NOVO N°11

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numĂŠro 11

11.2010

gratuit


que, è h t o t r ’A l e d e r v u Œ t(s) n e m e t r a p p a e h c r e h c bre du 20 novem Disponible à par tir Neudorf à la Médiathèque de

L’Artothèque de Strasbourg ouvre ses portes le 20 novembre. Avec votre carte PASS’relle, au tarif multimédia, empruntez une œuvre d’art pour une durée d’un mois.

Emplacement de l’Artothèque : Médiathèque de Neudorf 1 place du Marché - 67100 Strasbourg

Téléphone : 03 88 41 45 00 www.mediatheques-cus.fr www.strasbourg.eu

Ailépouvantail langues - © Sylvie Villaume - 2009 - Artothèque-Médiathèque de Neudorf, Services des médiathèques de la Ville de Strasbourg - Avec le soutien de Suez environnement - Photo : © Benoît Linder

ons Acti ulture La coyenne cit


ours

sommaire numéro 11

11.2010

Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight

Édito

Ont participé à ce numéro :

L’actu culturelle du Grand Est à vive allure 8 La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer 12 Une balade d’art contemporain : exposition The Idea of Africa (Re-Invented) #1 à Berne 28

REDACTEURS Cécile Becker, E.P Blondeau, Olivier Bombarda, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Baptiste Cogitore, Sylvia Dubost, Nathalie Eberhardt, Virginie Joalland, Kim, Nicolas Léger, Guillaume Malvoisin, Stéphanie Munier, Adeline Pasteur, Marcel Ramirez, Matthieu Remy, Catherine Schickel, Christophe Sedierta, Fabien Texier, Fabien Velasquez. PHOTOGRAPHES Eric Antoine, Vincent Arbelet, Pascal Bastien, Anémone de Blicquy, Stephen Dock, Marie Flizot, Stéphane Louis, Arno Paul, Olivier Roller, Christophe Urbain, Nicolas Waltefaugle. CONTRIBUTEURS Joerg Bader, Bearboz, Catherine Bizern, Dupuy-Berberian, Ludmilla Cerveny, Guy Pierre Couleau, Manuel Daull, Christophe Fourvel, Grégory Jérôme, Sophie Kaplan, Christophe Meyer, Henri Morgan, Nicopirate, Nicolas Querci, Julien Rubiloni, Tino Sehgal, Denis Scheubel, Peter Sloterdijk, Vincent Vanoli, Henri Walliser, Sandrine Wymann. PHOTO DE COUVERTURE Alice Schneider par Ludmilla Cerveny www.ludmillacerveny.com Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com, mots-et-sons.com et flux4.eu Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias u 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr

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FOCUS

RENCONTRES Neil Hannon, Antoine De Caunes, Jeffrey Lewis, Philippe Poirier, Otar Iosseliani et Yves Ravey 31

le carnet de novo Novo ouvre ses colonnes à des interventions régulières ou ponctuelles Cinérama / 5, par Olivier Bombarda 44 Le monde est un seul / 10 : Beuverie(s), par Christophe Fourvel 45 Chronique de mes collines : Manga Kamishibai, du théâtre de papier à la BD japonaise, par Henri Morgan 46 Songs To Learn and Sing : Unfinished business de Au Pairs, par Vincent Vanoli 47 Tout contre la BD, par Fabien Texier 48 Sur la crête, par Henri Walliser et Denis Scheubel 49 Pas d’amour sans cinéma / 2 : L'homme est le capitaine, par Catherine Bizern 50 La stylistique des hits : La paronomase, par Matthieu Remy et Dupuy-Berberian 51 L'acte pour l'art / 1 : Tino Sehgal à l'Aubette 1928 52 Modernons : Les vaches sucrées, par Nicolas Querci 53 Under Destruction, par Sophie Kaplan 54 Bicéphale / 2, Grand ouvert, par Julien Rubiloni et Ludmilla Cerveny 55 Marge de manœuvre, par Guy Pierre Couleau 56 AK 47, Rien, par Fabien Texier 57 Mes égarements du cœur et de l'esprit, égarement #100, par Nicopirate 58

IMPRIMEUR Estimprim ~ PubliVal Conseils

MAGAZINE

Dépôt légal : novembre 2010 ISSN : 1969-9514 u © NOVO 2010 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés.

Nouveau départ pour l'art contemporain à Strasbourg 60 Apollonia participe à la rénovation urbaine à Strasbourg 63 Christian Boltanski sait que toute trace ne permet pas de survivre 64 Le festival GéNéRiQ devient TGV GéNéRiQ 68 Florent Marchet sans compromis ni prétention 70 Pierrick Sorrin, le théâtre ne l'intéresse pas plus que ça… 72 Festival Premiers Actes : carnet de bord 74 EntreVues / Entre nous 77 EntreVues / L'âge du scandale 78 EntreVues / Abel Ferrara, so wild ? 80 EntreVues / Le cinéma africain, une communauté de regards 82 EntreVues / Kira Mouratova, le souci du détail 84 EntreVues / Esprit corsaire 86 EntreVues / La vie au ranch, cinéma réalité 88 EntreVues / Pic Pic André, haute fidélité 90

ABONNEMENT www.novomag.fr novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros u 40 euros 12 numéros u 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai, bibliothèques et librairies des principales villes du Grand Est.

selecta Disques, BD, livres et DVD 93

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MUSIQUE / FRANCE

ROSA LA ROUGE DE CLAIRE DITERZI MISE EN SCÈNE MARCIAL DI FONZO BO

www.le-maillon.com | 03 88 27 61 81

Photo © Michal Batory

VEN 26 + SAM 27 NOVEMBRE / 20H30 MAILLON-WACKEN


édito par philippe schweyer

ACCIDENT DE PERSONNE

Keith Richards venait de se faire un shoot dans les toilettes d’un avion quand mon train s’est immobilisé en rase campagne. J’ai reposé le livre. Après quelques minutes de silence, le contrôleur a annoncé que nous étions arrêtés en raison d’un “accident de personne”. Mon voisin n’a pas tardé à râler : - Encore ! Il y a vraiment des personnes qui n’ont rien d’autre à foutre ! Même si j’étais moi-même passablement irrité, j’ai trouvé qu’il y allait un peu fort. À travers la vitre, je devinais les montagnes au loin. J’ai repensé aux photos frontales de Richard Petit exposées à La Chambre. J’aurais voulu avoir d’assez bons yeux pour distinguer des traces de présence humaine le long des sommets enneigés, mais je ne voyais que du blanc. Maintenant, les gendarmes quadrillaient les abords de la voie munis de petits sacs en plastique. - Il y a vraiment des salauds ! Pour une fois qu’il n’y a pas de grève… Alors qu’à force d’écarquiller les yeux j’avais fini par discerner une strie sombre, peut-être un téléphérique, je me suis souvenu d’un texte de Gaston Rébuffat louant l’amitié entre compagnons de cordée. Rivé à mon siège, j’aurais donné cher pour avoir un ami à mes côtés. Une heure plus tard, quand la nuit s’est mise à tomber, les montagnes se sont effacées d’un coup. J’ai tenté de me changer les idées en me replongeant dans la bio déjantée de Keith Richards, mais mon voisin monopolisait l’attention de tout le wagon en pérorant dans son téléphone : - Devine quoi, il y a encore un connard qui s’est suicidé ! Si, j’te jure… Il voulait bien se rendre au cimetière à la Toussaint, mais il ne supportait pas qu’on lui fasse perdre une journée de boulot. Le travail c’était sacré… Le business n’attendait pas… Si ça continuait, il allait finir par s’installer en Chine pour ne plus être emmerdé. Finalement, le train est reparti. Le lendemain matin, j’ai repéré un entrefilet dans le journal. Trois petites lignes. Une femme sous un train… trois heures de retard… le geste d’une désespérée. J’ai songé que ce serait une bonne idée d’écrire un livre sur cette inconnue, de remonter le cours de sa vie en recueillant les témoignages de ceux qui l’avaient peut-être aimée. Plus tard, en arrivant à la gare, j’ai trouvé le hall désert. Tout était étrangement calme. Même les pilotes des engins de nettoyage, solidaires autant que possible avec les grévistes, semblaient tourner au ralenti. Mon train avait disparu dans le néant, mais l’heure de la retraite n’était pas prête de sonner. Dehors, les montagnes étaient toujours là. Les manifestants aussi. La vie repartait de plus belle…

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A LA FILATURE SCENE NATIONALE – MULHOUSE théâtre / première française vendredi 12, samedi 13 novembre

SCHONE BLUMEN

de et par Arne Sierens

théâtre / jeudi 18, vendredi 19 novembre

PENELOPE O PENELOPE

de et par Simon Abkarian

danse — performance / au Musée des Beaux-arts de Mulhouse du jeudi 18 au samedi 20 novembre samedi 11, dimanche 12 décembre

VISITE DANSEE

Aurélie Gandit

théâtre / du mardi 23 au samedi 27 novembre

LE TRIOMPHE DE L’AMOUR de Marivaux – Jacques Osinski

arts du cirque / du jeudi 25 au samedi 27 novembre

SEMIANYKI (La Famille)

Teatr Licedei

danse / mardi 30 novembre / mercredi 1er décembre

LA VERITE 25 X PAR SECONDE

Frédéric Flamand, Ai Weiwei, Ballet National de Marseille

et aussi en décembre... arts du cirque / les 3, 7, 8, 9, 11, 14, 15 et 16 décembre

SECRET

Cirque ici – Johann Le Guillerm


l’écriture de théâtre sur le devant de la scène soirées présentées par Laure Werckmann et Cyril Pointurier, artistes associés aux Taps en présence des auteurs : Simon Jallade (Hangar n˚7) Nicole Sigal (Man-Man) Jacques Brücher (Tonto, un peu plus tôt)

Taps Gare en novembre du jeu. 25 au sam. 27 à 20h30

info. 03 88 34 10 36 ou www.taps.strasbourg.eu

Photo Raoul Gilibert, conception graphique Polo

Actuelles XI


focus

1 ~ LA REVUE DE LA BNU Parution du N°2 de la Revue de la BNU avec un dossier “Egypte-Europe, allers-retours” richement illustré. www.bnu.fr 2 ~ HTP40 Le projet htp40 lancé à l’occasion des quarante ans du quartier de Hautepierre à Strasbourg donne lieu à une expo du 10 au 20/12. www.htp40. 3 ~ LA VITRINE Ouverture le 24/11 de la VitrineOld School, une boutique culturelle pas comme les autres où sera peut-être en vente le superbe album de Roméo & Sarah. 53 av. Kennedy à Mulhouse. 4 ~ AU FOND DES IMAGES Rencontre avec Jean-Luc Nancy le 2/12 à 10 h 30 au Quai à Mulhouse. www.lequai.fr 5 ~ SUPERSOUNDS Session d’automne du festival organisé par Hiéro Colmar. Des concerts, des conférences et deux expos de Richard Bellia. Jusqu’au 20/11. www.hiero.fr 6 ~ MATHIEU WERNERT Expo du 24/11 au 12/12 à l’Illiade à Illkirch-Graffenstaden. www.illiade.com

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7 ~ Chronométrages Expo de Cécile Holveck et Laurent Bechtel. Jusqu’au 5/12 à Schaufenster, vitrine dédiée à l’art contemporain, 19 quai des pêcheurs à Sélestat. www.schaufenster.fr 8 ~ HISTOIRE(S) DU THEATRE Pierre Diependaële explore quelques histoire(s) du théâtre fondatrices avec la complicité de quatre acteurs et les interventions de deux musiciens et d’un régisseur. Création du 16 au 21/11 au Taps Scala à Strasbourg puis reprise du 25 au 30/11 au Théâtre du Marché aux Grains à Bouxwiller. www.taps.strasbourg.eu

11 ~ HORS-CHAMPS Ouverture à Mulhouse de la galerie Hors-Champs à l’initiative de Laurent Weigel. Quatre expositions seront programmées chaque année en partenariat avec La Chambre à Strasbourg. C’est ainsi que la galerie accueille les photographies de Vincent Hanrion jusqu’au 21/11. 16 rue Schlumberger à Mulhouse. www.horschamps.fr 12 ~ AFTER ST-ART Après le vernissage de St-art, la soirée se poursuit dans les ateliers d’artistes de la Ville de Strasbourg. Ateliers ouverts, performances, projections, mixes et surprises... Le 25/11 à partir de 21h au Bastion 14. www.accelerateurdeparticules.net

9 ~ IMMOBILIS Expo de Clark et Pougnaud, deux artistes qui mettent en scène des personnages dans des décors théâtralisés. A la galerie de la Filature à Mulhouse du 16/11 au 13/2. www.lafilature.org

13 ~ Mitsuo Shiraishi Le Lézard à Colmar accueille les Peintures de Mitsuo Shiraishi jusqu’au 22/12. La Galerie Bucciali expose dans le même temps ses œuvres sur papier. www.lezard.org

10 ~ ARCHITECTURES TRANSFRONTALIERES Expo dans le cadre d’Utopies & Innovations jusqu’au 30/12. Visites guidées par Frédéric Duvinage, directeur de l’Eurodistrict Trinational de Bâle les 13 et 21/11 et les 4 et 19/12. Conférences les 26/11, 2/12 et 8/12. Espace d’art contemporain Fernet-Branca à Saint-Louis.

14 ~ CROCODILES Le groupe fête la sortie de son album chez Herzfeld à la boutique 10 rue Ste Hélène à Strasbourg le 19/11. www.hrzfld.com

15 ~ LA VARIÉTÉ FRANÇAISE EST UN MONSTRE GLUANT Cette conférence-dansée explore le caractère fascinant, exaltant et parfois déplorable de la variété française. Le texte de Matthieu Remy lu par Galaad Le Goaster accompagne les actions dansées d’Aurélie Gandit. Et vice et versa. Le 24/11 à Sarreguemines, le 25/1 au Théâtre du Saulcy à Metz, le 9/4 à La Menuiserie à Mancieulles (54), les 11 et 12/6 au Carreau - Forbach (57). www.cie-labreche.com 16 ~ DE GRÉ OU DE FORCE Après « Un exil intérieur », le CG57 propose « De gré ou de force : l’expulsion des mosellans 1940-1945 », une nouvelle exposition à voir jusqu’au 31/5 aux Archives de la Moselle à Saint-Julien-lès-Metz. www.archives57.fr 17 ~ NIKI « Les boîtes à secrets de Niki ». Exposition-jeu pour découvrir la vie et les œuvres de Niki de Saint Phalle au Musée de la Faïence à Sarreguemines jusqu’au23/1. 18 ~ DéCOTHèQUE Trafic temporaire de bibelots entre Besançon et Berlin. http://decotheque.eu


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19 ~ PANDABOLD Expo “Tournée d’adieu” à la galerie Toutouchic 23 ter rue de la Haye à Metz jusqu’au 17/11. www.letoutouchic.com 20 ~ PROJ(ECT) Le festival de nouvelles images PROJ(ECT) fête ses cinq ans du 17 au 20/11 en proposant une édition sur le thème de l’Ailleurs. Chapiteau, sur le site du Grand Sauvoy à Maxéville et au cinéma Caméo Saint-Sébastien à Nancy http://projectfestival.free.fr 21 ~ LES BARCELLADES Concert création événement à l’occasion d’une carte blanche à Barcella dans le cadre d’un partenariat entre le Moloco, le Conservatoire du Pays de Montbéliard et la Mals. A Sochaux le 2/12. www.la-mals.fr 22 ~ JUSQU’ICI TOUT VA BIEN L’espace multimédia gantner présente quatre travaux du collectif suisse !Mediengruppe Bitnik. Ces actions interrogent l’omniprésence des systèmes technologiques et médiatiques et leurs impacts sur la société. Jusqu’au 22/1 à Bourogne (90). www.espacemultimediagantner. cg90.net

23 ~ DANSE ET ECRITURE Christophe Fourvel et Geneviève Pernin proposent un stage dont l’objectif est d’associer un travail de danse à un travail d’écriture. Les 18 et 19/12 à Besançon. c.fourvel@sfr.fr 24 ~ VALERIE JOUVE Le Frac et l’Erba de Besançon organisent un cycle de projections d’œuvres vidéo et/ou cinématographiques d’artistes contemporains. Séance spéciale Valérie Jouve et présentation de son travail par l’artiste à l’issue de la projection le 14/12, de 18h à 20h. Petit Kursaal à Besançon. Entrée libre. www.frac-franche-comte.fr 25 ~ R.J. ELLORY A l’occasion de la sortie de son dernier polar Les Anonymes chez Sonatine, rencontre-débat avec Roger Jon Ellory à partir de 18h le 19/11 aux Sandales d’Empédocle à Besançon 26 ~ UNE PLUME DANS LE Q.i. Exposition d’Olivier Leroi du 20/11 au 5/1 au Granit à Belfort. Vernissage le 19/11 avec une lecture par Marcel Kanche. Visite-expo « sandwich » le 7/12 à 12h20. www.theatregranit.com

27 ~ LA REPUBLIQUE SORT SES GRIFFES Colloque consacré à l’origine et à la modernité des valeurs républicaines les 12 et 13/11 dans le cadre de la programmation « 130 ans le Lion Liberty » à Belfort. 21 ~ NOMINATIONS Nominations de Yannick Marzin à la direction de l’allan, scène nationale du Pays de Montbéliard et de Thierry Vautherot à la direction du Granit à Belfort. 29 ~ KESKESAY ?!? Les apéros info du jeudi initiés par la Poudrière et le Moloco se poursuivent le 25/11 à Montbéliard (Artiste, parcours du combattant ?) et le 9/12 à Belfort (Personnaliser son myspace). 30 ~ THE UNKNOWN GROUP Expo jusqu’au 27/2 au Frac Bourgogne à Dijon. www.frac-bourgogne.org 31 ~ QUERELLE 3ème numéro de la revue d’art visuel publiée par le webzine Querelle à Dijon. www.querelle.fr 32 ~ FREAKS Sortie du N°5 du magazine Freaks, mag dijonnais de l’étrange et de l’imaginaire. http://freakscorp.over-blog.com

33 ~ LEFEVRE JEAN CLAUDE RUTAULT Exposition de deux artistes amis chez Interface à Dijon jusqu’au 8/1. www.interface-art.com 34 ~ LE MêME SOLEIL Avant d’être le plus grand chef-opérateur de la Nouvelle Vague, Raoul Coutard fut photographe au sein de l’armée française. Jusqu’au 16/1 à Chalon-sur-Saône. www.museeniepce.com 35 ~ VIENNE 1900 Klimt, Schiele… Jusqu’au 16/1 à la Fondation Beyeler près de Bâle. www.fondationbeyeler.ch © Richard Gerstl, Autoportrait Demi-nu, 1904/05 Huile sur toile, 159 x 109 cm Leopold Museum, Vienne Photo: Manfred Thumberger

36 ~ ANDY WARHOL Andy Warhol, The Early Sixties. Dessins et peintures 1961-1964. Jusqu’au 23/01 au Kunstmuseum à Bâle. www.kunstmuseumbasel.ch 37 ~ MICHEL BLEU CIEL Geoffrey Cottenceau et Romain Rousset, deux photographes suisses qui partagent le goût du détournement sont exposés à la Galerie TH13 à Berne jusqu’au 14 janvier.

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focus

1 ~ ARGENTINA ! Du 29/11 au 9/12, le Théâtre Musical de Besançon fête le bicentenaire de l’indépendance de l’Argentine en proposant de découvrir un aperçu de la riche influence de cette terre sur notre culture avec cinq spectacles : Cabaret Brecht Tango Broadway (le 20/11) et Tatouages (30/11) mis en scène par Alfredo Arias, le Garçon du dernier rang (le 3/12), Che… Malambo ! (la danse des gauchos) le 6/12 et Cachafaz (Opéra d’après une tragédie barbare de Copi) le 9/12. Immanquable ! www.letheatre-besancon.fr

4 ~ FORMICATION TOWER L’association Accélérateur de particules présente une installation vertigineuse de Mathieu Husson à l’occasion de l’expo organisée dans le cadre de Regionale 11 du 3 au 30/12 chez Apollonia à Strasbourg. www.accelerateurdeparticules.net

Cabaret… © Gabrielle Roca

5 ~ PASSE TON BACH ! L’Ensemble vocal de Franche-Comté et l’Orchestre de Besançon Montbéliard Franche-Comté dirigé par Michel Brun invitent à participer à la recréation d’une cantate comme au temps de Jean-Sébastien Bach. Au programme : une répétition commentée de la cantate BWV 61 « Nun komm der Heiden Heiland » suivie d’une répétition avec le public et de l’interprétation de la cantate avec tout le monde. Le 4/12 à 18h Besançon et le 5/12 à 15h à Montbéliard.

2 ~ CHEAP LAND La Chambre expose les photographies de Richard Petit dans ses nouveaux locaux place d’Austerlitz à Strasbourg jusqu’au 19/12. « Richard Petit réalise des icônes profanes, où “ le sacré brille par son absence ”, où le banal côtoie le sublime, où la majesté olympienne de la haute montagne se heurte à l’impact total des interventions humaines sur le paysage. » © Richard Petit, Cheap Land – courtesy galerie Voies Off

3 ~ DANS L’ESPRIT DE JACKY CHEVAUX Du 4/12 au 23/1, le Musée des Beaux-arts de Mulhouse présente près de 80 tableaux de Jacky Chevaux, artiste “réaliste-onirique” formé aux Beaux-arts de Mulhouse qui exposa notamment avec Dali et Giger. Pour dialoguer avec les peintures et les gravures de l’artiste disparu il y a quinze ans, le musée expose également les œuvres de quinze artistes qui ont côtoyé Jacky Chevaux : Denis Ansel, Decko, François Bruestchy, Yves Carrey, Claireline, Guillaume Decaux, Christophe Dreyer, Christian Geiger, Philippe Kempf, Bernard Latuner, Renato et Robert Montanaro, Dan Steffan, Evelyne Widmaier et Luna Tavernier, la petite fille de l’artiste. Conférence de Catherine Koenig le 15/12 à 20h.

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6 ~ LES PETITES FUGUES Petite sélection parmi les 170 rencontres proposées par le Centre régional du livre de Franche-Comté pendant Les Petites Fugues 2010 : Le 17/11, la comédienne Nathalie Richard lira Olimpia de Céline Minard au Nouveau Théâtre. Le 20/11 le Musée des Beaux-arts de Besançon accueille, entre autres, une lecture musicale au cours de laquelle Gwenaëlle Aubry lira des extraits de son roman Personne accompagnée par le musicien Theo Hakola et le comédien Marcial di Fonzo Bo. Enfin, le 23/11, le CCN de Franche-Comté à Belfort accueille Violaine Schwartz, une comédienne qui vient de publier aux éditions P.O.L. un premier roman remarqué La Tête en arrière. http://crlfranchecomte.free.fr


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7 ~ GABBA GABBA HEY Mathieu Marmillot des Manson’s Child et du label colmarien Parklife Records invite une belle brochettes de groupes régionaux pour un festival placé sous le haut patronage de Dee Dee, Johnny et Joey au cours duquel chaque groupe reprendra un classique des Ramones (punk-rock à toutes les sauces en perspective !). Avec The Log House (photo), Mouse DTC (la petite souris qui monte), The Dee Dee’s, Botany Talk Home, Manson’s Child, Saint Amour et Edouard Von Shaeke. Le 17/12 au Grillen à Colmar. 8 ~ ANIMAL ON EST MAL Ces trois contes chorégraphiques écrits par Damien Jalet et Sidi Larbi Cherkaoui sur une musique de Christian Fennesz placent l’homme dans un tiraillement entre sa part animale et la recherche d’une échappatoire spirituelle. S’inspirant des traditions des Balkans, du Japon et du Vietnam ou de mythes ancestraux, Damien Jalet et Alexandra Gilbert créent une danse empreinte de mythologie personnelle, archaïque et ultra-contemporaine aussi sauvage que civilisée. Le 10/12 au Carreau, à Forbach. www.carreau-forbach.com 9 ~ SUR UN NUAGE De la légende qui veut qu’un souffleur de verre de Goetzenbruck invente la boule de Noël en 1858 à la tradition d’aujourd’hui, une seule et même passion ! À Meisenthal, au Centre International d’Art Verrier (CIAV), cela fait un peu plus de dix ans qu’une collection de boule de Noël a été lancée avec des modèles traditionnels mais aussi des boules contemporaines réalisées par des artistes et designers. Aujourd’hui, une vingtaine de modèles existent dans les deux collections, auxquelles vient se rajouter Cumulus, le petit nuage imaginé par le jeune designer français, Mendel Heit. Des démonstrations, une exposition et la vente au détail jusqu’au 29/12. www.ciav-meisenthal.com Crédit : Guy Rebmeister

10 ~ SON & VISION Le quartette Auditive Connection apporte de la vie sur scène. Entre jazz, musiques improvisées et traditionnelles, il tente des structures rythmiques nouvelles entre figuration mélodique et abstraction plastique. Le 30/11 à l’auditorium de la Cité de la musique et de la danse, à Strasbourg. www.myspace.com/ auditiveconnection 11 ~ LES ECRIVAINS VENUS DU FROID Le Salon du livre de Colmar met cette année le cap au Nord et propose d’explorer le succès du polar nordique, de l’Islande à la Scandinavie, de comprendre la fascination des déserts de glace et de découvrir les peuples qui y vivent, à la suite d’explorateurs, de scientifiques, d’aventuriers. Avec des rencontres croisées d’écrivains français et scandinaves, mais aussi des lectures, des débats, des conférences et des animations pour les plus jeunes. Les 27 et 28/11 au Parc des expositions de Colmar. www.salon-du-livre-colmar.com

12 ~ LE MOIS DU FILM DOCUMENTAIRE Novembre est désormais le mois du film documentaire partout en France. Parmi les nombreux films au programme, deux très gros coups de cœur : Mon oncle de Kabylie de Chloé Hunzinger le 15/11 à la Maison de l'Image à Strasbourg et le 26/11 à 18h30 au Colisée à Colmar et And I ride, and I ride de Franck Vialle et Emmanuel Abela, un portrait de Rodolphe Burger, entre sessions d’enregistrement et road-movie, larges plages musicales et témoignages le 26/11 à 20 h 30 à la Médiathèque de La Filature à Mulhouse (gratuit). www.moisdudoc.com

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par virginie joalland photo : éric didym

focus RING SAINT-NICOLAS, festival, du 2 au 12 décembre à Nancy. www.theatre-manufacture.fr

Saint-Nicolas au cœur du RING Les festivités autour du patron des Lorrains auront une saveur différente cette année avec l’arrivée du festival RING Saint-Nicolas, du 2 au 12 décembre, à Nancy. Au menu, théâtre, cabaret, lectures, concerts, …

Si Charles Tordjman s’en est allé à Metz avec Passages, Michel Didym est arrivé, lui, avec RING. Comprendre « Rencontres Internationales des Nouvelles Générations ». Dès le mois prochain débute ce nouveau temps fort proposé par le théâtre de La Manufacture à Nancy. Cette année ne sera pas la première édition du festival, mais sa préfiguration. Le chef et ses troupes attendent les financements qui n’arriveront qu’en 2011. Ce coup d’essai est donc synonyme de test, entrée en matière ou encore prélude à l’ère RING. « Ce sera modeste, mais c’est un premier contact avec le public », annonce le patron du festival. C’est Romane Bohringer, actrice et amie de Michel Didym qui parraine cette préfiguration de RING Saint-Nicolas. Fort de travaux menés lors des éditions de la Mousson d’Hiver, il est apparu évident au nouveau directeur de la Manufacture de mener un grand projet tourné vers les jeunes. « À cet âge, ils sont plus intéressés par les concerts et le cinéma que par le théâtre. » considère-t-il. D’où la nécessité de les sensibiliser par des rencontres artistiques autour du théâtre. Les journées seront dédiées aux textes écrits sur le thème de la SaintNicolas, dans le cadre des « 400 coups », une série d’actions réalisées avec l’Université Nancy 2, cinq lycées, l’ARTEM ou encore le Conservatoire de Nancy. Les soirées s’adressent à un public plus large et proposent des rendez-vous aux quatre coins de la ville.

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Le programme de ces rencontres promet d’allier tradition et modernité, et de s’emparer de l’histoire de la Saint-Nicolas. « Il y a une grosse tradition en Lorraine, je veux ouvrir un dialogue entre le théâtre, la musique, la modernité et cette tradition », explique Didym. Ainsi, l’instant clé du festival est sans nul doute le Cabaret de la Saint-Nicolas, à la Fabrique, les 11 et 12 décembre. Mis en scène par David Lescot, le spectacle raconte l’histoire de l’évêque de Myre sous une forme audacieuse et compte sur la présence de cinq écrivains, deux musiciens ainsi que deux acteurs de music-hall. Un regard moderne non superflu sur une légende encore obscure pour certains. D


par emmanuel abela

par emmanuel abela photo : anna finke

S’ENVOLER LES PIEDS SUR TERRE, exposition, jusqu’au 19 décembre au Frac Lorraine, à Metz www.fraclorraine.org

MERCE CUNNINGHAM, un week-end avec le spectacle Nearly 902, des ateliers et des rencontres du 19 au 21 novembre à l’Arsenal et au Centre Pompidou-Metz.

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Être c’est être perçu Parmi les œuvres des artistes et cinéastes réunis par le commissaire d’exposition Inti Guerrero pour l’exposition S’envoler les pieds sur terre, le film réalisé par Alan Schneider, d’après un scénario de Samuel Beckett, avec Buster Keaton : Film La rencontre en 1965 entre Samuel Beckett et Buster Keaton reste l’une des énigmes de l’histoire du cinéma. À mi-chemin entre chorégraphie silencieuse et happening, Film raconte l’histoire d’un homme qui cherche à se soustraire au regard des autres. Drapé d’un long manteau, le visage recouvert d’un foulard, l’homme rase les murs ; les passants s’effraient et s’indignent, non pas tant parce qu’ils ont peur de lui, mais plus par ce qu’il révèle de lui-même – cette tentation de n’être pas ou de n’être plus. La caméra le suit le long de son parcours jusqu’à chez lui. Elle l’observe en train de faire le vide dans son intérieur : il dépose les animaux domestiques sur le palier, il recouvre de tissus les pourtours de la fenêtre et du miroir, s’attarde sur les images, vestiges d’un temps de la représentation, et notamment la photographie du Grand Orant du Musée de Bagdad qu’il finit par décrocher. O – c’est son nom –, s’endort, mais O prend conscience au réveil de la présence de l’œil-caméra qui lui fait face ; il sait dès lors qu’il n’échappera pas à ce regard-là, même en se couvrant les yeux… La présence de Film donne sa pleine dimension à l’exposition S’Envoler les pieds sur terre. Samuel Beckett, y compris dans ses pièces les plus célèbres, n’a jamais cherché à occulter la présence du divin – Godot / « God-O » –, tout au plus en admet-il l’éventualité, avant de s’intéresser à ce qui fait le mal-être de l’homme. D

Une poétique de la simultanéité Merce Cunningham nous a quittés l’an passé, mais sa compagnie poursuit son ultime tournée. Des rencontres et des manifestations perpétuent l’esprit de cette grande figure de la danse le temps d’un week-end. Depuis sa longue collaboration avec John Cage, Merce Cunningham n’a eu de cesse de séparer musique et danse afin qu’elle soient perçues comme des entités interdépendantes, qui se partagent un même temps. « Le rapport entre les deux expressions reste toujours flexible. Il s’agit non d’une série d’objets finis, mais d’un processus de travail et d’activité. On ne s’endort pas, et l’esprit œuvre autant que le corps », expliquait-il dans un cours à destination de chorégraphes et de compositeurs en 1981. De cette poétique de la simultanéité est née la volonté d’explorer d’autres champs chorégraphiques au contact de la vidéo et du cinéma, dans un autre rapport à l’espace, au rythme et au temps. À trois mois de son décès, il dévoilait au public new-yorkais le 16 avril 2009 – précisément, le jour de ses 90 ans – sa dernière pièce intitulée avec humour Nearly 902 : des couples lunaires, évoluant en équilibre tendu en association très libre à partir des sons envoûtants exécutés en live par le designer sonore Takehisa Kosugi et le guitariste John King. Après le décès du maître survenu le 27 juillet 2009, la Merce Cunningham Dance Company a décidé de poursuivre son ultime tournée mondiale. Nulle célébration cependant – ça ne serait pas dans l’esprit du personnage. Tout au plus s’agit-il de maintenir vivace l’approche multidimensionnelle de ce géant de la danse, dont les échos se répercuteront longtemps encore sur la création chorégraphique mondiale. D

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par baptiste cogitore

focus JEAN-LUC TARTARIN : NATURE ET FIGURE(S), exposition photographique, aux Musées de la Cour d’or et à l’Arsenal, Metz, du 1er décembre 2010 au 27 février 2011 musees.metzmetropole.fr

Comme de longs échos qui de loin se confondent

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Les Musées de la Cour d’or et l’Arsenal consacrent une rétrospective au photographe messin Jean-Luc Tartarin, enseignant à l’École supérieure d’art de Metz-Métropole.

