Les musées de l'Institut de France

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Florian MARCO École du Louvre

Musées, gestion déléguée et curiosité institutionnelle de l’Institut de France Année 2006 - 2007 Mémoire de muséologie Sous la Direction de Jérôme Fromageau


REMERCIEMENTS

Pour leurs précieux conseils, leur aide directe ou indirecte, que soient ici chaleureusement remerciés : Mme Claire Barbillon Directrice des études de l’école du Louvre M. Jérôme Fromageau Vice doyen, directeur du département de la recherché de l’université Paris XI Mme Isabelle Bador Coordinatrice du 2e cycle, école du Louvre M. Nicolas Sainte-Fare-Garnot Conservateur du musée Jacquemart-André M. Olivier Gabet Conservateur du patrimoine, musée d’Orsay, département arts décoratifs M. Stéphane Roisin Directeur du château de Langeais Mlle Alice Marquaille M. Bruno Portier M. Gaëtan Marco M. Pierre-Louis Françon M. Christophe Beyeler Conservateur du patrimoine, musée national de Fontainebleau M. Amaury Lefebure Conservateur général du patrimoine, musée national de Malmaison M. Huber Dagry Mme Bobet-Mezzalma Conservateur du Patrimoine, Bibliothèque Nationale de France Mlle Marie Gouyon M. Lionel Bourcey MM. Muriel et François Marco

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AVANT PROPOS

Au sortir d’une formation en histoire de l’art, j’ai choisi d’aborder une étude administrative et juridique afin de mieux appréhender les dynamiques qui croisent l’histoire de l’art au sein du musée. L’objectif de cette etude n’est pas d’espérer concurencer le juriste sur son terrain, mais d'en saisir les outils, dans une perspective muséologique, concentrée sur la mise en valeur et la préservation du patrimoine. Cette approche fut riche d’enseignements, car jalonnée d’obstacles, dont le premier fut la complexité juridique propre à l’Institut de France, sujette à controverse jusqu’au Conseil Constitutionnel lui même. Les réformes, entreprises depuis 1999 n’ont apporté leur clarification que le 11 Mai 2007, mettant fin à une confusion sans égale dans l’administration de l’établissement comme dans l’esprit de celui qui se prennait à la comprendre. Cette réforme, prépondérente dans l’évolution de l’Institut est la plus conséquente depuis les règlements de 1924. Elle témoigne de l’importance des questions normatives, et ne pouvait être ignorée dans cette étude nécessairement actuelle. La connaissance des problématiques liées à la gestion et à l’administration des musées de l’Institut de France est limitée par une bibliographie très restreinte, marquée par l’absence d’études spécifiquement consacrées à ce patrimoine très original, autre que sur le plan de l’histoire de l’art. Le petit volume de André Damien paru en 1999 est la seule référence directe d’un sujet méconnu, bien qu’elle ne se concentre pas directement sur l’administration et la gestion, mais les englobe dans un texte très général. Rédigé par un membre de l’Institut sur le mode du parti pris exclusif et de l’implication personnelle, ce texte est peut-être l’éloquent emblème de la bibliographie relative à l’Institut de France, très majoritairement l’œuvre de membres de l’Institut. Si cette forte représentation souligne le formidable esprit de corps qui caractérise cette Compagnie ainsi que leur attachement profond des académiciens pour son patrimoine, elle souligne aussi la culture du secret qui drape traditionnellement les affaires du Quai Conti, renforcé par la parution d’articles de presse très critiques à l’égard de l’institution depuis la

