait ensuite fait boule de nei- précise toutefois « on n’a pas compris cette attaque. ge, puisque la Communauté d’agglomération du Grand C’est bizarre ». Angoulême avait elle aussi craché 15.000 € au bassi- M.G. et N.G. net, qui s’ajoutaient à la somme de 40.000 €, deux fois

Antoine Gallimard inquiet de l’accord d’exclusivité d’Amazon Inquiètude qui ne semble pas contagieuse. Pour le moment...

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epuis la semaine dernière, l’éditeur Random House a plissé les yeux méchamment, serré les dents, et retroussé les babines. C’est que l’agence littéraire Wylie vient de lui jouer un tour pendable. Cette dernière a négocié la vente exclusive durant deux ans de 20 titres en format numérique chez Amazon, d’auteurs tels que Salman Rushdie, Philip Roth ou encore Oran Pamuk. (tous les détails)

Gallimard, président récemment nommé du Syndicat national de l’édition ne cache pas son inquiétude. Si cette situation n’a pas encore été évoquée par le SNE, le président redoute tout particulièrement avec de tels accords « un risque de renforcement de la position dominante d’Amazon ».

Et plus particulièrement dans le secteur de l’ebook où le marchand de Seattle a déjà établi sa politique tarifaire contre l’avis de tous, de manière Une situation bonne pour les auteurs, à faire du livre numérique le meilleur mais à moitié, voire pas du tout, de ses produits d’appel. Un monopole réagissait l’Authors Guild, pour qui un de ce type se ferait nécessairement Le Kindle star, tablette star conflit d’intérêt évident se dresse. « « au préjudice d’autres sociétés et d’Amazon Une agence qui entreprend de devenir surtout au préjudice d’auteurs qui une maison d’édition, c’est étrange, n’auront pas accès à Amazon », espeu importe sous quel angle vous le prenez », ajoutait time le président du SNE. l’association qui regroupe près de 8000 auteurs professionnels. Affaire à suivre, nul doute que dans tous les cas, Random House n’en restera pas là... Si l’affaire n’a toujours pas suscité de réactions chez les N.G. auteurs concernés, pas plus que chez Amazon, Antoine www.actualitte.com 13


Rencontre /// numérique

RENCONTRE Interview de Hervé Langlois autour de la BD numérique. Directeur marketing chez Soleil Productions, évidemment.

Quelle est la tarification moyenne des BD proposées par Soleil, dans leur version numérique ? Depuis 2 ans, nous vendons les BD numériques des auteurs qui le souhaitent, sur navigateurs Internet et téléphones mobiles, grâce à nos partenaires (Lekiosque.fr, Relay, DiGiBiDi, Ave!Comics et Mobilire). Le prix de 4,99 € pour un album complet nous avait alors été conseillé. En passant sur mobile, nous avons ressenti le besoin d’adapter nos contenus au temps de lecture des usagers, plus court en raison d’une utilisation dans les transports en commun. Nous avons alors décidé de découper les albums en 4 épisodes à 1,59 € (Apple) ou 6 épisodes à 1 € (Bouygues par exemple). Le découpage pour mobile convient surtout à des bandes dessinées humoristiques grand public déjà découpées en gags comme Les Blondes qui est d’ailleurs à ce jour la meilleure vente de BD numérique mobile ! Avec un support aussi répandu que le téléphone mobile et un prix d’appel très attractif, nous faisons un recrutement efficace sur un vaste et nouveau public ; les qualités addictives de la BD font le reste. Aujourd’hui, nous entrons sur le marché de l’iPad avec des albums numériques spécialement développés et un prix de 6,99 €. Ce prix sera sûrement amené à bouger en fonction de la pagination et des fonctionnalités des applications mises en vente. De même, nous ne nous interdisons pas d’envisager des opérations ponctuelles de «baisse de prix» de façon à favoriser la découverte de nos BD, comme nous le faisons également en librairie.

« Une BD, numérique ou non, a une valeur, un coût et un prix. » Comment détermine-t-on le prix d’un de ces ouvrages ?

Toutes les études montrent que pour le public, la dématérialisation des contenus culturels entre pour 50 % dans le prix de vente. Nos BD sont vendues autour de 13 € en librairie. Ensuite, il faut ajuster le prix en fonction des grilles tarifaires des opérateurs. Chez Apple par exemple, 6,50 € n’existe pas. Nous avons donc choisi 6,99 €.

Pourquoi ne pas adopter une politique tarifaire plus basse les concernant ?

Bien qu’excessivement médiatisée, l’édition numérique est un marché en construction. Pour poursuivre dans l’analogie aux BTP, je dirais même que nous n’en sommes qu’aux fondations... Et à ce stade-là, ce qui est important, c’est de mettre en place de sérieuses bases pour développer un modèle économique viable dans le futur. La première de ces bases est d‘affirmer haut et fort qu’une BD a une valeur, un coût et un prix. Ça paraît évident en librairie et pourtant ça ne l’est pas du tout lorsque l’on passe au numérique en raison des habitudes de gratuité des contenus légaux ou illégaux, mais tolérés, qui se sont développées en même temps que l’Internet.

Comment faire face à l’optique contemporaine du tout gratuit qu’Internet a instauré ? Je crois qu’il faut responsabiliser tous les intervenants du marché. Les éditeurs doivent travailler à la mise en place d’offres légales sérieuses. Les auteurs doivent accompagner les bonnes volontés qui vont dans ce sens. 14 www.actualitte.com


Rencontre /// numérique Les librairies et les critiques doivent trouver leurs places car la prescription sera essentielle pour permettre l’émergence de nouveaux auteurs et de nouvelles créations dans ces petites lucarnes que constituent nos écrans. Les autorités doivent encadrer et sécuriser le développement de l’activité économique en n’ayant plus peur d’affirmer que pirater, c’est voler même si ce n’est pas très populaire de le dire et de sanctionner. Les fabricants de matériel et les opérateurs de télécommunication doivent commencer à respecter les œuvres culturelles en arrêtant de s’en servir pour le simple remplissage des tuyaux dont la mise en place constituait jusque-là leur principal objectif. Ils ne peuvent pas non plus se substituer au législateur et jouer au censeur omnipotent comme les grandes firmes internationales ont commencé à le faire. Enfin, celui sans qui rien ne sera possible : le consommateur final doit comprendre que s’il veut pouvoir continuer à lire des super bouquins, écouter de la bonne musique et voir de bons films, il doit, à un moment donné, payer le juste prix ! N.G.

Actialuna : une certaine vision du design éditorial numérique L’édition est un artisanat qui se rêve industrie ; le numérique, l’inverse.

