9 minute read

4. Les lois de la circulation de la monnaie franche

198 LA MONNAIE MÉTALLIQUE

15. La pierre de touche de la monnaie.

Advertisement

Les partisans de l'étalon-or attribuent à celui-ci l'ampleur, tant absolue que relative, de l'essor économique de ces dernières dizaines d'années. Ces millions de cheminées d'usines, dont la fumée s'élève vers le ciel, seraient autant d'autels dressés par les nations, en action de grâces pour le don divin de l'étalon-or.

Il faut reconnaître que la monnaie est capable d'engendrer, ou tout au moins de favoriser, l'essor économique. Le numéraire rend les échanges possibles ; sans échanges, pas de travail, pas de bénéfices, pas de commerce, pas de mariages. Que l'échange des marchandises cesse, et c'est la fermeture de toutes les usines.

L'assertion des partisans de l'or n'a donc de prime abord rien d'ahurissant. Au contraire. Quand on demande aux industriels, aux armateurs, s'ils pourraient produire davantage avec la main-d'œuvre et l'outillage actuels, la réponse est toujours la même : la production n'est limitée que par l'écoulement des produits. Or, c'est le numéraire qui rend la vente possible. Ou bien impossible. Cela dépend.

Rien d'ahurissant non plus, à ce que l'éloge de l'étalon-or contienne un blâme tacite à l'adresse du prédécesseur : le bimétallisme, prévenu d'avoir entravé le progrès économique. La monnaie peut amener le progrès. Elle peut le bannir. On peut attribuer à la monnaie des effets bien plus considérables que quelques années de prospérité ou de crise (1).

Depuis l'adoption de l'étalon-or en Allemagne, les propriétaires fonciers se sont plaints de la chute des prix, et des difficultés qu'ils éprouvaient à payer les intérêts de leurs dettes hypothécaires. Il a fallu les tarifs douaniers pour les tirer d'affaire. Sans les droits d'entrée, combien de fermes auraient été vendues aux enchères ! Et qui les aurait achetées ? On aurait vu se constituer la grande propriété foncière, telle que la connut la Rome antique — les latifundia qui ont perdu l'Italie.

On le voit, l'affirmation des partisans de l'or n'a rien d'anormal. Il ne manque que la preuve. L'essor économique, en effet, pourrait bien avoir d'autres causes. Les écoles, les inventions techniques, si nombreuses, et leur influence sur le rendement du travail ; la femme allemande, à qui l'on doit une race de travailleurs nombreuse et saine. Les concurrents ne manquent pas pour disputer la palme à l'étalon-or.

Donc, il faudrait des preuves. Il faudrait un critérium, un moyen de mesurer la qualité de la monnaie. Il faudrait savoir si l'étalon-or a fourni aux échanges une aide telle, qu'elle suffise à elle seule pour expliquer l'essor économique.

LA PIERRE DE TOUCHE 199

Si l'étalon-or a favorisé les échanges, il a dû les rendre, ou plus sûrs, ou plus rapides, ou meilleur marché. Cette augmentation de la sécurité et de la vitesse, cette réduction du coût des échanges a dû se traduire par une diminution du nombre des commerçants. La chose est évidente. Elle n'a pas besoin d'être démontrée. Quand on améliore les routes servant au transport des marchandises, l'efficience des préposés aux transports augmente. A rendement égal, le nombre des conducteurs de véhicules doit diminuer. Depuis l'adoption de la navigation à vapeur, la circulation maritime a centuplé. Le nombre des matelots a diminué. Stewards, cuisiniers, serviteurs ont pris la place des matelots.

Il doit en être de même dans le commerce, si l'étalon-or est à l’étaloncoquillages, ce que la navigation à vapeur est à la navigation à voile, ou ce que la dynamite est par rapport au coin.

Et en fait, que constatons-nous sous le régime de l'étalon-or ? exactement le contraire. Le commerce occupait de 3 à 5 % de la population ; il occupe maintenant de 13 à 15 % de celle-ci, voire 31 %. Le salaire de ces intermédiaires grève de plus en plus lourdement les prix. (Professeur Schmoller.)

C'est absolument exact, loin de se simplifier, le commerce devient de plus en plus difficile. Depuis que l'or constitue l'intermédiaire des échanges, il faut, pour vendre les marchandises, de plus en plus de monde. Et ces gens doivent être mieux instruits, mieux armés. Qu'on en juge par le recensement des professions en Allemagne :

1882 1895 1907 Population de l'Allemagne 45 719 000 52 001 000 62 013 000 Nombre total des travailleurs 7 340 789 10 269 269 14 348 016 Dont, affectés au commerce, 838 392 1 332 993 2 063 634

Ces chiffres sont éloquents. Le nombre des travailleurs occupés par le commerce croît beaucoup plus vite que le nombre total des travailleurs de l'industrie, du commerce et de l'agriculture. Le nombre total a augmenté de 95 %. Le chiffre des travailleurs du commerce a crû de 146 %. On voit les effets du règne de l'or. L'étalon-or a renforcé l'armée des intermédiaires ; les chiffres le prouvent : il a rendu le commerce plus difficile.

On objectera que depuis trente ans bien des producteurs ont passé de l'économie primitive à la division du travail. A la campagne, particulièrement, on produit de moins en moins pour la consommation privée et de plus en plus pour le marché. Il faut donc de plus en plus de commerçants. Les rouets deviennent très rares. Les petits artisans de village que l'on payait directement avec le produit des champs, c'est-à-dire par voie de troc, ont dû céder la place à des dépôts d'usine. D'autre part les machines se sont perfectionnées. L'ouvrier produit

200

LA MONNAIE MÉTALLIQUE

plus que jadis. Plus ou mieux. L'afflux de marchandises sur le marché s'en trouve augmenté. Il faut donc plus de commerçants. Supposons qu'il faille un commerçant pour vendre les cotons de 10 tisserands. Toutes choses égales d'ailleurs, il faudra, deux négociants si les 10 tisserands en viennent à doubler leur production, grâce au perfectionnement des métiers à tisser.