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décénie 1990. Ce mutisme volontaire a été la principale difficulté qui a contrarié la réalisation de ce travail, attestant de sa vivace actualité. Après avoir refusé de répondre à d’éventuelles questions de ma part, les services administratifs de l’Institut de France m’ont fait savoir par écrit que les personnels des musées n’auraitent pas l’autorisation d’apporter leurs soutiens et leurs informations à la présente étude. Privé de cette ressource, ce travail initialement prévu pour étudier les musées de l’Institut dans leur globalité, s’est ainsi vu doublé d’un second objet : celui de la gestion déléguée, qui nous a avantageusement permis de respecter les exigences du directeur des services administratifs de l’établissement public, tout en apportant à cette présentation générale, l’examen du mode de gestion le plus innovent des musées de l’Institut, dont l’appréhension s’enrichit naturellement d’une situation et d’une contextualisation. L’approche historique qui complète ce travail est enfin dictée par la nature complexe d’une institution ancrée dans l’histoire et marquée par une très forte aspiration à la pérénnité. Le choix de l’examen relatif à la délégation de gestion a de même été encouragé, d’un point de vue plus général, par l’implication grandissante des professionnels du secteur privé au sein des musées. Un examen exhaustif, global, et public du patrimoine de l’Institut reste à entreprendre. L’Institut de France aurait grand intérêt à encourager la réalisation de travaux extérieurs, qui ne pourraient qu’attester de son ouverture sur le monde.

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SOMMAIRE

REMERCIEMENTS AVANT PROPOS SOMMAIRE INTRODUCTION

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I – L’INSTITUT DE FRANCE, UN ÉTABLISSEMENT SINGULIER 1. Une histoire conséquente 1.1. Des origines anciennes 1.2. Naissance des académies royales 1.3. Tempête sur les académies royales, naissance de l’Institut 2. Nature juridique de l’Institut de France 2.1. Textes fondateurs et personnalité juridique de l’Institut de France 2.2. Statut juridique actuel 3. Administration et gestion centrale 3.1. Organisation administrative de l’Institut de France 3.1.1. Administration des académies 3.1.2. Organes scientifiques et formels de l’Institut 3.1.3. Organes décisionnels et exécutifs de l’Institut 3.2. Organisation financière et comptable 3.2.1. Du règlement financier de l’Institut et des ordonnateurs 3.2.2. Du contrôle

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II – UN PATRIMOINE MUSÉAL D’EXCEPTION 1. Présentation générale du patrimoine de l’Institut 1.1. Le système du don 1.2. Un patrimoine multiple 1.2.1. Les valeurs mobilières 1.2.2. Le patrimoine immobilier et artistique

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2. Hétérogénéité et cohérence du parc muséal de l’Institut de France

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2.1. Variété des musées de l’Institut

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2.2. De la cohérence d’un ensemble complexe

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3. Bénéfices et obligations

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3.1. La libéralité, un acte de confiance

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3.2. La forme administrative de la fondation

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3.2.1. Origines et principes de la fondation

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3.2.2. Statut des collections

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III – L’EXPERIENCE DE LA GESTION DÉLÉGUÉE DES MUSÉES DE L’INSTITUT DE FRANCE 1. Une solution nouvelle

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1.1. Contexte

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1.2. Un tournant

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1.3. Principe de la délégation de gestion muséale

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2. Application des systèmes de la délégation de gestion aux musées de l’Institut

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2.1. Les opérateurs

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2.2. Méthodes de la gestion déléguée

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3. Vers un bilan

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3.1. Résultats

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3.2. Un modèle de gestion ?

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CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXES Textes

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Chronologie

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INTRODUCTION

Les musées de l’Institut de France rassemblent des caractéristiques peu communes dans la tradition muséale française. Légués par des collectionneurs privés, les musées de l’Institut de France sont assortis de charges, puis érigés en fondation. Doté d’une personnalité juridique exceptionnelle, l’Institut de France est la première fondation de fondations, à l’instar des plus récentes Fondation de France et Fondation du Patrimoine. La nature, l’administration, la gestion de ces musées résulte de ce protocole inauguré en 1884 par le duc d’Aumale, qui en posa les bases en léguant à l’Institut le premier de ses musées, le domaine de Chantilly, riche de l’important musée Condé. Dotés d’extraordinaires caractéristiques administratives peu communs dans le cadre d’un établissement public, les seize musées de l’Institut de France et des académies composent un extraordinaire ensemble patrimonial. Associé à la rare expérience, dans le domaine du patrimoine, de la délégation de gestion pour quatre d’entre eux, cet ensemble complexe appelle, par les riches enjeux administratifs qui le sous-tendent, une étude muséologique. L’examen des problématiques actuelles de la gestion et de l’administration des musées de l’Institut ne s’appréhende qu’associé à l’examen de leur nature particulière, de leur histoire commune féconde et riche de sens. Légués par de riches amateurs d’art, les collections, demeures, châteaux et domaines qui composent l’ensemble, sont autant le fruit d’un acte de générosité, que celui de la nature de leur bénéficiaire, l’Institut, dont les origines historiques, les