A

ctialuna est une maison d’édition originale qui a vu le jour en janvier 2010, et se place en exploratrice, cherchant « approches éditoriales originales propres aux différents supports numériques, dans la dynamique des nouveaux comportements de lecture ». L’occasion d’aborder plusieurs questions esthétiques avec elle... ActuaLitté : Actialuna se présente comme une société de design éditorial. Que pensez-vous à ce titre de l’interface du logiciel iBooks, d’un point de vue esthétique, de ces éternels six coins de pages de chaque côté ? Actialuna : Je voudrais commencer par une remarque préliminaire. L’ordinateur, qui est un petit meuble, s’est démocratisé avec le couple clavier/ souris. L’attitude adoptée est alors de s’installer devant pour interagir avec lui. L’ordinateur portable a changé ce rapport, mais le besoin de « s’installer devant » persiste. Alors que l’attitude face à un livre est de le prendre avec soi, pour l’emmener et l’utiliser dans des positions et des contextes très variés. Le téléphone portable semble pouvoir le permettre lui aussi, mais son petit écran n’offre toutefois pas la possibilité d’afficher des compositions de page complexes, par exemple deux colonnes de texte. Les tablettes de lecture et maintenant l’iPad représentent donc un nouveau stade. En abandonnant les périphériques de saisie (clavier, souris, etc.) et en étant suffisamment compacts, ils offrent un nouveau type d’interaction – le rapport compacité, poids, puissance, autonomie est devenu acceptable. Ce nouveau support va permettre de reprendre toutes les expérimentations précédentes en terme de création de savoir explorées avec le CDRom, avec Internet, etc. Comme tous les nouveaux supports, on ne sait pas trop comment l’aborder, et on va chercher des références dans ce qui précède. Pour répondre à votre question, le livre numérique commence par la force des choses par ressembler au livre papier. C’est fréquent dans l’histoire de l’art. Le cinéma par exemple a cherché ses codes dans le théâtre. www.actualitte.com 15


rencontre /// numérique À l’instar des peintres qui se sont détournés du réalisme à l’arrivée de la photographie, il faut néanmoins chercher des références sans les subir. Voilà tout le défi du livre électronique vis-à-vis de son pendant papier. Au début des interfaces graphiques (le Lisa, le Macintosh, Windows 1), une artiste très importante du nom de Susan Kare a contribué à rendre l’espace de travail (le bureau de l’ordinateur) compréhensible. Elle a en effet designé toutes les icônes du Macintosh, puis de Windows. Son travail est absolument remarquable, simplement parce qu’il se situe dans la métaphore : une « corbeille » pour « effacer » un document nous semble désormais naturel. Aujourd’hui, les possibilités graphiques et techniques sont telles que l’on tombe facilement dans l’excès d’effets. Les derniers choix d’Apple pour l’iPad sont en ce sens discutables. Dans ses GUI (Guidline User Interface), Apple conseille en effet de simuler des objets du quotidien. Le logiciel de notes ressemble dès lors à un carnet de notes américain, et iBooks ressemble à un livre dont on tourne les pages. Mais métaphore et simulation réaliste sont deux concepts très différents : l’un fait recours au sens, tandis que l’autre fait recours au leurre. ActuaLitté : Je vous ai déjà entendu dire que copier ou tenter d’imiter le papier ne donnait rien d’intéressant. Pourriez-vous développer cette idée ? Actialuna : En effet, et cela me permet de continuer mon propos. L’appropriation se passe quand on peut projeter son univers intérieur, et non pas lorsque l’on subit l’interprétation d’un autre. Évoquer le papier peut être une bonne idée, mais le simuler beaucoup moins. Que faire, dès lors que la simulation ne semble plus une si bonne idée ?

Actialuna intervient régulièrement dans les médias comme spécialiste des questions numériques sur le marché de l’édition : en mars 2010 au journal télévisé de TF1 et dans Métro. Au centre, leur logo.

On peut voir, dans la presse ou chez des éditeurs axés numérique, un début de réflexion intéressante sur l’utilisation de la verticalité et de l’horizontalité avec une surface tactile. Un livre papier est en effet un objet en volume : son unique axe de progression est la profondeur. On suit avec l’auteur une intention, une démarche, un raisonnement ou le fil d’une histoire. Mais une surface tactile est fondamentalement différente. En perdant cette dimension de profondeur vis-à-vis du livre papier, la surface tactile peut en revanche utiliser à son avantage deux autres dimensions : l’évolution verticale aussi bien qu’horizontale au sein du texte, grâce au toucher du doigt. Ce qui a une conséquence directe : une page peut devenir une entité signifiante. Par exemple, un article d’une revue peut se lire verticalement, tandis que le passage à l’article suivant s’effectue par un glissement horizontal. Et en littérature, cela peut devenir un choix éditorial ou un exercice de style de la part de l’auteur, de mettre un terme à sa page à un endroit plutôt qu’à un autre. Et ainsi donner du sens, travailler le rythme de lecture d’une 16 www.actualitte.com


rencontre /// numérique nouvelle façon en choisissant la longueur de ses pages. Les possibilités sont tellement vastes que les usages des auteurs comme des lecteurs vont évoluer progressivement. Nous sommes toujours leurrés par les micro-mises à jour rapides du monde technologique. Mais les usages sont toujours plus lents à changer. Pour trouver les nouvelles façons d’interagir avec du contenu textuel, il faut aussi bien de l’expérimentation et de la créativité que de la recherche scientifique, qui examine et valide l’ensemble de ces expérimentations. L’un de ces enjeux serait notamment le feuilletage et la mémorisation de la géographie d’un livre, donc la façon de se repérer au sein d’un texte. Il y a encore beaucoup de travail dans ce domaine. ActuaLitté : Que vous inspire le formatage auquel on peut assister quand on lit un livre numérisé sur n’importe quel logiciel ? Comment aborder l’idée de livres qui se ressemblent finalement tous ? Actialuna : Quand le Macintosh est arrivé les typographes l’ont souvent méprisé, car les finesses qu’un compositeur pouvait obtenir étaient sans commune mesure avec ce qu’une « vulgaire » machine pouvait faire. Une concurrence déloyale, une uniformisation se faisait jour au nom de l’économie de temps et d’argent. Aujourd’hui, la typographie n’est toujours pas en mesure de produire les mêmes résultats que le plomb, mais elle fait d’autres choses. Il y a d’abord une démocratisation de l’acte d’« imprimer ». Sur le plan artistique, on commence également à voir des raffinements en terme d’espaces, de variations de caractères totalement inédits et impossibles à faire en plomb… Des caractères conditionnels qui se modifient selon le contexte. Le livre change de nature en se dématérialisant. L’erreur serait de considérer qu’un livre imprimé est la même chose qu’un livre électronique. Sa nature profonde change. L’édition n’est pas une industrie dès lors que, contrairement à la production d’une barre d’acier, il existe un grain de sable qui s’appelle l’artiste ou l’auteur, dont les exigences vont demander à l’éditeur une adaptation permanente. L’édition est un artisanat qui se rêve industrie. Pour l’édition numérique, c’est l’inverse : ce sont des algorithmes, du code... bref, une force de frappe industrielle au sein de laquelle il faut réintroduire ce travail artisanal. C’est l’essence même de l’existence de Actialuna. Le mot « hacker » a été détourné de son sens initial : il désigne originellement des « bidouilleurs » qui maitrisent si bien l’outil informatique qu’ils sont en mesure de le soumettre à leur volonté humaine. D’une certaine façon, et sans nous revendiquer hackers, nous cherchons pareillement à plier le livre numérique et son formatage implicitement critiqué dans votre question - à des exigences artistiques, et donc humaines. ActuaLitté : « J’ai grandi en lisant des livres, pas des textes ». Que pensez-vous de cette formule de Verlyn Klinkenborg ? Actialuna : Il y a une chose intéressante à noter : la bascule qui s’opère en ce moment dans la classification des livres. On ajoute à l’ISBN un ISTC (International Standard Text Code), ou pour être exact l’ISBN devient un numéro périphérique à l’ISTC. Une œuvre (un texte) est identifiée et le livre devient une instance de cette œuvre. C’est donc bien la notion de texte qui devient centrale en ce moment. La notion de livre, quant à elle, pose d’emblée un problème puisqu’elle recouvre de nombreuses réalités. Tout d’abord, l’essence même de l’écriture d’un livre est l’idée d’achèvement. La démarche intellectuelle de l’auteur implique un point final. Ce qui s’oppose à la notion de site, ou à presque toute entité numérique qui se met à jour de façon significative et régulière. Alors qu’il faut terminer un livre pour le publier, le livre électronique va dès lors évoluer vers un objet collaboratif où cette notion d’achèvement sera beaucoup plus floue. Le livre tel qu’on le conçoit aujourd’hui deviendra un choix artistique fort parmi d’autres voies possibles. www.actualitte.com 17


