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JUIN/AOUT MMXV - NUMÉRO ONZE

BRANDED DRAWING NOW JACQUES FLORENCIA AMERICAN

JULIEN

LA PHOTOGRAPHIE ÉROTIQUE -

LE

SALON

CHERNAJOVSKY DESPRADO

-

LOUP

DU

LIVRE

STRYPER SARION


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ÉDITO par Laurent Dubarry

ART Drawing Now Museum

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ART De la nouvelle photographie érotique

ART Lydie Jean-Dit-Pannel : l’insurrection de Psyché

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ART Nail care with Julie

ART Cachecache(cache)

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ART Loup Sarion, un maniérisme brut

QUESTIONNAIRE Jacques Julien

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SOMMAIRE B R A N D E D

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PORTFOLIO Jacques Julien

LITTÉRATURE Le salon du Livre 2015

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CINÉ Mais qui êtes-vous Paul ­Dédalus ?

MUSIQUE Stryper

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INTERVIEW Florencia Chernajovsky

REMERCIEMENTS

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LITTÉRATURE American desperado American gringo

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ÉDITO L A

F R A N C E

A

C HAU D

En cette période de canicule, rien de mieux que Branded, le magazine coolturel, pour se rafraichir (ou une margarita). Comme d’habitude on vous parle d’art, de jeunes artistes, d’expos à ne pas manquer. On vous a aussi préparer un compte rendu du salon du livre, pour bien choisir son livre de plage. Enfin, pour ceux qui seront coincés dans les embouteillages du classique chassé-croisé estival, vous pourrez toujours écouter Stryper, dont on retrace la merveilleuse histoire dans ce numéro onze de Branded. Passez de bonnes vacances, et à très bientôt.

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JUIN/AOUT MMXV - NUMÉRO ONZE

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COPYRIGHTS

WWW.BRANDED.FR Fondateur et directeur de publication : Laurent Dubarry laurent.dubarry@branded.fr

Page 12 : Julie Béna courtesy Galerie Joseph Tang Page 24 : Lydie Jean-Dit-Pannel Page 28-29 : Lydie Jean-Dit-Pannel Page 33 : Photo Benoît Blanchard Page 34 : Photo Benoît Blanchard Page 35 : Photo Benoît Blanchard Page 36 : Photo Benoît Blanchard Pages 43-57 : Exposition CRAC Sète / Courtesy Jacques Julien Page 58-59 : © Jean-Claude Lother / Why Not Productions Page 61 : © Jean-Claude Lother / Why Not Productions

Rédacteur en chef : Jordan Alves jordan.alves@branded.fr Directeur artistique : Léo Dorfner leodorfner@gmail.com Rubrique Art Julie Crenn julie.crenn@branded.fr Rubrique Livre Jordan Alves jordan.alves@branded.fr Rédacteurs : Florence Bellaiche, Ricard Burton, Stéphanie Gousset, Madeleine Filippi, François Truffer, Antonin Amy, Pauline Von Kunssberg, Ludovic Derwatt, Marie Medeiros, Mathieu Telinhos, Chloé Dewevre, Joey Burger, Ema Lou Lev, Jen Salvador, Benoît Blanchard, Len Parrot, Marie Testu, Benoit Forgeard, Alexandra El Zeky, Marianne Le Morvan, Blandine Rinkel, Mathilde Sagaire, Cheyenne Schiavone, Pauline Pierre, Virginie Duchesne, Marion Zillo, Florian Gaité, Tiphaine Calmettes, J. Élisabeth, Eugénie Martinache, Florence Andoka, Julien Verhaeghe, Anaïs Lepage, Pascal Lièvre, Mickaël Roy Contributeurs : Alizée de Pin, Jérémy Louvencourt, Julia Lamoureux, Morgane Baltzer, Camille Potte

EN COUVERTURE JACQUES JULIEN Exposition CRAC Sète

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ET ILS DISENT QU’IL S’EST ENFUI

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DE LA NOUVELLE PHOTOGRAPHIE ÉROTIQUE FLORENCE ANDOKA

Dans une société occidentale où les images pornographiques nous submergent, à quoi bon faire de la photographie érotique diront certains ? Si la sexualité peut apparaître comme une voie de réalisation de soi, il est logique que la question de sa représentation se pose. Reste à savoir comment les artistes

s’en emparent, ce qu’ils font de ce territoire surinvesti, où la subversion semble difficile. Peu importe la ligne de partage entre érotisme et pornographie, tant l’hypocrisie occidentale tend à qualifier de pornographiques les productions qui seraient seulement de piètre qualité.

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ART

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e nombreuses revues en Europe mêlent aujourd’hui esthétique et érotisme, mais ce sont sans doute les revues L’Imparfaite et Edwarda, qui à l’aube de la décennie furent les premières à faire massivement parler d’elles dans les médias français. Un credo commun les rassemble. Les équipent sont composées de jeunes gens, surtout à la rédaction de L’Imparfaite née sur les bancs de Sciences Po Paris. C’est donc le regard d’une génération qui s’exprime, celle qui naît dans les années 80 au cœur de l’explosion du SIDA, qui a grandi avec la prévention et a démarré sa sexualité dans l’idée que le sexe, ou plutôt sa représentation, n’est plus un terrain de subversion tant il a été défriché par les productions théoriques et artistiques des générations

antérieures. Au-delà de l’âge des créateurs, les deux revues se veulent élégantes, avec un graphisme soigné, et entendent bien rester dans le domaine de l’art et de la pensée, la photographie occupant toujours une large place. On est bien loin de Playboy et ces deux revues ont été notamment mises en vente à la librairie du Palais de Tokyo, comme à celle d’Yvon Lambert dans le marais. Pourtant Edwarda et L’Imparfaite semblent avoir saisi deux voies distinctes qui perdurent. L’érotisme chic et germanopratin empreint de dandysme d’Edwarda marque une première tendance. Quant à L’Imparfaite, c’est la question des genres et des sexualités qui lui permettent de se démarquer.

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Patrick Remy publie à l’été 2015 Desire. New Erotic Photography aux éditions Prestel. Qu’en est-il de cet ouvrage qui entend rassembler une jeune scène de photographes qui ont œuvré sur le terrain de la sensualité ? Bien que promis à la vente dans de nombreux pays, la sélection des artistes reste majoritairement occidentale. Néanmoins, ce livre n’est pas un énième recueil qui ne présente que des auteurs archi-médiatisés, on échappe à Jurgen Teller comme à Larry Clark ou à Antoine D’Agata, tous géniaux, mais ne représentant plus depuis longtemps la jeune garde photographique touchant à la sexualité. Ce qui fait la force de la proposition de Patrick Rémy, outre l’éclairage qu’il offre

a de jeunes artistes comme Nick Sethi ou Jeanne Tullen, c’est la diversité des formes convoquées. L’œil glisse des corps sculpturaux recouverts de filtres azurés de Tiane Doan na Champassak, rappelant les lignes claires des clichés de Robert Mapplethorpe, aux photomontages chamarrés de Aaron Mc Elroy. Si certaines propositions ne dépassent pas une joliesse confortable, d’autres images déroutent et prêtent à réflexion. Ainsi c’est la représentation du photographe à l’œuvre qui occupe la série Camera Club (1995–98) de Chris Verene. Ce travail documentaire nous plonge dans des clubs américains où des photographes amateurs payent pour pénétrer un lieu où se tiennent des jeunes femmes en sous-vêtements. Chris Verene laisse le voyeur dévorer le cadre de l’image tandis que

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le modèle, objet potentiel du désir demeure au second plan. Dans une autre perspective, les clichés de Jeanne Tullen s’inscrivent également dans une veine documentaire, pastichant l’esthétique de la photo de famille, la jeune femme réalise une œuvre empreinte d’autofiction. Quelque part entre Sophie Calle et Michel Journiac, Jeanne Tullen pour la série Womb, afin de réactiver ses souvenirs enfuis, rejoue avec son propre corps, des photos de la relation érotique de ses parents qui se solda par un divorce. Ainsi peut-on voir dévêtue et perruquée l’artiste singeant la figure maternelle.

certains topoï de l’hétérosexualité. Les corps convoqués manquent de diversité, comme si l’érotisme ne concernait que la nudité des corps normés proches de l’imagerie des magazines de mode. Comment le « queer » a-t-il pu être oublié à ce point s’il s’agit d’évoquer la représentation de la sexualité contemporaine ?