Bestiaire XXII

« Nature et Figure(s) » regroupe plusieurs séries réalisées entre 1970 et 2003 : Grands paysages, Bestiaire, Fleurs et Ciels. Sauf pour Fragments, une série en noir et blanc réalisée à Venise au début des années 1990, l’auteur a fait de la Lorraine l’essentiel de son territoire artistique : « J’ai un rapport intime aux choses », explique-t-il. « L’agitation, les bruits de la ville ne sont pas mes matériaux de travail. Le silence, l’immensité du silence m’intéressent beaucoup plus ».

Les trois séries de « tableaux » argentiques, réalisés sur tirages Ilfochrome en grand format et sous éclairage naturel, ont une grande puissance plastique, picturale qui « affirme une modernité ». Derrière des images contemplatives, primitives et intemporelles, Jean-Luc Tartarin cherche à interroger une modernité du regard, que l’auteur replace dans l’histoire de la photographie et de la peinture. Les lieux de l’exposition ont d’ailleurs été choisis afin de renforcer les « correspondances » entre ses photos et les peintures des Musées de la Cour d’or, en particulier les collections du Moyen-Age et du XIXe siècle. Fragmentaires, les œuvres de JeanLuc Tartarin agrandissent toujours un détail, laissant rarement le regard saisir son objet en entier. Les Grands paysages ne sont pas d’immenses étendues vides mais une souche, un morceau d’écorce, un arbre, une branche, une ombre de buisson… Quant au Bestiaire, il ne restitue pas les silhouettes d’animaux domestiques (ânes, chevaux) mais inscrit leurs masses dans de grandes compositions poétiques où la peau, le pelage, la chair rehaussent notre perception de l’ordinaire. Quand on lui parle de ses influences ou de ses références, de Bonnefoy, de Baudelaire (qui exécrait la photographie et adorait la ville !) ou d’Eugène Atget, Jean-Luc Tartarin répond : « Bien sûr, les références littéraires, musicales, picturales et photographiques m’accompagnent parce qu’elles font partie de moi, de mon histoire et de ma culture. Mais face à mon sujet, je suis entièrement absorbé par mon médium. Je cherche à faire exister ce qui est là depuis toujours, ce qui s’est construit par mon expérience de la nature et par ma culture ». D 1 – Charles Baudelaire, « Correspondances »

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par sylvia dubost

focus Made in Strasbourg, danse, le 5 décembre à 14h30 et 17h30 au musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg www.pole-sud.fr

Et bien, dansez maintenant ! La chorégraphe Joanne Leighton, nouvelle directrice du centre chorégraphique de Franche-Comté, achève sa résidence strasbourgeoise par un spectacle grand format, pour 99 amateurs et 5 danseurs.

Joanne Leighton aime et sait faire danser les foules. Parce que c’est amusant, mais aussi parce que c’est un formidable moyen d’échange. D’origine australienne, longtemps installée à Bruxelles, où elle avait fondé sa compagnie, et désormais sise à Belfort, Joanne Leighton a toujours tenu à ne pas travailler uniquement avec des professionnels de la danse. Parallèlement à ses créations, elle a toujours enseigné et cherché à ménager des espaces de dialogue avec d’autres disciplines et avec des amateurs. Sa résidence à Pôle Sud à Strasbourg (depuis janvier 2010) a été entièrement construite autour de cette idée. Elément-clé : le comité participatif. « J’avais envie d’un groupe qui m’accompagne toute l’année, expliquait-elle au début de sa résidence. On parle de mes projets, je leur montre des extraits de pièces, on en discute. Je n’ai pas besoin de gens qui me massent, mais de vraies relations de travail. Chacun peut porter un regard sur ce que je fais. Et cela m’intéresse beaucoup. » Ce comité, en plus de ses réunions mensuelles, s’est retrouvé en première ligne de tout ce que Joanne a proposé au cours de sa résidence. Pour Equally Loud en mars, à l’origine un solo sur le texte éponyme de John Cage, il entraînait le public à la suite des danseurs dans une belle et forte improvisation collective qui s’était répandue dans tout le rez-dechaussée du musée d’art moderne. Lors de la Dance party en clôture du dernier festival Nouvelles Strasbourg Danse, il montrait l’exemple aux spectateurs qui devaient assimiler et répéter tout au long de la soirée une chorégraphie sur un hit suédois des années 80…

Que ce soit sur un mode uniquement festif ou plus conceptuel (voire les deux en même temps), la danse, contemporaine ou non, est rendue accessible sur le fond comme dans la forme. En toute logique, Joanne Leighton a tenu à terminer sa résidence avec tous ceux qui le souhaitaient. Les 99 participants amateurs de Made in Strasbourg seront associés, avec cinq danseurs professionnels, à la création d’une véritable œuvre chorégraphique. Après cette expérience, où leurs corps viendront interagir avec les espaces du musée, il est certain qu’ils n’aborderont plus un spectacle de danse contemporaine de la même façon… D

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par cécile becker photo : catherine gier

focus LE GRAND JUDAS, dispositif théâtral, le 10 et 11 novembre au Taps Gare à Strasbourg. Entrée libre.

Croyez-vous en votre coupe de cheveux ? Autour d’une liste de questions élaborée par Cyril Pointurier, metteur en scène du Grand Judas, le spectateur est invité à se livrer à un comédien. Une réflexion autour de soi et autour du rapport spectateur/comédien.

« Croyez vous en vous ? », « Croyez-vous en l’influence de la lune sur le comportement des gens ? », de ces questions simples « que l’on ne prend pas le temps de se poser » selon Cyril Pointurier, il en existe plusieurs milliers écrites spécialement pour ce dispositif théâtral. Non, ce n’est pas une pièce mais bel et bien un dispositif : dans un espace clos composé d’armoires, un comédien discute avec un spectateur de choses simples. Autour de l’espace, les autres spectateurs se baladent, peuvent observer l’échange d’un grand judas et écouter la conversation grâce à une retransmission. Aucun piège : si le spectateur n’intervient pas, il ne se passe rien. Cyril Pointurier explique : « Ce n’est pas un défi, c’est une proposition de rencontre : comédien, plateau, lieu. Tout ça est relié à l’œuvre de Georges Perec qui travaillait sur l’énumération, la force du quotidien, l’humour ». Ce dispositif a été créé en 2008 pour La Friche (Laiterie), durant 24 heures, les participants ont été invités à réfléchir à une proposition autour de Perec, Cyril Pointurier invente Le Grand Judas avec son comédien Denis Marc : « Dans ce dispositif, Denis doit faire preuve de curiosité sur la personne qu’il a en face de lui, à lui de voir suivant la relation qui s’installe les questions qu’il peut poser, cela donne des surprises. » Tout est relatif au rapport au monde, à l’analyse inhérente d’une personnalité : le spectateur étant ce qui relie le comédien à une performance. Dans Le Grand Judas, il n’y a pas de début, pas de fin, les spectateurs s’organisent entre eux. Le nom de ce dispositif ? « Il trouve sa justification dans les raisons techniques : l’observation à travers le judas, Le Grand Judas évoque aussi le regard qu’on pose sur nous-mêmes et sur les autres » commente Cyril Pointurier. Artiste associé à la saison 2010-2011 des Taps, Cyril Pointurier travaille actuellement avec sa compagnie sur un autre spectacle qui n’a pour l’instant pas trouvé de lieu de représentation. Cette fois adaptée d’Henrik Ibsen, Helgeland sera une interrogation sur le passé interprétée par un comédien (Philippe Cousin), un musicien (Francesco Rees) et une chanteuse : « La porte d’entrée de cette problématique sera l’interprétation de Dead Souls de Joy Division par Jeanne Barbieri. J’aimerais beaucoup pouvoir jouer cette pièce au Grillen. » À bon entendeur… D

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par caroline châtelet photo : giovanni cittadini cesi

par stéphanie munier

LE CAS DE LA FAMILLE COLEMAN, théâtre, du 23 au 27 novembre au Théâtre National de Strasbourg et du 6 au 8 décembre au Théâtre de la Manufacture, Nancy

FESTIVAL YOUNG EUROPE, du 19 au 24 novembre dans plusieurs lieux et établissements scolaires à Strasbourg www.theatre-jeune-public.com

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Le cas argentin Consacré comme l’un des symboles du renouveau théâtral de Buenos Aires, le Cas de la famille Coleman est de passage dans le Grand Est. Explosion familiale au microscope, théâtre à l’acide. Si, outre Maradona, on peine à citer les noms de personnalités argentines contemporaines, les théâtres européens et français bénéficient pourtant de la vivacité de sa création. Ainsi, de l’humoriste, romancier et dessinateur Copi aux metteurs en scène Alfredo Arias et Jorge Lavelli – tous deux ayant été respectivement directeur du centre dramatique national d’Aubervilliers et directeur fondateur du théâtre national de la Colline, rien de moins –, nombre d’artistes se sont installés à Paris depuis 1960. Aujourd’hui, les heures les plus instables de l’Argentine sont passées et coups d’état et autoritarisme ne sont plus son quotidien. Pour autant, les liens théâtraux demeurent, les artistes continuant à irriguer nos scènes et festivals. Outre le metteur en scène Marcial di Fonzo Bo et le dramaturge Guillermo Pisani – définitivement installés en France – dont la collaboration permet la découverte de l’auteur Rafael Spregelburd, on célèbre actuellement Claudio Tolcachir. Accompagné de sa troupe Timbre 4, Tolcachir n’est que de passage, l’équipe étant basée à Buenos Aires. Raison de plus pour ne pas rater ses deux spectacles qui sillonnent la France cet hiver, le plus médiatisé s’arrêtant à Strasbourg et Nancy... Écrit par Colcachir, le Cas de la famille Coleman explose les genres, la troupe conjuguant dans l’intimité d’une famille l’horreur à l’humour le plus cru. L’occasion d’apprécier la capacité passionnante du théâtre argentin à allier exubérance et tristesse, folie dévastatrice et cruauté intime... D

Vieux continent / Jeune Europe Quand la jeune création théâtrale se penche sur les questions de la citoyenneté européenne, du multilinguisme et du rapport à l’autre, il en ressort six co-créations européennes présentées en quatre langues pour le jeune public. Et pas que... L’objectif de ce festival : renforcer les liens entre théâtre et éducation, et provoquer des rencontres entre jeunes comédiens et adolescents. Et pour sa première édition en France, comment faire mieux que notre belle capitale européenne et ses emblématiques institutions – on n’aura pas l’Euro 2016, mais on a Young Europe, c’est mieux, c’est moins bruyant ! Jouées chacune dans deux langues différentes, les pièces proposées par le festival Young Europe abordent des sujets fondamentaux : identité, appartenance, immigration, rejet, violence, relations familiales. Autant de thèmes qui marquent chaque jour l’actualité, et face auxquels les jeunes adolescents se trouvent souvent désarmés. Autour des pièces sont proposés deux ateliers de création théâtrale ouverts aux amateurs et aux professionnels ainsi qu’un débat public sur le thème « Arts, éducation et citoyenneté : quels langages pour le théâtre européen aujourd’hui ? ». Cette initiative de la Convention Théâtrale Européenne a débuté en octobre 2008, et a déjà été présentée dans de nombreux théâtres et établissements scolaires, dans pas moins de huit pays. Alors entre deux manifestations, emmenez donc vos enfants voir les créations de Young Europe, rien de tel qu’un peu de culture pour inventer de bons slogans. D

Verminte Zone_Tanz © Arno Declair

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par sylvia dubost

par sylvia dubost

Gérard Fabre, exposition, du 25 novembre au 23 décembre à La Chaufferie à Strasbourg www.esad-stg.org

Éclats, exposition, jusqu’au 30 janvier au CEAAC et au musée de minéralogie à Strasbourg www.ceaac.org

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Art bâtard

Pépites

À l’invitation de l’option art de l’École Supérieure des Arts Décoratifs, Gérard Fabre installe à La Chaufferie des sculptures ironiques et impures.

Bettina Klein, commissaire invitée du CEAAC, a concocté une exposition ubiquiste et surprenante où se répondent les œuvres et les pierres.

Il est toujours rassurant de voir poindre un peu d’humour dans l’art contemporain. Manière de se souvenir que l’art sérieux et complexe n’est pas l’apanage des tristes sires, et que l’ironie peut aussi être un ressort bienvenu pour aider à soulever et à comprendre des questions aussi raides que la forme pure et le statut de l’œuvre. Pour Gérard Fabre, l’« ironie est une espèce de gymnastique cérébrale quotidienne qui fait partie intégrante de [sa] personnalité ». En témoignent ses Babarevitch, « résultats de la rencontre fictive de deux plasticiens du début du XXe siècle, l’auteur de Babar et Malevitch », rapprochement qui doit donner à quelques historiens de l’art des sueurs froides. Ces formes monochromes et criardes, qui pourraient avoir été dérobées aussi bien dans un parc d’attraction que dans un musée d’art moderne, sont de toute évidence la progéniture impure de l’illustration jeunesse et de l’abstraction, de la recherche de la forme simple et de celle, complexe, sur la forme dans l’art. Face aux œuvres de Gérard Fabre, on ne sait jamais vraiment ce qu’on regarde. Un éléphant, une girafe ? Il y a toujours quelque chose qui cloche. On peut se contenter de s’en amuser, mais si l’on s’y penche de plus près, les sculptures de Gérard Fabre tiennent à la fois de la peinture, par l’importance qu’elles donnent à la couleur (on n’est pas loin ici du monochrome), du dessin, par la simplicité du trait, et du design, par la banalité de la forme qui les rapprochent du simple objet. Et les Babarevitch apparaissent alors comme un bréviaire de l’art du XXe siècle. D

Dans chaque ville, il est des lieux que les habitants négligent, qu’ils n’ont sans doute jamais visités, dont ils n’ont peut-être même pas entendu parler. Le musée de minéralogie de Strasbourg est de ceux-là. Dans le périmètre du palais U et du musée zoologique, il fait partie de ces édifices universitaires du XIXe siècle que le manque de crédits a sans doute empêché de moderniser. Délicieusement désuet, les vitrines d’époque s’y alignent en une muséographie qui l’est tout autant. Le révéler aux yeux des habitants n’est pas le moindre des mérites de l’exposition Éclats, « commissionnée » par la Berlinoise Bettina Klein et imaginée justement à la suite d’une visite du musée. Dans ce dernier, des œuvres d’art sont exposées dans les vitrines présentant les pierres de la collection, sans modification de la scénographie et sans cartel. À tel point qu’on en viendrait parfois à les confondre, comme les pierres précieuses synthétiques et les Pariser Bordjuwelen d’Alicja Kwade, simples cailloux récoltés dans les rues de Paris et taillés par un joailler. Au CEAAC, photographies, sculptures et installations d’artistes comme Evariste Richer ou Sigmar Polke, évoquant les minéraux, cohabitent, là encore sans cartel, avec vitrines, cartes et modèles du musée. Et l’on n’en finit pas de s’interroger sur l’intention de l’exposition, révélée dans aucun des documents qui l’accompagnent. S’agit–il d’une simple mise en parallèle formelle ? Ou d’interroger, de façon humble et presque mystique, sur les œuvres de l’homme et de la nature ? D

Evariste Richer, Killing Time, 2010

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par cécile becker photo : anémone de blicquy

focus CLAUDIE HUNZINGER, rencontre au salon du livre de Colmar, le 28 novembre.

Une affaire de famille « Elles vivaient d’espoir », un livre touchant, vrai. Une biographie ? La vie de deux femmes qui tombent secrètement amoureuses dans les années 30.

Claudie Hunzinger, alsacienne d’origine, revient avec Elles vivaient d’espoir sur l’histoire de sa famille dont elle nous parle timidement, installée dans les bureaux de la Librairie Kléber, juste avant sa rencontre ce mercredi 27 octobre. En 1973, Claudie Hunzinger sort son premier livre Bambois, la vie verte prônant un retour à la nature. Elle travaille sur les relations à l’histoire et à la littérature en tant que plasticienne. Elles vivaient d’espoir est son premier roman, une histoire vraie, inspirée des carnets que tenait sa mère : Emma, femme discrète qui s’amourache de Thérèse, lumineuse et engagée. Une histoire de famille, une plongée au cœur du nazisme naissant, un récit autour d’une homosexualité cachée car non tolérée. Ce roman est né, des dires de son auteure, « d’un héritage de couleurs : d’un côté il y avait mon père, héritage noir, de l’autre ma mère et ses quatre carnets de couleurs différentes où elle consignait son histoire ». Claudie Hunzinger et son fils, Robin, travaillent ensemble sur un documentaire Où sont nos amoureuses ? basé sur des archives familiales retrouvées ça et là : « Nous avons agrandi une photo où se trouvait mon père, ce qu’on a trouvé n’a pas été facile, sur sa veste se trouvait un insigne du parti nazi. Les images appellent l’écriture. Il m’a fallu 20 ans après la mort d’Emma pour pouvoir en parler, mais il fallait que je le fasse, c’aurait été une torture de tout garder. On hérite de choses dont on n’a pas idée ». Les deux femmes : Thérèse et Emma, se rencontrent à l’école, tombent amoureuse et entretiennent une relation épistolaire forte et subtile : « Elles ont voulu s’émanciper à travers la littérature, elles apprenaient le monde à travers les mots » explique Claudie Hunzinger. Et puis Emma se marie, fait des enfants. Installée en Alsace, elle vit sous l’occupation allemande et se reniera en privilégiant une vie « rangée ». Thérèse, elle, part pour la Bretagne et devient résistante, jusqu’à mourir en 1943 sous la torture de la Gestapo, un décès qu’Emma apprendra plus tard. Pour reconstruire l’histoire, Claudie Hunzinger est allée en Bretagne sur les traces de Thérèse. « Ce roman est complexe

mais il ne juge pas. Le roman est le lieu de nos folies, de nos faiblesses, aussi de nos joies. Ce n’est pas une biographie, c’est un roman mais que je n’ai pas romancé. » Sous la plume de Claudie Hunzinger, le lecteur comprend une partie de l’histoire pourtant noire, vue sous un autre angle, il s’extasie aussi : touché par la grâce d’une histoire sans détours. D

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par sylvia dubost

focus N’OUBLIONS PAS QUE LE VERTIGE SE PREND SUR LES HAUTEURS, exposition, du 26 novembre au 9 janvier à la Kunsthalle de Mulhouse, dans le cadre de Regionale 11 www.kunsthallemulhouse.com

Prendre de la hauteur Notre époque est décidément en quête de lenteur et de spiritualité. La prochaine exposition de la Kunsthalle, proposée dans le cadre de la Regionale, invite à prendre le temps de s’immerger dans des œuvres poétiques.

Oeuvre de Grégory Delauré

Depuis 11 ans, la Regionale propose aux lieux d’art contemporain de la TriRegio (France-Suisse-Allemagne) d'exposer les artistes qui y travaillent. 715 dossiers d’artistes leur ont été envoyés, avec lesquels ils ont composé chacun une exposition différente. Trois questions à Émilie George, médiatrice et jury avec sa directrice Sandrine Wymann, sur la proposition de la Kunsthalle Mulhouse. N’oublions pas que le vertige se prend sur les hauteurs : d’où vient ce titre et que signifie-t-il ? C’est une citation de Max Jacob [extraite de L’Art poétique, ndlr]. Elle nous semblait la plus appropriée à l’exposition, car elle exprime le mieux cette idée de hauteur, de distance. Nous avions envie de nous poser, de proposer des pièces fragiles, poétiques et d’une beauté réelle… même si certains artistes ont des démarches engagées. Est-ce la vision des dossiers qui a engendré la thématique ? Au départ, l’idée était de travailler sur l’ailleurs, pourquoi pas avec des artistes qui ont été en résidence en dehors de la région. Au fur et à mesure, cet ailleurs s’est transformé en ailleurs plus spirituel, peut-être moins ancré dans une culture spécifique, même si certaines pièces le sont. Comme cette vidéo de Ahmet Dogan, où un derviche en beurre tourne sur une platine 33T et finit par fondre, modifiant à la fois la musique, l’ombre projetée sur le mur et le symbole qu’il représente.

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Comment cette thématique résonne-t-elle dans les œuvres ? Philipp Engelhardt part d’une photo de paysage urbain, sur lequel il projette des personnages, qui apparaissent alors comme fantomatiques. La vidéo de Natacha Paganelli, avec cette danseuse qui sautille dans la forêt a aussi ce côté étrange. Grégory Delauré propose un travail très ludique, un trampoline peint qui reprend une peinture baroque, évoquant un plafond de chapelle. La fonctionnalité du trampoline nous invite à rejoindre ce plafond, en revenant toujours. C’est aussi une métaphore de l’impact de nos racines : on a beau prendre d’autres chemins, on ne pourra jamais se débarrasser de notre héritage. On prend de la hauteur de différentes manières. En discutant des œuvres avec l’équipe de médiation, les mots qui ont émergé spontanément sont : spirituel, fragilité, séduisant, beau, religieux, vertige, décalage… D


par baptiste cogitore

par stéphanie munier

TRANCHES DE QUAI #13, exposition le 18 novembre à partir de 18h30, à l’Ecole supérieure d’Art de Mulhouse, entrée libre. www.lequai.fr

mulhouse, un nouveau monde, exposition, du 16 octobre 2010 au 12 janvier 2011 au Musée Historique de Mulhouse www.utopinov.net

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Le Quai expose ses tranches

Mulhouse, c’est l’Amérique !

L’École supérieure d’arts de Mulhouse ouvre régulièrement ses portes le temps d’une soirée, en présentant les œuvres d’ateliers menés dans la même semaine. Un travail intensif qui permet aux étudiants d’expérimenter une approche artistique collective.

Politique, religion, économie, nombreux sont les domaines par lesquels cette ville cosmopolite s’est démarquée au fil des années. Le Musée Historique de Mulhouse revient sur certaines de ces initiatives qui ont contribué à bâtir le « modèle mulhousien ».

Dix artistes extérieurs au Quai viennent animer les workshops de l’École pendant une courte semaine. Autour de chacun d’entre eux, une quinzaine d’étudiants aménagent une réflexion collective à travers une vaste palette de supports (photo, design, peinture, illustration…). Le tout sera présenté le 18 novembre dans les locaux de l’École, spécialement « habillée » par d’anciens étudiants pour l’occasion. D’autres artistes viendront compléter et structurer la soirée du 18 novembre, afin de lui donner une dimension plus vaste que la seule présentation de travaux d’études. Si les trimestrielles Tranches de Quai permettent de renforcer la visibilité de l’École dans le paysage culturel mulhousien, elles créent aussi un lieu d’exposition temporaire, différent des grands espaces habituels. Fondateur de ces rencontres, David Cascaro est directeur du Quai : « Nous proposons au public des œuvres inachevées, plus fragiles, plus précaires que dans des galeries ou des institutions comme les musées ou les FRAC. Au fil de ces workshops, on balbutie, on essaie, on expérimente, on tente. Avec les spectateurs. » Tout au long de cette semaine de travail intensif, les étudiants sont répartis par ateliers et non par années d’études. « Le but est de promouvoir une expérience de partage », explique David Cascaro. « En regroupant de petits groupes d’étudiants autour d’un artiste invité, on abat les cloisons entre les étudiants. Se créent alors des “colonies d’artistes“, dans une authentique émulation de travail collectif. » D

De ce modèle d’économie sociale aux accents utopiques est né en 1853 le premier exemple français de cité-jardin. L’essor industriel que connait la ville au XIXe siècle, et qui lui vaudra le surnom de Manchester française ou de « ville aux cents cheminées », entraine une urbanisation galopante. Le modèle des cités ouvrières permet de faire face efficacement à cet afflux de main-d’œuvre, attirée par l’expansion économique. Ces 45 hectares de maisons unifamilales, situées dans un espace périurbain proche du centre-ville et proposant un degré de confort très correct pour l’époque, sont construites sur le modèle du « carré mulhousien ». Leur objectif : permettre aux ouvriers d’accéder à la propriété. Au-delà du caractère humaniste du projet, l’un de ses principaux intérêt était de « sédentariser » les ouvriers à proximité de l’usine et d’éviter une trop grande mobilité de la main-d’œuvre, très coûteuse en termes de formation et de perte des compétences. Les valeurs morales et familiales sont prépondérantes dans une société encore très marquée par les principes protestants et maçonniques. L’exposition retrace les origines éthiques, philosophiques et religieuses de ces initiatives. Le caractère singulier de Mulhouse s’exprime depuis plusieurs siècles déjà, gageons que l’utopie mulhousienne du XXIe siècle saura nous surprendre tout autant. D

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par grégory jérôme

focus Folklore ?, exposition jusqu’au 16 janvier au CRAC Alsace, à Altkirch www.cracalsace.com

Le retour du même À partir d’une île, étendre le territoire de l’art. L’exposition Folklore ? nous rappelle que l’histoire de l’art au XXIe siècle n’est plus une histoire des œuvres, mais bien une histoire des expositions.

Éléonore Saintagnan, un film abécédaire, vidéo couleur stéréo, 21 mn, 2010.

Ça commence par une performance discrète. Ça se poursuit par Campanile de la série Poncif suisse du collectif DOP. Nous sommes dans l’exposition Folklore ? qui se tient au CRAC... Savoir populaire, tour à tour instrumentalisé par l’industrie touristique, manifesté d’autres fois avec ferveur par les communautés villageoises, le folklore exerce un effet d’attraction que d’aucuns auraient vite fait de réduire à des parcs. Et pourtant, ces systèmes de pensée sont des îles dans l’histoire. Cette exposition fait écho à celle qui se tient à la Kunsthalle, The end of the world as we know it. En apparence pourtant, rien de commun. Vision eschatologique pour l’une, survivance insulaire pour l’autre. La fin d’un monde ? L’un, consumériste, n’aura été qu’un épiphénomène marqué par ce que Bernard Stiegler appelle la prolétarisation, la destruction des savoirs et des cultures. L’autre, pittoresque, n’a jamais cessé d’exister en dépit de son irrésistible marginalisation. Dans l’une, des idoles écorchées (Hadley et Maxwell), rappelant un épisode révolutionnaire. Dans l’autre, un art primitif du patchwork, du bricolage d’Alexandra Bircken, de l’appropriation d’un territoire et de sa perte dans le travail de Susan Hiller. Et qu’y voit-on ? Une tentative de classification d’un costume traditionnel dans le travail de Jean-Luc Cramatte. Une survivance rituelle dans Colosso Fluviale de Luca Francesconi : un suaire évoquant la puissance eucharistique de l’image et cette figure du silure hantant les rivières orientales et flottant à travers le fumet de son foie dont on finit la réduction. De quelles vertus magiques ou prophylactiques le foie est-il

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donc le siège ? À la manière dont le chasseur suit une trace, tente symboliquement de devenir l’animal, nous suivons le sentier qui nous conduit du domestique au sauvage, de chaises ouvragées à Wilder Mann de Charles Fréger, jusqu’à Un film abécédaire d’Éléonore Saintagnan. L’artiste y dessine un nouveau récit, loin du pittoresque, « un hommage à ceux qui vont chercher le bonheur en-dehors des sentiers battus ». Éléonore parvient à travers ce film à nous faire accéder à ce qui sans elle serait passé inaperçu. Comment l’œuvre peut-elle être là sans insister sur sa présence ? Comment la disparition peut-elle être l’autre nom de la manifestation (Th. Davila) ? « Il peut suffire de très peu, écrit Jean-Michel Frodon à propos du travail d’Eléonore Saintagnan, quelques minutes d’immobilité où affleurent une existence, un continent d’émotions (…), de rêves. » Harald Szeemann se définissait comme un penseur sauvage se nourrissant du caractère mythique de l’esprit humain. Sophie Kaplan et Corinne Charpentier marquent à travers cette exposition leur capacité à repenser les choix artistiques pour les situer résolument dans un contexte artistique, politique, économique et culturel en pleine mutation. D


par baptiste cogitore

focus J’ENVOIE SALUTS, exposition de l’École Régionale des Beaux-arts (ERBA) et du Centre d’Art mobile, du 10 novembre au 15 décembre 2010. Vernissage et performance le 9 novembre à 18h, à l’ERBA, 12 rue Denis Papin à Besançon.

Jaune violet(s) L’ERBA a ouvert un pôle de recherche autour de la performance et le Centre d’Art mobile développe depuis plusieurs années une politique d’exposition favorable aux artistes travaillant l’image, le texte et l’action. Jean Dupuy réunit ces trois conditions puisqu’il est à la fois peintre, anagrammiste et performeur.

Derrière le titre de cet événement consacré à Jean Dupuy, il ne faudrait pas voir la mise en scène d’un artiste guindé faisant ses adieux à un public chéri. « J’envoie saluts » est une anagramme. L’exposition donne un aperçu des multiples facettes de ce créateur multiforme, tour à tour peintre, dessinateur, sculpteur, machiniste, vidéaste et jongleur de mots. Compagnon de route du groupe Fluxus, exposé au Museum of Modern Art de New York, au Musée d’art moderne de Paris, et représenté par la Galerie Loevenbruck, Jean Dupuy a toujours cherché à bouleverser les lettres, inverser les codes. À pousser l’art contemporain hors de la suffisance dans laquelle il se retranche parfois pour mieux justifier sa vacuité (ou sa vanité ?). Pour apporter au grand public les concepts qu’il explore, Jean Dupuy le chatouille pour déclencher un sourire, voire le rire. Et engager les corps dans un processus de représentation. Coordinatrice associée à l’exposition, Valentine Verhaeghe a suivi l’artiste depuis les années 1980 : « Dans des propositions très conceptuelles, Jean Dupuy réussit à toucher des zones de sensibilité sollicitées par le rire, le sourire, la participation du public. Il s’intéresse aux liens entre langue, corps et image, mais aussi à leur déraillement. Par sa mise en scène, la langue devient art ».

Depuis Bergson, on sait que le rire a quelque chose de mécanique. À travers ses installations ludiques comme Fewafuel (où le visiteur produit lui-même, au commande d’un moteur de camion, de poétiques résidus de combustion) ou la « sculpture de poussière » Cône pyramide (le cœur du spectateur produit une vibration qui soulève un nuage rouge de pigments organiques), Jean Dupuy pousse le public à s’impliquer dans le processus de création de l’œuvre. Et c’est peut-être encore plus évident quand le plasticien se fait performeur. Découvrant la force évanescente de la performance ou du happening à New-York, dans les années 70, Jean Dupuy ne s’en éloignera plus. La plus célèbre eut lieu lors d’une soirée intitulée Soup & Tart, à la Kitchen de New York, où il convia 300 personnes à un dîner au cours duquel une quarantaine d’artistes présentèrent de très courtes performances. L’artiste invite le public bisontin à en découvrir une autre, lors du vernissage de « J’envoie Saluts », le 9 novembre prochain : en compagnie d’étudiants de l’ERBA, il proposera une improvisation de scores (partitions de performances). D

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par caroline châtelet photo : frédéric iovino

par guillaume malvoisin

ORLANDO, opéra, les 20, 23 et 25 novembre à 20h, Opéra de Dijon www.opera-dijon.fr

Prométhée selon Eschyle, mis en scène par Guillaume Delaveau, du 7 au 10 décembre au Théâtre Dijon Bourgogne, Parvis Saint-Jean à Dijon www.tdb-cdn.com

focus

Baroque explosif Désignant un style que l’on retrouve en architecture, en musique, en peinture, en littérature, au théâtre ou encore – et surtout ! – à l’opéra, le mot « baroque » n’a de cesse d’être déformé... Au XIXe siècle déjà, le terme est utilisé dans un sens péjoratif, caractérisant l’emploi à outrance d’ornementations, de courbes et de couleurs. Mais de sa désignation de productions en opposition à l’art classique, le mot est devenu au fil des usages un concept aux contours flous, mouvants. Seule certitude, lorsqu’on évoque le baroque le kitsch et le dégoulinant ne sont jamais très loin... Bonne nouvelle donc pour l’opéra que la nouvelle version d’Orlando. Car au-delà de sa perfection esthétique et musicale, la mise en scène qu’offre David McVicar de l’opéra d’Haendel bat en brèche tous les clichés. Créé en 1733, cet opéra en trois actes dispose d’une brève intrigue : épris de la reine Angelica et se voyant préféré le prince Medoro, Orlando sombre dans une violente folie avant de recouvrer la raison. Mais à la brièveté de l’histoire s’oppose la richesse et la subtilité de la composition musicale, interprétée magistralement par l’ensemble du Concert d’Astrée. Idem côté chanteurs, Orlando comprenant parmi ses solistes la virtuose contralto Sonia Prina qui offre un Orlando ambigu, aux antipodes d’une vision toute de virilité. C’est, d’ailleurs, la spécificité de la mise en scène que d’aborder avec une légère distance ce qui pourrait être donné comme évident. Dans un dispositif grandiose, le metteur en scène livre un regard aigu et profondément intelligent. C'est impeccablement maîtrisé et non dénué d’humour. Le léger décalage, ajouté à la précision vocale et gestuelle de la partition font de cet Orlando un opéra permettant d’appréhender ce que peut être le baroque : l’aboutissement d’un style où la profusion et l’explosion des signes n’exclue pas leur maîtrise. D

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Eschyle vs Luc Chatel : 2-0 L’Antique sort, une fois de plus, vainqueur des manuels scolaires. Delaveau et Bonnaud ramènent le tragédien d’Eleusis à sa force de résistance et rappellent que le théâtre reste la meilleure des écoles. « D’accord ! Mais enfreindre l’ordre paternel, est-ce possible, et moins terrible à tes yeux ? » Souffle Pouvoir à Héphaïstos se lamentant au début de Prométhée enchaîné. Le forgeron bancal fixe le supplicié à son rocher d’éternité et pleure d’avance son calvaire. On peut attraper le spectacle de Guillaume Delaveau par cette petite faille qui s’ouvre sur la résistance. Déjà la petite boîte japonaise de son précédent spectacle, Vie de Joseph Roulin, convoquait Blanqui et la République de 93, ressassait à voix basse l’insurrection. Pour son dernier, Prométhée selon Eschyle, Delaveau fait acte de désobéissance, au moins de méfiance en plaçant judicieusement un selon aussi rageur que jouisseur. Et l’école, aujourd’hui fabrique à enfants sages, d’en prendre un coup derrière l’oreille. Et un second grâce à la traduction nouvelle d’Irène Bonnaud, dont on sait l’amour du mot (il faut réentendre son Antigone), de l’idée et du plateau de théâtre en état de guerre. Bonnaud et Delaveau s’entendent en imagerie féroce, en structures dramaturgiques aiguës et déroutante. Leur action politique à force d’être poétique, agit là. Dans la ferveur et l’entêtement à ne pas s’attacher à l’image mais à promouvoir l’idée qui est derrière. Prométhée vole le feu aux dieux et gouverne parmi les hommes, idée brutale qu’une assemblée autonome et émancipé. Frappé du sceau magnifique et éphémère des visions de théâtre incontournables. D


par fabien velasquez photo : marie flizot

focus JAN V. VANEK QUARTET, en concert le 2 décembre à L’Auditorium de La Louvière à Épinal ; Jan V.Vanek et le Ciel Orchestra le 1er avril 2011 à La Rotonde de Thaon-les-Vosges et le 2 avril au Théâtre E. Feuillère de Vesoul www.scenes-vosges.com www.theatre-edwige-feuillere.fr

Jan Vanek, l’usage du monde Généreux et discret, Jan Vanek mérite que l’on s’attarde sur son parcours hors des sentiers battus. Grand voyageur, ce guitariste virtuose, ose un sillon singulier, à contre-courant des modes. Loin de l’agitation d’une époque technologique, il vit en permanence dans et avec la musique.

