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L'adaptation, le moteur de la vie

• Par Anne-Marie Luca

La sélection naturelle. Grâce à elle, les espèces évoluent au fil du temps et s'adaptent à un environnement en continuel changement. Elle a favorisé des espèces capables de voler sur des milliers de kilomètres pour migrer, d’autres aptes à se camoufler ou à vivre en symbiose. Des phénomènes qui peuvent prendre des millénaires et, surtout, qui construisent la fascinante histoire de la vie sur notre planète bleue. Coup d’œil sur cinq processus par lesquels la sélection naturelle influence l’évolution.

Mimétisme, une apparence trompeuse

Pour se protéger des prédateurs ou tromper leur proie, certains animaux imitent une partie d’un organisme végétal, puis s’y cachent. Comme les phasmes, des insectes herbivores en forme de branche, ou les araignées-crabes camouflées dans les fleurs.

Il existe cependant une espèce, la mante-orchidée, dont le mimétisme ne sert pas à passer inaperçue, mais à attirer les pollinisateurs. Originaire des forêts tropicales d’Asie du Sud et de la Malaisie, cette mante rare a évolué pour ressembler à une fleur.

« C’est un phénomène unique, note Sonya Charest, biologiste et agente de programmes éducatifs à l’Insectarium de Montréal. D’autres imitent des parties de fleurs, mais ne ressemblent pas à la fleur en entier. »

Bien qu’on la nomme « orchidée », l’insecte n’imite pas nécessairement cette fleur. Ni aucune autre fleur, d’ailleurs. Elle présente plutôt un ensemble de caractéristiques des plantes nectarifères prisées par les pollinisateurs, notamment leurs couleurs, leur forme et même les rayons ultraviolets qu’elles réfléchissent. Le résultat : une jolie petite bestiole blanche et rose, aux pattes en forme de pétales.

Contrairement aux autres imitateurs, la mante-orchidée s’expose en pleine vue. Si l’œil humain peut éventuellement la détecter, le petit insecte, lui, ne possède pas les facultés cognitives pour différencier son prédateur d’une fleur. Il aperçoit simplement une forme colorée qu’il estime être une usine à nectar. Et plus les couleurs sont variées, plus la fleur est grosse et riche en délicieux suc. Une illusion séduisante et mortelle !

Une mante-orchidée

Une mante-orchidée

Photo: Maxim Larrivée

Association symbiotique

Quel est le lien entre certaines espèces d'algues et de champignons ? Un lichen. Cet organisme de couleurs variées, que l’on retrouve sur l’écorce des arbres, les rochers, au sol, sur le bois mort ou même sur la mousse, est le résultat d’une symbiose entre ces êtres vivants.

La symbiose, qui veut dire « vivre ensemble », s’opère lorsque deux ou plusieurs organismes d’espèces différentes s’associent. On les nomme alors « symbiontes », ou « symbiotes ». Dans le cas du lichen, la relation est mutualiste, c’est-à-dire que leurs bénéfices sont réciproques.

L’algue microscopique trouve refuge sous le champignon et troque les sucres qu’elle génère lors de la photosynthèse contre des sels minéraux de son protecteur.

« C’est une symbiose obligée car, sans elle, le lichen ne peut tout simplement pas exister ! » note Arold Lavoie, consultant en botanique et en lichénologie.

Mais n’essayez pas de marier n’importe quel champignon trouvé en forêt à n’importe quelle algue. Car, pour former le lichen, chacune des 20 000 espèces de champignons « lichénisés » doit s’associer à l’un des 200 partenaires photosynthétiques (algues vertes ou cyanobactéries) qui leur sont prédestinés.

Résultat : un végétal capable de peupler des habitats hostiles, qui forme les sols en plus de stabiliser et de préserver leur humidité et qui nourrit plusieurs animaux et insectes tout en leur servant d’abri et de camouflage. Intolérant à la pollution, il est un indicateur naturel de la qualité de l’air que l’on respire.

Une évolution esthétique

Quoi de plus enchanteur que de se retrouver en plein milieu d’une volée de papillons ? Si les lépidoptères sont aujourd’hui de toutes les couleurs et de toutes les formes, il y a plusieurs millions d’années, leurs ancêtres étaient d’apparence beaucoup plus sobre. Ce n’est qu’au fil de l’évolution, pour répondre à divers enjeux de survie, qu’ils se sont diversifiés et colorés.

Comme la majorité des êtres vivants, les papillons choisissent leurs partenaires selon des caractéristiques illustrant une bonne santé physique, dans le but d’assurer la transmission de gènes forts. C’est ce qu’on appelle la sélection sexuelle.

La femelle consacre beaucoup d’énergie pour développer des gamètes (ses cellules reproductrices) et pondre les œufs. Elle prendra donc son temps pour élire un partenaire à la hauteur de ses attentes afin de ne pas gaspiller tous ses efforts pour n’importe quel géniteur.

Les mâles, eux, dépensent moins d’énergie. « Ils ont avantage à semer à tout vent pour transmettre le plus possible leur génétique », explique Sonya Charest, biologiste et agente de programmes éducatifs à l’Insectarium de Montréal.

Les lépidoptères mâles ont donc évolué pour se faire valoir auprès des femelles. Ceux qui déploient d’éclatantes couleurs, des ailes robustes et agiles ainsi que de puissantes phéromones démontrent des gènes forts. Plus les mâles sont flamboyants, plus ils séduiront les femelles de leur espèce au moment de les courtiser.