rencontre /// numérique Il y a ensuite la notion de livre-objet, imprimé sur de beaux papiers, relié, etc. Qu’il s’agisse de bibliophilie ou simplement d’un ouvrage soigné, si cet objet a du sens artistiquement parlant il sera très difficilement concurrencé par le livre électronique. Quant à l’aspect sentimental du livre, il est aussi réel que subjectif. Contrairement à une idée reçue, les appareils électroniques peuvent bénéficier d’une révérence similaire. Il n’y a qu’à voir le phénomène que représente le retrogaming, avec ces nombreux passionnés collectionnant les anciennes consoles et les cartouches de jeu. Si l’on parle de l’évolution de l’objet c’est évidemment très discutable : un Gallimard NRF des années 50 est par bien des aspects un objet plus soigné que ce qui se fait aujourd’hui. Toujours est-il que le papier possède de vrais avantages en terme de toucher ; on peut le plier, il mémorise une

histoire, et il peut s’annoter. Mais l’annotation (ou plutôt la facilité d’annotation) est là aussi clairement un enjeu technologique. S’il n’est plus question de marquer le papier, il y a des solutions très différentes à imaginer avec l’arrivée du réseau social dans le marquage, la citation, la référence, le marque-page (voire le marque mot), le surlignement, etc. Bref, la réintroduction d’un monde analogique dans un monde digital est une question centrale qui fait aujourd’hui défaut à l’édition électronique, et plus généralement à l’univers numérique. Une fois encore, il faut réintroduire de l’artisanat dans l’industrie numérique. Il faut réintroduire de l’imperfection, du détail, du raffinement, de la personnalité, de l’unicité. Actialuna est clairement sur cet axe, l’axe du « beau » livre numérique, travaillé, soigné en particulier sur les interfaces.

ActuaLitté : Antoine Gallimard estime que la numérisation risque de dévaloriser le contenu (en savoir plus). Comment abordez-vous cette problématique ? Actialuna : Ce n’est pas faux, on l’a déjà vu avec le monde du graphisme. En démocratisant la pratique du graphisme, l’informatique l’a appauvri, ou plutôt - et la nuance est intéressante - les bons graphistes ont été noyés dans un océan de graphistes moyens qui sont arrivés sur le marché en souffrant d’un manque de transmission de savoirs, et en ignorant un peu le monde qui les précédait. L’acte éditorial va lui aussi se démocratiser avec le numérique, et les éditeurs déjà un peu noyés dans une surproduction vont eux-mêmes se retrouver noyés dans la masse de textes circulant sur Internet. Bref, un seul mot d’ordre : qualité, qualité, qualité ! Pas de concessions, il faut de la qualité ! C’est le rôle et le devenir des éditeurs, leur « label » même, et seuls ceux qui pousseront leur engagement en ce sens pourront émerger. On peut aussi prendre le problème sous un autre angle. Si faire un livre devient un choix artistique fort, beaucoup d’auteurs risquent de se tourner vers d’autres formes de production littéraire. La littérature va prendre des formes variées et inattendues, et « faire un livre » va dès lors rentrer en concurrence avec « faire autre chose qu’un livre ». Puisque contenu et contenant se séparent dans le numérique, le contenu pourra ainsi se retrouver là où on ne l’attendait pas, à des endroits insolites et sous des formes totalement improbables. Le papier électronique est très loin d’avoir montré tout son potentiel, mais il pourra bientôt se mouler sur des objets, et dès lors que l’on sera capable de publier de façon interactive, des « mots » seront capables de s’afficher et d’évoluer sur une tasse, un mur, aussi bien que sur une carrosserie de voiture. Laissant ainsi place à une large créativité en terme d’art et d’architecture. Et puis une dernière chose... il y a des époques. L’Europe ne vit-elle pas quelque peu dans une nostalgie de ce qu’elle était dans la première moitié du XXe siècle, sur le plan artistique et littéraire ? Cet engouement créa18 www.actualitte.com


rencontre /// numérique tif propre à faire bouger les choses, à changer le monde, comme ces bâtisseurs de l’époque romane qui ont su prendre l’innovation à bras le corps, sans trop savoir où ils allaient, pour nous léguer ces monuments extraordinaires ? Plus près de nous, il est amusant de voir que l’histoire du jeu vidéo commence à être retracée par des personnes tout à fait sérieuses qui se penchent sur sa créativité des débuts, et lui confèrent ses lettres de noblesse. La littérature, quant à elle, jouit en France d’un statut à part dans les arts, ce qui n’est pas le cas partout. En rebrassant les cartes, la numérisation appuie alors sur des sensibilités. Mais les auteurs et les éditeurs ne s’arrêteront pas là, ils sont pleins de ressources et nous sommes très curieux du bouillonnement créatif dont ils seront capables de faire preuve. Nous sommes aussi tout à fait prêts à les accompagner en ce sens. ActuaLitté : Merci beaucoup pour cet entretien. Actialuna : Avec plaisir. [NdR : Oui, je sais, tout le plaisir était pour moi...]

eBookZ 2 : le piratage de livres en France sous surveillance Le MOTif continue de pondre des études qui cassent les idées reçues

L

e 20 octobre 2009, Le MOTif frappait fort, avec une étude EbookZ, portant sur le piratage de livres numériques, où Gilles Deleuze apparaissait comme le plus victime des réseaux internautiques... Moins d’un an après, un prélude à la suite d’Ebookz vient de paraître, sous le vigilant regard de Cécile Moscovitz, réunissant les approches conjointes de Mathais Daval et Rémi Douine. Elle propose cette fois de passer au crible les différentes plateformes, étudiées entre mai et juin 2010, à travers un échantillon de best-sellers. Premier constat, sur la somme des ouvrages inventoriés, un sur cinq est disponible en téléchargement, légal ou non.

Manque cruelle d’offre. Tout court. « La conclusion est simple : d’un côté, l’offre légale, sur l’ensemble des ouvrages de référence dont nous nous sommes servis, est trop faible et représente très peu, alors que nous avons volontairement choisi des livres issus des classements meilleures ventes. D’autre part, l’offre illégale vient vraiment concurrencer celle des plateformes, et pallier ses manques. Trop de titres sont encore disponibles en version illégale sans que l’on ne trouve leur pendant légal », explique Mathias Daval. Et l’on en revient toujours au même constat, ce qui est piraté ce sont les best qui n’ont pas d’offre légale. Pour les réseaux choisis, dans l’offre légale, on retrouvera les plus classiques, depuis FNAC, en passant par Virgin, Apple, Lekti-Ecriture, Bibliosurf, et ainsi de suite. Seul Éden Reader pour iPad n’est pas comptabilisé, puisque présenté plus tard. Pour le moment, si les plateformes légales se multiplient, et que l’on en verra d’autres sortir, les catalogues restent humbles. Tous éditeurs confondus, cela représenterait moins de 10 % des titres papier disponibles – entre 60 et 70.000 titres, soit 2,4 % du chiffre d’affaires... Apporter des outils de compréhension

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rencontre /// numérique Sauf que tout cela avance : « Le numérique devient un marché à part entière, et nous sommes entrés dans l’année 1. L’intérêt du MOTif aujourd’hui est d’étudier et donner aux professionnels des outils pour réagir », précise Vincent Monadé, le Président. « Il s’agit d’apporter, avec ce cadre de recherches que nous souhaitons mettre en place, qui est quasi opérationnel, des données objectives, avec une visée neutre. » Dans le cadre des plateformes illégales, l’étude note également plusieurs points : si l’on ne ressent pas d’exclusivité des catalogues – on trouve tout – l’accès à un livre dépend (dans le cadre des réseaux Torrent) à la demande et l’offre. Or, si d’un côté, on peut facilement accéder à un ebook, ce n’est qu’une fois que l’on a pu se rendre sur ces plateformes. Leur caractère illégal les contraint à un minimum de discrétion, sur les moteurs de recherche. Et la pérennité des liens n’est pas toujours assurée, là où FNAC offrira toujours l’achat de l’ebook en question.