Sous la ligne bleue des Vosges, accolée à la roche, la maison aux clairs volets en bois vernis laisse échapper pour qui sait entendre, quelques « blue notes » caractéristiques... C’est dans une vaste pièce harmonieusement remplie d’instruments au premier étage, que Jan Vanek nous accueille une petite heure avant la répétition prévue avec ses quatre musiciens. Il termine une partition, le temps de boire un verre d’eau, gentiment offert. Magnéto posé sur une petite table au milieu de son « studio-musée-orchestre », la conversation peut débuter. « Mon rapport à la musique est celui d’un missionnaire, j’aime écouter certains biorythmes, le souffle du vent, le bruit de la forêt, où je suis resté des semaines, on expérimente ainsi un recul véritable, philosophique et organique. » Découvertes en 1996, les Iles polynésiennes le bouleversent. « J’ai trouvé cet endroit béni des dieux, j’ai compris le mythe de Tahiti. En allant au fond de certaines vallées, au sommet de certaines montagnes, on retrouve la Polynésie antique, l’on perçoit quelque chose dans l’air d'indéniablement palpable. Les habitants font preuve de simplicité et d’humilité vis-à-vis de la splendeur de la nature. Je me souviens de quelques ambiances où j’ai respiré la douceur infinie des parfums de fleurs. Pour la première fois de ma vie, j’ai souffert de ne pas être immortel. » Séduit par cette plénitude qui l’apaise, Jan y retourne régulièrement pour jouer avec Kahaia, le groupe créé avec des musiciens locaux. Lui qui arpente la planète en solitaire solidaire, sait capter les soubresauts d’un écosystème géopolitique en mutation :

« La mondialisation est récurrente. J’ai parcouru une trentaine de pays ces cinq dernières années, en voyageant au fond des contrées, je me suis aperçu qu’il y a une forme de tempo qui est en train de s’uniformiser partout sur terre, c’est devenu difficile d’y échapper. » Cet homme renferme une attitude d’un autre âge, préférant une posture épique, prélude à la réalisation de son épopée personnelle : « Je ne veux pas être un musicien précieux. J’ai des collègues qui pour cueillir une rose à leur amie, ont peur de se couper les doigts. Je n’exagère pas, je ne critique pas, j’observe. Ce qu’ils appellent la vie ou la réalité, est pour moi une illusion. J’ai envie à certains moments d’être dans un contact réel avec la nature : c’est pourquoi le froid, le chaud, ne me gênent pas, j’apprécie la matière. » Autant d’énergie et de flux qui circulent dans sa musique progressive, ascensionnelle et solaire. À l’instant de quitter Jan, l’on songe à ces mots d’un grand poète insurgé et rebelle à sa manière, on les lui adresse car rares sont les rencontres qui témoignent d’une éthique toute à la fois à la marge et authentique : « Au bout du petit matin, (…) – les volcans éclateront, l’eau nue emportera les tâches mûres du soleil et il ne restera plus qu’un bouillonnement tiède picoré d’oiseaux marins- la plage des songes et l’insensé réveil. » Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, 1939. D

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par stéphanie munier

par philippe schweyer photo : stephen dock

CONNIVENCE #1, exposition, du 11 décembre 2010 au 1er mai 2011 au Musée de l’Image, à Epinal www.museedelimage.fr

Les cafés numériques et les sorties de chantier numériques à Montbéliard jusqu’en juin. www.lallan.fr

focus

Voyage aux Indes

Art numérique

Depuis quelques expositions déjà, le Musée de l’Image d’Epinal s’attache à mettre en relation ses propres collections avec un ensemble d’œuvres contemporaines leur faisant écho. Ce nouveau cycle, très justement nommé Connivences, interroge les liens entre illustrations populaires et imagerie moderne.

Trois questions à Charly Sicard, responsable du développement culturel (ars) numerica à l’allan, scène nationale de Montbéliard qui propose un cycle de neuf rencontres et conférences pour tout savoir sur les arts numériques et invite le public à découvrir les coulisses de dix spectacles en cours de création (entrées libres).

Entre les images éducatives d’une Inde en pleine reconstruction dans les années 50 et l’imagerie française du XIXe, il existe un lien thématique étonnant. Ces images, colorées, chatoyantes, destinées à éduquer les écoliers indiens et à les initier aux richesses du monde, le musée les collectionne depuis 2003. Il en présente aujourd’hui près d’une centaine. Certaines sont des représentations familiales, d’autres décrivent le corps humain ou les moyens de transport. Les analogies avec l’imagerie d’Epinal traditionnelle sont nombreuses : thème, caractère pédagogique du dessin, stéréotypes, représentations humaines... Face à ces illustrations, les photographies de l’artiste contemporaine Claire Chevrier posent la question de la place de l’individu dans la ville. La connivence s’établit avec ses représentations de Mumbai et de Rome, qui invitent le visiteur de l’exposition à considérer la ville comme un espace de représentation et de mise en scène. D

L’art numérique n’est-il qu’un support de plus pour la création ? Oui forcément et profitons-en, l’industrie n’est pas la seule propriétaire d’un support. Que le monde technologique engendre une dimension dédiée à l’imagination, ça ne peut que faire du bien. Non ?

L’exposition From India s’inscrit dans le cadre du festival indien « Namaste France ». Inauguré au printemps au Quai Branly, il se déroule dans plusieurs villes de France, ainsi qu’en Guadeloupe, et présente une culture et un art de vivre indiens sans cesse en renouvellement, entre tradition et modernité.

Peut-on envisager les nouvelles technologies du point de vue poétique ? Je l’évoque dans la réponse précédente, les arts numériques ne sont pas une fin en soi. On se tromperait de débat autant qu’en nous annonçant la mort de la peinture dans les années 90, ou qu’en nous annonçant des voitures volantes dans les années 60. Dans l’art, tout est question de réponse à un héritage. Pendant la révolution industrielle du XIXe siècle nos arrières grands-parents rêvaient déjà les nouvelles technologies avec l’avantage de n’avoir aucune notion de marché, à l’exemple du théâtrophone de Clément Ader en 1889. Donc si on inverse la question, oui la poésie peut être partout. D

© Musée de l’Image / Ville d’Epinal Photo : Hélène Rouyer.

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Qu’apporte l’art numérique au spectacle vivant ? L’apport du numérique est très enrichissant pour le spectacle vivant, car on parle d’interaction dans un espace scénographié et scénarisé. Ce qui est différent d’une installation. Un acteur sachant ce que la technologie apporte dans le spectacle poussera davantage celle-ci dans ses limites. Mais ce qui m’interpelle le plus, c’est quand la technologie s’efface au profit de l’œuvre. Comme avec les nymphéas de Monnet, se voir proposer une nouvelle dimension en oubliant l’espace formel.


par caroline châtelet

focus LES DEPLACEMENTS DU PROBLÈME, spectacle, le 30 novembre à L’allan Scène nationale de Montbéliard, du 2 au 5 décembre au Centre André Malraux-Vandœuvre les Nancy, en partenariat avec la Manufacture, CDN de Nancy www.lallan.fr http://centremalraux.com

Déplacer la problématique Conversation imaginée mais néanmoins imaginable entre un chef rédac’ et une critique en mal de mouvement.

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T’as entendu parler de Grand Magasin ? Cette compagnie dont les pièces sont à mi-chemin du théâtre et de la performance ? Oui, enfin au vu de ce que j’ai lu ils déjouent tout côté performatif et spectaculaire... Ils jouent à Paris et ça fait un buzz. Tu vas voir ?

[Le lendemain] − − −

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Alors, c’était comment ? Bof... Attends, Fabienne Darge du Monde trouve ça génial, René Solis dit dans Libé que c’est « dévastateur », qu’est-ce que t’as pas aimé ? C’est juste qu’il se passe pas grand chose... Mais c’est ça leur truc ! Pour Darge ils font de « l’infra-théâtre », soit du burlesque et de l’absurde sans histoires ou presque. C’était pas drôle ? Des fois... En fait Les Déplacements du problème joue sur les déconvenues liées à toute communication. Et comme le spectacle est né d’une commande de l’Ircam, l’équipe utilise diverses techniques sonores, du micro-contradicteur qui dit le contraire de ce qui vient d’être prononcé, au micro émetteur de doutes ou à l’écho inversé. Et par moments, c’est drôle... Mais ? C’est que des minis gags, sans fond. Je me suis ennuyée... C’est ce qui fait leur force, non ? Ils « déplacent le problème de la commande ». Et puis cette idée de brouillage sonore et d’incapacité du dialogue, c’est pas aussi une référence à Tati ? C’est du burlesque avec rien, ça renvoie à plein de choses ! Peut-être... Mais chez Tati il y a le déploiement d’un langage et d’une forme, alors que là tu n’as ni fond, ni forme. Et plutôt que de « déplacer » le problème, j’ai l’impression qu’ils se maintiennent dans un refus de la pensée. T’y vas pas un peu fort, là ? Si le spectacle en tant que tel est anecdotique et désinvolte, il ne prétend pas à autre chose. Ce qui est problématique, c’est la place que lui donne la critique... Ça y est, tu vas me ressortir ton couplet sur la disparition de la critique, blablabla... Attends ! La critique joue encore un rôle important : la preuve, avec deux bons papiers dans des quotidiens nationaux ce spectacle fait un carton. Le problème, c’est l’amplification qui découle de la raréfaction de la critique :

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si Libé et le Monde publiaient quotidiennement une ou plusieurs critiques dramatiques, ça permettrait de relativiser l’appréciation sur ce spectacle. Tandis que là... Pff, tu ne peux pas te concentrer sur le plaisir pris ou non ? Peut-être... Alors, 1) soit je n’ai rien compris et il faut que j’y retourne, 2) soit la « critique nationale », a intégré les codes de Grand Magasin et n’ose pas admettre l’épuisement de leur propos. D’autant que ça consisterait à démonter leur système même – beaucoup trop risqué, surtout lorsqu’on connaît le microcosme théâtral, 3) soit je n’arrive pas à me contenter de l’ironie et de la dérision du dérisoire... J’opte pour la troisième solution, t’es vraiment rasoir... Et moi pour la première. Tu me rembourses mon train jusqu’à Montbéliard ou Nancy ? D

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African Journey Par sandrine wymann et bearboz

Définir l'Afrique... ne pas oublier que nous sommes européens, que notre histoire a dressé les contours d'une certaine Afrique qui mérite aujourd'hui que nous la reconsidérions, la réapprenions. L'important est de la regarder, de l'écouter... peut-être que nous la comprendrons. Le projet de Philippe Pirotte, commissaire de l'exposition, semble s'attacher à cette démarche et a ceci de touchant qu'il ne nous parle pas d'art contemporain mais qu'il se sert d'expressions artistiques pour nous parler de l'Afrique. The Idea of Africa (re-invented) place le regard là où on ne l'attend pas forcément dans une Kunsthalle, là où il est urgent de le poser : sur l'Afrique. Une certaine idée de l'Afrique y est revisitée. Motivées par un même désir de changer de point de vue, d'autres manifestations tentent de s'ouvrir à ce continent. En octobre Manifesta 8 a été inaugurée à Murcia. Cette édition présentée en Espagne affiche une volonté de se tourner vers le Sud. L'été dernier à Berlin, la très belle exposition Who knows Tomorrow rassemblait cinq artistes africains invités à travailler dans l'espace public. Leurs interventions ont été prétexte à la publication d'un magnifique catalogue dans lequel études historiques, critiques artistiques, intentions de projet se croisent et prennent sens. En 2007 Khwezi Gule, commissaire d'exposition d'Afrique du Sud, initiait un projet 6 stories / 6 artists / 6 hours qui tentait de replacer l'Afrique au cœur des trajectoires de ses artistes. Six résidences d'artistes ont été organisées dans six pays d'Afrique, pour six artistes africains.

À la Kunsthalle de Berne, The Idea of Africa (re-invented) est construite autour de trois axes qui sont autant d'histoires différentes qui cernent une problématique unique, celle d'une ville africaine, de son expansion et de sa difficile appréhension. Lagos, ancienne capitale du Nigéria, citée de 15 millions d'habitants est au cœur de l'exposition.

Le premier étage est consacré à une série de photographies de J.D. Okhai Ojeikere. Artiste nigérian connu pour son travail documentaire et d'archive, il est un témoin exceptionnel des années qui ont suivi la décolonisation tant il a capté d'images de sa ville et de ses habitants. Ses photographies sont un catalogue ouvert sur Lagos et son histoire. Clichés noirs et blancs, paysages urbains, architecturaux, ils révèlent une ville dynamique et prospère. Un aéroport, des échangeurs routiers, des bâtiments élégants et spacieux, des colonnes de voitures rutilantes. Une ville du XXe siècle photographiée dans les années 60 et 70 qui ne dévoile sa situation géographique qu'à travers de rares palmiers ou quelques personnages.

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THE IDEA OF AFRICA (RE-INVENTED) #1, du 22 octobre au 5 décembre, à la Kunsthalle de Berne ‑ www.invisible-borders.blogspot.com

Au même étage, un film, Lagos Wide & Close tempère cette première impression. La vision de la ville se fait plus précise, moins idyllique. Ce film réalisé par Rem Koolhaas et Bregtje van der Haak est le fruit d'une collaboration entre un architecte et une documentariste. Ensemble, ils ont filmé la ville de loin telle une mégalopole surdimensionnée et incernable (il est attendu que Lagos devienne la troisième plus grande ville du monde en 2020) et de près à travers ses habitants, ses habitudes et ses modes de survie. Les deux images, plan serré et plan large, sont projetées côte à côte accentuant ainsi les échelles mais aussi l'énormité de la ville. A travers les images, on comprend aussi que Lagos fonctionne sur plusieurs niveaux telle un bateau et sa cale, on voit la ville nouvelle s'élever au-dessus des bidonvilles et des quartiers pauvres qui semblent faire avancer l'embarcation à la sueur des travailleurs.

Un étage en dessous, on change de point de vue. Le sujet n'est plus la ville mais les Africains et leur Afrique. Deux salles sont entièrement consacrées au projet Invisible Borders 2010. En avril, dix artistes Amaize Ojeikere, Ray Daniels Okeugo, Uche James-Iroha, Lucy Azubuike, Charles Okereke, Uche Okpa-Iroha, Chidinma Nnorom, Emeka Okereke, Adenike Ojeikere, Unoma Geise et Chriss Aghana Nwobu ont embarqué dans un même véhicule pour se rendre de Lagos à Dakar. Traverser cinq pays par la route afin de se rendre à l'une des manifestations d'art contemporain les plus connues, la Biennale de Dakar.

Le défi était de taille et représentait en soi une véritable performance, détail qui avait toute son importance aux yeux des participants. Voyageant pendant deux semaines, ils ont vécu ce périple comme un véritable acte artistique qu'ils ont documenté de photographies et d'un journal de bord. L'exposition présente quelques unes de ces images. Elles reflètent au propre comme au figuré un groupe qui avoue être aventurier sur son propre continent. Comme dix explorateurs, ils épient les détails signifiants de leur condition africaine et vont de rencontre en rencontre. The Idea of Africa (re-invented) est une exposition qui déroute, un très beau travail de commissariat, une vraie justesse de propos. On ne peut que se réjouir à la lecture du texte introducteur de Philippe Pirotte annonçant que c'est là le premier volet d'un projet complexe et pluriel qui tentera d'explorer l'identité africaine.

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CONSEIL / ACCOMPAGNEMENT / ETUDES / PRESTATIONS COMPTABLES / SERVICE JURIDIQUE ET SOCIAL / CENTRE DE RESSOURCES /

SESSIONS DʼINFORMATIONS

MULHOUSE 9H30 À 12H30 // CAMPUS FONDERIE // 16 RUE DE LA FONDERIE // 17 NOV : PRODUIRE ET DIFFUSER DES ŒUVRES - ART CONTEMPORAIN // 23 NOV : LE RÉGIME JURIDIQUE DES ARTISTES AUTEURS // 25 NOV : SʼINSTALLER EN INDÉPENDANT // 26 NOV : LES OBLIGATIONS COMPTABLES DES INDÉPENDANTS // 2 DÉC : PROJET CULTUREL : QUEL CADRE JURIDIQUE ? // 8 DÉC : GÉRER UNE ASSOCIATION CULTURELLE STRASBOURG 9H30 À 12H30 // MAISON DES ASSOCIATIONS // 18 NOV : LES OBLIGATIONS COMPTABLES DES INDÉPENDANTS // 24 NOV : LES MUSICIENS, LES DIFFUSEURS ET LA SACEM // 9 DÉC : LE RÉGIME JURIDIQUE DES ARTISTES AUTEURS //

OUVERTURE DU BUREAU SMARTFR À STRASBOURG « Portage salarial des activités artistiques » — www.smartfr.fr

SESSION DʼINFORMATION 17 NOV + 9 DÉC // 16H30 À 18H00 OGACA // STRASBOURG INSCRIPTIONS :

03.88.76.24.10 // ogaca.communication@wanadoo.fr TOUS LES AUTRES RDV, LES FORMATIONS sur www.ogaca.org LʼOGACA propose ces sessions thématiques gratuites grâce

au soutien du FSE, du Ministère de la Culture, de la Région Alsace, de la Ville de Strasbourg, du Conseil Général du Bas-Rhin et du Conseil Général du Haut-Rhin.


rencontres par e.p Blondeau

photo : vincent arbelet

Au fil du Neil Neil Hannon promène de nouveau sa Divine Comedy pour une tournée européenne. Pour ceux qui l’attendraient au virage dans son inhabituel dépouillement acoustique, qu’ils se rassurent, Neil Hannon en est le premier étonné.

Qu’on ne s’y méprenne pas, le dernier album de Divine Comedy est bien orchestral, avec des arrangements luxuriants comme aux plus belles heures de ses opus des années 90. Non, rien à faire Bang Goes the Knightwood n’annonçait en rien la venue à la Vapeur de Neil Hannon en solo piano et guitare sèche. Contraintes économiques ? Mode du piano solo un peu aléatoire pour le baladin irlandais ? Après tout peu importe… Neil Hannon, parfois un peu gauche sur ses touches, toujours brillant et narquois n’a pas son pareil pour convoquer dans son nouvel élan les fantômes de l’Albion. Qui pouvait ainsi se douter que sous les chansons grandiloquentes, parfois pompeuses et souvent sur-orchestrées se cachaient des perles brumeuses extirpées de la Mersey. Car c’est bien l’impression qui se dégage au fil du Neil, The Divine Comedy a convié David Bowie, Randy Newman et Ray Davies et ses compositions originales, nues comme des vers font mieux que tenir la comparaison. Neil Hannon commence ses morceaux, puis s’arrête, s’étonne de ses fausses notes, manie le sourire en coin et la bouteille de bourgogne. Il l’assure : « Après avoir écrit plus de 150 chansons, vous comprenez bien que je ne peux pas toujours me souvenir de toutes les paroles ». En multipliant les effets de manche, Neil Hannon préfère se cacher derrière ses perles, ses instantanés pop, comme des photographies de personnages et

de situations qui l’assurent « de ne pas avoir à écrire de morceaux trop longs et trop lassants. » Car Neil est un dandy décadent, jamais là où on ne l’attend vraiment, pour ceux qui ne voyaient en lui que l’arrangeur certes surdoué mais un peu ampoulé d’albums tels que Casanova ou Liberation, il oppose avec brio un savoir-faire de songwriter sans artifice, bien loin de son univers dantesque habituel. Neil Hannon sous ses airs d’oiseau tombé du nid et derrière son ton sarcastique tout britannique continue de creuser un sillon bien singulier. Avec un dixième album qui ne laisse pas de place à la sécheresse – celle que rencontrent bon nombre de ses pairs –, il a préféré ses dernières années se mettre au service de la famille Gainsbourg notamment. Il tisse désormais avec le public un nouveau lien, plus intime et authentique, il s’en défend bien sûr : « Le truc le plus ennuyeux, c’est que lorsque je fais des fausses notes, je ne peux me cacher derrière mes musiciens, vu que je suis tout seul. » Il rit. Une dernière pirouette, mais personne n’est dupe au bout d’une heure et demie de véritable magie, où la pop retrouve ses véritables couleurs originelles. Un ange irlandais est passé. ❤

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rencontres par emmanuelle abela

photo : laurent attias

Pour beaucoup, Antoine de Caunes est un trublion de la télévision, écrivain et cinéaste. Pour nous, en plus de tout cela, il reste un formidable chroniqueur rock : la preuve avec la publication du coffret DVD de l’émission Chorus et de son Dictionnaire amoureux du rock chez Plon. L’occasion d’un échange téléphonique très souriant.

Rock’n’roll marabout En 1978, au moment où vous lancez l’émission Chorus, le rock est absent des chaines françaises, mais vous profitez de la libération d’un créneau, le dimanche à midi pour créer Chorus. Le principe de ce live hebdomadaire s’est-il imposé d’emblée comme la bonne idée ? Curieusement non, parce que ce n’est pas une idée, du moins pour les gens à l’antenne à l’époque pour qui le rock compte bien moins que ça. Ils libèrent une case horaire dans la grille de Jacques Martin et me la confient. Quand je récupère le budget de l’émission, je convertis ces moyens-là pour passer sur la grande scène du Théâtre de l’Empire et faire des concerts, dans une économie très stricte. C’était la seule manière pour moi de montrer du rock à la télévision, en faisant jouer des groupes face à un public. Il y avait forcément une autre approche, l’approche documentaire, mais là avec une case hebdomadaire et les moyens dont nous disposions c’était impossible.

L’ironie du sort veut que vous inscriviez Chorus dans cette case horaire, en début de programme de la grille de Jacques Martin, à une époque où ce dernier représente culturellement quelque chose de la télévision qu’on aime moins. Mais vous pouvez le dire autrement : c’était juste ce qu’on n’avait pas envie de faire à la télé ! Le côté consensuel, la télé pour les vieux avec les airs d’opérette, L’école des fans avec des enfants plus ou moins consentants et des parents aux yeux embués. Pour moi, il n’y avait pas besoin de psychotrope à l’époque ; j’hallucine quand je vois ça ! Le paradoxe veut que, venant d’une famille de télévision, je ne me destine pas à la télévision à l’époque. Je me suis retrouvé accidentellement à être l’assistant d’un ancien reporter de guerre, Michel Barbot. De rencontre en rencontre, en l’occurrence celle de Claude Ventura, le réalisateur de Pop 2, l’émission précédente, je dépose un projet sans y croire vraiment. Il se trouve que le projet est accepté et que je me retrouve dans un premier temps à produire l’émission, dans un second à la présenter, alors qu’honnêtement, je ne me destinais ni à l’un ni à l’autre. Du coup, pour la présentation, vous optez pour un ton totalement décalé. Oui, pour deux raisons ; d’abord parce que j’ai grandi dans un milieu de télévision, avec des gens qui ont toujours fait de la télévision autrement que dans le courant dominant : mon père [Georges De Caunes, ndlr] s’étant fait “lourder” à maintes reprises du JT parce qu’il se permettait des commentaires et ma mère [Jacqueline Joubert, ndlr] ayant été, et le restant, d’une modernité incroyable, c’est-à-dire qu’elle s’exprimait normalement, dans un français ni communautariste, ni faussement jeune, ni emprunté, ce qui semblait original à l’époque.

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Vous vous situez également en rupture avec le propos intellectualiste autour du rock à l’époque. La posture est presque punk… Je ne suis pas sûr que le propos soit intellectualiste, mais il révèle alors un esprit de sérieux qu’on retrouve dans le domaine des arts, de la littérature, du cinéma, de la musique évidemment et du rock en particulier. Le plus drôle, c’est que nous nous retrouvons en présence de jeunes “rebelles” qui vous parlent d’une musique énervée, avec cette envie de mettre à bas l’ordre ancien, avec un sérieux, une componction, qui me semblent contradictoires avec l’esprit que véhicule le rock : un esprit d’impertinence, bordélique et assez joyeux – ce qui n’empêche Joy Division d’exister ! L’émission tombe au bon moment : on se situe juste après le punk, avec l’avènement d’un grand nombre de groupes majeurs, dont certains viennent de publier leurs premiers chefs d’œuvre. Oui, c’est un moment de rencontre entre des courants forts, l’aprèspunk, le début de la new wave, la mutation du rock progressif en jazz-rock… Cette période-là est une parenthèse enchantée dans toute l’histoire du rock. Coup de bol : l’émission démarre pile au moment où ça part dans tous les sens… Le plus étonnant à la vision des images, c’est qu’on les redécouvre aujourd’hui sans nostalgie, sans même de distance, avec toute la force de l’époque… Là, vous me faites plaisir, c’était l’idée même. Avec cette édition en DVD, il n’y avait aucune entreprise nostalgique, mais un constat : la plupart des musiques intégrées tiennent la route.

Dans votre ouvrage, Le Dictionnaire amoureux du rock, vous racontez votre relation amoureuse au rock sous la forme d’un dictionnaire subjectif. En quoi la construction de l’ouvrage relève-t-elle d’un “esprit marabout” ? Ça fonctionne par arborescence… C’est un dictionnaire, mais il est “amoureux” – l’adjectif est capital ! –, il est donc hautement subjectif et impressionniste : je pars généralement d’un premier socle. De ce premier socle d’impressions, je passe à un second plan, puis à un troisième, et ainsi de suite. À la fin, je me retrouve à écrire sur Karen Dalton que je n’ai jamais vue de ma vie, que j’écoute un peu et même pas tant que ça, mais parce que Djian en parle dans un de ses bouquins et que du coup je la réécoute, avec les larmes aux yeux. C’est ça, l’“esprit marabout”. Ça pourrait continuer sur 2500 pages. Oui, ça pourrait durer indéfiniment… D’où la frustration d’avoir à s’arrêter à un moment, tout en espérant que le livre se vendra suffisamment pour en proposer une édition revue et augmentée. [rires] C’est tout de même un pavé de près de 800 pages ! Pavé, pavé, attendez les manifs avant de le jeter… [rires] ❤ Chorus, coffret 3 DVD – INA ÉDITIONS Antoine de Caunes, Le Dictionnaire amoureux du rock, Plon

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rencontres par fabien texier

photo : christophe urbain

THE ONLY TIME I FEEL RIGHT IS WHEN I’M DRAWING COMIC BOOKS Concert sold-out dans un café de Strasbourg pour Jeffrey Lewis et son groupe. Star mondiale de l’anti-folk en spectacle dans une mini « salle », auteur ignoré de comics underground sollicité par la télévision, meilleur interprète de Crass tout en douceur, le New-Yorkais explique ses paradoxes en toute simplicité…

Comment se fait-il que vous soyez une star mondiale que si peu de monde connaît, ou un artiste peu connu attendu partout à travers le monde ? Ça fait dix ans que je fais ça et dix ans de succès inespéré. Je m’attendais plutôt à ce que quelques personnes aiment mes cassettes et en fassent des copies pour leurs amis en Amérique, mais c’est arrivé en même temps qu’Internet en 1997. L’important c’est que les chansons soient bonnes et que les gens puissent les copier : c’est la leçon qu’on peut tirer de l’expérience de Daniel Johnston [qui s’est fait connaître par ses cassettes auto-produites, ndlr]. Le principe reste le même avec Internet, où qu’on aille il y a vingt personnes qui connaissent nos titres : c’est pareil ici, en Russie ou en Nouvelle-Zélande. Ça nous permet d’en vivre, de voyager et de rencontrer des gens partout. C’est toujours le même petit succès que quand j’ai commencé, mais des quarante personnes qui nous suivaient à New York nous sommes passé à quarante personnes dans les villes à travers le monde. Vous êtes surtout connu pour vos chansons, votre pratique de la bande dessinée est-elle aussi importante pour vous ? Je crois mieux savoir comment faire des comics que de la musique. Cette part de votre activité est-elle plus connue aux États-Unis ? Pas des gens impliqués dans la bande dessinée sauf certains auteurs que je connais comme Craig Thompson (Blankets) ou David Heatley (J’ai

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le cerveau sens dessus dessous), mais ils m’ont d’abord connu par la musique. Une petite partie de la population lit de la bande dessinée en Amérique et seulement quelques-uns des comics indépendants en noir et blanc, alors que tout le monde écoute de la musique. Il y a très peu d’argent dans ce milieu et seuls les auteurs au top du top peuvent en vivre. Je vends plus de livres que de disques. Le bénéfice des ventes est le même. Il faut dire que la plupart des amateurs de ma musique se la procurent gratuitement. Il y a en France pas mal de BD-concerts qui se créent mais les histoires que vous racontez avec vos cahiers dessinés grands format et votre groupe sont ce que je connais de mieux dans le genre… Je suis très fier de certaines d’entre elles. History Channel m’a demandé d’en faire de petits films ou mes chansons illustrent des sujets historiques : j’en prépare un sur la Révolution Française. C’est intéressant parce qu’ils me permettent de montrer aux gens ce que je fais dans ce domaine : il n’y a pas de nom pour le définir. Mais je n’invente rien, dans les années 40 et 50 au Japon, il y avait des forains qui allaient à vélo de village en village pour montrer des histoires en musique et en image… En même temps il y a quelque chose de très ironique votre système permet de raconter aussi bien l’attaque d’une ville par un cerveau géant que l’évolution du communisme… C’est assez drôle, voire idiot : plutôt ridicule d’aller à un concert d’indie-rock et de se retrouver devant un exposé sur la chute de l’Union Soviétique. C’est d’ailleurs pour ça que ça marche, parce que c’est amusant.

N’est-ce pas un peu le même principe avec votre album de reprises de Crass ? Ça traverse les défenses des gens d’une manière qu’ils n’attendent pas. Les chansons, même quand elles ne sont pas politiques ou historiques, provoquent l’émotion quand elles pénètrent par une porte inattendue. On ne sait d’ailleurs pas trop comment décrire votre musique… Les gens qui ne nous connaissent pas demandent parfois : « on ne sait pas pourquoi on vous aime autant alors qu’on ne sait pas ce que c’est comme musique ». On l’appelle anti-folk, mais, même ça, ce n’est pas une description. Selon les uns votre dernier album ’Em Are I est le meilleur alors que pour d’autres c’est le pire d’une œuvre en perte de vitesse. Où vous situeriez-vous ? Tout artiste craint que ses meilleurs jours ne soient derrière lui. Tu cherches toujours à tirer le meilleur de toi-même. La première fois c’était déjà le cas, tu essayes de te surpasser la seconde, la troisième aussi… À la cinquième ou la septième, ça devient ridicule : tu ne peux plus. Lou Reed sait très bien qu’il n’écrira plus rien d’aussi bon qu’Heroin, Jonathan Richman que Pablo Picasso ou Dylan que Tombstone Blues. Mais je continue d’aimer leurs albums et de les acheter, comme ceux de The Fall : je veux savoir ce qu’il font aujourd’hui. Il y a toujours du plus ou moins bon sur une carrière. Leonard Cohen ou Nick Cave peuvent parfois attendre cinq ou sept ans avant de faire un bon album et il y aura toujours un critique pour dire qu’ils sont finis ! J’ai aussi sorti un album avec Kimya Dawson [des Moldy Peaches, sous le nom de The Bundles, ndlr] depuis… ❤

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rencontres par philippe schweyer

photo : christophe urbain

Rencontre avec Philippe Poirier à la veille de la sortie chez Herzfeld de son nouvel album Les triangles allongés.