Les équipes de l'Insectarium libèrent des dizaines de milliers de papillons dans la Grande serre du Jardin botanique lors de l'événement Papillons en liberté, de février à avril.

Les équipes de l'Insectarium libèrent des dizaines de milliers de papillons dans la Grande serre du Jardin botanique lors de l'événement Papillons en liberté, de février à avril.

Photo: André Sarrazin

Aucune parenté, mais des airs de famille

Avez-vous déjà remarqué les similitudes morphologiques entre un aloès africain et un agave américain ? Pourtant, l’un vient de la famille des Liliacées ; l’autre, des Agavacées. Bien qu’elles appartiennent à des lignées évolutives indépendantes, ces plantes ont développé les mêmes stratégies de survie pour s’adapter à des milieux écologiques similaires. C’est ce qu’on appelle la convergence évolutive.

Ce concept, qui touche également des animaux, est particulièrement frappant chez certains cactus d’Amérique et euphorbes d’Afrique. « Ils ont donné les mêmes réponses à un environnement sec et désertique », explique Jean-Pierre Parent, formé en science agricole et préposé aux renseignements horticoles au Jardin botanique de Montréal, où l’on retrouve 700 espèces de Cactacées (sur 2 000) et 70 d’Euphorbiacées (sur 5 000).

Pour s’adapter au milieu aride, ces végétaux ont développé les mêmes stratégies : un feuillage réduit, voire inexistant, pour minimiser la transpiration ; des tissus succulents pour stocker l’eau ; un mécanisme d’assimilation du gaz carbonique qui se fait durant la nuit plutôt que le jour, ce qui permet à la plante d’exécuter le processus de la photosynthèse sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir les stomates, ces petits orifices destinés aux échanges gazeux.

Si, au premier regard, leurs silhouettes se ressemblent, leurs épines sont toutefois différentes. Par exemple, on peut facilement confondre une Euphorbia canariensis des îles Canaries et une Pachycereus gaumeri du Mexique. Toutes deux possèdent la forme d’un globe divisé en huit quartiers. Mais les paires d’épines de la première se distinguent nettement des aiguilles de la deuxième, qui sont plutôt groupées par trois ou plus sur un coussinet appelé aréole.

Alors, à votre prochaine visite dans les serres du Jardin botanique, faites l’exercice de deviner la famille de chaque plante succulente !

Malgré leurs aiguilles différentes, les similitudes sont évidentes entre cet euphorbe (à gauche) et ce cactus (à droite).

Malgré leurs aiguilles différentes, les similitudes sont évidentes entre cet euphorbe (à gauche) et ce cactus (à droite).

Photos: Michel Tremblay et André Rider

D'un pôle à l'autre

On peut aussi observer des convergences évolutives dans le monde animal. Un bon exemple est celui des manchots et des alcidés (comme les petits pingouins, les macareux, les guillemots).

Lorsqu’on les observe, on s’aperçoit que leurs corps se ressemblent à bien des égards. Ils ont tous une forme hydrodynamique en forme de torpille, leurs pattes sont courtes et situées à l’arrière du corps. Leur morphologie trapue leur permet de résister au froid et ils possèdent de courtes ailes. En revanche, les alcidés, contrairement aux manchots, peuvent voler.

Malgré ces similitudes, ils n’ont pas d’ancêtre commun : les manchots vivent dans l’hémisphère sud tandis que les alcidés occupent des latitudes au nord de l'équateur. C’est plutôt leurs environnements similaires, aquatiques et froids, qui les ont amenés à développer des adaptations analogues.

Des millénaires d’évolution migratoire pour le monarque

Le monarque, grand papillon diurne aux ailes orange tigrées de noir, est reconnu pour son impressionnante migration du sud du Canada et du nord des États-Unis jusqu’au Mexique. Si ce phénomène migratoire existe depuis plusieurs millions d’années, leur trajectoire de plus de 4 000 kilomètres, elle, ne date que de 20 000 ans.

Selon une étude américaine sur la génétique du monarque, menée en 2014 et publiée dans le magazine Nature, le papillon est originaire du sud des États-Unis et du nord du Mexique. Sa population s’est répandue au début de l’ère de la déglaciation, alors que l’insecte a suivi l’expansion de sa plante-hôte, l’asclépiade, avec le retrait des glaciers, vers le Midwest des États-Unis et ensuite le sud du Canada. Il s’est également installé dans le sud du continent, dans plusieurs îles du Pacifique Sud et des Antilles.

Mais seul celui d’Amérique du Nord parcourt une aussi grande distance. « Après leur remontée vers le nord au printemps et en été, les conditions hivernales à venir les ont obligés à repartir vers le sud. C’est comme ça que le comportement migratoire s’est renforcé, car les individus ne migrant pas l’automne venu ont été éliminés », note Maxim Larrivée, responsable des collections et de la recherche à l’Insectarium de Montréal. Les chercheurs ont découvert des gènes responsables de la fonction musculaire du vol, qui permettent aux migrateurs de consommer moins d’oxygène et d’avoir un métabolisme réduit.

Alors que l’expansion de l’asclépiade a joué un rôle dans la croissance et la dispersion des monarques, l’éradication de leur plante-hôte par les herbicides est l’une des causes du déclin de la population migratrice. Si la disparition de ce papillon vous touche, sachez que vous pouvez, en tant que citoyen, devenir un acteur de changement.

La Fiesta monarque se déroulera le 24 et le 25 août à l'Insectarium.

La Fiesta monarque se déroulera le 24 et le 25 août à l'Insectarium.

Ondrej Prosicky/Shutterstock