NOVO N°2

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numĂŠro 2

05.2009

gratuit



ours

sommaire numéro 2

Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : studio starHlight Ont participé à ce numéro : REDACTEURS : E.P. Blondeau, Olivier Bombarda, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost, Nathalie Eberhardt, Kim, Christophe Klein, David Kleinfeld, Marie-Viva Lenoir, Rosaline Lopez-Oros, Mathieu Molard, Henri Morgan, Matthieu Remy, Christophe Sedierta, Fabien Texier. PHOTOGRAPHES Vincent Arbelet, Pascal Bastien, Mathieu Molard, Arno Paul, Christophe Urbain. CONTRIBUTEURS Bearboz, Sébastien Bozon, Adrien Chiquet, Manuel Daull, Dupuy-Berberian, Christophe Fourvel, Marine Froeliger, Christian Garcin, Gabrielle Haller, Sophie Kaplan, Eva Lumens, Nicopirate, Nicolas Querci, Denis Scheubel, Vincent Vanoli, Laurent Vonna, Henri Walliser, Sandrine Wymann.

Édito

05.2009

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focus la sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer

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rencontres António Lobo Antunes évoque le temps de l’écriture 30 Robert Duvall revient sur son parcours au cinéma 32 Isabelle Huppert cherche la note juste 34 Bastien Vivès occulte le début et la fin 36 Joanne Robertson en vedette au festival Kill Your Pop 38 Stuck in The Sound, le rock la tête levée 39 Julien Doré subit le “deaf-test” visuel 40

PHOTO DE COUVERTURE Pascal Bastien.

magazine

Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com et flux4.eu

Reconnecter le citoyen à la politique, rencontre avec Daniel Cohn-Bendit et Sandrine Bélier

Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias u 10 rue de Barr / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr u 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr IMPRIMEUR Impressions Graphiques Le Trident – 36 rue Paul Cézanne / 68200 Mulhouse Tirage : 7000 exemplaires Dépôt légal : mai 2009 ISSN : 1969-9514 u © NOVO 2009 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros u 40 euros. 12 numéros u 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai et librairies des principales villes du Grand Est.

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Le film (And I ride and I ride) projeté en avant-première au festival C’est la Vallée 46 Piers Faccini, gospel et blues inspirés

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Festival de Chaumont, rencontre avec le directeur artistique Etienne Mineur et l’artiste Henning Wagenbreth 50 Homme et femme, quelle affaire ? Rencontre avec le sociologue Hervé Marchal

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Pour le Festival Premières, Elena Costelian recrée le procès Ceaucescu

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Chroniques

Novo ouvre ses colonnes à des interventions régulières Constellation vue en images, par Sandrine Wymann et Bearboz 60 Songs To Learn and Sing par Vincent Vanoli 62 La stylistique des hits par Matthieu Remy, Philippe Dupuy et Charles Berberian 63 Mes égarements du cœur et de l’esprit : égarements 1 et 17, par Nicopirate 64 Le Monde est un seul / 1, par Christophe Fourvel 66 Science sans confiance : la danse du playmobil, par Laurent Vonna 67 Mulhouse, deux minutes d’arrêt, par Adrien Chiquet et Sébastien Bozon 68 Quant aux Américains j’y reviendrai : Simon Vouet par Manuel Daull 70 L’acte pour l’art : Dataloss, sur kristian ingold, par Gabrielle Haller 71 Sur la crête : la course de rideaux, par Henri Walliser et Denis Scheubel 71 Carte blanche sur fond noir : les pierres sauvages, par Sophie Kaplan 72 Chronique de mes collines ; Alpha, par Henri Morgan 74 AK47 : comment réussir une crème brûlée, par Fabien Texier 75 Modernons : les contestataires du futur, par Nicolas Querci 75 Love Spray : le spectacle du monde, par Marine Froeliger 76 Revox : ¡Que Viva Mexico !, par Eva Lumens 77

selecta

disques, BD, livres et DVD

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édito par philippe schweyer

L’échappée solitaire

C’était le 1er mai, un jour idéal pour échapper à l’esprit de compétition, oublier l’égoïsme ambiant et réfléchir au sens de la vie tout en pédalant au grand air. Une fois en selle, j’ai démarré tranquillement, histoire de ne pas brûler trop vite mes précieuses calories. Posté à l’ombre d’un 4x4 abandonné au bord de la route (faute de carburant ?), un petit vieux espérait obtenir quelques euros contre un brin de muguet tout ratatiné. Plus loin, une famille nombreuse partait à la pêche, snobant avec panache la pollution qui donnait au poisson un arrière-goût métallique. Quelqu’un avait badigeonné « Désobéir pour penser » sur la chaussée. Tout en me demandant si j’avais bien fait de snober le défilé, je me suis frictionné les mollets. Après une dizaine de kilomètres de plat, la route a commencé à s’élever et j’ai changé de braquet pour dépasser un cycliste déjà à la peine. Me retournant pour voir combien de mètres je lui avais mis dans la vue, j’ai reconnu le visage grimaçant d’un homme politique en campagne qui se battait pour retrouver son poids de forme en vue des prochains combats électoraux. L’Europe valait bien quelques coups de pédale. J’ai rentré la tête dans le guidon pour poursuivre sur ma lancée malgré le goudron qui collait à mes pneus. Quelqu’un avait badigeonné « Le capitalisme est une maladie » sur la chaussée. Je me sentais de moins en moins bien. à trois kilomètres du sommet, un jeune homme en costume de trader perché sur un vélo électrique dernier cri m’a doublé en sifflotant Working Class Hero de John Lennon. Ça m’a fichu un coup au moral, mais j’ai continué comme si de rien n’était. Quelqu’un avait badigeonné « Proletaires de tous les pays, unissez-vous ! » sur la chaussée. Je me sentais de plus en plus solitaire et de moins en moins héroïque. Zigzagant lamentablement dans les derniers lacets, oubliant complètement de penser au sens de la vie et à la prochaine révolution, je me suis mis à rêver de plus en plus fort à la bière bien fraîche qui m’attendait à la sortie du dernier virage. Mais à l’arrivée, contrairement à ce que promettaient de splendides panneaux publicitaires tout au long de l’ascension, la buvette était fermée. Un écriteau indiquait simplement « Réouverture après la crise ». En redescendant, j’ai croisé l’homme politique en campagne. On lisait dans ses yeux qu’il aurait volontiers échangé son siège au Parlement européen contre une canette de bière, mais je l’ai laissé poursuivre sans rien dire. C’était la crise pour tout le monde.

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focus

1/ BLANCHES Le Nouveau Théâtre accueille Florence Cabot et sa compagnie Palo Mio, pour une étape de création de son projet Blanches. Le fruit de cette résidence sera présenté dans le cadre de la semaine des Émergences qui se déroulera du 2 au 6 juin à Besançon. www.nouveau-theatre.com.fr D 2/ Art Basel Le rendez-vous incontournable de la jet-set éclairé et des amateurs d’art du monde entier. A Bâle du 10 au 14 juin. www.artbasel.com 3/ De Holbein à Tillmans Le Schaulager reçoit la visite d’une partie des trésors du Kunstmuseum de Bâle. www.schaulager.org 4/ La Notte Première exposition « antonionienne » à la nouvelle Kunsthalle de Mulhouse jusqu’au 14 juin. www.kunsthallemulhouse.com D 5/ S.I.N.E.D. Concert solo de l’éternel espoir du rock français en première partie d’Arthur H à Mulhouse le 22 mai. www.noumatrouff.fr

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6/ L’Alsace et son identité Exposition éclairante proposée par le Musée Historique de Mulhouse dans le cadre du cycle Le Rhin supérieur vers 1900. www.passmusees.com/1900 7/ Les Fauves Hongrois, la leçon de Matisse Exposition exceptionnelle réunissant 145 œuvres fauves au Musée des beaux-arts de Dijon jusqu’au 15 juin. http://mba.dijon.fr D 8/ 30ème Anniversaire du Ballet de Lorraine Pour célébrer ses 30 ans, le Ballet de Lorraine reprend deux ballets qui ont marqué les esprits : Petrouchka, créé en 1911 par Michel Fokine sur la célèbre musique d’Igor Stravinsky et Rave, un des temps forts de la présence de Karole Armitage au Ballet de Lorraine. Du 14 au 17 mai à l’Opéra national de Lorraine à Nancy. www.ballet-de-lorraine.com

9/ Le Salon Le premier numéro de la revue Le Salon édité par le Centre de Recherche de l’ÉSAMM (École Supérieure d’Art de Metz-Métropole) s’intéresse aux travaux et parcours croisés d’artistes, de praticiens et de théoriciens autour de la thématique « Dispositifs, Architecture et Scénographie ». Le Salon propose aussi un cahier de travaux d’étudiants, un cahier création, des notes de lecture, des comptes-rendus d’expositions… (20 €) www.revuelesalon.com 10/ Ulrika Byttnet et Jan Voss Exposition au 19, Centre régional d’art contemporain à Montbéliard jusqu’au 24 mai. www.le-dix-neuf.asso.fr 11/ Les Anciens de… Edition par l’école des beaux-arts de Besançon du catalogue de l’exposition « Les Anciens de…» qui invitait les anciens élèves des dix dernières années à exposer leur travail d’aujourd’hui, reprenant à son compte la phrase de Kant : « Sans ses étudiants l’école serait vide mais sans ses anciens l’école serait aveugle. » www.erba.besancon.com

12/JEAN-LOUIS MURAT Le Théâtre Musical accueille le troubadour le plus prolixe de la chanson française en partenariat avec le Cylindre le 14 mai à Besançon. www.letheatre-besancon.fr D 13/ Concept’art n°5 (Roméo & Sarah...) Le groupe The Botany talk Home invite Lauter et Roméo & Sarah (photo) du Label Hertzfeld, mais aussi Pollyanna, Anda d’Oldenbourg et des plasticiens de la région les 20 et 21 juin à la Chapelle Saint-Jean à Mulhouse. www.myspace.com/ thebotanytalkhome 14/ Shrink Orchestra Sortie nationale de My own enemy, troisième album de Shrink Orchestra sur le nouveau label dijonnais Guls Records. www.myspace.com/ shrinkorchestra 15/ The Penelope(s) & Morpheus Sortie de Priceless Concrete Echoes, nouvel album de The Penelope(s) & Morpheus chez Citizen Records, l’excellent label dijonnais. Du rock dansant, moderne et sensible. www.citizen-records.com


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16/ Doggy Sortie de Mon Colonel, nouvel album du savoureux Doggy bientôt en tournée dans tout le Grand Est. www.myspace.com/doggyanorak 17/ PETER VON POEHL + MY LADY’S HOUSE Les bisontins de My Lady’s House tenteront de voler la vedette au beau Peter à la Poudrière de Belfort le 23 mai. www.pmabelfort.com 18/ Root Down (Rainer Trüby) Depuis 1996, Rainer Truby invite chaque dernier samedi du mois des artistes internationaux dans la mythique salle du restaurant du Waldsee situé au cœur de la forêt fribourgeoise. Avec Christian Prommer le 23 mai et Peter Kruder le 27 juin. Waldseestraße 84, Freiburg im Breisgau (All). www.root-down.org D 19/ Mariana Aydar La brésilienne Mariana Aydar présente son second album Peixes Passaros Pessoas le 15 mai à la Salle du Cercle à Bischheim. 03 88 18 01 33

20/ Les Musicales 57ème festival de musique de chambre de Colmar du 20 au 24 mai. 1 Pass Musicales acheté = 2 entrées gratuites pour le Musée Würth. www.les-musicales.com D 21/ LIGHTNING BOLT (USA) Réputés pour leurs performances live, Brian (basse) et Brian (batterie) bouleversent les formats classiques du concert en jouant encerclés par le public. Broyant le punk et le hardcore, l’expérience LightningBolt est aussi mentale que physique. En partenariat avec Musiques Volantes le 31 mai aux Trinitaires à Metz. www.lestrinitaires.com 23/ LES Talens lyriques… Queens Pour célébrer le 350e anniversaire de la naissance de Purcell et le 250e anniversaire de la mort de Haendel, l’Arsenal propose un programme autour des figures de reines avec l’ensemble de musique instrumentale et vocale Les Talens Lyriques. Le 3 juin 2009 à l’Arsenal de Metz. www.mairie-metz.fr

24/ Alice Tirée du conte de Lewis Carroll, «Alice» est revisité par la compagnie Flash Marionnettes pour un spectacle réjouissant qui peut faire l’objet d’une lecture à la fois adulte et enfantine. Au centre culturel Pablo Picasso d’Homécourt le 12 juin et à la Salle Poirel à Nancy le 14 juin. www.flash-marionnettes.org 25/ CYGNE ELEPHANT Exposition collective proposée par le Frac Franche-Comté et Intermèdes Géographiques jusqu’au 30 juin dans l’Ile Giphantie localisée sur SecondLife. http://slurl.com/secondlife/ giphantie D 26/ FESTIVAL Témoins d’Ailleurs Le festival donne la parole aux artistes qui questionnent l’histoire et la mémoire du Viêtnam, de l’Iran ou de l’Afrique. Avec notamment Amid the Clouds (photo)de l’auteur et metteur en scène iranien Reza Koohestani et un concert de Noujoum (musiques orientales et chansons traditionnelles du Maghreb) en partenariat avec le Lézard. Du 12 au 16 mai à La Manufacture à Colmar www.atelierdurhin.com

26/ Salam Alsace Exposition Alsaciens-Maghrébins, si loin, si proches de 1830 à nos jours au Mémorial d’AlsaceMoselle à Schirmeck. www.memorial-alsace-moselle.com 27/ Peter Downsbrough Exposition du grand artiste américain à la galerie Nancy Thermal jusqu’au 31 mai. www.ensa-nancy.fr 28/ Nikolay Polissky Dans un village situé à une centaine de kilomètres de Moscou, Nikolay Polissky réalise des constructions éphémères à base de matériaux naturels avec l’aide de la population locale. Dans le cadre du cycle Habiter, Mudam l’a invité à réaliser une installation d’envergure. Jusqu’au 13 septembre (Lux). www.mudam.lu D 29/ Christophe Hager Le cinéaste Christophe Hager nous a envoyé une photo prise à Mulhouse. Le XXIème siècle sera religieux… et branché? 30/ PERFfusion Un parcours artistique urbain dans toute la ville de Strasbourg, 32 artistes et 16 performances. du 6 au 14 juin. www.perffusion.com

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par fabien texier photo : pascal bastien (extrait de la série L’Odeur du bois mouillé)

focus Imaginales, du 14 au 17 mai à Épinal 03 29 29 15 07 - www.imaginales.com

A quoi rêvent les moutons électriques ? Imaginales, le festival des littératures de l’imaginaire sort des brumes vosgiennes des genres bien mal considérés.

On entendait récemment dire dans une nécro de J.G. Ballard, qu’il avait à la fois sorti la science-fiction de l’état d’enfance, et sa propre œuvre de ce mauvais genre, lui donnant l’éclat de la vraie littérature. Une expression du préjugé habituel touchant les littératures dites populaires, souvent entretenu par une esthétique kitsch, la confusion avec quelques blockbusters ou séries Z du cinéma, et la mise en avant de produits bas de gamme. Si le polar semble s’être affranchi de ce jugement sans nuance, la fantasy, le roman historique et la SF au cœur d’Imaginales en souffrent encore. Non, Ballard n’a pas rendu adulte un genre, qui s’il se prête éminemment au divertissement, n’avait pas engendré avant son arrivée que d’aimables récréations pour adolescents. Avant la parution de ses premières nouvelles, étaient parus Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, 1984 d’Orwell confisqué par la littérature générale, La Sentinelle (nouvelle à l’origine de 2001, Odyssée de l’espace) d’Arthur C. Clarke, Fondation d’Isaac Asimov (un roman spéculatif sans personnage principal), Philipp K. Dick l’a précédé… Une hiérarchie des genres que seul le cinéma semble avoir entièrement balayé (préférerez-vous Le Jour et la Nuit de B.H.L. à Solaris de Tarkovski ?).

Il est vrai qu’il faudra passer par-delà les elfes aux formes rebondies, les criardes compilant les plus horribles typographies « futuristes » des années 80, et des résumés de quatrième de couv’ générés par ordinateur pour découvrir quelque chose d’intéressant. C’est justement l’intérêt d’Imaginales : se définir comme un lieu de rencontres et d’échange avec les auteurs et non comme une foire. Parmi la soixantaine d’auteurs invités, les incontournables comme le vosgien Pierre Pelot, qui a tâté d’un peu tous les genres et a cosigné en bande dessinée Pauvre Zhéros avec Baru, mais également de nouveaux écrivains comme David Anthony Durham, chouchou du Washington Post, qui après un western, et l’évocation de la Seconde Guerre Punique s’affranchit des contraintes historiques pour embrasser celle de la fantasy dans la trilogie Acacia. Des auteurs à découvrir lors de rencontres thématiques, cafés littéraires, les conférences et débats, dédicaces, expositions, animations, projections de films… D

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par sylvia dubost

par sylvia dubost

Ghost Machinery, exposition jusqu’au 30 mai, à l’Espace multimédia Gantner, à Bourogne 03 84 23 59 72 - www.cg90.fr

Coups de cœur, exposition jusqu’au 18 septembre au musée Würth à Erstein (67) 03 88 64 74 84 - www.musee-wurth.fr

focus

SOS fantômes

Coups de cœur

L’exposition Ghost Machinery à Bourogne réveille les esprits et les morts.

Nouvelle sélection d’œuvres de la très riche collection de Reinhold Würth, à découvrir en son musée.

On a beau ne pas y croire, Ghost Machinery fait froid dans le dos… Pourtant, Ghost Machinery n’est pas une exposition spiritiste, plutôt une réflexion sur la disparition et la mémoire. Conçue par la dessinatrice Dominique Goblet, le cinéaste et fondateur du label Subrosa Guy Marc Hinant et le compositeur CM von Hausswolff, Ghost Machinery s’interroge sur la trace que laissent les corps et les esprits. Les tableaux au bic de Dominique Goblet font apparaître des silhouettes vaporeuses, ses planches se penchent sur le deuil. Hinant expose des extraits de sa collection, des photos qu’il chine en brocante, images étranges d’êtres disparus qui appellent la narration. CM von Hausswolff a composé avec le cinéaste Thomas Nordanstad une sublime vidéo sur l’île d’Hashima, gigantesque vaisseau de béton au large de Nagasaki, jadis colonie minière à la plus haute densité de population au monde, aujourd’hui terrifiante ville fantôme. La piècemaîtresse de l’exposition est une installation collective, autour des photos de Guy-Marc Hinant et des compositions de Von Hausswolff à partir d’enregistrements captés dans les années 60 par les Dr Raudive et Stempnik, où des fragments de bruits et de voix furent reconnus par eux comme la captation de la voix des morts. Cette fabrique de fantômes fonctionne comme un révélateur de nos peurs et surtout de notre capacité à croire aux fantômes, souvent malgré nous… D

Entre passion et raison, l’industriel Reinhold Würth a constitué depuis les années 60 l’une des plus importantes collections d’entreprise dans le domaine de l’art moderne et contemporain, riche de près de 12000 œuvres. Et ses nombreux musées, 13 en tout, ont pour objet de la faire partager au public tout en élargissant la notoriété de la société. L’exposition rassemble quelques acquisitions récentes et tient d’emblée à rappeler que contrairement à une institution publique, un collectionneur fonctionne au coup de cœur. Des coups de cœur néanmoins soigneusement pensés. Le parcours de l’exposition reprend les grands ensembles de la collection, qui elle-même suit l’évolution de l’histoire de l’art, débutant avec les Impressionnistes et l’avènement de la modernité (représentés ici par Pissarro et Liebermann), se poursuivant avec la modernité classique (notamment des artistes de Die Brücke et Der blaue Reiter). Un large ensemble est consacré au Surréalisme, un autre à l’art optique, qui accueille ici le l’impressionnant Virtuale sfumato de Jesus Rafael Soto, un autre encore à New York, aux artistes du Pop Art et au travail sur l’espace de Christo. Les artistes contemporains sont essentiellement allemands – Georg Baselitz, Anselm Kiefer, Gerard Richter, Stephan Balkenhol – et confirment la préférence du collectionneur pour la peinture et la sculpture… D

Jean-Michel Basquiat, Francesco Clemente, Andy Warhol, Ex-Ringeye, 1984, Collection Würth - Photo : Volker Naumann

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par caroline châtelet photo : f.tanguy / Théâtre du Radeau

par caroline châtelet photo : le Consortium

Ricercar, du 2 au 11 juin, à la tente du Radeau, à Dijon 03 80 30 12 12 – www.tdb-cdn.com + www.opera-dijon.com

Ensemble, exposition jusqu’au 30 mai 2009, à la Nef, Dijon 03 80 74 52 09 (Musée des beaux-arts) 03 80 68 45 55 (Le Consortium)

focus

L’art de la fugue

L’art et la Nef

Dernière création du Théâtre du Radeau, Ricercar explore à loisir les possibilités du terme, dans une proposition poétique où tout échappe, sans cesse.

À Dijon, les mutations en art se jouent dans les structures mêmes, produisant des dialogues nourris entre beaux-arts et création contemporaine.

Ricercar, mot venant du latin ricercare soit rechercher, faire le tour de, parcourir, renvoie également à une ancienne forme musicale basée sur le contrepoint et précédant la fugue. Cet opus de François Tanguy et de son équipe travaille ainsi à explorer toutes les possibilités du terme et de ses motifs. Dans un théâtre à la choralité assumée, rien n’est stable ni définitif. Les personnages déplacent à loisir le décor, réinventant sans cesse leur propre espace scénographique. La circulation est autant fragile que nécessaire et le mouvement à l’oeuvre est celui d’un découpage/ recoupage à la nécessité vitale. Pas de tentatives de séduction dans ce théâtre-là et le spectateur doit s’accommoder de l’instabilité ainsi que d’un sentiment de distance et d’éphémère face à ce qui se joue devant lui. Mais en questionnant les possibilités de la scène en tant que lieu de vie, Ricercar ouvre de fugaces interstices à la beauté tenace. Des instants suspendus, où derrière l’indéfiniment répété émergent des visions de grâce, portées par les musiques et la diversité des textes poétiques convoqués. Un théâtre où rien n’est ce qu’il semble être... D

Nouveau lieu culturel, la Nef accueille les services du musée des beaux-arts, une antenne de la bibliothèque municipale, la Société des Amis des Musées de Dijon, ainsi que les bureaux du Consortium. Le centre d’art contemporain emménage, en effet, aux côtés de son frère muséal le temps des travaux sur son site de l’Usine. Une belle opportunité pour travailler au rapprochement des structures et concevoir de nouveaux projets. Ainsi, outre le don du Consortium de sa collection historique à la ville de Dijon, les croisements s’expriment à travers Ensemble. Exposition basée sur un “renvoi formel”, Ensemble instaure un échange entre des oeuvres des deux institutions. Quatre propositions de part et d’autre (Olivier Mosset, François Perrodin, Annette Messager et Steven Parrino côté Consortium, Claude Mellan, Charles Parrocel, François Devosge et Anatole Devosge côté beaux-arts) dialoguent en duo. Si l’ensemble est certes formel dans son approche, il initie néanmoins une conversation ludique entre les oeuvres. Antidote pour tous les frileux du contemporain, Ensemble permet d’appréhender “autrement” l’art de notre temps, en rendant lisible sa faculté de dialoguer avec ses racines. D

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par caroline châtelet

photo : vincent arbelet

focus Mégaphone – Festival de musiques à Dijon, du 27 juin au 4 juillet 03 80 73 31 59 - www.festivalmegaphone.com

Musiques plurielles Mégaphone, ça fait un moment que “dans le milieu”, on en parle. Au-delà des rumeurs, si l’arrivée de ce festival singulier marque une étape importante dans le paysage musical dijonnais, il promet surtout de bousculer les habitudes en incitant au brassage musical. Ce dont on aurait tort de se priver...

Alors, Mégaphone, un nouveau festival, un de plus ? Pas tout à fait, non. On peut même dire de l’événement qu’il inaugure une forme intelligente de mutualisation, puisqu’il est porté par deux associations dont les festivals respectifs ont largement fait leur preuve - Why Note pour les musiques contemporaines et innovantes, Tribu festival pour le jazz et les musiques du monde. Le processus de création de Mégaphone est d’ailleurs suffisamment rare pour être relevé, tant les structures culturelles peinent à concrétiser leur souhait de collaboration. Une autre originalité de l’aventure réside dans le processus à l’œuvre : alors que les opérateurs culturels se tournent vers l’événementiel au détriment d’un travail au long cours et saisonnier, Zutique et Why Note ont, eux, profité du rayonnement national de leur festival pour investir d’autres terrains : une programmation de saison printanière côté Why Note, et le chantier de la Coursive aux multiples axes artistiques et sociaux - dont un exemple proche est la tenue d’un colloque en juin - pour Zutique. Le tournant est donc historique pour les deux associations, puisque Mégaphone pourrait être un premier pas vers d’autres collaborations « mutualisantes ». Si Why Note et Zutique affirment la nécessité d’avancer avec prudence, il est clair que ce festival s’inscrit dans un champ plus vaste de leur développement propre. Et en unissant leurs forces artistiques et humaines pour une manifestation à l’hybridité musicale revendiquée, Why Note et Zutique proposent un parcours aventureux dans un monde de musiques au pluriel : 8 jours, près de 40 rendez-vous du cinéma aux rencontres professionnelles, sans oublier les multiples concerts. On y croisera, entre autres et sous forme de parcours thématiques musiques contemporaines (Ensemble Ictus, Quatuor Béla), beatbox, improvisation (John Butcher), objets singuliers (Battling (((...)))), jazz (Orchestre National de Jazz), ou encore musiques du monde (Nomo, Issa Bagayogo). Une programmation diverse et minutieusement élaborée, à l’image du dialogue nourri qui s’est instauré entre les deux structures. Les directeurs de Why Note Nicolas Thirion (à droite sur la photo) et de Zutique Fred Ménard (à gauche) prolongent ici l’échange, l’occasion de nous raconter l’aventure en tordant le cou à pas mal d’idées reçues...