C’est beau, ça nous occupe… Il y a quelques mois, au lendemain d’une soirée Herzfeld à la Filature de Mulhouse au cours de laquelle il était monté sur scène pour interpréter Le grand filtre avec le Herzfeld Orchestra, on croisait Philippe Poirier à vélo dans Strasbourg. L’ex saxophoniste et guitariste de Kat Onoma nous apprenait que son prochain album sortirait bientôt chez… Herzfeld ! En intégrant le label cher à son fils Roméo, Philippe Poirier semblait ravi de boucler une très belle boucle. Après avoir écouté une « mise à plat » de l’album durant tout un week-end, nous avons eu très envie de recroiser cet élégant touche-à-tout (dessin, Super 8, vidéo, scénographie d’expositions, musique de films…) qui construit ses chansons comme autant de petites formes « d’art » prêtes à réveiller notre imaginaire. Rencontre dans la petite cuisine d’un artiste qui sait prendre le temps, en toute intimité. Quel est le point de départ de ton nouvel album, Les triangles allongés? Il n’y a pas de plan ou d’idée préconçue. Mais dans cet album, beaucoup de choses sont liées au dessin. Je redessine beaucoup, je donne des cours, je lis pas mal de choses et ça nourrit les images. Il y a même une chanson, Tractus, qui est la mise en scène du dessin. Je prends beaucoup de temps pour faire les choses et je ne suis pas dans une économie musicale vraiment précise. L’histoire de ce disque a commencé en 2005 à Rennes où j’étais en résidence pour le festival les Tombées de la Nuit. J’avais rencontré d’excellents musiciens rennais, en particulier David Euverte, le clavier de Dominique A, avec lesquels on a réécrit des chansons pour les jouer lors de deux concerts. On a tout enregistré, mais il m’est arrivé plein de choses à la fois personnelles et professionnelles qui ont fait que j’ai laissé l’album en plan. Il y a un an, j’ai décidé de le reprendre et j’ai

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été faire un mix à Bruxelles avec Dominique Brusson, l’ingénieur du son de Dominique A. Mais je n’étais plus du tout dans la course et les labels avec lesquels je travaillais abandonnaient la production… Ensuite, l’idée de sortir l’album avec Herzfeld s’est imposée comme une évidence. On se connaît tous très bien et j’avais fait des concerts à la sortie de l’album précédent avec Vincent [Robert, ndlr] et Thomas [Walter, T., ndlr]. Le fait que tu aies rejoins le label Herzfeld a-t-il modifié la couleur de l’album ? Non, le disque était fait. Ce qui me fait plaisir, c’est qu’il soit magnifiquement accueilli. Je suis vraiment heureux que l’on ait décidé de le produire ensemble. Il y a une forme de détachement dans ta façon de chanter. Tes textes sont souvent des descriptions de paysages, voire de sentiments… Je compose comme un peintre compose une peinture. C’est très pictural. Pas seulement pour produire des images, mais surtout pour produire des petites formes. Mes chansons n’expriment pas la vie quotidienne, je cherche plutôt à créer des petits mondes, des formes closes. Par exemple, Les triangles allongés décrit une relation entre un homme et une femme par la géométrie. C’est une façon de mettre à distance tout le pathos émotionnel. Un homme dans une plaine qui voit un train à cent mètres et qui capte le regard d’une fille qu’il connaît, c’est totalement irréel.


Le disque se termine par La boîte de nuit, un morceau magnifiquement chanté par Françoiz Breut. Pourquoi publier ta propre version ? Je fais tout le temps ça. Je n’ai rien rajouté à la maquette que j’avais envoyée à Françoiz. Elle en a fait une version tout à fait différente, mais je trouvais que ma maquette était intéressante. C’est brut, Je n’ai même pas changé les paroles. Je chante « je suis toutes les femmes », j’espère que ça ne paraît pas trop bizarre… Ce qui est beau quand on écrit pour quelqu’un d’autre, surtout quand c’est une femme, c’est que l’on est dans la pure fiction. C’est un peu une reprise à l’envers… Oui, c’est ça. J’ai repris mon original. Comme avec Le grand filtre que Françoiz avait également enregistré avant moi. Ce n’est pas du tout pour me réapproprier mes textes. C’est au contraire un clin d’œil, une façon de rendre un hommage… Ton nouvel album est un peu plus chanté que les précédents… Le projet, c’est de faire des chansons, pas des rengaines. L’idée, c’est plutôt de trouver des formules qui subitement résonnent en nous comme « C’est beau, ça nous occupe » (Les minces). C’est humoristique, pas désabusé du tout, une petite phrase qui permet à chacun de réfléchir aux choses que l’on ressent ou que l’on voit.

Unique est un morceau à part… Il y a une belle phrase de John Cage qui dit que l’on est toujours à la meilleure place. Par exemple, le fait d’être bien ou mal placé à un concert n’a pas de sens pour lui. L’endroit le plus intéressant, c’est forcément celui d’où on perçoit les choses. La musique est presque secondaire. Il a fait des concerts où il n’y avait pas de musique. Subitement s’ouvre la présence à soi-même au milieu des autres. À partir de cette petite phrase, j’ai cherché à déconstruire systématiquement la vision des choses, et à reconstruire en utilisant des mots saugrenus. Chaque phrase décrit quelque chose de précis, mais ce qui est amusant, c’est que ça produise des images. Est-ce qu’ensemble, on peut voir quelque chose que l’on n’aurait pas regardé parce qu’on n’y aurait pas fait attention ? Si on voit la même chose à plusieurs, c’est réjouissant, ça veut dire que l’on peut partager quelque chose. ❤ Les triangles allongés www.hrzfld.com + www.philippepoirier.com Album offert aux nouveau abonnés sur www.novomag.fr Release party le 4 décembre au Hall des Chars / La friche Laiterie à Strasbourg – www.halldeschars.eu

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rencontres par cécile becker

photo : éric antoine

Quand on se déplace sur la surface du globe, on est ailleurs partout.

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Le fiasco de la censure À l’occasion de la présentation de son dernier long métrage, Chantrapas, Otar Iosseliani nous évoque entre honnêteté et résignation la censure, le cinéma français et la musique.

Chantrapas, c’est l’histoire d’un jeune réalisateur géorgien : Nicolas qui, soutenu par deux amis d’enfance et son grand-père, remue ciel et terre pour pouvoir sortir son film et s’exprimer en toute liberté. Confronté aux « idéologues » de son pays qui jugent son œuvre non conforme à la propagande, Nicolas est réduit au silence. Il décide de partir pour la France où il fera l’expérience d’un système de distribution exigeant et frileux. “Chantrapas”, c’est une expression russe inspirée du français : les enfants des aristocrates étant jugés sur leur capacité à chanter, résultat : « les chantera pas » sont devenus les bons à riens, les exclus. Pour Otar Iosseliani, la plupart des artistes sont des chantrapas : Victor Hugo, Fritz Lang, Otar Iosseliani lui-même, ont tous dû s’exiler pour s’exprimer. Le film souligne quelques similitudes avec la vie du cinéaste, mais n’est pas pour autant autobiographique. En 1961, Iosseliani sort Avril, film qui ne sera diffusé qu’en 1970 en Union soviétique. Quelques années plus tard avec La chute des feuilles (toutefois présenté au festival de Cannes) et Vieilles chansons géorgiennes, même rengaine. Ses films sont soit retirés de la diffusion par l’URSS soit interdits par Tbilissi. Mais il ne se laisse pas abattre, ses films et documentaires dépassent les frontières et se voient récompensés par la Mostra de Venise. L’Europe étant plus accueillante, il fait ses valises et s’exile en France. Chantrapas, c’est plus subtilement l’histoire d’un combat universel entre les artistes et les hommes en costard, un film temporel, une « parabole sur la nécessité de rester soi-même ». Votre film est finalement une réflexion autour de l’artiste et de la création ? Mon film c’est une manière de montrer qu’on est étranger partout. Quand on se déplace sur la surface du globe, on est ailleurs partout. Le régime géorgien refuse d’aider Nicolas à créer son film, il est enfermé. Je questionne le spectateur : comment peut-on vivre, créer alors qu’on est encadré par une politique, une société bien-pensante. Ce film raconte aussi comme c’est formidable d’être têtu pour un artiste. Peu importe l’époque où il créé, s’il est sifflé, hué. Si l’artiste est sincère et la pensée profonde, il reste quelqu’un qui nous nourrit.

Quoi qu’il fasse, il reste confronté à cette censure, comment peut-on la contourner ? La censure, c’est une longue bataille, comme un mur. Mais il y a des possibilités de la contourner, de passer au-dessus. La censure subit toujours un fiasco, parce que le temps passe. Le message finit toujours par arriver à son destinataire. Les censeurs, on les oublie, même, je pense qu’ils ont des démangeaisons de conscience. Hier et aujourd’hui la censure a toujours été omniprésente selon vous ? Dans quel état étaient les Impressionnistes quand ils ont sortis leurs œuvres ? Ils ont été très critiqués par le public à l’époque. Des tas d’artistes sont concernés par ça, Igor Stravinsky ou Arnold Schönberg. En musique, Gioachino Rossini a même arrêté de composer parce qu’il n’a pas été compris. Aujourd’hui pourtant leurs œuvres sont reconnues. Pendant que l’artiste fabrique, il est libre c’est après que les choses se compliquent. Les gens n’ont pas forcément les mêmes critères que lui. Vous vivez entre la Géorgie et la France, est-ce plus facile ici ? En France, le cinéma ne va pas très bien. Il y a ce système : l’avance sur recettes qui aide à la création des œuvres, ça c’est très bien, sauf pour ceux qui ne les perçoivent pas. La situation dans les salles se dégrade, les distributeurs dominent, et les commissions qui fournissent les aides ont oublié les critères de notre métier, ils ne pensent qu’au grand public. Je n’ai pas perçu d’aides. Si mon film a été produit c’est grâce à l’argent de mécènes. Une chose frappe c’est la musicalité de votre film, c’est important pour vous ? Pour moi, le cinéma ce n’est pas une narration, ni une dramaturgie. Le cinéma prend la forme musicale, comme une fugue par exemple. Ce n’est pas la narration qui compte c’est l’entre-pénétration des mélodies. J’aime beaucoup revoir les films d’Orson Welles, le contenu de l’histoire est plus important que l’histoire elle-même. ❤

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rencontres par Manuel Daull

photo : Nicolas Waltefaugle

COMME UN WESTERN SOUS LA NEIGE, Manuel Daull a lu Enlèvement avec rançon le nouveau roman de son ami Yves Ravey (photographié à la manière d'un paparazzi par Nicolas Waltefaugle dans une rue de Besançon). Il confie son trouble et son admiration aux lecteurs de Novo.

À un moment où je ne parvenais plus à écrire, j’ai commencé à faire des images – enfin ce n’est pas tout à fait vrai – j’ai toujours fait des images avant même d’écrire – les images ont accompagné une bonne partie de ma vie et ça continue – mais je me souviens à cette période-là avoir commencé une série d’images prises de l’intérieur des lieux où je passais – résidais parfois – cadrées à travers une fenêtre ou une porte, la vitre d’une voiture, vers un point à l’extérieur de l’architecture comme une peau qui m’accueillait alors, fasciné que j’étais je crois par les travelling de Jarmush Je crois que les premières pages d’Enlèvement avec rançon ont réactivé ce souvenir-là – immédiatement, j’ai eu le sentiment qu’ Yves Ravey avait resserré son cadre et la première lecture s’est opérée avec l’idée curieuse d’un sentiment de proximité – je retrouvais là un monde, une façon de parler, je veux dire je connaissais déjà l’endroit d’où la parole s’exprime, et savais qui mettait en route cette voix là, mais en même temps j’étais troublé par la singularité de la manière de donner à voir, quelque chose comme je connais cette voix mais je ne reconnais pas ce sur quoi elle se pose – j’ai parcouru déjà ce territoire mais comme avec d’autres yeux

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Pour qui a déjà lu Yves Ravey, ce n’est pas une surprise que de parler ici de la portée visuelle de son écriture – pourtant j’ai le sentiment qu’il y a là dans Enlèvement avec rançon une dimension cinématographique plus marquée, ou peut-être d’une autre nature, encore une histoire de cadre, peut-être quelque chose qui aurait à voir avec le cinéma de genre – je ne suis pas certain d’avoir l’envie de définir ce genre – pas certain non plus de pouvoir le faire – peut-être juste pourrais-je parler de cette suite de plans séquences, ou fixes – à l’ouverture on semble suivre ces skieurs, une camera en mouvement en quelque sorte, des mouvements sobres, sans effet, donnant à voir au plus juste – et ça reste vrai pour toutes les scènes d’extérieur [par extérieur j’entends toutes parties se déroulant en dehors de la maison familiale] – dans celle-ci la caméra est posé sur pieds au sol comme toujours déjà-là, comme toujours dans l’attente d’enregistrer les mouvements qui vont s’opérer au devant d’elle, et ils passent, Jerry max et les autres, passent de la cuisine à la chambre où l’on retient l’enlevée, on ne connaîtra guère plus de la maison – finalement, peut-être me suis-je fait un film de ce livre, ça a été peut-être ma grille de lecture, rattrapé par mon goût du hors champs, cette manière de montrer qui nous engage à chercher ce qui manque déjà ou n’est pas immédiatement visible, comme cette mère, dont tout dans la maison nous rappelle la présence, cette part de l’histoire familiale dont on ne sait presque rien, cette mère absente seulement, et pourtant si présente, qu’on entrapercevra juste à la fin, comme un nœud central, comme le point d’ori­gine de tout ce qui advient Peut-être ai-je juste été frappé par la multiplicité des points de vue [nous sommes en montagne après tout, petite ou grande peu importe] donnés – de là où l’on parle, cette façon de se situer parfois à l’intérieur, à l’extérieur – des plans fixes une caméra posée dans le coin d’une chambre – des plans séquences où l’on dévale une pente enneigée à ski, où l’on attend une voiture à un carrefour – ces images fugaces aussi, suggérées, tentant de reconstituer l’itinéraire du frère loin à l’étranger – je suis troublé je crois par ces points de vue mouvants et ne sais comment commencer


Alors quoi, parler de l’histoire – partir de ce que l’histoire nous dit pour essayer de définir le trouble ressenti – parler de ces retrouvailles entre frères, qui ne se sont pas vus depuis vingt ans – parler de la banalité du quotidien, du métier, en somme de l’immobilité de l’un et des déplacements de l’autre, de ses voyages, de ses séjours à l’étranger, en Afghanistan même – de ce que ça implique immédiatement, cette manière d’en dire si peu que cultive avec art Yves Ravey et qui est pourtant si signifiante, cette écriture par soustraction, ces paragraphes disparus dont il ne reste que quelques phrases, courtes qui plus est, pauvres d’un point de vue grammaticale, cette écriture sans ornement ni fioritures, mais je m’éloigne Ces deux frères donc qui ne se parlent que peu et seulement dans l’action, que ce soit celle de faire une omelette sans jambon pour l’un [comme un indice] ou d’enlever la fille du patron du premier pour une histoire d’augmentation refusée, comme si ça pouvait être la seule raison – l’histoire est truffée de fausses pistes, le faible le fort, le terrorisme, la rançon, l’aspect social, l’histoire locale ou internationale – vrai faux roman noir – vraie fausse étude de mœurs d’une population où l’on règle

les problèmes entre soi sans faire appel à la police – vraie fausse métaphore biblique où la loi de Caïn se transforme en loi du Talion – vraie fausse étude du syndrome de Stockholm et pourtant tout cela à la fois Je me perds encore – la richesse de ce roman n’est pas seulement dans l’histoire, pas seulement non plus dans les fausses trappes qui se dérobent sous nos pieds de lecteurs – peut-être plus en revanche dans cette capacité de nous placer, nous lecteurs, à l’endroit précis où se situe la petite caméra d’Yves Ravey [comme à regarder ce qui se passe à hauteur de nos yeux] sur la frontière intérieur/extérieur des lieux, du vécu aussi des personnages – cette frontière qui nous fait parfois plonger à l’intérieur des gouffres de chacun en nous en présentant les failles, ou au contraire nous dilue dans les méandres d’une histoire qui semble bien ficelée – nous sommes-là, à la lisière ou les choses semblent changer jusqu’à s’inverser – c’est peut-être ça au fond qui me trouble, ce vertige – cette sensation d’assister à l’écriture en cours de ce roman – et si l’écriture était aussi pour l’auteur un outil de révélation au sens photographique – peut-on l’imaginer en train de faire son cadre, et attendre l’accident s’imposant à lui – peut-être est-ce cela qui fait d’Enlèvement avec rançon un roman de l’inversion des points de vue, singulier par-là même par rapport aux autres romans d’Yves Ravey – si on assistait avec les précédents [à la manière d’une composition picturale] à la construction des personnages, dans celui-ci il s’agit de révélation – au fond ni Jerry ni Max ne changent, c’est juste notre point de vue qui nous permet de les voir tel qu’ils sont depuis toujours – idem pour leur histoire – leurs rancœurs ou leurs dérives – tout est dit au début, au tout début – avec ou sans jambon, la vengeance est un plat qui se mange froid – quant aux américains j’y reviendrai Yves Ravey, Enlèvement avec rançon, Éditions de minuit

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cinérama 5 Par Olivier Bombarda

« Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. » Jean-Luc Godard Remake de l’œuvre originale de Kim Ki-young (datant de 1960 et visible sur mobi.com), The Housemaid d’Im Sang-Soo s’accorde un constat sociétal contemporain, terrible et acerbe : encore tenue en laisse par quelques préceptes moraux dans les années soixante, la classe moyenne parvient cinquante ans plus tard au statut de grande bourgeoisie décadente, avilissante et impunie. Luxe et luxure alimentent le jeu d’une société réelle, autocentrée, violente, où les dérèglements font loi pour mieux asservir. Raffinement et instincts primaux sont les fers de lance d’une mise en scène éminemment sophistiquée et dirigée par la volonté d’érotiser toutes situations jusqu’aux limites de l’explosion barbare. Qui dit mieux ? *** « Un cinéaste, ça se demande comment va le monde. S’il ne pose pas cette question, il fait du cinéma qui se prend le pouls. » André Téchiné *** Avec Les Amours imaginaires Xavier Dolan éclaire la vision de J’ai tué ma mère, son précédent et film et premier long métrage. Au-delà des colères irrépressibles à l’encontre de maman, le jeune québecquois décortique, son cœur noué d’inquiétudes, le malaise d’un homo doux et fasciné – au même titre que sa copine, Marie – par la beauté de Nicolas. Même s’il n’est ni question d’une Lettre à un inconnu(e), ni d’errance morbide à la recherche de Tadzio, les symptômes modernes de cette obsession s’accompagnent d’affrontements et de joute verbale. En point de mire, tristesse et mélancolie, sont bercées par une cinématographie lorgnant Wong Kar Waï, sans être vaniteuse : d’une belle tempérance sur l’aveuglement des personnages à la leçon amoureuse, elle continue de s’épanouir. *** « L’amour, c’est l’occasion unique de mûrir, de prendre forme, de devenir soi-même un monde, pour l’amour de l’être aimé. » Rainer Maria Rilke

Gregg Araki fait Kaboom, sorte de foire fluokitsch explosant les canons du « college movie » ; il fixe l’adolescence pleine d’une sexualité pop sur fond de drogues et de musiques post-rock, et s’applique à restituer des cauchemars psychotiques à la façon de David Lynch. Le cobaye est Smith (Thomas Dekker), prototype du joli garçon dont les filles sont folles tandis qu’Araki se plaît à en détourner l’image de bellâtre hétéro au profit du « bi » libéré autant qu’il n’est parano. De manière plus large, un diagnostic : l’Amérique est paumée, obsédée par le sentiment d’un cataclysme hystérique mondial. *** « Si le monde explose, la dernière voix audible sera celle d’un expert disant que la chose est impossible. » Peter Ustinov *** The Social Netwok de David Fincher vérifie l’adage de Robert Murdoch : « Le monde change à une vitesse folle. Le fort ne battra plus le faible. Dorénavant ce sera le rapide qui battra le lent ». Ainsi en est-il du film, le premier à traiter de la révolution d’Internet et des réseaux sociaux via un biopic de Mark Zuckerberg, petit nerd coiffant au poteau les jumeaux Winklevoss d’Havard pour fonder Facebook et devenir le plus jeune milliardaire de l’histoire. The Social Netwok signe l’accélération du temps avec des dialogues ésotériques, caractéristiques de la nouvelle génération technologique en marche. Mark a eu la préscience d’une société individualiste en quête d’ubiquité, de voyeurisme et de nouveaux « amis ». Il vit ce paradoxe lui-même, l’esseulé oublie vite ses origines, ainsi que son ami Eduardo. La dimension fictive de ce film sans concessions (dont on suspecte néanmoins les inévitables raccourcis) prend le pas sur la réalité : le vrai Zuckerberg a projeté The Social Netwok aux salariés de Facebook. Il fallait bien avant tout le monde, rester dans le coup. *** « La liberté de choix et d’intelligence en commun est contestée par l’exigence, en tous domaines, de réponses immédiates. Désormais, la vitesse est vraiment devenue notre milieu, nous n’habitons plus la géographie mais le temps mondial. » Paul Virilio

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Le monde est un seul / 10 Par Christophe Fourvel

Photo : Marisa Tomei et Mickey Rourke dans The Wrestler

Beuverie(s)

Dans une scène du film The Wrestler de Darren Aronofsky, Mickey Rourke, vieux catcheur meurtri par l’automne douloureux de sa vie, invite une strip-teaseuse avec qui il entretient des liens d’une tendresse tarifée à boire un verre en plein jour. Ils sont dans un bar presque désert d’un après-midi de semaine et qui est pour lui comme une bouée. Il voudrait enchanter ce moment mais il n’a pas tellement les mots pour le faire. Passe alors un vieux tube des années 80 sur lequel il ordonne à sa carcasse quelques mouvements de danse heureux. Randy Robinson alias The Ram (le bélier) vient d’avoir un infarctus et vit seul dans un mobil home. Il travaille quelques heures par semaine dans un supermarché et sait qu’il ne pourra plus catcher. Il a une fille qui le déteste. Sa vie ne déborde en rien de tous ces naufrages, mais là, c’est un moment hors de l’eau. Il chante cette chanson des années 80 et les mots qui se lovent avec le plus de justesse dans la tessiture de sa voix sont ceux qui lui font dire avoir adoré les années 80. Mais la décennie qui a suivi, Ram a détesté. Je ne sais pas s’il existe un nom pour désigner ces moments, alors, en attendant de le savoir, usons de terme décalé de “sainte beuverie”. Il s’agit après tout, d’un moment de bistrot. Pour le spectateur, c’est un état de grande émotion, car bien sûr, il sait que le catcheur fatigué et l’acteur ont

des trajectoires faites du même trait. Qui a aimé les années 80 et détesté les suivantes ? Mickey ou Ram ? Les deux, précisément, qui ont fait le trajet difficile de la lumière à l’ombre et ont dégringolé ensemble au pied des affiches qui les reflétaient en idoles. Sainte-Beuve disait, il y a de cela 150 ans, que l’analyse littéraire devait s’étoffer d’une connaissance fouillée de la vie de l’écrivain. À l’inverse de Proust, il pensait que l’auteur des livres se dévoilaient dans ses correspondances, sa vie sociale, ses mondanités. Ram, en l’occurrence ici au cinéma, s’épaissit de la vie et de la gloire déchues de Mickey Rourke. N’avonsnous pas tout à gagner à le savoir ? Ne vibre-t-on pas plus encore en écoutant Le chant de la terre, lorsque l’on sait que Gustav Mahler composa cet adieu à la vie après avoir perdu un enfant et à un moment où il se sait luimême condamné par la maladie ? Que le phrasé de Proust obéissait à une main et un corps soulevés par une respiration difficile, heurtée et que la solitude de l’homme Pessoa était à la démesure de celle qui habite certains de ses plus beaux vers comme Je ne suis rien/je ne serai jamais rien/à part ça, je porte en moi tous les rêves du monde ? Mais évitons la litanie des œuvres célèbres et scellées à l’infortune des vies qui leur donnèrent existence. Nous voudrions parler ici d’un disque arrivé dans les bac un an après le film qui signa le retour en grâce de Mickey Rourke. Il s’agit du dernier opus de Johnny Cash, le mythique chanteur de country-folk, mort en 2003, quatre mois après sa femme et dont les ultimes enregistrements paraissent sous les intitulés sobres et numérotés de American. Voix d’outre-tombe donc, puissante encore et dont quelque chose pourtant a entrepris la racine, que l’on nommera la mort, la maladie ou le deuil. Et de quoi parlent ces chansons ? De la mort justement, de la vie qui s’achève et envers laquelle il ne nous faut nourrir aucun remord. Une sérénité à peine entamée par quelques faiblesses d’une voix chaude, le corps infiniment présent, une lucidité à la fois taquine et résignée qui se paie d’une ultime fronde : there ain’t no grave, can hold my body down. Là est le résumé indépassable de l’œuvre : aucune tombe ne peut contenir mon corps. The show must go on, certes, mais le show continue de lui-même… Ain’t no grave, can hold my body down : le meilleur salut que l’on puisse adresser à chaque jour qui se lève. The wrester, de Darren Aronofsky, est disponible en DVD. American VI : Ain’t no grave, Recordings Label.

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Songs to learn and collines sing Chronique de mes Henri Morgan vit retiré à la campagne, et se consacre à l’étude et à la méditation. Par Vincent Vanoli

Manga Kamishibai, du théâtre de papier à la BD japonaise

Au Japon, la généalogie de la bande dessinée est des plus curieuses. L’un de ses ancêtres est le théâtre de papier, ou kamishibai, qui consiste en une succession de peintures qu’un montreur, le kamishibaiya, exhibe en plein air, sur un petit cadre, en racontant l’histoire avec force mimiques et ports de voix, pour un public enfantin. Les spectacles sont gratuits. Le kamishibaiya vend des bonbons à ses jeunes spectateurs et c’est de cela qu’il vit. Comme traditionnellement, il doit aussi fabriquer les sucreries qu’il vend (activité pour laquelle sont réservés les jours de pluie), et que le prix de vente des bonbons est modique, on peut conclure que le kamishibaiya exerce un beau métier, mais qui n’est guère lucratif. Le kamishibai connut son apogée après-guerre. Il fut détrôné par la télévision. Beaucoup de dessinateurs de kamishibai opérèrent ensuite dans les manga destinés aux bibliothèques de prêt, et finalement, dans les manga normaux. Des personnages firent la transition entre le kamishibai et le manga, tels Gekkô Kamen, le Chevalier de la lune, célèbre enturbané blanchâtre juché sur une moto.

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Mais le kamishibai témoigne aussi de l’extraordinaire aptitude des Japonais à récupérer une iconologie occidentale et à se l’approprier. Golden Bat, personnage à tête de squelette portant une fraise et une cape rouge, est à l’évidence inspiré par Lon Chaney dans The Phantom of the Opera, version muette de Rupert Julian, 1925. Le plus étonnant est que Golden Bat est un « gentil », alors que cette funèbre figure est dans l’original une image de terreur (le Fantôme de l’Opéra est grimé, pour le bal masqué de l’Opéra Garnier, qui est naturellement le seul moment de l’année où il peut se montrer, et il s’est déguisé en Masque de la mort rouge, s’inspirant de la nouvelle de Poe). Manga Kamishibai, du théâtre de papier à la BD japonaise, d’Eric P. Nash nous apprend tout ce qu’il faut savoir sur le kamishibai et présente des cycles de récits complets, commentés dans des légendes, ce qui permet de se faire une idée assez précise du genre. Le gros point noir de l’édition française est la traduction. Le traducteur, dont je tairai le nom par charité chrétienne, ignore absolument tout de la culture populaire japonaise, ou du Japon en général, ce qui est source de contresens multiples, car le sujet est assez technique. Circonstance aggravante, il ignore également tout de la langue anglaise, de sorte qu’il écrit n’importe quoi. Cela commence dès l’introduction par Frédéric Schodt. Le kamishibai ne connaît pas une fin de carrière dans « les maisons de repos » (pour cadres surmenés ?), mais dans les maisons de retraite, ce qui est beaucoup plus logique, car les vieux adorent retrouver leur enfance. Le reste de la traduction est à l’avenant. C’est un défaut très fâcheux pour un ouvrage qui se veut historique. Eric P. Nash, Manga Kamishibai, du théâtre de papier à la BD japonaise, Éditions de la Martinière, 2009


Songs to learn and sing Par Vincent Vanoli

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Tout contre la bande dessinée Par Fabien Texier

« Un zeste de bonne franquette propre au petit monde bédéphile.» Propos cité par Jochen Gerner dans Contre la bande dessinée, l’Association

L’expérience Pierre Feuille Ciseaux : PFC # 2 Seconde édition de ce laboratoire expérimental avec ateliers, expos, projections, performances et débats, montée à la force du poignet par June (Julien Misserey) et ses bénévoles de l’association Chifoumi durant une semaine à la Saline royale d’Arc-et-Senans. Comme le notait le Suisse délocalisé à Buenos Aires, Ibn Al Rabin, lors du week-end de restitution de la résidence ouverte au public les artistes n’ont pas grand-chose de vraiment abouti à montrer. Il faut être auteur soi-même comme Vincent Vanoli, venu là en touriste, pour, jetant un

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œil sur les dessins et exercices oubapiens collés sans précaution aux mur de l’atelier, en conclure : « Oh putain, ils ont bossé comme des malades ! Ils sont fous ! » Souvenir le plus prisé de PFC, la revue sérigraphiée dirigée par Blexbolex réalisée durant la semaine avec le concours de cinq autres auteurs. Christian Rosset dont les Avis d’orage dans la nuit (France Culture) sont en écoute sur des transat en veut absolument un exemplaire, même


Sur la crête Henri Walliser + Denis Scheubel

s’il se demande bien ou il pourra le caser chez lui. Dans la librairie, l’on trouve la plupart des œuvres des auteurs récents mais aussi les micro-éditeurs strasbourgeois Pacôme, les Poulpes, Nyctalope, Icinori et d’ailleurs comme Arbitraire… Mais aussi un distributeur de clopes montréalais amené par la fanzinothèque de Poitiers qui délivre des boîtes en carton où l’on peut trouver une fresque de LL de Mars et Benoît Pretseille, des micro-fanzines d’Ibn Al Rabin. Également parmi les fruits visibles de cette semaine, le fanzine de LL de Mars, la « bande dessinée industrielle » dirigée par Lisa Mandel, un jeu d’images de base-ball en sérigraphie représentant les auteurs en résidence, un exercice oubapien sur l’absence involontaire du « parrain » de PFC, J.-C. Menu… L’essentiel de ce qui est produit lors du laboratoire est de l’ordre de l’expérience, de l’échange. Ainsi Lisa Mandel a pu tester sa BD industrielle au fonctionnement calqué sur celui des grands studios avec une quinzaine d’auteurs complètement étrangers à ce type de fonctionnement. Une division tayloriste du travail donne à chacun une mission bien précise : création des personnages, écriture du scénario, storyboard, crayonné, encrage, lettrage… Une expérience qui a donné à la plupart l’envie de recommencer, entre son côté collaboratif et l’effet apaisant de travailler pour les autres, sans angoisse de la page blanche. Pour Lisa Mandel, c’était l’occasion de vérifier la viabilité et l’intérêt d’un tel travail avec des auteurs parfois très engagés dans le DIY, comme Pierre Maurel, qui se taille un joli succès avec son fanzine sans titre, autour des clandestins de Blackbird, autoproduit et autodistribué. On aura aussi vu Anouk Ricard s’essayer pour la première fois à la lithogravure, Gautier Ducatez (Gotpower) des éditions The Hoochie Coochie exprimer le souhait de mettre en place une véritable revue critique en bande dessinée, June, Christophe Ehrwein (D.A. du Sismics à Sierre) et Dominique Mattei (responsable de BD à Bastia) échanger sur leurs points de vue d’organisateurs. Le plus intéressant pour les 2000 visiteurs lors du week-end de restitution aura probablement été de circuler librement dans la Saline, découvrir l’atelier où les auteurs ont travaillé (et travaillaient encore) toute la semaine. De voir à l’œuvre la fabrique de fanzine itinérante d’Alex Baladi et Andreas Kündig, de se mêler de sérigraphie avec All Over et même de tester les contraintes oubapiennes en compagnie des auteurs lors des soixante minutes de la BD. S’il permet un contact concret et direct et complètement hors commerce entre les visiteurs et les artistes, le plus précieux de PFC est sa volonté de s’inscrire dans un temps long, d’expérimenter au risque de ne parfois déboucher sur rien. Ses plus riches fruits, ne seront pas forcément identifiés en tant que tels, se traduisant par de nouvelles collaborations, des éditions, projets, concepts, croisements, qui écloront souvent bien longtemps après la résidence qui les a vu naître. Le contraire de l’esprit du temps ?

MARTIEN Si un jour tu réalises que t’es tout vert. Dis leur que c’était déjà le cas de ton père. Si tu te sens bien, tout vert fais leur croire que tu es fort. Si tu restes tout vert dis leur qu’en Amérique les géants sont comme ça. Si t’es tout vert Dis leur que ce sont eux qui se trompent. Si t’es tout vert, dis leur que t’es un artiste. Dis leur que tu es un martien. Et tu auras la paix.