Expérimenter, rater, recommencer, rater mieux... À ce titre, une triple expérience est menée : se procurer un ebook à partir de trois types de site : vente légale, depuis un site grand public (FNAC), depuis un appareil mobile et depuis une plateforme illégale. Le constat est simple. Si depuis Fnac, on peut acheter des livres numériques, on n’est pas encore arrivé au moment de la lecture après avoir payé. Plusieurs étapes sont nécessaires pour y parvenir, rendant l’achat pénible et décourageant l’être bien intentionné. En revanche, le même test sur iBookstore et un site illégal n’offre pas du tout les mêmes contraintes. À ce titre, l’observatoire du MOTif publiera prochainement une étude sur les comportements des pirates, que ce soient les téléchargeurs ou ceux qui offrent les livres après numérisation. « Notre intention est également de comprendre comment le téléchargement s’effectue, explique Rémi Douine. Nous aimerions déterminer le périmètre d’action et les variations de la demande. Un tel regard croisé sur les usages pourrait montrer comment se pratique le téléchargement illégal, et selon quels critères il réagit. »

Formats et tarifs A ce jour, l’offre n’est pas vraiment changée : on retrouve toujours le PDF en format principal dans l’offre illégale, bien que l’ePub, souvent issu d’un fichier craqué, se développe. Le PDF représente 20 % en légal, contre 61,6 % en illégal, tandis que le ePub pèse 48,4 % du légal contre 20,6 % de l’illégal. « Leur présence sur les réseaux Une production du MOTif ne découle encore que d’actes individuels, voire militants », observe Mathias Daval. distribuée à l’occasion du Salon du livre de Paris 2010 Alors pour lutter, les vendeurs proposent des alternatives, encore réduites, pour optimiser et valoriser leur offre : Couverture 100 % / Sommaire 14,3 % / Extrait 71,4 % / Feuilletage 67,8 % Il reste bien des efforts à faire pour donner une offre attractive, et plus encore quand on intègre les commentaires (36,7 %), les recommandations (16,7 %) et le piratage d’informations (16,7 %). Tout cela reste encore sousexploité, et nécessairement à développer pour améliorer l’offre. Reste enfin la disponibilité des titres : nous évoquions un ouvrage sur cinq, parmi l’échantillon. Au final, 17,3 % des livres du panel sont disponibles en offre légale, contre 27,9 % en offre illégale. C’est d’ailleurs en BD que l’on remarque le plus important écart, avec 10 % des best-sellers en légal, contre 53,3 % en illégal (cette dernière fait d’ailleurs plus cas de téléchargement direct que du peer to peer). 20 www.actualitte.com


rencontre /// numérique Alors, reste la question du prix. L’écart moyen, note l’étude, est de 18 % entre le prix papier (grand format) et le prix numérique, comme suit : Romans 31,4 % / Essais 20,3 % / Jeunesse + 2,7 % / Pratique + 6,2 % / BD 47,7 % Dans le cas du livre de poche, le prix du numérique est inférieur de 6,8 %. Pour Vincent Monadé, seule l’apparition d’un prix unique du livre numérique pourra permettre de fixer l’ensemble de l’industrie. « Je me souviens qu’Alain Absire, l’ancien président de la SGDL estimait que 30 % moins cher pour un fichier homothétique était raisonnable. On a encore une marge de manoeuvre importante là. L’État doit faire vite, parce que les ventes sont conditionnées par cette loi. La commodité du téléchargement illégal découle aussi de ce que l’on fait une offre attractive. Dans tous les sens. » Et surtout permettre aux éditeurs de lutter intelligemment contre le piratage et non en se lançant dans des initiatives qui ne font pas sens. L’idée reste bien de parvenir à ce que ce monde décolle, confortablement, tout en offrant le meilleur confort pour les utilisateurs... Rendez-vous en septembre pour tout savoir de leurs conclusions. N.G.

Extraits : Ca vous fait rire ? Oh que oui !

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aru chez Sonatine en mai 2008, voici un livre peu commun, qui vous aidera à chasser le cafard de ces journées écrasantes de chaleur. Et si ce n’est pas la chaleur, ce sera la pluie. Dans tous les cas, le livre de Dagsson est une perle que vous ne devez pas rater.

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Rencontre /// auteur Le coeur de Christophe Alévêque penche entre Royal et Sarkozy Et c’est Adrien Aszerman, notre reporter de choc, qui tranche dans le vif.

C

hristophe Alévêque est humoriste et chroniqueur pour Laurent Ruquier. Il va peut-être aussi bosser au Fou du roi. Et il vient de sortir Libertude, égalitude, fraternitude (Nova Editions, 16 €), une uchronie cinglante avec Mme Royal en président... Et tout le monde en prend pour son grade, dans des propos recueillis bruts de décoffrage - ce qui tient de l’euphémisme...

A.A. : On connaît chez Ségolène Royal une dureté dans sa vie politique qui ne transparaît pas beaucoup dans l’ouvrage ?

Si quand même. Son discours fondateur de la place de la Bastille, le 6 mai, « Prenez vos balais, nettoyez » … Nous avons voulu le dire au départ, sans insister après. Comme on était vraiment parti dans le conte de fées, tout après devait coller. Reste que « l’ordre juste » apparaît assez souvent et on fait aussi beaucoup intervenir l’armée… L’idée, le principe était plutôt de durcir le trait en partant des trois axes principaux qu’elle a développés pendant la campagne : ce qu’elle appelait l’ordre juste (qui est en fait la morale), la famille et la démocratie dans tous les sens du terme (« vous aurez la parole ») et à tous les niveaux ! On A.A. : Qu’est qui a motivé l’écriture du livre ? L’acen a fait une caricature de « trop de démocratie tue tualité politique ? la démocratie ». C’est pour ça qu’elle disparaît à un Au départ il s’agit d’une idée de l’éditeur avec lequel on moment du livre, pour laisser la place à un « tout le avait déjà écrit un bouquin. L’idée nous a emballés dès monde parle, personne ne parle », personne ne s’enle départ, on a vu le conte de fées tout de suite sans tend. se rendre compte de l’étendue du travail qui a failli nous noyer. Il a fallu revoir sur trois ans toute une A.A. : La démocratie est sa meilleure ennemie ? chronologie, un évènement nouveau en amenant un Tout à fait ! Il est facile de rassembler un million de siautre, etc., il fallait tout réinventer, tout réécrire. Ça a gnatures sur n’importe quelle pétition pour peu qu’elle été une réelle prise de tête. Sans compter la relecture comporte le nom « pédophile » quelque part. Dans un de tous les discours, toutes les déclarations et les monde parfait, où tout va bien, il n’y a pas besoin de programmes de Royal. Ca été énorme. Le livre n’a donc suffrage universel et personne ne vote. Tout va bien, pas été rédigé au fur et à mesure de la survenance des mais l’abstention atteint 90 %. Nous voulions vraiment évènements… nous moquer d’une société atteinte de mollesse et de de défaitude, pessimitude et résignatude. Non, à part quelques petits évènements que l’on a inventés au fur et à mesure de la rédaction, 95 % de la A.A. : Tu es à ce point pessimiste sur la situation chronologie était déjà écrite. Il fallait que l’on sache où actuelle ? Les gens ne se rendent pas compte des dégâts réalisés aller… La fin du livre, par contre, sorte de révolution ces trois dernières années. En refaisant la chronologie culturelle, est venue au fur et à mesure : on ne l’avait avec Hugues, on s’est aperçu qu’il y a eu tellement de pas au départ. L’ennui dans lequel baignait cette sochoses que les gens sont noyés. En relisant, nous avons ciété… ça ne pouvait finir que comme ça. vraiment été pris de panique en tombant de la petite L’énergie véhiculée par Ségolène Royal fait beaucoup connerie à l’énorme connerie. Quand le bilan sera fait, penser à celle que laissait présager Nicolas Sarkozy ce sera chaud. On retrouve étrangement dans le livre lors de la présidentielle. Est-ce volontaire ? des personnages aux places clés qu’ils occupent dans Oui, bien sûr. Ce sont deux mondes totalement difféla réalité. Bruni, Fillon … Le choix de placer Carla Bruni rents, mais Royal est aussi une grande gesticulatrice. comme compagne de la présidente était une évidence. Ses propres actions lui échappent, ce qui n’est de toute C’est une pute qui aurait sucé un handicapé s’il était façon pas très loin du guignol que l’on a en ce moment. président (sic !) . Pour Fillon nous avons hésité, mais Sarkozy fait aussi une politique qui lui échappe totalecomme il nous fallait quelqu’un de transparent comme ment. Il faudrait juste que quelqu’un lui dise. Premier ministre, il s’est imposé. 22 www.actualitte.com


