HS NOVO : PETER KNAPP BY NOVO

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PETER

01 2011

KNAPP bynovo hors-série n°5 du magazine novo


1913

HAUSERMAN CLOISONS

VISION MOBILITÉ MODULARITÉ

En 1913, une invention de génie de Earl F. Hauserman, un entrepreneur visionnaire ionnaire natif de Cleveland, Ohio : la seule cloison amovible qui survive rvive à l’inévitable nécessité de changement. Grâce à cette invention, vention, l’espace de travail évolue, ouvrant ainsi les conditions d’unee nouvelle urbanité aux États-Unis États-Unis, basée sur des notions nouvelles : l’impermanence et la flexibilité. Avec ce produit révolutionnaire, Earl F. Hauserman réunit dans le même geste, le stable et le modulable, le solide et le souple, l’immobile et le mobile. Après avoir équipé les buildings les plus prestigieux à Chicago, New York et sur toute la Côte Est des États-Unis, la famille Hauserman implante son idée et son usine européenne en 1961 à StrasbourgKoenigshoffen, et poursuit son rayonnement international.

BARCLAY�VESEY 1926

CHRYSLER 1929

ROCKEFELLER CENTER 1933

BANKERS LIFE 1939

Avec 220 M € de CA, 27 filiales et 4 usines autour du monde et plus de 1250 collaborateurs en France et à l’étranger, le Groupe Clestra Hauserman s’est imposé comme le leader mondial de la cloison amovible pour l’aménagement de bureaux et de tous espaces dans les univers tertiaire, médical ou industriel. Esthétique, flexibilité, sécurité et confort sont les mots clés du succès de nos produits et de nos services. Innovation technologique, sociologique et écologique sont les moteurs de notre développement. Entrez dans notre univers pour découvrir un grand groupe industriel français : www.clestra.com

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ours

somma ire

Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight

Édito

remerciements Que soient vivement remerciés l’agence Arthénon, Julie Barth, Violette Boulet, Florie Brunet, François Cheval, le Groupe Clestra Hauserman, Anne Conesa, Héloïse Conésa, Céline Duval, Christophe Duvivier, Hugues François, les Galeries Lafayette, Philippe Gaudron, Audrey Hoarau, Bruno Jarret, Éric Laniol, la Librairie Kléber, Frédéric Maufras-Samson, le Musée Nicéphore Niepce, les Musées de Pontoise, les Musées de la Ville de Strasbourg, Joëlle Pijaudier-Cabot, François-Denis Poitrinal, Aline Ricau, Sophie Ruch, Fabienne Stadler, la Galerie Stimultania, UPM-Kymmene, Wouter van der Veen, Marie-Claude Waechter, François Wolfermann Contributeurs Arthénon, agence de création graphique et photographique, et éditeur à Strasbourg Pascal Bastien, photographe (Libération, Télérama…) Caroline Châtelet, critique (Novo, Métro, Dodo…) Héloïse Conésa, conservatrice au Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg Céline Duval, présidente de Stimultania Horstaxe, studio de création spécialisé dans le design graphique à Strasbourg Barbara Hyvert, chargée des publics à Stimultania Éric Laniol, maître de conférences à l'Université Marc Bloch de Strasbourg et Docteur en Arts Stéphane Louis, photographe et fondateur de l'agence Arthénon Marianne Maric, photographe et plasticienne Loïc Sander, graphiste et typographe chez Arthénon Fanny Walz, graphiste chez Arthénon Mathieu Wernert, peintre et photographe Wouter van der Veen, docteur en lettres, fondateur de l'agence Arthénon à Strasbourg et spécialiste de la correspondance de Vincent van Gogh, auteur de Vincent van Gogh à Auvers, d'après une idée de Peter Knapp Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com, mots-et-sons.com et flux4.eu

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Plumes, clowns, zèbres et jupes courtes, par Céline Duval

Peter Knapp, l'Image au présent, entretien avec Caroline Châtelet et Emmanuel Abela Diagonales par Wouter van der Veen / Mis en page par Loïc Sander Es ist Knapp, par Loïc Sander

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Le genou de Peter, par Éric Laniol / Mis en page par Fanny Walz 28

Peter Knapp, les années Galeries, par Emmanuel Abela L'image dans tous ses états, par Barbara Hyvert Variations diagonales, par Héloïse Conesa Dame Blanche, par Marianne Maric

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White Clouds #4, par Stéphane Louis

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Peter Knapp par ses alentours, par Caroline Châtelet Intervention graphique du studio Horstaxe

Intervention photographique de Mathieu Wernert

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Suzanne et Clémentine, carte blanche à Pascal Bastien Intervention graphique de Fanny Walz

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Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias u 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr IMPRIMEUR OTT imprimeurs Dépôt légal : janvier 2011 ISSN : 1969-9514 u © NOVO 2011 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT www.novomag.fr novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros u 40 euros 12 numéros u 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai, bibliothèques et librairies des principales villes du Grand Est.

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2011

HAUSERMAN ESPACES

DESIGN MOUVEMENT ARCHITECTURE

L

état d’esprit d’un homme (E.F. Hauserman, inventeur de la cloison amovible) est devenu la culture du GROUPE CLESTRA HAUSERMAN qui continue l’innovation constante autour d’un produit unique, la cloison amovible, une idée simple répondant au besoin d’adaptation des espaces au fonctionnement de l’entreprise. Le métissage des métiers et des territoires amène une évolution du cadre de travail que le GROUPE CLESTRA HAUSERMAN accompagne par ses produits devenus au cours du temps à la fois sophistiqués et essentiels, multiples et sobres, mono-matières ou composites.