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Pas d’amour sans cinéma / 2 Par Catherine Bizern

L'homme est le capitaine C’est un film de pirate, d’espionnage et de fantaisie1. On y parle allègrement portugais, anglais, français, engagement, magie, trahison. Lorsque le capitaine du bateau s’enferme dans sa cabine, cela se passe brusquement, dans un raccord de plans.Alors l’équipage s’inquiète, il attend, se poste finalement devant sa porte et chante une douce romance Tenho saudades tuas, vem foder, I miss you so much, come and fuck me, Tenho saudades tuas, I miss you so much, vem foder, come and fuck me… La tendresse de la voix et de la guitare, l’incongruité des paroles adressées à un capitaine de pirates par ses hommes, la grâce du moment qui en plan fixe s’écoule doucement, les deux musiciens assis devant la porte, le reste de l’équipage tel un cœur debout bien aligné, tout cela me fait sourire, m’étreint et me fait désirer dans un même élan le chanteur, le musicien, le cœur, le capitaine et l’homme dont je suis amoureuse. L’homme et le capitaine – charme de la chanson – l’homme est le capitaine. Le capitaine exilé de lui-même sans quitter le navire fait le mort, je le reconnais bien. I miss you so much come and fuck me, le romantisme cru de la phrase m’enchante : la catastrophe du manque sentimental et l’assurance simple du désir sexuel, mais aussi un possible ludique du rapport amoureux. I miss you so much come and fuck me une phrase tout exprès pour l’homme dont je suis amoureuse. Enfin, le capitaine ouvre sa porte – charme de la chanson – tout le monde s’enlace, cela dure longtemps, sans un mot… retour d’exil... Chacun de l’équipage repartira à ses occupations, l’air de rien. L’histoire reprend, une histoire de pirate, d’espionnage et de fantaisie. Reste l’enchantement de l’instant suspendu, le plaisir du moment qui s’épanche, lorsque le cinéma invente des durées pour se rouler dedans, jusqu’à s’enfoncer, se perdre et se reconnaître avec jubilation. Reste cette impression de complicité qui s’est tissée dans ce temps étiré, s’est faite si prégnante avec les personnages, le cinéaste et le monde… Le cinéma n’est-il pas cet espace public dans lequel sont brassées et se partagent nos sensations les plus intimes ? Ou bien est-ce une illusion car avec qui puisje partager réellement l’émotion particulière de cette séquence qui « s’accorde à mon désir », résonne si justement avec mon humeur ? Cette fois, il se peut que personne ne se soit aventuré aux mêmes confins que moi. Cette fois mais peut-être aussi toutes les fois. Le territoire que me fait arpenter la séance de cinéma est comme celui de la séance d’analyse, il

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ne se décrit qu’au risque de voir disparaître toute clairvoyance, toute la logique et la force de résolution du chemin parcouru. Ce territoire peut parfois se mélanger à d’autres, il ne se partage pas, ou si peu, jamais vraiment. Mais je n’ai pas besoin de le partager pour y croire, l’illusion que ce serait possible me suffit. L’illusion d’y croire, celle sur laquelle est construite toute entière la réalité cinématographique dont je me délecte. Plus tard j’envoie un sms : je raconte le film de pirate, le capitaine dans sa cabine, l’équipage devant la porte… I miss you so much come and fuck me. Pleine de l’expérience cinématographique je suis irrésistible – charme de la chanson. Et lui n’est pas amoureux de moi. Cela ne fait rien. Une autre scène, un autre film, me consoleront bien. 1 – L’épée et la rose de Joao Nicolau, en compétition au Festival International du film de Belfort - 25e édition. Sortie en salle prévue en Avril 2011


La stylistique des hits Par Matthieu Remy – Illustration : Dupuy-Berberian

La paronomase

C’est une évidence : certaines figures de style, fondées sur les jeux de sons, s’intègrent miraculeusement bien au processus de fabrication des hits, parce qu’elles participent à l’élaboration mélodique sans pour autant freiner l’ajout de sens. C’est le cas de la paronomase, figure-reine des auteurs capables de penser un texte de chanson comme une mécanique musicale avant tout, et dont la musicalité propre ne viendra pas troubler celle de la chanson proprement dite. Le désormais fameux Vocabulaire de la stylistique de Georges Molinié et Jean Mazaleyrat nous donne une définition très claire : la paronomase est cette figure « selon laquelle on met en parallèle deux lexies de sens différentes, mais de signifiants proches, à quelques phonèmes près ». L’exemple le plus parlant est l’un des slogans de campagne du général Eisenhower, dont le surnom était « Ike » dans les années 50 : I like Ike. Le rapprochement entre les signifiants « like » (aimer) et « Ike » amène à un rapprochement de sens, par bravade vis-à-vis de l’arbitraire du signe : si les mots se ressemblent, c’est bien qu’il doit y avoir une ressemblance des sens qu’ils portent indépendamment. On aura bien compris que la paronomase joue sur une sorte de mensonge mais c’est là sa vertu poétique : jouer sur des similarités qui sont le fruit du hasard pour faire communiquer deux univers. La rhétorique politique s’en sert donc allégrement, tout comme celle des chansons populaires. Dans Désir, désir, l’auteur Alain Souchon s’amuse à faire

résonner ensemble « hameçon » et « âme sœur », inférant l’idée que l’être aimé va nous ferrer comme un brochet de rivière. Et le même Souchon, cette fois-ci dans une chanson qu’il interprétera luimême, La ballade de Jim, nous explique que « Jimmy boit du gin », comme si le pauvre narrateur était indéfectiblement associé à l’alcool qui lui sera fatal. Prise dans une énumération, la paronomase est encore plus forte, comme dans Five years de David Bowie (l’exemple déjà cité ici : « I saw boys, toys ») et l’idéal pour la faire fonctionner à plein est de renforcer l’évidence en situant les deux mots au plus près l’un de l’autre, ou en les articulant dans une dynamique (« Faut savoir s’étendre sans se répandre » de Gainsbourg). Dans les titres de chansons, l’effet est ainsi immédiat et annonce la couleur (Jersey Thursday de Donovan), et de nombreux titres d’albums recourent à cette astuce langagière. La paronomase n’est donc jamais un innocent jeu de parallélisme, en particulier lorsqu’il joue sur des termes peu employés, dont on montrerait ainsi une sorte de racine commune oubliée. Mais sa force peu commune, l’effet d’évidence qu’elle construit en a fait un ressort habile des bons artisans de la chanson, qui l’ont parfois usé jusqu’à la corde, dévoilant ainsi son caractère un tantinet falsificateur et artificiel. Alain Souchon - La ballade de Jim Laurent Voulzy et Véronique Jannot – Désir, désir David Bowie – Five years Serge Gainsbourg – Pauvre Lola

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L’acte pour l’art / 1 Entretien Tino Sehgal / Peter Sloterdijk

Traduction : Joerg Bader

TINO SEHGAL À L’AUBETTE 1928 Première d’une série d’interventions artistiques à l’Aubette 1928, les pièces de Tino Sehgal arrivent à Strasbourg. Le complexe de loisirs mythique, qui a existé de 1928 à 1938, décoré par Theo Van Doesburg, Sophie Taeuber-Arp et Hans Jean Arp redevient ainsi un laboratoire de la création internationale. L’œuvre de Tino Sehgal est une remise en question radicale du statut de l’œuvre d’art. Ses pièces immatérielles sont constituées de chants, de danses ou de discours exécutés par des interprètes, sans aucune trace possible de ces interventions. En 2005, pour le pavillon allemand de la Biennale d’art de Venise, en guise de catalogue d’exposition un entretien avec le philosophe Peter Sloterdijk paraissait dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit.

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Peter Sloterdijk : Vous savez que nous essayons depuis des décennies de remplacer le terme de « progrès » par des concepts plus précis. Du « progrès » au singulier on en parlait, quand on croyait que le monde dans son état non accompli, non abouti, pourrait être catapulté, jeté en avant. Qu’on pouvait guider, conduire le cours du monde comme un véhicule. Tant que cette illusion était implantée dans les esprits, on a pu maintenir l’idée d’un progrès homogène qui pénètre tout, de la technique jusqu’à la morale. Tino Sehgal : Bien sûr. Mais quand même, j’emploie le terme consciemment, parce qu’il joue toujours dans la sphère de l’économie, en tant que terminus technicus, un rôle bien précis. D’un côté les modes de travail sont organisés à être de plus en plus efficaces tout en supprimant des postes de travail, de l’autre, grâce à l’innovation technique, de nouveaux champs d’activité s’ouvrent. Quand ce processus tombe en déséquilibre – mis à part ses effets problématiques – de moins en moins d’humains peuvent être employés. La question d’un progrès qui n’est pas un progrès technique vise alors la question de l’existence d’une quelconque forme de processus socio-culturel, qui prend en charge la fonction d’innovation économique et extra-économique du progrès technique. P.S. : Cela veut-il dire qu’en tant qu’artiste vous cherchez un travail dans lequel il n’y aurait pas de création de valeur? T.S. : Il y a de la création de valeur chez moi. Si je n’avais pas relié quelque chose comme l’immatériel avec le marché, je ne serais pas là. Mais cette production de valeur est détachée d’une économie liée aux ressources fossiles.


Modernons Par Nicolas Querci Un but : dénoncer les exactions du moderne. P.S. : Mon collègue Boris Groys a développé la thèse que dans le monde de l’art se joue quelque chose comme une pré-école de la consommation. C’est seulement dans le musée que les gens apprennent comment on expérimente la différence esthétique avec des objets. Et avec cette nouvelle capacité de différenciation, apprise auprès de l’art, ils observent des choses du quotidien avec d’autres yeux. Ils sont alors prêts pour l’esthétisation d’autres objets. Voilà le point où se forme le design. T.S. : C’est justement ce qui est intéressant avec le marché de l’art, d’un point de vue économique. Il est le premier marché sur lequel on offre des produits qui ne se soucient pas de prétendre à une valeur d’usage immédiate. Il y est juste question de transmission de subjectivité. Et ceci est de plus en plus valable aujourd’hui aussi pour d’autres branches de l’économie. Ce qu’on vend réellement quand des jeunes acquièrent par exemple tous les six mois un nouveau portable, c’est une sorte de formation de subjectivité, ou si vous préférez d’identité. Ceci est aujourd’hui de plus en plus valable pour d’autres branches de l’économie. Reste à savoir si cette formation de subjectivité doit être liée à une marchandise. P.S. : Bien dangereux pour un artiste d’entrer en concurrence avec le paradigme du portable... Vous dites que l’offre artistique s’aligne sur une ligne de fuite avec l’offre des marchandises. Cela ne serait-il pas une profanation de l’art ? T.S. : De sauver quoi que ce soit de la profanation n’est pas dans mes préoccupations. Pour moi, l’art est une fête. Elle fête la capacité de l’homme à transformer la nature et de produire des choses en en faisant découler une constitution du sujet. L’art est une forme du rituel qui loue la production économique et la réfléchit. Ce qui m’importe c’est de voir si avec la célébration d’autres formes de production ces formes ne peuvent pas prendre par exemple davantage d’importance à un niveau social.

Tino Sehgal est né à Londres en 1976, il vit à Berlin. Après des études de danse et d’économie, il expose depuis 2002 à travers le monde : à la Biennale de Venise où il a été le plus jeune artiste à représenter l’Allemagne en 2005, à la Biennale de Lyon, à la Triennale de Yokohama... Juste avant l’Aubette 1928, sa plus récente exposition s’est tenue dans l’ensemble du Guggenheim Museum de New York. Du 17 novembre au 23 décembre à l’Aubette 1928, place Kléber à Strasbourg Une invitation de Camille Giertler et Frédéric Maufras-Samson Direction artistique : Frédéric Maufras-Samson www.musees.strasbourg.eu

Les vaches sucrées Le principal défaut de la majorité, c’est de se prendre pour la minorité. Si possible persécutée par les forces du mal, qui sont celles de la réaction, de l’intolérance, de l’obscurantisme. Aujourd’hui, il y a une majorité de minorité. Et une minorité de minorité, depuis que les anciennes minorités, d’opposition, ethniques, religieuses, sont devenues la norme. Celui qui ne se retrouve dans aucune minorité, peut à juste titre se réclamer d’une quelconque minorité minoritaire, peut faire valoir son droit d’appartenance à une minorité d’adoption. C’est sûr qu’en cherchant bien, qu’en creusant un peu, qu’en retournant la terre, qu’en faisant trois fois le tour du monde, on finit toujours par être la minorité de quelqu’un. Il arrive, quand on croise un ami dans la rue, qu’on passe devant sans le remarquer. En général il se fâche rouge. Pareil pour la minorité. Le pot de fleur sur la tête de la minorité, ce qui peut lui arriver de pire, c’est l’indifférence. Elle veut à tout prix être reconnue, c’est-à-dire bénéficier du même temps d’antenne, des mêmes droits farfelus que les autres minorités. Mais tout en conservant son statut particulier de minorité, sans quoi elle sombrerait dans l’oubli. Elle veut son AOC : seule la minorité rapporte. Le titre de minorité protège ses membres de toute critique, de toute contestation, de toute moquerie, de toute analyse. Il faut en être, puisque chacun se fait une fierté d’être parfaitement original, limite marginal : le meilleur moyen de se faire remarquer, c’est encore de se glisser dans la peau d’une minorité. En minorité, l’on peut également assouvir son désir de vengeance en forçant la société entière à s’asseoir sur ses principes pour notre seul plaisir. Et puisque tout le monde a droit à son quart d’heure victimaire, puisque tout le monde est plus à plaindre que son voisin, on pleure aussi en minorité. La minorité, c’est le fantasme du petit contre le grand, du faible contre le fort, du pauvre contre le riche, alors que tout le monde a déjà pris son parti. Le nouvel homme libre sera celui qui s’affranchira du joug de la minorité, qui s’abstiendra de jouer au justicier et de vouloir la défendre sous toutes ses formes, de chanter ses abominables louanges. C’est aussi celui qui a le plus à perdre.

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Deuxième voyage avec mon kangoorouge à travers la Suisse Par Sophie Kaplan

Under Destruction Parmi les nombreux lieux d’art que renferment la cité bâloise, le musée Tinguely, enceinte de grès rose allongée sur les bords du Rhin(1), propose régulièrement, aux côtés de sa collection permanente, des expositions qui explorent les thèmes mécaniques et cinétiques chers au génie des lieux. Under Destruction est de celle-là(2). Prenant pour point de départ la célèbre pièce de Tinguely, Hommage à New York(3), elle examine le rôle et l’usage de la destruction dans l’art contemporain, à travers les œuvres de vingt artistes de la scène contemporaine. Les œuvres choisies permettent d’aborder le sujet sous de nombreux aspects : les forces (re)génératrices liées à la destruction, le memento mori, les rebuts de la société de consommation, la destruction comme transformation poétique... L’ensemble compose un ballet mécanique dans lequel alternent des œuvres spectaculaires (Tumble Room de Martin Kersels, Bubble Machine d’Ariel Schlesinger) et d’autres plus silencieuses (100 Years de Kris Martin, History makes a Young Man Old de Nina Beier et Marie Lund). Il s’en dégage une énergie tour à tour rock (Christian Marclay), sauvage (Roman Signer), cosmique (Michael Sailstorfer) ou tellurique (Jonathan Schipper). Dans le parcours de Under Destruction, j’ai trouvé particulièrement intéressante la place occupée par le visiteur, à la fois acteur du drame et spectateur mis à l’épreuve. À l’entrée de l’exposition une pancarte l’avertit des dangers qu’il encourt : c’est donc à ses risques et périls qu’il pénètre dans l’espace (de l’art)… À moins que cela soit davantage au risque des œuvres? C’est de toute évidence le cas pour Plastered de Monica Bonvicini, qui occupe la quasi totalité des espaces d’exposition. Cette installation est constituée d’un faux sol de plâtre et polystyrène posé à même le sol du musée et qui se détériore au

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fur et à mesure que les visiteurs l’arpentent : les surfaces se craquellent, des cratères apparaissent, des éboulis se forment, jusqu’à la dévastation. Chaque jour qui passe, avec ses nouvelles atteintes, forme ainsi une nouvelle architecture, un nouveau paysage. Processuelle, « l’œuvre connaît son aboutissement dans sa théâtrale démolition »(4). Le Corner Basher de Liz Larner dépend lui aussi, directement de la participation du visiteur : il est constitué d’un arbre d’entraînement actionnant une chaîne qui détruit le mur en angle attenant – la mise en marche et la vitesse de la destruction étant contrôlées par le visiteur luimême. Les codes de l’exposition se trouvent ici renversés : on ne demande plus au visiteur de ne pas toucher les œuvres mais au contraire de s’en saisir, afin que celles-ci vivent… et meurent (5). Le visiteur peut donc détruire les œuvres. En retour, l’exposition n’est pas sans risque pour lui. Ainsi, plusieurs pièces sont ceintes de barrières, car potentiellement dangereuses. Il règne par ailleurs, par moments dans l’exposition, un grand fracas, lorsque certaines œuvres se mettent en route ou se brisent. À côté de ce bruit, et parfois concomitamment, on trouve cependant du silence et de la lenteur : ainsi de Perpetuum Mobile (40 kg) de Nina Canell, dans laquelle l’eau est transformée par des vibrations acoustiques en une sorte de bruine, afin de durcir, petit à petit, un sac de ciment posé juste à côté. Ainsi encore de Sans titre d’Arcangelo Sassolino, dans laquelle un bras hydraulique s’enfonce progressivement dans un bloc de bois massif. Cette lenteur suggère que la destruction est évolution, que rien ne se crée, que rien ne se perd, que tout se transforme. L’exposition Under Destruction montre des œuvres en sursis. Il est bien possible que ce sursis évoque celui de l’art tout entier. Mais, au fond, ce n’est peut-être pas si terrible car, en attendant ce jour d’apocalypse, les œuvres sont là. Et tellement vivantes. 1 – Le bâtiment est l’œuvre de l’architecte tessinois Mario Botta. Il a été inauguré en 1996. 2 – L’exposition se déroule à Bâle jusqu’au 23 janvier 201, puis sera présentée au Swiss Institute de New York du 2 mars au 30 avril 2011. 3 – Hommage à New York est la première machine autodestructrice de Tinguely ; elle a été présentée dans les jardins du MoMa le 17 mars 1960. 4 – Emmanuelle Lequeux 5 – Au fond, ce que les artistes demandent ici au visiteur, n’est-ce pas rien de moins que de participer à la destruction de ce temple de l’art qu’est le musée, n’est-ce pas d’en finir avec la part sacrée de l’art ?


Bicéphale / 2 Par Julien Rubiloni et Ludmilla Cerveny

Grand ouvert

Enfermé Révélé Dans ma cage Sous le masque Chaque matin Je me réveille Endormi Et je me recompose

Enfermé Aveuglé Dans ma boîte Sous le drap Chaque soir Je m’endors Eveillé Et je me recompose

Enfermé Assassiné Dans mon corps Sous le poids Chaque jour Je survis Presque mort Et je me décompose

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Marge de manœuvre Par Guy Pierre Couleau

Déceler une clairvoyance Chaque matin, je monte les trois étages qui conduisent à nos greniers, nos studios de répétition à la Comédie de l’Est. C’est un rituel qui devient nécessaire jour après jour : m’asseoir devant l’espace vide en attendant les acteurs et m’imprégner de ce qui est sans doute « déjà là ». Ce vide n’est pas vide. L’invisible du théâtre est toute cette matière sensible que les acteurs et moi, nous allons tenter de révéler, dans ce long travail méthodique des répétitions. Le mot même peut sembler étrange, parce que nous ne répétons rien en fait. Nous ne faisons que chercher, essayer des choses différentes. Le théâtre s’est donné pour but de représenter le monde et les humains. Cette folle et magnifique mission emplit nos vies. L’espace des répétitions est ce laboratoire, non pas d’observation mais plutôt de restitution de la vie. Et quoi de plus fou, quoi de plus extrêmement délicat que de vouloir créer la vie sur la scène ? Quoi de plus impossible que d’y représenter la mort ? Voilà. Nous évoluons, nous gens de théâtre, entre ces deux pôles : l’impossible et le délicat. Faible marge de manœuvre. Lent trajet d’un extrême à l’autre. Au théâtre, nous ne cherchons pas ce qui est bien ou mal mais ce qui est juste ou ne l’est pas. Et c’est ce sentiment de la justesse des choses qui fait l’étincelle de vérité caractéristique de tout bon moment de théâtre. Ce qui semble juste, ce qui remet la vie au présent, une représentation. En allant au théâtre le soir, les mains posées sur les genoux, ainsi que le dit Claudel, nous regardons le miroir de nous-mêmes, dans nos travers, nos bassesses, nos beautés. Le lendemain, nous ne voyons pas le monde et les humains tout à fait de la même manière*. Le théâtre est une subversion, il change notre point de vue sur les choses et les êtres, sur nous-mêmes. Le théâtre nous fait grandir et nous transforme, il nous affranchit et nous rend libre en construisant un espace critique, un espace de la pensée. Le théâtre est dangereux pour les censeurs, les faiseurs de dogmes, les obligeurs de penser en rond. Le théâtre est nécessaire parce qu’il nous montre et par ce qu’il montre.

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En ce moment, je travaille sur Hiver de Zinnie Harris, jeune auteure Ecossaise déjà très reconnue chez elle et encore à découvrir chez nous. C’est une pièce étonnante : elle est simple, claire, économe dans sa forme, semblable à un dessin d’Hokusaï, faite d’un trait, pur, sans boursouflure. Elle est d’aujourd’hui dans sa structure : treize scènes rythmées par des ellipses, des pauses. Autant d’espaces à écrire par nous-mêmes, spectateurs, lecteurs et acteurs de l’œuvre. Autant de plages où retrouver les monstres marins enfouis sous le sable, les créatures inventées, retournées à l’état de brisures de coquillages. Autant de champs vierges de toute présence et peuplées de tellement de traces. Hiver est une pièce dont le personnage principal est un enfant muet. Donc une pièce qui questionne la parole absente. Aujourd’hui, y a-t-il d’autre enjeu majeur que le dialogue entre les êtres et les peuples ? Croyonsnous sérieusement qu’il nous sera possible de confier l’avenir de nos dialogues à la numérisation, aux codages, aux référencements de nos existences ? Pensons-nous simplement qu’il va nous être donné de continuer ainsi, sans un regard de plus en plus aigu sur ce qui construit notre civilisation, c’est à dire l’humanité ? Les conflits successifs, les guerres qui n’en finissent jamais de se répéter obscurcissent l’horizon de la pensée depuis bien longtemps. Un voile de fumée se pose sur le quotidien et déforme notre perception de la vie. Désormais il nous est plus naturel de croire en un monde composé de uns et de zéros, plutôt que de poursuivre la quête du langage, la quête du partage d’humain à humain, avec des mots. La parole fut la grande perdante du XXe siècle. Elle a cédé la place à la folie meurtrière des hommes contre d’autres hommes et elle risque bien de ne pas être conviée non plus à construire ce XXIe qui a débuté. Je m’assieds devant le plateau de nos répétitions, chaque matin, avant que les corps des acteurs prennent possession du plateau et je pense à la parole, à ce qu’est notre époque en sursis, coincée entre deux guerres. Peutêtre est-ce cela qui caractérise l’écriture contemporaine : rendre compte d’un temps de répit, d’une période éclairée de plus en plus précaire, condamnée à faire place nette devant l’imminence du retour à la violence ?


AK 47 Par Fabien Texier

Nous, au théâtre, nous nous parlons. Avec des images, avec des corps, avec des mots. Et ces langages, ces simples moments de partage rendent notre art nécessaire, fragile et cependant indestructible. Parce que nous parlons, nous sommes en vie, et bien en vie. Nous sommes réels dans nos inventions, dans notre poétique du monde. Le théâtre, qu’il soit d’hier ou d’aujourd’hui s’invente toujours au présent par l’acteur. Et dans la salle, acteurs et spectateurs ensemble sans barrières dans le même espace physique et temporel, réunis pour et par la fable inventée d’un poète, nous savons tous que ceci est entièrement faux. Et cependant, cette réalité du mensonge, cette vérité d’une invention qui ressemble étrangement au réel deviennent ce que nous voulons croire, juste un instant, juste le temps de la représentation, d’une illusion. Au théâtre, nous manœuvrons sans cesse entre des collines de mots, des à-pics de syntaxe, des rochers de vocabulaire et des montagnes de sens. Nous explorons des livres qui disent tous le bonheur possible du monde et nous sommes bien obligés parfois de savoir lire entre les lignes pour déceler un sens, une clairvoyance. Parfois aussi il nous arrive de noter nos pensées en marge des textes, dans cet espace blanc que les auteurs laissent généreusement à nos imaginaires. Louis Jouvet disait d’une œuvre théâtrale qu’elle est « un cercle magique et enchanté, un cercle qui échappe à toutes les pressions, toutes les perquisitions. La pièce est une adresse et un cadeau. » Au centre de ce cercle, il y a l’acteur. C’est-à-dire quelqu’un qui nous ressemble. Quelqu’un dont la simple humanité nous rapproche un instant de ce que nous sommes. Et cet acteur a le pouvoir de la métamorphose. Celui qui, au-delà du miroir, véhicule les mots du poète, celui qui explore le sens et délivre les clés des énigmes du corps ou de l’esprit, celui qui du fond de nos mémoires dépeint nos origines et nos méandres, celui-là est l’acteur. C’est-à-dire quelqu’un de pas si éloigné, au fond, de ce que nous connaissons, de ce que je sais chaque jour, un autre nous-même. Le temps du travail et du laboratoire reprend ses droits. Les enfants partis à l’école, je conclus ces lignes avant d’aller en répétitions, en ce mois d’octobre qui annonce l’hiver. Un hiver qui annonce le printemps.

« La fille du chef du MI6 pose avec l’AK-47 doré de Saddam » Sophie Taylor, www.thefirstpost.co.uk

RIEN Notait parfois un de nos regrettés souverains en son journal, de retour de quelque chasse infructueuse. S’est-il d’ailleurs passé quelque chose ce mois-ci ? « Tout va pour le mieux dans la meilleure des mondialisations possibles » entonnait la Cour hier, « nous entrevîmes les portes de l’Enfer» se pâme-t-elle aujourd’hui. Entre l’enterrement de demain et la résurrection qui vient, l’essence des événements nous a échappé. Enfin, puisque ces graves personnages nous le révèlent, la bouche toute encore barbouillée de confiture : « Il va falloir faire des sacrifices. » Sacrifier aux agences de notations, au classement de Shanghai, au CAC 40, au G 20, au Top 50… Et à tous ces actionnaires abusés, spoliés par les taxes et les salaires ! Parfois on leur dénie même avec impudence le droit de vie ou de mort sur une œuvre à paraître. Dans la vague de rationalisations en cours, rien non plus aux Arts Décos de Strasbourg. Après le hourvari autour de la section communication, c’est au tour des Techniciens d’Enseignement Artistique, les responsables techniques des divers ateliers, d’avoir le choix entre la fronde ou la sainte réforme. Côté sérigraphie, ces “même pas” enseignants, ne sont pas étrangers au vague succès des Berlinois de Bongoût, d’illustrés primés à Angoulême ou en d’autres provinces… Les autres sont de vulgaires soutiers du numérique, du métal, de la photo, du bois… cramponnés à leurs privilèges mesquins qui, tous cumulés sur 100 ou 1000 ans, ne suffiraient pas à apaiser l’affliction d’un capitaine d’industrie outragé par de petits juges… Comble d’archaïsme, les manants se sont mis en grève, jetant sans vergogne dans les rues une bande de jeunes déboussolés, manipulés. Une nouvelle fois la Cité doit arbitrer, différemment du Prince, espérons-le …

Colmar, octobre 2010 Hiver de Zinnie Harris, mise en scène de Guy Pierre Couleau, du 16 novembre au 3 décembre dans la Grande salle de la Comédie de l'Est www.comedie-est.com

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Mes égarements du cœur et de l’esprit Par Nicopirate

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Égarement #100


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Direction Guy Pierre Couleau

Centre dramatique régional d’Alsace

29.09 – 01.10. 2010 La Route vers la Mecque 11.10 –15.10. 2010 Le Meunier hurlant 13.&14.10. 2010 Eugène O’Neill Tr i p t y q u e 20.&21.10. 2010 Ismène 16.11 – 03.12. 2010 Hiver 22.&23.11. 2010 Caterpillar 09.&10.12. 2010 Absinthe 16.&17.12. 2010 L’ I l l u s i o n comique 12.&13.01. 2011 La Cerisaie 17.01 – 21.01. 2011 Oripeaux 02.&03.02. 2011 Mon amour 08.02 –11.02. 2011 Y es-tu ? 16.&17.02. 2011 La Duchesse de Malfi 09.03 –11.03. 2011 J’ai la femme dans le sang 15.03 –24.03. 2011 Les Bonnes 29.03 – 02.04.& 12.04 –15.04. 2011 Le Pont de pierres et la peau d’images 06.04 – 08.04.2011 Moulin à paroles 06.04 – 08.04. 2011 Le Chemin des passes dangereuses 12.&13.04. 2011 Récit de la servante Zerline 10.05 –13.05. 2011 Bluff

Comédie De l’Est 03 89 24 31 78 w w w. c o m e d i e - e s t . c o m Comédie De l’Est 6 route d’Ingersheim 68027 Colmar


3–2–1 ART !

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STRASBOURG ART CONTEMPORAIN, cheminement dans le paysage artistique de Strasbourg au MAMCS, à La Chaufferie et différents lieux dans la ville ` (Stimultania, CEAAC, Apollonia, La Chambre, Accélérateur de particules, Le Syndicat Potentiel etc…) du 25 au 29 novembre www.strasbourg.eu

ST-ART, Foire Européenne de l’art contemporain, du 26 au 29 novembre au Parc Exposition Strasbourg Wacken www.st-art.fr

L’art contemporain est en quête de visibilité à Strasbourg. Les structures municipales et associatives sont invitées à investir leur espace dans le cadre de l’édition 2010 de ST-ART, point d’orgue de l’opération Strasbourg Art Contemporain. Rencontre avec Souad El Maysour, déléguée à la culture à la Communauté Urbaine de Strasbourg, à l’occasion du lancement de l’artothèque. par emmanuel abela

photo : stéphane louis

La nouvelle artothèque permetelle de faire circuler les œuvres différemment ? Rappelons que nous trouvons des expériences menées très tôt à Berlin dès les années 20 avec une première artothèque fondée par les artistes eux-mêmes, et alors que Strasbourg est très sensible à ce qui se passe en Allemagne, la ville s’est montré hermétique à ce type d’outil. On le sait, la diffusion est extrêmement importante pour les artistes, mais aussi pour les pouvoirs publics, elle est essentielle à la démocratie. L’artothèque vient travailler avec le réseau d’art contemporain – partenaire privilégié de nos démarches –, réseau riche mais peu valorisé, et un réseau ouvert à d’autres publics, celui des bibliothèques et médiathèques, via le réseau Passerelles fort des 60 000 cartes actuellement en circulation. C’est dire le potentiel du nombre de personnes que nous cherchons à toucher avec l’artothèque.

Pour cette artothèque, vous jouez la carte de la pluralité des pratiques artistiques, en multipliant les supports : estampes, photographies, mais aussi vidéo. La Médiathèque de Neudorf était déjà très sensible à cette question de l’image, avec un fond documentaire dans lequel les ouvrages d’art constituent un volume conséquent. C’est l’une des seules médiathèques où l’on mettait à disposition des travaux vidéo d’artistes, en sachant que la Communauté Urbaine de Strasbourg est l’une des seules à soutenir la création audiovisuelle et la diffuse sur l’ensemble du territoire.