Malgré la richesse plastique de l’ouvrage, on peut néanmoins déplorer que ce recueil ne laisse place qu’au corps féminin et à

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Julie Béna “Nail Tang” vue de l’exposition, Galerie Joseph Tang, Paris, 2015

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NAIL CARE WITH JULIE

S A R A H M E RC A D A N T E

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Je pris rendez-vous le vendredi 29 mai 2015, à 14h précise. Je me rendis au 1 rue CharlesFrançois Dupuis, sonnai à l’interphone, tournai à gauche vers le bâtiment B puis montai les deux étages de l’immeuble. Un lieu peu commun pour une galerie, pensai-je alors en voyant la porte de la galerie s’ouvrir au fond du couloir. « Bienvenue chez Nail Tang. » L’artiste m’accueillit sur le pas de la porte. Elle portait une robe blanche à col claudine, boutonnée sur toute la hauteur et transparente au dos, des escarpins couleur argent à petits talons. Ses cheveux étaient légèrement retenus par une barrette dorée, presque portée comme un bijou. Son maquillage était très léger excepté son rouge à lèvre red carpet. « Salut! » lançai-je, laissant trainer la dernière syllabe qui appuyait mon enthousiasme. Je

m’en voulus immédiatement pour ma légèreté, voyant dans les yeux de l’artiste un air sérieux qui m’indiquait que la performance avait déjà commencé. Elle m’invita à poser ma veste et mon sac puis à prendre place sur un tabouret de sa fabrication, instable, qui me faisait l’effet de tenir sur un ressort. Je m’assis face à une table en verre où était disposé un nécessaire à manucure. Tout était à sa place, ordonné. Julie commença son intervention par quelques questions banales. Elle se leva et revint avec un bol blanc remplit d’eau tiède, qu’elle posa dans une découpe ronde dans le verre de la table - je remarquai alors plusieurs perforations dans la matière. Elle entama une série de gestes précis, réalisés lascivement - nettoyage, ponçage léger, suppression des cuticules - tout en s’engageant dans le récit de son odyssée entre deux contrées.

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Je me laissais porté par sa voix, tantôt chantante et enthousiaste, tantôt grave, se perdant dans une sorte de tourment. Elle me narra alors une anecdote cocasse. Sa grand-mère, durant son voyage, ne sachant parler la langue adéquate, avait pour habitude de lui mimer les objets dont elle avait besoin. Julie se leva et me fit une démonstration. « Qu’est ce que c’est? … une théière, et maintenant? » Elle dut répondre à ma place voyant mes yeux béants. « Une carte SIM! » A mesure que l’histoire progressait, mes ongles s’embellissaient et mes yeux parcouraient l’espace de la galerie, s’arrêtant sur chaque détail. Pour Nail Tang, Julie avait organisé et reprit les formes et éléments de décors propres à sa pratique : voilage imprimé, supports aux plateaux en verre, formes découpées en plexiglas. Derrière moi était installée un écran plasma

sur lequel était diffusé le troisième épisode de Miss None and Mister Peanut, où une perruque coupe au carré d’un rouge flamboyant et une mascotte d’un snack-food en forme de cacahuète tenait une discussion mutique - le son était coupé pendant mon rendez-vous avec Julie. Par la force d’une écoute attentive et laissant parfois flâner mon regard au-delà de celui de Julie, je laissai le temps filer et la séance prit fin. Une fois levée, je jetai un coup d’oeil à la pièce à présent inoccupée. L’exposition, sans l’activation de Julie, me parut alors en plein sommeil.

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LOUP SARION, UN MANIÉRISME BRUT MARION ZILIO

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orsque l’on découvre le travail de Loup Sarion, le contraste des matières, des formes et des couleurs suscitent d’emblée perplexité et enthousiasme. Il y a d’abord des grands panneaux de verre surmontés de taches miroïques, et magnétisés à des socles colorés qui essaiment la pièce. Ses sculptures-installations organisent une déambulation toute en transparence et miroirs réfléchissants. Pourtant de cette galerie des Glaces, quelque chose résiste, un je-ne-sais-quoi qui tend vers une opacité de principe. Car, chez Loup Sarion, les surfaces réfléchissantes, bien que réactivant les simulacres, les fragments et les intensités de la postmodernité, renouent avec une certaine pulsion de réel, dont il ne cherche ni à lisser les affects ni à décrypter l’essence sous-jacente. Bien au contraire, Loup Sarion ronge la matière, tout comme il creuse l’écart avec le réel et son double. Au commencement de son œuvre, il y a donc une opération de destruction, si ce n’est de

soustraction : les plaques de verre, dont le cadre ne connaît pas de limite, sont à l’origine des miroirs que l’artiste érode à l’aide d’acide sulfurique et d’outils de curetage. Loup décape des larges pans de mercure et d’étain, afin de ne laisser que la plaque de verre, lisse, translucide, mais trouée de zones spéculaires. Prenant grand soin d’administrer l’espace d’exposition, l’artiste installe ces sculptures devenues images, lesquelles se réfléchissent mutuellement, dialoguent avec les autres pièces, ou reflètent par fragments les visiteurs. Perçant et prolongeant dans un même mouvement l’espace, le regard comme le corps du spectateur font l’expérience d’une inclusion/exclusion : on voit à travers, en même temps que l’on est partiellement stoppé par la surface ; on partage en commun un espace de circulation, comme on partage, avec des produits de consommation, un moment d’exposition. Car si l’installation est la version populaire du flâneur de Walter Benjamin, ainsi que le soutient Boris Groys, elle est aussi le lieu de « l’illumination profane », en ce sens qu’elle « retire la copie de l’espace ouvert

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Loup Sarion- Comin thru (The dancefloor was a baseball diamond) V

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Loup Sarion- Comin thru (version II)

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et banal où celle-ci circule anonymement et la positionne – au moins temporairement – dans le contexte fixe, stable et fermé d’un “ ici et maintenant“ à la topologie bien délimitée ». C’est ainsi qu’avec Loup Sarion, les coulisses de l’atelier ont investi le devant de la scène. Les socles ne sont plus de simples présentoirs, mais présentés ; les bidons de térébenthines servant à caler les tableaux font désormais partie intégrante de l’exposition, au même titre que les packs de bouteilles d’eau traînant deci de-là. Dans l’entre-deux du back- et du on stage, l’œuvre de Loup conduit à voir ce que l’on persiste à occulter, comme la logistique ou du making-of, dont le mode d’être a le caractère de ce qui est profane, banal, ordinaire. Moulés dans le béton, démultipliés, les bidons acquièrent un nouveau statut : non pas readymade, mais made-ready, prêts à l’emploi, à disposition, à l’image de l’outil dont on se saisit machinalement et qui prend sa fonction qu’à travers l’usage que l’on en fait. Se faisant, Loup intègre à sa démarche, cette vie pratique qui ne se dévoile que dans l’utilité des choses, dans cette vie « dégradée » qui focalise notre préoccupation mondaine immédiate. De manière générale, l’attention de Loup se dirige vers des produits de consommation, des copies de copies, et une culture lo-fi (de basse qualité), dont il aime précisément la pauvreté et les étranges pouvoirs d’ensorcellement de masse, comme les bulles de soda, le popcorn, et les couleurs flashy. Fonctionnant par transferts et décalcomanies, Loup agrémente ses socles d’images subliminales : pieds nus se faisant masser, tasse de café se renversant, amenant progressivement la lecture vers une certaine esthétique des fluides, à la fois concrète et abstraite, littérale et allusive.

De ces flux de désirs, de marchandises, et d’images – mélange instable de pulsions scopiques, sexuelles ou orales –, il parvint à détourner les logiques racoleuses, au profit d’une certaine valeur de jouissance. De sorte que si Loup met le off et les surfaces en première ligne, c’est pour mieux dialoguer avec cette pulsion de réel qu’il attrape au détour d’une conversation ou d’une anecdote personnelle. Sweating (you smell like I smell) : Transpiration (tu sens comme je sens). Toujours dans l’action, le verbe suggestif, la scène se teinte d’une présence charnelle, érotique, sexuelle, comme une effusion de fluide, à l’image de ses nombreuses cascades, fontaines, et autres verres imprimés de manière subreptice sur les supports. Le caractère brut et froid de l’installation rencontre alors la poésie latente du réel. Bousculant les petits récits du quotidien, Loup en tire un lyrisme aux accents de punchline : Geysers and waterfalls (booze-up) ou (nervous breakdown) activent leurs propres fictions narratives et nous entrainent dans un érotisme fluide, coulant, suintant. De la sale bouffe, des boissons trop gazeuses et trop sucrées, des sacs de sport version cheap d’American Apparel – aussi fashion que ringards, aussi criards que casual –, Loup convoque une poétique d’attraction/répulsion, dont il organise, avec un certain maniérisme brut, les circulations et les feedbacks. Ainsi les vaines tentations hipstérisantes et rassurantes, apparaissent hystériques et anesthésiantes. Les couleurs acidulées tournent à l’amer, le scintillant devient terne ; la réalité passe, tel un masque photoshoppé, au crible d’un feuilletage qui fonctionne comme le pharmakon derridien, à la fois poison et remède.