Avec 220 M € de CA, 27 filiales, quatre usines autour du monde et plus de 1250 collaborateurs en France et à l’étranger, le GROUPE CLESTRA HAUSERMAN s’est imposé comme le leader mondial de la cloison amovible pour l’aménagement de bureaux et de tous espaces dans les univers tertiaire, médical ou industriel. Esthétique, flexibilité, sécurité et confort sont les mots clés du succès des produits de notre groupe. Innovation technologique, sociologique et écologique sont les moteurs de notre développement. Entrez dans notre univers pour découvrir un grand groupe industriel français : www.clestra.com

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édito par philippe schweyer

Le téléphone a sonné. C’était Manu, le rédac-chef de Novo : - Tu sais que Peter Knapp expose à Strasbourg chez Stimultania en janvier ? - Le photographe de mode ? - Oui, Peter Knapp : le photographe, le graphiste, le peintre, le vidéaste… - Celui qui faisait des miracles lorsqu’il était directeur artistique des Galeries Lafayette puis du magazine Elle dans les années 50 et 60 ? - C’est ça, un artiste de renommée mondiale qui a aussi travaillé pour The Sunday Times, Vogue et Stern ! À l’époque, il faisait travailler des photographes comme Robert Frank, JeanLoup Sieff, et renouvelait les codes graphiques de la mode au même titre que ses contemporains, Helmut Newton ou Guy Bourdin… Un type génial qui a aussi beaucoup enseigné. - Et il sera là ? - Oui ! Pour l’expo, il laisse ses consignes mais donne carte blanche à Stimultania. On pourra même voir les courts-métrages qu’il a tournés pour l’émission Dim Dam Dom… - Et nous, qu’est-ce qu’on fait ? - Il est partant pour qu’on réalise le catalogue avec ses amis d’Arthénon. Enfin pas vraiment un catalogue, plutôt un magazine avec des textes, des photos, des interventions graphiques et photographiques… À nous d’inventer, de rassembler, de mettre en pages. - FAIRE UN MAGAZINE AVEC PETER KNAPP ! Tu te rends compte ? C’est comme si tu m’annonçais qu’on allait monter une équipe de foot avec Platini ! - Je t’envoie un chemin de fer dès que j’y vois plus clair. Je me suis affalé sur le canapé recouvert de magazines glacés. J’en ai ouvert un au hasard et mes yeux se sont posés dans le coin d’une page, attirés par quelques mots joliment alignés : « Le Centre national des arts plastiques (Cnap) a initié des acquisitions en design graphique contemporain avec des chemins de fer originaux de Elle, période Peter Knapp. » Il fallait que je rappelle Manu immédiatement : - T'as vu ? Le Cnap achète du Knapp ! - ? - Le jour où tu vendras tes chemins de fer de Novo et Zut ! Ma femme m’a susurré à l’oreille : - C’est quoi un “chemin de fer”… Pourquoi tu passes ton temps à parler de “chemin de fer” ? J’ai essayé d’être le plus clair possible : - Dans la presse écrite, le chemin de fer est la représentation de la pagination, page par page, du support tel qu’il sera effectivement publié. Il permet à une équipe rédactionnelle d’avoir une vue d’ensemble de la publication. - Ah… J’ai repris le téléphone : - Excuse-moi, j’expliquais ce qu’est un “chemin de fer” à ma femme. - Dis-lui que comme Platini, Peter Knapp s’intéresse au mouvement, à la diagonale, au cadrage, au rythme… et que le chemin de fer l’aide à avoir une vue d’ensemble. Chez Platini comme chez Knapp, la vision est primordiale ! - Bien vu… - Dis, tu crois qu’il va lui plaire mon chemin de fer ?

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MAGAZINE CULTURE, MODE & TENDANCES À STRASBOURG

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Chicmédias / 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg 03 88 25 08 68 / bchibane@chicmedias.com

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Plumes, clowns, zèbres et jupes courtes Par céline duval

« (…) la tête légèrement penchée en avant, la main gauche relevant un peu la robe extraordinairement plissée qui lui couvrait le corps de la nuque aux chevilles, ce qui laissait apparaître des pieds chaussés de sandales. Le gauche était en avant et le droit, prêt à le rejoindre, ne touchait à peine le sol que de la pointe des orteils, tandis que la plante et le talon se dressaient presque à la verticale1. » C’est la silhouette de Gradiva, la femme qui marche, gravée sur le bas-relief et croquée sur le vif (Freud en avait un moulage dans son cabinet). Puis il y a Sylvia qui marche dans la fontaine de Trevi, eau à mi-cuisses, épaules nues. Et les femmes en Courrèges qui courent et d’autres qui sautent sur des trampolines. La Dolce Vita. Le pas lourd dans la neige, le bonnet de laine enfoncé sur la tête, le pouce en or et la fiat cabriolet dans les rues de Rome, ni ceinture, ni feux rouges. Peter Knapp prépare la dernière bobine de film 16 mm dans une vieille valise en cuir, le reste est déjà numérisé. Il part skier en Suisse, il fait onze sous zéro. La Dolce Vita. L’exposition prend forme. On fait des pique-niques, du vélo, on se maquille, on danse beaucoup. Plumes, clowns, zèbres et jupes courtes.

Peter aime les femmes. Les statues drapées des Tuileries les regardent passer : Bardot et Godard (Christine sait qui fait la voix off dans Le Mépris). Puis Anita Ekberg et Fellini. Nicole de Lamargé et Peter.

Crédit : Peter Knapp. Nicole fait son cinéma, 1966. Publiée dans le Elle France N° 1074 du 21 juillet 1966, dans l'article intitulé « Le Jeu des Transformations » © Collection Musée Nicéphore Niépce. Ville de Chalon-sur-Saône, France 1. Gradiva de Wilhelm Jensen, dans Pompéi, 2002, éditions Omnibus.

Les femmes aussi.

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PETER L'IMAGE AU PRÉSENT

KNAPP Par caroline châtelet & emmanuel abela photo allan smithy

La galerie Stimultania consacre une exposition à Peter Knapp à travers les axes du cinéma et du mouvement. Un parcours en diagonale dans l'œuvre foisonnante de ce photographe, graphiste, peintre, cinéaste et vidéaste suisse, véritable touche-à-tout agissant. Soixante dix-neuf. Il faut se le répéter et aller jusqu’à l’écrire pour se persuader qu’il s’agit bien de l’âge de Peter Knapp. Parce que rencontrant l’artiste pour évoquer son exposition à la galerie Stimultania, on a le sentiment d’être face à un jeune homme. Comme si toute sa trajectoire, de ses études à l’École des Arts Décoratifs de Zurich, à son poste de directeur artistique aux Galeries Lafayette (1955-1959), puis au magazine Elle (1959-1966), ajoutée à ses parcours de photographe, de cinéaste et à ses activités d’enseignement et d’édition n’avaient jamais entamé sa passion et sa curiosité. C’est au sortir d’une discussion stimulante embrassant divers sujets, des piliers endommagés du centre Pompidou-Metz à l’anecdote sur l’arrivée à l’écriture de Marc Lévy, ou à l’incursion de la photographie aux Galeries Lafayette, qu’on saisit mieux Peter Knapp. Prolongeant Susan Sontag qui disait qu’« Écrire sur la photographie, c’est écrire sur le monde », on oserait avancer que photographier, c’est être présent au monde. Et que cette présence passionnée doublée d’une acuité et d’un regard critique permanents, si Peter Knapp les doit en partie à sa pratique, il ne cesse de nourrir celle-ci en retour. Rencontre inouïe au premier étage du Café de Flore, à Paris.