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Nos territoires sont traversés par des artistes et leur passage doit nous mettre dans une position de “captage”. iii

Comment communiquer auprès du public pour le rendre sensible à des dispositifs audiovisuels ? L’accompagnement va se faire dans le réseau des bibliothèques et médiathèques. Aujourd’hui, l’image pose question. Avec nos partenaires, on remet cette question au cœur d’une réflexion globale au sein de nos établissements municipaux, les musées ou l’École Supérieure des Arts Décoratifs, en partenariat avec les structures associatives. L’artothèque prend sa place dans cette réflexion, par le biais des expositions que nous mettons à disposition des plus petites bibliothèques : nous nous posons constamment la question de l’accompagnement des contenus de ces expositions, parfois pour de toutes petites communes. C’est pour nous une manière de partager et de diffuser des œuvres, et ainsi d’irriguer le territoire. Ce travail minutieux va prendre du temps, mais je pense que l’artothèque contribuera à toucher des publics qui n’ont pas encore été sensibilisés. Les buts sont donc : diffuser, accompagner et même éduquer le regard des gens. Oui, naturellement. À travers divers ateliers et expositions, nous cherchons à identifier les associations qui serviraient de relais auprès des plus démunis pour amener à l’art des gens qui n’auraient jamais imaginé s’approcher d’une œuvre ou même d’un artiste, et de le rencontrer tout simplement. Il s’agit d’amener le citoyen à se reposer la question de l’image au cœur de notre société. Et ceux qui sont déjà sensibles à ces questions-là, eux aussi doivent trouver matière à familiariser leur propre univers – et pourquoi pas leur intérieur ? – avec des œuvres. On sait par exemple que l’achat d’un livre se fait parfois en plusieurs étapes, y compris celle du prêt. Il nous arrive après l’avoir emprunté d’avoir envie de faire l’acquisition de l’ouvrage qu’on vient de lire. Je pense sincèrement qu’il en va de même pour les œuvres d’art. Qui sait

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si nous ne sommes pas en train d’amener un certain nombre de nos concitoyens à devenir les collectionneurs de demain ? Nous aurons permis aux artistes de diffuser le travail, tout en expliquant en quoi leur travail est essentiel à la compréhension de notre quotidien. Dans le fonds constitué, nous trouvons des artistes régionaux, mais aussi des artistes internationaux qui ont déjà exposé à Strasbourg. Oui, nos territoires sont traversés par des artistes et leur passage doit nous mettre dans une position de “captage”. Des artistes de renommée sont passés à Strasbourg, sans que les Strasbourgeois ne prennent vraiment conscience de ces passages, et je trouve cela vraiment dommage. Comment mieux impliquer ces artistes, notamment ceux qui participent aux résidences croisées ? La réponse est peut-être celle d’un lieu identifié, un lieu partagé, transdisciplinaire – dans sa réalité l’art contemporain n’est pas enfermé, il est traversé de toutes parts. Donc, la nouvelle question est : comment peut-on créer sur notre territoire un lieu qui serait révélateur de cette transdisciplinarité, où un artiste confirmé pourrait rencontrer de jeunes artistes et transmettre son expérience ? Des demandes ont été formulées dans ce sens avant les élections municipales, confirmées lors des Assises de la Culture. Les gens attendent ce lieu, non pas comme pas un énième lieu, mais comme un lieu ouvert et de croisement. Quelles sont les pistes de réflexion concernant ce lieu ? Plusieurs hypothèses sont actuellement à l’étude sur des lieux possibles, mais je crois à de vrais partenariats entre des lieux qui existent déjà. Par exemple, nous pourrions imaginer un partenariat avec la Ville de Schiltigheim, qui est en train de

travailler sur un magnifique projet d’art contemporain. Nous pourrions imaginer une vraie friche, là, pour des artistes en quête d’espaces à la fois extérieurs et centraux. L’opération Strasbourg Art Contemporain a cette vocation de fédérer les structures au sein d’une action commune. La finalité est clairement, non pas de partager les publics habituellement concernés par les manifestations des différentes structures, mais de créer des nouveaux publics. La demande vient d’abord des acteurs eux-mêmes, une demande à laquelle nous, pouvoir public, cherchons à apporter des éléments de réponse dans une réflexion globale. L’idée est de créer à un moment particulier du calendrier, en dehors des périodes de foisonnement habituel, un instant privilégié qui donne une visibilité à l’action menée par les structures autour de l’art contemporain. Les mois de septembre et d’octobre étaient exclus et comme START a lieu fin novembre, juste avant le marché de Noël, il nous semblait pertinent de choisir cette période-là à un moment où l’art contemporain rencontre un vrai succès populaire. Ce qui ne nous empêche de nous interroger sur l’évolution de START, une foire qui doit trouver sa place au niveau national et international, dans une situation de proximité avec Bâle ou avec Metz. Strasbourg a la possibilité de jouer son rôle dans cet espace-là. On doit partir de quelque chose qui nous appartient pour créer une dynamique nouvelle. i


e.cités, expositions, débat, workshop, jusqu’au 30 novembre dans différents lieux de Strasbourg www.apollonia-art-exchanges.com

Penser la ville par sylvia dubost

Avec e.cités, ensemble de manifestations autour de la création contemporaine à Bucarest, Apollonia propose un projet ambitieux. Au-delà de l’aspect purement artistique, il entend participer à la rénovation urbaine de la ville de Strasbourg.

Révolution urbaine. Le mot n’est pas trop faible pour désigner les changements que connaît la ville de Bucarest depuis la chute de Ceauşescu. Pour le 2e volet de son projet e.cités (après Istanbul l’an passé), l’association Apollonia met un coup de projecteur sur une ville en pleine reconstruction, à travers le regard d’artistes qui y vivent et travaillent. « Il s’agit là de montrer quelque chose de révélateur de la création contemporaine et en même temps de la ville de Bucarest, explique Dimitri Konstantinidis, directeur d’Apollonia. Cette thématique ne pose pas seulement la question de la ville, mais aussi celle de l’individu et de l’identité. Quand on parle de spatialité, on finit toujours par parler de la place qu’y prend l’individu. » Un questionnement bien dans l’air du temps, qu’il s’agit de ne pas limiter aux contours de la capitale roumaine… Apollonia sait que la ville de Strasbourg, où se multiplient les projets de nouveaux

quartiers, doit elle aussi y réfléchir. Peutêtre aurait-elle quelque chose à apprendre de ce qui se passe à Bucarest ? À côté des expositions, où photographes et vidéatses se posent à leur manière ces questions, Apollonia a invité deux artistes, Irina Botéa et Dan Calin, à dialoguer avec des étudiants en art et en architecture, et à mener un workshop sur le Stockfeld, l’une des toutes premières cités-jardin, construite en 1910. L’un des objectifs de e.cités, c’est en effet de rappeler que l’art dans la ville, si populaire aujourd’hui auprès des collectivités, ce n’est pas seulement l’art dans l’espace public. Montrer des œuvres dans des lieux où tout le monde peut les voir ne suffit pas. Les artistes doivent participer en amont à la réflexion sur le projet urbain, avec les architectes et urbanistes. « Il s’agit aujourd’hui de rendre la ville plus humaine, rappelle Dimitri Konstantinidis. Les artistes aussi peuvent apporter des réponses à ces questions. »

En se plaçant ainsi au cœur des réflexions que mène aujourd’hui la municipalité, Apollonia espère bien aiguiser son intérêt. « Il est grand temps que Strasbourg prenne vraiment une dimension européenne, martèle Dimitri. Et ce genre de projet, ouvert sur de grandes villes européennes, peut y contribuer. » Du sur-mesure en quelque sorte, que l’association verrait bien prendre de l’ampleur et s’ouvrir à d’autres partenaires culturels et d’autres disciplines. e.cités se tiendrait alors au cœur du nouveau quartier de la presqu’île Malraux, pour lequel Apollonia s’est associé au promoteur Icade… si leur projet est retenu. Puisqu’on parle de transformation urbaine… i

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Parcours d’OmbreS, exposition permanente dans les rues de Vitteaux, Côte d’Or www.leconsortium.com

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Aujourd’hui, c’est mon anniversaire Distillée dans les rues d’un petit village de Bourgogne, l’œuvre est intitulée Parcours d’ombres. À Vitteaux, les venelles s’agitent en fin de nuit et les petites figures découpées par Christian Boltanski sont prétextes à tutoyer Dieu, la joie et les petites ombres. par guillaume malvoisin

photos : vincent arbelet

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Figure imposée, le vernissage de toute œuvre offre son lot de discours, de remerciements et de congratulations. Quand il a lieu dans un petit village recevant un artiste de la trempe de Boltanski, la scène prend les allures fin de siècle vues chez Tchekhov. Entre émissaires de la République concernés, grands crus versés et courtisans volubiles, le petit théâtre s’anime. Créée en 2004 puis rénovée et augmentée cette année, Parcours d’ombres réunit les efforts consentis sans crainte par Le Consortium, la Fondation de France, le Conseil général de Côte-d’Or, la Mairie de Vitteaux et le SICECO de Côte-d’Or. Les habitants sont au rendezvous. Qui interpelle l’artiste sur la tête de mort qu’il a l’intention de poser sur son mur, qui loue le créateur de cette mise en lumière aussi soudaine qu’originale. D’autres sans doute passent sans voir. Tel est le jeu proposé par Boltanski à Vitteaux, une sorte de présence permanente et indicible. Pour le tester, la cohorte organisatrice emmène son monde pour une visite nocturne des rives de la Brenne. Au retour, la bonne nouvelle est là : l’homme consent à un entretien, comme un cadeau espéré depuis une quinzaine d’années. Il a lieu dans l’escalier de bois de la Mairie, assis côte à côte. À mots couverts, Boltanski joue avec la représentation que tout vernissage exige :

« Il y a deux modes de transmission. Il y a celui qui passe par l’objet qu’empruntent les arts plastiques. Il y a l’autre qui est plus lié au théâtre ou au ballet qui fait appel à la connaissance. »

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De fait, je ne me peux m’empêcher de vous voir comme un homme de théâtre. J’ai découvert votre travail en avançant dans celui de Kantor. Vous aimez Kantor ? C’était un de mes maîtres. J’ai une passion pour son travail. J’avais une idée pour continuer son œuvre. On ne peut plus voir son œuvre aujourd’hui sur scène car comme il était lui-même présent en scène, remonter un spectacle devient difficile. J’avais pensé qu’il serait bien, la plupart de ses acteurs étant assez âgés, de continuer à jouer ses pièces mais sans jamais les remplacer. C’est-à-dire de laisser de plus en plus de blanc. Quand le dernier des acteurs serait mort, il n’y aurait plus que le décor et la pièce serait enfin terminée. L’avez-vous côtoyé ? Je l’ai connu assez bien et c’est sans doute l'un de ceux qui m’ont le plus influencé. Même s’il passait énormément de temps à monter ses œuvres, elles gardaient un aspect très bricolées. J’aime bien le théâtre mais je n’aime pas tellement le théâtre à texte. Chez Kantor, il y en a mais en polonais, on peut donc ne pas le comprendre puisqu’il reste très simple, des phrases comme « ferme la porte. » Je suis davantage attiré par des travaux comme ceux de Pina Bausch, que j’ai adorée et qui m’a sans doute aussi beaucoup influencé. Ce sont des théâtres dans l’action... Vous savez comment est mort Kantor ? Il est mort en insultant ses acteurs... C’était un homme d’une violence inouïe avec ses acteurs, j’ai vu des crises atroces. C’était en polonais et je ne comprenais pas mais c’était horrible. Il a eu une grande crise après une répétition, il est mort deux heures après d’une crise cardiaque. Je trouve ça assez fascinant de mourir en insultant ses acteurs... [il rit] Ah Tinguely ! Lui est mort en se faisant tailler une pipe. Ce que je trouve aussi bien, c’est jaillissant comme mort, vertical, c’est bien pour Tinguely ! C’est gênant pour la pauvre malheureuse car elle le connaissait très peu... Comme cela, je me dis que chacun a sa mort... [il rit]

Nous disions : théâtre dans l’action... Venons-en à votre œuvre exposée à Vitteaux qui porte en elle, également ce petit théâtre d’ombre sans paroles... C’est une redite, c’est comme rejouer une vieille pièce de théâtre. En même temps, je très heureux que ça appartienne au lieu. J’ai fait mes premiers théâtres d’ombres en 1984, ça fait très longtemps. J’aime toujours les personnages dessinés mais je n’ai plus le même attachement à cela. C’est vraiment comme un auteur qui rejoue une pièce ancienne. On relit son travail. J’ai eu extrêmement peu d’idées dans ma vie, alors les mêmes idées reviennent très souvent mais avec des formes et des intérêts différents selon les âges. Cette œuvre est en même temps de moi, elle m’intéresse et je l’aime mais en même temps je suis plus proche des projets actuels qui sont moins... disons que cette pièce est une des plus gentilles que j’ai faite dans ma vie. Dans vos premiers travaux, on notait une certaine ironie, comme dans la vidéo L’Homme qui Tousse ou encore dans les Compositions décoratives. Aujourd’hui on sent une chose plus proche de la joie avec ces petites figurines qui dansent à la lumière... C’est dérisoire, les petits modèles en papier. Il suffit d’éteindre la lumière et il n’y a plus rien. La seule chose de positive, c’est que cela n’abîme pas le village et que cela lui offre une sorte de vent, une chose impalpable. je me méfie toujours des gens qui mettent dans les lieux historiques de grosses sculptures en bronze avec une plaque. Là, c’est léger et je pense que ceux qui ne savent pas que c’est un artiste qui a fait ça vont penser que c’est une décoration pour les fêtes. Tant mieux ! Il y a chez vous cette volonté de ne pas laisser de traces compromettantes ? On ne pourrait noter pourtant aucune lassitude à reprendre une pièce comme le Parcours d’ombres. Je sais que toute trace ne permet pas de survivre. Les spectacles que j’ai faits m’ont beaucoup apporté là-dessus. On travaille beaucoup pour un soir et un spectacle. Ceux qui ne l’ont pas vu en entendront parler mais ne l’auront pas vu. C’est une chose très belle. [silence] En même temps, il y a toujours l’idée d’essayer de... C’est le discours que je tiens habituellement mais


c’est totalement vrai que mon œuvre est ratée. J’ai toujours essayé de préserver et de garder les choses mais j’ai toujours échoué car c’est impossible. Par exemple, j’ai ce projet avec mon tasmanien de sauver ma vie... En même temps, il aura sauvé ma vie mais il n’aura rien. On rejoint cette joie presque une malice d’enfant : dessiner des petites figurines face à ce pacte faustien. J’ai beaucoup taillé de morceaux de sucres quand j’étais jeune et j’adorais faire ça en regardant la télé. Ces figures aussi, je les fais en écoutant la radio. C’est comme faire un petit dessin, c’est très agréable. Il y a une sorte de vrai plaisir tiré de cela. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir assez d’activités manuelles. J’ai peu d’activités réelles plus agréables que d’être chez moi, d’écouter la radio et de bricoler, de fabriquer un petit truc où on a pas à se poser trop de problèmes. Le petit découpage ne me pose aucun problème. La seule règle que je m’étais donnée, c’était d’utiliser le moins de cuivre possible, d’essayer de récupérer le plus des petits morceaux parce que cela me donne des formes. La forme créée donne une autre forme avec le surplus qu’on récupère. Si on gâche beaucoup, c’est différent. Avec ma technique, le moindre petit morceau peut être un visage.

unique, prodigieux et en même temps chacun de nous disparaît si vite. Etre humain, c’est lutter contre sa disparition mais c’est toujours un ratage. Caramba, encore raté ! [il rit] C’est toujours essayer, conser ver une mémoire, conser ver quelqu’un mais forcément cela ne sert à rien. Et voici que pointe une de vos obsessions : percer le mystère de Dieu. Celui que vous appelez joyeusement : ce vieux salaud. Créer, est-ce un moyen d’atteindre le seuil de sa cuisine ? Être humain, c’est aussi de lutter contre Dieu. Notre honneur, c’est de lutter contre lui. Essayer, sachant qu’on rate et qu’on a des moyens très dérisoires par rapport à lui. Mais cela ne sert pas à grand-chose. Aujourd’hui, je m’intéresse beaucoup au hasard. La pièce du Grand Palais était sur le hasard de la mort. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est le hasard de la naissance. Si vos parents avaient fait l’amour trois

J'ai toujours essayé de préserver et de garder les choses mais j'ai toujours échoué car c'est impossible. minutes ou vingt secondes plus tôt, vous auriez été différent. Vous auriez été peutêtre une belle jeune fille ou un maître nageur. Ce que nous sommes, ce qui nous paraît unique dans ce que nous sommes, est totalement lié au hasard, à la seconde où nos parents se sont jetés l’un sur l’autre. Ce que je fais pour la biennale de Venise, c’est sur le hasard mais un hasard plutôt heureux. i

Vous rendez alors un peu plus votre travail au hasard... Aujourd’hui, bizarrement, j’ai envie... Pour mon travail, c’est pas bien dire cela, mais j’ai envie de faire des choses de plus en plus impalpables ou non-existantes mais en même temps permanentes. Des choses qui sont si loin et si peu de chose tout en étant là. Dans les années qui me sont imparties comme on dit, j’ai envie de créer des lieux comme en Tasmanie ou sur l’île de Teshima au Japon. Si vous allez dans mon île au Japon, vous verrez, c’est vraiment très beau. Il y a des dames qui vous accueillent pour écouter les cœrs, c’est comme chez le dentiste. Ne pas laisser de traces dans un conservatoire peut sembler assez inefficace... C’est un moyen de garder la vie mais c’est déjà une île des morts. ça ne conserve rien du tout ! Pour être sérieux deux minutes, mon activité principale est ce questionnement. Chacun de nous est

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TGV GÉNÉRIQ, festival du 12 au 19 décembre à Belfort, Montbéliard, Mulhouse, Besançon, Dijon, Baume-les-Dames, Fribourg, Kingersheim www.generiq-festival.com www.lavapeur.com

Pour sa quatrième édition, le festival GéNéRiQ se déplace de février à décembre et devient TGV GéNéRiQ. L’esprit du festival reste cependant inchangé, ce que confirment Lisa Van Reeth et Gilles de Valck, respectivement adjointe à la Direction et chargé de création à la Vapeur, à Dijon.

Chaleur hivernale par emmanuel abela

Quelles sont les raisons du changement de calendrier de TGV GéNéRiQ ? Lisa van Reeth : Ce changement est une décision que tous les programmateurs ont pris ensemble à la fin de l’édition 2009, pour des raisons essentiellement pratiques. Cependant, nous souhaitions conserver l’idée d’un festival hivernal et du coup cette période avant les fêtes – période d’effer vescence et d’enthousiasme – semblait tout à fait appropriée. On suppose une organisation adaptée à cette période particulière. L.v.R. : Dans certaines villes, le festival commence plus tôt, dans d’autres il termine plus tard. Concernant Dijon, nous avons pris la décision de concentrer le festival sur quatre jours, du 15 au 19 décembre, avec la

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volonté d’investir la ville toute la journée : pendant ces quatre jours, les festivités vont commencer dès midi avec des rendez-vous, les concerts “sandwich”, puis les rendezvous pour enfants, les apéro-concerts en début de soirée, et se prolongeront toute la nuit jusqu’à 5 heures du matin. Gilles de Valck : Nous avons cherché à moins nous éparpiller, mais à créer des rendez-vous quotidiens, notamment à la Coupole. L.v.R. : La Coupole, un lieu central d’accueil et de concert, qui devient la maison du festival à Dijon et son centre névralgique. G.d.V. : L’autre grande nouveauté c’est que nous avons cherché à thématiser les soirées par ambiance, moins par esthétique, avec


l’envie de mélanger les publics. Ce qui nous tient à cœur pour cette édition à Dijon, c’est la promesse de grandes fêtes, notamment pour les soirées à La Vapeur. L.v.R. : Sur TGV GéNéRiQ, nous avons du plaisir à travailler avec d’autres structures culturelles locales, que ce soient celles qui nous accueillent – je pense à l’Atheneum ou au Consortium par exemple –, mais aussi celles qui organisent des soirées comme Citizen Records. On parle d’un festival coopératif entre les structures qui l’accueillent de Mulhouse à Dijon. Comment se manifeste cette coopération en ce qui concerne la programmation des artistes ? G.d.V. : Chaque programmateur de salle repère un certain nombre d’artistes et exprime ses coups de cœur sur un volume de près de 200 groupes et artistes. Kem Lalot et Christian Allex, les programmateurs des Eurockéennes de Belfort, expriment leur point de vue sur des artistes qu’ils ont déjà vus en concert, tout en nous faisant leurs propres propositions. Après, chaque programmateur affine ses envies avec eux pour sa salle. Parmi les groupes programmés à La Vapeur, quels sont tes coups de cœur ? G.d.V. : Il y a les Rolo Tomassi qu’on retrouve dans une soirée très énergique

avec Marnie Stern, mais je me réjouis également pour Das Racist, un trio hip hop complètement déjanté. De même pour Bomba Estereo, des adeptes de l’electro festive latine qu’on programme avec Elektrisk Gønner, un groupe qu’on a beaucoup de plaisir à accueillir en dehors du contexte “repérages”, et pas seulement Rolo Tomassi parce qu’il est en partie dijonnais – avec des membres danois, un membre francocanadien –, mais parce qu’il suit son chemin et travaille beaucoup à son album qui va Ils ont des bouilles de mômes issus sortir au printemps chez Platinum. À mon de la vague punk-funk du début avis, cette soirée sera dansante ! des années 80, mais qu’on ne se méprennent pas, Eva Spence, Malgré les changements, on constate ravissante blondinette, et ses comparses une continuité éditoriale… balancent un art-metal d’une violence inouïe L.v.R. : les valeurs premières qui ont fait qui avait saisi le public lors de leur passage que tous les co-organisateurs de GéNéRiQ très remarqué à l’occasion de l’édition 2009 ont lancé le festival sont les mêmes : des Eurockéennes de Belfort. Depuis, loin de s’être la volonté de proposer des artistes peu assagis, ces cinq fabuleux de Sheffield ont séduit représentés en France, des styles variés Diplo, le célèbre producteur – Santigold, M.I.A. – et des plateaux surprenants, tout comme et DJ américain qui les a accueillis en studio la volonté d’investir différents lieux et de pour de nouvelles compositions aux contours varier les formes. D’édition en édition nous toujours aussi corrodés. tirons un certain nombre de conclusions. N’oublions pas que ce festival n’en est qu’à sa quatrième édition et qu’il s’agit d’un jeune festival, mais qui prend de plus en plus d’importance. Pour l’ensemble des villes, cette montée en puissance va se concrétiser en 2011 avec le soutien de la métropole Rhin-Rhône qui a été acté il y a de cela moins de deux mois. i

Rolo Tomassi

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FLORENT MARCHET chante Noël en solo le 15 décembre à Dijon, le 17 à Baume-les-Dames, le 18 à Belfort ; en concert avec son groupe le 18 décembre au Noumatrouff, dans le cadre du festival TGV GéNéRiQ www.generiq-festival.com

SANS COMPROMIS NI PRETENTION par mathieu rémy

photos : arno paul

En trois albums (quatre si l’on ajoute le roman chanté Frère Animal), Florent Marchet s’est imposé comme un auteur important, dont l’univers s’est encore affermi avec la parution de Courchevel. Il est programmé en solo et en groupe dans le cadre TGV GéNéRiQ 2010.

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Dans ton travail, quelle place occupe la confection d’un texte de chanson ? Le territoire, c’est ce qui occupe la place la plus importante dans un texte : où se situe l’histoire ? C’est pour ça que très souvent j’ai été influencé par des photos. Le starter, dans l’écriture de la chanson, en général, c’est une atmosphère à retranscrire, et le texte va progresser quasiment en même temps que la musique. Je ne fonctionnais pas forcément comme ça avant mais là, je vais commencer une phrase et très souvent je ne sais pas où ça va me conduire. J’ai juste un désir d’écriture qui est lié à un lieu, une ambiance. Après, j’ai mon personnage qui naît et enfin j’ai mon histoire que je déroule et ça, c’est accompagné d’une musique que je déroule en même temps. Les espaces sociaux bien définis semblent t’inspirer beaucoup. C’est le point de départ des voix narratives, pour toi ? Oui. S’il n’y a pas de lieu, il n’y a pas d’histoire et pas de personnage. Je relie ça peut-être à mon histoire. J’ai toujours eu cette sensation depuis tout jeune, alors que j’aimais beaucoup ma région, les paysages du Berry, que j’étais un étranger chez moi. Ça peut paraître exagéré de parler d’exil quand on n’a pas connu la guerre, mais c’était une sorte d’exil, très silencieux et très violent. Donc j’ai eu besoin de fuir.

Et j’ai eu besoin toute ma vie d’avoir des points d’ancrage, des balises qui étaient très souvent liés à des points géographiques, à des lieux. Par exemple, si je ne vais pas dans une ville, je suis incapable de la situer sur une carte. Et c’est encore plus lié à la dimension sociologique que va induire ce lieu. Ce qui m’intéresse aussi c’est le symbole, l’idée qu’on peut s’en faire, le fantasme, le désir. Je n’ai jamais mis les pieds à Courchevel. Mais Courchevel ça a une signification immédiate avant de parler géographie pure, avant de parler montagnes : on va avant tout penser à une catégorie sociale bien précise. Et à travers ça ce qui m’intéresse c’est autant comment on se sent être un étranger chez soi, comment on échappe à la vitrine sociale à laquelle on devrait souvent obéir. Plus généralement, tu sembles aimer le fonctionnement concret du social, depuis les métiers qu’on occupe jusqu’aux marques qu’on consomme. Or c’est plutôt l’abstraction qui a été privilégiée en chanson jusqu’ici, à de rares exceptions près. Y a-t-il un engagement pour toi à montrer ce fonctionnement ? Ce sont ces parcours obligatoires moi qui me glacent le sang. C’est le fait qu’on a l’impression qu’à l’école tout est possible, on a un système qui serait censé fonctionner


et qui est un véritable échec. On s’en rend compte très tard, en général. Enfin il y a des enfants plus évolués mais moi je n’étais pas forcément très évolué et je l’ai pris en pleine gueule. À 18 ans j’ai compris que tout le monde allait reprendre sa place et obéir à une vitrine sociale, bourgeoise ou prolétaire, après la parenthèse de l’enfance où toutes les classes sociales ont cohabité. Moi je n’avais pas envie de ça. Je n’avais pas envie d’appartenir à une catégorie plus qu’à une autre. Et en même temps, j’étais extrêmement dépendant de ce qu’on m’avait légué. Moi je viens d’une famille de taiseux où l’on ne parlait pas, d’un milieu plutôt ouvrier. Et où on sentait qu’on devait rester à sa place, que le vrai travail c’était le travail où il y avait pénibilité. Tout ce qui était à côté, c’était du divertissement et le divertissement c’était quand on avait terminé son travail. Mais en général quand on avait bien fait son travail, on n’avait pas le temps de se divertir. Et voilà, c’est quelque chose dont j’ai voulu m’extraire. Musicalement, on sent que tu cherche depuis le départ un compromis acceptable entre Dominique A. et Alain Souchon… J’appartiens à cette génération de musiciens chanteurs qui pour cause de crise du disque, ont appris à se débrouiller seuls dans un studio, à s’enregistrer tout seuls, à bricoler. La chanson telle que je la voyais, je voulais la faire de manière un minimum exigeante et qu’elle ne soit pas sous le poids du commerce ou de l’économie du disque, qu’on puisse être libre de rater des albums parce qu’on fait des expériences. Et ça c’est difficile de le faire avec de grosses structures. Alors l’ambition ça n’est pas de révolutionner la musique mais il est hors de question que je réponde à une commande ou à un format. Mais ce que je fais n’est pas expérimental donc le grand écart est possible. Il n’est pas si grand l’écart entre Souchon et Dominique A et c’est complètement possible de faire quelque chose. Souchon c’est un talent

incroyable, des mélodies incroyables mais parfois une production qui dépend de l’économique. Aujourd’hui ce qui est difficile c’est qu’un artiste ne peut plus, une seule fois, essayer un truc ou deux : il perd tout de suite son contrat. Tes trois disques sont musicalement assez homogènes, avec un sens mélodique bien personnel, une diction bien particulière et des arrangements qui se répondent. T’es-tu appliqué à creuser une sorte de sillon harmonique ? Oui. Je suis allé au bout de quelque chose et je peux le dire de manière certaine. Je vais prendre un vrai virage. La chanson telle que j’en avais envie, très réaliste,

presque naturaliste. J’ai envie d’aller vers des choses plus… douloureusement oniriques. Je ressens le besoin de casser mon écriture parce que si je parle sous le même angle, je risque de me répéter. J’ai besoin d’une mise en danger. Remettre un peu plus de musique, aussi. Venir à des textes plus courts, plus ajourés. Laisser plus de place au chant, à la musique. J’ai des envies d’espace, d’air. Et ça se traduit aussi par des envies de territoires : j’ai des envies de Japon et d’Afrique. i

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22h13 (ce titre peut changer d’une minute à l’autre), spectacle-vidéo de Pierrick Sorin, du 17 au 19 novembre au Maillon à Strasbourg www.le-maillon.com - www.pierricksorin.com

théâtre d'images par sylvia dubost

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photo : brigitte enguerrand


Même au théâtre, Pierrick Sorin continue à faire de la vidéo. Car le Nantais, désormais star de l’art contemporain, fils de Méliès et de Tati, le théâtre ne l’intéresse pas plus que ça… sauf en tant que fabrique d’images où il peut continuer ses expérimentations visuelles. S’il est aujourd’hui l’un des artistes français les plus connus, on ne peut soupçonner Pierrick Sorin d’être rompu à la promo. Vendre son spectacle à tout prix, ce n’est pas son truc… au téléphone comme dans ses vidéos, il semble un peu gêné, rêveur et pas très réveillé. Sorin ne fait pas spécialement grand cas du théâtre, et son spectacle 22h13 (ce titre peut changer d’une minute à l’autre) est surtout l’occasion

de poursuivre son travail dans un autre espace : le plateau. On y retrouve ses deux grandes préoccupations : la fabrique d’images et le quotidien de l’artiste. L’illusion et la réalité. Pierrick Sorin s’est fait connaître à la fin des années 80 par une série d’autofilmages désopilants en super8 dans lesquels il met en scène le cauchemar du quotidien. Il n’a jamais cessé de se filmer, « parce que c’est plus simple », mais a élargi sa palette. Ses œuvres les plus célèbres sont désormais ses « boîtes à images » où, avec des techniques datant des débuts du cinéma, il fait apparaître des vidéos dans de petits décors en trois dimensions. On le voit ainsi dans des saynètes de science-fiction ou courant, diversement accoutré, sur un tournedisque. Invité aussi bien par le Centre Pompidou que par Chanel, les commandes publiques qu’il a réalisé, pour Lille capitale de la culture ou le tramway de Lyon, qui lui ont permis de séduire aussi le grand public. 22h13 met en scène la boîte à rêves qu’est l’atelier de l’artiste, où toutes les images sont réalisées en direct sur le plateau… mais cette fois par un comédien. Vous dites ne jamais avoir été intéressé par le spectacle vivant, et pourtant, vous avez écrit un spectacle. D’où est venu ce besoin ? À l’origine, si j’ai pris le temps d’écrire un spectacle, c’est parce que des producteurs m’ont sollicité pour le faire, donc ça m’a motivé. Et surtout parce que je me suis rendu compte au travers d’une expérience de mise en scène d’opéra qu’il était possible de créer une sorte de film en direct sur scène. Et donc de faire du spectacle vivant qui soit avant tout un travail de vidéo. Je suis très intéressé par la manière de construire les images, cela m’a toujours fasciné, et la création vidéo en live permet de montrer les coulisses de cette fabrication. La forme de spectacle vivant que je pratique est un mélange de spectacle et d’écriture vidéo. C’est pour cela que je trouve cela supportable.

Il y a les images, mais aussi le texte, et cette écriture est tout à fait nouvelle pour vous. Oui, c’est ce qui m’a motivé. Je n’aime pas trop le spectacle vivant, j’aime le cinéma et la vidéo et j’aime bien la littérature, donc j’ai saisi l’occasion. Le jeu d’un acteur sur scène, c’est quelque chose qui ne m’intéresse pas vraiment, sauf s’il est au service d’une histoire. Voir un comédien qui joue bien ne m’intéresse pas plus que de voir un dompteur qui ferait bien son travail. Mais s’il y a du texte et de la création d’images en direct, ça commence à m’intéresser. Pourquoi avoir pris un comédien et ne pas jouer vous-même ? Je ne suis capable de jouer que devant une caméra et sans public. Sinon j’ai trop honte. En plus, dès le départ, il y avait déjà 50 représentations prévues. On ne peut plus rien faire d’autre et moi, comédien c’est pas ce qui m’intéresse principalement dans la vie. Donc je n’ai pas envie de réduire mon temps à faire ça, et je ne l’aurais pas forcément bien fait. Vous restez avec ce spectacle dans le droit fil de vos préoccupations : qu’est-ce qu’il vous permet de dire que la vidéo ne vous permet pas ? Ce que ça permet, c’est de juxtaposer du réel et du virtuel. C’est uniquement cela mais c’est un apport important. J’avais un projet de long métrage avec un autre réalisateur, qui montrait la vie d’un artiste que je jouais. Et à partir du moment où j’ai commencé le spectacle, on a abandonné l’idée car on s’est dit que le spectacle était le seul moyen de le montrer vraiment. Comment avez-vous travaillé avec le comédien, qui vous incarne ? Pour qu’il rentre dans la peau du « personnage », on a fait des remakes de films que j’avais fait. Il pouvait ainsi m’observer dans le travail au quotidien. C’était vraiment une immersion pour lui, dans mon atelier qui est chez moi. On n’est pas loin d’ailleurs d’une simple transposition de l’atelier sur la scène. Evidemment tout est condensé dans le temps, sinon cela durerait une dizaine d’heures pour voir… pas grand chose à la fin. En réalité il faudrait un mois pour faire tout ce qu’il fait en une heure et demie. On pourrait dire qu’il y a un côté documentaire car tout ce qui est fait en direct l’est réellement, que cela renseigne sur la manière de travailler… mais tout marche du premier coup : c’est pure fiction ! i

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PREMIERS ACTES, festival de théâtre, du 24 août au 12 septembre, vallées de Haute-Alsace www.premiers-actes.eu

Pas de discours, pas de décor. Premiers Actes avance l’idée que la vie dans les marges s’adresse à tous, plus exactement à chacun. Et la petite bande d’habiter ses théâtres inventés comme d’autres habitent leurs poèmes, avec modestie et générosité. Carnet de bord sur le retour.