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focus

Nicolas Thirion : La direction artistique de Why Note a évolué très progressivement depuis que j’ai pris la tête de la structure, mais les événements étaient restés les mêmes. Nous arrivions au point où la modalité de présentation de nos activités devait évoluer. L’enjeu actuel est de parvenir à articuler des temps forts et des temps privilégiant une relation continue entre l’artiste, le territoire et le public. La déclinaison du printemps Why Note et de Mégaphone correspond bien à cette double relation de l’événementiel et de la permanence artistique.

Fred Ménard : Par rapport à Zutique il y a plusieurs évolutions, dont le développement global de l’activité de la structure, ainsi que l’arrivée de nouvelles personnes. Elles apportent d’autres connaissances, comme celles ayant trait aux cultures urbaines, au hip hop, etc. Concernant le festival Tribu, il a longtemps été la locomotive de Zutique. Mais avec l’émergence de nouveaux projets, Tribu est plus devenu une activité parmi les autres et Mégaphone était l’occasion pour nous de rebondir. N.T. : si nous avons décidé de nous réunir, c’est aussi parce que nos mondes professionnels se sont rapprochés les dix dernières années. On se rend compte qu’une porosité existe... Il y a un an et demi nous nous sommes interrogés : si l’on se situe sur le champ des propositions et de l’évolution du monde artistique, y a-t-il encore un sens à mener nos projets parallèlement en essayant de trouver la limite à ne pas dépasser pour ne pas empiéter sur le territoire de l’autre ? Nos territoires s’imbriquent, nos problématiques sont communes, quelles que soient l’esthétique, la pratique, la culture de chacun. F.M. : La musique contemporaine a toujours eu des liens avec les musiques traditionnelles, le jazz des liens avec l’Afrique. Il y a une perpétuelle transversalité dans les musiques, plus ou moins marquée selon les époques, et les artistes eux-mêmes revendiquent cette culture de la transdisciplinarité. Mais avec Mégaphone nous ne fusionnons pour autant ni nos festivals, ni nos structures. N.T. : La programmation s’est faite en s’interrogeant sur la pertinence des choix que nous faisions. Le premier succès qu’on a eu, c’est que ce procédé de travail marche. Car si chacun a infléchi le festival, l’ensemble demeure cohérent, avec une philosophie partagée sur la découverte. Il ressort une présence de l’improvisation, de l’expérimentation dans l’improvisation, ainsi qu’un fort rapport à l’urbanité. F.M. : Outre le rapport à l’urbanité, qui vient aussi de notre envie d’investir la ville, Mégaphone s’intéresse aux musiques alternatives. Nous ne sommes pas dans le prêt à écouter, nous partageons une vision ouverte et à la fois engagée dans nos champs musicaux respectifs. Ce sont donc des musiques qui font appel à la curiosité du public, qui lui demandent de s’intéresser à d’autres choses. D’où, là encore, l’intérêt de se rassembler pour mutualiser des réseaux, des connexions, des publics. Mégaphone se fonde sur une curiosité pour les univers musicaux de l’autre. Dans cet esprit, Nicolas Thirion et Fred Ménart nous citent chacun un groupe découvert par l’entremise de l’autre, à voir pendant Mégaphone : F.M. : Avec Sylvaine Hélary Trio on touche à la frontière musicale existante entre Zutique et Why Note. Sylvaine Hélary est à cheval sur les musiques contemporaines et improvisées, et c’est un exemple de la passerelle entre nos deux entités. N.T. : Cannibales et Vahinés, que j’ai déjà vu à Tribu l’an dernier. Ils viennent du jazz, mais ils ont une approche sur la matière sonore, qui est très free. Avec ce genre de musiciens on ne sait plus vraiment où on est, on est dans l’hybridation... D

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par rosaline lopez-oros

photos : nikolai lasitsa

focus Festival Théâtre en Mai, du 14 au 23 mai, à Dijon 03 80 30 12 12 - www.tdb-cdn.com

Le plus bel âge du théâtre À l’occasion des 20 ans de Théâtre en Mai, Dijon se fait monde pour accueillir une géographie théâtrale multiple et colorée. Le Théâtre Dijon Bourgogne conjugue pour la 20ème édition de son festival la fête au théâtre, et nous invite à ce rendez-vous dont la longévité n’entame pas la vivacité.

Avec le retour du printemps, c’est bien connu, les festivals fleurissent aux quatre coins de nos cités. Certains naissent, d’aucuns meurent, tandis que d’autres encore, plantes vivaces mais rares, résistent à l’histoire des structures qui les portent. C’est le cas de Théâtre en Mai porté par le Théâtre Dijon Bourgogne, et qui depuis sa création en 1990 par François Le Pillouër et Marie-Odile Wald renaît imperturbablement à chaque retour des beaux jours. La manifestation, dont le nom et le projet ont évolué au fil de ses directeurs successifs, n’a jamais cessé d’être un rendezvous incontournable de théâtre, affirmant au-delà des salles de spectacles sa capacité à susciter fêtes et rencontres. Alors pour son 20ème opus, le TDB ne lâche pas ses habitudes et conjugue plus que jamais la découverte au verbe théâtral.

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Plutôt qu’une cérémonie commémorative, l’édition renoue notamment avec l’identité du festival et se tourne vers le monde contemporain, brassant générations et origines. Et là, le tour du monde se fait à Dijon, puisque sur les treize spectacles accueillis, sept viennent de l’étranger (du Burkina Faso à la Biélorussie en passant par la Hongrie, l’Argentine ou la Corée) et trois sont créés spécialement pour le festival. Le TDB complète cette géographie théâtrale en accueillant également des spectacles de compagnies connues du Grand Est, comme Benoît Lambert et le Théâtre de la Tentative, ainsi que des figures du théâtre telles que l’administrateur général de la Comédie-Française Muriel Mayette. Si on y ajoute de multiples rencontres, concerts, cinéma, ainsi qu’un grand débat autour du thème “des politiques culturelles” qui réunira artistes, opérateurs culturels, hommes politiques, etc., on comprend alors qu’avec un tel programme personne ne se lasse de Théâtre en Mai !


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Pérégrination autour du festival en quelques mots, en compagnie de son directeur François Chattot Première fois Le festival, je l’ai d’abord découvert en venant y jouer en 1988 (ndlr : le festival s’intitule alors Nouvelles Scènes, et c’est en quittant cette structure que F. Le Pillouër fonde Théâtre en Mai). À l’époque avec Daniel Briquet, nous voulions mettre en scène une pièce de Christopher Marlowe, Tamerlant le Grand. Nous recherchions des producteurs et plutôt que d’envoyer des dossiers papiers, nous avons demandé à Michel Deutsch une pièce, qui serait en quelque sorte notre “dossier vivant”. Michel Deutsch a écrit Juste avant Tamerlant, une pièce extrêmement belle. Nous l’avons jouée dans de nombreux festivals dont Dijon, à l’invitation de François Le Pillouër. Après, si la pièce et la création ont eu du succès, les programmateurs se moquaient bien de notre envie de monter un autre spectacle... Double importance C’est vraiment en arrivant au TDB en 2007 que j’ai saisi la double importance du festival : celle primordiale pour la maison. Depuis la direction de Dominique Pitoiset qui a vu le rattachement du festival au TDB, tous les acteurs de la maison se le sont appropriés. Chacun y a sa place, sa mission. La machine est très bien huilée et c’est un moment d’émotion et de rassemblement où l’équipe s’investit autant affectivement que matériellement. L’autre importance est, bien sûr, le retentissement sur Dijon. C’est une possibilité offerte au public de voir des spectacles et de faire des découvertes fortes, de vraies rencontres. Chemins de mai... En arrivant à Dijon j’étais apprenti de l’histoire et de la pratique de tout cela. L’édition 2007 a donc plutôt été une gourmandise instinctive d’amis et de théâtres au pluriel. En 2008, nous avons voulu introduire en gardant les principes de théâtres pluriels, de fidélités et de compagnonnages, une sorte de thématique. L’édition a porté sur “l’art des clowns”, en proposant une constellation autour de ce thème du clown, de l’artiste en clown, du grotesque. Mais le fait d’avoir un thème ne doit pas être un cloisonnement, il s’agit

plus de trouver des propositions qui sont poreuses, d’établir des conversations. C’est comme un toton que l’on fait tourner autour d’un thème. Alors pour 2009, la toupie va virevolter entre le théâtre et le citoyen, le théâtre et la cité, le théâtre et le politique, la politique. Interroger le présent Les grands auteurs, de l’Antiquité grecque jusqu’à nos jours, n’ont de force que s’ils sont des outils pour nous apprendre à vivre, en nous apportant non des réponses, mais des angles d’attaques du champ opératoire. Car depuis l’antiquité le champ opératoire, la blessure du monde est la même. Et nous avons autant besoin de cette tradition de poètes que des auteurs vivants. Interroger nos contemporains, réécouter les “tout proches” du XXe siècle nous est nécessaire, cela permet d’activer la mémoire présente, sans oublier la mémoire historique. D Spectacles étrangers, français, créations à voir pendant Théâtre en Mai : Génération Jeans et Zone de silence du Théâtre libre de Minsk (spectacles également accueillis au festival Passages de Nancy) Les Coréens de Michel Vinaver, mise en scène de Byun Jung Joo et Marion Schoëvaërt L’Opéra paysan de Béla Pintér (spectacle également accueilli au festival Passages de Nancy) Potestad et Solo Brumas, textes d’Eduardo Pavlovsky Tatu ou la guerre du Che au Congo de Luis Marquès, mise en scène Abidine Coulidiaty Je suis en colère mais ça me fait rire, cabaret de Jean-Louis Hourdin sur des textes d’Eugène Durif, Jean-Yves Pick et Jean-Pierre Siméon King, Malcolm, Baldwin – Les Chemins de la révolte – USA 1963 un projet de Françoise Lepoix d’après Nous, les Nègres. Entretiens avec Kenneth B.Clark. Ministre de Damien Bouvet et Ivan Grinberg Florilège du discours politique par la Cie du Détour Sainte Jeanne des Abattoirs de Bertolt Brecht, mise en scène Bernard Sobel We are la France de Jean-Charles Massera, mise en scène Benoît Lambert Le Chemin parcouru. Mémoires d’un enfant soldat, de Ishmael Beah, et la Supplication. Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse, de Svetlana Alexievitch, lus par Muriel Mayette

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par mathieu molard

focus Espace My.Monkey, à Nancy 03 83 37 54 08 - www.espacemymonkey.com

Monkey Island Coincé entre un marchand de spiritueux et une agence immobilière, l’espace My.Monkey accroche le badaud grâce à une devanture rouge Stones et une enseigne à l’effigie de leur animal totem. Visite guidée dans l’antre du graphisme.

My.Monkey c’est d’abord les WC les plus cool de Nancy ! Un poster du gouverneur de Californie période string et stéroïdes y côtoie quelques têtes de chevreuils et une collection d’autocollants pas piquée des hannetons – genre Ben Laden façon Panini ! Mais ne nous y méprenons pas, les monkeys ne sont pas de doux allumés à classer au rayon des curiosités. Cet « espace de diffusion artistique », situé au cœur du Faubourg des 3 Maisons, propose une programmation dense à la croisée des chemins entre art et graphisme. Les exposants, souvent graphistes de formation, sont « amenés à s’interroger sur la part artistique de leur travail ». Il en résulte une série d’expositions où le merveilleux succède au ludique et à l’étonnant. Essayez d’imaginer une pièce transformée en maxi-coloriage et deux cents feutres mis à la disposition des visiteurs. Certains parents profitent même de l’occasion pour parfaire l’éducation sexuelle de leurs bambins, en coloriant phallus et play-mates. Derrière leur humour vaguement

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provoc’, les suisses happypets, auteurs de cette glorieuse performance, menaient une « expérimentation basée sur le détournement du logo, la photographie, l’illustration, le graphisme et la pixellisation... ». Rien que ça ! Et c’est là tout l’esprit my.monkey : permettre à des graphistes de proposer un questionnement artistique et sociétal tout en restant accessible aux béotiens que nous sommes. À l’affût de toutes les occasions qui permettent d’ouvrir l’univers du graphisme au grand public, les My.Monkey se sont emparés du phénomène Pecha Kucha. Apparues à Tokyo en 2003, ces soirées envahissent progressivement la planète. Douze artistes proposent vingt diapositives, commentées en vingt secondes chacune, « racontant une histoire ou un rêve, présentant un projet ou une démarche ». Deux cent quarante diapos en une heure vingt pour une performance agréable et intelligente. D


Propos recueillis par Mathieu Molard

focus À côté de la plaque, exposition de Sacha Léopold, jusqu’au 12 juin à l’Espace My.Monkey, à Nancy - www.sachaleopold.com

Sabotage ! En sabotant la mécanique (trop) bien huilée de la production d’une affiche, Sacha Léopold questionne le statut de l’image, unique ou multiple. Une réflexion qui dépasse le simple travail esthétique pour interroger les normes tant sociales que formelles. Et dire qu’à 15 ans, il hésitait à s’orienter vers une filière agricole !

Il y a quelque chose de tactile dans ton œuvre, avec notamment l’utilisation d’encres en relief. Je crée avant tout des objets, même une feuille aura trois dimensions. Elle va être manipulée, touchée. Tu pourras l’aborder de façon sensible. Tu travailles beaucoup l’écriture, mais plus autour de la forme que du message. Quand tu fais une lettre, il y a toujours un double rapport fond / forme. Une lettre traduira un premier message par ce qu’elle contribue à écrire et un second par sa forme ou son esthétique. Quand tu déstructures le format A4, on peut y voir une approche iconoclaste... Même si je pense que le terme est un peu fort, je vois le graphiste comme un acteur social ; à ce titre il doit questionner le monde qui l’entoure. Travailler avec une imprimerie, c’est réfléchir sur ce qu’est l’usine. C’est une thématique qui a beaucoup été abordée au début des 70’s, notamment par le designer Gaetano Peche, mais je voulais réinterpréter ce sujet.

Si je dis que tu es autant un artisan qu’un artiste, ça te correspond ? Pas exactement, l’artisan a un savoir-faire qu’il maîtrise sur le bout des doigts, mais j’aime interroger la technique. Ce qui m’a intéressé dans cette collaboration avec les ouvriers de l’imprimerie Nory c’est de questionner ces statuts, ces pseudo-castes sociales. L’ouvrier a un savoir à partager. C’est en explorant ce travail que je trouve mon inspiration. Inscris-tu ton travail dans un univers artistique plus large ? Pas vraiment ! On m’a déjà reproché de ne pas m’ouvrir suffisamment. Je ne suis pas sûr que ce soit un tort : vouloir tout relativiser à sa pratique, à son point de vue, je trouve ça un peu mégalo! Quels sont tes projets ? J’ai travaillé avec Fanette Mellier en prévision du festival de Chaumont. Je vais partir deux mois à Amsterdam où un projet éditorial m’attend, ensuite je vais rejoindre le studio de Pierre Bernard à Paris. D

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par matthieu remy

par philippe schweyer

Soirée RF36 (entrée libre), le 13 juin à L’Autre Canal, à Nancy 03 83 38 44 58 – www.lautrecanal.fr

Majorelle, un art de vivre moderne, jusqu’au 30 août, Galeries Poirel à Nancy – www.poirel.nancy.fr

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Rock et mémoire ouvrière On oublie parfois un peu vite que le Grand Est a été l’un des plus grands pôles sidérurgiques du monde, avec près de cent mille travailleurs dans les années 60. C’est ce que voudrait s’appliquer à rappeler le collectif RF36, qui pour fêter la fin de la résidence du groupe Muckrackers (industrial harsh punk), a décidé d’organiser une grande soirée à l’Autre Canal à Nancy. En mêlant rock dur, exposition photographique et projection cinéma, ces activistes de la mémoire ouvrière voudraient faire perdurer le dialogue entre générations sur la transmission du passé, partie intégrante de l’identité régionale que certains préféreraient souvent voir balayée sous le tapis. En proposant une projection de films documentaires sur la lutte des sidérurgistes entre 1979 et 1984 dès 18h, avant un DJ-set et un concert des groupes Beinhaus et Muckrackers, RF36 souhaite rendre hommage à une activité ouvrière fondamentale, en n’oubliant pas l’enrichissement socio-historique créé par l’immigration ou le travail des enseignants qui œuvrèrent pour le lien social de Longwy à la fameuse « Vallée des Anges ». S’y ajoutera une exposition photographique de Ludomega sur les forges de la Providence à Charleroi, rachetées par un collectif d’artistes qui y ont fondé une coopérative à vocation sociale, avec remise en route de l’activité originelle. Avec l’actualité brûlante que l’on connaît, cette soirée, à entrée libre, risque d’être un temps fort de cette fin de saison. D

Le « Style »Majorelle Né il y a 150 ans, Louis Majorelle est avec Emile Gallé de quatre ans son ainé, une des personnalités les plus marquantes de la célèbre Ecole de Nancy. Cet ébéniste « industriel » a su créer un style différent reconnaissable entre tous : le style Majorelle, tout en dynamique, souplesse et modernité. Le musée de l’École de Nancy revient sur cette aventure stylistique, en proposant la première grande rétrospective consacrée à Louis Majorelle et à sa manufacture entre 1880 et 1940. Le parcours de l’exposition permet de redécouvrir un artiste et surtout un industriel d’art qui sut s’imposer sur la scène nationale et internationale. D Collection particulière / G Bergkrantz

Théâtre libre à Passages Par Sylvia Dubost

Pour sa 11 édition, le festival Passages accueille à nouveau le Théâtre Libre de Minsk. Indispensable ! e

Créé en 2004, le collectif s’est constitué en opposition à la culture officielle défendue par le président Loukachenko. Ses spectacles, créés sans moyens et dans la quasi-clandestinité, abordent de préférence tous les sujets tabous en Biélorussie : les libertés individuelles, l’homosexualité, la drogue… À Nancy, la compagnie reprend son spectacle emblématique, Génération Jeans, monologue sur les jeans, le rock et la liberté. À voir également : En découvrant l’amour, « suite » du premier et Zone de silence. D Génération Jeans et En découvrant l’amour le 18 mai, Zone de silence, les 19 et 20 mai au CCAM de Vandœuvre Passages, du 14 au 23 mai à Nancy - www.theatre-manufacture.fr

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par sylvia dubost photo : guillaume bonnaud

par sylvia dubost

Idoménée, du 19 au 28 juin à l’opéra de Lorraine à Nancy 03 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr

Francis Gruber, exposition jusqu’au 17 août au Musée des Beaux-Arts de Nancy 03 83 85 30 72 – www.mairie-nancy.fr

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Idoménée, opéra moderne

Hommage à Francis Gruber

Yannis Kokkos met en scène l’opéra de Mozart et donne corps au triomphe de la Raison.

Le Musée des Beaux-Arts de Nancy consacre une grande rétrospective à l’artiste nancéien et à la peinture de son temps.

Mozart n’a sans doute pas donné naissance à l’opéra moderne, mais avec Idoménée, créé en 1781, il a contribué à donner aux personnages une profondeur humaine encore inconnue. Considéré comme le premier opéra de la maturité, Idoménée affirme à la fois une parfaite maîtrise de la forme et une volonté de créer une nouvelle esthétique en accord avec les aspirations de son temps. Idoménée, roi de Crète, échappe au naufrage en promettant à Poséidon de sacrifier la première personne qu’il croisera. Ce sera son fils Idamante. Pour le sauver, Idoménée veut l’envoyer en Grèce raccompagner Électre dans sa terre natale. Mais Idamante aime Ilia, la prisonnière troyenne… Et Poséidon réclame sa proie. En présentant un Idoménée en révolte contre la loi des Dieux, Mozart dépeint des figures humaines complexes, touchantes, et érige Idoménée en modèle de monarque éclairé face à l’asservissement religieux. Désormais, rien n’est plus binaire : ni les personnages, ni la dramaturgie, ni la musique, qui abandonne l’alternance entre le récitatif raisonné et l’air passionné. Yannis Kokkos s’attache à rendre perceptible cette complexité et cette modernité, optant pour un espace abstrait et cauchemardesque, dans lequel les êtres, qui pourraient être nos contemporains, choisissent leur destin. D

Francis Gruber (1912-1948) fait partie de ceux que l’histoire de l’art a un peu oubliés… Avant-guerre, il occupa pourtant une place de premier plan sur la scène artistique française, aux côtés de Giacometti, Balthus et Buffet. Vedette à 18 ans des salons d’Automne et des Tuileries, Gruber appartient au courant expressionniste français dont parle Jean Cassou (Panorama des arts plastiques contemporains, Paris, 1960). Ses très grands formats, la vigueur de son trait incisif et torturé, des formes dures et anguleuses, inspirèrent le courant misérabiliste des années 50, dont la figure de proue fut Bernard Buffet. La Ville de Nancy rend aujourd’hui hommage à l’enfant du pays (fils de Jacques Gruber, maîtreverrier de l’Art Nouveau et de l’École de Nancy) à l’occasion des 60 ans de sa mort, en exposant une centaine d’œuvres de Gruber mais aussi des autres artistes marquants de l’époque : Giacometti et Balthus déjà cités, Tal Coat, Fautrier, Dubuffet, Hélion, Marchand, Taslitzky… invitant dans le même temps à une réflexion sur la notion de modernité au XXe siècle et à redécouvrir une période mal aimée dans l’histoire de la peinture. D

Francis Gruber, Nu au tricot rouge, 1944 – Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris © Musée d’Art Moderne / R. Viollet © ADAGP 2009, Paris

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par sylvia dubost

par sylvia dubost photo : christian legay - CA2M

Du 16 mai au 20 septembre au 49 NORD 6 EST - Frac Lorraine 03 87 74 20 02 - www.fraclorraine.org

Giselle, du 15 au 17 mai à l’opéra-théâtre de Metz 03 87 75 40 50 - billetthea@ca2m.com

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Brasil miam miam

La belle Giselle

L’exposition À contre-corps réunit les œuvres de trois artistes brésiliens autour de l’idée d’œuvre « dévorante ».

L’opéra-théâtre de Metz nous fait réviser nos classiques, avec Giselle, mythique ballet fantastique d’Adolphe Adam, d’après Heinrich Heine.

Dévorer, s’approprier, prendre possession, physique et psychiquement, d’un lieu, d’une personne : ce sont les enjeux de l’exposition À contre corps, construite autour du manifeste anthropophage de Oswald de Andrade (qui conçoit la dévoration intellectuelle comme acte d’appropriation du monde) et de l’œuvre de Cildo Meireles, La Bruja I, dont les milliers de kilomètres de fil envahissent totalement l’espace du Frac, débordant dans la rue. À cette forme monstre, s’ajoutent des photographies de performances de Lygia Clark et une vidéo d’Anna Maria Maiolino. Baba antropofágica et Canibalismo (1973) sont emblématiques de cette absorption de l’autre, cette « dissolution du moi, cette perte d’identité dans l’entrelacement des corps [qui] conduit à ce que Lygia Clark nomme le “corps collectif ” » (Chéryl Gréciet). In-Out Antropofagia (également 1973) de Anna Maria Maiolino, artiste d’origine italienne installée à São Paolo, interroge l’endroit où se rejoignent l’intérieur et l’extérieur, le soi et l’autre, le vide et la matière, l’ancestral et le contemporain. Pour les affamés de liberté, de connaissance, de dialogue. D

Anna Maria Maiolino, In-Out Antropofagia, 1973 - Coll. Frac Lorraine. © D.R.