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De la couleur au noir et blanc. Ektas 4 X 5 inches couleur, Elle, 1960

Avez-vous été surpris par le choix des œuvres sélectionnées par les commissaires de l’exposition Knapp ça tourne ! ? Ayant enseigné pendant douze ans, j’ai toujours eu le sentiment de recevoir autant que de donner. Revoir mon travail avec des choix ignorant ce que je fais actuellement et remontant jusqu’à quarante ans en arrière est une chose très amusante. Celui qui fait est dans ce qu’il fait et n’a pas souvent de regard sur le passé. Il est toujours dans le présent, avec des doutes, peut-être, mais là où se trouve la tête, se trouve le cœur. Mais c’est aussi lié à mon âge : ayant eu beaucoup d’expositions, j’ai compris que lorsque je décide des œuvres, l’exposition prend toujours un peu le même chemin. Là, comme ce sont des personnes d’une autre génération que la mienne qui choisissent, le chemin est différent et ce décalage me plaît...

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Comment définiriez-vous ce chemin qui est le vôtre ? Je ne travaille pas sur une œuvre et n’ai donc pas l’idée d’une chose précise. J’ai plus le sentiment d’aller d’essais en essais, d’expériences en expériences. L’histoire n’étant pas séparée de nos vies et de notre création, elle amène d’autres outils avec lesquels je travaille. J’avance plus par curiosité que par égo, où alors je vais voir ce que donne mon égo dans le numérique, dans le film, dans le livre, etc. Mais je ne fais pas cela pour mettre un cadre autour, je préfère qu’il n’y ait pas de cadre autour de mon travail... Au départ, j’étais artiste peintre. Ma vie en France a fait que j’ai été plus connu pour mon travail de graphisme que pour ma peinture. Puis, la photographie est arrivée et a été reconnue comme un art. Subitement être un artiste n’était plus uniquement être un peintre, cela désignait aussi le fait de faire des films, des photographies,... Les choses bougent et l’histoire est importante dans nos parcours.

L’exposition vous amène-t-elle à jeter un regard différent sur certains de vos travaux antérieurs ? Pas tellement. Je suis rarement satisfait de ce que je fais dans le temps présent. Il faut que le temps passe pour que j’accepte mon travail. Sur le temps présent il y a toujours un décalage entre l’imagination et le résultat et je n’arrive jamais à faire mieux que ce que j’imagine. Quand les choses ont vécu dans le temps, la comparaison avec le travail des autres m’aide à les accepter. À leur donner une certaine valeur. Est-ce pour cela que vous faites de la photographie, art permettant la captation du temps présent ? Je ne fais pas de la photographie, je fais de l’image. Si je dessine, photographie, filme, mets en page un livre, tout cela relève pour moi de la communication visuelle. Ce n’est pas parce que je sais peindre que je peins,


Ce n'est pas l'outil qui me mène, c'est plutôt l'imaginaire qui me mène à l'outil. parce que je sais photographier que je photographie. C’est parce qu’un ciel bleu est crédible en photo que je le photographie plutôt que de le peindre. Ce n’est pas l’outil qui me mène, c’est plutôt l’imaginaire qui me mène à l’outil. En même temps, le souci d’authentification n’est pas important pour moi et j’aime beaucoup cette phrase de Picasso « Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge ». Le principe de la commande est une tradition dans l’Histoire de l’art. D’évoluer dans un cadre, ça semble vous plaire… Dans le fond, je suis artiste, mais je souffre souvent. Vous savez, récemment, j’ai eu plusieurs expositions personnelles, mais je n’ai quasiment rien fait de nouveau, si ce n’est une ou deux petites choses qui m’ont satisfait. Or, j’ai eu un coup de téléphone d’un PDG de Londres et qui

m’a dit : « Ecoutez, j’ai vu votre exposition à Hyères [à la Tour des Templiers, ndlr], et j’ai découvert que vous faisiez des choses totalement décomposées-recomposées. Moi, je suis Pringle Of Scotland, je fais des pull-overs traditionnels depuis 150 ans. Est-ce que vous voulez bien faire un truc pour moi ? » J’étais absolument ravi ! Il m’a sorti du trou. Je devais regarder des pulls et trouver une idée. Il m’a laissé une liberté totale, et du coup j’ai fait dix images sur commande que je serai capable d’exposer dans une galerie. Avoir un sujet, une date, un format, je trouve ça excitant ! La commande, ça vous sort du doute. Oui, ça vous sort de l’angoisse… Je raconte souvent à mes élèves l’anecdote concernant Jean-Luc Godard et Le Mépris. J’aimerais vraiment croire que c’est vrai... Lorsque Godard a montré Le Mépris à son producteur Carlo Ponti, ce dernier lui aurait dit : « Jean-Luc, ton film est très bien, mais tu ne t’imagines

tout de même que je te paie Brigitte Bardot, sans que tu montres son cul dans ton film ! » Godard rappelle Bardot et lui dit : « Il faut que tu reviennes ! Je dois filmer ton cul dans toutes les couleurs ! » Cette scène ouvre le film, elle est celle qu’on retient. Godard a su réinterpréter la critique et trouver la solution. Il faut être suffisamment libre pour introduire des choses positives, même si la contrainte est imposée.

