Né en 1972 en région parisienne, auteur de nombreux textes pour la jeunesse, lauréat à quatre reprises du grand prix de l’Imaginaire, Fabrice Colin est également auteur de thrillers et de romans de littérature géné rale. Scénariste occasionnel pour la BD, auteur de pièces radiophoniques pour France Culture et journaliste pour le magazine Chronic’art, il occupe par ailleurs les fonctions de directeur éditorial au sein des éditions Super 8.
Photographie de couverture : Pour Auguste © Chantal Michel
ACTES SUD DÉP. LÉG. : JANVIER 2016 20 € TTC France www.actes-sud.fr
ISBN 978-2-330-05783-1
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Fabrice Colin
La poupée de Kafka
Au cours d’un séjour à Berlin, la jeune Julie Spieler, en quête d’une improbable réconciliation avec son père, Abel – séduc teur impénitent, époux volage, menteur invétéré et profes seur de littérature allemande à la Sorbonne –, débusque la récipiendaire putative de textes inédits de Kafka, écrivain qui fait l’objet d’une folle idolâtrie de la part de son incon séquent géniteur. La jeune fille entame alors de difficiles tentatives d’approche auprès de cette vieille dame particuliè rement revêche qui porte en elle toute la mémoire d’un siècle traversé de guerres, d’exils et d’horreurs. L’été suivant, contre toute attente, ces trois personnages se retrouvent dans un chalet, face au mont Blanc, pour dénouer les nœuds et secrets obscurs dont chacun a tressé sa vie. De Paris à Berlin en passant par Prague, sous l’éternel regard de l’iconique Kafka ou dans l’inquiétante ombre por tée d’une impériale montagne, le roman fait se rencontrer les vivants et tous les spectres qui les hantent sur une scène où les protagonistes se débattent comme pour échapper au cruel sortilège qu’ils ont eux-mêmes concouru à forger. Convoquant une structure narrative limpide où le réa lisme le dispute aux images mouvantes et la gravité à un humour féroce, Fabrice Colin mène ici une superbe enquête romanesque sur les liens qui nous lient et nous délient au fil d’une libératrice traversée des apparences.
Fabrice Colin La poupée de Kafka roman
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS
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Moi, je suis indemne et mes cheveux ne sont pas plus blancs qu’hier, mais ça a été l’horreur du monde. Franz Kafka, Lettre à Felix Weltsch.
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Un soir de mai 2008, tandis qu’allongée à plat ventre sur la couchette du City Night Line en partance pour Berlin elle peinait à trouver le sommeil, Julie Spieler se figura soudain qu’elle avait découvert le chemin menant au cœur de son père. Dehors, un orage épouvantable grondait et le train roulait avec une lenteur excessive, comme s’il hésitait à s’enfoncer plus avant dans les ténèbres. Écartant un pan du store, la jeune fille observa les éclairs qui, à perte de vue, illuminaient les forêts et les champs ; l’ébauche de son sourire tremblait sur la vitre perlée de pluie. Elle pressentait une rencontre, confusément, les contours d’un mystère. Oui, songeait-elle, il lui faudrait traverser une brume de mensonges aussi dense que cette nuit même et, probablement, elle se perdrait en chemin. Mais entre la lumière du commencement depuis longtemps disparue et celle de la fin si fragile et lointaine, n’est-ce pas là tout ce qu’on peut attendre d’une histoire ?
