HetG-Zeitung 33/2013

Page 25

lausanne, le 24 octobre 2013

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à la une H et GH no 33

Californie

Bordeaux

Xinjiang

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Même si le Xinjiang est sur le 45 parallèle comme Bordeaux et la Californie, le cycle de la vigne y est raccourci sur six mois maximum. e

le vin, produit de luxe réservé à une élite

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la bouteille, pour un rouge élevé en barrique. Il faut le salaire de deux jours à un travailleur viticole (payé 100 yuans la journée) pour s’offrir une bouteille de vin (à 200 yuans), alors qu’en Suisse, il suffit d’une demi-heure à un travailleur viticole pour s’offrir un flacon de même gamme moyenne. On retrouve des experts français et australiens, à Wuwei, dans le «corridor d’Hexi», entre deux chaînes de hautes montagnes, toujours sur la même latitude «cali-bordelaise». En août, la ville, autoproclamée «China Wine City», organise une conférence du vin organique (bio), troisième édition, et son premier festival, genre Vinea à Sierre, dans un parc public d’attraction, avec quelques stands où déguster librement. La délégation suisse rejoint une cohorte de Chinois pour visiter à la va-vite les immenses caves Mogao, qui furent désignées, il y a trente ans, entreprise pionnière du renouveau de l’«industrie du vin» chinois. A l’époque, le gouvernement encourageait la viticulture pour éviter de gaspiller le riz, distillé en alcool blanc très populaire, le «baiju». Chez Mogao, tout est démesuré, comme, dans la banlieue de Lanzhou, son «château». En fait, une entrée de décor de théâtre accolée à un dépôt en zone industrielle, abritant, en sous-sol, des locaux de dégustation et un gigantesque chai à barriques. Autre démesure, près de Wuwei, à Grand Dragon, une marque commune à quatre domaines viticoles chinois, qui aménage une gigantesque cave dans une sorte de forteresse aux murs rouges. L’agronome australien Brett Irvine fait la tournée du propriétaire: là aussi, il faut butter les vignes, mais l’arrosage permet de créer une sorte d’igloo pour protéger la plante du froid. Alors qu’ailleurs, les ceps sont des plants directs, puisque le phylloxéra n’est pas présent en Chine, les Australiens ont préféré miser sur un porte-greffe, résistant au grand froid. En cave, surprise, pas encore de cuve inox visible, mais mille barriques empilées… et elles sont vides. Dans des niches, des flacons. Notre cicerone rigole: «Vous avez vu, le millésime est antérieur à la plantation des premier ceps! Les Chinois ne sont pas très regardants: ils accordent du crédit à l’ancienneté du millésime.

Les vignes en Chine se développent notamment dans la région autonome du Xinjiang, où sillonnait jadis la célèbre Route de la Soie.

Comme toutes les entreprises coupent leurs vins à hauteur de 30% au moins avec du cabernet sauvignon importé en vrac du Chili ou d’Australie; il n’y a pas de contrôle sérieux. Et vous voulez un label bio ? Pas de problème, il suffit de payer! Seuls, les Français ont de la peine à s’adapter à la réalité chinoise…», glisse en rigolant l’Australien.