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Comme si dans l’Histoire chacun n’avait pas un rôle à jouer. Comme si moi, mon rôle, ce n’était pas de m’occuper des nuages. Richard Brautigan, The Tokyo-Montana Express, 1980

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StĂŠphane Louis, White Clouds #4, 2010

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Peter knapp les années galeries

Par emmanuel abela

Peter Knapp a étudié pendant quatre ans à l’école des beaux-arts (Kunstgewerbeschule) de Zurich, dirigée par Johannes Itten, un peintre suisse qui avait enseigné au Bauhaus et s’est rendu célèbre par son ouvrage théorique sur l’art de la couleur, Farbkreis (1961), et sa tentative de rationnaliser celle-ci par une convention de travail, le cercle chromatique. Peter Knapp est inscrit dans la section des arts graphiques, mais suit également des cours de photographie. À la sortie de l’école, il se rend à Paris pour étudier aux BeauxArts, mais n’y reste qu’un temps assez court. Après un passage dans l’atelier de graphisme de Paul Marquet, Peter Knapp rejoint l’équipe des Galeries Lafayette en 1953. « Le directeur m’a nommé chef de l’atelier de la typographie. J’étais responsable de tout ce qui concernait l’écriture aux Galeries, mais je devais également m’occuper de la publicité. Du coup, j’ai amené des photographes de mode, Jeanloup Sieff, Fouli Elia, alors qu’avant ça ne se faisait pas. Les réclames ne se présentaient alors que sous la forme de dessins. Ce que j’ai apporté, c’est la photo et le graphisme construit suisse. » De travailler ainsi sur les affiches et les vitrines pour les Galeries Lafayette constituait pour Peter Knapp l’un de ses rêves secrets, mais il n’imaginait pas qu’on puisse ainsi lui confier si tôt la direction artistique. « Cette confiance était extraordinaire, je n’avais que 22 ans ! C’était l’une des premières entreprises à modifier l’image de marque, en intégrant la rigueur suisse… », s’amuse-t-il à souligner. On place sous sa responsabilité une quinzaine de graphistes, avec lesquels il travaille sur des projets à un rythme soutenu – hebdomadaire –, mais en toute liberté. Le fait qu’il ait signé le logo de la NRF pour Gallimard a sans doute joué en sa faveur, ce qui le conduit à signer le nouveau logo pour les Galeries Lafayette, tout comme il signe celui de Barclay, avant de s’attacher aux quatre lettres du magazine Elle. Le choix de quitter les Galeries Lafayette au bout de cinq années pour prendre la direction artistique de l’hebdomadaire féminin n’est peut-être pas tant lié à la volonté de se consacrer à la presse, contrairement à

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ce qu’on peut supposer. « J’étais attiré par l’image. Je travaillais la typographie parce que c’était ce que j’avais appris à l’école, mais parallèlement je faisais de la peinture, et ce qui m’intéressait c’était l’image. Avec la presse, j’avais la possibilité d’explorer l’image, notamment par la pratique de la photographie.» Le cheminement semble ainsi tracé. De la typographie, Peter Knapp s’oriente vers l’image, et donc vers la photographie, une photographie qu’il met en mouvement, ce qui le conduit au cinéma. « Je crois qu’on ne peut jamais séparer l’histoire de ce qu’on fait. L’histoire vous amène des outils. Si vous êtes curieux, vous essayez ces nouveaux outils pour créer de nouvelles images. C’est comme cela que je n’ai cessé d’avancer. »

Portrait de Peter Knapp, Hommage à Penn, par Fouli Elia, 1961.


L'image dans tous ses états Par Barbara Hybert

Peter Knapp ? Un artiste inclassable et protéiforme à la fois graphiste, peintre, photographe, vidéaste et enseignant ; un touche-à-tout prolifique qui multiplie les expériences artistiques pour renouveler sa pratique et offrir un regard esthétique singulier. De projets en projets, Peter Knapp célèbre les lignes, les couleurs, les formes et le mouvement en insufflant une nouvelle dynamique à ses images. Une exposition significative, une sélection inhabituelle et des coups de cœur décisifs : Peter Knapp laisse ses consignes mais donne carte blanche à Stimultania. Proposant un regard original et inédit sur l’œuvre foisonnante de l’artiste, l’exposition Knapp ça tourne ! évoque sa passion pour l’image et sa fascination pour le mouvement. De l’image fixe à l’image animée, de séquences photographiques aux successions d’images en passant par la vidéo, au fil du parcours, la photographie s’impose comme un art « vivant ». Knapp ça tourne ! ou l’image dans tous ses états, l’image sous toutes ses formes. L’exposition offre diverses approches de l’œuvre de Peter Knapp qui se recoupent en deux thèmes : le cinéma et le mouvement. Objet de recherches et de réflexions, ce dernier est une qualité plastique qui absorbe l’artiste et engendre une expression propre à son regard : la diagonale. Stimulante, constructrice et génératrice de formes et de volumes, cassante et déstructurante, elle évoque et suscite le mouvement. « Les images de Knapp ne représentent pas leur sujet et jouent avec les limites de la pratique photographique tant sur le plan formel que sur le plan de la pensée qui les anime. Ce sont des œuvres qui mènent leur propre vie. Et pour vivre elles s’appuient sur une dynamique propre, parfois glanée, parfois créée mais toujours intentionnelle. » Cadrages exceptionnels, compositions galvanisées, formes expressives et rythme soutenu : tout est soumis au regard de l’artiste. Des images de mode glacées et figées ? Des femmes naturelles, féminines, sensuelles qui bougent, rient et s’animent d’un cliché à un autre. Les images se

Visuel : Peter Knapp. Nicole fait son cinéma, 1966. Publiée dans le Elle France N° 1074 du 21 juillet 1966, dans l’article intitulé « Le Jeu des Transformations » © Collection Musée Nicéphore Niépce. Ville de Chalon-sur-Saône, France

libèrent. Dépassant les contraintes de la photographie, révolutionnant le monde de la mode, Peter Knapp, muni d’une caméra 16 mm, filme les mannequins en courtes séquences, puis en tire ces plans fixes : des photographies pétulantes de mannequins déstatufiés. Knapp ça tourne !, c’est aussi un fabuleux détour dans l’univers du cinéma. Des hommages rendus aux plus grands et des noms qui nous parlent dans l’imaginaire photographique : Charlie Chaplin ou Federico Fellini. Successivement Greta Garbo, Marilyn Monroe ou encore Rita Hayworth, Nicole de Lamargé se métamorphose sous le regard diligent de l’artiste. D’une transformation à une autre, ce corps changeant et vivant éveille la surface des clichés. Captivé par l’image animée, Peter Knapp dépasse la photographie et la remanie. Il nous présente des suites de tirages et des séquences d’images ressemblantes : des mises en scène aux ruptures multiples qui empêchent la lecture immédiate d’une œuvre qui se réalise dans une vision quasi cinématographique troublante. L’exposition