C'est vrai. Mais le commerce, lui aussi, a fait du progrès. Il convient d'en tenir compte. Les perfectionnements techniques ont prodigieusement simplifié le travail du commerçant. Rappelons l'adoption du système décimal dans la monnaie allemande (Cette adoption n'a aucun lien avec celle de l'étalon-or : la monnaie anglaise le montre bien). Le système métrique a unifié les poids et les mesures. L'enseignement commercial fournit de meilleurs employés. Le droit commercial et consulaire s'est unifié, amélioré. La poste rend au commerce des services précieux. Le port des lettres coûte 10 pfennigs pour tout le territoire allemand. La poste se charge du transport des colis, des encaissements, des virements, etc. Rappelons aussi le télégraphe, le téléphone ; la machine à écrire, les machines comptables ; la sténographie ; la machine à polycopier ; la bicyclette des livreurs et des représentants ; les progrès de la publicité: la technique des banques, les chèques, les virements ; les coopératives de consommateurs, bref, les innombrables améliorations apportées depuis trente ans à la technique du commerce. N'oublions pas non plus que la formation générale du commerçant s'est améliorée, qu'elle l'aide et augmente son efficience. Sans quoi il faudrait considérer l'instruction comme superflue pour le commerçant. Il faudrait traiter de sot le commerçant qui paye mieux un aide instruit qu'un ignorant. L'aide instruit « rend » davantage. C'est-à-dire qu'il vend plus.

Supposons que l'augmentation du rendement du commerce balance l'accroissement de la production. Dans ce cas, l'augmentation du nombre des travailleurs affectés au commerce reste un témoignage accablant à charge du fameux étalon-or.

Remarquons que les statistiques susmentionnées n'indiquent que le nombre de personnes vivant du commerce, alors que ce qui nous intéresse, c'est le bénéfice commercial brut. A en juger d'après les apparences, ce bénéfice brut n'a pas manqué de croître. On ne peut pas le calculer en se basant sur l'augmentation du nombre des travailleurs du commerce, étant donné qu'en moyenne, les revenus des commerçants sont plus élevés que ceux des autres travailleurs.

Pour apprécier l'effet d'une réforme monétaire sur le commerce, il faudrait établir le bénéfice brut du commerce. C'est-à-dire établir par les statistiques, la différence entre les prix d'usine et les prix de détail, pour chaque article. Le prix de détail moins le prix d'usine donne le bénéfice brut du commerce. On saurait ce que le commerce coûte au pays, et ce que vaut le système monétaire. On constaterait alors que, comme on

LA THÉORIE QUANTITATIVE DE LA MONNAIE 201

le croit d'ailleurs généralement, le commerce absorbe bel et bien le tiers de la production totale, sinon davantage. On s'apercevrait que pour 1.000 kilos, 333 vont aux commerçants.

16. Pourquoi la théorie quantitative brute ne s'applique pas à la monnaie (1).

L'offre et la demande déterminent le prix des marchandises. L'offre est égale au stock total des marchandises. Si les réserves augmentent, l'offre augmente. Quand les stocks diminuent, l'offre diminue. Stock et offre coïncident. Au lieu de dire : « L'offre et la demande », on pourrait dire tout aussi bien : « Le stock et la demande » déterminent le prix. Sous cette forme, l'hypothèse de la théorie quantitative s'exprimerait plus clairement.

La théorie quantitative s'est confirmée pour toutes les marchandises. Les exceptions sont négligeables. On a voulu appliquer cette théorie à la monnaie. Le prix du numéraire, a-t-on dit, est déterminé par le stock monétaire. L'expérience a prouvé que l'offre de numéraire ne dépend pas du stock de numéraire aussi rigoureusement que la théorie quantitative le suppose. Dans un pays où la réserve de numéraire ne varie pas, l'offre d'argent peut subir d'énormes variations. Le trésor de guerre de Spandau n'a pas été offert une seule fois en quarante ans, tandis que certaines monnaies changent de mains de 10 à 15 fois par an. Les réservoirs monétaires que constituent les banques, les coffres et les bas de laine sont tantôt bourrés, tantôt vides. Ce qui signifie que l'offre de numéraire est tantôt nulle, tantôt énorme. Bien souvent des rumeurs suffisent pour que l'argent quitte le marché. L'offre se terre. L'argent gagne les abris. Un télégramme, fût-il faux, suffit parfois pour que la main qui allait nouer la bourse, répande l'argent à profusion sur le marché.

Les circonstances économiques ont une influence considérable sur l'offre de numéraire. Nous avons dit à propos des marchandises : a Le stock et la demande » déterminent le prix. Pour le numéraire on peut dire : « L'état d'esprit et la demande » déterminent son prix. Certes, le stock monétaire n'est pas sans influence sur l'offre d'argent. Ce stock détermine la limite supérieure de l'offre de numéraire. On ne peut pas offrir plus d'argent qu'il n'en existe. Mais tandis que pour les marchandises la limite supérieure (c'est-à-dire le stock) constitue en même temps la limite la plus basse, de telle sorte que l'offre et la réserve s'équivalent constamment, pour le numéraire il n'est pas possible de déterminer la limite inférieure. À moins de considérer cette limite comme égale à zéro.

(1) Nouvelle littérature sur la théorie quantitative : Dr Th. Christen : Das Geld-wesen ein dynamisches System. Berne 1931.