Par Claire Tourdot — Photo : Pierre Grosbois
To be continued
À l’heure où la télévision tend à détourner le public des théâtres, Mathieu Bauer décrypte les codes des meilleures séries télévisées américaines au service d’une forme théâtrale inédite. Découverte de la première saison d’Une Faille, entre réflexions sociologiques et intrigues affectives.
Qui n’a jamais été tenu en haleine à la fin d’un épisode clé d’une série ou éprouvé un sentiment de frustration après l’arrêt total du programme en question ? Poursuivant un travail de décloisonnement des arts, Mathieu Bauer n’a pas résisté à la tentation de confronter deux genres à la compatibilité étonnante : « Il y a là un nouveau mode de narration assez jubilatoire et le plaisir de pouvoir développer une histoire ainsi que ses personnages sur plusieurs saisons ». Avec Une Faille, il ose un audacieux feuilleton théâtral qu’il ancre dans le territoire social et politique du Nouveau Théâtre de Montreuil dont il est à la tête depuis 2011. L’intrigue est simple : un immeuble construit en dépit du bon sens s’écroule sur une maison de retraite. Il y a des morts, des blessés, mais surtout des survivants ensevelis sous les décombres. Cinq protagonistes se voient forcés de cohabiter dans l’insécurité en attendant l’intervention des secours. Un huis clos du monde d’en dessous qui fait écho à celui d’en dessus grâce à une esthétique cinématographique transposée à la scène. Projections vidéo, musique, hors champs, cadrages, plans rapprochés, etc., sont astucieusement mis en pratique pour une multiplication des lieux et perspectives. Le rythme soutenu et resserré établi par une équipe de scénaristes issus du monde de l’audiovisuel ne laisse aucune place à l’ennui, et
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c’est sans culpabilité qu’on s’engloutit d’une seule traite une saison entière de cette addictive production. Inspirations premières de l’aficionado, The Wire, Les Sopranos et Six Feet Under trônent au sommet du panthéon des séries favorites du metteur en scène : « Le divertissement y rejoint un tableau social et politique qui fait l’état de notre société actuelle. Tout comme l’intrigue de The Wire peut être transposée à n’importe quelle ville en récession, Une Faille concentre des thèmes universels comme la question du logement et du vivre ensemble ». Des pistes à la connotation politique stimulées par l’écriture de la sociologue Sophie Maurer : dialogues et répliques incisives mettent en place une pluralité des discours à l’image de la complexité des relations humaines. Commentant les péripéties qui s’enchaînent au fil des huit épisodes de cette première saison, les contre-points lyriques d’un « chœur de citoyens » – composé d’amateurs sélectionnés selon les lieux de représentation – rappellent que nous sommes ici avant tout au théâtre, face à une contemporanéité se jouant des frontières fictionnelles. À Strasbourg, l’ancrage social est d’autant plus fort que la pièce adapte son propos au contexte strasbourgeois et à la réalité de ses quartiers. On retient d’ores et déjà notre souffle en attendant la deuxième saison de cet haletant ovni théâtral... UNE FAILLE. SAISON 1 : HAUT-BAS-FRAGILE, pièce de théâtre du 4 au 12 avril au Théâtre National de Strasbourg. www.tns.fr