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Il faut bien être honnête : tout le monde sait que Giselle est un ballet, mais qui se souvient de l’argument ? Et qui connaît le compositeur Adolphe Adam ? Les chorégraphes Jean Coralli et Jules Perrot ? On va reprendre depuis le début. Créé le 28 juin 1841 à l’Opéra de Paris, Giselle est considéré comme l’apothéose du ballet romantique. Théophile Gautier en suggère l’argument à Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges, d’après un passage du livre de Heinrich Heine, De l’Allemagne, sur la légende des wilis, ces fiancées mortes la veille de leurs noces et qui entraînent les voyageurs imprudents dans des rondes mortelles, la nuit tombée. Albrecht, le chasseur qu’elle aime et qui lui a juré fidélité, est en réalité le noble fiancé d’une princesse. La paysanne Giselle en meurt. La Reine des Willis décide qu’Albrecht doit mourir. Il est condamné à danser jusqu’à la mort mais l’esprit de Giselle, dansant avec lui, parviendra à le sauver. Giselle est aujourd’hui encore un des ballets les plus joués au monde. Maintenant, au moins, on saura ce qu’il raconte… D


par emmanuel abela

par emmanuel abela photo : jean-marc lubrano

Sébastien Schuller et Le Chapelier Fou, en concert le 20 mai, aux Trinitaires, à Metz 03 87 20 03 03 – www.lestrinitaires.com

Mayra Andrade, le 28 mai à l’Arsenal à Metz 03 87 39 92 00 – www.mairie-metz.fr/arsenal

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Regards croisés Ce trentenaire originaire des Yvelines avait surpris tout le monde, avec un premier EP en 2002, suivi d’un album en 2004, le bel Happiness, deux disques qui ont amené la critique à des comparaisons tout à fait justifiées avec l’univers intime de Thom Yorke ou de Yann Tiersen. De son propre aveu, l’inspiration lui viendrait de certaines musiques signées Danny Elfman, l’ex-Oingo Boingo, compositeur attitré de Tim Burton. Sébastien Schuller développe un univers pop, teinté d’électro avec une émotion qui s’inscrit dans son temps. La tendre mélancolie des chansons de Sébastien Schuller est compensée par des envolées pleines de vitalité qui révèlent une grande sensualité. La tournée qui passe par Nancy coïncide avec la sortie d’un second album très attendu, Evenfall. L’occasion pour le public de découvrir un tout nouveau répertoire. À signaler en première partie, le concert de Louis Warynski, alias Le Chapelier Fou. Si le jeune messin emprunte son nom à l’univers de Lewis Carroll, c’est qu’il partage avec le célèbre écrivain britannique ce sens incroyable de l’onirisme. Dans un univers où se confondent expérimentations pop et obsessions mathématiques, il apporte avec brio tout son savoirfaire électroacoustique. À partir de boucles de violon, de synthé ou de mandoline, cet anticonformiste pose les bonnes questions esthétiques, sans chercher à apporter de réponse, avec une cohérence qui naît parfois de l’absurde. D

Caminho lounge Cette jeune capverdienne, née à Cuba, qui a grandi entre le Sénégal, l’Angola et l’Allemagne, pour finalement s’installer à Paris, a pris le parti de construire sa carrière à son rythme. Elle fait preuve en cela d’une maturité étonnante, et impose un son qui s’inscrit dans la plus pure tradition de l’archipel de ses origines, mais qu’elle enrichit d’influences urbaines ou d’ingrédients jazz, afro ou brésiliens. Aujourd’hui, la légèreté, la sensualité et l’extrême intelligence de cette jeune femme font d’elle une star que le monde est prêt à accueillir comme il se doit. D

Lost in Music par emmanuel abela photo : camille vivier

Pour cette quatrième soirée Laärsen, Musiques Volantes propose s’intéresse aux talents qui créent les sons de demain, Mondkopf, un artistes qui joue sur les texture fragiles et obsessions rythmiques, Rainbow Arabia, la dernière découverte du label Merok qui avait déjà révélé Klaxons et Crystal Castles, Jean Nipon sur le label Institubes, qui en dancefloor addict va faire vibrer l’espace environnant, et enfin Mikix The Cat pour un son rave puissant. Entre expérimentation électronique et danse compulsive, personne ne sortira indemne. D Carte blanche à Musiques Volantes, le 29 mai à l’Arsenal à Metz 03 87 39 92 00 – www.mairie-metz.fr/arsenal

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par sylvia dubost

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Pêle Mêle, exposition du 05 au 20 juin au 9 rue des Veaux à Strasbourg www.pelemele.eu

AMOUR/filet-mignon, exposition le 14 mai, à 18h, salle 24 de l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg lescommissairesanonymes@gmail.com

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Les arts s’en-mêlent Pêle Mêle remet le couvert en invitant plasticiens et créateurs à cohabiter dans un espace d’expo aménagé façon appartement. Parce que les artistes « appliqués » interrogent leurs pratiques autant que les plasticiens, l’association Pêle Mêle a pris l’habitude de les réunir et de tenter de faire dialoguer leurs œuvres. 13 artistes, travaillant pour la plupart en Alsace, se retrouvent dans un espace relooké par les fanas du vintage de Clockwork Orange : cette année, le photographe François Nussbaumer rencontre les créateurs de bijoux Astrid Meyer, Guillemette Vulin, Catherine Abrial et Christophe Burger, et la peintre Régine Reymann les créations du Centre International d’Art Verrier de Meisenthal. D

L’antre de l’artiste Nouvelle édition des Ateliers ouverts : deux week-ends dans toute l’Alsace invitent à rendre visite aux artistes. Où et comment naissent les œuvres ? La question fascine toujours celui qui n’est que spectateur et n’entretient avec la création qu’un rapport distant. L’atelier cristallise volontiers tous les fantasmes. Les artistes diront pourtant que c’est avant tout un lieu de travail. C’est finalement ce que montrent les Ateliers ouverts en invitant le public à y entrer, et à discuter avec leurs occupants, manière de susciter un autre regard sur le travail des artistes. 150 ateliers accueilleront le public dans toute l’Alsace, un programme détaillé permet de faire un choix judicieux. D

AMOUR/filet mignon 3e partie de Deux au cube, cycle de micro-expositions par et avec les élèves des Arts Décoratifs de Strasbourg.

www.ateliersouverts.net

Deux au cube, ou les vertus pédagogiques de l’organisation d’expositions. Organisé par quatre étudiants, qui jouent ici le rôle de commissaire, de scénographe, d’attachée de presse, de directeur artistique sous le nom de Commissaires Anonymes, ce cycle invite, le temps à chaque fois d’une soirée, deux artistes des Arts Décoratifs à confronter leur travail mais aussi à se confronter au public, amateur et professionnel, dans de bonnes conditions. Pour ce troisième rendez-vous mensuel, qui comme d’habitude ne dure que le temps de son propre vernissage, nos commissaires ont réuni Bettina Henni, 5e année d’illustration, et Désiré Amani, quatrième année de matériaux souples, qui jouent tous deux sur l’association de formes. D

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par sylvia dubost

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Poussières d’eau, du 9 au 20 juin au TJP à Strasbourg 03 88 35 70 10 - www.theatre-jeune-public.com

Exposition à La Filature de Mulhouse, du 26 mai au 12 juillet à La Filature 03 89 36 28 28 – www.lafilature.org

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Et glou et glou et glou…

Lieux communs

L’eau qui coule et qui court, celle où naissent les légendes, est la matière première de Poussières d’eau, nouvelle création de Eve Ledig et de son Fil rouge théâtre.

Les Antichambres : un livre et une exposition de la photographe mulhousienne Anne Immelé

Parler aux enfants de la vie et de la mort, c’est ce que voulait Eve Ledig pour sa dernière creation, Poussières d’eau. Comme toujours, elle puise dans les contes et les mythes, les réadapte pour raconter le monde aujourd’hui. Et s’entoure de deux comédiennes, deux âges de la vie, qui parlent ici de leurs rêves communs. De l’au-delà, de l’en-deça, de là d’où l’on vient, de là où on ira peut-être quand on ne sera plus. Des lacs, des sources, des étangs où naissent les fées et les légendes, des fontaines où l’on se retrouve, au cœur du village, là où se transmettent toutes les histoires. L’eau matière primordiale, qui coule, qui court et glougloute et chante, qui nourrit nos champs et nos rêves, nos jeux et nos peurs, qui nous fait voyager loin et nous rassure, nous purifie et nous ressource. Des chants, des contes des récipients de toute sorte sont ici le support de ces histoires sans âge et pour tous les âges, portées aussi par la musique de Jeff Benignus, complice de longue date du Fil rouge et de son théâtre où le quotidien révèle l’universel. D

Dans cette série, Anne Immelé s’est confrontée à l’architecture et l’environnement urbain en France, en Allemagne et en Suisse, privilégiant les espaces vides et comme esseulés, en y associant des visages et des regards souvent lointains. Entre documentaire et fiction, ses photographies abordent la question du partage d’une expérience commune, le fossé entre la volonté politique et le vécu, entre un projet architectural et son appropriation par ses habitants. D Les Antichambres, Filigranes editions - www.filigranes.com

Les Indestructibles, le 23 mai aux Tanzmatten 03 88 58 45 45 – www.tanzmatten.fr Du 26 au 28 mai au Taps Scala - 03 88 34 10 36

Les Indestructibles La compagnie strasbourgeoise Crescendo, menée par Marie-Anne Thil et Éric Lutz, fête avec cette création ses 20 ans. Pour qui crée-t-on ? C’est la question que posent en filigrane ces Indestructibles. Ils sont treize artistes à répéter leur nouveau spectacle et à se retrouver enfermés dans le théâtre. S’ils ne peuvent communiquer avec le monde, l’extérieur non plus ne pourra venir à eux. Malgré l’absence annoncée de public, les 13 Indestructibles poursuivent néanmoins leur travail de création. Un spectacle sur l’engagement, la fragilité et l’impermanence de la condition artistique. D

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par emmanuel abela

par emmanuel abela

Musiques Métisses, le 16 mai au Théâtre de la Manufacture, du 28 au 31 mai au Cercle St Martin, à Colmar 03 89 41 70 77 - www.lezard.org

Festival Rencontres & Racines, les 27 et 28 juin, espace Japy à Audincourt 03 81 36 37 79 – www.audincourt.com

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Alles kan beter Pour sa 13ème édition, Musiques Métisses poursuit son travail de découverte des nouveaux talents, parmi des musiciens d’origines différentes. Au carrefour des pratiques artistiques, le festival organisé par l’association du Lézard à Colmar jette des passerelles entre les structures sociales, culturelles et éducatives. Il se base pour cela sur une programmation qui se veut ouverte sur le monde. À signaler, outre une soirée jazz prestigieuse, avec Bojan Z et Julien Loureau, la présence du septet décapant, Amsterdam Klezmer Band, le groupe préféré de Joann Sfar, dont les membres virtuoses ne sont pas à une provocation scénique près, bien que très respectueux de la tradition festive Klezmer. D

6 pieds sur Terre Manifestation populaire et engagée, 6 pieds sur Terre entend tout à la fois sensibiliser à l’écologie, à la solidarité locale et internationale, susciter des prises de conscience et faire connaître le projet de transformation, au cœur de Kingersheim, d’une ancienne usine textile en restaurant-café-théâtre écologique associé à un potager pédagogique. Cette deuxième édition organisée par l’association les Sheds sera notamment l’occasion de favoriser les échanges autour d’une poignée de films documentaires (Nos enfants nous accuseront, Nous resterons sur Terre, Herbe, L’ortie fée de la résistance). D 6 pieds sur Terre, les 27 et 28 juin, à Kingersheim 06 07 45 28 38 - www.6piedssurterre.org / www.les-sheds.com

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Le monde en partage Rencontres & Racines fête cette année ses vingt ans d’existence. Depuis ses débuts, le festival n’a cessé de se situer comme un lieu d’échange sur des valeurs de paix, de solidarité et d’humanisme, avec la présence de 90 associations qui travaillent tout au long de l’année sur les terres de la connaissance des autres cultures. Pour cette édition événement, les animations seront au rendez-vous, lectures, saynètes, expositions et dégustations au village aux couleurs du monde. Le public voyage entre les spécialités culinaires qu’il découvre sur les stands et l’artisanat, aux sonorités d’une programmation qui s’attache aux musiques du monde, traditionnelle, actuelle ou émergente. Cette année, entre autres têtes d’affiche, les Congos, groupe culte en Jamaïque, Alpha Blondy et Anthony Joseph, la révélation afro-funk du début de l’année. D


par sylvia dubost

focus Perspectives 09, Festival franco-allemand des arts de la scène, du 5 au 13 juin www.festival-perspectives.de

Bühnenkunst Présenter le meilleur du théâtre, de la danse et du cirque franco-germanique en dix jours et entre Sarrebruck et Forbach… Telle est l’ambition du festival Perspectives. Novo prend date et propose sa sélection.

L’Europe, l’Europe, l’Europe… disait l’autre. Tout le monde en parle, peu la font réellement. La preuve ? Perspectives est aujourd’hui encore, 32 ans après sa création, le seul festival franco-allemand de spectacle vivant. Strasbourg, qui se prétend capitale européenne, devrait en prendre de la graine. D’autant que le festival a toujours su rassembler un large public sans pour autant déroger à son exigence artistique. La programmation fait, cette année encore, rêver les amateurs de spectacle vivant. En moins de dix jours, elle rassemble 12 compagnies, parmi lesquelles celles de Frank Castorf, Felix Rückert, et les Zimmermann & De Perrot. D Der Jasager / Der Neinsager Castorf, agité et sur-inventif directeur artistique de la mythique Volksbühne de Berlin, s’attaque à Der Jasager /Der Neinsager, composé des deux versions de la même pièce de Brecht, écrite au moment de l’ascension d’Hitler, où un enfant dit tour à tour oui et non au nazisme. Un texte que Castorf met énergiquement en prise directe avec le présent, avec la complicité de quatre comédiens survoltés, deux sopranos et un pianiste mus par la même urgence. Castorf ne déroge pas ici à son théâtre politique et décadent, volontiers gueulard et outrancier, toujours sur le fil entre le trop-plein et le chef d’œuvre. Le 13 juin à la Alte Feuerwache de Sarrebruck

Le Pouvoir de l’espace Le chorégraphe Felix Rückert travaille quant à lui depuis des années sur le rapport du spectateur à la danse, à son propre corps et à son environnement, proposant souvent des spectacles participatifs et des parcours-performances dans l’espace public. À l’occasion de Perspectives, il invite le public à une visite guidée dans Metz puis Sarrebruck, en compagnie d’un danseur-performeur, et à se positionner dans la ville et dans son histoire. Du 15 au 19 mai (en avant-première) à Metz Les 5 et 6 juin à Sarrebruck

Gaff Aff / Öper Öpis Le chorégraphe Martin Zimmemann et le DJ Dimitri de Perrot débarquent de Suisse avec deux spectacles qui mêlent musique, cirque, arts plastiques et danse. Un univers de bric et de broc où tout s’imbrique et s’orchestre parfaitement, une poésie burlesque où tout paraît bancal mais est réglé au millimètre près. Toujours au bord de la chute, et comme sur des roulettes : un délice visuel. Les 6 et 7 juin à la Buswerkstatt Quartier Eurobahnhof de Sarrebruck (Gaff Aff) Les 8 et 9 au Carreau de Forbach (Öper Öpis)

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Coups de cœur Œuvres choisies dans la Collection Würth du 19 février au 18 septembre 2009 du mardi au dimanche de 11h à 18h Musée Würth France Erstein Z.I. ouest / rue Georges Besse / BP 40013 F-67158 Erstein cedex Tél. +33 (0)3 88 64 74 84 www.musee-wurth.fr

Toutes les activités du Musée Würth France Erstein sont des projets de Würth France S.A. Christo, The Gates, Project for Central Park, New York City, dessin en deux parties (détail), © Christo 2002 / Collection Würth Inv. 7501 Photo : Volker Naumann, Schönaich / design graphique : ithaque-design.fr



rencontres Propos recueillis par emmanuel abela et philippe schweyer

photo : stephane louis

António Lobo Antunes, la perfusion du présent En marge de ses grands romans, António Lobo Antunes ressasse dans des chroniques mélancoliques ses obsessions, le passé, la mort, la création, la vie des gens, et offre des voies nouvelles à la littérature. Rencontre avec l’écrivain portugais à l’occasion de son passage à la librairie kléber à Strasbourg.

Vous dites que vous êtes un drogué de l’écriture. Est-ce le fait d’écrire autant qui vous amène si souvent à vous remémorer le passé dans vos chroniques ? Ma notion du temps a changé en Afrique où les gens ont un sens du temps complètement différent du nôtre. Le passé n’existe pas, le futur n’existe pas, mais il y a un immense présent qui contient en lui le passé et le futur. Je me souviens d’avoir pensé – j’avais vingt-quatre ans et c’était la guerre – qu’en parlant de tous les temps simultanément, je pourrais résoudre le problème du temps qui est un des problèmes les plus compliqués à résoudre du point de vue technique. Depuis, j’ai toujours essayé de travailler avec ce temps élastique qui contient en lui tous les temps de notre vie. Est-ce pour vous toujours aussi aisé d’écrire ? Ce n’est pas naturel. J’admire beaucoup Stendhal qui a écrit la Chartreuse en cinquante-sept jours. Moi, je suis très lent et j’écris avec beaucoup de difficulté. Pas les chroniques, mais les livres. Bien sûr que vous avez du plaisir quand vous écrivez, mais ce n’est pas un acte que j’associe au plaisir, parce que vous êtes tellement occupé à résoudre les problèmes techniques. D’ordinaire quand je viens de finir un livre, je reste trois, quatre, cinq mois sans rien faire. Je suis complètement vide. Il paraît qu’il y a des gens qui ont trois quatre livres dans la tête, moi ça ne m’est jamais arrivé. Quand je commence, je n’ai presque rien, deux trois phrases, une sorte de noyau autour duquel le livre commence à se cristalliser. Au début je pensais que c’était moi, mais c’est le livre qui commande. Vous ne savez pas de quelle région de vous ça vient et vous ne savez pas non plus si vous allez être capable d’en faire un autre.

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A Lisbonne, vous fréquentez des peintres ou des cinéastes ? J’ai des amis artistes, pas seulement à Lisbonne, mais quand ils travaillent on ne se voit pas beaucoup, et quand on se voit on ne parle jamais de travail. Au Mexique, j’ai passé quelques jours chez Garcia Marquez, mais on n’a jamais parlé de livres. On parlait de femmes, de choses plus agréables, de Fidel qui est un ami à lui, de foot. Je suis tellement déçu par le foot. Nous ne sommes pas des intellos. Il y a une sorte de pudeur à parler des livres. Je peux essayer de parler des écrivains que j’aime, mais pas de ce que je fais. Je me sens comme une poule qui doit protéger ses œufs. Avec mes amis – j’en ai très peu comme tout le monde –, je ne parle jamais de livres. Jamais. Et avec Christian Bourgois, vous parliez de livres ? On était comme des frères, mais on parlait très peu. C’était vraiment un très grand éditeur, un artiste. Son catalogue, c’est son œuvre. J’ai beaucoup d’orgueil parce que je l’aime, c’était mon ami. C’était un des très rares éditeurs qui était connu partout. Il n’a jamais fait de concession, jamais. On pouvait déjeuner ensemble sans échanger un mot et pourtant on aimait les mêmes choses : le vélo, le Tour de France... C’est une relation qui a duré plus de vingt ans, sans qu’on ne se soit jamais disputé. Il avait une immense culture et un goût très sûr, dans la ligne des grands éditeurs français. La France a toujours eu de très grands éditeurs. Les écrivains, c’est autre chose… Avez-vous le sentiment d’être isolé ? Ce n’est pas très intéressant de parler métier. Parfois on parle de problèmes techniques ou si quelqu’un a découvert un écrivain qu’il aime


beaucoup, il partage avec les autres. Je ne comprends pas la jalousie. Hugo disait que les chefs-d’œuvre sont comme les tigres, ils ne se dévorent pas entre eux. Quand vous aimez un livre, c’est une joie. Il y a un écrivain français que j’aime beaucoup et qui a été très important pour moi, c’est Blondin. Je me demande qui lit Blondin maintenant ? Moi je continue de le relire.

Il y a aussi un côté égoïste, lorsque vous écrivez vous n’êtes plus là pour les gens qui vous entourent… Camus, qui était intelligent, disait que l’égoïsme est nécessaire à la création. Bien sûr que nous sommes égoïstes. Quand vous passez votre temps à écrire, vous avez moins de temps… Et puis vous commencez à vous poser la question : est-ce que ça valait la peine de passer ma vie à écrire ? Est-ce que je me suis privé d’autres plaisirs ? Et en même temps, si vous ne le faites pas, votre vie reste sans sens. C’est comme si vous Vous dites que vous aviez besoin d’écrire contre vous étiez construit pour ne faire que ça. Être ingénieur ou économiste, un autre auteur ou contre votre mère à un moment donné… Oui, ce que je disais, je crois, c’est qu’il faut écrire contre les écrivains ça n’a pas de sens. A quoi rêve l’économiste ? Et à quoi rêve la femme de que vous aimez pour faire mieux qu’eux. Il faut commencer un livre l’économiste ? Ce sont des choses que je me demande parfois… ❤ quand on est sûr de ne pas être capable de le faire. Par exemple, j’ai fait un livre seulement avec des femmes. Qu’est-ce qu’un homme sait de ce que c’est pour une fillette de vivre une première menstruation ? Qu’est-ce Livre de chroniques IV, traduit du portugais que l’orgasme pour une femme ? C’est un mystère pour nous les hommes. par Michelle Giudicelli, Christian Bourgois. Interview complète sur www.flux4.eu Quel plaisir peut tirer une petite fille de ses jouets ? Quand je faisais ce livre, j’avais l’impression d’apprendre des choses sur les femmes, de ce que leurs voix me disaient. C’est drôle d’écrire. Il y a un coté enfantin dans tout ça, c’est comme faire des devoirs d’écolier.

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rencontres par david kleinfeld

Robert Duvall, le prédi-acteur Le comédien américain a marqué de son empreinte certains des plus grands films des quarante dernières années. Un mythe, donc, mais un mythe (trop) méconnu. Il était l’invité d’honneur du premier festival du film policier à Beaune (ex-Cognac).

C’est un documentaire, au cœur du Nebraska, sur une famille qui baigne dans le rodéo : We’re not the jet set date de 1977, et c’est la première réalisation de Robert Duvall. Aussi anodin qu’il paraisse, ce jet - et surtout son titre - traduit le recul permanent de l’acteur américain âgé aujourd’hui de 78 ans vis à vis du star-system, d’un Nouvel Hollywood dont il a écrit certaines des plus belles pages, mais dont il ne se reconnaît plus forcément dans la quête esthétique. En le choisissant comme premier invité d’honneur, le festival du film policier de Beaune a visé juste. En santiags et blouson de cuir, au petit matin, dans un hôtel cossu du vignoble beaunois, Robert Duvall affiche simplicité, décontraction. Un (gentleman) farmer du Middle West ? « Je me sens bien dans un festival comme celui-ci, c’est petit et tranquille, pas de pression. C’est doux, il y a un certain laid-back, rien à voir avec le “zoo” de Cannes ! ». Difficile effectivement d’imaginer ce monument du cinéma US se déhancher sur les dance-floors de la Croisette, se (com)plaire dans un océan de strass et de paillettes, lui qui ajoute qu’il y a « en Amérique, des gens intéressants entre les deux côtes, pas forcément à New York, ni à Los Angeles ». Pourtant, Monsieur Duvall, 300 films au compteur, illustre l’acteur protéiforme par excellence, capable de s’adapter à toutes les situations. Son Oscar, il le doit d’ailleurs à un rôle (à contre-emploi ?), en 1983, de chanteur country paumé et alcoolique dans Tendre Bonheur. Il n’est pas caméléon comme on l’entendrait dire d’un De Niro façonné Actor’s Studio, mais à travers la plupart de ses personnages s’expriment une nervosité à fleur de peau, une énergie considérable. « Comme l’essence du tango, ça ne se limite pas à des connaissances

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techniques, ça vient de l’intérieur... ». Cette danse argentine, il la maîtrise sur le bout des doigts (de pied), il en a fait un film (Assassination Tango, 2002) et a même épousé une fille du pays, Luciana Pedraza (sa quatrième femme, quarante ans de moins que lui), qui l’accompagne discrètement au festival.

Rôles borderline Sobriété, souplesse, discipline : ce fils de militaire, qui a souvent porté l’uniforme à l’écran (« je le respecte, mais je ne prends pas parti »), catalogué politiquement de “conservateur”, possède les qualités propres aux meilleurs acteurs de composition américains. Il est entré dans la peau de ‘Ike’ Eisenhower, de Staline, d’Eichmann, de Jesse James, et de combien de flics. Le plus souvent néanmoins, il a évolué légèrement en marge de l’action, se faisant remarquer surtout par la note de menace ou de folie (le colonel Kilgore dans Apocalypse Now et son « J’aime l’odeur du napalm au petit matin » ; l’avocat Tom Hagen, l’éminence grise des Parrains ; le père emblématique des flic et voyou Mark Whalberg et Joaquin Phœnix dans La nuit nous appartient) qu’il apporte à l’ambiance générale d’un film. Des rôles fréquemment borderline. « Il faut trouver une combinaison entre le bien et le mal pour un bon polar, je tente de déceler cette variabilité pour faire a good drama... » Sa recette ? L’observation. « Regarder les gens, ça vous nourrit pour les rôles, et vous en apprenez plus sur vous même. L’esprit, les émotions, c’est ensuite à vous de les faire ressortir ! » Du cinéma français, il dit avoir récemment apprécié Le Scaphandre et le papillon de Julian Schnabel. Il affectionne aussi – et c’est assez insoupçonnable – le cinéma iranien, notamment « ce film réalisé par une fille de 17 ans avec l’aide de son père » [Le tableau noir de Samira Makhmalbaf, ndlr].


Robert Duvall dans Apocalypse Now de F.F. Coppola - 1979 (DR)

Robert Duvall l’affirme : « J’ai eu de la chance de tourner dans deux des plus grands succès du XXe siècle» aux States : Les Parrains, et Lonesome Dove. » Cette mini-série TV sur des ex-Texas Rangers s’est arrachée en DVD aux USA. « Je suis surtout connu là-bas grâce à elle. Vous faites un bon film, parfois, six personnes le voient. Vous faites une bonne série TV, et là, c’est 30 millions de personnes... » Pour le chef d’œuvre de Coppola, l’acteur, quadra à l’époque, avait apparemment du flair. « Sur le Parrain 1, à la deuxième semaine de tournage, j’ai dit à mes amis : je crois que je suis dans quelque chose de grand... » Coppola : le premier cité dans son top 3 de réalisateurs « préférés », devant Robert Altman, et Ulu Grosbard. Au rayon des comédiens, il garde de l’affection pour le clan italo-américain côtoyé dans les années 70, le brelan d’as Brando-De Niro-Pacino, « indétrônable ».