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missions, la nature juridique sont les fondements. La situation actuelle de cet ensemble est indissociable de son origine, celle de ces donateurs comme de son propriétaire. Actuelle réunion des cinq académies, le « parlement des savants », créé à l’initiative de la Convention Nationale en 1795, rassemble des forces multiples, qu’Ernest Renan exalta en son temps avec ferveur « L’Institut est une chose propre à la France. Plusieurs pays ont des académies qui peuvent rivaliser avec les nôtres pour l’illustration des personnes qui les composent et l’importance de leurs travaux : la France seule, a un Institut, où tous les efforts de l’esprit humain sont comme liés en un faisceau, où le poète, le philosophe, l’historien, le critique, le mathématicien, le physicien, l’astronome, le sculpteur, le peintre, le musicien peuvent s’appeler confrère ». Construction née des idéaux de la Révolution et héritière des traditions académiques de l’Ancien Régime, l’Institut cumule les complémentarités, et s’enrichit de leurs paradoxes. Ainsi l’Institut est l’espace de convergence, dès son origine, de l’initiative privée et de la puissance publique ; de l’individu et du groupe. Conçu comme un contre pouvoir par ses architectes, tout juste marqués par l’expérience politique de la Terreur, l’acquisition d’un patrimoine propre permis par ce traditionnel appui dans le secteur privé, fut pour l’Institut la garantie de ne pas dépendre du pouvoir politique. Ni le patrimoine artistique de l’Institut, partie intégrante d’un plus ample patrimoine, ni les modalités de sa gestion actuelle, ne peuvent être appréhendés sans être situés au sein de l’histoire et des fondements de l’Institut, comme au sein d’un patrimoine multiple. Au carrefour de problématiques diverses et spécifiques, ce sujet implique une approche plurielle que le recourt au droit, à la gestion, à l’histoire et à l’histoire de l’art éclairent de façon complémentaire et cohérente dans une perspective globalisante : celle de la muséologie.

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I - L’INSTITUT DE FRANCE, UN ÉTABLISSEMENT SINGULIER

1. Une histoire conséquente

1.1. Des origines anciennes De son apparition au cours du Ve siècle av. J.-C. dans la Grèce antique, à la fin du Moyen-Âge, le principe de la réunion régulière, en un lieu, d'intellectuels ayant pour but de mettre en commun et faire progresser leurs connaissances, demeura sensiblement le même. Née sur les terres du lieu dit Akademos, du nom du héros local dans la proche périphérie d'Athènes autour d'Hipparque de Pisistrate, la première société d'hommes d'esprit survécu au penseur et emprunta son nom au lieu qui en abritait le gymnase. Le principe de cette société était d'échanger, discuter et disputer de sujets essentiels, sur les simples bancs du jardin. La fortune de cette idée toucha les générations suivantes : Platon s'entoura lui aussi d'une société portant le nom d'Académie1. Le bassin méditerranéen entier vit enfin fleurir au cours de l'antiquité des académies comme l'Académie ptolémaïque d'Alexandrie, l'Académie des califes arabes abbassides et omeyyades d'Espagne ou encore l'Académie des juifs.

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Circa 388 av. J.-C. L'académie de Platon est une structure ressemblant à une école. Pour cette raison la littérature consacrée à l'histoire des académies ne la retient pas toujours.