Rencontre /// auteur A.A. : Finalement la réalité A.A. : La Royal de fiction apparaît, de par son seul n’aurait-elle pas été plus charme, capable de déplacer beaucoup de lignes. belle avec Ségolène Royal C’est un parti pris ? au pouvoir ? Nous avons refusé toute censure dans le bouquin. Dans la réalité toute femme joue de son charme et Ségolène Royal plus que toute autre. Elle a tout refait de son physique (visage, silhouette, dentition, chevelure, style vestimentaire…). Soyons quand même lucides sur le fait que les hommes en jouent aussi : Sarkozy, malgré son mètre 52, sans parler de Giscard, Mitterrand… Chirac ! Alors, à l’inverse, pourquoi pas une femme ? Mais est-ce que le charme peut vraiment tout imposer, on sait que non. Même dans sa relation avec Poutine telle que nous la racontons, le charme ne fait pas tout et leurs points communs comptent pour beaucoup : elle est aussi issue d’une famille de militaires ce qui entraîne une admiration réciproque, sans parler de la notion de « l’ordre juste ». Au niveau international, ce sont des gens qui se rendent 10 à 15 % de leur temps dans des endroits paradisiaques. Il y a forcément attraction ou répulsion, comme entre Sarkozy et Obama

C’est loin d’être évident et, sur cette question, nous étions avec Hugues en désaccord. Par exemple, sur la seule grippe A, je pense que Royal aurait fait pire que Bachelot, mais Hugues estime qu’elle aurait mieux géré. L’idée du chabichou s’est imposée sur cette base. Dans tous les cas nous ne sommes pas gâtés. Chirac était pourri des pieds à la tête, mais il conservait un côté républicain qui finissait toujours par ressortir. Sarkozy n’a même pas ça. Quant à Royal, en relisant ses déclarations et discours, on a vraiment l’impression de nager dans la folie. Propos recueillis par Adrien Aszerman.

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Rencontre /// librairie Des libraires pas comme les autres : Capdeville (75012) « Je défie quelqu’un de lire sérieusement sur un lecteur ebook ! »

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ongue barbe blanche et cheveux grisonnants en bataille, Jean Capdeville est un véritable personnage de roman, au milieu des colonnes de livres qui emplissent sa librairie. Installé dans les murs depuis 23 ans, il est pour les habitués du quartier une véritable institution, avec qui converser sur la présence des hirondelles dans la capitale ou le marché de l’édition, les révisions de vacances ou le marché du livre numérique.

suis toujours étonné de voir de grands rayonnages aux trois quarts vides. Je m’efforce donc de n’être jamais dans cette situation, en faisant notamment appel à un coursier régulier pour mes commandes.

Comment êtes-vous devenu libraire ?

Un vieux rêve d’enfant. J’étais, il y a plus de 25 ans, responsable de la branche marketing d’une grosse société automobile. On m’a un jour offert l’opportunité de Alors que nous conversons, une paspartir aux États-Unis, j’ai choisi de sante s’arrête devant la porte et devenir libraire. J’ai ouvert dans un s’étonne de l’organisation des livres premier temps une libraire en banen piles. Elle regarde à deux fois lieue, dans laquelle je suis resté 13 avant de demander : « c’est une lians. Face au succès j’avais dû embrairie ? » baucher 7 salariés. Mais gérer tout l’administratif me demandait en Éclairez-nous sur votre librairie moyenne 120 heures par semaine. Et et son système de piles… j’ai eu envie de retourner aux livres, plutôt que d’être livré à la seule gesLa librairie fait 33m2 et compte tion du personnel. J’ai donc décidé de 23.000 livres, soit autant qu’une Fnac me retirer et d’ouvrir une autre lide province comme celle de Mulhoubrairie sur Paris, avant de tomber se. Les libraires s’occupent surtout sur ce local, initialement occupé par des stocks, obnubilés par un souci de rentabilité des livres, avec un retour sur profit évi- une boutique de vêtement. Le choix de l’organisation dent. Le système de piles a le gros avantage de conte- des piles s’est imposé de lui-même, mais j’avais déjà nir plus de livres et la rentabilité au mètre pèse moins. un système de rayons roulants sur 3 étages dans ma Les éditeurs comme Hachette ou Editis privilégient des précédente librairie. stocks importants de livres qui se vendent bien. Ils préfèrent privilégier la quantité plutôt que la qualité : Avez-vous une conception particulière du métier ? au libraire d’imposer ses choix. Le métier de libraire ne consiste pas, pour moi, qu’à Le système de piles ne dilue-t-il pas le regard de gérer des stocks. Conseiller un livre, c’est dresser un portrait psychologique du client en se basant sur peu vos clients ? de choses. Bien sûr, je prends davantage de risques Tous les titres sont facilement visibles en étant dans dans les conseils de lectures s’adressant à ma clienle même sens. Cela peut ne pas apparaître évident, tèle habituelle. mais chaque ouvrage est rangé selon une logique précise. Le 2e intérêt est, avec 23 000 livres en stock, de Être libraire est un métier de vrai passionné. Voyez, ne pas avoir à dire « désolé, je n’ai pas celui-là ». C’est toutes les librairies du quartier ont fermé. Servir d’inquand même frustrant pour une librairie, non ? Dans termédiaire entre le livre et son acheteur, c’est merune librairie, il doit y avoir des livres. Même si le ca- veilleux. 50 % de la demande concerne des ouvrages talogue de la littérature française est large (1,5 million évidents, des classiques, ou des succès très connus, que j’ai le plus souvent dans mes colonnes. Le plus de livres) j’essaye d’en avoir le plus possible. Quand je passe devant des libraires en province, je difficile concerne le livre qui n’est pas encore un clas24 www.actualitte.com


Rencontre /// librairie et, le lendemain, un client me l’a demandé… « Avez-vous souffert de la crise ? » Beaucoup. Depuis septembre, nombre de mes concurrents ont fait faillite. Les choses reprennent peu à peu. À l’heure de la crise et des impôts, la lecture est un vrai refuge.