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La petite fille ne dira rien
Le salut viendra quand vous aurez cessé d’espérer. Rappelez-vous : personne n’a été désigné pour prendre soin de votre âme. Ceux qui vous aident, ceux qui vous sauvent, vous ignoriez leur nom avant qu’ils se révèlent à vous. L’histoire de la poupée de Kafka reste l’une des plus édifiantes du siècle passé. Elle dévoile de l’écrivain un visage que le commun des mortels ignore et, si quelques Allemands férus de littérature ont entendu citer l’anecdote, bien rares sont ceux qui en connaissent les détails. Plantons le décor. Nous sommes fin 1923. Franz Kafka s’est installé à Berlin, où il s’efforce avant tout de survivre. Ma lade de la tuberculose depuis 1917, en effet, il est désormais incapable de travailler et ne perçoit qu’une pension de préretraite famélique. Sa compagne du moment, Dora Diamant, a quinze ans de moins que lui. Elle est très éprise, superbement dévouée : elle prend tout en charge. C’est elle qui installe Kafka dans le quartier de Steglitz, sur 13
Muthesiusstraße, d’abord, puis dans une jolie petite villa de Grunewaldstraße. Affaibli, l’écrivain continue toutefois à écrire. Chaque fois qu’il s’en sent le courage, il s’octroie une promenade dans les environs (il évite le centre : à cette époque, Berlin est embourbée dans une crise financière dantesque ; la faillite menace, on paie les gens avec des brouettes de billets, des émeutes éclatent tous les quatre matins). Un jour, dans un parc – et c’est là que notre récit prend son envol pour de bon –, il rencontre une petite fille en larmes. Troublé, il lui demande la raison de ses sanglots. La fillette lève les yeux sur lui. Elle a perdu sa poupée, déclare-t-elle. L’écrivain esquisse un sourire. Ne t’inquiète pas, la rassure-t-il d’une voix douce. Ta poupée est partie en voyage, voilà la raison. D’ailleurs, elle t’a envoyé une lettre. Sceptique, la petite fille sèche ses larmes. Une lettre ? Et pourrait-elle la voir ? Hélas, lui répond Kafka, je ne l’ai pas sur moi. Mais si tu reviens demain ici même à la même heure, je te la montrerai. Rentré chez lui, l’écrivain se met au tra vail. Le jour d’après, la fillette est là, qui l’attend. Kafka lui tend une feuille pliée, le fruit de son labeur. “Tu comprends mieux ?” Front plissé, la petite fille parcourt la missive. Puis relève la tête. La suite ! – elle exige la suite. Kafka acquiesce, et lui fixe un deuxième rendez-vous. Puis un autre encore. Et ainsi de suite, pendant trois se maines. 14
Jour après jour, l’histoire grandit. D’après Dora Diamant, et pourquoi ne pas la croire ?, Kafka met, à élaborer cette correspondance imaginaire, le même soin méticuleux que celui consacré à ses autres écrits. Mais ce petit jeu ne peut se poursuivre ad vitam æternam. Un jour, Kafka arrive avec une lettre de la poupée expliquant qu’elle s’apprête à se marier et que, pour des raisons de bienséance évidentes, elle doit cesser d’écrire à sa jeune amie. La petite fille prend acte, mais ne pleure pas. L’épopée lui a tant plu, elle a mis tant de force à y croire que toute sa tristesse s’est évaporée. Ende der Geschichte. Un certain nombre de journalistes, et cela ne surprendra personne, ont enquêté sur cette affaire depuis les années 1950, parmi lesquels l’un des biographes de l’écrivain. Deux quotidiens nationaux, Die Zeit et le Frankfurter Allgemeine Zeitung, se sont même fait les échos de la rumeur. Des inédits de Franz Kafka, excusez du peu ! Un quatrième roman fantôme ! Le problème – et une histoire est-elle au tre chose que l’histoire d’un problème ? – c’est qu’il était impossible, jusqu’à ce jour, de certifier la véracité de cet épisode. Kafka, en effet, ne l’a jamais narré luimême. C’est Dora Diamant qui l’a fait, et elle ne l’a confié qu’à deux personnes : Max Brod, ami fidèle et exécuteur testamentaire de l’écrivain, et Marthe Robert, 15
traductrice et critique française née en 1914 dont la correspondance avec Dora – quatorze lettres rédigées au cours des an nées 1950 –, ne fut exhumée qu’en 2000. Les journaux de Kafka qui, éventuelle ment, auraient pu attester l’authenticité de l’histoire, ont disparu. Ils ont été perdus par Dora (une rafle de la Gestapo, en mars 1933), laquelle avait même prétendu à Max Brod les avoir brûlés à la demande de l’auteur. Dès lors, la question se pose : et si tout cela avait été inventé ? Arrivée à ce stade, il serait malhonnête de ne pas mentionner les liens particuliers qui m’attachent à Franz Kafka. Mon père, professeur de littérature allemande à l’université Paris-Sorbonne, est un grand spécia liste de l’auteur, et j’ai pour ainsi dire grandi avec. Que j’aie tenu à mener ma propre en quête était inévitable. Par chance, la première des pistes que j’ai suivies* s’est aussi révélée la plus solide. * On passera rapidement sur l’affaire des manuscrits de Max Brod, retenus par Eva et Ruti Hoffe, les filles de sa secrétaire et ultime compagne, et qui font ces jours-ci à Tel-Aviv l’objet d’une complexe procédure judiciaire, et sur la descendance de Gabriele et Ottilie, deux des trois sœurs de Kafka, dont la trace se perd dans les brumes d’après-guerre, sinon pour préciser que les filles d’Ottla ont survécu à l’Holocauste grâce à son divorce – Vera, notamment, serait revenue à Prague (dans un ouvrage récemment traduit, le Polonais Mariusz Szczygiet explique comment il a essayé de lui soutirer un entretien et conclut à l’impossibilité de la tâche), tandis que Gerti, la fille de Gabriele, serait morte en 1972 au Canada. Marianne Steiner, la fille aînée de Valerie
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Gerti, Hanna et Marianne, trois des nièces de Kafka.