De ce parcours invraisemblable, de ces honneurs, Robert Duvall semble en être désormais détaché. Comme s’il avait le sentiment du devoir accompli à l’aube de la retraite, loin de ce qu’aurait imaginé le fils de soldat. Loin de l’image d’un Prédicateur, l’une de ses réalisations-phares en 1997. « Mes parents m’ont poussé à être acteur parce que je n’étais pas très bon à l’école. Il faut trouver sa voie, oser. Rien n’est évident. Si je n’avais pas été acteur, j’aurais été entraîneur de football, ou rancher, tranquille. Je vis déjà dans une ferme. Oui, je crois que ça m’aurait plus aussi... » ❤

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rencontres par olivier bombarda (avec l’aimable autorisation d’Arte)

photo : stéphane louis

Isabelle Huppert, des notes en résonance Les films, c’est comme les hommes, ils peuvent se retrouver en danger. C’est un peu le sentiment qu’on a pu exprimer à la vision de Villa Amalia de Benoît Jacquot. Dans ce récit, une femme veut éteindre sa vie d’avant. Un danger la guette, mais elle se reconstruit contre toute attente. Isabelle Huppert incarne ce rôle à un point que la confusion est possible entre l’actrice et le personnage : la future Présidente du Jury à Cannes nous évoque cet instant où l’actrice trouve la note la plus juste par rapport à ce qu’elle est elle-même.

Vous avez tourné avec Benoît Jacquot Villa Amalia pour une cinquième rencontre. Le roman de Pascal Quignard vous a beaucoup touché, semble-t-il. Je n’ai pas de souvenir tellement précis de la lecture du roman. Tout dans cette aventure s’est fait de manière incroyablement facile. Ça n’est pas que je ne veux pas ou ne peux parler de ce travail, mais les choses se sont faites avec une telle légèreté que ça se prête moins à l’approfondissement des commentaires. En préparation au film, vous avez travaillé le piano et fait beaucoup de natation. Était-ce important de faire ce travail-là, pour approcher le personnage et l’incarner, avec la perspective de déconstruire progressivement le personnage de cette femme qui abandonne tout ? Il est vrai que c’est une femme qui disparaît, se déconstruit et se reconstruit, même si elle se reconstruit plutôt dans la soustraction que l’addition. De fait, l’apprentissage du piano et de la natation constituait des éléments très tangibles de la construction du personnage justement. Ça donnait un axe. Cette expression dans le corps est importante dans le film, c’est comme un cri. Elle est fatiguée, mais c’est comme si elle voulait se fatiguer davantage ou s’anesthésier à quelque chose. Après, dans le film tout est interprétable de mille manières. À en parler, je me rends compte que le film est comme une série d’hypothèses, de portes qui s’ouvrent jusqu’à cette béance devant l’infini qui clôt le récit. C’est comme un caillou qu’on jette, et qui fait écho. Des échos différents selon la perception de chacun. C’est très curieux. Le film résonne, mais ça n’est pas surprenant : la musique y est très importante. Le film résonne au même titre que la musique qui est dans le film. Vous comparez souvent le jeu de l’acteur à la pratique de la musique. Vous évoquez ces notes à trouver ou à approcher. Avez-vous le sentiment que Benoît Jacquot était plus enclin à approcher cette résonance de l’actrice ? Il y a mille notes qu’on peut faire résonner en soi, quand on est actrice. Ce qui compte à chaque fois, c’est de trouver la note juste, mais ça n’est pas si facile. Si on n’a pas trouvé cette précision-là, c’est très difficile de tourner un film. Après, il y a l’idée, aussi parfois, que certains films vont vous faire trouver la note la plus juste non seulement par rapport au film et au rôle, mais aussi la note la plus juste par rapport à vous même. C’est plus rare, et il faut que ça soit rare d’ailleurs. Il y autre chose à faire quand on est actrice et qu’on fait des films, à savoir jouer des rôles qui sont un peu loin de soi-même. Mais quand on peut la trouver cette note-là dans certains films, c’est très agréable.

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Ne pensez-vous pas que le métier d’acteur est une manière de changer de vie ? Oui, surement, c’est l’une des manières. On est plus souvent en fuite que dans un autre exercice. On passe de cache en cache, si on pense que le rôle c’est quelque chose qui vous met à l’abri et vous protège. Qui vous expose, parfois qui vous surexpose, mais qui ne vous révèle pas ou en tout cas, ne vous dévoile pas complètement.

Avez-vous un souvenir de l’édition 1984 du Festival, au cours de laquelle vous aviez été membre du jury ? Oui, bien sûr. Je me souviens des films qui ont été présentés, des prix qui ont été remis. C’était la Palme d’Or à Wim Wenders, pour Paris Texas, et le Prix d’Interprétation féminine à Helen Mirren pour Cal de Patrick O’Connor.

Vous vous souvenez de tout ? Quelques mots sur votre prochaine Présidence du Jury au Ah oui, ça je m’en souviens. Festival de Cannes ? Comment appréhendez-vous l’événement ? Je ne l’appréhende pas, je n’ai pas peur. Je n’ai pas de plan d’attaque. Avez-vous envie d’un jury prêt à la discussion ? J’en attends tout. Oui, ça serait la moindre des choses. Je ne vois pas pourquoi il ne le serait pas. Il est difficile de faire partie d’un jury sans Vous avez vécu une belle histoire avec le Festival ? échanger ses goûts. ❤ Oui, naturellement.

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rencontres propos recueillis par emmanuel abela et kim

photo : pascal bastien

bastien vivès, Prolonger l’instant du milieu

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L’émotion est parfois une chose simple, qui se construit sans artifice, ni fioriture. Bastien Vivès semble l’avoir clairement compris. Après Le Goût du Chlore, primé à Angoulême, ce jeune auteur nous livre avec Dans mes yeux, un récit d’une extrême sobriété, qui touche le lecteur bien au-delà de ce qu’il aurait imaginé. Votre père vous a amené très tôt voir des expositions : Vermeer, Bacon. Mon père est peintre, illustrateur et a fait des décors pour le cinéma. Du coup, quand j’étais petit, j’ai beaucoup voyagé avec mon petit frère aux Etats-Unis, en Angleterre… Quand on visitait une ville, on passait notre temps dans les musées à regarder les peintures. Ainsi, j’ai vu Vermeer au Pays-Bas, Chuck Close à Chicago... Je me suis retrouvé devant des Bacon, je n’ai pas forcément tout compris, je voulais voir autre chose mais maintenant je me dis que ça m’a servi à quelque chose. Ces œuvres ont-elles nourri votre imaginaire ? Je ne sais pas, mais ça m’a placé dans un contexte différent, c’est sûr. Quand j’ai fait ma seconde d’arts appliqués, on me montrait des tableaux que je connaissais déjà. La position était assez confortable : les autres apprenaient, et moi je faisais mes trucs tout seul. Le dessin de couverture pourrait nous rappeler Kirchner ou les expressionnistes allemands, est-ce voulu ? Au début, j’avais fait le dessin que j’avais colorié en orange, je l’ai scanné et pour construire la couverture j’ai superposé deux fois le même dessin. Et j’ai découvert des effets de saturation des couleurs. La couleur reste mon point faible, je n’arrive pas forcément à trouver le moyen d’être au plus juste, du coup ça provoque des accidents. Ce vert a été obtenu ainsi. Je l’ai gardé, car je voulais accentuer la dimension violente. C’est amusant, à la lecture du Goût du Chlore, votre album précédent, nous n’avions senti aucune lacune au niveau des couleurs. Pour Dans mes yeux, vous avez souhaité explorer un crayonné vif. Dans Le Goût du Chlore, c’était un huis clos, je n’avais pas ce problème de temporalité. Quand je parlais de lacune, je pensais à l’usage de la couleur d’un point de vue narratif. Par exemple, je ne sais pas montrer qu’à tel moment il est midi et demi par le travail sur la lumière. Des gens comme Gipi arrivent à créer une ambiance avec une couleur. On regarde, et on se dit que c’est exactement ça. Je n’ai pas cette capacité-là, j’ai testé l’aquarelle et ça ne fonctionne pas. Là, avec le crayon de couleur, je me suis senti bien : il me semblait plus facile de comprendre qu’il fallait dessiner avec la couleur, et non pas colorier.

Après, il y a ce parti pris du point de vue subjectif. À partir de quel moment, avez-vous pris la décision de ne raconter cette histoire qu’à travers le regard, les yeux, du garçon. Ça c’est fait assez naturellement. Je cherchais à mettre en valeur ce que les personnes nous disent et je me suis attardé sur la jeune femme et ses attitudes. Je ne voulais la dessiner qu’elle, tout le temps. À travers un geste, elle nous fait comprendre la situation. Ce qui comptait pour moi, c’est ce qu’elle disait. Le garçon je n’en voulais pas, l’histoire pouvait se lire à travers ses yeux. La mise en scène a découlé de ça. Ça favorise des instants de silence. Un jeu se crée sur ce qui est dit et non dit, à partir de l’environnement sonore. Oui, pendant que j’écrivais cet album, un ami m’a dit : « C’est drôle, qu’on aime ou pas, ce personnage qui nous parle ça nous fait participer à une expérience assez bizarre » et j’étais assez content car l’une de mes grandes peurs était que le lecteur ne s’identifie pas et ne rentre pas dans l’histoire. Dans l’ouvrage, il est question d’une rencontre. Contrairement au Goût du Chlore, la rencontre aboutit à une vraie relation, mais comme auparavant, on arrive à la fin avec ce sentiment d’un vide, d’un manque possible. En mélancolique, la relation vous semble-t-elle impossible ? Lorsque j’écris, ma motivation pour raconter une histoire vient du fait que j’ai une image de début et une image de fin. Mais en fin de compte, ces images de début et de fin ne sont là que pour cadrer l’histoire que je raconte au milieu – c’est d’ailleurs ce milieu qui m’intéresse le plus –, ce début et cette fin n’ont pas de poids. Tout comme dans nos vies ce sont à peu près les choses dont on peut être sûr, un début, une fin, mais ce qui importe c’est le reste. Dans Le Goût du Chlore, il y a surtout un long début qui laisse le lecteur dans l’attente… J’aime beaucoup ce sentiment de l’attente, ça me permet de raconter toutes les petites choses que j’ai envie de rajouter au récit. J’ai vu un film italien de six heures, Nos meilleures années, qui retrace la vie de deux frères, de 18 à 60 ans. On ne voit ni leur enfance ni leur vieillesse et au regard du titre, il y a bien quelque chose à comprendre. Dans une histoire, il me semble que ce qui est important à vivre se situe-là, au milieu. ❤ Derniers albums : Le Goût du Chlore (2008), Dans mes yeux (2009), KSTR

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rencontres par e.p. blondeau

photo : vincent arbelet

Pour sa sixième édition qui s’est tenue à Dijon du 4 au 11 avril, le Festival Kill Your Pop a innové dans l’organisation et surtout enchanté dans la Programmation.

Still Kill

Cette année, Sabotage, l’association qui organise le festival Kill Your Pop avait décidé de proposer dix-sept évènements dont quatorze gratuits et trois soirées principales à prix libre. Un véritable pari et une volonté affichée d’intégrer le Public à la déferlante Kill Your Pop, désormais indispensable dans le printemps musical dijonnais. Parallèlement si le concept du prix libre aurait pu être la particularité la plus marquée du festival, c’est bien pour la programmation exigeante et les découvertes que le Kill Your Pop est inégalable. Dans la même semaine retrouver le folk intimiste et vénéneux de Joanne Robertson (voir photo), dévorer les grands espaces dans un appartement avec le Canadien Barzin ou se réjouir avec le NFL3 qui ne cesse d’envoûter, le festival sait recevoir. Et que dire de The Notwist, qui réserve une de ses dates en France pour le Kill Your Pop et fait vivre à l’athéneum deux de ses plus belles heures avec sa pop lumineuse. Mais Kill Your Pop c’est aussi cette impression de famille qui se dégage du festival, on aime que les membres de Sabotage nous donnent un rendez-vous au dernier moment pour aller voir un concert impromptu du Lonesome French Cowboy, ou à l’heure de l’apéro, se retrouver chaque

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soir à la Ferronnerie pour un concert intime. L’association multiplie tout au long de l’année les concerts dans le bars, les galeries et les salles du centre ville, avec le temps la famille indie-pop s’agrandit et le Kill your Pop devient alors le point d’orgue d’un Dijon qui retrouve une communauté pop/rock qui semblait s’être éparpillée dans la nature. Alors bien sûr, on pourrait parler pendant des heures des concerts à prix libre, certains jouent le jeu, d’autres moins, mais si le véritable enjeu de l’opération n’était pas de redonner l’envie de sortir des autoroutes de la musique ? En six ans, Le Kill Your Pop nous a fait découvrir rien moins que Sébastien Tellier, Chris Garneau, Hafdis Huld et The Notwist, et nous révèle les artistes de demain. À force de “tuer la pop”, Sabotage la fait revivre sous d’incalculables formes et les musiques indépendantes leur disent merci. ❤


par marie-viva lenoir

photo : vincent arbelet

pied de nez Qu’une chose soit claire, Shoegazing Kids, deuxième album de Stuck in the Sound, ne se veut en rien un hommage au mouvement shoegaze, appelé ainsi en référence aux guitaristes dont le regard restait fixé sur leur pédale d’effet.

Si Nevermind the Living Dead était une ode pop aux joies simples et enfantines, votre deuxième album semble bien plus tourné vers l’adolescence et l’introspection. Vous évoquez aussi l’importance de la couleur bleue, vous pourriez expliquer ça ? José Reis Fontano (chant) : Je pense qu’Eric Serra ferait ça mieux que nous ! [rire] Le premier album était plus focalisé sur l’enfance, là, on s’est vraiment concentré sur l’adolescence, cette jeunesse à laquelle on a appartenue. Jeunesse pervertie par l’ennui. Ça parle un peu de tous ces souvenirs, des premières claques dues aux premiers chagrins d’amours. Toutes ces phases difficiles et magnifiques que traversent un adolescent. Sans être nous même de grands ados, on puise notre réservoir artistique dans cette nostalgie.

la direction que nous souhaitions prendre, un son inspiré de Sonic Youth, c’est sûr, mais avec ce côté french touch, grosse compression à la française, un peu comme Justice. Au final, le résultat est plutôt subtil et classe.

Pour ce second album, vous avez demandé à Nick Sansano, l’arrangeur de Public Enemy, IAM et Sonic Youth, de le mixer, comment s’est passée cette collaboration ? JRF : Lorsque nous sommes arrivés à New York, les pistes avaient déjà été enregistrées en France. Nick est quelqu’un de très pédagogue, avec une très grande capacité d’écoute. Nous avons beaucoup discuté de

Shoegazing Kids, Discograph. En concert aux Eurockéennes, le 5 juillet festival.eurockeennes.fr Interview disponible en podcast sur www.flux4.com

Un deuxième album plus organique, nettement plus produit avec quelques perles pop qui risquent de faire sautiller nombre de Converses. Ne reste qu’à souhaiter aux Stuck in the Sound de ne pas rester coincés sur le succès du single Toyboy. Ce soir d’avril sur la scène de la Vapeur, le public dijonnais ne s’y est pas trompé, l’adolescent ne regarde plus ses chaussures pour danser. ❤

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rencontres propos recueillis + photo : matthieu remy

Doré sur tranches Julien Doré nous accueille avec une jambe dans le plâtre : quelques jours plus tôt, il s’est ramassé sur scène à Vendôme. Sucette à la bouche, élégamment distant, il accepte de se prêter au jeu d’une interview « visuelle », où il sera question de revenir sur son rapport aux arts plastiques, illustrations à l’appui.

Quel rapport as-tu à l’illustration ? J’ai fait les Beaux-Arts de Nîmes pendant cinq ans, jusqu’au diplôme. Je n’ai jamais été un fan de bande dessinée et c’est vrai qu’on me pose souvent la question. L’illustration pour moi, ce sont les images de Gustave Doré qui se trouvaient dans de vieilles éditions chez ma grand-mère : L’Enfer de Dante, la Bible, les Fables de La Fontaine. J’étais vraiment impressionné par ces placards de détails et je pense que ça m’a vraiment traversé. Et j’y ai repensé quand j’ai essayé d’analyser pourquoi j’étais plus fasciné par l’interprétation que par la composition et l’écriture. Je me suis rappelé que quand j’étais gosse, je passais plus de temps à refaire des dessins, à recopier – parce que j’étais meilleur pour ça – plutôt qu’à créer. Aux Beaux-Arts, j’avais basé mon travail artistique là-dessus. Parce que c’était plus rassurant et sûrement parce que j’étais fainéant. Tu as apprécié la vie d’étudiant en art ? Franchement, c’est beaucoup de bons souvenirs parce que ça m’a éveillé à de multiples choses. C’est vrai qu’à Lunel - la ville où j’ai grandi - jusqu’à l’âge de dix-huit ans, ma culture c’était la télévision, la radio. Pas forcément de disques pointus, au contraire, plutôt de la variété française. Le cinéma, c’était plutôt un cinéma populaire que j’allais voir avec mes parents le dimanche. Et soudainement, avec les Beaux-Arts et l’arrivée à Nîmes, j’ai appris. Je me suis ouvert. J’avais l’impression de voir mieux, d’entendre mieux, de sentir mieux les choses. En quelques semaines. J’étais même complètement paumé parce qu’on passait de cours de cinéma où tu vois de la vidéo d’art, des films de la Nouvelle Vague, à des cours d’histoire de l’art assez pointus. Je me suis nourri de ça et c’était comme une force contre ma timidité maladive. Et ça je le dois aux Beaux-Arts. Je voulais te montrer un dessin de Jacques Callot – qui est un graveur lorrain du XVIIe siècle – parce qu’il représente souvent des êtres un peu monstrueux, déformés. J’ai l’impression que cette vision du monde t’intéresse… Moi j’ai le sentiment depuis deux ans d’être un monstre de foire, c’est certain. Cela dit, ce monde du show-business est autant un monde féerique qu’un monde de violence. Et c’est assez fascinant. Fascinant et grotesque. Là-dedans, j’ai l’impression d’être une sorte de femme à barbe dans un cirque. Auquel je participe. Mais je m’aperçois aussi que j’ai besoin de cette lumière-là, encore quelque temps en tout cas.

Tes références artistiques sont françaises ou plutôt anglo-saxonnes ? Moi je cite surtout certains Belges comme références, pour l’humour et la poésie. Même musicalement : Sharko, Ghinzu, Girls in Hawaï. En Belgique, je trouve qu’il y a quelque chose de cohérent : les gens me font rire, me touchent. Ton premier tube, Les Limites, a été écrit par David Scrima, qui est aussi illustrateur. Tu as voulu travailler avec lui parce que tu connaissais son travail ou c’est un hasard ? C’est marrant parce que je suis arrivé dans son atelier et évidemment on a parlé dessin et vinyle avant qu’il prenne un ukulélé pour me jouer Les Limites. C’est chic, comme moment. La rencontre a collé, les morceaux étaient bons. Et quand j’ai fait écouter la maquette à Renaud Letang, il m’a dit : « ça je veux le produire ». Bon, quand Renaud Letang te dit ça, c’est que c’est bon. Tu as un carnet de croquis ? J’ai un carnet où j’écris soit des textes de chanson, soit des textes personnels et où je recueille des bouts de papier un peu épars. Dans tes prochains projets, tu risques de mêler musique et arts plastiques ? Je suis allé voir Christophe à l’Olympia, là et c’était presque un projet total. Il y avait trente musiciens et de la vidéo en direct, avec une danseuse. Ça serait peut-être quelque chose comme ça. Et j’écris des textes, des petites nouvelles et j’adore ça, donc pourquoi pas faire exister cette chose-là un jour. Mais pas sous le nom de Julien Doré. ❤

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Daniel Cohn-Bendit, Que Faire ? Tapage / Hachette Littératures - www.quefaireavecdany.fr

legitimer la politique par emmanuel abela

photos : pascal bastien

Les politiques ont beau constater la désaffection des citoyens depuis plus de vingt ans. Ils ne sont pas très nombreux à s’interroger sur les moyens qui pourraient permettre de reconnecter le citoyen à la politique. Daniel Cohn-Bendit et Sandrine Bélier, respectivement têtes de liste Île de France et région Nord-Est pour Europe Écologie, ont placé cette reconnexion au cœur de leur réflexion politique. Double rencontre à l’occasion du meeting de lancement de la campagne dans l’Est, à Besançon.

Dans cet ouvrage, il y a un long chapitre sur votre parcours politique. Avant d’exposer votre point de vue, avez-vous ressenti le besoin de vous resituer ? Non, pas du tout. J’ai essayé d’intégrer mon parcours personnel dans une histoire générale. Il s’agissait d’expliquer comment se sont développés les mouvements qui ont fait l’écologie politique depuis les années 60. L’intention était plutôt pédagogique. Il ne s’agit pas pour autant de vous couper de votre vécu, vous rappelez dans ces pages le rôle que vous avez joué en Mai 68. Vous vous inscrivez dans la continuité en formulant l’idée de « mettre l’imagination au pouvoir » de manière concrète. Ce qui me semble important, c’est de repenser la politique. Mettre l’imagination au pouvoir, c’est avoir la lucidité, la capacité de penser et d’innover, et donc de transformer nos pratiques politiques.

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Daniel Cohn-Bendit publie, Que Faire ?, son Petit traité d’imagination politique à l’usage des Européens. Au-delà de la leçon d’écologie politique, ce texte ébauche les bases d’une théorie politique qui prône une vraie révolution dans les rapports du citoyen au politique. Vous avez été piqué à vif par la crise, et du coup vous proposez un nouveau modèle de société, la « société pollen ». D’où vient cette image ? En économie politique, vous avez l’image traditionnelle de la Cigale et la Fourmi. Avec cette idée de « société pollen », nous entrons dans une nouvelle phase de société, qui est pour moi la société de connaissance, basée sur une valeur immatérielle incommensurable. L’abeille ne produit pas seulement du miel – production traditionnelle –, elle pollinise et participe à la reproduction du vivant. Cette pollinisation est quelque chose qui n’a jamais été mesurée, mais à la fin, elle a une valeur économique qui dépasse la production de miel des abeilles. Et c’est cette image-là que j’ai voulu reprendre pour mettre l’accent sur tout ce savoir et ces connaissances qui permettent à la société d’avancer et de se développer.

Justement, comment calquer ce modèle à l’échelle humaine ? Aujourd’hui, avec la crise économique, nous avons besoin de réinventer toute une chaîne industrielle et des produits. Ce processus d’invention est déterminant pour nous ; il le sera également pour l’avenir. La fonction de la connaissance, du savoir et de la recherche dépasse le cadre de la simple marchandisation. Pour vous, il ne s’agit plus d’attendre le “grand soir”, mais d’enclencher une « transformation écologique » radicale de la société. Peut-on parler de « révolution » ? Oui, et pour penser cette « transformation révolutionnaire », il faut avoir une double réflexion, en même temps penser une transformation radicale de la société et


orienter la pratique politique vers cette transformation. Cette pratique se doit d’être quotidienne. Je le dis parfois : opposons au “grand soir”, les petits matins. Quotidiennement, il faut trouver à avancer, créer des majorités, ce qui peut rendre la politique peut-être moins alléchante qu’on ne l’espère. Le rêve du “grand soir” est plus fascinant, mais le problème c’est qu’il n’arrive jamais ou dans des moments de catastrophe. Alors, que la pratique quotidienne réformiste est quelque chose de nécessaire, mais qui doit avoir une orientation de transformation révolutionnaire. Aujourd’hui, comment reconnecter le citoyen à la politique ? Nous sommes conscients qu’il y a une désaffection de beaucoup de citoyens face à la politique. Ils sentent que les choses évoluent, mais que la politique n’a pas de prise sur l’évolution des choses. Il y a donc un repli, un refus. Le fait de remobiliser les citoyens ne peut se faire que si on arrive à leur montrer qu’il est possible de changer les choses. Le grand problème c’est de redonner une légitimité à la politique en montrant qu’elle peut et sait intervenir dans les moments cruciaux. Ce qui est un peu dommage, c’est que votre ouvrage sorte au moment de votre campagne électorale. Une confusion peut naître entre ce qui est exposé de manière personnelle et ce qui s’apparenterait à un programme politique. On sait ce qu’il advient des ouvrages à vocation programmatique, alors que vos visées sont à plus long terme. C’est vrai, mais il a été pensé à un moment de gestation du programme d’Europe Écologie, et c’est un instrument. À partir de ce livre, je vais travailler pour, justement, aboutir à un moment à une véritable théorie d’écologie politique. Je ne livre là que les ébauches de cette théorie.

Vous débutez votre ouvrage par cette question qui vous est posée constamment : « En fin de compte Dany, tu es Allemand ou Français ? », et vous semblez répondre que la chance qui nous est offerte, c’est aujourd’hui d’être Européen, et de donner du sens à cette Europe. Personnellement, je pense que ça n’a pas de sens de chercher à me déterminer d’une manière nationale. Ça c’est lié à ma vie personnelle, et à l’histoire de ma famille. C’est pour cela qu’il m’arrive d’incarner un idéal trans-national qui est lié à l’idée européenne. Mais je ne veux pas dire que c’est l’idéal du citoyen européen. C’est mon idéal à moi.