présente aussi les courts-métrages de l’artiste réalisés pour le magazine télévisé Dim Dam Dom. Mêlant graphisme, photographie et peinture, il convoque les caractéristiques de ces trois médiums pour créer des œuvres « cinémato-graphiques » originales et novatrices. Peter Knapp est un artiste qui reste près du concept. Entre photographie et inter vention plastique, impulsion et accident photographique, son œuvre dévoile son intérêt pour une réalité mouvante. Inventif et ingénieux, l’artiste détourne la photographie, en contourne l’objet lui-même, afin d’échapper à ses règles, aux compositions figées, aux pauses captées, à l’instantané et à l’éphémère. Des sujets jusqu’aux rendus formels, son choix s’impose : le mouvement, son pouvoir de suggestion et son dynamisme. Autant d’expérimentations plastiques et visuelles qui donnent lieu à des images décomposées et reconstruites. Révélant une réalité temporelle, nouvelle et humaine, elles insufflent dans l’exposition Knapp ça tourne ! une aura poétique et ouvrent des voies de réflexions.

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variations diagonales Par Héloïse Conesa

Mettre en relation la diagonale avec la figure de Peter Knapp, c’est d’abord évoquer un parcours professionnel et artistique pluridisciplinaire qui l’inscrit tantôt comme graphiste et peintre, tantôt comme photographe et réalisateur.

D’une certaine manière, on pourrait dire que cet artiste protéiforme, en défenseur d’une culture esthétique décloisonnée, a fait sienne la préconisation de Roger Caillois : « Il faut promouvoir les sciences diagonales, cela permet de compenser le découpage parfois dangereusement parcellaire des différents domaines de la recherche par des coupes transversales dans le savoir. »1 La stratégie de l’oblique qu’opère Knapp dans sa pratique touche les arts plastiques et les arts appliqués – autant de domaines pris dans un même regard, attentif à la démarcation de l’espace par la ligne. Le choix de la diagonale correspond à une recherche d’images qui, de leur création à leur agencement fixe ou animé, structurent un espace libéré des normes perspectives et esquissent une spatialité plastique en basculement. Ce qui prédomine dans les images knappiennes, c’est bien la mise en avant de façon privilégiée du « motif » de la diagonale, cette découpe nette du cadre qui permet de déconstruire/reconstruire le réel, ainsi qu’en témoignent certaines photographies réalisées par Knapp en 1983 pour l’Office du tourisme français à Vauxle-Vicomte, dévoilant l’art topiaire en biais du château.

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Formé à Zurich à la Kunstgewerbeschule où enseignèrent entre autres Johannes Itten ou Josef Müller-Brockmann, Peter Knapp est nourri des influences constructivistes du Bauhaus, du Werkbund mais aussi de De Stijl. La diagonale en tant que motif structurant est pour ces mouvements d’avant-garde un leitmotiv. Dès 1926, dans Point et ligne sur plan, Kandinsky propose d’ailleurs de considérer deux types de diagonales : celle qui va du coin inférieur gauche vers le coin supérieur droit, qu’il appelle harmonique, et celle qui remonte du coin inférieur droit vers le coin supérieur gauche, qu’il nomme discordante ou dramatique. Les productions graphiques et photographiques de Peter Knapp, tout en composant un ensemble expressif alternant, pour le graphisme, titrages en diagonale et à l’horizontale et pour la photographie, plongées et contre-plongées en oblique, renouvellent la mise en page et ne vont pas sans rappeler les expérimentations du « typotekt »2 néerlandais Piet Zwart, ainsi qu’en témoignent la couverture du n°13 de la collection des « Livres de la santé » (éditions Rencontre, Lausanne, 19651969).


Les compositions de Knapp synthétisent les diverses tensions obliques, formant régulièrement un A – ce A qui selon Kandinsky toujours, contient les trois lignes majeures, l’horizontale, la verticale et la diagonale – à partir desquelles naît une surface. Dans les dernières pages de son recueil de souvenirs, Robert Doisneau s’interrogeant sur ce qui pour lui, caractériserait une image lisible et par conséquent une photographie réussie, expliquait : « Un jour, comme ça, pour voir, j’ai émis cette hypothèse : une image, pour être lisible, devait avoir la forme d’une lettre de l’alphabet. »3 De toute évidence, Knapp a choisi le A. Le hasard faisant bien les choses, il s’agit de la seule voyelle présente dans le nom du photographe suisse… Chez Knapp : « L’intervention de l’objectif épie la nature de l’image pour découvrir la structure profonde de l’ordre sacré : la géométrie. » 4 En outre, la construction de la sémiologie visuelle passe chez lui par une réflexion sur le graphisme épuré des signes parfois chargés de sacré 5 qui jalonnent notre monde – et notamment toute une symbolique proche de la signalisation routière. En effet, si l’on met en regard les diagonales présentes dans une photographie comme Trace de civilisation, Saint Tropez, 1985 et dans le film 16 mm

Mythe de l’auto, 1967, force est de constater que l’artiste convoque la thématique du signal qui fut également chère aux avantgardes – des peintres comme Léger ou Delaunay, n’hésitant pas à parsemer leurs créations de pictogrammes, témoins majeurs de l’efficacité de la communication moderne. La géométrisation caractérisant ces signaux, à mi-chemin entre l’abstrait et le figuratif, se retrouve dans de nombreuses images de l’artiste qui use fréquemment du motif de la flèche – vecteur d’un nouveau plan visuel – et modélise les notions intuitives de perspective et d’horizon. À ce titre, la poétique des diagonales chez Knapp puise inconsciemment dans les fondements de la géométrie projective mis au jour dès l’Antiquité par Pappus d’Alexandrie dans sa « théorie des transversales ». Ainsi, dans les images de Knapp, la fragmentation des objets donne parfois lieu à des compositions abstraites, qui leur ôtent leur signification réelle pour leur conférer une dimension poétique. De même, par des cadrages surprenants, le rapport d’échelle, lié à la reconnaissance de l’objet, disparaît. Pourtant, si le photographe semble toujours plus ou moins flirter avec l’abstraction géométrique et si certains de ses clichés rappellent parfois ceux des