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Loup Sarion - Waterfall (you can extend the size of your territory by following the watercourse)

Ca colle aux doigts, ça agace la faim et ça altère la bouche comme un paquet de popcorn trop salé ou trop caramélisé. C’est une cloison invisible entre soi et l’autre, non plus « promesse d’un plaisir, mais promesse d’un plaisir » , ainsi que l’écrivait Georg Simmel. C’est une coquetterie qui agace. Un striptease qui tire précisément sa force de l’accessoire. Discrètement. Subtilement. Nerveusement, Loup étend son territoire à la manière de la graine emportée

par le cours d’eau, à l’image du titre de l’une de ses œuvres Waterfall (you can extend the size of your territory by following the watercourse). Chute d’eau (tu pourras ainsi étendre la taille de ton territoire en suivant le cours de l’eau).

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DRAWING NOW MUSEUM Dans l’euphorie printanière des foires contemporain, on a pris le temps de une balade au salon du dessin Drawing et on vous montre ce qu’on a bien

d’art faire Now aimé.

On a contemplé les paysages évanescents d’Angélique, ruines et terrains obscurs dévorés par une lumière crue. On a doucement glissé sur les draps de Marcel, où les scènes d’enfance qui y sont projetées évoquent la fragilité et l’instantanéité de ces moments. On s’est perdu dans les espaces érodés de Claire, fragments flottants et refuges déspatialisés, aux détails sensibles. Avec Elias, on est rentrés dans un monde psychédélique, cosmique et mystique. Vincent nous a montré la poésie du papier. Son travail sur la matière la rend narrative et On a tremblé devant Jean qui nous livre un monde anéantit construit à partir d’éléments historiques, artistiques et religieux. On s’est senti apaisés par les sculptures-images de Félix. Ses représentations de dirigeables nous transportent dans un espace silencieux, transpercé par les lignes acérées de ces objets "symboliquement utopiques". L’écrivaingraveur Frédéric nous a séduit par la finesse de son trait et les images fortes et symboliques de son oeuvre.

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On y retournera, c’est sûr.

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1 Elias Kafouros 2 Claire Trotignon Les Nouveaux Bureaux Sérigraphie une couleur sur BFK rives, 70 x 100 cm 2015, ed. 8 3 Angélique Lecaille Monument Land Etude 1 mine de plomb, 90 x 67cm 2014 4 Félix Pinquier Aérolithe 9 graphite on paper 40 x 40 cm 2013 5 Vincent Chenut Palimpseste 2014 papier 195 x 150 cm 6 Jean Bedez Stabat Mater Dolorosa Dessin à la mine de graphite papier Canson, 224 g/m2 140 x 212cm 2013 7 Marcel Gähler Bleistift auf Papier 2013 8 Frédéric Coché Hortus Sanitatis

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LYDIE JEAN-DIT-PANNEL : L’INSURRECTION DE PSYCHÉ FLORIAN GAITÉ

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anceuse d’alerte et éveilleuse de conscience, Lydie Jean-Dit-Pannel milite contre l’étiolement du sentiment cosmique dans la civilisation contemporaine, dans un geste à la portée tant écolo-politique que philosophique. En lutte contre la paupérisation de la sensibilité à l’environnement, la vidéaste partage le constat dressé par D. H. Lawrence dans Apocalypse d’une rupture entre le sujet moderne et le monde, trouvant avec l’art un moyen d’y répondre : « la connexion en nous est rompue, les centres sont morts. Notre Soleil, tellement plus banal, est tout autre chose que le Soleil cosmique des Anciens »1. Cette rupture relève proprement d’une catastrophe, prise en son sens étymologique, un dénouement, une déliaison qui fait planer la menace d’un achèvement. Aussi son œuvre mobilise-t-elle le pouvoir fédérateur, réflexif et pré-discursif du mythe pour renouer avec le sentiment antique

du cosmos et réaffecter la relation de l’homme à son milieu, anesthésiée dans la société techno-scientifique. Après avoir investi la figure du papillon Monarque ou s’être érigée sa propre tour de Babel, le Panlogon, Lydie Jean-DitPannel ajoute Psyché à son panthéon personnel. Personnifiant l’âme, l’élan vital comme l’amour désespéré, l’héroïne antique devient un alter ego de la plasticienne qui se reconnaît dans sa persévérance, son esprit d’aventurière et sa sensibilité exacerbée. Emergeant peu après le drame de Fukushima, elle campe dans plusieurs photographies, mais principalement dans le projet vidéo & A Fade to Grey, l’héroïne d’un « road-trip anti nucléaire »2, d’une errance dépitée à travers les paysages abimés par l’énergie atomique. A travers elle, l’artiste organise le passage d’une écologie politique, focalisée sur les pratiques environnementale, à une écologie des esprits, fondée sur l’éveil des inconscients et la responsabilisation collective.

1 D.H. Lawrence, Apocalypse, présentation de Gilles Deleuze, trad. par Fanny Deleuze, Paris, Editions Desjonquères, coll. «Littérature et idée», 2002.

2 Sous-titre donné par l’artiste au projet vidéo, & A Fade to Grey, réalisé en 2014, dont le second tome est en préparation.

Page de gauche : & a Fade to Grey, 2014 - vidéo - 28 min

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ACCIDENTS. Psyché fait sa première apparition officielle dans Cela avait commencé par accident, une vidéo réalisée en résidence sur l’île de La Réunion en 2014. L’accident originel évoqué, cet événement déviant qui inaugure en même temps qu’il fait rupture, est en réalité triple. Le premier tient à la rencontre, au début des années 2000, avec un lépidoptère à l’insectarium de Montréal, le papillon Monarque, dont les mœurs et les capacités migratoires exceptionnelles fascinent la plasticienne. Depuis, elle s’en fait tatouer une reproduction à l’échelle 1 à chacun de ses voyages, transformant le souvenir contingent et éphémère de ses pérégrinations en matériau sculptural. Une décennie après le début de ce travail, l’espèce a malheureusement été classée en voie de disparition. Ce symptôme d’une beauté qui déserte le monde a alors motivé chez l’artiste en révolte une autre transformation. Le second accident voit ainsi apparaître une nouvelle figure postchrysalide, une héroïne mythologique représentée sous sa forme divine avec des ailes de

papillon, sur-imprimée au devenir-insecte de l’artiste. Cette mutation soudaine naît ellemême à l’occasion d’un troisième accident, le désastre de Fukushima, installant un jeu de miroirs entre ces deux moments critiques. Peu après le tsunami et ses conséquences sur la centrale japonaise, motivée par un désir impérieux d’agir, Lydie Jean-Dit-Pannel fouille dans ses papiers à la recherche d’un prospectus de la Croix-Rouge, et tombe sur une illustration de Psyché Abandonnée par Jacques-Louis David. Cette image froissée, reléguée au fond d’un ­tiroir, lui apparaît comme celle d’une humanité déchue et désespérée, abimée comme on ressort d’un abîme. Lydie Jean-Dit-Pannel décide alors de motiver le fortuit, de donner à cette coïncidence des représentations la force d’une nécessité, et de faire de Psyché sa réponse à la catastrophe nucléaire, opposant l’investissement créatif à l’annulation de toute possibilité de régénération.