Monuments dans la vallée par guillaume malvoisin

Jour 1 Arrivée dans la Vallée de la Thur saignée par la persistance des bégonias, l’industrie ancienne et la route nationale 66. Route 66, le fantôme de Buddy Holly se fait pourtant attendre. D’abord l’évidence du répertoire. L’aigu et le pointu de Pasolini, de Fassbinder, la turbulence juvénile de Mayenburg, posés au creux des ballons alsaciens. Qu’est-ce qui du territoire agit en souterrain sur une création ? Le motif est trop beau ici, dans un festival encaissé dans trois vallées. Le spectacle, ici, serait donc une sorte de résurgence. Vu Lenz, nous y reviendrons en revenant sur le cas Wenger. Vu surtout Nocturnes Electriques. C’est Kleist, qu’Arnaud Paquotte réinvente par ses salves electro-aléatoires. Paquotte est un dompteur rare, au point de sortir une rage centenaire de ses mécaniques de précision, au point de réussir le tour de force de pousser toute tentative d’anthropomorphisme dans le caniveau.

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Jour 2 Pasolini le Preux saccage, convoque et dévale les pentes de la langue avec une sensualité dévastée. devastés, eux-aussi les sheds qui abritent la version de Pylade monté par Lazare Gousseau et la Sociétas Péridurale. Durs en intention, Gousseau et sa quinzaine de verticalités infaillibles livrent un mano a mano ardent avec le silence. Dans son entêtement à croire dans un théâtre aussi pauvre que rêche, Lazare trouve sa raison qu’écorne à peine une sagesse trop humble.

Jour 3 Retour en Alsace, avec l’intuition que cette bande-là, cousine alsacienne des réussites fulgurantes des italiens de Motus, ne tente pas de raviver un patrimoine ou une mémoire mais rénove le regard qu’on leur porte. La ruine approuve le projet et seulement, alors seulement, le spectacle a lieu. Il faudrait se souvenir de chacun des rapports soulevés entre un répertoire chéri (Fassbinder, Pasolini, Orvath, Büchner...)

et des lieux désirés (Scierie, Friche, Salle des Fêtes...) pour faire la juste cartographie d’un tel projet. Ce lien entre souvenir et moment présent est célébré dans ses moindres détails. Il y a de ça ici, comme dans le jeune théâtre national, cette volonté d’élever de petits monuments. Vu le Brême monté Mathias Moritz, trop malin pour se contenter de sa parenté physique avec le teuton magnifique. Son Brême est une façon de calembourg kaléidoscopique jouant sur l’écho et la sauvagerie. Miné comme le Laos mais désirable. Provoc pour provoc, citons Fassbinder : « la pitié, c’est déjà de l’amour ». Mention affectueuse à Marie Bruckman, Geesche rêvée.


Jour 4 Les cors des Alpes envahissent Munster. Instrument très beau, aux lignes fascinantes mais au répertoire indigne et faisandé. On annonçait un festival à la marge, nous pourrions corriger par : un festival de la marge voire de la périphérie. Rien de marginal dans la programmation du festival, mais les visions – au sens quasi médiéval du terme – de textes portés sur l’écorchure citoyenne (Geschichten vu ce jour ou Les Soldats, le lendemain). La marge, ici, est celle qui tend le miroir au reste de la Cité. Peu étonnant si les compagnons programmateurs font figure d’iconoclastes aux yeux de certains des folkloristes locaux. Premiers Actes dérange, démange et poursuit. Qui assiste à un des spectacles programmés par la bande à Wenger, assiste au lent parcours d’un legs ancien en évolution actuelle. Le théâtre de demain est ici, qui s’obstinerait à ne pas le voir, rendrait l’avenir sans doute un peu plus incertain.

Jour 5 Le cas Wenger. Si Premiers Actes se donne comme un festival multicéphale, l’un de ses animateurs est sans conteste Thibaut Wenger – tête pensante, pour une fois le cliché sert le scribouilleur. Lenz et L’Enfant froid s’affichent d’emblée comme une extériorisation de l’espace cérébral, singulier, de leur metteur en scène. Deux spectacles pour deux facettes convergeantes. Le point de réunion ? Cette obsession quant à la démission de la langue face au réel, face à ce que l’œil peut en recevoir, à ce que l’idée peut en soulever. Thibaut Wenger est un garçon du pays, son théâtre le sait et s’en souvient. La montagne têtue qui ombrage son Lenz appartient autant à l’imaginaire de Büchner qu’aux souvenirs des sensations de l’enfance de Wenger. Les langages imbriqués avec patience et ingéniosité, la font trembler, à force d’énergie et de questions. C’est aussi que Wenger sait manier son équipage. Lenz et L’Enfant froid doivent leur réussite éclatante aux gens qui les habitent. Que ce soient les spectres planant et rageurs de Lenz, que ce soit le bestiaire fracassé

rythmant le texte trop poli de Mayenburg. Pour Lenz, il y a les cavalcades d’enfance, les sons rencontrés ici ou là et cette féroce impression d’avoir les mains aussi vides qu’inutiles à produire du concret. Wenger trace un parcours sommaire et impalpable mugissant dans les ruines de la petite chaufferie de Wesserling. Lenz, le fou, dévale les collines, Wenger, Comédien pour l’occasion, juste et humble, et ses camarades remontent la pente d’une litanie impressioniste. L’Enfant tient le versant opposé. Ce pourrait être un morceau de rock joué par un orchestre bavarois, une fête un peu triste et extralucide. Sa collection de gueules à l’érotisme glacé s’agite au rythme des ruptures et autres étirements temporels. La mise en scène nous observe en train de regarder les comédiens, beaux et présents. Et si Thibaut Wenger s’approche avec une modestie féroce de Godard, lui empruntant hors-cadre, mise en abîme et faux raccords, il empile ses tentatives en les liant avec un venin caractériel, autistique et diablement sournois. Un genre de grotesque qui touche le nerf du plaisir. Dans la noirceur environnante et stagnante, la leçon est excitante. i

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ET LE CONSERVATOIRE DU PAYS DE MONTBÉLIARD PRÉSENTENT

LES BARCELLADES JEU. 02 DEC. ~ 20:30 CARTE BLANCHE À BARCELLA DANS LE PAYS DE MONTBÉLIARD 7 € �PRÉVENTE� § 10 € �SUR PLACE�

LA MALS � SOCHAUX ~

médiapop + STAR★LIGHT

Barcella & Mariame, Suzana, Uresa, Sanja, Elvira, Elma, Anissa, Médina, Zahid, Sandrine Atelier poétique par Barcella & les enfants de la MJC Petite Hollande


Festival iNteRNatioNal du film 25 EntreVues de belfoRt e

EntreVues, entre nous Chaque année, c’est la même histoire. À l’approche du festival EntreVues, je fais tout mon possible pour convaincre mes amis de Strasbourg, Nancy, Metz, Dijon, Besançon et Mulhouse de venir passer quelques jours à Belfort. Ceux qui me font confiance n’ont pas de mots assez forts pour me remercier. Mais d’abord, ça se passe souvent comme ça : - Belfort ! C’est quoi ce festival ? T’as rien de plus excitant ? - Non, et si tu viens tu verras que si EntreVues existe depuis vingt-cinq ans, ce n’est pas pour rien. Janine Bazin avait l’habitude de dire que c’est le plus grand des petits festivals ! Elle disait aussi que les films devaient lui faire quelque chose soit à la tête, soit au cœur, soit au ventre… - Oui, mais regarde le programme ! Il y a tellement de films que je ne sais pas par où commencer… - C’est ça qui est bien… Tous ces films et pas un seul navet ! Catherine Bizern dit que si elle aime les films qu’elle montre à Belfort, il n’y a aucune raison que d’autres ne les aiment pas. - Peut-être, mais cette année tu me conseilles quoi ? - Moi, je suis assez curieux de voir les derniers films d’Abel Ferrara inédits en France. ET comme je me souviens de la claque que je me suis pris avec la rétrospective Gleb Panfilov en 2007, j’espère revivre la même chose avec les films de Kira Mouratova. ET comme j’ai une tendresse particulière pour le cinéma africain, je vais essayer de voir quelques films dont le fameux Yeleen de Souleymane Cissé ! ET puis je ne vais pas manquer les Histoire(s) du cinéma de Godard ! ET bien sûr il y a les films de Luc Moullet… ET il y a aussi Joe Strummer chez Ossang… ET… ET… - Tu vois ! Toi-même tu ne sais plus où donner de la tête… Je ne vais quand même pas prendre des jours de congés pour venir à Belfort ! - SI JUSTEMENT ! TU DEVRAIS ! L’an dernier Adolpho Arrietta était là pendant toute une semaine. C’était drôle de se plonger dans ses films et de le croiser ensuite au bar du cinéma en compagnie de Caroline Loeb… - Oui, mais m’enfermer dans le noir pendant dix jours… - Je ne te dis pas de te couper du monde ! Rencontrer un cinéaste comme Yousry Nasrallah, qui était là il y a deux ans, ce n’est pas se couper du monde ! À Belfort, il y a des tas de gens avec qui tu peux discuter entre deux séances ou aux afters de la Poudrière. Des jeunes, des vieux, des cinéphiles, des cinéastes, des acteurs, des critiques… L’an dernier, j’ai parlé avec Francis Reusser qui était là pour la rétrospective consacrée au cinéma suisse… - Connais pas… - Moi non plus, je ne le connaissais pas. J’ai tellement aimé son film Le Grand Soir, que je me suis précipité sur lui à la fin de la séance. - Ah… - Et puis cette année, il y a aussi une “transversale” avec des cinéastes qui sont de vrais pirates chacun à leur manière : Godard, Moullet, Ossang, Dellsperger… - Drôles de pirates… - Pasolini, Fassbinder et Buñuel aussi ont fait des films en pirates ! - On pourra les voir, ces films ? - Bien sûr… Allez, viens !

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Rencontre avec Catherine Bizern

Vingt-cinq ans de rencontres entre spectateurs et professionnels... ➾ Par Caroline Châtelet Photo Oliver Roller

Si le paysage de la création et de la diffusion cinématographique a largement évolué, le festival continue de s’inscrire comme un temps fort du cinéma, essentiel à la visibilité des premiers films. Tout en prolongeant l’espace de rencontre voulu par la fondatrice du festival Janine Bazin, la directrice artistique Catherine Bizern et son équipe n’ont de cesse de faire évoluer la manifestation. Parce qu’EntreVues a su dépasser son histoire, il importe que le festival continue à être attentif au contexte et au territoire au sein desquels il se déploie. L’attention portée au public, l'accueil pour la première fois de films d’animation, le focus sur le nouveau cinéma argentin, les événements autour de l’histoire du cinéma d’Afrique, les spectacles, les concerts, les collaborations régulières avec les structures locales sont autant d’éléments venant consolider, aux côtés des compétitions et multiples pro g rammations , un festival indispensable à la découverte et à la curiosité. Rencontre avec Catherine Bizern.

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l'âge du scaNdale Pourquoi avoir choisi un cinéaste tel qu’Abel Ferrara pour l’une des deux rétrospectives ? Lorsque je travaille sur une programmation, j’essaie de trouver une cohérence thématique, même si elle est parfois plus souterraine que déclarée. Le choix d’Abel Ferrara est venu du piratage. Pour moi, tel que je conçois cette figure, Abel Ferrara est un vrai pirate qui utilise les outils et les armes du système contre le système. Ferrara travaille sur le cinéma de genre pour dénoncer la violence du capitalisme aux États-Unis, et tout en jouant avec les codes de l’entertainment, son cinéma est éminemment politique. Par ailleurs, défendant l’idée selon laquelle il existe dans le système des cinéastes qui luttent contre – c’est aussi le cas de Paul Verhoeven à qui nous avions consacré une rétrospective en 2008 – je cherche toujours à programmer un cinéaste qu’on n’attendrait pas à EntreVues. La transversale et les rétrospectives dialoguent-elles à chaque fois ? Lorsqu’on établit une programmation, on travaille sur un équilibre. Cela consiste à donner une image cohérente de sa cinéphilie, tout en prenant le contrepied

des poncifs liés à la cinéphilie. Il s’agit de remettre en question les clichés d’élitisme et de surprendre, de permettre la découverte d’une diversité de propositions. Pour moi, un cinéphile n’est pas quelqu’un qui a des œillères. Cela signifie avoir une vision élevée du cinéma, tout en aimant les films de Judd Apatow, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, ou encore d’Abel Ferrara. La programmation vise donc aussi à proposer des rétrospectives éclectiques, afin que chacun y trouve son compte. Vous disiez lors d’EntreVues 2009 qu’une programmation raconte quelque chose du cinéma. Que nous raconte cette édition 2010 ? Concernant la totalité du festival, je considère que programmer des films a à voir avec la politique, c’est un acte de revendication. Et aujourd’hui il me semble urgent de « faire scandale ». En 2009 nous étions peut-être plus du côté de la subversion des années 70 que du scandale, même si, au final, les programmations tournent toujours autour de la subversion et de la place du corps. Ce qui est intéressant chez Ferrara c’est que ces éléments sont liés, et la façon dont les individus sont malmenés dans leur corps par la violence sociale


traverse son cinéma. Après c’est banal à dire, tant le cinéma est à chaque fois une mise en jeu du corps... Mais les modes de figuration des corps, qui sont des questions autant esthétiques que politiques, se retrouvent dans tout le programme, de Ferrara à Pic Pic André. Au regard de la programmation, on a le sentiment qu’EntreVues raconte les différentes étapes de l’histoire et de la fabrication du cinéma... Le cinéma a une histoire et il ne faut pas l’oublier. Nous sommes dans une société qui vit tellement le flux du présent qu’il me semble important de rappeler que le cinéma se construit dans un passé, un présent et un futur. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que le cinéma est un objet nécessitant fabrication et technique. Il est donc essentiel qu’EntreVues, tout en faisant en sorte que le public ne soit pas uniquement consommateur des films, travaille avec ceux qui fabriquent le cinéma. La place du festival dans le panorama cinématographique contemporain a-t-elle évolué ? La fondatrice d’EntreVues Janine Bazin était une telle personnalité du cinéma que la notoriété du festival est particulièrement forte. Pour autant, le travail mené depuis plusieurs années a permis d’accueillir des professionnels qui ne venaient pas auparavant. Le festival a fait en sorte de « survivre » à Janine Bazin, il continue à être lui-même tout en étant attentif à l’avenir. Après, la place des premiers films dans les festivals et dans la diffusion du cinéma a évolué. On note depuis ces dix dernières années une grande présence des premiers films dans les festivals, comme si la crise du cinéma permettait aux œuvres d’être repérées plus vite. Une sorte de marché du premier film s’est créé, qui a évidemment des conséquences sur EntreVues : si nous avons moins de films inédits qu’il y a vingt ans, le choix de demeurer un festival à taille humaine permet véritablement les rencontres entre les professionnels. En travaillant autant à la notoriété du festival qu’à son implantation locale, en refusant l’existence d’un marché, nous mettons en place les conditions pour que les gens se rencontrent et fassent des films ensemble.

« Le cinéma se construit dans un passé, un présent et un futur… »

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Hommage à Abel Ferrara

Abel Ferrara, une cohérence, malgré des apparences sauvages. So wild ? ➾ Par Fabien Texier

Le britannique Brad Stevens est l’auteur de la biographie de référence d’Abel Ferrara. Il porte un regard sur l’œuvre d’un réalisateur plus cohérent qu’il n’y paraît. Quel a été votre premier contact avec Abel Ferrara ? Le premier film que j’ai vu était The Driller Killer, sorti en vidéo en 1982, je devais avoir quinze ans. La couverture montrait l’image d’un homme avec la pointe d’une perceuse dans la tête : cela a d’ailleurs provoqué une campagne de censure contre les soi-disant « video nasty » en Grande-Bretagne. Je m’attendais à voir quelque chose comme un film de Herschell Gordon Lewis [réalisateur de 2000 Maniacs ndlr], mais dès la première scène, j’ai su que c’était l’œuvre de quelqu’un doté d’une vision vraiment fascinante. Je connaissais déjà le travail de Scorsese avec lequel j’ai immédiatement fait le lien.

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Quelles sont les différentes phases de son œuvre ? D’abord les débuts : les courts métrages, les longs comme Nine Lives of a Wet Pussy, (1976), L’Ange de la vengeance (Ms. 45) et New York deux heures du matin (Fear City, 1984) comme œuvre de transition. Ensuite, les tentatives de travailler dans des formats commerciaux : téléfilms, séries (Miami Vice, 1985), pilotes, des films un peu mainstream comme China Girl (1987) ou Cat Chaser. Puis les films de la maturité : en gros tout à partir de King of New York (1990). Cette période finale pourrait être subdivisée de différentes manières, comme les documentaires [trois entre 2008 et 2009, ndlr] qui constituent évidemment une catégorie à part, mais en un sens tous ces films constituent une transition. Son premier long, le porno Nine Lives of a Wet Pussy lui a demandé des sacrifices personnels, mais qu’en subsiste-t-il aujourd’hui ? Le sérieux avec lequel Abel Ferrara a réalisé ce film est évident à chaque cadrage. Tous ceux qui ont travaillé dessus en semblent un peu honteux maintenant, mais je ne crois pas qu’ils aient ressenti cela à l’époque. La scène dans laquelle

Abel apparaît est une des choses les plus choquantes que j’ai jamais vues. Je me souviens que j’avais tenté de la décrire à un ami en lui disant : « tu ne pourrais jamais arriver à me faire croire que quelqu’un a réellement mis ça dans un film ! ». Il y avait pas mal de travail sérieux dans le porno à cette époque ; comme The Story of Joanna de Gerard Damiano et Femme ou démon de Jonas Middelton. Ferrara adore le cinéma indépendant des 70’s, mais aussi Stan Brakhage ou Pasolini… Comment expliquer que ses premiers films soient plus proches de films de genre comme Massacre à la tronçonneuse que de ceux de Scorsese ? Ses courts comme The Hold Up (1972) explorent déjà un territoire commun à celui de Scorsese, avant même qu’il ait réellement commencé à faire des films, du moins sans doute avant qu’Abel ait pu les voir. Je suis sûr que Cassavetes, Pasolini et Fassbinder ont été des influences importantes, mais je pense qu’il était encore plus marqué par ce qui se passait autour de lui. Quand je l’ai vu à Londres récemment, il m’a dit travailler


King of New-York (1990)

Son sens de l’humour est très godardien : il raconte beaucoup de blagues et bien des gens n’ont pas grand sens de l’humour.

sur un livre à propos de Jim McBride et m’a raconté vouloir refaire son Journal intime de David Holzman [film de 1967 où un cinéaste filme obsessionnellement ce qui l’entoure, ndlr]. Beaucoup considèrent que Bad Lieutenant est le chef d’œuvre de Ferrara, et que les films de la période de King of New York à Nos Funérailles sont ses meilleurs… De plus récents comme The Blackout (1997), New Rose Hotel, Mary et Go Go Tales (2007) me paraissent être parmi ses meilleurs. Il faut les voir plusieurs fois pour les estimer à leur juste valeur alors que Bad Lieutenant (1992) et, à un certain degré, Snake Eyes (1995), sont plus faciles à comprendre d’emblée. Mais je crois que la plupart des gens n’ont même pas été les voir ! Pourquoi, au sommet de son succès commercial et, en partie, critique, a-t-il choisi une voie plus risquée ? Il fait toujours les mêmes films qu’à l’époque où il avait un peu de succès. La différence, c’est qu’il est difficile de trouver un marché pour eux maintenant.

Cela a-t-il quelque chose à voir avec la fin de sa collaboration avec son scénariste Nicholas Saint John ? A-t-il besoin de travailler avec un sparring-partner comme lui ou Frank DeCurtis ? Oui. Cela fait dix ans que je suis en contact avec lui et à l’époque c’était un type du nom de Barry Amato, aujourd’hui ça semble être DeCurtis et sûrement Nick au début. Abel n’a jamais dit « je », il dit toujours : « nous allons faire ceci, nous avons fait cela »… Selon lui, les gens ont forgé sa légende de réalisateur maudit car c’est une icône qui leur plaît. Il l’entretient pourtant… Je crois qu’il se fonde beaucoup sur Godard, spécialement dans ses interviews.

Des acteurs comme Asia Argento, Matthew Modine, Willem Dafoe ou des amateurs ont apprécié ses tournages, alors que Juliette Binoche ou Madonna paraissent avoir souffert avec lui… La seule qui semble réellement avoir eu des problèmes avec Abel, c’est Kelly McGillis [sur Cat Chaser, 1989, et qui a arrêté le cinéma pendant dix ans après cela !, ndlr]. Pour Madonna c’est plus une question de choix de scènes retenues et pour Binoche je ne vois pas. Mais il demande certainement l’engagement de ses acteurs : je ne l’imagine pas travailler avec quelqu’un qui ne verrait la comédie que comme un métier. Il travaille plus avec les acteurs pour ce qu’ils sont que ce qu’ils font. Matthew Modine passe pour quelqu’un de très doux, Abel l’a choisi pour le rôle d’un drogué brutal dans The Blackout. Modine a dû effacer sa gentillesse naturelle : cela l’amène au cœur de son personnage ; quelqu’un qui essaye toujours d’affirmer sa virilité. Savez-vous quels sont ses prochains projets ? Son long métrage The Last Day on Earth, parlera de la réaction des gens à l’annonce de la fin du Monde. Il veut aussi faire un Dr. Jekyll et Mr. Hyde, il y a déjà beaucoup d’élément de cette histoire dans The Driller Killer, Fear City et The Blackout. Il y a aussi une possibilité qu’il veuille tourner une version contemporaine de la Carmilla de Sheridan LeFanu [nouvelle de 1872, l’une des sources de Dracula, déjà adapté par Dreyer et la Hammer, ndlr].  Programmation Abel Ferrara, une fureur inaltérable... 18 de ses longs métrages, 3 films sur lui, un de ses clips, un court métrage. + Abel Ferrara : the Moral Vision, de Brad Stevens, FAB Press, 2004.

Abel Ferrara n’a jamais dit « je », il dit toujours : « nous allons faire ceci, nous avons fait cela »… 81


Regard sur le cinéma africain

uNe coMMuNAuté de RegARds

Le cinéma africain, état des lieux d’un art en mouvement ➾ Par Baptiste Cogitore

Dire que le public africain est friand de cinéma serait une litote. Les nombreuses rencontres cinématographiques d’hier et d’aujourd’hui attestent d'une véritable passion des Africains pour le 7 e art : du prestigieux Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou (Fespaco), jusqu’aux rencontres cinématographiques du Caire, de Marrakech et d’Afrique du Sud, on ne compte plus le nombre de manifestations de cinéphiles sur le continent. Mais les réseaux de production et de diffusion qui se mirent en place à partir des années 1960 commencent à s’essouffler tout en devant faire face à une nouvelle donne économique.

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Comment trouver une cohérence dans ce cinéma protéiforme ? Pour Jean-Marie Téno (voir ci-contre), « le cinéma africain est avant tout constitué d’individualités fortes qui échappent à une classification par groupes et même par pays ». Au contraire, le réalisateur burkinabé Gaston Kaboré considère qu’une « telle terminologie n’est pas synonyme de dénégation de l’existence de cinémas différents et d’auteurs singuliers ». Et d’affirmer haut et fort l’existence d’un cinéma africain, comme il existerait un cinéma sud-américain ou un cinéma européen. Encore faut-il faire varier le « cinématoscope » africain : le Burkina Faso, le Mali, et le Sénégal furent le berceau d’une génération de cinéastes précurseurs. Très tôt sensibilisés au cinéma par les administrations coloniales, ces pays peinent aujourd’hui à suivre le marché et ont laissé leur place sur le podium de la production à d’autres régions plus dynamiques. À la pointe du continent, le Maroc et la Tunisie continuent de produire un nombre très honorable de films locaux, tandis que l’Afrique du Sud est en plein essor et cherche sa voie à tâtons. Inversement,

la production est encore très maigre au Tchad, au Soudan, au Congo et dans les pays lusophones. Le Nigeria anglophone est davantage réceptif aux films populaires d’Hollywood et d’Inde qu’aux œuvres d’auteurs. Et si les home vidéos ont permis de diffuser des films à un grand nombre de foyers, ils ont aussi réduit à peau de chagrin le parc de salles de projection. Dans un pays de 120 millions d’habitants où le cinéma est vu avant tout comme un business, ils ont surtout nui à la qualité des œuvres. Il ne nous est pas possible d’intégrer le cinéma africain dans quelque « école ». Et c’est peut-être tant mieux. Tout au plus parlera-t-on d’influences ou de proximités d’approches, d’une communauté de regards. Les cinéastes du continent noir nous montrent combien il importe aux Africains, non pas d’ « entrer dans l’Histoire », mais de se réapproprier cette histoire, de se remémorer leur passé pour mieux faire face au présent. En cela, ils contribuent à changer notre propre regard sur le monde et sur nous-mêmes.


Yeelen (1987), de Souleymane Cissé

Jean-Marie Téno est réalisateur de documentaires et producteur camerounais, auteur notamment de Chef ! (1999) et du Malentendu colonial (2004). Dans quelle mesure la présence européenne en Afrique a-t-elle freiné l’émergence du cinéma africain ? Paradoxalement, c’est la colonisation qui a rendu possible la naissance d’un cinéma africain. Contrairement aux pays d’Afrique anglophones où s’est mis en place un cinéma populaire et commercial, la France a permis d’installer des salles dans beaucoup de pays francophones : elle a joué en faveur du développement d’un cinéma d’auteur, en accordant des aides à ces réalisateurs. Elle continue d’ailleurs à le faire. Cela dit, il ne faut pas s’étonner de voir le cinéma africain se développer juste au moment de la décolonisation. Auparavant, on n’avait pas accès aux outils cinématographiques sans passer par l’administration coloniale. Les premiers grands films africains ont émergé quand les intellectuels ont pu faire entendre leurs voix. La récente révolution numérique contribue-t-elle à favoriser l’avenir du cinéma africain ? Oui. Mais faire des films est aussi une question de formation. Il ne suffit

pas d’avoir une caméra et un banc de montage pour être cinéaste ! Il faut connaître son patrimoine culturel, son histoire, voir ce que d’autres ont fait avant, savoir s’interroger sur ce qu’est le cinéma. Presque partout, des écoles de cinéma se mettent en place. Mais en Afrique, on prend du retard. On assiste à l’émergence d’entreprises françaises qui viennent former des réalisateurs africains. Partant de bonnes intentions, ces gens font comme s’ils allaient sur des terrains vierges, sans prendre en compte la production de ces cinquante dernières années ! Le cinéma serait donc la nouvelle arme des Africains pour lutter contre l’imposition d’une culture globalisée ? Absolument ! Les cinéastes africains devraient non seulement proposer leur vision du monde et de leur propre pays, mais aussi travailler à enrichir les autres par la diversité des regards. Se donner comme seul objectif de faire un maximum de ventes de films aboutit au renforcement des clichés sur l’Afrique, à la négation de nos cultures.

 Programmation Les chantiers de la mémoire : Autour de Yeelen Yeelen (Souleymane Cissé, 1987), Grand Prix du jury à Cannes 1987 Les précurseurs : Borom Sarret (O. Sembene, 1963), La Noire (Ousmane Sembene, 1966) Lettres paysannes (Safi Faye, 1975) La génération Souleymane Cissé : Yaaba (Idrissa Ouedraogo, 1989), Hyènes (Djibril Diop Mambety, 1992) La jeune génération : Bye Bye Africa (M.-S. Haroun, 1998) Colloque cinéma et histoire : Colonialisme, post-colonialisme, néo-colonialisme en Afrique noire Le colonialisme : Zoos humains de Eric deroo et Pascal Blanchard (2003), Au pays des Pygmées (J. Dupont, 1946), Noces d’eau (J. Capron, S. Ricci, 1953) Les années 50-60 : l’anticolonialisme : Afrique 50 (René Vauthier, 1950), Les Statues meurent aussi (Alain Resnais, Chris Marker, 1953), Afrique sur Seine (Robert Caristan, Jacques Mélo Kane, Mamadou Sarr, Paulin Soumanou Vieyra, 1955) L’influence de l’Occident : Moi un noir (Jean Rouch, 1958), Le Retour d’un aventurier (Mustapha Assalane, 1966) L’Histoire en accusation : Camp de Thyaroye (O. Sembene, 1987) L’Etat de l’Afrique aujourd’hui : Chef ! (Jean-Marie Teno, 1999), Bamako (A. Sissako, 2006)

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Je me souviens des premiers films de Kira Mouratova

LE souci du détail

Le réalisme cacophonique de Kira Mouratova ➾ Par Baptiste Cogitore

Pendant vingt ans, Kira Mouratova a ancré ses œuvres dans le quotidien des petites gens de l’URSS. Très vite confrontée aux limites de la tolérance du pouvoir communiste en matière d’esthétique, elle refusa les concessions et fut censurée. Spécialiste du cinéma soviétique, Eugénie Zvonkine prépare l’édition de sa thèse sur Mouratova1. Elle revient sur l’œuvre de cette cinéaste à la vision aiguisée par le souci du détail.

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Quelles sont les sources d’inspiration de Kira Mouratova ? Mouratova se réclame souvent de la littérature russe. Brèves rencontres a été partiellement adapté d’une nouvelle. Plus tard, dans les années 2000, elle a réalisé un film intitulé Les Motifs Tchékhoviens. Quant au scénario du Milicien amoureux, son premier film postsoviétique, il s’inspire d’un fait divers trouvé par la cinéaste dans les journaux, dans les années 70. Peut-on parler d’un cinéma « réaliste » à propos de son œuvre ? L’exemple que j’aime prendre est celui des microphones. Prenons un micro directionnel : la voix d’une personne, un son précis nous parviendront clairement et distinctement. Prenons maintenant un micro non directionnel : une cacophonie sonore va s’abattre sur nous. C’est une bande-son réaliste, car elle rend compte de la multiplicité du monde qui nous entoure, mais la sensation produite par cette bande-son n’est pas réaliste. Elle l’est sans le paraître.

Pour quelles raisons Kira Mouratova fut-elle censurée par le régime soviétique ? Mouratova aimait à dire que ce n’était pas le contenu, mais le style de ses œuvres qui dérangeait la censure. Ses films n’ont, en effet, que peu, voire aucun contenu politique. Ils ne dégagent pas ce qu’on pourrait appeler « l’optimisme obligatoire » de l’époque soviétique. Dans les premiers Mouratova, une influence des « nouvelles vagues » mondiales apparaît : cette influence dérangeait aussi les censeurs, car elle venait du cinéma occidental. Enfin, nous devons aussi tenir compte du tempérament de la cinéaste qui a fermement refusé assez tôt toute concession, provoquant ainsi un durcissement du côté des organes de censure. Le Syndrome asthénique (Ours d’Argent à Berlin en 1989) fut-il son premier film autorisé par l’URSS ? Non, comme beaucoup d’autres, la cinéaste a été réhabilitée en 1986, après quoi elle a réalisé Changement de destinée qui


Brèves rencontres (1967)

est sorti en URSS sans encombre. Ses films précédents, Brèves rencontres et Les longs adieux ont été ressortis sur les écrans soviétiques en 1987. Alors que la situation s’était fortement libéralisée, Syndrome asthénique a, au contraire, été l’un des rares films à avoir des difficultés pour obtenir un visa de sortie. Les rédacteurs, choqués par un passage où une femme profère des injures, ont demandé à Mouratova de modifier la bande son afin de les rendre inaudibles. Après le refus de la cinéaste, la situation s’est trouvée bloquée et c’est grâce à la projection du film à Berlin – où il avait été transporté par des voies illégales –, que le film a été autorisé tardivement en URSS. Est-ce qu’elle fréquenta Andreï Tarkovski, autre grand cinéaste censuré à l’époque ? Mouratova et Tarkovski n’ont jamais eu de connivence particulière, même s’ils se sont croisés. Lorsque l’on demandait à Mouratova pourquoi Tarkovski n’avait jamais parlé d’elle à la presse occidentale, elle répondait : « Les réalisateurs sont égoïstes :

ils ne parlent que d’eux-mêmes. Pourquoi vouliez-vous que Tarkovski parle de moi ? Il ne parlait que de lui ! Mais tous savaient que mes films existaient. » Le fait que Tarkovski ait « sacrifié » un animal pour les besoins d’un tournage apparaît aussi comme moralement rédhibitoire et ne permet pas à Kira Mouratova d’évaluer ses films du point de vue de leur valeur artistique. Elle explique ainsi : « Je n’aime pas mélanger vie et art. J’avais entendu plusieurs fois que Tarkovski avait brûlé une vache. Je pensais que c’était des racontars, des ragots. Mais il n’y a pas longtemps on a montré un film sur Tarkovski à la télévision. J’ai vu ce plan qui n’est pas dans [Andreï] Roublev : une vache qui court en brûlant, comme un cascadeur. Tarkovski a cessé d’exister pour moi. C’est tout. »

dernière projection française date de 1988. Quant à Changement de destinée, il n’avait jamais été montré à cause d’un problème de droits. Le Festival International du Film de Belfort propose ici une rétrospective exceptionnelle : la première des œuvres de Mouratova depuis 1988 et surtout la première depuis toujours en France à réunir l’ensemble des films réalisés par Mouratova durant la période soviétique, dont deux sous-titrés spécialement pour l’occasion.  Programmation Brèves rencontres (1967), Longs adieux (1971), En découvrant le vaste monde (1978), Parmi les pierres grises (1983), Changement de destinée (1987), Le Syndrome asthénique (1989). 1– À paraître aux éditions L’Âge d’Homme. Eugénie Zvonkine est notamment l’auteur de « L’Homme à la caméra » de Dziga Vertov et de plusieurs articles sur Kira Mouratova, dans les revues 1895 et Les Cahiers du cinéma.

