NOTE SCIENTIFIQUE COMPLEMENTAIRE A LA PRESENTATION DU PROJET DE RECHERCHE :
Etude des déterminants organisationnels et managériaux de la santé psychologique au travail dans le secteur sanitaire, social et médico-social. Ce n’est que dans les années 1990 que la psychologie de la santé au travail apparait en tant que sous-discipline de la psychologie (voir Barling & Griffith, 2003). La psychologie de la santé au travail se préoccupe de la protection et de l’amélioration de la sécurité, de la santé et du bien-être des travailleurs. Dans ce champ, la santé n’est donc pas seulement conçue comme l’absence de maladie ou d’infirmité, mais renvoie également à un état de bien-être physique, mental et social. En effet, si jusqu’au début des années 2000, les psychologues du travail étaient plutôt centrés sur les problèmes de santé au travail (e.g., maladies cardiovasculaires, accidents, burnout, violence), leur approche a notablement évolué depuis cette période, avec le développement de la psychologie positive (Seligman & Csikszentmihalyi, 2000). Désormais, les chercheurs ne sont plus uniquement préoccupés par les maladies et les souffrances des salariés qui peuvent nuire à la productivité de l’organisation, mais s’intéressent également au bonheur, au bien-être et à l’épanouissement des individus. Parallèlement depuis plusieurs années, la qualité de vie au travail s’inscrit dans les débats politiques, organisationnels, sociaux. La qualité de vie au travail reposerait sur un équilibre
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instable entre l’accomplissement recherché, la légitimité des contraintes fixées, et les ressources individuelles, collectives et organisationnelles pour y faire face. Moins axées sur la réparation que sur la promotion et valorisant la santé en tant que dynamique globale de construction, les démarches de promotion de la qualité de vie au travail s’intègrent progressivement aux politiques stratégiques des organisations.
Les enjeux d’une telle évolution sont d’autant plus importants que de nombreux travaux ont démontré des liens entre ce construit psychologique et des comportements déterminants pour les organisations tels que la performance (e.g., Beh & Rose, 2007) ou le taux de rotation du personnel (e.g., Schaufeli & Bakker, 2004). À ces conséquences organisationnelles viennent se conjuguer des conséquences individuelles telles que l’engagement au travail (e.g., Hakanen, Perhoniemi, & Toppinen-Tanner, 2008), la motivation (Deci & Ryan, 2008) ou encore l’épuisement professionnel (e.g., Maslach, Schaufeli, & Leiter, 2001). Qu’il s’agisse de conséquences organisationnelles ou individuelles, les coûts associés à une dégradation de la santé psychologique sont aussi à considérer, notamment en termes de coûts d’invalidité, d’incapacité, d’accidents mais aussi d’absentéisme ou de postes vacants. Dans les secteurs sanitaire et médico-social, la rotation du personnel est une problématique critique dans un contexte de pénurie d’infirmiers et d’autres professionnels de santé. Aussi, non seulement le recrutement de ces professionnels est-t-il un problème, mais le maintien de ces derniers dans leur activité et la réduction de leurs intentions de départ en sont d’autres. Un facteur contribuant au taux élevé de turnover chez ces professionnels est la nature stressante de leurs conditions de travail, pouvant mener à une moindre satisfaction au travail voire au burnout (Laschinger, 2007). En bref, un roulement élevé de personnel infirmier est synonyme de dysfonctionnement et constitue un indicateur de non qualité (Brunelle, 2009). Or, la forte
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charge mentale, émotionnelle et physique inhérente au métier infirmier rendrait le roulement de personnel plus élevé pour cette profession que celui pour la plupart des autres professions (Griffin, 1999), induisant par ailleurs des conséquences économiques et organisationnelles en termes de coûts (e.g., recrutement, heures supplémentaires ; Rogers, Hwang, Scott, Hayken, & Dingues, 2004) mais également de temps (e.g., formation du nouveau personnel, temps d’intégration et d’adaptation ; Hayes, 2005) voire même d’engagement, suscitant une lassitude du personnel en place et un découragement des nouvelles recrues (Baumann, O’Brien-Pallas, & Armstrong-Stassen, 2001). Au regard de ces conséquences multidimensionnelles, comprendre pourquoi et comment le contexte professionnel peut contribuer au développement, au maintien ou à la dégradation de la santé psychologique des salariés du secteur sanitaire, social et médico-social, constitue un enjeu important tant au niveau humain qu’au niveau organisationnel et économique. Toutefois, circonscrire précisément les facteurs influant sur la santé psychologique des individus et analyser en profondeur les processus complexes associés à cet état demeurent des objectifs fondamentaux tant la santé psychologique au plan individuel apparaît comme multimodale et pluri-déterminée (Cooper, Campbell-Quick, & Schabrach, 2009).