Courtade. Si la jeune femme travaille déjà dans la cave familiale, menacée par des gratte-ciels en construction, à Yinchuan, son mari, et leur fille, viennent d’arriver de Bordeaux. Grâce à la distribution de leurs vins par Torres, qui s’était fait la main avec les vins de Grace Vineyards, il n’y a plus une bouteille à vendre. Silver Heights, 30.000 bouteilles actuellement, est naturellement candidat à un «nouveau Projet pharaonique au Ningxia château» au pied de la Montagne Helan Est. On va y mettre en place le premier système d’appelC’est encore un «team» australien qui conduit lation d’origine contrôlée, voire même de grand la cave du groupe multinational, d’origine fran- cru, de Chine. Tous les deux ans, une commisçaise, Pernod-Ricard, dans la province voisine sion de dégustateurs internationaux, supervidu Ningxia. Ce géant des boissons alcoolisées en sée par l’O.I.V., l’Organisation internationale de Chine − gros succès pour le cognac Martell! − l’a la vigne et du vin, désignera les meilleurs vins héritée dans la reprise de Seagram. Sur 400 ha, qui seront promus dans une classe supérieure: le modèle était au départ celui de Jacob’s Creek, en douze ans, la «pyramide» à six échelons sera une «winery» à l’entrée de la Barossa Valley, ap- sous toit! partenant au même groupe. Et Helan Mountain Est aspire à devenir la nouvelle région phare du vin en Chine. Un projet pharaonique vise à implanter à l’horizon 2020, une centaine de «châteaux», répliques en toc de demeures du Bordelais, sur 60.000 ha de vignes (quatre fois le vignoble suisse) qui restent à planter. Les autorités du Ningxia, à la fois région autonome musulmane et «zone économique spéciale», veulent attirer les investisseurs chinois − tous les grands cheng ma groupes du pays ont leurs projets − et étrangers − LVMH pour un mousseux chinois de qualité et le Catalan Miguel Torres sont en tête de liste. Et les vins? Force est de constater qu’en-dehors Du coup, Pernod-Ricard se retrouve au bon mo- des cabernets sauvignons, souvent linéaires, ment, au bon endroit pour élaborer des vins de d’une structure moyenne, au goût variétal et à plus haut de gamme, après avoir peiné à écouler la fin de bouche végétale, ce sont les assemblages sur le marché chinois des vins bon marché. élaborés par les œnologues français qui sont les Juste en face, la jeune œnologue Zhang Jing, plus intéressants. Et notamment ceux du Nindu domaine Helan Qingxue (55 ha), est la pre- gxia, qui ambitionne de rivaliser avec le Bormière à avoir décroché une médaille d’or dans delais! Toute la communication, de la situation une compétition internationale: son assemblage géographique sur le même parallèle jusqu’aux Jian Bei Lan 2009, 80% de cabernet sauvignon, improbables châteaux édifiés dans un désert re15% de merlot et 5% de cabernet Gernischt (car- verdi par les vignes sous irrigation au goutte-àménère), a obtenu une médaille d’or aux Decan- goutte, s’en réfère à la plus célèbre région vititer Awards 2011, à Londres. cole de France. Et même le très critique Michel Un autre domaine fait parler de lui dans la Bettane (ex-rédacteur en chef de la Revue du région, Silver Heights, conduit par un couple Vin de France) a signé, en mars, sa barrique dans étonnant: une jeune œnologue chinoise, Emma la cave d’Helan Qingxue : «Très impressionné Gao, mariée à l’ancien maître de chai chevronné par ce vignoble qui va devenir célèbre !» Si c’est pierre thomas du prestigieux château Calon-Ségur, Thierry lui qui le dit…

«A Bordeaux, les vignerons doivent traiter les vignes. Nous pas.»

Sur une vingtaine de domaines visités, aucun n’exporte. Pas même Pernod Ricard (dont la Réserve, un cabernet-merlot au style Nouveau Monde, était présente toutefois au duty free de l’aéroport de Pékin), ni Silver Heights. Pour une raison fort simple, explicitée par le gouverneur Cheng Ma: «Si on encourage la plantation de la vigne, c’est que la consommation progresse de 35% et la production de 10% par an seulement.» La Chine est déjà, avec 1,8 milliard de litres consommés en 2012, selon l’O.I.V, le 5e pays consommateur au monde, derrière la France, les Etats-Unis, l’Italie et l’Allemagne. Rapporté à une population de 1,4 milliard d’habitants, cela fait moins de deux bouteilles par an et par habitant! Alors que la Suisse, avec ses 270 millions de litres consommés en est à 36 litres par habitant. La Chine est aussi le 5e plus gros importateur en valeur (pour 400 millions de litres), la Suisse, 7e (pour 180 millions de litre). Les Chinois, fiers de leurs propres produits, boivent du vin local, pour les deux tiers. Il existe du vin bas de gamme, mais le breuvage reste un cadeau dans les affaires ou entre amis. Et plutôt cher! Le vin reste donc réservé à des VIP du régime ou à des hommes d’affaire qui ont réussi. Et plus de 100 millions de personnes (17% des citadins) sont considérés comme consommateurs «occasionnels» de produits de luxe. Ceux-ci n’hésiteront pas à payer entre 50 et 400 francs la bouteille d’un vin prestigieux, même chinois − on en a vu (et bu) à ce prix. Car, dans l’imagerie de qui n’a pas la connaissance du goût du vin, ce qui est cher est forcément bon! L’adage est aussi valable pour l’alcool de riz, de sorgho ou de pomme de terre. Au passage, l’Etat ne manque pas de se servir généreusement: les taxes diverses représentent près de 50% du prix d’une bouteille de vin chinois pour le consommateur. L’Etat contrôle le marché de A à Z: toujours propriétaire du terrain et (pts) percepteur sur le prix final.


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