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PSYCHÉDÉLISME. Psyché inaugure un autre corps, ou plutôt un autre du corps, un corps psychédélique, qui fait littéralement « apparaître l’âme ». Bien plus qu’une figure esthétique, elle relève même ici du « personnage conceptuel » de Gilles Deleuze, à la fois projection de l’artiste et fiction distanciée, qui donne à la pensée sa vibration et sa force heuristique. Ni idée abstraite, ni allégorie, le personnage conceptuel est une figure organique, qui « vit » et « insiste » dit Deleuze1. Chez Lydie Jean-Dit-Pannel, cette image de la pensée prend en premier lieu les traits de l’héroïne de David. Nue sur un rocher, les bras repliés vers son visage, les mains croisées, le regard fixe, elle adopte une position de recueillement. Mais là où le peintre lui confère des traits de désarroi et de détresse, la plasticienne substitue une expression méditative, réflexive et consternée, se télescopant avec une version féminisée du penseur de Rodin. Reti-

rée du monde, isolée à une distance critique, sa version de Psyché est néanmoins résolue à répondre aux non-dits, à l’omerta assourdissante des responsables politiques et médiatiques par un silence plus signifiant encore. Face au logocentrisme de la pensée occidentale, la plasticienne affiche l’image d’une pensée affectée, d’une cognition chaude en prise directe avec le monde environnant, sans la médiation de l’intellect. Par cette image-miroir, Lydie JeanDit-Pannel propose un dispositif spéculaire par lequel peut la public peut se projeter : face contre terre, le visage écrasé contre les rochers (Psyché perd Amour), Psyché figure avec une certaine violence la nécessité de prendre acte du mal qui ronge l’humanité, quand cheminant seule dans un paysage lunaire (En Marche), elle exprime celle de ne pas se résoudre à l’idée de sa perte.

1 Gilles Deleuze, Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Editions de Minuit, 1991/2005, p. 62.

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Hommage à la Psyché abandonnée de Jacques-Louis David - 2014 - Photographie couleur prise à La Réunion

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DES ERRANCES. A travers son œuvre, Lydie Jean-Dit-Pannel lutte moins directement contre la nucléarisation du monde que contre sa banalisation dans les consciences collectives, contre le vide informatif et l’aveuglement médiatique qui pare la catastrophe des habits du progrès ou la constitue en destin inéluctable de la civilisation. La stratégie critique qu’elle emploie vise ainsi à faire varier les perspectives, à dynamiser le regard pour sortir des zones de confort et des territoires qui conditionnent et limitent notre connaissance du problème. Pour cette héritière de la beat generation, globe-trotter et citoyenne du monde, cette pratique de l’errance plastique doit inciter le public à réformer ses habitudes réflexives et à explorer des champs de pensée largement oblitérés dans le débat public, rejoignant ainsi l’idée deleuzienne : « Les personnages conceptuels ont ce rôle, manifester des territoires, déterritorialisations et reterritorialisations absolues de la pensée. »1 ­A travers Psyché, décrite dans les Métamor1

phoses d’Apulée comme une âme vagabonde et tourmentée, une amoureuse nomade lancée à la conquête d’Eros, la plasticienne arpente les centrales nucléaires, les usines de traitement des déchets ou les terrains d’essais atomiques, à Hiroshima, Tchernobyl, Pripiat, le désert du Nevada, La Hague ou Nogent-sur-Seine. Abandonnée sur ces sites sensibles, la sentinelle dresse une topologie des lieux menacés pour lutter à sa manière contre la désertion du vivant, le recul de la nature et la déshérence de la pensée critique. Lydie Jean-Dit-Pannel apparaît ainsi comme une figure nourricière, qui a cure du monde, qui s’en soucie comme elle en prend soin, curieuse au sens le plus noble du terme. Mais cette qualité est aussi celle qui la mène à sa perte. Tout comme Psyché, dont l’amour s’est enfui parce qu’elle a tenté d’en découvrir l’identité, sa volonté de savoir la conduit à assister impuissante au renversement pharmacologique du nucléaire, passant de panacée énergétique à plus grand poison de la planète.

Ibid., p. 67.

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MEMENTO MORI ! Figure de l’inconscient, lieu du seul discours qui peut supporter la contradiction dans la théorie psychanalytique, Psyché permet enfin à Lydie Jean-Dit-Pannel de potentialiser ses oppositions. Là où le discours militant est soumis à une logique de rationalité, à un devoir d’univocité qui en garantit la légitimité, la plasticienne se sert de son art pour déployer un discours à double entrée, ici une négociation permanente entre pulsions de vie et de mort. Les ambiguïtés de Psyché permettent en effet à Lydie Jean-Dit-Pannel d’occuper un entredeux entre nihilisme et optimisme, où s’opère la synthèse des enjeux critiques et poétiques de son œuvre. Souffle de vie au destin brisé, Psyché, suicidaire et survivante, donne à son discours poétique la tonalité d’une vanité, dans le sillage du papillon, symbole traditionnel de la vie éphémère, décliné dans son œuvre depuis plus de dix ans. Tout comme l’esclave qui, couronnant un général de laurier, le rappelle à sa condition d’homme et au devoir d’humilité qu’elle impose, Lydie Jean-Dit-Pannel chu-

chote au monde contemporain son « memento mori ». Avec une ironie certaine qui n’en atténue pas la poésie, Psyché, seule sur son îlot aride, donne chair à une humanité prise à son propre jeu, victime des ravages d’une énergie mortifère. Elle est caressée du souffle du zéphyr, le vent qui porte secours à Psyché, qui renouvelle sans doute moins ici l’oxygène qu’il ne véhicule des particules toxiques. Cette poétisation du monde contaminé représente d’ailleurs la seule concession que la plasticienne peut accorder à l’industrie nucléaire. L’esthétisation de son architecture, et la fascination qui la motive, fait signe, en ultime ressort, vers une pulsion artistique morbide dont Lydie Jean-Dit-Pannel, sous couvert d’une œuvre puissamment vitaliste, n’a jamais cessé d’interroger les codes.

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BENOÎT BLANCHARD

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Sterling Crispin - Zuck Blister et Kodama Impression 3D, Miroir Acrylique, Reconnaissance faciale, Algorithme génétique - 45 x 66 cm - 2015

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ue sommes-nous devenus ? La question irrite, d’autant qu’elle ne permet pas de réponse a priori, mais seulement en regard des représentations que nous nous faisons de nousmême.

tiques et les croyances nouvelles qui changent nos vies. Et pourtant c’est à la surface de nos banalités que se jouent les quêtes d’identité ; quotidiennement face aux écrans et dans nos consciences.

La question, souvent posée aux marges, est une invitation à envisager les extrémités de nos existences, là où nous ne sommes pas mais où certaines personnes expérimentent et proposent toutes sortes de franchissements aux limites corporelles et sensorielles de nos enveloppes. Ces exemples nourrissent les réflexions sur ce que nous pouvons être aujourd’hui et sur ce que nous pourrions être demain. Par le périmètre qu’ils dessinent, ils indiquent un vaste espace conjonctif où s’accordent les pra-

Ce sont ces expériences d’un avenir devenu banal, et pourtant constamment reformulé, que questionnent les trois artistes de l’exposition CacheCache(cache) organisée par le duo de commissaire Alexis Jakubowicz et Jean-Brice Moutout. Ils ont choisi l’Île ; espace sous-terrain, géré par Johan Fleury de Witte, à l’épicentre de Paris sur l’île Saint-Louis. Un endroit qui est autant une cache qu’un cul-de-sac et où se joue continuellement la dialectique de la surveillance et de l’intimité. L’exposition est le


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Sterling Crispin - Video de l’artiste.

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Patricia Camet - DĂŠtail : Portraits/ Emoticons Panel 34, 70, 73 & 68 - 100 x 100 x 25 cm / chaque 2013

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Tarik Kiswanson - Untitled - Mobile, inox poli - 310 x 51 x 51 cm - 2015


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reflet littéralement enterré de nos vies, et audessus de laquelle lèchent quotidiennement des glaces des milliers de touristes et de badauds en quête d’une authenticité ayant perdu toute forme tangible. Le contraste avec l’anxiété qui surnage dans les œuvres présentées les rend encore plus frappantes. Comme si, après avoir lentement fondu au soleil, les monceaux de crème glacée qu’ingurgite la foule dans les rues s’étaient infiltrés dans le sol, entraînant en sous-sol l’essence d’un avenir à pousser prochainement. Dans ce terreau, la paranoïa et l’omniprésence des échanges, les traces qu’ils laissent et celles qu’ils engendrent sont au cœur du travail de l’artiste péruvienne Patricia Camet. Elle moule des masques dans des emballages de consommation courante, desquels elle fait ressortir l’aspect anthropomorphique par l’adjonction la plus primitive qui soit : deux points pour les yeux, un trait vertical pour l’arrête du nez, une barre horizontale pour la bouche. Ces masques sont accrochés, rangés comme l’on range un ossuaire, les têtes entassées séparément des corps en un amoncellement qui est une représentation conjuguée de l’accumulation des déchets dont ils sont issus et l’avenir mort-né qu’ils promettent.

effroyablement seuls et majestueux dérivant tels des vaisseaux fantômes qui s’illuminent à l’approche de toutes vies avant de se refermer sur elles. Parmi ces artefacts, la seule présence perceptible est celle de l’artiste américain Sterling Crispin. On la devine par écran interposé, compulsant les diagrammes d’un code informatique qu’il active et réactive en boucle, mais qui systématiquement rate. L’image projetée sur la paroi fantasme une pierre philosophale numérique cherchant frontalement à trouver la combinaison qui ouvrirait à l’éternité. Or elle échoue en cascade et ne parvient à produire que l’ombre d’un visage, une ombre blafarde et laiteuse, recouverte de bulbes bouillonnants des mille milliards de paroles qu’il lui faut contenir pour chaque seconde de vie potentielle.