artistes de la « Concrete Photography »6, le fait que l’artiste suisse emploie différents signes, signaux ou symboles implique qu’il freine toujours la tendance à l’abstrait pur par un complément figuratif. Le jeu de décomposition-recomposition géométrique qu’opère Knapp dans un souci de valorisation de la multiplicité des perceptions et que l’on remarque par exemple dans Le mont Rouge recomposé, Gstaad, 1972, comporte aussi un lien fort avec la retranscription du mouvement. Ainsi, en rendant visible l’organisation du percevoir, Knapp réunit l’image statique et le mouvement. L’artiste, en empruntant à l’esthétique de l’Op art 7 , dans certaines de ses photographies de mode, passe de la captation du mouvement en photo à la manière d’une chronophotographie de Muybridge ou Marey, à l’ère de la projection, à l’ère du film. Si de la grammaire additionnelle des points de vue découle une rythmique – répétitions, espacements, ponctuations, contradictions –, la fragmentation visuelle chez Peter Knapp est proche de ce qu’octroie la partition séquencée de l’image cinématographique. Par ailleurs, avec Dim Dam Dom, il dévoile

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aussi un nouveau tempo géométrique. En effet, la diagonale dans l’image fixe introduit une dynamique spatiale mais dans l’image animée elle induit une cadence, une temporalité. Déjà Viking Eggeling, dans sa Symphonie Diagonale (1924), avait mis en évidence l’élan que peut donner la ligne diagonale à la rythmique cinématographique. En effet, Eggeling orchestrait et développait des formes à partir de la matrice diagonale et à travers ses successions de mariages abstraits amenait à découvrir les principes fondamentaux de l’organisation des intervalles temporels dans le médium filmique. Ce n’est pas le mouvement comme flux durable qui semble fasciner Knapp mais bien plutôt son séquençage, ses intermissions : l’artiste va d’ailleurs jusqu’à objectiver les photogrammes de ses films qu’il présente accrochés et déployés comme des sculptures souples (cf. Totem Image/seconde ou Films-Kakemono). La méthode diagonale de Knapp comporte donc trois temps : d’abord, il réalise son image en veillant à y inclure le plus souvent une représentation oblique, puis, il réunit les divers points de vue en déroulant le film et prend aussi bien soin, enfin, de laisser visible les compartiments de la pellicule qui partagent l’image.

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Ainsi, l’intérêt que porte Peter Knapp à la « diagonale-mouvement »8, aux découpages graphiques, aux montages disparates et aux forts contrastes de noir et blanc, présents notamment dans les génériques de Dim Dam Dom plaide en faveur d’une « ciné-perception du monde », celle que défendait dès 1923, Dziga Vertov : « Je suis le ciné-œil, je suis l’œil mécanique, je suis la machine qui vous montre le monde comme elle seule peut le voir. »9 Baptisé « l’œil » par Annie Le Brun, Peter Knapp est « un œil qui marche, qui bondit, qui saute, qui se renverse, qui s’écarquille, qui se penche, qui respire, qui avance, qui court, qui aime, qui glisse, qui accélère, qui s’expose, qui s’affiche, qui attend. […] C’est un œil, un œil nu, brutal, subtil, un œil sans rien autour. »10 Dans cette définition métonymique du photographe, la démarche d’objectivation est évidente mais sans doute cela participe-t-il aussi d’une astuce diagonale !

Si Peter Knapp est un photographe de la diagonale, il apparaît également qu’à travers son regard certains de ses modèles personnifient le concept même de diagonale. Ainsi, lorsque le travail de Knapp touche aux figures marquantes du cinéma, sa démarche emprunte une fois de plus certains détours. Car si le photographe a bel et bien photographié de célèbres actrices du 7ème art à l’instar de Audrey Hepburn, il s’est aussi et surtout amusé à prendre des chemins biaisés par rapport à ses icônes. Par exemple, lors d’une séance de photographie de mode, il glorifie Nicole de Lamargé qui, tout en s’incarnant successivement en Louise Brooks, Greta Garbo, Marylin Monroe… devient le modèle-diagonale par excellence – Protée qui traverse les représentations et les temporalités. La mise en abyme des images permet alors de revisiter l’imaginaire fétichiste des portraits de stars.


Symbole de cette synergie diagonale entre le photographe et son modèle, une image : La main de Gilberte, 1975. Pour cette œuvre, Peter Knapp a expliqué avoir voulu faire le portrait d’une voisine à la campagne, et lorsque celle-ci a refusé et dissimulé son visage, l’artiste a choisi de la figurer en photographiant en gros plan la paume de sa main ouverte. Ainsi, Knapp, à l’identification évidente d’un être à ses traits, préfère représenter une main striée de lignes, marquées par le brou de noix où se déchiffre le palimpseste d’une vie. Pour Knapp, la traversée de la vie semble

donc aussi marquée par les traces que l’on laisse et dont la photographie est l’indice parfait. C’est ce que dénotent d’autres images du photographe comme les traces de ski dans la neige à Davos (1983 et 1984) ou les aéroglyphes (1986), qui ne sont pas sans évoquer la photographie de Man Ray Elevage de poussière 11 (1920) renvoyant autant aux courbes du Grand Verre de Duchamp qu’au passage du temps. Ainsi, la coupure géométrique du réel qu’induit la diagonale a aussi chez Peter Knapp un double dans la ligne sinueuse et toutes deux ouvrent vers l’imaginaire.

