NOVO N°24

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LES MOTS SONT DES FLEURS DE NÉANT. JE T’AIME, théâtre, du 14 au 23 mai au théâtre de la Manufacture, à Nancy www.theatre-manufacture.fr

Traversée en solitaire pAR Benjamin Bottemer

PHOTO Christian Terrade

Dans Les mots sont des fleurs de néant. Je t’aime, Luc-Antoine Diquéro transpose la désespérance, la poésie et l’humour féroce de Richard Brautigan, auteur oublié de la beat generation, confronté à la fin de sa vie aux démons de son existence et de son écriture. Richard Brautigan est lié à la Beat Generation de par sa proximité avec certains de ses acteurs, notamment à San Francisco où il s’installe en 1956. Mais son premier « écrit » (terme dont il qualifie la totalité de ses œuvres) sera publié sur le tard, en 1964 : Un général sudiste de Big Sur, et surtout La pêche à la truite en Amérique, suivi de Sucre de pastèque lui feront connaître un succès foudroyant, qui se dissipera rapidement. La dépression et l’alcoolisme lui conféreront dès lors un statut de poète maudit et solitaire. « Brautigan est, par rapport à la Beat Generation, un auteur à part, un farfelu un peu mis de côté par des auteurs comme Burroughs ou Ginsberg » explique LucAntoine Diquéro. Lecteur assidu de Brautigan, le metteur en scène s’est longuement interrogé sur le choix du texte à adapter : « J’ai fini par choisir son dernier écrit, Cahier d’un retour de Troie. Dans cette œuvre écrite dans une période de confusion absolue, j’ai retrouvé la substantifique moelle de Brautigan : sa générosité, son désespoir associé à une ironie féroce, le roman et le haïku. » Selon la définition de son auteur, Cahier d’un retour de Troie est une « carte-calendrier », journal rédigé entre janvier et juillet 1982. S’y télescopent passé et présent, sa difficulté à écrire, le fantôme d’une femme suicidée dans son appartement, la perte d’une amie très proche et le spectre de sa propre mort. Deux ans après son écriture, Brautigan mettra fin à ses jours d’une balle dans la tête.

Seul sur scène, Luc-Antoine Diquéro souhaitait mettre en valeur le texte dans un dénuement presque total, seulement traversé par quelques objets, essentiellement habillé par « la présence décisive » de la lumière de Jean-Marc Skatchko et de la composition musicale de Marc Delhaye. L’œuvre ultime de l’auteur, faite d’allers et retours incessants dans sa vie, a offert à Luc-Antoine Diquéro l’occasion d’adapter sur scène le parcours d’un humain dans la

création : ses difficultés, ses choix, du doute à l’exaltation. « J’ai voulu montrer que la notion de fin y est centrale mais pas lourde, décrit-il. Brautigan est un auteur avec un humour et un imaginaire incroyable, capable de passer de la perte d’un être cher à un délire totalement cartoonesque. La mort y est prégnante, mais le texte parle essentiellement de la vie, et c’est là la grande qualité de Brautigan. » i

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