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ART

de dionysiaque contre le cogito cartésien et replace le corps et la sensation au fondement de l’humain5. Ainsi Husserl fait émerger le Leib, c’est-à-dire le corps vécu, sensation éprouvée qui émerge dans le contact des mains entre elles. Cet excursus permet d’entrevoir une nouvelle subjectivité née de la déconstruction du sujet cartésien fondé sur la raison. Cette nouvelle subjectivité bien sûr refuse de se nommer comme telle, ultime désaccord avec le père assassiné. Ce sujet post-moderne qui aurait refusé de « s’assujettir » selon le mot de Deleuze, pourrait être, le dionysiaque nietzschéen, le Leib husserlien, la chair de Merleau-Ponty, le Corps sans Organes deleuzien. Ainsi ce qui se joue dans l’art brut de sa naissance à sa disparition n’est-il pas profondément lié à cette histoire du sujet ? De cette irrationalité que désigne l’art brut à l’importance accordée à la sensation propre aux nouvelles définitions du sujet post-moderne, il y aurait peut-être Le Mur, l’exposition présentée à la Maison rouge à l’été 2014 qui dévoile une partie de la collection d’Antoine de Galbert et annihile la possibilité d’une histoire de l’art, comme la création interne de catégories en marge. Les œuvres d’Antoine D’Agata fréquentent celles d’ Aloise, comme de Jan Fabre ou de Madge Gill. Si le décloisonnement de l’art brut n’est pas vraiment nouveau le dispositif d’exposition, quant à lui, retient l’attention. L’accrochage des œuvres a été livré au hasard calculé d’un algorithme informatique. La médiation discursive a disparu. Aucun cartel ne rappelle au visiteur le nom des auteurs ni même les affres de leur 5 Heidegger dans Nietzsche. (Tome 1. Traduit de l’allemand par Pierre Klossowski. Paris, NRF Gallimard, 1971) estime que le philosophe de Bâle a redéployé la subjectivité dans le champ du sensible.

existence au côté des œuvres, devenues ainsi anonymes, sans contexte historique, ni terre d’origine. C’est donc la sensation, l’esthétique si l’on s’attache à l’étymologie du terme, qui est au cœur du dispositif de monstration des œuvres. Henri Maldiney, contemporain de Deleuze définit l’art comme étant « la vérité du sentir »6. L’œuvre d’art n’est pas le résultat de l’expression d’un artiste mais un lieu destiné à l’expérience du sentir. Le sentir ici est la sensibilité même, c’est-à-dire l’activité par laquelle apparaissent le monde, et le corps vécu dans le monde, sans distinction objectivante du monde par rapport au corps vécu. Sentir n’est pas percevoir, parce qu’il n’y a pas de dimension intellectuelle qui identifie des éléments et des espaces en vue d’une action sur les objets du monde. Cet effacement progressif de la notion d’art brut qui accompagne cet engouement actuel invite sans doute à considérer l’œuvre d’art sous ce prisme du sentir. Si l’œuvre d’art est dans la perspective de Maldiney un lieu où se révèle notre sensibilité, et pas seulement l’objet d’un savoir discursif, alors peut-être que d’une certaine façon c’est le brut qui l’emporte d’abord par le regard du visiteur débarrassé un instant de ce désir d’érudition habituel qui l’invite à considérer les cartels avant les œuvres.

6 Henri Maldiney, la vérité du sentir, in art press n° 153, décembre 1990. p 17

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