Comment expliquer sa relative diffusion en France ? Deux films inédits sont programmés à EntreVues : En découvrant le vaste monde (1978) et Changement de destinée (1987)… En découvrant le vaste monde a déjà été montré en France, mais sa première et

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La transversale ~ Piratages !

À l’abordage des galions de la nouvelle bourgeoisie… ➾ Par Emmanuel Abela

esprit corsaire À partir de mai 1973, Pier Paolo Pasolini s’en prend à la déshumanisation de la société dans une série d’articles publiés dans le Corriere della Sera. Réunis sous la forme d’un volume publié l’année même de sa mort en 1975 sous le titre de Scritti Corsari – Les Écrits Corsaires traduits dès 1976 chez Flammarion –, ces textes révèlent un Pasolini polémiste, dont la violence du propos le conduit à abjurer dans un premier temps la Trilogie de la Vie, Le Décaméron (1971), Les Contes de Canterbury (1972) et Les Mille et Une Nuits (1974), puis à se consacrer à l’écriture et à la réalisation de Salò ou les 120 journées de Sodome (1975), son dernier long métrage dans lequel il dénonce, avec une approche visuellement extrême, voire paroxystique les conséquences du fascisme. Si le film situe l’action au cours de la dernière période historique du fascisme mussolinien, durant l’occupation nazie, entre 1944 et 45, la sévère mise en garde concerne l’évolution de la nouvelle bourgeoisie italienne au cours des années 70. Le film peut être revu aujourd’hui, à la lecture des Écrits Corsaires. Pasolini n’est pas tendre avec la jeunesse de son pays et ses craintes sont exprimées de manière cinglante.

« […] Quand je vois que les jeunes sont en train de perdre les vieilles valeurs populaires et d’absorber les nouveaux modèles imposés par le capitalisme, en courant le risque de se déshumaniser et d’être en proie à une forme d’abominable aphasie, à une brutale absence de capacité critique, à une factieuse passivité, je me souviens que telles étaient les caractéristiques des S.S. – et je vois s’étendre sur nos cités l’ombre horrible de la croix gammée. […] » Cette intervention orale prononcée à la fête de l’Unita de Milan, constitue pour Pasolini un appel « à lutter contre tout cela » et à partir à l’abordage des citadelles de la veule bourgeoisie. Ce texte, baptisé Le Génocide, est publié dans Rinascita le 27 septembre 1974, soit un peu plus d’un an avant la disparition tragique du cinéaste. ✽ « […] La peinture du Caravage consiste à isoler, à désinsérer de la chaine des contextes, des causes et des effets, le fait brut. À cet instant, saisi dans sa fragilité qu’accuse le vide, le trou noir sur lequel il se détache, correspond une lumière particulière, une lumière instantanée. […] » Jean Castex à propos de La Conversion de St Paul du Caravage

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Pasolini n’a pas connu le scandale Salò parce qu’il était déjà mort, mais il a vécu avec beaucoup d’amertume le scandale Théorème (1968) qui le précède de quelques années. Le film primé à l’issue de la Mostra de Venise du Grand Prix de l’Office Catholique International du Cinéma, fait l’objet d’une « mention qui évitait de le recommander aux familles chrétiennes du monde entier », comme nous le raconte Hervé HubertLaurencin dans sa monographie consacrée à Pasolini, Portrait du poète en cinéaste. Pasolini renvoyait alors à l’OCIC ses deux grands prix, celui de Théorème et celui de L’Évangile selon St Matthieu obtenu en 1964. L’histoire est assez simple : un beau jeune homme, Terence Stamp, séduit les cinq personnes d’une maison dans laquelle il s’introduit sans raison apparente. Tour à tour, la bonne, la fille de la famille, le fils, la mère et le père succombent à ses charmes, avant de se retrouver démunis par son départ soudain : la bonne sombre dans le mysticisme et multiplie les miracles, Odetta, la fille, plonge dans une forme de neurasthénie – à mettre en rapport avec


l’état de Julien dans Porcherie, le pendant de Théorème, réalisé la même année –, Pietro, le fils, découvre les plaisirs de l’avant-garde pictural, Lucia, la mère – sublime Sylvana Mangano –, s’adonne avec gourmandise aux joies de la luxure avec des jeunes gens et Paolo, le père, industriel cynique, se défait de ses biens et de son usine, se déshabille et part dans le désert… Il vit sa conversion dans un ultime hurlement. Ce film, longue parabole à la manière des peintres et poètes baroques, pose la question de la réaction d’une famille bourgeoise, visitée par une figure angélique

séductrice. Dans cet univers mouvant, où la moralité est chancelante, ni les êtres, ni leurs valeurs, ne résistent à l’appel d’une forme de subversion intime. Le monde ancien, tout comme le monde moderne, se dissolvent sans être en capacité de se refondre. Derrière la poétique sacrale se cache un profond désespoir. En cela, Théorème est annonciateur de Salò. En visionnaire, le cinéaste se moque de la bourgeoisie, tout en la sachant revancharde, tr iomph ante e t m alhe ure u s ement meurtrière. Le poète-corsaire se sait en danger, il sait sa Passion à venir.

 Programmation La projection de Théorème dans le cadre d’une transervale en deux pans : des histoires de piratage et des cinéastes que l’on peut qualifier de pirates (Jean-Luc Godard, Kathryn Bigelow, Luc Moullet, F.J. Ossang, HPG, Brice Dellsperger, Gabriel Abrantes).

Théorème (1968)

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Rencontre avec Sophie Letourneur

Près d’un an après avoir été primé à Belfort, " La Vie au ranch " de Sophie Letourneur sort en salle. ➾ Par Emmanuel Abela Photo Stéphane Louis

ciNéma-réalité En général, on s’attache aux ruptures sentimentales, moins aux séparations amicales. Et pourtant dans La Vie au ranch, au-delà de la thématique de l’entrée dans l’âge adulte, c’est bien la douleur d’une séparation entre deux amies que vous évoquez implicitement… La rupture amoureuse est narrativement plus facile à mettre en place, alors que ces séparations amicales se font de manière souterraine, moins brutale. Tout d’un coup, il n’y a plus d’amitié et on ne le constate que sur la base de petits détails au quotidien… Vous vous êtes appuyée sur des éléments autobiographiques, mais également sur les témoignages des jeunes actrices. L a trajectoire du groupe et des différents personnages avait été écrit bien avant de rencontrer ces actrices. Je me suis servie de ce qu’elles m’ont raconté principalement pour distribuer les rôles et alimenter les improvisations. Ce que j’ai utilisé chez elles, c’est leur lien. Ce lien existe entre elles, et il me sert pour

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la dimension documentaire du film, mais au-delà des petits détails – l’histoire de la culotte, par exemple –, les événements qui sont racontés ne s’appuient pas sur leurs témoignages. La Vie au ranch est autobiographique. Le désir premier du film a été pour moi de chercher à revivre un certain nombre de situations pour en faire le deuil… Ce qui intrigue, c’est cette part d’inconfort que vous installez d’un point de vue sonore : du magma initial des voix se dégagent, on distingue des personnages et des destinées. C’était une volonté à la base. Il ne s’agissait pas de prendre le spectateur par la main, mais de le confronter au groupe de manière brutale quitte à risquer le rejet. Du coup, le spectateur perçoit le groupe

comme une agression – une forme d’animal monstrueux. Pour moi, c’est important d’un point de vue narratif : Pam quitte le groupe parce que c’est trop violent. Ce dispositif participe du processus d’identification du personnage. Dans ce film, il y a un désir de fond, mais aussi un désir de forme. Dès le départ, je souhaitais mettre le spectateur dans une situation d’éveil. Il se concentre généralement sur l’image et s’attarde sur le détail, mais il n’est pas habitué à faire des choix au niveau du son. Soit il refuse, soit il se laisse embarquer, accepte de prendre ce qu’il veut prendre, et découvre des choses cachées. Dans la vie c’est pareil : derrière tout ce qu’on vit – un regard, un échange, une relation –, il faut découvrir ces choses qui nous échappent dans un premier temps.


Ce film au positionnement fort a été bien reçu, y compris par le public, puisqu’il a été primé à double titre à EntreVues en 2009 [Prix du film français et Prix du public]. La première fois que nous avons montré le film, c’était à Belfort. Ils sont venus nous chercher. Nous étions là, perdus, et ils nous ont tiré d’un mauvais pas. Après, il y a eu ces projections au cours du festival. Je pensais que l’approche quasi expérimentale du film allait plaire aux seuls

cinéphiles, mais quand on a vu la réaction du public et des jeunes dans la salle – des jeunes qui n’étaient pas issus des classes de cinéma –, on a mesuré l’impact du film. Le dispositif sonore ne les dérange pas parce qu’ils regardent beaucoup la télé, et notamment la télé-réalité. Du coup, ils sont plus habitués à la simultanéité des dialogues. Ça nous a motivés pour chercher des distributeurs plus importants et même s’ils ne sont pas allés au bout, au moins ils ont vu le film. Mais moi, personnellement,

ça m’a donné confiance par rapport au public, une chose que je n’avais jusqu’alors pas du tout. Comme c’est un film sensoriel, le public reçoit sa particularité, même sans connaissance cinématographique préalable. Ça me donne envie de faire des films plus populaires. Propos recueillis à l’occasion de l’avant-première aux cinémas Star, à Strasbourg

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L'intégrale Pic Pic André

haute Ou comment fidélité creuser un sillon, sans jamais dévier d’un bel état d’esprit… ➾ Par Fabien Texier

On a vu leurs premiers courts d’animation, Pic Pic le cochon magik et André le mauvais cheval en même temps que le tout premier Wallace et Gromit dans l’Œil du Cyclone : une de ces émissions de l’ancien PAF qui prenait le temps d’aller chercher la création dans des recoins pas possibles. On se disait au début des années 90 qu’on n'aurait probablement jamais la chance de continuer à voir de tels bijoux à la télévision et encore moins au cinéma. Aujourd’hui, on se réjouit de voir que ces génies ont non seulement pu trouver un espace dans l’étrange lucarne et être invités par d’étranges festivals (notamment à Strasbourg, Kingersheim ou SainteMarie-aux-Mines), mais aussi qu’ils se voient consacrer une rétrospective aux côtés d’Abel Ferrara dans un des grands rendez-vous du cinéma d’auteur. Quand on leur demande si leur trajectoire ne leur donne pas un peu le vertige quand ils considèrent leurs débuts à Saint-Luc (grande école d’art de Liège qui est un des viviers de la bande dessinée francophone), ils s’esclaffent et avouent que c’est « plutôt amusant ». Leur discours et leur attitude spontanés n’ont pas changé depuis la première fois où on les a interviewés en 2004 ; le long métrage tiré de leur série Panique au Village et leur passage à Cannes n’y changent rien. Le parcours des réalisateurs belges Vincent Patar et Stéphane Aubier est d'une remarquable stabilité : si les moyens qu’ils ont à leur disposition se sont considérablement accrus, la qualité intrinsèque de leur œuvre déjà sidérante à leurs débuts n’a guère varié.

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Pourquoi avoir placé cette rétrospective sous le signe de vos premiers dessins animés ? Pic Pic André c’est un peu le nom générique de tout notre travail, c’est aussi le nom qu’on nous donne généralement : comme pour un groupe de musique. À vrai dire, on ne s’est jamais posé la question, mais la communication autour de nous s’est faite comme ça : quand on nous passait des commandes, elles étaient au nom de l’association Pic Pic André productions. Du nom de ces deux personnages que nous avons inventés chacun de notre côté alors que nous étions à l’École. Considérez-vous le chemin parcouru depuis vos courts métrages jusqu’aux longs comme une progression ? On travaille au feeling, on ne réfléchit pas trop comme ça. Pic Pic au début c’était une manière de rire des dessins animés qu’on voyait à la télé dans les années 70. Des choses qu’on voyait dans Rue Sésame, il y avait beaucoup de choses intéressantes aussi produites avec très peu de moyens comme Déclic (Vision On) qui utilisait des techniques cheap comme le papier découpé, ou des animations réalisées à partir de traçage au sol…

Vous vouez aussi une certaine admiration à Chuck Jones… Oui dans ses dessins animés, il y avait un côté industriel, mais la dimension très économe en moyens de production aboutissait à des trucs bien : La Panthère Rose du début par exemple… Bip Bip et Coyote a pu nous servir de modèle dans son extrême simplicité ou la répétition qu’on retrouve dans Panique au village. Il y a aussi une utilisation du son qui fait penser à la vôtre… Oui ! Le son c’est 50% de nos films : il est aussi important que l’image. Nous le travaillons avec beaucoup de soin depuis le début. En plus à l’École nous avions la chance d’avoir du bon matériel comme des bandes magnétiques de 60 mm. Maintenant nous ne le créons plus directement, c’est délégué à d’autres personnes. C’est surtout cela qui a dû changer pour vous : le fait de passer à une fabrication de A à Z à la supervision d’équipes ? C’est venu petit à petit, et surtout avec la série Panique au village. C’était quelque chose d’assez compliqué à mettre en place au départ, mais c’est très naturel


aujourd’hui. Bertrand Boudaud fait le son pour nous depuis longtemps maintenant, les gens arrivent dans notre sphère et ça enrichit notre travail. Vincent Tavier un de nos producteurs [La Parti productions, ndlr] est depuis devenu co-scénariste de la série. Il a bien senti ce que nous étions et nous a bien aidé, quand on l’a mise en chantier, à ne pas être effrayés par le processus industriel. Votre équipe, ce sont surtout des proches ou des gens qui sont arrivés sans forcément vous connaître ? Un peu des deux, mais il y beaucoup d’anciens de l’École comme Steven de Beul. Au début on lui a demandé : « tu aimes bien bricoler ? » et, au fur et à mesure, il est devenu un véritable animateur sur la série. On est bien entouré avec La Parti, Philippe Kauffmann nous préserve des questions de financement et de contrats, pour le reste nous avons gardé le même état d’esprit et la même manière artisanale de faire les choses.

Oui, fondamentalement tout ce que vous faites est déjà dans vos créations à l’École… Oui ! On a tout fait là-bas ! (éclats de rire) La matière première est toujours la même qu’il y a quelques années… Nos histoires sont toujours très absurdes et racontées de manière visuelle mais avec Cowboy et Indien, on se rapproche de choses un peu plus réalistes. Passer au long métrage pour Panique au village a dû constituer un réel changement : ce n’est pas le même rythme de narration et la production est beaucoup plus lourde ! Oui, mais nous avions dès le départ envie de faire un 26 mn. Comme les Wallace et Gromit à l’époque, la série d’épisodes de 5 mn nous a permis de faire des tests pendant trois ans. Finalement, il a été possible de faire un long, réalisé de manière assez simple, lisible pour les gens, et qui conserve la spontanéité que permet notre technique, même si elle est un peu plus complexe.

Vous envisagez un prochain film de ce type ? Après 8 ans de Panique nous travaillons sur un projet plus petit, une série en papier découpé, La Famille Baltus, qu’à l’époque nous avions fait sur pellicule et que nous passons cette fois par l’ordinateur. Même en travaillant avec un logiciel, ça reste un plaisir de bricolage, on travaille directement la matière. Que peut-on voir de vous à EntreVues ? Y a-t-il un de vos films sur lequel vous pourriez attirer l’attention ? Il y aura tout : tous les Paniques, le long, tout ce qui apparaissait sur le DVD Pic Pic André et leurs amis, nos travaux de commandes, publicités, clips… Ce qui sera un inédit, c’est Le Voleur de cirque, notre court réalisé à l’École, pas très abouti mais c’est un peu le brouillon de ce qu’on a fait par la suite.  Programmation Tout Pic Pic André, en présence des réalisateurs + carte blanche pour une programmation de quatre longs métrages.

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LIVE IS FUN !


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ARLT

WOIMA COLLECTIVE

LA LANGUE – ALMOST MUSIQUE

TEZETA – KINDRED SPIRITS

Il faut sans doute remonter aux années 70 pour retrouver une telle liberté de ton en langue française. Si le Velvet Underground est invoqué comme l’une des références possibles pour Arlt, peut-être les premiers albums de Brigitte Fontaine peuvent-ils nous renseigner sur cette approche terrienne d’une chanson française sublime et incertaine. Eloïse Decazes et Sing Sing testent des formes sèches, parfois dissonantes et avant-gardistes, tout en s’accordant des tentatives folk aériennes à la manière du groupe The Incredible String Band : ils mêlent leurs voix avec bonheur et inventent une langue nouvelle. (E.A.) i

Depuis quelques années, les Allemands nous prouvent leur sens du groove. Les Whitefield Brothers sont une émanation des Poets of Rhythms, une formation de Munich à la section de cuivres décapante dont est également issu Johannes Schleiermacher. Ce sax tenor expérimente avec le Woima Collective une approche soul-funk inspiré par les rythmes éthiopiens du maître Mulatu Astakte et de tous les sons qu’il a amassés sous la forme de K7 lors de ses nombreuses excursions en Afrique du Nord : il en résulte une sélection d’instrumentaux afro-jazz que n’aurait pas renié en son temps le grand Art Ensemble of Chicago. (E.A.) i

THE APARTMENTS DRIFT – RILEY / TALITRES

Le parcours de ce groupe australien vaut à lui seul un roman : formé par Peter Milton Walsh en 1979 dans un style qui annonçait Orange Juice ou Everything But The Girl, il n’a cessé de vivre de ses séparations et reformations à intervalles réguliers, obtenant un vrai succès d’estime, notamment en France où il est devenu culte avec l’album Drift. À la manière de ses compatriotes Go-Betweens ou Ed Kuepper, ce songwriter surdoué se distinguait par une forme de mélancolie pop dont on ne soupçonnait alors plus l’existence. Ce disque publié en 1992, demeuré longtemps introuvable, reste aujourd’hui l’un des joyaux intemporels qui émaillent l’histoire de la musique. (E.A.) i

BRIAN ENO SMALL CRAFT ON A MILK SEA – WARP

Inutile de rappeler tout ce que l’on doit à Brian Eno : son passage chez Roxy Music, les disques qu’il a produit à la fin des années 70 (David Bowie, Talking Heads, la scène no wave new-yorkaise), ses enregistrements solo ont été déterminants dans les changements esthétiques de notre époque. À la première écoute de ce nouvel album publié chez Warp, la crainte cependant d’une énième tentative ambiante de la part du maître du genre. Mais avec l’enthousiasme des pionniers, on s’aventure à explorer sous la couche de glace lactée de cette étrange planète des aspérités d’inspiration jazz, sous la forme d’improvisations tendues, comme autant de promesses. (E.A.) i

SUFJAN STEVENS THE AGE OF ADZ – ASMATTIC KITTY / DIFFER-ANT

Tant pis : Sufjan Stevens ne poursuivra pas le projet fou, mais si beau, de consacrer un album à chacun des États des USA. Consolons nous car l’Américain enchaîne un EP bien garni et de toute beauté (All Delighted People), puis cet album, The Age of Adz, ébouriffant. Envolée la pop pastorale à base de banjo : Sufjan revient d’humeur electro, et ose l’usage de l’« autotune ». Le voici au sein de contrées déjà fréquentées par l’un de ses « concurrents » directs : Owen Pallett. Mais loin de l’opéra electro composé par le canadien sur le sublime Heartland, Stevens se démène sur des mélodies complexes, et offre un album torturé, paraît-il en écho à ses propres tourments, et inspiré de l’œuvre de l’« outsider artist » Royal Robertson. À l’image de l’épique dernier titre Impossible Soul, l’orfèvre pop nous livre un album foisonnant, parfois perturbant, mais comme souvent, extrêmement touchant. (M.R.) i

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CE QUE LA VIE SIGNIFIE POUR MOI

L’HOMME QUI INVENTA MANHATTAN

DE JACK LONDON – LE SONNEUR

DE JEAN-PIERRE MARTINET – FINITUDE

N’être ni l’esclave saigné à blanc par le capital, ni le maître qui tente de se cacher son infamie, mais vivre, être « propre, noble et vivant » ! Telle fut la devise de Jack London. Il conte ici quelques-unes de ses péripéties à différents niveaux de l’échelle sociale pour dénoncer, de façon lapidaire et brillante, les vies exténuées par le travail, les existences gâchées par l’épargne, la rationalité économique qui tue le faible, séduit le cynique, désenchante l’idéaliste. London oppose à cette pulsion de mort nourrie de dividendes son intelligence et son énergie. Un livre salutaire qui rappelle ce que c’est, pour un homme, que rester debout. (N.E.) i

L’humour noir et féroce de Jean-Pierre Martinet saute à la figure du lecteur qui, emporté par le souffle d’une écriture singulière et poétique, suit le destin de cet homme coincé entre le monde des morts et celui des vivants, titubant de bar en bar, de bière en bière, solitaire, et de cette vieille femme apeurée, persuadée qu’elle est poursuivie par de petites filles apparaissant avec la foudre, se cachant dans les groseilliers et finissant tapies sous son lit. Ironie et dérision font la force des deux contes que propose ce recueil. Ils offrent à tous ceux qui voudront découvrir l’œuvre de cet auteur trop peu connu une porte d’entrée idéale. À condition de ne pas craindre de pousser une porte qui s’ouvre sur l’enfer. (C.S.) i

DE RAY LORIGA – LES ALLUSIFS

Roman éclaté en trente huit fragments, L’homme qui inventa Manhattan débute comme un conte et s’ouvre sur l’histoire d’un exil, celui de Charlie et de Chad, deux Roumains dont le rêve de s’installer à New York pour y vivre une vie meilleure finit par se réaliser. Un jour, pourtant, Charlie choisit de se suicider et pour Chad commence alors un autre voyage, à la découverte des gens et des lieux qui marquèrent son ami. De cette galerie de personnages farfelus, tragiques, candides, drôles, paumés ou retors se dégage une poésie et une musique qui enchantent le lecteur et l’emportent, au gré de ces bribes de destins qui s’entrecroisent, dans les rues, les immeubles, les bars, les parcs, les salons de coiffure d’un New York coloré, tour à tour réel et fantasmé, constamment réinventé. (C.S.) i

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NUITS BLEUES, CALMES BIÈRES

QUEER / LE MÉTRO BLANC ET AUTRES HISTOIRES

FRAGMENTS

DE WILLIAM BURROUGHS

DE MARILYN MONROE – SEUIL

CHRISTIAN BOURGOIS

Non, Marilyn Monroe n’est pas seulement cet être capricieux qu’on veut bien nous décrire dans certains récits hollywoodiens douteux. Au-delà de l’extrême fascination qu’elle continue d’exercer, cette jeune femme était en capacité de s’interroger, parfois avec une acuité déconcertante sur son environnement et sur l’art de son temps : en témoigne cette suite de poèmes sensibles, écrits intimes, lettres et autres réflexions issues de ses carnets personnels. Présentés dans cet ouvrage avec des partis pris formels remarquables, à la limite du fac-similé, ces Fragments nous renseignent avec émotion sur le drame d’une artiste unique. (E.A.) i

En marge du 25ème anniversaire de la première publication américaine de Queer, le roman-chaos de William Burroughs proposé dans une version française revue et augmentée, Christian Bourgois édite un recueil de textes rares que l’auteur américain destinait à des magazines littéraire underground, dont certains très éphémères : une manière pour le lecteur de solder ses fantasmes concernant la pratique du cut-up, une forme poétique radicale que ce maître de la Beat Generation a beaucoup exploitée sans la systématiser pour explorer ses thèmes de prédilection : rêverie urbaine, sexualité émancipée et désespoir. (E.A.) i



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ARZAK L’ARPENTEUR DE MOEBIUS – GLÉNAT / MOEBIUS PRODUCTION

En parallèle d’une exposition qui lui est consacrée à la Fondation Cartier jusqu’au 13 mars 2011, Jean Giraud alias Moebius ressuscite Arzak. Devenu emblématique de son univers, ce personnage créé dans les années 70 a inspiré de nombreux auteurs américains qui y voyaient l’aboutissement d’une esthétique à forte charge émotionnelle – le personnage de Tara dans le film Heavy Metal n’était autre que la transposition féminine de notre discret arpenteur. Avec cette nouvelle série en trois tomes, l’artiste libère la parole de cette figure mythique et continue de produire du rêve à chaque case en dépit d’un scénario quasi improvisé, presque secondaire mais non dénué d’humour. Si l’émerveillement provient évidemment du trait, le maître semble enfin réconcilié avec son double : le père de Blueberry s’applique aux décors de western pour ce mélange SF plutôt inédit. (O.B.) i

FAIS PÉTER LES BASSES BRUNO DE BARU – FUTUROPOLIS

Baru qui s’apprête à revêtir les habits de Président du festival d’Angoulême produit Fais péter les basses Bruno à la façon d’un remake des Tontons flingueurs d’aujourd’hui. Les coulisses et l’organisation d’un casse par ces grands-pères, si plaisantes soient-elles ne constituent au fond pour Baru qu’un prétexte à prolonger son discours militant sur la situation sociale contemporaine. Pêle-mêle, il évoque la réalité du prolétariat, des sans-papiers, l’acculturation des individus et l’exploitation des plus faibles par les nantis. Son trait souple et direct du plus haut niveau, permet à cet opus de se ranger naturellement parmi les meilleurs de son auteur. (O.B.) i

SOPHIA LIBÈRE PARIS DE CAPUCINE – DUPUIS

Aventure, sexe et baston sont au programme de Sophia libère Paris. Petite sœur de Barbarella dans sa version 1870, Sophia doit libérer la capitale en train de tomber aux mains des Prussiens. Dans un monde peuplé de femmes aussi agiles pour la castagne que friandes de bière de topinambour, Sophia, flanquée de Rima, sa comparse très jalouse, se retrouve au gré de ses péripéties toujours un sein fâcheusement à l’air. De continents en continents, de jupons en jupons, la donzelle sait donc joindre l’utile à l’agréable, pour le plus grand plaisir du lecteur. (O.B.) i

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LE CASSE DE DUVAL, QUER ET BASSET - DELCOURT

7 juin 1977, une date que Mike, capitaine de la brigade fluviale de Londres, n’est pas prêt d’oublier ! Souffrant le martyre en raison d’une hernie discale, ce fan inconditionnel d’Elvis doit garder un œil sur Johnny Rotten et sa bande de “dégénérés”. À l’occasion du Jubilée de la Reine, les Sex Pistols comptent hurler leur haine lors d’un concert sur la Tamise : des mutins qu’il rêverait de pendre haut et court comme au bon vieux temps du Bounty ! En plaçant leur intrigue dans le contexte historique d’un pays en pleine crise sociale, les auteurs nous régalent avec ce one-shot qui rend hommage à l’esthétique punk et à la Grande Escroquerie du rock’n’roll… (Kim) i

MONO & LOBO DE LOLA MOREL & SERGIO GARCIA DELCOURT

Livre ou poster ? La question mérite d’être posée : forme nouvelle en tout cas, pour un récit d’un genre tout à fait inédit. Lobo, le grand loup sensible et affectueux, Mono, le garçonnet tendre et facétieux, évoluent tous deux dans des espaces narratifs indéterminés qui se découvrent au fur et à mesure à l’ouverture de ces grandes pages qui nous rappellent la fascination qu’exerçaient nos pop-ups d’antan. La simultanéité des actions vécues de bas en haut, de la droite vers la gauche, ou en diagonale, crée une poésie graphique pleine d’émotion et de rebondissements que les enfants sauront apprécier, tout comme leurs parents. (E.A.) i


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N'oublions pas que le vertige se prend sur les hauteurs

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26.11.2010 J 09.01.2011 Robin BALLARD ¦ Léa BARBAZANGES ¦ Grégory DELAURE ¦ Diana DODSON Ahmet DOGAN ¦ Philipp ENGELHARDT ¦ Martina GMÜR ¦ Marianne MARIC Natacha PAGANELLI ¦ Patrick STEFFEN ¦ Lydia WILHELM & le CIAV de Meisenthal

Tél. +33 (0)3 69 77 66 47 ¦ kunsthalle@mulhouse.fr www.kunsthallemulhouse.com

Visuel : Madone en verre argenté – CIAV de Meisenthal


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L’ÉVENTAIL DE LADY WINDERMERE D’ERNST LUBITSCH ÉDITIONS MONTPARNASSE

FRANCK BORZAGE COFFRET 4DVD – CARLOTTA

Si son nom nous est moins familier que les maîtres Griffith ou Murnau, Frank Borzage n’en reste pas moins l’un des réalisateurs les plus importants de la première moitié du XXe siècle. Ce travailleur insatiable connaît ses premiers succès au début des années 20, mais c’est avec L’Heure Suprême (1927) qu’il s’impose comme l’un des dignes représentants du mélodrame cinématographique américain. Pour cette sublime romance qu’il situe dans le Paris de la Première Guerre mondiale, il n’hésite pas à mêler de réelles préoccupations sociales à une vision spirituelle et hautement poétique qui a un impact considérable sur les artistes surréalistes. Avec Janet Gaynor et Charles Farrell, le couple qu’il a constitué pour l’occasion, il multiplie les succès – L’Ange de la rue (1928) et Lucky Star (1929) – avant d’explorer des voies encore plus sensuelles avec La Femme au Corbeau (1929). On suppose que cette première série de rééditions en DVD en appelle d’autres, les chefs d’œuvre des années 30. (E.A.) i

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L’Éventail de Lady Windermere adapté d’Oscar Wilde par Ernst Lubitsch en 1925 laisse la parole à la suprématie de l’image si bien que le spectateur oublie qu’il est face à un film muet. Captivante, la manière dont le cinéaste grime la société bourgeoise avec des codes qui posent la « Lubitsch touch » millimétrée, drôle, cynique, et révèlent toute l’élégance du cinéaste dans le choix des costumes et des lieux. Plus encore que May McAvoy (Lady Windermere), c’est la brillante Irène Rich qui est en lumière ici pour le rôle de l’enjôleuse perturbatrice, à la fois sophistiquée et fébrile. Une ode magnifique à l’indépendance des femmes ! (O.B.) i

NUITS BLANCHES DE LUCHINO VISCONTI – CARLOTTA

Inspirée de Dostoïevski mais considérée comme une œuvre mineure, Nuits Blanches de Luchino Visconti reste une curiosité qui se bonifie avec le temps. Si Visconti souhaitait revenir à un film simple, hors des reconstitutions exorbitantes tel Senso qu’il venait de réaliser, il choisit néanmoins les « yeux les plus chers de l’histoire du cinéma » de l’époque (Maria Schell) pour accompagner Marcello Mastroianni. La passion brûlante au cœur de ce film est habillée des désirs stylistiques à contrepied de ceux habituellement manifestés par le cinéaste, loin du néoréalisme avec des décors et des kilomètres de tulle pour une tentative poétique qui confirme son talent indéniable. À redécouvrir. (O.B.) i

L’AURORE / CITY GIRL DE F.W. MURNAU – CARLOTTA

L’Aurore (Sunrise, 1927) est le premier film américain du réalisateur allemand F.W. Murnau qui révèle Janet Gaynor, une jeune actrice découverte par Frank Borzage – elle tournait L’Aurore en journée et L’Heure Suprême en soirée ! Ce joyau du patrimoine cinématographique mondial constitue une forme d’apogée pour le réalisateur allemand qui bénéficiait de moyens considérables. Pour François Truffaut, c'était tout simplement le « plus beau film du monde ». Là – comble de bonheur –, il fait l’objet d’une première restauration HD dans deux versions différentes, avec accompagnement mono d’origine et nouvel accompagnement musical stéréo. À signaler la réédition de City Girl (1929) avec lequel L’Aurore est couplé pour constituer un magnifique coffret. (E.A.) i

WHEN YOU’RE STRANGE DE TOM DICILLO – MK2

Loin du chef d’œuvre annoncé par le battage médiatique du printemps dernier, ce joli travail de montage présente cependant le mérite d’offrir une biographie des Doors complète et cohérente. Sur la base d’un riche matériau documentaire qu’il mêle à HMY, An American Pastoral – une vaine tentative cinématographique de Jim Morrison en 1969 –, Tom DiCillo arrive à nous raconter quelque chose de nouveau autour de l’icône déchue : au-delà du génie, au-delà de la folie, une profonde détresse artistique qui conduit à l’autodestruction. (E.A.) i



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Festival organisé par la Ville de Belfort - Cinémas d’aujourd’hui / En partenariat avec la Cinémathèque française, avec le soutien du Ministère de la Culture, de la Direction régionale des affaires culturelles de Franche-Comté, du Centre national du cinéma et de l’image animée, du Conseil général du Territoire de Belfort, du Conseil régional de Franche-Comté ainsi que de la Fondation Groupama-Gan pour le cinéma, de la SEMPAT, du cinéma Pathé Belfort, de la SACEM, de la SACD.

© Gaëlle Vidalie

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