J’aimerais vous faire réagir, la photo de Gilles Caron prise en Mai 68 est connue, mais elle figure sur la couverture du Livre XVII du Séminaire de Jacques Lacan, L’Envers de la Psychanalyse. Quelle a été votre réaction au moment de cette publication ? L’éditeur [Seuil, ndlr] m’a demandé s’il pouvait l’utiliser. J’avais rencontré Lacan en 68… L’idée était d’intégrer la réflexion psychanalytique dans un espace ludique et politique, sous la forme d’un clin d’œil. Moi, j’ai trouvé ça très drôle. i

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Elle a quitté ses fonctions de directrice fédérale de France Nature Environnement, pour entrer en politique et participer aux élections européennes. Sandrine Bélier, tête de liste région Nord-Est pour Europe Écologie, vient avec un regard neuf et une énergie qui peuvent surprendre et séduire.

Nous avons eu l’occasion de suivre une journée de campagne de Sandrine Bélier, à Besançon et dans les environs. Au programme : visite d’une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) à Montagney, manifestation à la Maison de l’Industrie de Besançon, table ronde, conférence de presse et grand meeting du soir au Kursaal. C’était son premier meeting, avec un discours pugnace qu’elle a prononcé devant Daniel Cohn-Bendit, visiblement touché par l’enthousiasme de cette jeune candidate. Le rendez-vous est pris à l’issue du repas. Il n’est pas loin des deux heures du matin, mais une fois qu’elle est lancée, personne n’arrête Sandrine Bélier. D’entrée, elle m’avoue qu’au moment de quitter France Nature Environnement, elle s’est posée la question : c’est quoi la politique ? Daniel Cohn-Bendit lui a répondu : « la

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politique, c’est ce que tu en fais ; c’est la manière dont tu vois les choses » Comme un crédo, elle nous affirme que sa vision de la politique, « c’est la vie de la cité », et s’enflamme pour l’action menée par les associations : « J’ai le sentiment que du constat de la déconnexion du citoyen et de la classe politique est né un mouvement – on en parle beaucoup en cette période de crise –, les associations montent au créneau. Aujourd’hui, elles s’opposent à certains projets, participent aux instances décisionnelles, et parce qu’il y a un manque, elles deviennent force de propositions. » Avec le sentiment que nous avons complètement perdu le sens profond de la politique, c’est-à-dire « d’avoir un projet de société, de porter et d’y associer des citoyens », elle nous livre sa gratitude pour les « militants du quotidien », les militants politiques ou associatifs qu’elle a rencontrés quand elle a rejoint Europe Écologie. « J’aime l’expression de “militants au quotidien” : dans leur vie, ils font des choix personnels pour améliorer les choses. » Au bout de quelques minutes, elle me regarde : « Je ne sais plus quelle était la question, au départ ? » Je crois que je n’ai pas eu l’occasion de poser de question. « Je suis bavarde, c’est horrible ! », s’amuse-t-elle. Oui, elle est bavarde, mais que dire, non, ce n’est pas horrible. On le suppose, elle apprend vite. Avec du métier, elle laissera sans doute un peu plus d’espace à son interlocuteur, mais le propos est déjà là, et la force de conviction aussi. i



(And I ride and I ride), long-métrage de Franck Vialle et Emmanuel Abela, projeté en avant-première au festival C’est dans la Vallée, le 30 mai à 15h, au Théâtre à Sainte-Marie-aux-Mines 03 89 58 33 10 - www.cestdanslavallee.com

Emmanuel Abela a participé à l’aventure (And I ride and I ride), le film qu’il a écrit avec Franck Vialle sur Rodolphe Burger. Au moment de la première projection public du film dans le cadre de C’est dans la Vallée à Sainte-Marie-aux-Mines, la ville de l’ex-chanteur de Kat Onoma, il revient sur l’expérience d’un an de tournage

Epsilon Blues par emmanuel abela

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2 mai 2009 – coïncidence : le même jour, me parviennent par la poste la réédition “ultime” de Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, édité une seconde fois en DVD par Carlotta, et Préface à la disparition, un petit ouvrage de Philippe Lacoue-Labarthe, publié dans la collection « Détroits », chez Christian Bourgois.

(D’UNE SAINTETÉ), publié à La Pharmacie de Platon, qui a considérablement bouleversé la perception que j’avais de l’acte d’écrire. Dans cet ouvrage d’une quinzaine de pages, je trouvais concentré tout ce que j’avais pu fantasmer formellement : un espace ouvert, dans lequel philosophie, poésie, musique, arts plastiques et cinéma se trouvaient imbriqués, mêlés. ~ « Es-tu intéressé par le cinéma ? » ~ En décembre 2007, je croise Franck Vialle au Brant. La question qu’il me pose ce jour-là me surprend au-delà de ce que je pouvais imaginer : le cinéma ? Quel cinéma ? Le cinéma en tant que spectateur – non, il ne m’intéressait plus, et depuis bien longtemps. Le cinéma en tant que réalisateur – j’avais écarté pareille hypothèse. Le cinéma en tant qu’auteur – non, je n’y avais guère songé. J’ai bien publié un jour un scénario dans LimeLight, Le Voyage à Verdun, je visualisais très clairement les images, mais à aucun moment je n’avais songé à le tourner, ni à en soumettre l’ébauche de scénario à quiconque.

En 1995, c’est précisément un ouvrage de Lacoue-Labarthe, Pasolini, une improvisation

Du coup, je me suis longuement interrogé sur cet éloignement au cinéma, et je pense


sur Rodolphe Burger s’est rapidement imposée. Il ne restait qu’à poser la question au principal intéressé ; de suite, il s’est montré très intéressé. Nous ne savions pas précisément ce que pouvait être ce film ; nous savions très clairement en revanche ce qu’il ne serait pas : ni documentaire, ni film de fiction. On le situait comme un film en mouvement qui s’intéresserait aux lieux, aux trajectoires, et naturellement aux rencontres qui alimentent la démarche artistique de Rodolphe.

pouvoir isoler l’instant de rupture – une projection de Salò de Pasolini à l’Université. Le film, je le connaissais en vidéo, mais cette expérience de destruction de la pensée humaine ne peut se vivre que de manière collective. Le silence qui a suivi la projection, de longues minutes durant au moment de la sortie de la salle, a installé en moi une peur. Au-delà du traumatisme visuel, cette crainte me conduit à questionner la finalité de l’acte créateur. Le suicide d’un de mes élèves, dans

les jours qui ont suivi la projection à laquelle il avait assisté, n’a fait que renforcer cette méfiance. ~ Alors oui, j’étais intéressé par le cinéma, mais j’avais peur. ~ Naturellement, la proposition de Franck de travailler sur une collection de films musicaux autour des artistes de la région me séduisait. Puis, l’idée d’un long-métrage

Le film s’est construit pendant un an, sur la base de propositions de Rodolphe lui-même : des rendez-vous ont été fixés, à la Maison de la Radio à Paris, en janvier 2008, pour l’enregistrement de l’émission Équinoxe de Caroline Bourgine, en compagnie de Yves Dormoy et de quatre musiciens ouzbeks, à La Flèche d’Or en février pour un concert auquel je n’ai pas pu assister, à Londres en avril pour deux concerts avec Rachid Taha, à SainteMarie-aux-Mines à l’occasion du festival C’est dans la Vallée fin mai, sur L’Île de Batz en juillet et à nouveau à Sainte-Marie en décembre. Inutile de détailler ici, la somme des instants – spontanément, je dirai que le séjour sur L’Île de Batz, en compagnie de Franck, Aline Huber, la directrice artistique du son, Sylvain Verdet, le directeur de la photographie et Olga Viatcheslavovna Kokorina, sa compagne, restera à part. Les conditions – l’arrivée à Roscoff dans le “combi”, la vie dans les tentes, les séances de tournage entre deux crêpes “complètes boudin” ou

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“complètes boudin et saucisse” –, la présence de Jacques Higelin et sa guitare-fusil – « Île de Batz, batstoi ! » –, la rencontre avec Mamie Dirou, tout cela a contribué à l’existence de quelques très belles scènes, celle de la barque notamment, la seule scène du film qui a fait l’objet de deux prises différentes, pour des résultats aussi bons l’un que l’autre. ggg

~ Alors oui, j’aimais le cinéma. ~ Au mois de décembre 2008, nous retournons à Sainte-Marie avec l’objectif de construire les scènes manquantes. L’occasion est belle avec les répétitions, puis l’enregistrement du matériau qui va constituer les Valley Sessions, avec le trompettiste Erik Truffaz. Le dispositif est unique : un travelling est installé au Studio de Rodolphe, à la Ferme ; il sépare les musiciens Julien Perraudeau (basse, claviers) et Alberto Malo (batterie). Le but est de saisir des instants musicaux inédits et d’emblée nous sommes servis. Après les premières répétions qui portent sur des morceaux de son dernier album ou de reprises de Kat Onoma, je le surprends à ébaucher à la guitare les premières mesures d’un morceau qui m’est très familier, Love Will Tear Us Apart de Joy Division. Ses musiciens n’ont pas été prévenus et se raccrochent comme ils peuvent au morceau qu’ils redécouvrent en temps réel. Franck, Aline et Sylvain ont-ils eu le temps de suivre le mouvement et d’enregistrer l’instant ? Oui, l’image existe : on distingue la main sur la guitare et les premières notes du refrain. Le plan se termine par ce moment où Rodolphe relève la tête comme pour dire : tu as entendu ? As-tu reconnu ? ~ Oui, j’ai reconnu… ~ Parmi les scènes qui avaient été écrites – ou envisagées – avant le tournage, il y en a une qui me tenait à cœur. Le nom de code : la scène de la voiture. L’idée m’était venue bien avant le projet de film. J’ai eu l’occasion d’interviewer Rodolphe en avril 2006, alors qu’il était en session d’enregistrement avec Jeanne Balibar. Ce jour-là, un dimanche, il me suggère d’aller sur

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les hauteurs de Sainte-Marie pour manger un bibelskas dans une auberge. Au bout de deux heures de repas, nous décidons de retourner à la Ferme. Je lui propose de conduire ma voiture. Et là, il me raconte, tout en conduisant, l’histoire de Freddy Koella, le guitariste mulhousien qui est parti faire carrière à la Nouvelle Orléans. Audelà du récit qui me permet de découvrir le parcours d’un homme qui a joué aux côtés de Dr John, Willy Deville et Bob Dylan, ce qui me fascine c’est l’incroyable talent de conteur et d’imitateur de Rodolphe. Il se courbe, se retourne et rit dans une voiture trop petite pour lui. Je m’en veux de ne pas avoir enregistré la conversation, mais surtout je me fais la réflexion que cette scène est faite pour le cinéma. Immédiatement, je pense à cette scène où l’on voit John Cassavetes descendre de chez lui en décapotable, dans Cinéma, de notre temps d’André S. Labarthe et Hubert Knapp. Il allume la radio. À l’antenne, les Beach Boys. Aujourd’hui, la “scène de la voiture” existe. Et même s’il s’agissait pour la première fois de rompre avec la spontanéité qui prévalait sur le tournage et de recréer un instant vécu, Rodolphe a su nous donner bien plus que ce qu’on avait imaginé à la base. Bien au delà du récit de Freddy, il apparaît évident qu’il se raconte lui-même, dans ses départs, ses retours, son cheminement. La scène dure précisément 22 minutes, elle est restituée en intégralité dans le film et se termine dans la neige au pied d’une station de ski, le Lac Blanc, où Rodolphe se rendait enfant. ~ Franck : Je viens de découvrir les rushes, la scène de l’Epsilon est spectrale ! Moi : La scène de quoi ? Franck : La Lancia Epsilon, ta voiture !

L’article que j’avais publié à l’époque de l’entretien sur les hauteurs de Sainte-Marie avait été baptisé La trace d’une provenance (and I ride) ; le film s’intitule (and I ride and I ride), j’ai le sentiment aujourd’hui qu’il interroge le parcours de Rodolphe, sa pratique musicale, les réseaux artistiques qu’il crée autour de lui, mais qu’il nous interroge en retour, Franck, Aline, Sylvain et moi-même, et porte à l’écran la trace de cette interrogation-là. ~ Alors oui, le cinéma révèle une part de nous-mêmes. ~ À l’époque où je découvrais Pasolini, une improvisation de Philippe Lacoue-Labarthe, deux amis, Nicolas Simonin et Philippe Haag, m’avaient suggéré l’écriture d’un texte pour une édition éphémère, réalisée à la main, dans la collection Goût Amer au Rhinocéros. Le texte d’époque, intitulé Géométrie Élémentaire (une esquisse) débutait par ces mots : J’ai sept ans. Il me promet de m’acheter une caméra. Il ne me l’offre jamais. J’ai huit ans. Il me promet de m’acheter une guitare. Il ne me l’offre jamais. Et pourtant, je ne lui en veux pas… À la relecture de ces mots, je me dis que grâce à Franck, Aline et Sylvain, je peux offrir à mon entourage et à ma petite fille de sept ans un film sur un guitariste. Et pour cela, je leur en serai à jamais reconnaissant. i


Piers Faccini, en concert le 30 mai à 18h en l’église Saint-Pierre-sur-L’Hâte, à Sainte-Marie-aux-Mines 03 89 58 33 10 - www.cestdanslavallee.com

Chanteur et guitariste folk européen, Piers Faccini est autant inspiré par le blues du Mississippi que par la musique malienne.

Piers Faccini un homme sous influences par philippe schweyer

En 2004, nous étions tombé sous le charme de All The Move in All The World, un morceau élégamment clipé par Fred Poulet sur une plage mouillée de Normandie. Cinq ans plus tard Piers Faccini est de retour avec Two Grains of Sand, un troisième album solo composé entièrement à la maison, dans ce coin des Cévennes qu’il a découvert avec sa femme en 2003. A l’époque, quitter Londres l’a aidé à voler de ses propres ailes, lui qui avait jusque-là caché sa timidité en s’abritant derrière la slameuse Francesca Beard au sein du groupe Charley Marlowe. Émancipé mais pas fâché, le chanteur désormais solitaire a invité Francesca sur The Dust in our Eyes, un des morceaux les plus radieux de son nouvel album. Lorsque l’on retrouve Piers Faccini mi-avril pendant les balances du festival Caméléon à Kingersheim, sa voix fiévreuse nous harponne instantanément, sans violence mais avec un plaisir presque palpable. Un peu plus tard dans les loges, c’est avec le même plaisir communicatif qu’il nous parle de musique, de peinture et des influences dont il se nourri pour créer avec une exigence peu commune. Le songwriter, qui se souvient d’avoir eu l’impression de découvrir sa propre musique en écoutant pour la première fois Skip James ou Ali Farka Touré, a parfaitement su assimiler ses influences (des vieux bluesmen à Nick Drake en passant par Dylan et Woody Guthrie) sans jamais chercher à les occulter.

photo : jean-baptiste mondino

Les rythmes africains, qu’ils aient ou non transités par le blues, irriguent ses chansons pleines de vécu, de choses observées et de poésie. Lecteur de William Blake, Friedrich Hölderlin, Rainer Maria Rilke, Paul Ceylan et de Roumi, un poète soufi, Piers Faccini est aussi un observateur lucide sensible au chaos ambiant : « Pour cet album, j’ai essayé d’aller un peu plus loin dans l’écriture et dans la complexité de ce que l’on peut raconter avec une chanson, afin d’aborder des thèmes plus politiques ». Qu’il chante l’incapacité des hommes à s’entendre ou qu’il célèbre la mémoire d’un être cher mort d’overdose (Who Loves The Shade), Piers Faccini se veut optimiste malgré tout. En l’invitant à jouer dans un lieu aussi intime que l’église SaintPierre-sur-l’Hâte, le festival C’est dans la Vallée ne s’est pas trompé : « Je jouerai en solo avec une guitare acoustique et si j’ai envie d’improviser, de prendre ma chanson et de l’emmener quelque part, je pourrai le faire sans aucun souci. Je jouerai au moins deux ou trois morceaux de gospel, de blues… des chansons où la voix porte et ou il y a de l’émotion. Des trucs que j’adore… » i Dernier album : Two Grains of Sand, Tôt ou Tard www.piersfaccini.com

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Festival international de l’affiche et du graphisme de Chaumont du 16 mai au 14 juin http://chaumont-graphisme.com

D’abord essentiellement consacré à l’affiche, le Festival de Chaumont s’est depuis imposé comme une des étapes graphiques de l’année. Cette 20e édition permet notamment d’aborder la question du design des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication à travers une exposition du Directeur Artistique Etienne Mineur.

Minority Report par fabien texier

Interview sur des enjeux sous-estimés, suivie d’une présentation du détonnant auteur/ illustrateur berlinois Henning Wagenbreth, encore étrangement méconnu sous nos latitudes.

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ETIENNE MINEUR Commissaire de l’exposition code_source http://www.my-os.net/blog/ www.incandescence.com

Directeur artistique, enseignant, bloggeur, web designer comment vous définiriez-vous ? Je dirais graphiste ou plutôt graphic designer. Après, on peut faire de très beaux livres ou de très beaux sites, quel que soit le support, la base c’est la maîtrise de l’agencement forme-typo-image. Avec Incandescence, le studio dont je suis un des co-fondateurs, je travaille sur les écrans, le site Chanel ou l’interface Nokia, mais en ce moment je monte une petite maison d’édition, Volumiques, qui ne publiera que des livres. Face à Mario, il faut réagir et se demander qu’apportent les livres jeunesse, quelle expérience nous ont apporté les NTIC ? Tissu ou papier peuvent jouer avec des notions d’interactivité issues du web, les pop-ups ou l’encre par exemple peuvent la permettre…

Qu’enseignez-vous ? À Louis Lumière, l’école de cinéma à Lyon, j’ai montré pendant deux ans des applications du graphisme dans les génériques de films, puis les jeux vidéos, et finalement j’ai donné des cours pratiques sur le montage de DVD ou sites web. Aux Beaux-Arts de Rennes c’était plutôt la typo sur écran, particulièrement les téléphones. En septembre avec Rémy Bourganel à l’ENSAD à Paris, ce sera plutôt comment gérer son identité numérique, les réseaux sociaux, le flot d’informations, comment proposer des solutions plus poétiques, moins fonctionnelles. Que montre l’exposition que vous commissionnez à Chaumont ? Le thème en est design et interactivité, ce qui veut tout et rien dire, et elle est en trois parties. La première consiste en une cimaise de plusieurs mètres qui déroule une chronologie depuis les 50’s avec des repères comme la première console en 1972, le jeu Pong en 74, YouTube ou Facebook qui


n’existaient pas il y a cinq ans. On verra aussi de vieux ordinateurs ou téléphones en fonctionnement. La seconde partie permettra de voir les créations d’une cinquantaine d’étudiants à travers le monde. La troisième est constituée d’interviews vidéo de personnes qui travaillent sur les jeux vidéos, les Nabaztag, Dailymotion… Et il y aura une version Internet de l’expo.

Peut-être ce que vous racontez là nous fera-t-il bien rire dans vingt ans ! ggg

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Quel est ce paradoxe entre le développement technologique et l’archaïsme graphique des NTIC ? Des trucs comme Google Earth sont incroyables, mais représentent aussi un incroyable retour en arrière pour l’œil humain. La lecture est plus facile sur un magazine, la première bible de Gutenberg lui est mille fois mieux adaptée que n’importe quel site ! Ce n’est pas étonnant vu la jeunesse de ce média, mais il n’y a toujours pas de colonage, le scrolling [défilement de haut en bas, ndlr] n’est pas adapté et on utilise des typos très anciennes comme la Times ou l’Arial. C’est aux gens de notre domaine de proposer des solutions. La qualité graphique que vous trouvez parfois affligeante sur Internet est aussi présente dans la presse papier… Oui, mais dans la presse papier, vous savez si ça va parler de musique ou de télévision, si c’est du haut de gamme ou pas. Les sites de Surcouf ou C Discount sont volontairement bas de gamme pour donner une impression cheap, le problème c’est que nombre de sites leur ressemblent sans que ce soit le message qu’il veuillent faire passer. Tant que des grands sites n’ont pas donné le la, ce qui demande un gros investissement en temps et en argent, il n’y aura pas de référent. Pour les graphistes comme pour les journalistes, il faut se demander ce qu’un site pro apporte par rapport à celui d’un amateur de 13 ans qui se donne à fond…

➳ votre réalisation préférée : Issey Miyake. Pendant 7 ans,

j’ai réalisé un nouveau site web pour chaque nouvelle collection : www.my-os.net/isseymiyake/ ➳ un site qui vous satisfait particulièrement : les travaux d’André Behrens pour le New York Times : http://prototype.nytimes.com/gst/articleSkimmer/ ➳ un outil, un service web peu connu : ubiquity : http://labs.mozilla.com/2008/08/introducing-ubiquity/ ou pour mac, Quicksilver : http://www.blacktree.com/ un système de ligne de commande permettant d’aller très vite dans son finder ou ses recherches sur le Web. ➳ une horreur à ne pas reproduire : www.voyages-sncf.com

Les jeux vidéo sont une de vos sources d’inspiration, mais ils sont particulièrement mal considérés dans les médias. Je pense que c’est surtout une affaire de génération, mais l’âge moyen des joueurs, aujourd’hui, c’est plutôt trente ans. On fantasme beaucoup : comme avec cette histoire complètement inventée d’une petite fille qui aurait poignardé son frère sous l’emprise d’un jeu. La presse a relayé l’information sans la vérifier ni démentir par la suite. On voit aussi MacDo et Coca financer des campagnes contre l’obésité où l’on voit des enfants avachis devant une Playstation. On s’excite beaucoup sur la violence alors que la majorité des jeux vendus sont plutôt des Mario ou ceux d’Alexandra Ledermann sur les chevaux. Quand Nintendo sort quelque chose, vous pouvez être sûr que la majorité de la population

mondiale va s’approprier sans problème son fonctionnement. On peut l’adapter chez Orange et un jeu massivement on-line comme World of Warcraft, dont je déteste l’esthétique Heroic-fantasy, propose des applications intéressantes pour Chanel. Comment voyez-vous l’avenir des NTIC ? Je parierai sur une division en deux. D’un côté le e-commerce, les services, sur téléphone, de l’autre, les produits spectaculaires, vidéo, films, chat avec une TV/console/box confortablement installé dans son canapé. Au Japon ou en Corée si vous demandez une adresse, on se sert de préférence du téléphone pour la trouver sur les pages jaunes, même si un ordinateur est allumé à côté. Des utilisations non prévues vont aussi apparaître… Peut-être ce que vous racontez là nous fera-t-il bien rire dans vingt ans ! i

~ HENNING WAGENBRETH présentation du lauréat du concours d’affiches www.wagenbreth.de

La quarantaine, professeur d’illustration à l’Universität der Künste de Berlin, illustrateur pour Libération (notamment les pictos de l’agenda) ou le New York Times, affichiste, graphiste, auteur de bande dessinée issu de l’underground est-allemand, Henning Wagenbreth, est un artiste marquant, œuvrant dans des styles puissants et aisément identifiables. Pour autant il est ici joyeusement ignoré et il aura fallu quant à nous l’exposition Tobot, lors de l’édition 2008 de Fumetto à

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Lucerne, pour qu’on l’identifie pleinement. En dépit des éditeurs suisses, qui peuvent jouer le rôle de pivot entre la bande dessinée allemande et le monde francophone, ou des efforts des éditeurs « indépendants » comme l’Asso ou Flblb, la richesse qui s’étale par exemple dans les pages de l’excellent magazine germanophone Satrapazin, ne passe le Rhin ou les alpes que par bribes (Nicolas Malher, Thomas Ott, Anna Sommer, Ulf K., Ulrich Scheel…). À l’ombre du Mur Né en 1964 dans une bourgade de R.D.A, Henning Wagenbreth, découvre vite qu’embrasser une carrière dans le graphisme et le dessin constitue une

bonne manière d’échapper au contrôle de l’État. Ses influences les plus anciennes ne viennent pas tant des rares bandes dessinées allemandes qui lui tombent sous la main chez des amis, que d’illustrateurs populaires du XIXème siècle, de l’imagerie polonaise, ou de reproductions de peintures de Saint-Sébastien percé de flèches ou de la tête décapitée de Jean le Baptiste qui le marqueront durablement. Avec pour premiers professeurs un grutier dessinateur amateur et le peintre Gerhard Wienckowski, il lui faudra longtemps avant de pouvoir intégrer une école d’art ou de graphisme où les places sont très disputées. Un stage de plusieurs mois chez un imprimeur où les artistes Berlinois venaient expérimenter