Ce projet de thèse s’inscrit dans ce cadre de réflexion, puisque notre premier objectif est d’identifier certains facteurs organisationnels et managériaux limitant le déclin de la santé psychologique au travail et contribuant à l’amélioration du bien-être des salariés œuvrant dans des organisations du secteur sanitaire et médico-social. Pour ce faire, nous nous proposons d’étudier l’influence de diverses caractéristiques organisationnelles et managériales sur la santé psychologique des professionnels. Ce dernier construit sera opérationnalisé à partir de plusieurs indicateurs positifs (e.g., bien-être, satisfaction, émotions positives) et négatifs (e.g.,
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épuisement professionnel, détresse émotionnelle, stress perçu, anxiété) de la santé psychologique au travail. L’évaluation des caractéristiques de l’environnement de travail s’inscrira, elle, dans le cadre d’une modélisation théorique récente (i.e., le modèle Job Demands-Ressources; Demerouti, Bakker, Nachreiner, & Schaufeli, 2001). Ce modèle peut être appliqué à différents contextes organisationnels et ce quelles que soient les contraintes et les ressources spécifiques pouvant être identifiées. Les contraintes professionnelles font référence aux caractéristiques physiques, psychologiques, sociales et organisationnelles du travail (e.g., rythme de travail, charge de travail, environnement physiquement éprouvant) qui nécessitent des efforts physiques et mentaux et qui sont par conséquent associées à une dépense énergétique pouvant à terme conduire à des problèmes de santé. À l’inverse, les ressources professionnelles font référence aux caractéristiques physiques, psychologiques, sociales et organisationnelles du travail (e.g., soutien social, opportunités de formation, variété des tâches) qui facilitent la réalisation du travail, qui atténuent les exigences professionnelles et les coûts physiologiques et psychologiques associés, et qui stimulent l’apprentissage et le développement personnel. Les ressources professionnelles peuvent être situées au niveau organisationnel (e.g., rémunération, promotion, sécurité de l’emploi), au niveau interpersonnel (e.g., soutien des collègues et de la hiérarchie), au niveau de l’organisation du travail (e.g., clarté des rôles, participation aux prises de décision) et au niveau de la tâche (e.g., variété, autonomie, feedback de performance). Ce travail de thèse s’attachera à appréhender les caractéristiques organisationnelles précises du secteur sanitaire, social et médico-social à la lumière du modèle JD-R, Dans un contexte organisationnel changeant et un cadre légal toujours plus contraignant, les établissements de santé s’appliquent à suivre le rythme et à s’adapter aux demandes extérieures, étendant ainsi cette exigence d’adaptation aux équipes qui les
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composent. Or, face à une augmentation des contraintes (e.g., accélération et densification de l’activité, exigences de qualité et de sécurité, contraintes budgétaires, problématiques de démographie professionnelle), les moyens de régulation et les ressources pour s’y adapter (e.g., soutien organisationnel, montée en compétence, mise en discussion, retours sur le travail) ne sont pas forcément mis à disposition. Ce hiatus entre une logique de rationalisation du travail contraignante et un manque de ressources perçues pour y faire face génère un certain nombre de comportements en chaine, pouvant aller de la frustration au conflit de valeurs, de comportements contre-productifs à une déshumanisation de l’activité, de tensions inter-individuelles au délitement du collectif de travail, de l’incertitude à la détresse psychique. Par ailleurs, force est de constater que les individus ne sont de fait pas égaux face à une même situation, des variables individuelles singulières pouvant protéger ou exposer davantage face à des contraintes organisationnelles communes. Les professionnels du secteur sanitaire, social et médico-social n’échappent pas à cette réalité, tout particulièrement dans un contexte où les questions de pénibilité et de soutenabilité du travail mettent en jeu les questions de résilience physique et psychologique, fortement impactées par les ressources individuelles et sociodémographiques. Aussi, proposerons-nous dans un second temps d’observer le rôle potentiellement modérateur de certaines caractéristiques individuelles telles que le genre, l’ancienneté et la personnalité dans les relations entre, d’une part les facteurs organisationnels et managériaux, et d’autre part, la santé psychologique des personnels du secteur sanitaire et médico-social.
Enfin, le dernier objectif de ce travail doctoral sera consacré aux conséquences cognitives (e.g., compétence perçue, efficacité personnelle), attitudinelles (e.g., engagement dans le
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travail) et comportementales (e.g., absentéisme, addictions, qualité des soins), associées à divers indicateurs de la santé psychologique au travail. Il s’agira ici de s’intéresser aux gains et pertes inhérents à la dégradation, au maintien ou à l’amélioration de la santé psychologique au travail.
C’est donc à l’interface de ces divers constats et enjeux que se situe le présent projet de recherche,
se
proposant
d’étudier
les
déterminants
individuels,
managériaux
et
organisationnels de la qualité de vie au travail afin d’une part, de contribuer à une définition et une compréhension plus complètes des variables contribuant à l’explication de la santé psychologique au travail et, d’autre part, d’être en mesure de réaliser un baromètre de la qualité de vie au travail dans le secteur sanitaire, social et médico-social à travers la création d’un outil d’évaluation spécifique et scientifiquement valide.
PORTEE APPLICATIVE DE LA DEMARCHE : Le présent projet de recherche bénéficie du soutien d’OETH, fonds collecteur paritaire créé par l’accord de branche du secteur sanitaire, sociale et médico-sociale de droit privé à but non lucratif conclu entre la Croix-Rouge française, la FEHAP et le Syneas. Cet accord recouvre 10 700 établissements et 440 000 salariés.
OETH se propose à ce titre d’ouvrir un terrain de recherche en mobilisant ses établissements. En contrepartie, le projet de recherche visera à construire des outils vulgarisés mais fiables, libres de droits, d’évaluation et d’amélioration de la santé au travail à destination des médecins et des CHSCT de la branche.
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