Elle m’a conduite du côté de Dora Diamant et de sa fille, Franziska Marianne Łask, née en 1934 et morte à Londres en 1982. Marianne souffrait de troubles mentaux mais tout indique qu’elle connaissait l’histoire de la poupée. Michael Steiner, son exécuteur testamentaire et par ailleurs avocat, n’étant plus en activité, j’ai contacté son fils, qui m’a éclairée sur les dispositions prises par sa cliente. La fille de Dora, m’a-t-il rappelé en préambule, était un être tourmenté, agité de pressentiments funestes. À sa tante Mira Łask, habitant Berlin-Est, elle avait légué toutes les photos de famille en sa possession. Certaines missives revenaient à son cousin germain, Ernst ; d’autres, concernant plus ex pressément la relation de Dora avec Franz (au soir de sa vie, Marianne se souvenait encore des lettres que Kafka avait écrites à que j’évoque par ailleurs, a rencontré Dora en 1948 et est morte à Londres en novembre 2000 à l’âge de quatre-vingt-six ans.
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sa mère), étaient destinées à Marianne Steiner, mère de Michael – et nièce de l’écrivain par sa mère, Valerie ! –, dont elle était restée assez proche. Le fils de Michael Steiner avait plein accès aux archives de son père. Il a eu la bonté de me transmettre des scans de plusieurs lettres écrites par Dora à sa fille en 1950 et 1951. Pourquoi cette correspondance-ci n’a-t-elle jamais été versée au fonds Kafka ? Mon interlocuteur évoque un intérêt “douteux”, et le manque de directives paternelles claires. Penchons-nous maintenant sur les lettres en question. Nous apprennent-elles quelque chose au sujet de la poupée ? Oui, mille fois oui ! Je puis même affirmer sans crainte qu’une partie du voile est en passe d’être levé. Par recoupements, et avec l’aide de témoins, de proches et d’amis – le concours involontaire et posthume de Dora, dois-je le souligner ?, m’a également été plus que précieux –, je suis parvenue à déterminer l’identité de la petite fille en question. Malheureusement, je ne suis pas en mesure d’en divulguer davantage pour l’instant (et soudain, j’ai l’impression d’être devenue l’un de ces personnages de John Le Carré, pris dans la ligne de mire d’un sniper à moustache embusqué sur un toit). Quand le serai-je ? Tout simplement lorsque j’aurai reçu de certains de mes informateurs les confirmations et autorisations nécessaires. Présentée de la sorte, j’ai conscience que 18
cette mise en bouche sonne comme une promesse restant à tenir. Eh bien, disons que c’est exactement ce dont il s’agit. Encore un peu de patience, donc. Si la chance est avec moi, l’une des énigmes littéraires les plus passionnantes du xxe siècle est sur le point d’être résolue par une Française de vingt-sept ans. Article paru dans le numéro 85 du magazine Exberliner, août 2010.
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Né en 1972 en région parisienne, auteur de nombreux textes pour la jeunesse, lauréat à quatre reprises du grand prix de l’Imaginaire, Fabrice Colin est également auteur de thrillers et de romans de littérature géné rale. Scénariste occasionnel pour la BD, auteur de pièces radiophoniques pour France Culture et journaliste pour le magazine Chronic’art, il occupe par ailleurs les fonctions de directeur éditorial au sein des éditions Super 8.
Photographie de couverture : Pour Auguste © Chantal Michel
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ISBN 978-2-330-05783-1
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Fabrice Colin
La poupée de Kafka
Au cours d’un séjour à Berlin, la jeune Julie Spieler, en quête d’une improbable réconciliation avec son père, Abel – séduc teur impénitent, époux volage, menteur invétéré et profes seur de littérature allemande à la Sorbonne –, débusque la récipiendaire putative de textes inédits de Kafka, écrivain qui fait l’objet d’une folle idolâtrie de la part de son incon séquent géniteur. La jeune fille entame alors de difficiles tentatives d’approche auprès de cette vieille dame particuliè rement revêche qui porte en elle toute la mémoire d’un siècle traversé de guerres, d’exils et d’horreurs. L’été suivant, contre toute attente, ces trois personnages se retrouvent dans un chalet, face au mont Blanc, pour dénouer les nœuds et secrets obscurs dont chacun a tressé sa vie. De Paris à Berlin en passant par Prague, sous l’éternel regard de l’iconique Kafka ou dans l’inquiétante ombre por tée d’une impériale montagne, le roman fait se rencontrer les vivants et tous les spectres qui les hantent sur une scène où les protagonistes se débattent comme pour échapper au cruel sortilège qu’ils ont eux-mêmes concouru à forger. Convoquant une structure narrative limpide où le réa lisme le dispute aux images mouvantes et la gravité à un humour féroce, Fabrice Colin mène ici une superbe enquête romanesque sur les liens qui nous lient et nous délient au fil d’une libératrice traversée des apparences.
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