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Henning Wagenbreth dans l’exposition Tobot-automated illustration systems

c’est comme ça qu’on leurre les gens, qu’on les implique pour les confronter à un contenu plus noir. ggg

leurs impressions lui révèle l’importance de ces techniques, un bagage qu’il emporte une fois accepté à l’école Supérieure d’Art de Berlin-Est où il se spécialise dans la typographie et l’illustration. Dès lors, dessiner des lettres ou des images lui procurera un plaisir égal. Dans les années qui précèdent la Chute du Mur, affichage sauvage, micro-édition, revues underground d’illustration/BD/graphisme, sont autant une expression artistique qu’un engagement militant que Wagenbreth partage avec ses complices du collectif, PGH Futur Radieux (Produktionsgenossenschaft des Handwerks, Glühende Zukunft), Anke Feuchtenberger, Holger Fickelscherer et Deltef Beck. Géométrie variable Dans les années 90, c’est l’explosion libératrice, les artistes de Berlin-Est sont

très demandés et à l’occasion d’une résidence d’un an à Paris, Wagenbreth découvre un monde de l’illustration-édition en pleine effervescence : la mouvance Bazooka, Pascal Doury, Marc Caro, Loustal, PetitRoulet, Bruno Richard. Mais c’est surtout l’occasion d’une rencontre déterminante en la personne de Mark Beyer, père d’Amy and Jordan, un des piliers du magazine Raw d’Art Spiegelman. Couleurs vives, dessin naïvement géométrique, minimaliste, univers dépressif hanté par la mort sont également constitutifs de ses créations et de celles du Berlinois. Selon l’objet des commandes que Wagenbreth réalise, ou de ses désirs de création, les supports, les techniques varient énormément de la linogravure expressionniste au futurisme punk pixellisé par ordinateur. Il réalise des affiches de théâtre ou de festivals, se mitonne des petits livres imprimés au petits oignons,

qu’il s’agisse de livres jeunesse (Mond und Morgenstern, histoire de Wolfram Frommlet), d’illustrer des mails d’arnaque africains (Cry for Help) ou de tailler un costard surréaliste à un Napoléon zombie (The Mystery of Saint Helena). Son univers se décline en animations flash, en illus pour Palm Pilot (Plastic Dog, finalement parues dans Die Zeit), en peinture et, pour être sûr de ne pas être à court de récits, il a développé Tobot, un système informatique, capable de générer des récits en image de manière aléatoire en reprenant le principe des cadavres exquis. Corrosif, volontiers cruel, désireux de déranger plutôt que de plaire dans ses récits, Wagenbreth cherche toutefois à séduire par sa brillante maîtrise des couleurs. « Au départ vous vous dites : « Oh !, ça à l’air beau ». Ça ressemble à quelque chose de divertissant, c’est comme ça qu’on leurre les gens, qu’on les implique pour les confronter à un contenu plus noir. Si je m’en tenais à la seule horreur, les gens regarderaient une page et refermeraient aussitôt le livre. », affirmait-il en 2007 à Rick Poynor, dans Print Magazin. Volontiers expérimentale, dérangeante, politiquement acide, l’œuvre d’Henning Wagenbreth possède également un fort pouvoir d’attraction, mais pourquoi diable continue-t-on à l’ignorer en France ? i

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Homme – Femme : de quel sexe êtes-vous ?, jusqu’au 3 janvier 2010, Muséum-Aquarium de Nancy 03 83 32 99 97 - www.man.uhp-nancy.fr

Le sexe des Anges Propos recueillis par mathieu molard

photo : arno paul

Être un homme ou une femme suffit-il à définir un individu ? Le Muséum-Aquarium de Nancy interroge les notions d’identités sexuelles à travers une exposition où se croisent et parfois s’opposent différentes approches : biologique, sociologique, culturelle et même linguistique. Discussion en compagnie du sociologue Hervé Marchal. On fait souvent la comparaison entre les notions homme / femme et mâle / femelle. Est-ce une comparaison erronée ? Non, chez les êtres humains il y a des mâles et des femelles, sauf que l’identité sexuelle chez l’Homme est distincte du sexe biologique. Elle va venir du sexe social qu’on appelle également identité de genre. C’est à dire que l’on va inventer de multiples modèles de ce qu’est un homme et de ce qu’est une femme en fonction des cultures, des sociétés, de notre milieu social et de notre vécu. On met souvent les notions de genre au centre de la définition identitaire, presque comme une évidence, mais en réalité c’est une identité parmi d’autres, sans aucune supériorité ? L’identité sexuelle est centrale, mais elle ne domine pas forcément l’horizon de sens. Nous ne sommes pas toujours en train de nous définir à travers elle.

L’Homme se définirait donc par une myriade d’identités en interaction ? C ’est ce que j’appelle des supports identitaires. L’identité sexuelle en est une parmi d’autres, mais ces supports ne sont pas infinis. Les femmes seraient moins agressives pour des raisons biologiques, qu’en est-il en réalité ? Il est certain qu’il existe des différences biologiques. Est-ce que ces différences sont suffisamment fortes pour déterminer des identités distinctes ? Ce n’est pas certain. Françoise Héritier a montré que si les femmes sont moins développées d’un point de vue musculaire et osseux que les hommes, cela tenait à des différences de régimes alimentaires à travers les siècles. Maintenant que l’alimentation est à peu près équilibrée entre les deux sexes, les femmes deviennent progressivement aussi grandes que les hommes. Bien sûr, chez

Tous les êtres humains ont des pulsions sexuelles

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les femmes il existe certaines hormones absentes chez les hommes et inversement, mais il n’est pas certain qu’elles suffisent à déterminer le caractère ou l’identité d’un individu. Les valeurs féministes ont progressé beaucoup plus rapidement que la cause homosexuelle. Comment expliquez-vous cela ? Il existe un véritable conservatisme à l’égard de l’homosexualité. Il tient notamment au rôle que l’on attribue à ce que j’appelle « la famille Ricoré ». Elle reste considérée comme une cheville ouvrière de notre société. Au regard de cette représentation de la famille, l’homosexualité est un risque pour l’équilibre même de la société. Le second facteur important est la religion. Elle a codifié nos représentations en attribuant un rôle à chacun des sexes et elle ne conçoit pas les rapports homosexuels tant masculins que féminins. Il y a un dernier point lié aux travaux de Margaret Mead, sociologue et anthropologue culturaliste américaine. Dans son ouvrage Mœurs et sexualité en Océanie [publié en 1928, ndlr], elle montre combien les rôles que l’on attribue aux hommes et aux femmes sont culturellement construits. On a braqué le projecteur sur la dualité homme / femme.


Les autres modèles de sexualité ont été oubliés. C’est seulement la philosophe Judith Butler qui a jeté un gros pavé dans la mare avec son ouvrage Trouble dans le genre [publié en 1990, ndlr]. S’il a été démontré que le statut de la femme est lié à l’environnement, l’origine de l’orientation sexuelle reste encore mal définie. Il faut poser les choses de manière très sereine. Tous les êtres humains ont des pulsions sexuelles. La sexualité est donc universelle, tout n’est pas relatif à une culture. Il se trouve que ces pulsions n’ont pas de sens en elles-mêmes. C’est un fait. Il revient à la société de codifier, de donner une orientation à ces pulsions. Si le sens est construit socialement, alors il peut être déconstruit et on peut en prendre conscience. On peut se dire « je suis hétéro, mais est-ce que je ne rate pas ma vie si je ne couche jamais avec un homme ou avec trois femmes, ou si je deviens trans... » On a conscience qu’il peut y avoir une multiplicité de sens à notre sexualité. Est-ce que cette définition n’ouvre pas des possibilités de normalisation des comportements ? Le sexe est défini par des hommes. Il y a un caractère normal du sexe qui

est déterminé socialement. Ces normes renvoient à des institutions qui ont pour vocation de stabiliser la société. On peut avoir un regard critique et dénoncer la nature de la normalisation. Lorsque dans une société il y a un cadre normatif trop rigide qui ne correspond plus à ce que les gens vivent, il faut soit l’assouplir, soit le casser. Aujourd’hui, les normes qui nous disent que la seule sexualité possible et légitime est l’hétérosexualité ne sont plus tenables. Un certain nombre de personnes ne vivent plus en fonction de ces normes. Il faut que le politique en prenne acte. Les pulsions, d’origine biologique, n’ont pas d’orientation et c’est l’environnement qui la leur donne. Quelle place attribuez-vous au libre arbitre dans cette équation ? Pour moi, la liberté est une donnée anthropologique fondamentale. L’être humain est libre, parce qu’il est doté d’une conscience. Ce n’est pas la société qui la lui donne, elle va simplement décider des formes qu’elle prendra. C’est pour ça que les sociétés ne sont jamais figées. Les êtres humains prennent conscience du contexte dans lequel ils vivent et le font évoluer. Il n’y a pas un déterminisme social strict. À certains moments de notre vie, nous devons faire des choix. Je crois que nous avons

même de plus en plus la possibilité de faire des choix, ce qui pour certain peut devenir une contrainte. Si nos possibilités de choix se multiplient, est-ce le signe que notre société se libéralise ? Je le crois, puisqu’en dépit des réticences et des conservatismes, elle accueille un certain nombre de modèles identitaires en matière de sexualité. Mais l’“autre” trop différent, nous effraye toujours. Je pense aux transsexuels. Ils nous rappellent le caractère factice, artefactuel des normes qu’on préférerait parfois croire sacrées. Ils incarnent également une étrangeté qui nous fait peur puisqu’elle dit que l’on peut vivre autrement. Et même être heureux ! i Hervé Marchal, Maitre de conférences à l’université Nancy 2, auteur de L’identité en question, Paris, Ellipses, 2006 www.sociologieurbaine.fr

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Hier aujourd’hui demain par sylvia dubost

photo : christophe urbain

Entre installation et performance théâtrale, Transit est un projet hybride à entrées et questions multiples. Entre mémoire personnelle et mémoire collective, Elena Costelian, ancienne élève des Arts Décoratifs de Strasbourg, y interroge le passé, le présent et le futur de la Roumanie. À découvrir à l’occasion du festival Premières.

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Transit, de Elena Costelian, dans le cadre du festival Premières, du 4 au 7 juin au TNS, au Maillon et au TJP à Strasbourg

03 88 27 61 81 (Le-Maillon) - 03 88 24 88 00 (TNS) www.le-maillon.com - www.tns.fr

Une proposition artistique entre performance, installation et théâtre. Un regard sur l’histoire récente de la Roumanie et ses multiples transitions. Un questionnement sur la mise en place de la mémoire, personnelle et collective. Un public en « transit » entre plusieurs dispositifs. Transit fait le pari d’interroger tous ces passages. Un projet ambitieux qu’Elena Costelian porte depuis plusieurs années, et qui a commencé à prendre forme en 2006, lorsque son pays natal, la Roumanie, fait son entrée dans l’Union Européenne. Le pays se prépare alors à une nouvelle transition. Le régime communiste avait effacé le passé pour laisser place à « l’homme nouveau », la révolution a voulu effacer toute trace du communisme, alors aujourd’hui, « quel homme nouveau va-t-on construire ? », se demande-t-elle. « Tout s’est concentré dans le temps. À chaque fois, on voulait construire une nouvelle histoire sans garder de traces. Pourtant, les parents continuent à éduquer leurs enfants comme eux

ont été éduqués. » Comme elle a été éduquée, dans un pays où les enfants appartiennent à l’état, où les symboles font office de pain quotidien, où chaque geste est surveillé. Elena Costelian arrive en France fin 1987 à l’âge de neuf ans. Comme tout le monde, elle vit le procès expéditif et l’exécution des époux Ceausescu à la télévision. Une enfance mise en scène par le régime, une révolution mise en scène elle aussi. C’est là l’enjeu de cette proposition, qui joue sur un dispositif multiple, articulé autour d’une double installation centrale. Elena Costelian reconstitue d’un côté l’espace de sa mémoire personnelle, mélange entre sa salle de classe et l’appartement où elle a vécu en Roumanie, de l’autre l’espace de la mémoire collective : la salle du procès, reconstituée à l’échelle 1 d’après les dessins de Bruno de Carpentier, eux-mêmes réalisés d’après les images diffusées à la télévision. D’un côté, la journée ordinaire d’un enfant sous le régime communiste, de l’autre, la vidéo du procès devant laquelle le spectateur

peut s’asseoir à la place des juges. Autour, des installations-satellites : les dessins de Bruno de Carpentier, des objets-symboles du régime aujourd’hui totalement disparus, même des conversations. « Personne ne veut parler du passé. Pourtant, cette révolution et ce simulacre de procès posent de vraies questions sur la démocratie. » Transition impossible ? Elena Costelian ne cherche pas de réponse, plutôt à poser des questions. Elle tient à faire émerger les souvenirs qui aujourd’hui s’effacent et sans lesquels on ne peut pourtant construire d’avenir. « Ce n’est pas une question de nostalgie mais d’identité. » i

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Espace du procès reconstitué ggg

« La maison blanche de la SECURITATE. Elle est là pour notre bien à tous. Elle veille sur nous. Sur nos têtes, sur nos vies, sur nos rêves sans trêve. Et l’on se sent tous en sécurité, car tout le monde a conscience qu’elle est là pour nous rappeler par sa simple présence, que nous avons le devoir de nous surveiller, au nom de la Sécurité Nationale. “Camarades vous avez le devoir de vous surveiller mutuellement !” », extrait de Transit

Hier aujourd’hui demain Dessin de Bruno Carpentier reconstituant l’espace du procès de Nicolae et Elena Ceausescu, réalisé d’après la video diffusée le 22 avril 1990 sur TF1. Publié dans Libération le 28 avril et dans Le Point le 30 avril 1990

« Tu as reçu le pain quotidien de la mère patrie et n’oublie jamais que c’est elle qui te nourrit ! », extrait de Transit « Comme je suis fière de chanter tous les matins avec mes camarades. Je connais trois couleurs au monde : le rouge symbole du sang versé pour la patrie ; le jaune, le blé, la nourriture de la mère patrie et le bleu du ciel, la liberté. », extrait de Transit

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I wanna be loved by you Par Sandrine Wymann et Bearboz

A n’en point douter, il se passe quelque chose à Metz. De mémoire de cultureux, on n’avait jamais vu la ville ni s’agiter ni se pavaner de la sorte. Les lieux d’art sont en pleine effervescence : chacun s’apprête, se prépare à un événement. Et de bouche en bouche circule ce nom, pas neuf mais inattendu en Lorraine : Pompidou, Pompidou, Pompidou...

C’est que ça y est, le fameux centre d’art contemporain qui nous promet sa venue en région depuis 1999 et qui a officiellement été annoncé à Metz en 2003 va ouvrir ses portes dans moins d’un an. Ouverture prévue au printemps 2010. Et pour que l’événement soit à la hauteur des attentes et des ambitions, c’est dès à présent que le Centre Pompidou Metz lance une opération de séduction. Constellation est le nom de la manifestation de préfiguration annoncée autour d’un programme riche et enthousiasmant. Et c’est réellement une nouvelle constellation qui se dessine sur la carte culturelle française : la constellation messine. Elle regroupe un lieu alpha, le Centre Pompidou et de nombreux sites beta voire gamma, tous ces lieux déjà connus qui font parler d’eux depuis longtemps. Ils mènent avec persévérance et justesse des projets artistiques et se retrouvent aujourd’hui « rangés » au côté de celui qui forcément prendra leur tête.

Doit-on s’en réjouir ? S’en inquiéter ? Certes, il aura fallu attendre la grande « machine » pour attirer autant l’attention du public de l’art mais après tout, les acteurs ne semblent pas s’en plaindre et encore moins s’appuyer uniformément et aveuglément sur leur nouveau père. Les projets annoncés pour Constellation sont personnels et à l’image des structures qui les proposent.

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A l’Ecole des Beaux Arts se déploie le Metzbau. Joli clin d’oeil à Kurt Schwitters, à son Merzbau, qui est repris dans la galerie de l’école et est entièrement mené par les étudiants de 1ère et 2ème année. Depuis deux mois, la galerie est ainsi transformée en un espace en constante évolution (en témoigne l’échafaudage laissé au centre de l’espace ainsi que les amoncellements de matériel et matériaux), attentive et réactive aux messages échangés sur le site du Metzbau. Un projet interactif, protéiforme qui est mené de main de maître par de jeunes étudiants présents à la conception, la communication, la production et qui seront aussi là le jour du finissage le 16 mai au démarrage de Constellation.


Un autre lieu, un autre projet : Vincent Lamouroux investit la galerie Faux Mouvement. Il y installe un sol qui s’inscrit dans sa série éponyme et la transforme ainsi en un espace inattendu et à redécouvrir. Le FRAC de Lorraine accueille l’artiste brésilien Cildo Meireles, le Musée de Metz Métropole présente des pièces d’Alexandre Calder, Daniel Buren s’installe rue Serpenoise, la gare s’ouvre à une œuvre de Jean Tinguely, la Galerie Octave Cowbell annonce une « Re-création Récréation »… Et de nombreuses autres expositions, installations, performances sont prévues pour surprendre aux quatre coins de la ville, et même de la région qui s’étend pour l’occasion de Luxembourg à Verdun. Plus que jamais c’est le territoire à grande échelle qui est sollicité, avec ce qu’il compte de diversité de lieux et d’acteurs. Le patrimoine de la ville de Metz est aussi mis à l’honneur par l’ouverture exceptionnelle de lieux privés au public. En touchant ainsi tout ce que Metz compte de population, en mettant la ville en lumière, le centre Pompidou arrive en province avec le projet de s’inscrire fortement sur son nouveau territoire. Il se présente non pas comme un déploiement de son homonyme parisien mais comme une institution sœur, autonome, à projet individuel, qui s’appuiera sur la collection du centre Pompidou Paris mais qui apportera aussi un nouveau regard sur la ville et sa région.

Les enjeux sont grands pour le Centre et c’est à tous niveaux qu’il lui faut convaincre ses nouveaux voisins. Après la fête, il sera temps d’envisager cette nouvelle collaboration dans la durée. Economiquement, politiquement, Metz saura-t-elle répondre aux bouleversements qu’entraîne la présence du Centre ? Le public, répondra-t-il présent aux rendez-vous programmés ? Et le paysage culturel... la coopération annoncée par Constellation, se poursuivra-t-elle ? Comment chaque lieu existera-t-il dans le futur face à ce géant ? Déjà, on sait que certains y trouveront leur compte en inventant des formes de collaboration mais il apparaît aussi dans cette nouvelle distribution qu’il y a la star, les vedettes, les seconds rôles et ceux qui risquent d’être coupés au montage... Pas sûr que le nouveau paysage soit satisfaisant pour tous. Constellation, du 15 mai au 4 octobre 2009 + 15,16,17 mai, 3 jours d’événements gratuit 16 mai au soir fête d’ouverture de Constellation aux abords du futurs Centre Pompidou – Metz www.centrepompidou-metz.fr Metzbau, du 28 mars au 17 mai 2009 Galerie de l’Ecole Supérieure d’Art de Metz Metropole www.metzbau.hautetfort.com

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Songs to learn and sing Par Vincent Vanoli

Référence de la bande dessinée d’auteur, le Ludovicien et italo-lorrain Vincent Vanoli est aussi DJ à ses heures, illustrateur pour la revue musicale anglaise Plan B et initiateur d’un spectacle avec Lauter, du label Herzfeld. Assez logiquement il a choisi dans son intervention récurrente d‘interpréter en image des paroles de chansons.

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La stylistique des hits Par Matthieu Remy

Illustration : Dupuy-Berberian

Prosopopée

Le célèbre Gradus estime que la prosopopée est une figure « étrange ». Certes, une figure de style qui consiste à mettre en scène et à faire parler les morts ou plus généralement les inanimés peut dérouter. Mais dans les chansons, où il est souvent question de jeter un trouble salutaire sur l’énonciation, elle est un ressort naturel du petit jeu consistant à s’amuser avec la notion même de narrateur. Ce qui soulève par ailleurs une interrogation abyssale : qui parle dans les chansons ? L’interprète, l’auteur, le personnage qu’ils ont cherché à inventer ? On y reviendra, bien sûr, mais il se trouve qu’avec la prosopopée, au moins, la chanson est obligée de nous donner quelques indices pour être relativement compréhensible. Ainsi, dans le plus beau morceau de son album Remué, Dominique A annonce la couleur dès le titre, repris en leitmotiv dans le texte : « Je suis une ville dont beaucoup sont partis/Enfin pas tous encore mais ça se rétrécit. (…) Je suis une ville où l’on ne voit même plus/Qu’un tel n’est pas au mieux, lui qu’on a toujours vu. (…) Je suis une ville de chantiers ajournés/De fêtes nationales, de peu de volonté ». On peut trouver Dominique A légèrement agaçant, mais il faut bien avouer que ce titre est complètement dingue. Le programme y est d’ailleurs pour beaucoup : faire parler une entité aussi complexe que la ville, c’est faire le grand écart entre questionnement sur les origines, vision politique et poétique de la vie quotidienne. D’autant que les prosopopées les plus connues dans la chanson sont d’ordinaire tournées vers le ludique, de I am the walrus des Beatles (je suis l’homme-œuf, je suis le morse) à Dr Worm de They Might Be Giants (They call me Dr. Worm/Good morning. how are you? I’m Dr. Worm/I’m interested in things/I’m not a real doctor/But I am a real worm/I am an actual worm/I live like a worm). Puisqu’il est question de faire connaître une réalité à travers les yeux d’un narrateur auquel on ne prête habituellement pas de conscience, il en résulte parfois une prise

de position morale. C’est le cas lorsque les désespérants Tryo font parler un arbre dans Tombé mal ou lorsque Francis Cabrel rejette la corrida en donnant la parole à un taureau. Côté bovin, Ignatus est évidemment plus fantasque : dans Folle, il laisse une vache nous raconter le pourquoi de l’encéphalite spongiforme. Là comme ailleurs, si les animaux ou les végétaux se mettent à disserter, c’est la plupart du temps pour expliquer la connerie crasseuse des hommes. Les morts ne sont pas en reste. Dans God’s comic, Elvis Costello en convoque un qui salue le sens comique de Dieu. Michel Sardou, lui, se paie le luxe de ranimer un paquebot décédé pour lui faire cracher sa haine de l’Etat, dans son célébrissime Le France. Comme si les chansons insistaient par cette figure sur le principe rimbaldien du « je est un autre », en le déclinant sous la forme : « je peux être à peu près n’importe quoi, essayons ». Et il semblerait que dans le cas de Michel Sardou, le goût prononcé de la prosopopée amène à essayer de se glisser dans la peau de tout ce qui n’a pas de cerveau. Dominique A – Je suis une ville The Beatles – I am the walrus They Might Be Giants – Dr Worm Tryo – Tombé mal Francis Cabrel – La corrida Ignatus – Folle Elvis Costello – God’s comic Michel Sardou – Le France

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Mes égarements du cœur et de l’esprit Par Nicopirate Égarement #1

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Égarement #17

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le monde est un seul / 1 Par Christophe Fourvel photo : Christian Garcin

Tant que la glace ne cédera pas

En 1999, est paru un livre tout à fait admirable d’un auteur japonais du nom de Akira Yoshimura. Celui-ci racontait la vie d’un enfant dans un village de pêcheurs pauvre d’un Japon lointain, encastré derrière ses montagnes et ses traditions. Ce livre s’intitule Naufrages. L’écriture de Yoshimura, extrêmement bien cadencée (rendons hommage ici à son traducteur) tisse le portrait de cet enfant apprenant à saisir dans son filet les différentes proies que le cycle saisonnier promet : maquereaux, encor nets, sardines. Avec Isaku on “comprend” la pêche ; on comprend surtout que cette pêche ancestrale, rythmée par les saisons, ne suffisait pas à nourrir les gens. Les hommes partaient se vendre dans un ailleurs toujours plus fertile et ne revenaient pas toujours vivants. Pour survivre, le village espérait le naufrage des bateaux de commerce qui croisaient au large de ses côtes. Alors, la nuit, les hommes et les enfants se relayaient sur la plage pour entretenir des feux censés orienter les navires de commerce

en difficulté. Quand un bateau s’échouait sur les nombreux récifs de la baie, restait l’acte simple de tuer son équipage. On avait de quoi tenir avec les butins, les maquereaux, les encornets et les sardines, jusqu’au prochain naufrage. Yoshimura est mort en 2006. Actes Sud vient de faire paraître cette année un livre presque aussi beau de l’auteur japonais et intitulé Le Convoi de l’eau. C’est un autre village, encastré cette fois dans la montagne et la forêt d’un Japon qui n’est plus éternel. L’eau qui le borde est celle d’une rivière. Le village vit en autarcie avec ses croyances, sa hiérarchie, sa justice. Le narrateur appartient à la vaste équipe d’ouvriers venue construire un barrage qui engloutira ce village. Le livre raconte la cohabitation muette entre ceux qui sont là pour façonner le monde et ceux qui vivent là parce que leurs ancêtres y sont nés. Entre les deux groupes, circulera, comme toujours, quelque chose de profondément humain et donc de partageable : une violence inouïe, du désir, un peu de respect. Une compréhension furtive et un peu floue. La bordure du monde dont parlent les livres de Yoshimura s’est remarquablement rétrécie. Mais tous ces hommes et ces femmes existent encore. Il n’y a simplement plus ou bientôt plus de bordure. Maintenant que les bateaux de marchandise sont sûrs et que le poisson manque, ils avancent ailleurs. Beaucoup sont parmi nous, dans nos villes difformes. Nous sommes en 2008, au bord de la frontière canado-américaine, dans un film sublime de Courtney Hunt, sorti cette année et intitulé Frozen River. Des réfugiés traversent la frontière dans le coffre d’une voiture, sur un lac gelé. Ils viennent de Chine ou du Pakistan. Ils sont montés dans des bateaux qui n’ont pas fait naufrage, ont descendu le cours de rivières. Un barrage les a chassés. Certains ont laissé dans l’exil leur spiritualité, la profondeur de leur rapport au monde. D’autres leur droiture. Dans la voiture il y a une femme indienne et une blanche endettée ; toute deux différentes mais tout aussi exclues. Entre ces gens encore une fois, circulera quelque chose de profondément humain et donc de partageable : une compréhension furtive et un peu floue. Et l’histoire continuera tant que la glace ne cédera pas. Akira Yoshimura, Naufrages, Actes Sud, 1999 - Coll. Babel, 2004 Akira Yoshimura, Le Convoi de l’eau, Actes Sud, 2009 Frozen River de Courtney Hunt (2009) (Grand Prix du Jury du festival de Sundance), Distribution : Rezo films

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Science sans confiance

Chroniques scientifiques fortuites

Par Laurent Vonna

La danse du playmobil Une pénible et laborieuse recherche bibliographique peut parfois être illuminée par la lecture d’étonnants articles scientifiques aux antipodes des sujets de recherche à la mode mais publiés dans des revues de renom. Pour preuve cet article consacré à l’expression de la symétrie du corps comme critère de sélection naturelle qui m’a fait replonger dans le souvenir trouble de mes années adolescentes et plus précisément lors de mes premières boums, moments terribles d’extension du domaine de ma lutte, de ma chambre d’enfant aux caves bourgeoises du vieux-Dornach ; je m’y revois encore, maladroit, lâchement livré à cette lutte pour la dominance, avec pour seuls références les improbables épopées imaginaires de mes playmobils, le live de Magma à Bobino et le souvenir de l’énorme poitrine de Henriette, l’assistante exhib’ de mon dentiste. Dentiste à qui je dois d’ailleurs d’avoir brillé très tôt sur les dance-floors, plus par l’éclat de mon appareil dentaire que par mon sourire ultra-bright. A en croire les travaux de William M. Brown et ses collègues1, il ne serait pas sûr que les déhanchements crâneurs du bellâtre qui alors monopolisait la piste devant le parterre clairsemé de copines toutes trop belles pour moi, n’aient été aussi efficaces que cela. Encore eut-il fallut que notre gars soit symétrique ! Les chercheurs de l’Université Rutgers (New Jersey, USA) et de l’Université de Washington (Washington, USA) ont en effet montré que la danse était un moyen pour l’homme de mettre en valeur sa symétrie dans un contexte de sélection sexuelle. Un corps symétrique serait le garant d’un patrimoine génétique propre à produire une descendance capable de suivre un développement corporel stable. Un corps symétrique est donc attractif du point de vue génétique… si on le montre. Pour vérifier cette hypothèse, l’équipe de chercheurs a astucieusement reproduit sur des avatars les mouvements de jeunes danseurs jamaïcains enregistrés par capteurs2. De cette manière, l’évaluation de l’attractivité d’une danse se concentrait sur le mouvement seul, indépendamment de tout autre critère de sélection sexuelle. Un panel d’observatrices ayant visionné les différentes danses des avatars a en majorité évalué de façon positive la danse des candidats qui présentaient le plus de symétrie.