Les pierres qui affleurent aux murs ont la même origine, entassées sous les strates que viennent coucher au sol les vies nouvelles. Et de ces vies concassées, l’artiste suédois Tarik Kiswanson extirpe des formes métalliques, mi végétal, mi mobilier qu’il fait croitre à fleur de roche. Leurs surfaces polies reflètent les lumières artificielles mais n’en produisent pas. Ils attendent dans le noir comme ces monstres des abîmes

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QUESTIONNAIRE

ANTOINE PUISAIS PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT DUBARRY

Antoine Puisais est un artiste né en 1975. Il utilise differentes techniques, de la peinture à la gravure, et son usage des papiers trouvés s’inscrit dans une archéologie contemporaine. WWW.ANTOINEPUISAIS.FR

1 - Que n’échangeriez-vous pour rien au monde ? A.P. : L’envie de faire 2 - Quelle profession rêviez-vous d’exercer lorsque vous étiez enfant ? A.P. : Camion Pizza 3 - Quel cadeau aimeriez-vous recevoir ? A.P. : Un double-vitrage 4 - Le meilleur endroit où passer la nuit ? A.P. : Un train couchette en classe confort 5 - Une chose que vous aimeriez savoir faire ? A.P. : Être ventriloque 6 - Un disque ? Un livre ? Un film ? You’re under arrest de Miles Davis / La chute d’Albert Camus / Magnolia de PT Anderson

A.P. :

7 - A quelle époque auriez-vous aimé vivre ? A.P. : J’aime bien cette époque en fait. Tout sauf le médiéval. 8 - Le plus bel homme, la plus belle femme de la terre ? A.P. : Jacques Brel et ma copine 9 - Que faîtes-vous le dimanche ? A.P. : Je travaille

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QUESTIONNAIRE

10 - Votre syndrome de Stendhal ? A.P. : Je n’ai jamais ressenti une overdose d’émotions par contre un sérieux manque de livres et de bonne musique après plusieurs semaines au Vietnam. 11 -Avec quelle personne morte aimeriez-vous pouvoir dîner ? A.P. : Jean-Michel Basquiat 12 - Quel est votre alcool préféré ? A.P. : Le pastis 13 - Quelle est la personne que vous détestez le plus ? A.P. : Surement moi 14 - Où aimeriez-vous vivre ? A.P. : Au Japon 15 - Qu’est-ce qui attise votre désir chez l’autre ? A.P. : Les pieds 16 - Un personnage de fiction auquel vous vous identifiez ? A.P. : Je crois qu’il y a trop de personnes bien réelles qui m’inspirent pour que je veuille m’identifier à un personnage. 17 - À combien évalueriez-vous votre corps pour une nuit ? A.P. : Priceless 18 - Un mot, une expression ou un tic de langage ? A.P. : Carrément 19 - PSG ou OM ? A.P. : Carrément rien à foutre 20 - Si vous pouviez avoir la réponse à une question, quelle serait la question ? C’est quoi la question déjà ?

A.P. :

21 - Quelle serait la musique de votre enterrement ? A.P. : Melissa de Julien Clerc 22 - Votre menu du condamné ? A.P. : Un truc japonais avec du poulet pané, du riz et plein de petit trucs croquants autour. 23 - Une dernière volonté ? Continuer et évoluer

A.P. :

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PORTFOLIO

JACQUES JULIEN

JULIE CRENN

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epuis les années 1990, Jacques Julien développe une réflexion sur la forme : son élaboration, sa réalisation et son abandon. Passionné par les œuvres de Barnett Newman et de Blinky Palermo, il s’engage dans la peinture minimale avec une production intense de monochromes. Sur la surface de la toile, il expérimente les techniques, les matériaux, les gestuelles. Un travail de modulation de la forme et de la couleur qui ne le satisfait pas. Conscient de prendre une mauvaise direction et de se perdre dans ce laboratoire, il décide de représenter au fusain une piste d’athlétisme. Sur un rouleau de cinquante mètres, il trace des lignes, et par un système de trames et de hachures il recouvre le papier. Pendant un mois, il s’applique laborieusement à donner forme à la piste. Couvrir

la Distance (1992) marque un premier tournant dans sa réflexion et dans sa pratique. La référence au monde sportif, qui est au départ un moyen d’aller à contresens de ses œuvres antérieures, devient petit à petit une réponse à ses propres questionnements : que signifie faire de l’art aujourd’hui ? Comment faire de la peinture à une période où se chamaillent les modernistes et les postmodernistes ? Alors que l’idée et le format ont pris le pas sur les ambitions créatrices, comment parler de la forme ? Jacques Julien fait du terrain de sport un espace de mesures, de projections et de formes. Son ambition est de comprendre par la pratique ce qui se joue entre une œuvre, son processus de réalisation, sa mise en espace et sa réception auprès du spectateur. En s’attachant à la peinture et à la sculpture, il mène une observation des enjeux fondamentaux de la création.

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Depuis quelques années, une nouvelle phase est activée, le rapport à la main est privilégié. Ses mains deviennent son unique outil grâce auquel il élabore des pièces de différentes échelles. Des « petites sculptures » modulées sur une petite table de son atelier, les maquettes possibles de sculptures de taille moyenne, qui elles-mêmes peuvent devenir des sculptures de grandes tailles. L’échelle de la main est un des moteurs de sa production. En 2011, lors de l’exposition Dur comme Plume, Léger comme Pierre à l’Orangerie du Domaine Départemental de Chamarande, il présente pour la première fois ses maquettes, un ensemble de soixante-douze petites sculptures intitulé Les Empathiques. Elles représentent dix années de pratique d’atelier. La série apparaît comme un condensé miniature de ses recherches formelles, matérielles et spatiales depuis les années 1990. Si de nombreuses maquettes ont donné naissance à des pièces aux formats plus généreux, d’autres attendent encore leur tour. « Je reviens à des gestes basiques, presque régressifs. Des gestes de poterie. L’économie est véritable tant au niveau des matériaux que des gestes. Couper, trancher, jeter, point barre.

La terre crue (poétiquement très fragile) est repeinte puisque lorsqu’elle sèche, ses couleurs deviennent plus fades. En peignant la terre, je revenais vers la couleur initiale, celle que je voyais lorsque je la travaillais. » Dans la continuité de cette première série aux formes primaires, il réalise Pièces Uniques (2012). Cinquante-quatre petites sculptures disposées, tels des totems, sur autant de hauts socles blancs au cœur de la Chapelle du Genêteil. L’artiste coupe et assemble des tranches de terre, il y plante des composants miniatures (grilles, chaînes, poteaux de basket) peints ou bruts. L’économie gestuelle et matérielle est flagrante. Matisse estimait que « plus la sculpture est petite, plus l’essentiel de la forme doit s’imposer. » Jacques Julien pousse le rapport physique avec la matière en faisant interagir la répétition, le rythme, l’échelle, la modulation, le ratage.