Quel est votre sentiment sur le livre numérique ? Je n’y crois tout simplement pas. Les e-readers sont des gadgets destinés aux gens qui ne lisent pas. Je défie quelqu’un de lire sérieusement une seule page dessus. Les éditeurs autant que les lisique, mais qui marche plutôt bien. Je cherche à créer braires s’accordent pour penser qu’il s’agit d’une vaste un équilibre dans mon stock. blague. Il est pour moi hors de question de vendre du numérique et je suis convaincu que le phénomène ne Comment se compose votre clientèle ? va pas durer. Je nuancerais cependant sur l’utilisation du livre numérique pour la recherche. Là, le livre nuJ’ai une clientèle fidèle, qui vient souvent me voir pour mérique est un outil de travail. Mais croyez-vous que des livres difficiles tant à lire qu’à trouver. Ils font les traducteurs, par exemple, renoncent aux dictionaussi souvent appel à mes conseils quand il faut fainaires papier ? re un cadeau sans savoir les goûts de la personne. Curieusement, mes clients ne viennent pas chez moi Comment voyez-vous la prochaine rentrée acheter des livres « plus faciles », alors que je les vends aussi. J’ai l’impression qu’ils ont honte de venir littéraire ? les acheter chez moi alors que je ne me permettrais Je peux dire que le cru 2010-2011 est à première vue pas de les juger. On peut dire que c’est la rançon de la plutôt bon avec de vraies valeurs sûres. Même si cela n’engage que moi. gloire (rires) ! La rentrée littéraire demande une logistique importante. Les éditeurs nous présentent leur programmation au mois de juin ce qui nous laisse le temps de lire une partie des livres à l’avance. Il faut tout de même Pour l’anecdote, ma plus grosse livraison privée a renvoyer un stock consisté en plus de 100 livres pour le même acheteur. de livres de l’année Homme curieux de tout (géologie, mathématiques, his- précédente. Et quand toire) je crois que sa bibliothèque personnelle se com- on me demande un pose de 15 ou 20.000 livres. Un autre de mes clients, livre que je viens de chercheur vétérinaire, était un véritable passionné de renvoyer, ça me fait Flaubert et me demandait de lui mettre tout ce qui rager. paraissait du ou sur le père de Madame de Bovary. Il B.M. et A.A. m’est arrivé de garder dans mes piles un livre pendant 11 ans. J’ai fini par le faire réexpédier à l’éditeur Je dois cependant admettre que ma clientèle vieillit et qu’une partie n’est déjà plus. Le nombre de lecteurs baisse et je vends de moins en moins d’exemplaires de la Pléïade. Les jeunes ne lisent clairement plus autant que leurs aînés et il n’y a plus de grands lecteurs. Sauf quelques exceptions, comme l’une de mes clientes âgées de 17 ans et vient d’avoir 19,56 de moyenne au bac : ses parents m’achètent plusieurs fois par mois des dizaines de livres parfois très abscons pour elle, suivant le rythme de ses lectures.

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Chronique /// Litté Ciel Liquide, de Karim Madani Dans un Paris scindé, la Ville Haute et la Ville basse se regardent en chiens de faïence...

Prix : 15,50 € ISBN : 9782848653679 Pages : 262 pages Éditeur : Sarbacane eXprim

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’est un soir d’orage sur la Ville Basse et la Ville Haute, mais dans l’une, on vit à l’abri d’une sécurité maladive, quand l’autre croule sous les assauts de la drogue, que l’on consomme dans les clubs privés. Aucun dealer ne prendrait le risque de vendre dans la rue, les lois draconiennes ont au moins instillé cette peur. C’est ici que Pharaoah Sanders, un nigerian au physique androgyne a implanté son nouveau business. Un produit qui colle à l’âme. Mieux : qui la dévoile. Ciel Liquide. Et les premiers tests dans la rue sont concluants. Des pertes de clients potentiellement fidèles, mais qui alimentent la rumeur... un nouveau produit... qui ferait marcher le paraplégique et remporter un match de 26 www.actualitte.com

boxe. Vivement que sa boîte, le Sin Avec calme et précision, les éléments City, puisse en proposer aux clients s’imbriquent autour des mots, de la réguliers. drogue nouvelle et des ambitions diverses. Rompu aux codes des films Démentiel. Sauf pour la police, qui de gangsters, autant qu’à l’écriture trime. Mais elle est tout aussi liée scénaristique, la trame s’installe aux cartels et autres mafias que la sans heurt ni rupture. Un défilepresse l’est à Google et Apple, les ment narratif linéaire classique, au deux magnats qui contrôlent l’in- service d’un style fulgurant. Le final formation. Allez causer d’indépen- manque un peu d’éclat à mon goût, dance aux pigistes de L’Oeilneuf.fr. sans enlever au plaisir du reste. Un Pas évident de raconter l’issue d’un infiltré démasqué qui se fait jeter procès quand l’accusé n’est autre dans un fleuve, la tentative d’inqu’un des actionnaires majoritaires, timidation de la pègre archaïque, et accessoirement, baron de la fa- l’explosion de Marvin harcelé par mille Salvadone. Oui, la vie est dure ses camarades de classe... autant de pour les journalistes... Pas autant repères indispensables à l’ambiance que pour Marvin, un gamin qui dé- pour les amateurs. Et cette drogue vore. Mais qui tue aussi. délirante, quasi directement puisée dans l’imaginaire de Dick enrobe la Avec des mots. Et pas juste réalité d’un tout autre sens. pour vanner. Marvin est discret. Mais acculé, il libère des paroles Toutes les strates sociales y pasmeurtrières. Qui font exploser sent, dans une vision prophétique si le cerveau, littéralement. Pas juste de notre futur. Les beau à voir. Ça tombe iPhone 7 y côtoient des bien, Sanders est en types fans de tuning, recherche d’un enfant. rafistolant de vieilles La prophétesse camée DS... les flics ont les au crack lui a promis mains liées par leur qu’il lui assurerait la hiérarchie asservie aux maîtrise, le contrôle. Le politiques, eux-mêmes pouvoir en somme. pris par la mafia ou les mégacorporations. Rien n’échappe à ce monde Anticipation oblige, ceten perdition, et perte uchronie si peu fantaisiste qu’on croirait un reportage sonne ne peut compter s’en sorvenu du futur se place dans la li- tir indemne. Brillant. Vicieux, mais gnée des oeuvres de Gibson ou de brillant. K. Dick, avec une french touch d’originalité. Fluide en diable, avalé par Puissant, intelligent et rudement votre serviteur dans l’après-midi, bien tourné, Ciel Liquide est le bouCiel Liquide est un petit bijou qui quin qui manquait à cette fin d’année, n’est pas de la SF mais une vérita- avant de se plonger dans la rudesse ble et excellente anticipation dans d’une rentrée littéraire massive. Et surtout, qui se continuera avec une un Paris pas si loin de nous. suite, plus primitive... N.G.


Chronique /// Litté Montana 1948, de Larry Watson Ou quand la famille se déchire. tice, main armée de la tradition, est appliquée dans le comté par Wesley Hayden, loyauté et fidélité à la loi incarnées. Dans les rues, au comptoir du tripot, au tribunal ; dans les bras de sa femme, et dans les yeux de son fils, il est la justice. Rien de moins. Sa famille le respecte pour cela, qu’importe son diplôme d’avocat qui lui permettrait de prétendre à des fonctions plus importantes. Il a fait le choix d’une vie droite, posée au milieu du Montana, pour aider les gens de la région.

Prix : 8 € ISBN : 9782351785010 Pages : 176 pages Éditeur : Gallmeister

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es plaines, un désert. Le vent souffle dans le Montana ; fort en hiver, puissant en été, tout le temps en fait. Sur les collines qui bordent la ville les Indiens survivent loin des Blancs, en toile de fond d’une histoire si vraie qu’elle devait faire roman. Quand ils sont en ville, ils ont des noms à coucher dehors, sont respectables et ne disent rien, sinon oui d’un signe de tête pour repartir plus vite d’où ils viennent. Ils traînent leurs peaux mates et leurs mains calleuses, tannées par le soleil : tout cela reste loin, dans un monde inconnu de la civilisation.