1. “Dance reveals symmetry especially in young men” Brown WM, Cronk L, Grochow K, Jacobson A, Liu CK, Popovic Z and Trivers R Nature Vol. 438, 7071, 1148-1150 (2005)

Pour autant, bien sûr, il ne suffit pas d’être symétrique pour être attractif. Symétrie que j’exprimais, adolescent, de façon parfaite en me confondant dès les premiers instants de la soirée avec les chaises hautes du bar. Mon playmobil ce héros, aurait même pu être un modèle de danseur selon cette étude. Le paramètre de symétrie est en réalité noyé parmi une multitude d’autres critères de sélection sexuelle… comme l’appareil dentaire ou le corsage de Henriette. L’article rappelle ainsi que la danse pourrait révéler d’autres signalements génétiques pour orienter une sélection sexuelle, comme la coordination neuromusculaire, la santé, la liberté de mouvement… Et de conclure que les danses les plus sélectives seraient celles les plus difficiles à reproduire, les plus rythmés et énergiques. Un passage de cet article a particulièrement retenu mon attention. W.M. Brown signale qu’il serait possible à partir de ses enregistrements de déterminer les formes de danses idéales permettant de révéler au mieux sa symétrie. Depuis 4 ans, plus rien n’a été publié à ce sujet. J’imagine que W.M. Brown a gardé pour lui ces danses idéales, pièges à filles fatals, dont j’aurais pu rêver adolescent, enterrant en une soirée mes fantasmes stériles de héros playmobils.

2. http://grail.cs.washington.edu/projects/dance-symmetry/

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Sébastien Bozon (photographies) et Adrien Chiquet (textes) confrontent images et textes dans l’espoir d’explorer l’entre deux. Ni légende ni illustration mais, dans l’interstice, quelque chose d’autre.

Mulhouse,

deux minutes d’arrêt … Dans quelques instants notre train entrera en Gare de Mulhouse. Mulhouse, 2 minutes d’arrêt. Il y a cinq ans, lorsque j’arrivais à Mulhouse, avant que le tram-train ne soit fini d’être construit, la première chose que je vis en sortant de la gare de Mulhouse ce fût les bateaux. Je débarquais bardé d’un paquet d’a priori après une semaine dans le Tessin (sophistication suisse, charme italien) et une autre à Bologne (majestueuse basilique,

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trottoirs sous arcades et soleil de plomb). Je ne savais pas que six mois plus tard, ce serait “ma ville”. Personne ne parle de ça à Tours, à Bordeaux, à Paris ou à Vic-sur-Cère. Le canal, les bateaux, les péniches, les écluses et ce port de plaisance qui fait face à la gare. On nous rabâche cigognes, choucroute et musée de l’auto, saucisses et usine Peugeot mais quand on arrive par un bel après midi d’été, la première chose que l’on croise en arrivant par le train ce sont des bateaux. J’ai souvent demandé à d’autres mulhousiens fraichement importés de “l’intérieur” s’ils avaient connu la même surprise… Force est de constater qu’il doit s’agir d’une particularité toute personnelle (un manque de culture géographique certainement). Mulhouse a donc un port de plaisance. Personne n’y bronze… c’est dommage.


Un peu plus tard le même jour, aux alentours d’une salle de concert, je vis un graffiti sur le mur d’un petit immeuble : Wagner en force ! Il faut bien comprendre que lorsque l’on arrive de Tours via deux villes de langue italienne pour assister à un festival de musique, il n’y a qu’un seul Wagner et il ne fait que rarement l’objet de tags. Enfin, si une voiture peut s’appeler Picasso et des parkings souterrains Vinci, pourquoi pas ! C’est plus tard que l’on m’expliqua que Wagner était le nom d’un quartier de Mulhouse ainsi baptisé en l’honneur d’un ancien député-maire de Mulhouse (début des années 50). Aucun lien (autant que je sache) avec Richard. Seulement, pendant quelques heures, j’ai imaginé quelques lascars posés en bas de leur immeuble, un pétard aux lèvres en train de siffloter pan, pan, pan-pan-pan, pan, pan, pan-pan-pan, pan, pan, pan,panpan, etc. (Chevauchée des Walkyries, transcription personnelle). Eh bien, rien que d’avoir pu imaginer cela l’espace d’un instant, ça me réjouis encore. … Dans quelques instants notre train entrera en Gare de Tours. Tours, terminus de ce train. Avant de descendre assurez-vous de ne rien avoir oublié. À Tours, à la sortie de la gare on tombe sur une place de pierre dessinée paraît-il par Jean Nouvel. La gare de Tours est une gare cul-de-sac : tout un programme : le train n’y passe pas, il y reste. Je les aime pourtant bien ces gares (juste une façade monumentale genre décor de cinéma, et 20 voies de chemin de fer qui s’échouent là) mais tout de même rien que comme symbole ça en dit long. L’autre soir, René Nicolas Ehni parlait de ça très bien : les alsacos sont tous des tziganes qu’il disait, des gens de passage. À Mulhouse on célèbre Ehni et la vivacité de son écriture, sa tziganitude, sa miousic, sa beauté et rappelons-le, c’est nécessaire : son œuvre. À Tours (enfin pas loin) on a laissé Tony Duvert, un écrivain pas propre, pas correct, pas bien élevé (Abécédaire Malveillant, 1989, éditions de Minuit) crever chez lui avant de le retrouver un mois plus tard. Il est mort seul dans un endroit sans passage. À Tours l’autre jour, j’imaginais un instant Ehni, sortant du cul-de-sac de la gare en sifflotant la Walkyrie. Je l’imaginais traverser des farandoles de cols “Claudine” et de talons plats, de bermudas et de mocassins vernis. Lui le tzigane dans une ville tellement propre, lui avec sa stature et sa démarche, avec en lui une foi profonde au cœur et aux lèvres le merveilleux sourire de sa liberté.


Quant aux Américains j’y reviendrai Par Manuel Daull

Que dire donc

Visuel : Simon Vouet, Saint Jérôme et l’ange, Washington, National Gallery, Samuel H. Kress Collection. © Image courtesy of the board of trustees, National Gallery of Art, Washington.

Que dire de ce Jérôme peint par Simon Vouet (montré actuellement au musée des Beaux-Arts de Besançon) si l’on souhaite échapper aux misérables pitchs culturo-branchés à la manière d’un Frédéric Taddéï — que dire donc de Jérôme si ce n’est qu’il est le patron des traducteurs, et qu’à ce titre j’ai une pensée particulière pour Claude Riehl, génial traducteur de l’homme plus à l’est encore qui marcha sur la lande*, lui le fit, et si on ne sait toujours pas si les Américains ont marché sur la lune, bien qu’on s’apprête à fêter les quarante ans peut-être d’un non-anniversaire (ce qui semble dans la logique de cette époque voué au nonévénement), juste dire peut-être que la visite dont est l’objet Jérôme me rappelle cette scène des Ailes du Désir où Bruno Ganz rencontre Peter Falk devant une cabane de hot dog, la situation est différente, il n’est pas question ici d’anachorète ni d’ermite reclus en un quelconque désert proche d’Antioche,

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mais les hallucinations ascétiques urbaines n’ont parfois rien a envier des expériences mystiques des grands solitaires contemporains de Simon — que nous dit Vouet de cet homme au bout de la route, de la foi à laquelle il a voué toute sa vie, de cette volonté de dialogue avec l’ange qui se lit sur son visage, de la fatigue de ce corps après des années de cellule et des milliers de pages écrites, doit-on y voir aussi une parabole de l’écriture ou simplement le doute qui s’empare de lui comme de chaque homme au moment dernier, que dire si ce n’est qu’il s’agit peut-être là du plus Caravagesque des tableaux de Simon Vouet, remplaçons la trompette du jugement dernier par un sabre et la décapitation n’est pas loin, vanité des vanités, et poursuite du vent… Saint Jérôme et l’ange, Exposition Simon Vouet, Les Années Italiennes au Musée des Beaux Arts, place de la révolution à Besançon, jusqu’au 30 juin 03 81 87 80 49 – www.musee-arts-besancon.org * Claude Riehl {1954/2006} était le traducteur d’Arno Schmidt {1914/1979} philosophe à sa manière, tous titres disponibles, à découvrir aux Editions Tristram.


L’acte pour l’art par Gabrielle Haller

DATALOSS INFORMATION IS MORE REAL THAN REALITY affirme ironiquement une des œuvres sur papiers récentes de kristian ingold. Un corps fondu à une massive armoire de brassage où s’entremêlent les câbles électriques tente d’échapper à son absorption. Si le procédé est ici très direct, il n’en est pas de même pour la série DATALOSS. Là, les personnages parfois à peine visibles se perdent dans des paysages improbables, friches d’un monde en déperdition. Vibrants de couleurs, ils sont marqués de schémas électriques, vieilles photos d’actualité, plans, textes. Tannées dans le secret de l’atelier, comme arrachées à la réalité, ces peaux de papiers, constituées de 32 éléments de format A4, gardent une sensualité qui s’oppose fortement aux mausolées numériques lisses des données reproductibles à l’infini ; elles témoignent ainsi du temps à l’œuvre. Pour donner chair à ses images kristian ingold ancre sa pratique dans le réel. Sa propre vie d’abord, en imprimant successivement sur ses fiches de paye, factures, documents divers, l’Histoire ensuite, à l’aide d’anciennes revues d’actualités et pour finir l’abstraction relative des schémas électriques ou autres incantations chiffrées. Il est question ici de comment le parcours d’un individu s’inscrit dans une histoire commune, mais aussi et avant tout de la possibilité pour lui de l’espace dans lequel il cherche à exister avec toutes ses singularités. kristian ingold poursuit sa quête au gré des multiples techniques qu’il utilise, écoutant le silence, respiration du temps, cette vibration subtile qui fait qu’on ne peut réduire l’homme à un ensemble de données. Jusqu’au 10 juin à la galerie Foundation, 28b, rue des Franciscains à Mulhouse 06 23 57 54 36 - deepbreak.com

Sur la crête

La rencontre d’un linograveur et d’un poète Henri Walliser + Denis Scheubel

La course de rideaux

C’était le soir de la course de rideaux. On n’avait pas dit un mot. J’ai le seul souvenir du vent, hurlant dans le pavillon de mes oreilles décollées. Les graveurs sont lents, minutieux, ils aiment les éclats de granit qui viennent leur strier les yeux. Les rideaux sont passés trop vite, descendant la face Nord de l’Eiger pour couvrir les menhirs comme des mariées. Nous ne sommes pas nés sur la terre, et nous passionnons principalement pour des courses de rideaux qui caressent la montagne comme la pluie chaude caresse nos ailes. Et les graveurs nous courent après en essayant de nous apprendre la patience, et nous leur apprenons le passé, le souvenir, l’absence de temps. Notre absence.

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Carte blanche sur fond noir Par Sophie Kaplan

Les pierres sauvages

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Elles s’imaginèrent qu’elles pouvaient devenir cette pierre Battre à son rythme Ne plus bouger Jamais

Les pierres occupent une place centrale chez Jimmy Durham, dont la récente exposition au Musée d’art moderne de la ville de Paris avait du reste pour titre Pierres rejetées4.

Il existe une relation ancestrale et profonde de l’homme à la pierre. Dans de très nombreuses croyances et religions, la pierre est un lien entre le ciel et la terre et revêt une dimension sacrée2. Cette proximité de la pierre et de l’homme se retrouve également chez certains grands scientifiques humanistes du vingtième siècle, qui glissèrent lentement de l’étude des pierres à celle des hommes ou qui ne cessèrent de mêler les deux. Parmi d’autres, Jean Malaurie et Théodore Monod. La pierre est encore le support des premiers arts - peintures rupestres, pétroglyphes – et le matériau des premiers monuments – mégalithes, cairns. Davantage que les pierres transformées (taillées) les pierres que nous avons eu envie de regarder ici sont celles que Roger Caillois appelle les “ pierres nues ” : “ Je parle des pierres que rien n’altéra jamais que la violence des sévices tectoniques et la lente usure qui commença avec le temps, avec elles. Je parle des gemmes avant la taille, des pépites avant la fonte, du gel profond des cristaux avant l’intervention du lapidaire ” 3.

L’artiste en propose de multiples usages : celui de la destruction (Stoning the Refregirator notamment est une performance au cours de laquelle l’artiste jette tous les jours des pierres sur un réfrigérateur, transformant par cet acte violent un objet de consommation en œuvre d’art), celui de la récupération (A Stone Rejected by the Builder5 est une pierre taillée récupérée sur un chantier, posée sur une table et peinte de couleurs pastel), celui de l’expérimentation (dans une vidéo récente, il remplit de pierres une maquette de péniche placée dans une baignoire jusqu’à ce qu’elle coule), ou encore celui de l’autoportrait (Self-Portrait Pretending to be a Stone Statue of Myself6). Cette dernière oeuvre est d’ailleurs emblématique du double mouvement par lequel l’artiste englobe dans son travail autant l’histoire de la sculpture que le rêve du “ devenirpierre ”.

Cette intelligence de la pierre, tour à tour magique, permanente, sculpturale, et sacrée, à la fois symbole de la matière – primitive, minérale - et de la pensée - conceptuelle, “ cosa mentale ” –, se retrouve chez quelques artistes contemporains dont on a pu voir les travaux exposés dernièrement.

Dans l’exposition Le travail de rivière7, qui s’est déroulée au même moment que celle de Jimmy Durham, était présentée le film de Katinka Bock Couler un tas de pierres8, qui se situe lui aussi du côté de l’expérience. L’action se déroule sur une rivière. L’artiste, sur une barque, tire une autre barque remplie de pierres, qui, très

(1) nous empruntons ce titre à Fernand Pouillon, Les pierres sauvages, Ed. du Seuil, Paris, 1968. Les photographies qui illustrent cet article sont tirées de l’ouvrage La terre, ses aspects, sa structure, son évolution, par Aug. Robin, Librairie Larousse, Paris, années 30. (2) on peut citer en exemples : la pierre noire enchâssée dans la Ka’ba de La Mecque, la pierre tombée du front de Lucifer dans laquelle fut taillée le Graal ou encore celle que le Dalaï Lama reçut du Roi du monde. (3) Roger Caillois, Pierres, Ed. Gallimard, 1966. (4) Pierres rejetées, MAMVP ARC, Paris, 30 janvier-12 avril 2009.

(5) A Stone Rejected by the Builder, 2006, pierre peinte posée sur une table, galerie Barbara Wien, Berlin. (6) Self-Portrait Pretending to Be a Stone, 1995-2006, photographie couleur, collection fluid editions, Karlsruhe. (7) Le travail de rivière, Crédac, Ivry-sur-Seine, 4 février-29 mars 2009. (8) Couler un tas de pierres, 2007, film Super 8 transféré sur DVD, 2’45, courtesy galerie Jocelyn Wolff, Paris.

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rapidement, coule. Inscrivant les pierres dans le paysage, Katinka Bock pose avec une grande économie d’action et de moyens la question de la permanence des pierres, de leur relation fondamentale et directe à la terre. Ce faisant, elle affirme les pierres comme des immémoriales. Dans la même exposition, se trouvaient également les œuvres de Raphaël Zarka et Hubert Duprat. Tous deux font usage de pierres transformées. Par ce biais, ils cherchent paradoxalement à les rendre à leur état de “ pierres nues ”. Dans sa série de photographies Changer en île 9 Raphaël Zarka inverse partiellement le rapport Nature/Culture. Dans une démarche qui le rapproche de l’archéologue, il photographie des pierres taillées par l’homme mais abandonnées, enfouies dans le paysage, comme retournées à l’état naturel et qui sont finalement, comme le dit l’artiste, autant de fossiles du mouvement à l’échelle du paysage. Hubert Duprat sculpte des pierres, qui, tout en ayant été façonnées, semblent pourtant être restées des “ pierres nues ”. Dans Nord10, il réunit ainsi deux âges qui se sont succédés, la taille et le polissage. L’ambre est ici un collage, un fossile suturé. Il y a là un rêve de la pierre trouvée, idéale, de la pierre-paysage.

(9) Changer en île, 2004, photographies couleur, courtesy galerie Michel Rein, Paris. (10) Nord, 1997-1998, plaquettes d’ambre de la baltique, colle époxy, collection FRAC Franche-Comté. (11) Nummer Zeven. The Clouds are more Beautiful from Above, vidéo HD, 8’49, courtesy galerie Juliette Jongma, Amsterdam. (12) Chhttt…, CRAC Alsace, Altkirch, 8 février-10 mai 2009.

C’est le côté mystérieux et cosmique des pierres qui se dessine dans la vidéo Nummer Zeven. The Clouds Are more Beautiful from Above11 de Guido van der Werve, récemment exposée au CRAC Alsace 12. Le film relate la tentative de l’artiste de renvoyer une météorite dans l’espace. Cette tentative, à la fois romantique et absurde, rappelle, dans la fascination qu’elle contient pour ces cailloux tombés du ciel aussi bien que dans son issue, la quête que Théodore Monod mena tout au long de sa vie : trouver la mystérieuse météorite de Chinguetti, en Mauritanie. Il ne la trouva jamais… Astrologues renversés13, l’artiste et le géologue poursuivent ici un même rêve, inscrit dans les fondamentaux de l’âme humaine : joindre le ciel et la terre. Enfin, la pierre est pensée de sculpture. Ainsi de l’œuvre d’Uwe Max Jansen exposée à l’accueil du Mamco de Genève14 : un pot en verre est rempli de petits cailloux à emporter, il est accompagné d’un tas de bristols que l’on est également invité à prendre et sur lesquels on peut lire “ sculpture pour l’intérieur d’une chaussure, Uwe Max Jensen, 1999 ”. L’artiste, par l’acte poétique et conceptuel de la désignation, transforme ici de banals cailloux en véritables sculptures et cette transformation concerne non seulement les petites pierres contenues dans le bocal du musée, mais aussi, par capillarité, toutes les pierres du monde. Parlant des pierres, les quelques artistes évoqués ici (et auxquels peuvent se rajouter de nombreux autres) s’inscrivent à la fois dans la continuité de l’histoire de la pensée humaine et dans la modernité de l’histoire des formes. Les pierres sont vivantes15.

(13) “ C’est donc sans les arrêter le moins du monde que les pierres laissent passer l’immense majorité des êtres humains parvenus à l’âge adulte, mais ceux que, par extraordinaire, elles retiennent, il est de règle qu’elles ne les lâchent plus. Partout où elles se pressent, elles les attirent et se plaisent à faire d’eux quelque chose comme des astrologues renversés… ” André Breton, “ langue de pierre ”, in Le surréalisme même, 1957, cité par Jean Malaurie, in L’allée des baleines, Ed. Milles et une nuits, 2003. (14) Pascal Bausse livre un commentaire de cette œuvre dans “ L’art est un caillou ”, Mimi, n°11, Kyoto, déc. 2007. (15) d’après Jean Malaurie, De l’enfance à l’éboulogie polaire, interview de Jean Malaurie par Olivier Germain-Thomas, For Interieur, France Culture, 18 Novembre 1999

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Chronique de mes collines

Retraité de Lettre, retiré à la campagne, loin du bruit, Henri Morgan nous raconte ses livres et sa vie.

Alpha de Jens Harder

Petite promenade d ans une campagne déshabitée, où je croise seulement un animal qui se tapit sur les labours à mon approche, mais sans faire mine de vouloir s’enfuir, et dont je ne sais si c’est un blaireau ou un ragondin. La campagne a ceci de remarquable qu’on n’y voit presque jamais les animaux qui en théorie y pullulent. Il faut, une fois rentré dans sa demeure, se pencher sur les encyclopédies d’histoire naturelle pour enfin faire connaissance. À défaut de lire Linné ou Buffon, on peut aussi lire Alpha du Berlinois Jens Harder qui résume congrûment, en un peu plus de 350 pages de bandes dessinées, l’histoire du règne animal, depuis le Big Bang jusqu’à l’apparition de l’homme. Le trait épais et moelleux de Harder semble fait pour dessiner des nébuleuses, des baryons, des bactéries, des continents à la dérive (tous éléments indispensables apparemment au développement d’une vie animale), et puis toutes sortes de bêtes, des trilobites à l’australopithèque. La bichromie confère aux planches d’Alpha un aspect sévère, un peu scolaire, du meilleur effet. Le texte, rare, est d’une érudition toute allemande. Ce texte est constamment parasité par le dessin, qui propose des métaphores faciles (quand il est question de gaz, Harder a tendance à dessiner une bonbonne de gaz, une usine à gaz, un gazier, etc.), mais qui, surtout, tresse l’imagerie scientifique avec une imagerie mythologique puisée dans les représentations religieuses occidentales et dans les arts premiers. C’est au fond un autre jeu de métaphores. Le résultat est que le propos scientifique est encadré par des visions archaïques que le lecteur interprétera à sa guise. On peut penser que l’homme s’est toujours demandé comment l’univers avait commencé et d’où venaient toutes ces bêtes, mais qu’il n’a forgé que récemment les outils scientifiques lui permettant de répondre à ses questions. On peut

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penser, tout à l’inverse, qu’il n’existe que des représentations, et que cette sombre histoire de nébuleuses et de baryons qui finiraient par produire des australopithèques, représente la version contemporaine des images où le monde repose sur des éléphants qui se tiennent eux-mêmes sur la carapace d’une tortue. Une grande force de Jens Harder est qu’il n’identifie qu’exceptionnellement ce qu’il nous montre. Beaucoup de ses gravures médiévales ou orientales paraissent familières si l’on est un peu érudit, sans qu’on arrive à les situer précisément. De même, un lecteur de revues de vulgarisation scientifique reconnaîtra des images fractales ou ce logiciel qui simule l’auto-organisation du vivant à l’aide de petits carrés. Pour le reste, le lecteur, savant ou non, est livré au plaisir de donner le sens qu’il voudra au matériel imagier qu’on lui fournit et de définir ses propres « convergences morphologiques » dans le « foisonnant biotope » des planches, la jungle des images. Jens Harder, Alpha ... directions, Éditions de l’an 2, 2009


AK-47

par Fabien Texier

« Donnez cette arme à un groupe de singes dans la jungle et vous en ferez des soldats ! »

Laurent-Désiré Kabila (1939-2001).