Exposition CRAC Sète / Courtesy Jacques Julien

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MAIS QUI ÊTES-VOUS PAUL DÉDALUS ? Trois souvenirs de ma jeunesse, Arnaud Desplechin, 2015 FLORENCE ANDOKA

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e regard est sombre, presque dépourvu de l’opale des globes tant les iris sont vastes. Paul Dédalus dans le corps de Mathieu Amalric traverse les couloirs de Nanterre. Le même acteur incarne à nouveau le personnage, mais vingt ans se sont écoulés, le regard est resté fidèle, les traits se sont creusés, la chevelure a trouvé la discipline de sa fonction nouvelle. Paul Dédalus travaille au quai d’Orsay. Dans le chemin dessiné par Desplechin à son fétiche, Dédalus enfant a les yeux bleus d’Antoine Bui, avant de s’empares de corps adolescents, celui d’Émile Berling frêle et dangereux, puis celui plus robuste de Quentin Dolmaire. Trois souvenirs de ma jeunesse, sorti en salle au crépuscule du printemps 2015 se présente comme une préquelle à Comment je me suis disputé… ( ma vie sexuelle), film qui faisait entrer en scène Paul Dédalus, en 1996 sous les traits d’un jeune philosophe en poste à Nanterre, tourmenté par les querelles fratricides et les amours tumultueuses. Paul Dédalus est un personnage qui traverse le cinéma de Desplechin, réapparaît à intervalles réguliers comme Antoine Doisnel dans l’œuvre de Truffaut. Pourtant Dédalus, dont le patronyme renvoie à l’alter ego littéraire de Joyce dans Ulysse, suit une évolution chaotique, son identité est morcelée, sans cesse recomposée par Desplechin.

chin, et notamment la figure de Georges Devereux ethnopsychanalyste dont l’existence sert de trame à Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines). Dans Un Conte de Noël, Dédalus, était un personnage secondaire, celui d’un jeune cousin ayant connu l’internement psychiatrique. Dédalus flirte toujours avec l’Hôpital psychiatrique, il y a toujours séjourné, où s’y achemine doucement à cause de grandes tensions intérieures. L’Hôpital est un passage obligé, presque un ornement existentiel dont le personnage se rit. Dédalus a une identité, certes en mouvement, travaillée sans cesse par son créateur, mais il est structuré par des lignes directrices. Au-delà de la souffrance psychique, Dédalus vit toujours des amitiés fratricides. Ses copains essaient à chaque film, par estime pour lui, parce que le désir est mimétique comme nous le livre si bien René Girard, de lui prendre la fille qu’il aime. Un ami se distingue toujours des autres, il est juif, incarne virilité et droiture, c’est un modèle pour Dédalus en quête de lui-même. Apprenti philosophe ou anthropologue, Dédalus apparaît en garçon brillant au verbe fiévreux.

Cet être fragmentaire se révèle néanmoins porteur des marottes de son créateur. Il n’enseigne plus la philosophie à Nanterre dans ce dernier opus, mais étudie l’anthropologie puis travaille désormais pour le quai d’Orsay. Dédalus porte dans cette dernière version de lui-même la filmographie récente de Desple-

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© Jean-Claude Lother / Why Not Productions

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Trois souvenirs de ma jeunesse dévoile les origines de Dédalus et donne un nouvel élan à l’œuvre autofictive de Desplechin. Pourtant cette matrice recomposée, comme retrouvée au bout du chemin, sonne comme un condensé des motifs récurrents qui structure le travail du cinéaste. Nouvelle variation sur la folie et la haine de la mère, les amours fratricides, le mystère des femmes et l’entrée en religion, Trois souvenirs de ma jeunesse marque une évolution dans le cinéma de Desplechin. Si Comment je me suis disputé…( ma vie sexuelle), était un film marqué par l’atmosphère germanopratine et la contingence des amours qui éclosent et

se fanent à force de discours, le dernier opus de la vie de Dédalus tend vers l’abondance du mythe, rien dans les dialogues et les plans ne rejoue la pâleur du réel, tout est emphase, tout est parabole. Le récit de soi et la fiction qu’il suppose est devenue cauchemar.

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ENTRETIEN

FLORENCIA CHERNAJOVSKY Florencia Chernajovsky est chargée de conception artistique au Centre Pompidou. Après avoir été chargée des recherches de l’exposition Danser sa vie et de la rétrospective consacrée à Pierre Huyghe, elle assure actuellement la coordination du Nouveau festival. Cette année, elle signe une programmation prospective de trois mois au sein de la Galerie Sud et elle assure le commissariat de l’exposition collective Extension du domaine du jeu dans l’Espace 315.

TEXTE MADELEINE FILIPPI

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ENTRETIEN

Florencia, tu es programmatrice et coordinatrice du Nouveau festival du Centre Pompidou, peux-tu revenir pour nos lecteurs sur ce qu’est ce festival et son origine? Le Nouveau festival a été initié par Bernard Blistène en 2009 comme une forme ouverte, à même de faire bouger les lignes de la création contemporaine au cœur du Centre Pompidou. Cette manifestation annuelle répondait ainsi à l’engagement du Président Alain Seban de rendre sa pleine expression à la pluridisciplinarité fondatrice de l’institution avec la conviction qu’elle nous aiderait à mieux prendre acte de la diversité de l’art de notre temps comme à tisser des liens plus forts avec la scène artistique émergente. Le Nouveau festival est une plateforme extrêmement flexible, un laboratoire qui nous permet d’explorer différents formats d’exposition et de production artistique. En avril a débuté la 6ème édition, qu’elle est sa particularité ? La nouveauté est à juste titre le principe fondateur du « Nouveau » festival qui, chaque année, se réinvente et repart sur de nouvelles bases. Cela dit, le credo de cette manifestation est d’être foncièrement prospectif et pluridisciplinaire. La particularité de cette 6e édition, qui pose comme fil rouge les rapports entre l’art et le jeu, est la place accordée à la dimension vivante et participative des œuvres. Le public est invité à activer et à manipuler des œuvres du mouvement Fluxus par exemple, répliquées afin de les sortir des vitrines où elles sont habituellement confinées car trop fragiles ou précieuses. Ici,

vous pourrez jouer pour la première fois avec des œuvres historiques de Robert Filliou, de George Brecht ou encore de George Maciunas, principal fondateur du mouvement Fluxus qui dans les années 60 visait à supprimer la frontière entre l’art et la vie. L’autre particularité de cette 6e édition est la durée prolongée à trois mois, ce qui nous permet de proposer trois projets mensuels très divers qui vont se succéder dans l’Espace 315. De mi-avril à mi-mai, vous pourrez découvrir une proposition autour du stand-up, envisagé en tant que jeu de société. Des personnalités issues de différentes disciplines (danse, cinéma, arts visuels) y sont invitées à se prêter au jeu à travers une programmation de films, de conférences et d’événements live. Dans un deuxième temps, le Nouveau festival accueille à partir du 20 mai une nouvelle édition de Vidéodanse sous l’angle du « corps en jeu », comptant encore une fois des projections de films, des rencontres ainsi que des spectacles. Enfin, le 18 juin, ouvre l’exposition collective « Extension du domaine du jeu », où vous pourrez découvrir des nouvelles productions d’artistes émergents ainsi que des œuvres historiques montrées pour la première fois en France. Quel est l’enjeu de ce festival pour le Centre Pompidou ? Et pour la scène française ? Il fallait que l’institution retrouve son agilité initiale, que les créateurs de tous horizons puissent y tester des formes et des formats inédits. Il fallait qu’un rendez-vous régulier offre à tous les publics la possibilité de comprendre et de partager librement les interrogations des artistes et des penseurs d’aujourd’hui.

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ENTRETIEN

Carla Zaccagnini, Jogo transparente, 2006-07. Foto Pablo Garber (en la muestra “Vida Pública”, Fondo Nacional de las Artes, Buenos Aires)

Le Nouveau festival croise toutes les disciplines et surtout accueille des projets et des œuvres qui interrogent leur propre médium. C’est dans ce contexte que nous pouvons explorer les possibilités d’exposer différentes pratiques comme la musique ou la danse, avec par exemple la Rétrospective par Xavier Le Roy présentée l’année dernière au sein de la Galerie Sud. Le Nouveau festival permet aussi d’élargir nos publics avec des projets comme L’Usine de films amateurs de Michel Gondry ou la proposition actuelle autour du stand-up. C’est l’éternelle question de la high and low culture qui est ici posée. L’objet même de ce festival est de revivifier ce qui constitue les fondamentaux du Centre Pompidou : la pluridisciplinarité, la création multiforme de notre époque et l’accès à la culture pour tous.