Car à Bentrock son métier se résume à enregistrer quelques rares plaintes sans importance, débusquer les voleurs à la petite semaine et repêcher des corps sans vie abandonnés le long des voies de chemin de fer. Puisqu’il faut un nœud pour dénouer un roman et un protagoniste pour vivre l’aventure qui se tisse autour, ce sera l’histoire de David Hayden, fils et petit-fils de sheriff, et de Mary Little Soldier, une Indienne au service de la maison familiale. Elle est magnifique dans les yeux de l’enfant. C’est la jeune fille au pair des paradis de l’enfance, celle qui vous prend par la main pour vous bercer doucement les soirs d’été brûlants, quand on n’arrive pas à s’endormir. Mary est une sorte de territoire imprévisible, elle est comme un soleil dans la nuit. Elle n’a rien à foutre là. Elle va très simplement disparaître après une maladie terriblement bénigne, une bête pneumonie.

Tenir un rang, une position dans une société et dans une ville, au sein d’une hiérarchie et dans l’ordre du David conçoit d’autant plus difficitravail, à Bentrock, est une vérité lement la disparition de sa légende qui s’apprend au quotidien. La jus- d’un mètre quatre vingt, que son

oncle, médecin attitré du comté, la soignait. Qu’il a aussi vu l’oncle repartir discrètement de la maison par la porte de derrière le jour de sa mort, et feindre de n’être pas sorti de chez lui. A quel moment David a-t-il commencé à comprendre, à laisser s’immiscer en lui le doute sur sa famille ? En saisissant les discussions de ses parents sur les activités louches de l’oncle irréprochable, héros de guerre et fils modèle ? Ah, Mary… Quel besoin avais-tu de t’effaroucher quand l’oncle Hayden vint te soigner ? Pourquoi refuser cette main tendue, entre tes cuisses ? Ils n’ont jamais rien compris à la médecine moderne ces Indiens. Parlez-leur des heures de gesticulations insensées devant un brasero, de jeter de l’encens dans les flammes, et surtout pas de stéthoscope, de pénicilline ou de toucher rectal. Voilà ce qu’aurait dû saisir le jeune David du haut de ses douze ans. Au lieu de ça, il a vu la déchirure profonde et irréparable entre le cadet et le benjamin ; le père et l’oncle ; la justice et la famille. Le château de carte s’est abattu d’un seul coup sous ses yeux, laissant derrière lui un nuage de fumée qui prit la forme d’un visage, celui de Mary Little Soldier. Juvénile image d’un passé insaisissable. Elle n’aura jamais trente ans, Mary, n’aura jamais d’enfants, Mary, ne sera jamais vengé, Mary. C’est sûr. Cette histoire, dont je ne dévoile que le début, finit dans le sang et les larmes. Bien sûr. N.R.

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Chronique /// Litté Inapte à dormir seule, Anna Cabanna Les enjeux de l’amour et du hasard. actrice de théâtre, mais reste peu sûre d’elle et change de partenaire comme de paire de chaussures.

des caractéristiques plus vraies que nature, telle une princesse au petit pois des temps modernes. Eva ressemble à une chanteuse d’opéra, Le modèle familial n’est pas fait chantant les clameurs tragiques de pour la rassurer. Ses parents ont l’amour selon Marie-Claire. divorcé alors qu’elle était encore très jeune et aucun d’eux n’a voulu Pourtant, les réflexions qu’Anna assumer son éducation, préférant Cabanna prête à ce personnage confier leur fille à un psychothéra- outré ont sonné incroyablement peute. juste à mes oreilles. Que ce soit ses considérations sur l’enfance, l’amour Eva est une passionnée. Elle a peur ou l’acceptation de la différence. qu’on l’enchaîne, de se perdre, qu’on Eva dans ses excès se révèle au ne sache la comprendre, qu’elle ne fond terriblement « normale ». soit pas à la hauteur… Un maelström de craintes l’emprisonnait, Car, qui peut se réclamer conforjusqu’à ce que bien sûr elle ait ren- me au modèle familial occidental contré son futur époux. Lui est plus ? Même marié, avec deux enfants, âgé, plus expérimenté que l’émotive un chien et deux voitures, qui n’a Prix : 15 € Eva et certain que leur histoire est jamais eu d’aventure extra-conjuISBN : 9782246770312 placée sous une bonne étoile gale, jamais été tenté de passer ses Pages : 184 pages enfants par la fenêtre et de partir Editeur : Grasset La découverte de l’amour, le vrai, loin, en laissant le chien ? es tempes moites, submergée le bon, a-t-il apaisé la demoiselle ? de bouffées de chaleur, Eva est Non, bien au contraire. Au seuil de Peut-être parce que, tout bien pesé, l’humain est une somme de contraau bord de l’évanouissement. Sa la synagogue, Eva hésite encore… dictions, de sueur et de sang mêlé meilleure amie lui tient la main, pendant que son témoin lui prodi- Il faut bien l’avouer, le trait sem- et pas une intelligence artificielle. gue d’ultimes conseils. Eva est-elle ble assez gros. L’héroïne cumule C.E. une criminelle à la veille de comparaître en Cour d’Assises ?

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Non, Eva est sur le point de se marier. Alors qu’elle patiente, le temps pour le rabbin de faire son entrée, Eva se remémore les moments marquants de son histoire, personnelle et amoureuse. Fille d’immigrés juifs, elle a toujours eu enfant à cœur de gommer tout ce qui pouvait la différencier de ses camarades d’école. Eva s’acharne à maîtriser parfaitement la langue, les bonnes manières à la française. Adulte, elle est 28 www.actualitte.com


Chronique /// BD Jour J t. 2 - Paris secteur soviétique

New Harlem t. 3 - Revisionnisme

Marteau et faucille exigés à l’entrée.

Jean-Pierre Pecau, Fred Duval et Gaël Sejourné Delcourt / 55 pages / 13,95 € / 9782756018683

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a Seconde Guerre mondiale n’a pas aussi bien tourné qu’on aurait pu le croire. La France a vu ses alliés piétiner lamentablement dans une tentative ratée de débarquement, en Provence. Mais les forces allemandes ont été plus puissantes, et c’est finalement grâce à l’armée rouge que la victoire a pu être obtenue. Et voilà que Paris est scindée, zone communiste au nord, plus ou moins libre au sud. La Seine sert de mur de la honte. Le pays est en proie aux campagnes d’espionnites aiguës. Dans ce contexte, le capitaine Émile Saint-Elme va se retrouver engagé par l’autre côté pour enquêter sur une série de meurtres abominables. Les Américains veulent que cette série de morts cesse. Et les appuis parisiens du capitaine les intéressent.

Oubliez Central Park.

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Eric Corbeyran et Tibery Glénat / 56 pages / 13,50 € / 9782723465069

a série Uchronie[s] dessine depuis ses premiers tomes une fresque impressionnante de relation temporelle, d’interaction entre les mondes, mais jusqu’alors, elle n’avait pas posé clairement les bases d’influences spatiales. Ni réellement fourni d’éléments sur les altérations de passages d’une réalité à l’autre pour les personnages. Et pourtant... Dans le monde de Harlem, Zack, ce prescient capable de voir le passé, a su recueillir l’adhésion de la Fraternité blanche, et la tentative d’assassinat n’aura finalement pas abouti, malgré ce que laissait penser le précédent tome. Dans le coma, Zack se replonge dans son passé et nous éclaire largement sur les origines de ces déplacements spatiaux temporels, jusqu’à envisager une certaine ubiquité...