Comment réussir une crème brûlée Comme le marché de Noël et le concours de voitures brûlées qui le suit, le sommet de l’OTAN a été l’occasion d’un festin médiatique pour Strasbourg. L’on a parlé ça et là de réussite. Peut-être songeaiton à l’accueil triomphal des Strasbourgeois à Obama ? Ahh ! Le beau bain de foule au palais Rohan avec ses 300 invités encartés UMP. Inviter les encagés de la zone rouge avec leur sniper du GIGN sur les genoux, ça aurait fait mauvais genre à côté des 30000 enthousiastes qui ont entouré le président américain à Prague. Avec le dispositif de sécurité, ses barrières, check points, le clonage de chaque habitant par un policier ou gendarme, c’est un double tourisme qui est né. Vendredi, les strasbourgeois redécouvraient leur centre-ville, photographiaient leur porte d’entrée barrée par cinq solides gaillards venus de Montpellier, eux-mêmes charmés par l’exotisme des lieux. En banlieue, on interpellait des clowns non-violents de préférences aux excités encagoulés qu’on tirait de loin. Samedi, changement de décor au centre : les gentils flics ne sont plus là, place aux méchants qui vous expliquent que les zones de sécurité, les autorisations d’accès on s’en fout, et que non, on ne peut pas traverser la rue pour emmener Zélie chez sa nounou. Passerelle Malraux : « Vous allez où ? » À la manif. « Vous passez pas ! » Pourquoi ? « Parce que ! ». Pendant que les Black Blocks, démontrent leur solidarité avec les habitants d’un quartier pauvre en incendiant tranquillement leur pharmacie, la manifestation pacifiste se fait gazer, une voiture de police joue les béliers avec les gens sur le pont d’Anvers, quelques CRS sont filmés en train de caillasser la CGT, un sénateur n’arrive pas à négocier la sortie de la manif avec la maréchaussée. Dernière image : les manifestants terrorisés passent un contrôle les mains en l’air. Les Black Blocks, eux, ont déjà filé. À Saint-Malo, la charcutière de Carrefour nous dit : « Houlala ! Strasbourg, ça a chauffé ! » Quelle belle réussite !

Modernons

Un but : dénoncer les exactions du moderne. Par Nicolas Querci

Les contestataires du futur La grande nouveauté du dernier festival de l’OTAN – événement Télérama de ce début d’année –, ce sont les clowns, contestataires du futur, que l’on a vu défiler en ville ! Perruques, nez rouges, maquillage, tambours ! Les clowns ont un message : ils trouvent nos dirigeants trop tristes ! Life is short ! La réalité, intolérable ! Un programme « manifestif » à la hauteur : instauration d’une zone rose au centre ville. Ils disposent « d’armes de dérision massive » : bulles de savon, plumeaux, ballons, baudruches, cotillons, gaz hilarant ! La grosse artillerie ! Le monde tremble : à quand un traité de non prolifération ? Au moindre risque de guerre, à la moindre menace terroriste, je cours me foutre sous leur protection ! Le pompon sera atteint lorsque ces manifestants d’un nouveau genre demanderont – et obtiendront – des subventions pour leur numéro de contestation. Après tout – il y a des chars, des animations, de la musique, des costumes, des jongleries ! Le salut de l’exception culturelle française passe par le soutien à la contestation bon-enfant ! Ils pourront s’appuyer sur l’activisme débonnaire de l’autre figure marquante des festivités, nettement plus répandue : le citizen-reporter ! Claquettes, sac à dos, vélo, appareil photo en bandoulière, qu’on court d’une scène à l’autre ! Le reportage de leur vie ! Qu’on suit les convois de CRS à la trace ! Tout le monde veut sa photo du Strasbourg désert et des bagarres ! Avec l’espoir de faire l’image qui parcourra le monde ! Deux must : le mur anti-émeute et le jeune en cagoule en train de lancer un caillou ! Pour la famille : la pose hilare avec les CRS immobiles, façon musée Grévin! Et quelle félicité quand on leur demande de ranger leur appareil ou leur si subversif drapeau Pace ! Qu’ils ont été victimes d’une odieuse censure ! D’une atteinte à la liberté ! Des trémolos dans les doigts ! Dénoncer ! Témoigner ! Tout le monde grand reporter! Déjà que tout le monde était artiste ! Ça leur suffisait pas ! Demain, tout le monde grand médecin ! Sinon, routine.

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Love Spray Par Marine Froeliger

Le spectacle du monde On n’est pas sérieux quand on a vingt ans. On peut jouer aux grands, parfois, lorsque l’on perd la notion du temps. « Beaucoup de raisons me poussent à entreprendre cette escapade et à vous la raconter. Je ne vous cacherai rien. Il me semble que la seule chance d’un reportage, c’est la franchise. Tâcher d’être en contact intime avec le lecteur du journal, et l’emmener avec soi. »

Naïvement, tenter de lui dire ô combien il est grand d’être petit. « L’enfance regarde, écoute, sans que de détestables préjugés viennent mettre entre le spectacle du monde et elle de fausses perspectives » Extraits de Jean Cocteau, Poésie de journalisme, 1935-1938, Éd. Belfond, 1973

Il joue avec ses potes au Domino’s bar, un des ces endroits rescapés. Hors du temps. Je suis là, j’écoute, je regarde ses débuts fébriles, je me ballade entre les gens. Je souris bêtement. On danse, on rit. Mon corps dit oui à tout ceci. Et puis l’hiver arrive et il fait froid, mais pas partout. Guisberg à la Laiterie, à Strasbourg. Aurel qui sait ma passion pour Sonic Youth me fait signe de venir au devant de la petite scène. Renz, un grand-grand homme à cornes arrive accompagné de Jérôme à la batterie et d’Arnaud à la basse. Le son est parfait ce soir. Une heure trente : set-list extrêmement bien pensée. On oscille à cinq-six mètres du sol dans un territoire subtil où se mêlent sans concessions des airs des Swans (Blind Love notamment), Tout commence avec un cousin éloigné aîné de presque 10 ans ; Aurelking, d’Electrelane (pour leur très bon album instrumental en référence bien sûr à Albert Nelson King. À cette époque-là, j’ai 15 piges, Axes), Fugazi (Sweet and low)... Guisberg fait partie de ces combos bruitistes et modestes. Humains, comme la une belle gueule, un scooter, et tout l’orgueil qui va avec. plupart des artistes du label Herzfeld. Aurelking a un groupe, Roots Noise – blues de qualité ! Aurelking a une voiture. Vous savez... de celles que l’on n’oublie pas. La première qui vous fait ressentir la liberté. C’est une Espace, ça tombe bien. Il m’embarque avec lui, me fait voir le pays. Avec un bon White album des Beatles, ou encore du Wilco. Il m’en parle avec passion. C’est tout ce qu’on demande à cet âge-là.

Si j’avais une couleur à leur donner, ce serait le rouge. Rouge sanglier, virant parfois à rouge marcassin ; ils sont subtils – je vous l’ai dit plus haut ! Si j’avais une couleur à leur donner ce serait le bleu. Bleu bagnole, virant parfois à bleu jean.

On part de plus en plus souvent. Il m’emmène dans une contrée voisine, le Tension_____________________Extrême. “Bitcherland” (pays de Bitche). La route, la nuit, sinueuse : neuf biches croisées. On s’arrête, elles n’ont pas peur. La batterie se fait justement plus fine dans le On a tous sept ans dans le noir. morceau en cours. Et régulièrement, on traverse Philippsbourg, Baerenthal, À bientôt. À bientôt, cousin. Goetzenbruck, Saint-Louis, Lemberg, Montbronn et Meisenthal. www.myspace.com/guisberg www.myspace.com/rootsnoise

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Revox

Digressions sans bande pour un tube, une expression, un titre de film…

Par Eva Lumens

¡Que Viva Mexico! Lucha Libre et chocolats mortels. Alors que la lucha libre (catch mexicain) a le vent en poupe et voit sortir de-ci de-là des ersatz kitchissimes et sans grand intérêt, les éditions Ankama profitent de cette brise pour sortir une petite merveille qui ravira les aficionados du genre, ou les curieux : Los Tigres del ring du graphiste Jimmy Pantera. Ce livre est une incroyable immersion dans l’univers de la lucha libre, illustrée par une sublime iconographie. Les années 50 et 60 y ont une très grande place, avec des extraits palpitants de planches de roman-photos de catcheurs, et d’autres curiosités issues pour la plupart de la collection de Jimmy Pantera, et qui à eu l’excellente idée de les entrelacer avec le reportage de la photographe Lucie Burton dans le Mexique d’aujourd’hui. Jimmy Pantera et Lucie Burton, Los Tigres del Ring, Éditions Ankama, 2009

Envie de croquer un luchador (catcheur mexicain) sans risquer l’œil au beurre noir ? Cette pulsion est désormais possible grâce aux chocolats de Deadlicious qui reprennent l’effigie masquée de grands luchadores… et c’est une délicieuse initiative de Jimmy Pantera (cf. plus haut) qui en signe le très beau packaging, d’après une recette originale de King Santo, l’un des quatre fondateurs de la marque. www.deadlicious.com

Le retour de la momie… made in Mexico. Après avoir adapté le catch venu des Etats-Unis d’Amérique du nord, le Mexique s’est emparé avec autant d’imagination du célèbre mythe du cinéma fantastique :

La Momie. Cependant, cette dernière ne sort plus des pyramides d’Egypte, mais des temples aztèques, sans bandelettes et est affublée d’un grognement, pour le moins étrange. Comme tout se passe au Mexique, dans le deuxième volet, elle est confrontée bien sûr à un luchador, puis à un robot humain... car la série se pique d’un esprit scientifique, qui, à l’époque, paraît-il faisait mouche auprès du public. Ces films de la Mexploitation sont de croustillants moments de série B. Trilogie la momie aztèque, de Rafael Tortillo chez Bach Film : La Momie aztèque, 1957 La Malédiction de la momie aztèque, 1957 La Momie aztèque contre le robot humain, 1957

Chat noir et os blanc …Fan de rock’n’roll et de lucha libre ? Je suis un monsieur tout le monde de Jorge Alderete (éditions Black Cat Bones) est pour vous ! Le dessinateur offre ici une galerie de portraits des habitués du club El Alicia de Mexico Ciudad, entre scène rock’n’roll, garage et aficionados de Lucha Libre, avec une introduction de Gary Panter, le père du comics punk et créateur des pochettes de certains disques de Zappa. Et pour la petite histoire la maison d’édition Black Cat Bones a quitté la France, l’automne dernier, pour ouvrir une galerie rock’n’roll au Mexique (Puebla) dont le périple est à suivre sur leur blog…Que viva Mexico ! Jorge Alderete, Je suis un monsieur tout le monde, Black Cat Bones 2008 http://blackcatboneseditions.blogspot.com/

* ¡Que viva Mexico! est un clin d’œil au film « maudit » d’Eisenstein tourné au Mexique, que le maître du cinéma russe n’a pu terminé : son producteur ayant stoppé le financement, et Staline l’ayant rappelé en URSS.

77



audioselecta

5

LHASA

AKRON/FAMILY

LHASA – WARNER

SET ‘EM WILD, SET ‘EM FREE DEAD OCEANS / CRAMMED

C’est peut-être son troisième album, mais il sonne comme un nouveau départ. Ça n’est pas tant que Lhasa de Sela chercherait à renier ses deux premières tentatives, elles aussi remarquables. C’est peut-être tout simplement parce qu’elle envisage ainsi chaque nouvel enregistrement, d’où la distance qui sépare chacun d’entre eux. Ici, exit les brillantes tentatives qui la rapprochaient d’un Tom Waits sur The Living Road – six ans déjà ! –, retour à des formes pures, pour un folk-blues touché par la grâce. La présence de son nouveau voisin canadien, Patrick Watson, et du guitariste mulhousien Freddy Koella n’est pas étrangère à l’émotion qui se dégage de l’ensemble. (E.A.) i

Nous n’avions peut-être pas entendu ça depuis les Talking Heads ! Dès les premières mesures du single Everyone is Guilty, on plaide volontiers coupables. Après avoir retiré nos vêtements nous avons plongé dans la première rivière polluée du coin et couru sur la rive, en donnant des coups de pied dans les bouteilles en plastique. Oui, nous avons succombé sous les coups de boutoir rythmiques d’inspiration afro de ce trio folk psychédélique new yorkais. Revenus à la raison, au détour d’une ballade acoustique fragile, nous nous sommes dits que cette vie était peut-être sans espoir, mais qu’il fallait aller au bout, malgré tout. (E.A.) i

BE MY WEAPON

STAFF BENDA BILILI

MARS/2009 – TALITRES

TRÈS TRÈS FORT – CRAMMED DISCS

Qu’il enregistre sous le nom de Swell ou qu’il se cache derrière un nouveau nom de groupe, Be My Weapon, la touche de David Freel reste éminemment sensible. Il aura beau le nier lui-même, mais il est l’un des songwriters américains les plus importants de sa génération, au même titre que Lou Barlow, Will Oldham ou Bill Callahan. Ce nouvel opus, enregistré en deux temps dans la montagne, puis sous le soleil californien avec la complicité du batteur de QOSTA, Ron Burns, nous saisit d’emblée. Construit à partir de mots simples, il témoigne une nouvelle fois de la capacité de David Freel à nous entrainer au tréfonds de sa propre intimité. (E.A.) i

Ils présentent la particularité d’être tous paraplégiques et d’évoluer sur scène dans des tricycles customisés de manière très particulière, mais au-delà de cela, les membres de Staff Benda Bilili produisent une musique plaintive mais enthousiaste, saisissante d’émotion, avec des échos des blues ancestraux qu’ils rythment avec des réminiscences funk, rumba et reggae. Dans la foulée des Konono N°1 et Kasaï Allstars, autres artistes de Kinshasa révélés les années précédentes par la série des Congotronics, les Staff Benda Bilili sont attendus partout dans le monde. (E.A.) i

AU REVOIR SIMONE STILL NIGHT, STILL LIGHT – MOSHI MOSHI COOPERATIVE MUSIC

Il est peut-être temps pour le trio Au Revoir Simone de sortir de cette posture d’éternelle outsider : deux albums, plus une compilation de remixes ont fini par installer une atmosphère minimale et éthérée très plaisante, qui pouvait autant renvoyer autant à Durutti Column, aux Young Marble Giants qu’à Virginia Astley. Mais à force de distance nostalgique, les premiers effets de lassitude pouvaient se faire ressentir. C’est sans compter l’intuition presque maligne de ces jeunes New Yorkaises, qui sans renouveler totalement la formule, lui donnent un sens différent. Les boîtes à rythme gagnent en présence, et les chansons en densité noire – la lumière reste présente, mais comme le titre l’indique, elle est nocturne. On est loin de Joy Division, et pourtant on sent que le temps de l’insouciance est passé. Peut-être tient-on là le premier chef d’œuvre véritable qui inscrit le trio sur la durée. (E.A.) i 79


comicselecta

5

Bitterkomix

LOCK GROOVE COMIX N°2

La ballade de Hambone

DE JEAN-CHRISTOPHE MENU L’ASSOCIATION

de Leila Marzocchi et Igort FUTUROPOLIS

Le lock groove, c’est ce sillon terminal des vinyles, qui quand il est enregistré, créé un morceau qui se répète à l’infini. Sous prétexte de les recenser, Menu se livre à un exercice d’érudition musicale (plutôt axé punk/postrock) autobiographique qui devrait normalement laisser de marbre les néophytes et irriter les autres. Or il n’en est rien, que l’on connaisse ou pas ses références, on se passionne pour ces chroniques et anecdotes qui constituent également une réflexion d’ordre général sur le rapport que chacun peut entretenir à la musique. Ce deuxième (mince) volume laisse à penser que se construit là une œuvre dont l’intérêt devrait s’avérer égal à son Livret de phamille. (F.T.) i

Blues, racisme et misère, tels sont les thèmes de ce funeste poème dont l’époustouflant travail graphique nous plonge avec violence dans le terrible quotidien des Noirs de l’Amérique des années 20. Dans la torpeur du mois de juin, les destins de deux tueurs à gage, d’un producteur de musique, d’un talentueux guitariste noir et d’Omara, fragile beauté du sud, se croisent pour leur plus grand malheur. Une ballade sans happy end rythmée par les apparitions du croque-mort de Huzelhurst dans le comté du Mississippi. (Kim)

L’Association

Le festival d’Angoulême 2009 avait mis cette année à l’honneur la bande dessinée sud africaine. Quelques semaines après cette manifestation paraît Bitterkomix, un florilège de la revue éponyme. En effet ce magnifique ensemble d’histoires complètes, de dessins, de croquis et de peintures nous montre la formidable vitalité du médium dans l’hémisphère sud tant sur le plan artistique que de la critique sociale et politique. L’introduction de J.C. Menu replace l’histoire de la revue dans son contexte et apporte d’intéressantes explications quant à sa découverte européenne. Simultanément, et venant compléter ce volume, sont publiés à l’Association, The Red Monkey de Joe Daly, petite merveille de ligne claire traitant d’une chasse au snark dans le bush ainsi que Rats et Chiens de Conrad Botes chez Cornelius, dans un univers plus noir et plus marqué. (C.K.) i

80

Dans mon Open Space Jungle fever Tome 2 De James, Dargaud

Hubert, ancien stagiaire à présent muni d’un CDD, assiste à la comédie du travail dans toute la splendeur du quotidien : hiérarchie ridicule, hypocrisie systématique, stress névrotique et médisances. James offre une encyclopédie précieuse au travers d’une galerie de personnages hilarants. Dessinée avec finesse et énergie, Jungle Fever trône comme l’une des meilleures séries du genre, renvoyant ad vitam l’atroce « Caméra café » de M6 aux sommets de la ringardise. (O.B.) i

Le Chant du Pluvier
 De Laprun, Béhé et Surcouf, Delcourt

Un paysan béarnais rejoint son fils, chercheur au Groenland : sur ce scénario ténu, les trois auteurs confrontent l’immensité de paysages immaculés au récit intimiste d’une relation père-fils taillée avec soin et précision. Empli d’une pudeur qui prodigue le non-dit entre les personnages, Le Chant du Pluvier culmine dans l’évocation du paradoxe qu’ils subissent : une profonde dépendance affective contredite par une soif de solitude et de liberté. L’esthétique graphique parachève la séduction de cet ouvrage éminemment beau et subtil. (O.B.) i


lecturaselecta

5

L’ombre de la chute

L’obligation du sentiment

DE Mark Henshaw et John Clanchy

DE Philippe Honoré, Arléa

Christian Bourgois

Quinquas fringants, Louis et Jeanne sont des notables locaux à belle maison de maître avec jardin fleuri, vie sociale bon chic bon genre, apéro en polo. Jusqu’au jour où fiston rédige une lettre mystérieuse, menaçante et perverse… La turpitude du rejeton parviendra-t-elle à dynamiter le bonheur tranquille de ce couple harmonieux ? Mais un véritable lien unit ces deux êtres. Leur engagement est absolu, sans faille : à moins que ce ne soit précisément là que se joue la monstruosité du récit de Philippe Honoré. Une leçon radicale et superbe sur les abîmes de la cruauté qui, pour un prédateur, sont la norme. (N.E.) i

La petite Amy vient d’être kidnappée. Scénario immuable, deal atroce : les parents réceptionnent un morceau de leur enfant mutilé qui sera libéré si la mère se tue. Salomon Glass, expert en psychologie, mène l’enquête… non sans voir ses propres démons ressurgir du passé. La ville et ses banlieues dortoir deviennent le terrain de chasse d’étonnants prédateurs. Cache-cache sanglant peuplé de sorcières et envahi d’odeurs terrifiantes, L’ombre de la chute ravive les terreurs nocturnes de nos cauchemars infantiles. Authentique polar, roman sombre, il prend son lecteur au piège de sa toile d’araignée et le jette illico dans les poisons d’une intrigue captivante. (N.E.) i

EDIE

2666 FREUD ET L’ÉNIGME DE LA JOUISSANCE

DE JEAN STEIN, CHRISTIAN BOURGOIS

D’ARMAND ZALOSZYC ÉDITIONS DU LOSANGE

Elle est l’icône pop par excellence, l’égérie d’Andy Warhol, sa vraie superstar, celle qui a inspiré Femme Fatale au Velvet Underground et quelques titres à Bob Dylan ; celle également dont Etienne nous contait la ballade sous la forme d’un bel hommage, peu de temps après la première publication de cette biographie en français. Dans cette réédition précieuse, Jean Stein livre le portrait sans concession d’une femme qui se perd dans les méandres d’une époque, au cours de laquelle les choses vont trop vite, trop loin pour elle. (E.A.) i

À la fin de sa vie, Freud admettait qu’une question restait sans réponse : « Wass will das Weib ? – Que veut la femme ? » La réponse, nous la devons à Jacques Lacan. Dans son ouvrage, le psychanalyste Armand Zaloszyc essaie d’expliquer et de saisir le réel, et justement le réel est ce qui ne se dit pas, ce qui échappe. Illustration mathématique à la clé, il nous démontre l’existence d’un espace insaisissable, quelque chose de l’ordre de l’indicible – une béance. La question de la jouissance se situe quelque part dans cet indicible. (E.A. / L.F-K.) i

DE Roberto Bolaño, Christian Bourgois

« Une oasis d’horreur au milieu d’un désert d’ennui », telle est l’ouverture baudelairienne de ce roman, ambitieux et fascinant, qui emporte le lecteur d’Europe en Amérique, jusqu’à Santa Teresa, abominable pendant fictionnel de la cité mexicaine frontalière de Ciudad Juarez, où, depuis plus de quinze ans, des centaines de femmes ont été assassinées et dont Bolaño fait l’épicentre d’un mal en réalité bien plus diffus. Satire universitaire, fausse enquête policière, roman d’apprentissage, 2666 est tout cela et bien plus encore, avec ses galeries de personnages foisonnantes et ses digressions vertigineuses. Rythmé par une écriture qui laisse transparaître l’urgence saisissant un homme pris dans une course perdue contre la mort, ce roman kaléidoscopique conforte la place qu’occupe Bolaño parmi les étoiles distantes qui baignent la littérature de leur étrange lumière. (CS) i

81


dvdselecta

5

UNe ORESTIE AfrICAINE DE PIER PAOLO PASOLINI, CARLOTTA

On sait l’importance de l’ébauche chez Pier Paolo Pasolini, qui parlait avec beaucoup de plaisir des films à venir. Le célèbre cinéaste aimait cet instant où les choses restaient à construire. L’idée de faire un film sur le projet lui-même semble une évidence. Le Carnet de notes pour une Orestie africaine devient le film, et Pasolini le sait bien. L’adaptation dans l’Afrique moderne, post-coloniale, de la trilogie d’Eschyle n’est qu’un prétexte à créer un objet cinématographique nouveau aux possibilités poétiques infinies ; un fauxprétexte dans la mesure où l’intention est clairement exprimée dès le départ. Il en résulte l’un des chefsd’œuvre méconnus du cinéaste, dont la pensée libre continue de nous hanter. Les nombreux bonus nous renseignent sur une entreprise singulière, filmée dans un noir et blanc magnifique et traversée par les digressions free-jazz de Gato Barbieri. (E.A.) i

82

La Belle personne

Ariane

De ChriStophe Honoré, Tf1 vidéo

De Billy Wilder, Carlotta

Adaptation libre du roman La Princesse de Clèves par Christophe Honoré, très en colère à la suite des propos de Nicolas Sarkozy qui jugeait le classique obsolète, La Belle personne s’attarde avec une certaine nonchalance sur le portrait de jeunes fringants issus du 16ème dont la cour du lycée s’apparente beaucoup à celle, monarchique, de Madame Lafayette. Aux détours d’une histoire d’amour nimbée par la musique de Nick Drake entre le ténébreux Louis Garrel et la candide Léa Seydoux, Honoré pousse ainsi un doucereux coup de gueule, livrant un portrait assez inédit d’une jeunesse de nantis. Bien vu. (O.B.) i

Le style inimitable de Billy Wilder fait mouche dans Ariane, chef-d’œuvre délicieux tourné juste après 7 ans de réf lexion. Dans un imbroglio narratif, les yeux de faon de l’ingénue et espiègle Audrey Hepburn s’ouvrent ronds de passion pour Gary Cooper, homme à femmes, riche, lâche dont la veulerie, la jalousie et la monumentale biture finale valent au cinéaste ses meilleurs moments de caricature. Ariane est ainsi emblématique de la cuisine wildérienne où l’élégance joue des coudes avec la férocité, où l’intelligence et la finesse visent toujours l’humour, où le talent de mise en scène brille à chaque plan. (O .B.) i

La Voce Della Luna 
 La possibilité De Fellini, Opening vidéo d’une île Fellini réalise La Voce Della Luna en 1990, son dernier film prémonitoire et rêveur avant de disparaître luimême. Roberto Benigni interprète une sorte de Pinocchio mélancolique perdu dans le gigantesque labyrinthe obsessionnel du cinéaste, où les femmes toujours rondes se pressent à la fête des gnocchis, où les clowns quel qu’ils soient occupent le devant de la scène. Certes, il pointe de ce film une désillusion un brin réactionnaire envers une jeunesse maltraitée par Fellini, vieux lion déjà fatigué, mais dont la griffe unique permet néanmoins une évasion hors du commun. (O.B.) i

De Michel Houellebecq, Bac vidéo

Michel Houellebecq adapte à l’écran son propre roman, La possibilité d’une île, dans le cadre d’une expérience cinématographique extraterrestre comme personne n’ose encore le faire. A l’aune d’un canevas SF plus que ténu, le film aborde une succession de registres sous forme de montagnes russes d’où émerge la nostalgie du cinémascope 70’s, un goût pour le kitsch et le cinéma d’Antonioni : de quoi rendre vaillants les cinéphiles qui mangent très épicé. (O.B.) i




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