Pour la scène française, le Nouveau festival fourni une plateforme d’expérimentation, où de jeunes artistes peuvent s’aventurer dans de nouvelles productions, tester et oser de nouveaux formats, en prenant même le risque de se rater parfois ! En vue la programmation, il semble que la sélection des artistes et des intervenants soit choisie comme pour rendre compte d’une historicité du lien entre l’art et le jeu. Pourquoi ce parti pris ? Les rapports entre l’art et le jeu traversent en effet tout le XXe siècle mais le parti pris au sein du Nouveau festival est de montrer à quel point ces liens constituent un moteur fondamental dans la création actuelle. Au lieu de montrer des œuvres historiques, nous avons

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ENTRETIEN

Cecilia Bengolea & François Chaignaud, Dub Love © Laurent Philippe / Divergence

privilégié des œuvres contemporaines, qui questionnent la place du jeu au sein de notre société. Certaines œuvres, comme le Jeu de Topo de Jean-Michel Sanejouand (1963) ou Play It By Trust de Yoko Ono (1966) remettent en cause la dimension belliqueuse du jeu où il y a un gagnant et un perdant. Il s’agit plutôt de faire confiance au partenaire et, dans le cas de Sanejouand, d’envisager le jeu en fonction des compositions que celui-ci peut générer. Il est d’ailleurs intéressant de voir à quel point des artistes comme Bertrand Lavier ont pu s’en inspirer plus tard dans les années 80. Au fil des éditions la performance est de plus en plus présente, peux-tu l’expliquer ? Quelle est sa place dans cette édition ? Le Nouveau festival a toujours accordé une

place essentielle à la performance et surtout au croisement entre arts plastiques, théâtre, musique et danse. Il suffit de songer à la première édition, qui en 2009 accueillait dans l’Espace 315 le projet de la compagnie Zerep, fondée par Sophie Perez et Xavier Boussiron. Pendant toute la durée du festival, Perez et Boussiron invitaient des comédiens, musiciens, danseurs et artistes à venir performer. Il y avait aussi un cycle consacré aux « conférences-performances », qu’il s’agisse de théoriciens qui font évoluer leur pratique vers la performance ou d’artistes qui font de la conférence une forme artistique. Parallèlement à ces conférencesperformances, une programmation intitulée Rosebud faisait intervenir des écrivains donnant des lectures performées de leurs textes. Depuis cette première manifestation plaçant des formes performatives au cœur du projet,

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ENTRETIEN

nous explorons à chaque nouvelle édition et en lien avec la programmation des Spectacles vivants au Centre Pompidou, les pratiques contemporaines dans un enjeu pluridisciplinaire. Quels sont les temps forts du Nouveau festival ? Comme chaque année, le Nouveau festival se déploie sur plusieurs espaces du Centre Pompidou. L’un des temps forts de la Galerie sud sera l’activation des performances Fluxus historiques, réactivées par les étudiantes de l’Ecole Supérieure d’Art d’Avignon du 6 au 10 mai. Pour le projet autour du stand-up, un moment important sera la performance du cinéaste Pierre Salvadori le samedi 9 mai à 17h. Ensuite dans le cadre de Vidéodanse dans l’Espace 315, , il y aura une rencontre avec le chorégraphe Christian Rizzo le jour d’ouverture le mercredi 20 mai à 18h. Il y aura ensuite des performances d’Alessandro Sciarroni, Cecilia Bengolea et François Chaignaud et Jérôme Bel notamment. Enfin, le 18 juin à 18h ouvrira le troisième volet mensuel de l’Espace 315 avec l’exposition « Extension du domaine du jeu », incluant des performances de Christian Falsnaes, Amalia Pica et Zhana Ivanova. Puis, dans le cycle de la Parole en Petite salle, l’un des temps forts sera sans aucun doute l’invitation faite à l’écrivain Jonathan Coe à s’exprimer autour de l’œuvre de B.S. Johnson. Arrêtons-nous sur le projet TANGRAM POSTURE… Tangram Posture occupe une place centrale au sein de l’exposition en Galerie Sud. Nous

voulions avec Michel Gauthier un espace réservé à la jeune scène artistique. J’ai donc sollicité l’artiste anglaise Anna Barham afin qu’elle conçoive cette aire de jeu comme le centre névralgique du parcours, avec une installation à la fois fonctionnelle et sculpturale. Je lui ai demandé de reconfigurer une installation existante qu’elle avait réalisée en 2010 à partir du tangram (une sorte de puzzle géométrique). Ludique et modulaire, la plateforme de jeux d’Anna Barham accueille une programmation intense de rencontres, de performances et de jeux conçus par de jeunes artistes à raison de trois fois par semaine pendant les trois mois du festival. Il s’agit de faire vivre le festival avec des gestes parfois très simples qui demandent souvent une participation active du public. En faisant cette programmation, j’ai aussi réalisé à quel point le jeu sous toutes ses formes – jeux de mots, jeux de rôles, jeux du hasard, jeux traditionnels revisités, etc.- demeure un enjeu dans la création contemporaine. Associé pour la deuxième fois au Nouveau festival, VIDEODANSE, en partenariat avec le Centre national de la danse (CND) intègre la programmation. Peux-tu nous en dire un peu plus ? Nous invitons pour la deuxième fois Valérie Da Costa comme commissaire extérieure de Vidéodanse à concevoir une programmation de films et de rencontres autour de la question du jeu chorégraphique. La nouveauté par rapport à l’année dernière, c’est qu’il y aura également des spectacles live qui se tiendront au sein de l’Espace 315.

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ENTRETIEN

Revenons sur le concept de « laboratoire » du Nouveau festival comment prend-il forme ? Nous invitons des artistes à expérimenter avec différentes formes, que ça soit en créant de nouvelles pièces ou en adaptant des œuvres existantes au contexte du Nouveau festival. Le concept de laboratoire implique aussi la liberté, autant pour nous que pour les artistes, de faire des essais, de tester, de spéculer... Nous souhaitons également donner aux artistes un accès au Centre Pompidou et à ses ressources comme un outil où ils peuvent puiser à leur guise, selon les projets. Je songe par exemple à la rétrospective immatérielle du Centre Pompidou proposée l’année dernière par Alexandra Pirici et Manuel Pelmus à partir de nos collections ou encore au projet de Simon Fujiwara inspiré de la « gerberette », élément architectural du bâtiment conçu par Rogers et Piano.

ordinateurs mais comme il s’agit ici de jeux qui ont des dysfonctionnements (accidentels ou provoqués), la plupart du temps c’est la machine qui joue contre elle-même, en boucle ! Quelles sont les ambitions du Nouveau festival pour les éditions futures ? Notre ambition est de préserver une grande réactivité et de rester au plus près de la création contemporaine, en testant à chaque fois de nouveaux formats d’exposition, au croisement des disciplines.

Quelle place pour l’art numérique ? Il y a une quantité d’œuvres d’art numérique dans le cadre du Musée du Bug de Julien Prévieux dans la galerie Sud. Quelques jeux sont même mis à disposition du public à travers des

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LIVRES

TEXTE JORDAN ALVES ILLUSTRATION JEN SALVADOR

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LIVRES

American Desperado, American Gringo J

on Roberts était un mec de New York un peu impulsif quand il était gosse. Il avait de légers problèmes dans la gestion de sa colère qui le rendait un peu agressif. Juste un peu. On est en Amérique, et là-bas tout prend des proportions taille menu XXL de chez McDo, et donc, Jon est devenu un affranchis à New York. Un gangster sauce Robert de Niro, le costard en soie bleu ciel en moins. Pour gagner un peu d’oseille et se faire zizir le samedi soir, Jon Roberts nous explique dans ce livre incroyable qu’il a du faire des petits boulots par ci par là: briser quelques phalanges, éclater des bouboules ou casser des jambes. De fil en aiguille, Jon est malin et dégotte des plans pas crados qui l’installent dans le business un peu louche du crime organisé. Progressivement, il monte dans la hiérarchie de la pègre, pour finalement s’exiler à Miami et devenir le plus grand importateur de cocaïne des États-Unis, numéro 1 américain du cartel de Medellin.

manières de monter un empire de la drogue, sur les techniques mafieuses pour soudoyer un juge ou arroser un flic, et sur les bienfaits de la cocaïne dans les soirées entre amis. Bien que le journaliste Evan Wright soit à l’origine du projet et participe à sa rédaction avec Jon Roberts, le livre dépasse très rapidement le format standard des questions/réponses. Les questions étant surtout là pour structurer le récit, l’augmentant parfois des témoignages de proches ou de la famille du gangster. Ce livre est un scénario de film prêt à être réalisé, une histoire qui se lit à la vitesse de lumière et qui fait rêver. Rêver d’avoir le courage et l’inconscience de ces types-là, ces malfrats plein aux as qui finissent toujours mal et à qui on ne ressemblera jamais. Fuck.