1 - Introduction au premier numéro de la revue Diogène 2 - « Typotekt » : condensé sémantique d’architecte et de typographe. Expression de Piet Zwart lui-même 3 - Robert Doisneau, A l’imparfait de l’objectif, souvenirs et portraits, Paris, éd. Babel, Actes Sud, mars 2001, p.176. 4 - André Vladimir Heiz, « Révélation de l’image » in cat. Peter Knapp, Paris Art Center, 1986, p.165. 5 - Sur le caractère sacré des signes, voir ce que dit Peter Knapp lui-même : « Cette phrase de Mies Van der Rohe, ‘‘moins c’est plus’’ et une tendance innée à la simplification vers l’absolu me font sentir une auto-censure que j’exerce sur tous mes travaux. C’est aussi sans doute le pôle positif de mon travail qui se groupe dans une certaine thématique et selon un rythme qui peut rappeler les rites différents dans une même religion. », in cat. Peter Knapp, Paris Art Center, 1986, p.120. 6 - Voir Gottfried Jäger, Concrete Photography, Kerber Verlag, Bielefeld, 2005 7 - Voir la série de photographies en noir et blanc Collection Courrèges, et ce qu’en dit Peter Knapp : « Dans les années 60, le mouvement en photo de mode était la grande nouveauté : on sautait, on courait, in dansait (…) Comme beaucoup d’autres, j’ai été fasciné par la répétition et la décomposition des mouvements. J’avais envie de montrer la planche de contacts entière comme résultat. J’y retrouvais une sorte de géométrie lyrique, très compréhensible au moment de l’Op Art. » in cat. Peter Knapp, Paris Art Center, 1986, p.140-141. 8 - Terme emprunté à Laurent Gervereau dans son chapitre : « Des diagonales-brisures à la diagonale-mouvement », Histoire du visuel au XXème siècle, Paris, éd. Seuil, coll.Points Histoire, 2003, p. 202. 9 - Dziga Vertov in revue LEF, 1923. 10 - Annie Le Brun, A la recherche du temps visible, in cat. Peter Knapp, Paris Art Center, 1986, p.8. 11 - Photographie d’abord intitulée : Vue prise en aéroplane

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PETER

KNAPP par ses Par caroline châtelet

alentours Parler de Peter Knapp de manière fragmentaire, par ce que la découverte de son travail suscite, ni plus, ni moins. Comme un parcours, doublé d’une invitation lancée à chacun de réaliser le sien propre.

Légitimité augmentée Je ne suis ni une spécialiste, ni une théoricienne de la photographie et lorsque j’aborde ce champ, c’est par ma pratique de critique dramatique. Cela peut donner lieu à des remarques naïves, essentiellement fondées sur des mises en perspective avec les usages et fonctionnements du théâtre. Ainsi du constat de la porosité entre industrie et production artistique dans la photographie. Car qu’on cite Richard Avedon, Jean-Paul Goude, Irving Penn, Juergen Teller ou Peter Knapp, tous ont exercé une activité photographique multiple. Relevant autant du travail de commande – fonctionnel – que de la production personnelle – artistique –, leur implication conjointe dans ces domaines n’a jamais entaché leur légitimité. Bien au contraire, puisque c’est souvent la reconnaissance acquise dans la photo de commande et sa large diffusion qui permet à un photographe de présenter son travail personnel. Cette non-découverte, évidence pour la photographie relèverait d’une hérésie dans le spectacle vivant. Pour tenter une transposition, si le metteur en scène Jean-Michel Ribes signe la réalisation de clips publicitaires, sa réponse à des commandes ne touche pas au théâtre mais au cinéma. Explicable en

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partie par son histoire – « ce n’est qu’avec son industrialisation que la photographie s’est épanouie en tant qu’art » (Susan Sontag) –, cette porosité est présente également au cinéma. Mais pour des raisons financières elle ne produit absolument pas les mêmes effets. Le coût de production d’un film et le nombre d’intervenants impliqués exerce une pression dont est dispensée le photographe. Ainsi, là où l’industrie cinématographique phagocyte la création, l’industrie photographique peut, dans certains cas du moins, la stimuler... Abstraction narrative « La tentation géométrique est omniprésente dans son œuvre. Elle est significative, chez Peter Knapp, d’un esprit qui tire un plaisir constant à conceptualiser de la réalité. », Christophe Duvivier. Feuilletant le catalogue Peter Knapp, Géométries, je tombe sur deux photographies

“décomposées-recomposées”. Ce qu’on y voit initialement sont des images juxtaposées, vision tranchante d’angles aux teintes bleues-grises métalliques. Mais ce qui me saisit, me “raconte” ces photographies c’est leur titre : Il a neigé sur les halles de Dole. À l’abstraction de l’image répond toute la poésie et le réalisme prosaïque du titre. D’un coup l’imaginaire s’ouvre et derrière l’apparente austérité formelle, oui, je suis bien en train de regarder la neige tomber sur les halles de Dole. Je songe alors à Roland Barthes pour qui « la photographie est contingence pure et ne peut être que cela (...) contrairement au texte qui, par l’action soudaine d’un seul mot, peut faire passer une phrase de la description à la réflexion ». Se révèle alors toute l’ambiguïté de cette phrase, puisqu’ici c’est le texte qui me révèle par sa description la contingence de l’image...


La puissance de l'invisible Lors d’un entretien avec Emmanuel Abela, Peter Knapp explique que le travail graphique ne se voit « que quand l’information ou le visuel est faible. (…) Je cherche à rendre [la] mise en page entièrement fonctionnelle. » Drôle de hasard, je lis ces lignes juste après une discussion avec une critique et dramaturge m’expliquant que la dramaturgie au théâtre ne doit pas “se voir”. Étant partie constitutive du théâtre, l’extraire volontairement de la représentation théâtrale est une erreur, en ce qu’elle annule immédiatement ses effets. Peut-être est-ce là le point commun possible entre tous les travaux artistiques : aussi nombreux soient les corps de métier réunis pour leur réalisation, ils ne touchent à leur but que lorsque tous les éléments se mêlent harmonieusement. Dès qu’une sur-représentation de l’un apparaît, elle révèle en creux l’absence de cohérence de l’ensemble et en brouille la réception.

Nous confondons théâtre politique et théâtre militant. Le savoir ne saurait être l’objet délibéré de l’art, et, à ce titre, aucune forme de morale, qu’elle soit politique ou autre. C’est pourquoi l’efficacité du travail artistique n’est probablement pas dans une démarche politique directe, parce que les œuvres d’art ne s’adressent pas à la pensée mais à l’esprit. Le théâtre ne trouve probablement pas sa meilleure adresse lorsqu’il est au service de l’intelligence mais lorsqu’il est au plus près de l’instinct. » Et si le sujet est ici le théâtre, il pourrait tout aussi bien être question de photographie...