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La Renaissance carolingienne puisa dans la tradition antique de l'académie car comme elle en redécouvrit pour part les formes artistiques. L'Académie palatine2, massée autour d'Alcuin, et dont l'empereur lui-même était membre, en attesta. Les académiciens carolingiens poussaient le goût de la référence à l'antique jusqu'à emprunter, pour se nommer entre eux, les noms de leurs auteurs anciens favoris. C'est dans la Florence du Quattrocento que l'histoire des académies marque son entrée dans les temps modernes sous l'impulsion du philosophe Marsile Ficin (1433-1499) dont l'Academia 3 fut inaugurée en 1459 sous le règne de Cosme le Medicis. Constituée de philosophes, d'érudits et de scientifiques, marquée par la pensée néo-platonicienne, l'Academia fut aux avant-postes des débats fondateurs de la Renaissance, et su diffuser ses idées auprès des communautés d'artistes et d'intellectuels et des princes. L'Academia fut aussi la source d'une foule de répliques municipales dans les états d'Italie comme l'atteste l’Academia Olympica de Vicence 4 dont Andrea Palladio — qui la dota en 1579 du théâtre olympico — fut l'un des initiateurs. L'Académia se déclina aussi à Florence-même en diverses formules spécialisées, dont la fondamentale Académie du dessin fondée par Giorgio Vasari en 1563. Diderot le note à l'entrée "Académie" de l'Encyclopédie : "l'Italie seule a plus d'académies que tout le reste du monde ensemble. Il n'y a pas une ville considérable où il n'y ait assez de savants pour former une Académie, et qui n'en forme une en effet".5 Le mouvement toucha bientôt l'Europe entière qui s'élança de façon généralisée dans des entreprises du même type entre la fin du XVIe et la fin du XVIIIe siècle. On dénombre 270 créations d'académies entre 1600 et 17996. Pour n'en citer que les plus insignes il convient d'évoquer la Société des sciences de la cour brandebourgeoise fondée en 1700 à l'initiative de Leibniz ; la Royal Academy de Londres consacrée à la peinture, qui depuis 1771, date de son ouverture présidée par le peintre Joshua Reynold, se trouve à la tête d'une riche collection ouverte au public. L'Académie impériale de Saint-Petersbourg illustre la manifestation orientale du même phénomène : elle fut fondée par Catherine de Russie en 1726 selon les volontés du Tzar Pierre le Grand mort un an plus tôt. Ce dernier avait pris connaissance de l'utilité et du prestige propres aux académies lors d'un voyage en France effectué en 1717. Les formes premières de la démarche académique sont les modèles naturels des académies modernes. Les intellectuels français modernes y ont puisé l'essence de leur démarche, et 2

Fondée à Aix-la-Chapelle en 785. Aussi nommée Academia Careggi, du nom de la villa des environs de Florence, offerte à la compagnie par les Medicis. 4 L'Accademia Olympica fut ouverte en 1555 à Vicence. 5 DIDEROT volume 1 de l'Encyclopédie (A - Azymites), Paris, 1751. 6 Recensement disponible sur le site Internet www.scholary-society.org 3

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l'esprit de leurs constructions académiques. La filiation antique est soulignée dans la majeure partie des écrits consacrés à nos académies françaises. Le devoir de cette brève introduction historique est de replacer les académies constitutives de l'actuel Institut de France au sein d'un mouvement global européen moderne, devenu tradition.