La lecture de ce témoignage unique est tout simplement folle. On découvre au fil des pages un personnage atypique pour qui l’american dream à fonctionné parfaitement, mais du côté sombre, celui de la violence et du crime. L’auteur révèle des détails à peine croyables sur les

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American Desperado de Jon Roberts et Evan Wright Livre de Poche, février 2015


LIVRES

Le salon du Livre 2015 E U G É N I E M A RT I N A C H E

L’endroit est immense et multicolore, on y entend le son des émissions de radio qui battent leur plein. J’aime le Salon du Livre, c’est un endroit où plane une atmosphère particulière, de rêve et de voyage. L’édition 2015 met le Brésil à l’honneur, de grandes tentures vertes et jaunes ornent les stands et donnent au Salon un goût d’exotisme. Petit tour d’horizon.

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LIVRES

Des couvertures de couleur, cartonnées, tantôt brillantes, tantôt mates, parfois nervurées, parfois – c’est la tendance en ce moment – douces comme du coton, ornent les rayons du Salon. Je les effleure de mes doigts timides et finis par les prendre carrément à pleines mains et me plonger dedans. Les petits poches sont là aussi, mais on n’y fait moins attention. On a envie d’un livre tout beau tout neuf ici, et – comble du chic – dédicacé. Les auteurs sont là, ils nous attendent. Les stars sont acculées de fans, on se bouscule pour avoir quelques pattes de mouches griffonnées à l’encre sur la première page de son livre fraichement acheté. Tandis que les autres auteurs, inconnus au bataillon, il faut bien le reconnaître, attendent patiemment qu’un lecteur montre le bout de son nez. Il y a cela terrible au Salon du Livre. Les conférences sont bourrées à craquer, éclectiques et passionnantes.

pourtant sa candeur d’antan et reste l’endroit de paix et d’insouciance où les enfants sont rois. Cette année, une exposition très rigolote se tient au stand de l’Ecole des Loisirs à l’occasion du cinquantenaire de la maison d’édition. Malgré les évolutions, le Salon du Livre reste l’endroit de tous les possibles, de toutes les aventures. Je repars des images plein la tête et les bras encombrés de bouquins qu’il me tarde de dévorer.

Il y a aussi des sujets plus sérieux qui circulent entre les allées du Salon. On parle des maisons d’édition qui snobent l’édition 2015 pour raison économique et de la marche des auteurs en colère qui crient au scandale : les droits d’auteurs sont fragilisés et leur revenu baisse par-dessus le marché. Le Salon du Livre garde

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MUSIQUE

STRYPER : SATAN, LAMBORGHINI ET ­JESUS CHRIST. LOVE GERARD

En pleine décadence glam métal 80's, un groupe a refusé le pacte avec le diable. Son nom? Stryper. Retour sur un phénomène pop typiquement américain.

P

ermanentes peroxydées, collants léopard, guitare japonaise à triple manche, santiags à franges, et ­attirance pour l’imaginaire heroic fantasy: Oui, dans la pop culture, le heavy métal n’a jamais été pris au sérieux. Plus encore quand on s’intéresse à sa branche « bijoux fantaisie »: le Glam Metal FM. Courant musical catapulté par un MTV encore balbutiant et ultra blanc (il faut attendre 1983 et le « Billy Jean » de Jackson pour y voir un noir), le glam métal va traumatiser une grande partie de la jeunesse reaganienne. Une bande de mecs habillés en putes d’Europe de l’Est, option collant résille et guitare en forme de hache, débarque dans les charts. Avant elle, les groupes Kiss, AC/DC ou Alice Cooper avaient déjà surfé sur la thématique de l’occulte.

La vague Glam Métal reprend ce satanisme de pacotille, et année 80 oblige, y ajoute des Lamborghini couleur pourpres dans ses vidéos. À ce petit jeu, ce sont évidemment les Californiens de Mötley Crüe qui remportent le titre. Quand ils sortent leur morceau Shout to the devil, c’est toute la jeunesse blanche américaine qui tombe sous le charme de ce nouveau satanisme glamour. Après eux, des centaines de groupes vont leur emboiter le pas, en surenchérissant, laissant pantoise toute l’Amérique conservatrice. Face à cela, un seul groupe fait figure de curiosité: Stryper. Le premier groupe de glam métal chrétien. Le noyau dur créatif de Stryper, ce sont les frères Sweet : Michael à la guitare et au chant, et Robert à la batterie.

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MUSIQUE

Les frangins sont nés à Orange County, Californie, dans une famille aimante, couvante, et aux bonnes moeurs de droite conservatrice.

Rejoint par Timothy Gaines à la guitare, luimême fils de pasteur, le groupe vit sa conversion à Jésus, et se renomme Stryper.

C’est devant le show fiévreux du télévangéliste star Jimmy Swaggart, qu’ils embrassent la foi, et prêtent allégeance à Jesus Christ notre sauveur.

Le nom fait allusion à un verset de la Bible, Isaïe 53 : « By His stripes we are healed » (« Par ses meurtrissures, nous sommes guéris »). Ces saintes paroles seront visibles sur chaque pochette de leurs disques. Le groupe arbore aussi d’excentriques costumes en skaï ornés des bandes jaunes et noires, une référence aux coups de fouet que reçu le messie de la part de Ponce Pilate. Il utilise aussi le chiffre 777 par opposition à 666 (le 7 représente la perfection divine).

1981: Sous le nom de Roxx Regime, les frères Sweet se font la main. Il ouvrent alors la scène pour des groupes pas très portés sur la théocratie et le mode de vie monacal: Bon Jovi, Ratt, Poison, Mötley Crüe ou encore le Metallica du début.

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Si Stryper est un délire typiquement américain, le groupe va vendre des centaines de milliers d’albums et se révéler un véritable phénomène. Entre 1984 et 1990, le groupe donne des shows à grand renfort de pyrotechnie dans tout le pays. Le clou du spectacle a lieu en 1986 lorsque le groupe jette à la foule des bibles avec autocollant « Stryper » par centaines (ce qui coute des milliers de dollars par soir). Des disques sortent, avec des pochettes incroyables telles celle de To Hell With The Devil, et des morceaux d’anthologie comme Calling on you ou Always there for you.

Évidemment, devant ce succès les groupes adorateurs de Satan vont se foutre de la gueule de nos jésuites en spandex. Ce sont les sodomites de WASP, acronyme de We Are Sex Pervert, auteurs de morceaux comme « Animal (fuck like a beast)», qui vont être les plus virulents. Les WASP sont le groupe glam à l’opposé de Stryper : ils boivent du (faux) sang dans des crânes, s’adonnent à de multiples perversions et sont alcooliques notoires. Ironie du sort, des années plus tard, le chanteur de WASP, Blackie Lawless, se convertira et

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dira:« J’ai été perdu, je suis né de nouveau. J’ai retrouvé ma foi chrétienne. » Il a fait siennes les paroles de Saint Daniel: « Je me chercherai un Dieu, pour tout me pardonner ». Dans le camp adverse, même Jimmy Swaggart, celui qui a donné la foi aux frères Sweet, n’a pas tenu sa ligne de conduite pro-Jésus: il a été vu en compagnie de prostituées à La NouvelleOrléans, et a escroqué nombre de ses disciples. Accusé par les catholiques de ne pas être un vrai groupe chrétien, moqué par les fans de métal, Stryper est seul sur sa ligne: « Nous devons tellement au pouvoir de Dieu, et nous ne voyons pas pourquoi ses vertus ne pourraient pas être transmises par la plus grande musique

qui soit, le heavy métal ». Au final, on ne peut être qu’admiratif face au combat mené par les des mecs de Stryper. Être chrétien, c’est une chose. Mais être chrétien, faire partie de la scène glam rock FM en pleine décadence et trainer avec Mötley Crüe ou David Lee Roth: cela est juste incroyable. Résister à la tentation de la chair facile de jeunes groupies en mini-short de jean, refuser la cocaïne par saladier entier, ne pas boire des litres d’alcool gratuits. Cela mérite le respect éternel. God bless Stryper.

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JUIN/AOUT MMXV - NUMÉRO ONZE

M E R C I POUR VOTRE PATIENCE, LE SOLEIL, L’ÉTÉ, NASSER, LES AMIS, CEUX QUI NOUS AIMENT, ET MÊME LES BLAIREAUX QUI PEUVENT PAS NOUS ENCADRER, M SELLEM

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