C’est sans compter les implications politiques sousjacentes de cette histoire : l’affaire dépasse de bien Durant ce temps, Tia mène une enquête pour tenter de renverser le cours des choses. La situation politique loin la mort de quelques femmes... n’est pas des plus clémentes, l’opposition noire cherche Alors, d’abord, direction la page 19, pour découvrir un à déstabiliser l’image de Zack auprès du public. Il faut personnage qui ressemblerait fortement à un président redécouvrir le passé. français contemporain dont le mandat fini en 2012... Ensuite... pas grand-chose à reprocher à cette BD. Sé- Bon, si je continue, très personnellement, de ne pas rieuse, bien menée, et très classique, elle joue sur une apprécier le dessin et les pains qu’il comporte - les personnages ne sont vraiment plus soignés - le scénauchronie de bon aloi, et très cohérente. rio de ce titre tient toujours autant ses promesses. Et Découpage très habituel, rythme et scénario de très surtout, les révélations qui nous parviennent donnent bonne facture. Les amateurs d’histoire s’y retrouve- un tout autre sens à cette trilogie, liant inextricableront autant que les autres. Ce tome 2 poursuit une ment ses univers. Passionnant ! excellente lancée de Delcourt, qui a décidé de revisiter l’histoire mondiale de fond en comble. Et puis, la Malgré le rythme plus lent, on perçoit l’ambiance lourtour Eiffel à moitié détruite... ça a de la gueule tout de de et les réponses qui se déploient progressivement. même. N.G. Simplement dommage pour ce dessin... N.G. www.actualitte.com 29


Ailleurs /// Cinéma Entre Platon, Dick et Cronenberg, le rêve et le réel, avec Inception Alors que la tendance est à l’adaptation de BD en films, la démarche est plutôt originale.

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a réalité, le rêve, les manipulations de l’esprit... des thèmes chers à la littérature de science-fiction, tout particulièrement et plus encore à des auteurs comme Philip K. Dick, pour qui l’introduction d’une réalité nouvelle ne marque pas forcément l’abandon des précédentes (voir Ubik...). Avec Inception, le cinéma hollywoodien nous gratifie d’un nouveau blockbuster, mais de talent. Celui de Leonardo DiCaprio, brillantissime, et qui pousse le bon goût jusqu’à ne pas éclipser les autres acteurs, leur laissant un véritable champ d’action... L’intrigue se résume sur un ticket de métro : ce n’est pas cela qui compte. Un homme, Léo, en l’occurrence, est engagé pour implanter une idée dans l’esprit du futur héritier d’une supra-corporation. Pour ce faire, un kidnapping et hop, on va plonger dans ses rêves pour lui faire rentrer l’idée au plus profond de lui-même. On bascule de strate en strate, toujours plus profondément dans l’inconscient, pour que l’idée – il doit dissoudre l’empire de son père – prenne racine et grandisse, jusqu’à devenir sienne. Qu’elle soit ancrée jusqu’à l’appropriation complète. Simplissime, non ? Et pourtant, la réalisation vous en met plein les yeux. Parce qu’il faut rendre dans l’esprit du spectateur une double réalité, spatiale et temporelle, tout cela dans des séquences oniriques qui glissent, glissent, glissent... Pour faire simple : on reprend La vie est un songe de Calderon, mais qui ne joue que sur une seule strate oniri30 www.actualitte.com

Alors évidemment, un thème pareil ramène à un Matrix, nettement moins complexe, là encore, puisque toujours dual : la Matrice d’un côté, le monde réel de l’autre. Pilule bleue contre pilule rouge. Avec Inception, tout cela prend la dimension d’une poupée russe : elles s’imbriquent parfaitement les unes dans les autres, mais révèlent toutes une nouvelle réalité... rêvée. Et c’est particulièrement bon. Difficile de passer également à côté du mythe de la Caverne de Platon dans cette histoire. La réalité que nous prenons pour vraie, n’est que la projection d’ombres sur une paroi et prisonniers de chaînes, nous sommes incapables de nous détourner de ces apparences que nous prenons pour authentiques. Là encore, Inception dépasse ce manichéisme : un plan, dans un plan, imbriqué dans un rêve, qui lui-même fait suite à d’autres... Tout cela se concrétise plus encore dans la fin du film, où le spectateur que. Mais là, réalité et rêve coexis- pourra enrager de se dire qu’il n’a tent, dans une dualité simple. Avec pas toutes les cartes en main. Et Inception, on s’approche définitive- c’est tant mieux. ment de K. Dick, et du Dieu venu du Centaure, où en prenant la drogue Enfin, sans la dimension vidéoramenée par Palmer Eldritch, on ne ludique du film, mais avec cette sait définitivement plus quand on a connexion qui articule les actions quitté les mondes fantasmés pour des rêveurs, impossible de ne pas retrouver la réalité partagée par penser à eXistenZ. La console qui tous. relie les personnes entre elles, pour les faire entrer dans un univers D’autant que le recours, dans le film, de jeu inédit, dont le réalisme est à un puissant sédatif qui permet de frappant. L’interactivité commune, maintenir le rêve et de garantir la les répercutions des actes sur les réussite de l’opération, rapproche autres joueurs et la perspective plus encore de l’usage fait des stu- d’un jeu dans le jeu rejoint complèpéfiants dans ce livre du romancier tement la thématique abordée dans américain. Inception. Avec un budget de 200


Ailleurs /// Cinéma millions $ pour sa réalisation, le film place toutefois la barre encore plus haut, non pas simplement en effets spéciaux (encore que la scène en apesanteur dans un hôtel à des échos de 2001 Odyssée de l’espace vertigineux), mais bien en action dramatique.

Dave McKean un exceptionnelle Batman, L’asile d’Arkham, dans lequel la réalité n’est plus vraiment celle à laquelle on peut se raccrocher... Un titre phare de l’auteur, immanquable pour approfondir le sujet...

telligent, fin, subtil et qui dissimule sous une apparente complexité, une formidable histoire sur le remord et la culpabilité qui rongent une existence – chose manifeste, à moins d’avoir le QI d’une huître faisandée sur le sable d’un désert Passer une vie à tenter de retrou- saharien (lien vidéo, quand on n’est ver un passé quitté précipitamment, pas équipé, faut pas tenter de penEnfin, immanquablement, on reser...) – le film de Christopher Nolan trouve l’ambiance de manipulation excelle sur tous les plans. si chère à Dark City, ce monde mouvant où des extraterrestres sont à Et bien loin de nécessiter l’ensemble la recherche de ce que peut être des références citées, quoiqu’asl’âme humaine. Ils structurent pour sez classiques, le film n’est pas un ce faire tout un monde, chaque nuit patchwork de ces oeuvres. Il a son modifié, avec une dimension archiidentité propre, forte et magnifique. tecturale, au sens propre comme Après tout, ce qui importe, c’est que figuré, qui n’est pas si éloignée de les rêves auxquels on tient le plus celle d’Inception. courir après des rêves et des rê- parviennent à se réaliser... quel que veurs, des idées à voler, tout cela soit le niveau de la réalité où ils y Pour conclure et élargir un peu, pour retrouver sa place au sein parviennent... n’hésitez pas à replonger dans d’une famille déchirée par un suici- N.G. Les Invisibles de Grant Morrison, de... Inception a définitivement tout le monsieur qui avait signé avec d’un grand et magnifique film. In-

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Bibliographie conseillée Philip K. Dick, Ubik et Le Dieu venu du Centaure Bruno Bettheleim, Psychanalyse de contes de fées Platon, L’Allégorie de la Caverne, Livre VII de La République Calderon, La vie est un songe Grant Morrison, Les invisibles

Filmographie suggérée eXistenZ, par David Cronenberg Matrix, par les frères Wachowski Le Festin nu, adapté librement de l’oeuvre de William Burroughs, par David Cronenberg 2001, Odyssée de l’Espace, de Stanley Kubrick Dark City, de Alex Proyas

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