Le message de l'image

« La photographie appartient à cette classe d’objets feuilletés dont on ne peut séparer les deux feuillets sans les détruire : la vitre et le paysage (…), le désir et son objet », Roland Barthes.

« Si Peter Knapp n’a pas de “message”, comment se fait-il que ses photos en ont un ? Bien qu’il ne soit pas un artiste engagé et qu’il n’ait pas de discours construit pour expliquer sa démarche, ses projets photographiques, eux, semblent toujours prendre position. » Là où Véronique Vienne s’interroge sur l’apparente absence de « message » chez Peter Knapp il m’apparaît, au contraire, que c’est ce qui permet l’existence artistique de son travail. Je reprends volontiers les mots de la critique Diane Scott : « (…)

Le divorce de la réalité « Une photographie, quelle qu’elle soit, semble entretenir avec la réalité visible une relation plus innocente, et donc plus exacte, que les autres objets mimétiques », Susan Sontag.

La révolution enclenchée par l’arrivée du numérique a rendu ces deux affirmations invalides, la recréation à l’infini des images par la technologie corrompant l’innocente relation de la photographie à la réalité. On peut désormais séparer les “deux feuillets” que sont l’objet et son désir. Mieux, puisque le désir dépasse son

propre objet, s’en arrache pour l’inventer à l’envi, acquérant une existence autonome. D’image statique, la photographie devient une forme de fiction en mouvement, œuvre collective – qui signe dans ce cas l’image ? – émancipée de son origine. Nous voilà, peutêtre, à l’aube d’un nouveau “marché des images de remplacement” annoncé par le critique de cinéma Serge Daney. Avènement d’une société dans laquelle le visuel se substitue à l’image de l’autre, celui qu’on ne veut plus voir, pour mieux nous cacher l’état du monde… Bibliographie Roland Barthes, La Chambre claire, éd. Cahiers du cinéma, Gallimard, Seuil, 1980 Susan Sontag, Sur la photographie, éd. Christian Bourgois, 1982 Serge Daney - Itinéraire d’un ciné-fils, entretien avec Régis Debray, film de Pierre-André Boutang, Dominique Rabourdin, 1992 Un théâtre comme viande, Diane Scott, article paru dans la revue Frictions, n°8, printemps-été 2005 Peter Knapp - sur le fil du film, Textes de François Cheval, Eric Léon et Véronique Vienne, catalogue d’exposition, 2009 Peter Knapp, L’élégance du regard, Emmanuel Abela, article paru dans Zut ! #3, 2009 Peter Knapp : Géométries, par Christophe Duvivier, catalogue d’exposition, 2010

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Arthénon & Novo remercient

le Groupe UPM pour son précieux soutien.

Ce hors-série a été imprimé sur papier UPM Finesse Silk.

www.novomag.fr


INFOs PRATIQUES

KNAPP ÇA TOURNE ! 21 JANVIER — 3 AVRIL 2011 — Vendredi 21 janvier à 18:00 VERNISSAGE + VISITE GUIDÉE Vernissage de l’exposition et visite guidée en présence de Peter Knapp. Entrée libre — Samedi 22 janvier à 11:00 BRUNCH-DÉBAT Rencontre et échanges avec Peter Knapp, Wouter van der Veen, Éric Laniol, Emmanuel Abela et Isabelle Pantic, déléguée régionale d’Ina Grand Est. Café, croissants, brioches et rencontre avec le public. Entrée libre — Samedi 22 janvier à 15:00 ÉMISSION RADIO FLUX4 Emmanuel Abela, rédacteur en chef de la radio flux4, propose une émission radio dédiée à Peter Knapp. Enregistrement en direct de Stimultania. Places limitées. Entrée libre — Vendredi 28 janvier à 20:00 ZOOM OUT ! DÉAMBULATION IMPROVISÉE Au milieu des images, les comédiens et musiciens de la compagnie du Théâtre de l’Oignon apportent leur point de vue et questionnent celui du visiteur autour de l’exposition de Peter Knapp. PAF 5 euros

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— Samedi 12 février à 15:00 PROJECTION + RENCONTRE Vidéo Les Beaux Jours présente le cinéma expérimental de Peter Knapp (Temps de Pose, Métaphores pour une calligraphie, Négatif/Positif, Faces et fesses, Les Filles de Loth, L’Infini et le ciel…) à l’Auditorium des Musées de la Ville de Strasbourg (MAMCS). Une rencontre avec Peter Knapp suivra la projection. Entrée 4,50 euros / 6 euros — Mercredi 30 mars INTERVENTION DE PETER KNAPP À L’ÉSAD L’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg accueille Peter Knapp : graphiste avant-gardiste, directeur artistique reconnu, photographe expérimental, vidéaste audacieux, Peter Knapp revient sur son parcours et ses pratiques. Entrée libre — Jeudi 31 mars FINISSAGE Visite guidée et cocktail avec les Galeries Lafayette (Pour les 30 premiers inscrits au +33 (0)3 88 23 63 11) — Au mois de mars CONFÉRENCE AUTOUR DE L’EXPOSITION Par Éric Laniol, plasticien, Maître de conférences à l’Université Marc Bloch de Strasbourg et Docteur en Arts. Entrée libre

— Au mois de mars RENCONTRE À LA LIBRAIRIE KLÉBER Entrée libre information à venir sur www.librairie-kleber.com

STIMULTANIA 33, rue Kageneck 67000 Strasbourg +33 (0)3 88 23 63 11 stimultania@stimultania.org www.stimultania.org Entrée libre du mercredi au dimanche de 15:30 à 18:30 Accès : à 5 min à pied de la gare de Strasbourg • En tram lignes A/D arrêt Ancienne Synagogue les Halles ou Gare centrale, lignes C/B arrêt Alt Winmärik • En voiture – en provenance de Paris : sortie n° 51 Strasbourg centre, suivre Gare centrale – en provenance de Colmar : sortie n°2 Place des Halles, suivre Gare centrale – parking : Sainte Aurélie ou rue Kageneck Crédit : Peter Knapp. Nicole fait son cinéma, 1966. Publiée dans le Elle France N° 1074 du 21 juillet 1966, dans l'article intitulé « Le Jeu des Transformations » © Collection Musée Nicéphore Niépce. Ville de Chalon-sur-Saône, France




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