1.2. Naissance des académies royales La France vit s'établir à la fin du XVIe siècle deux éphémères académies. La première, fondée puis dirigée par Antoine de Baïf fut reconnue par Charles IX en 1570, et porta le nom d'Académie française de poésie et de musique. Héritée de celle-ci, la seconde, nommée Académie du Palais, fut temporairement installée au Louvre sous Henri III. Bien que proches du pouvoir, leur existence fut précaire. Elles ne connurent en tout cas pas l'extraordinaire équilibre entre initiative privée et puissance publique qui présida à la naissance de l'Académie française, futur modèle de l'ensemble des académies formant l'actuel Institut de France. Un groupe informel se forma à Paris, autour de 1630 sous l'impulsion de lettrés tels Desmarets, Habert, l'abbé de Cerisy. L'un d'eux, Boisrobert, fit part de l'existence de cette société au cardinal Richelieu, qui décida immédiatement de la changer en un corps placé sous l'autorité de l'Etat. Le ministre, devenant le premier protecteur de l'Académie, soumit à la signature de Louis XIII son projet. Les lettres patentes du 29 Janvier 1635 marquèrent la naissance de l'Académie française. Le Parlement de Paris en enregistra la création et les statuts le 10 Juillet 1637. Les académiciens, qui acceptaient timidement l'offre de Richelieu prêtèrent bientôt leur savoir aux objectifs précis que ce dernier leur assignait : la production d'un dictionnaire, l'élaboration d'une grammaire. Les académiciens étaient désormais chargés de travailler "à donner des règles certaines à notre langue, à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences"7. Une activité critique fut aussi réclamée par leur protecteur aux académiciens, qui se montrèrent à cet égard soumis aux goûts du cardinal. L'indépendance de l'Académie n'était donc pas innée. L'avenir montra, que le passage de la sphère privée à la sphère publique n'induit pourtant pas inévitablement sa sujétion par le pouvoir. Premier signe d'autonomie : l'Académie survécu sans encombre à la mort de son inspirateur et protecteur, en trouvant son successeur en la personne du chancelier Séguier à partir de 1662. La première académie royale trouvait ainsi les premières solutions garantes de sa pérennité, en réglant également à partir de 1672 les modalités de remplacement de ses membres dont le nombre est fixé à quarante dans

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Article 24 des statuts de l'Académie française, rédigés par Valentin Conrart.

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ses statuts : ils seront élus par leurs pairs et non plus nommés par le roi. Le règne de Louis XIV fut aussi celui des académies royales. L'Académie royale des beaux-arts constituée en 1648 par un groupe d'artistes, était consacrée à l'étude et l'apprentissage de la peinture, de la sculpture et de la gravure8. Son accès ne dépendait ni d'une élection, ni d'une nomination mais d'un prestigieux concours. Cette particularité vint du fait que cette Académie se bâtit en réaction aux corporations qui dominaient jusqu'alors le commerce de l'art et ses carrières. La création de l'Académie des beaux-arts répondit aux aspirations nouvelles des peintres à se défaire des contraintes des corporations et à s'affranchir notamment de l'exorbitante tutelle de la maîtrise, héritage médiéval, et conquérir un statut libéral. La conquête d'une liberté nouvelle s'appuyait à l'académie d'une fonction pédagogique basée sur les méthodes de l'illustre Académie des Incaminati bolonaise. Soutenu par le surintendant Jean-Baptiste Colbert, le peintre Charles Lebrun entrepris entre 1663 et 1667 une profonde réforme de l'institution. Le rôle doctrinal de l'Académie fut affirmé, et sa nature publique et officielle soulignée par une organisation hiérarchisée, par une formalisation de ses activités. L'Académie de France à Rome complète à partir de 1666 la formation des peintres reçus à l'Académie. Les académies de musique (fondée en 1769), puis d'architecture (fondée en 1671) renouvelèrent sur son modèle la formation auprès des autres formes d'art, et simplifièrent la réalisation des commandes du pouvoir dans leurs domaines respectifs. Le rayonnement de l'Académie royale des beaux-arts fut européen. En 1663 Colbert sollicite la construction d'une autre compagnie, dévouée à la composition des devises latines alors apposées sur les médailles, vecteur de communication privilégié du pouvoir destiné à célébrer les événements du règne. "Travailler aux inscriptions, aux devises, aux médailles et à répandre sur tous les monuments le bon goût ou la simplicité qui en font le véritable prix" , telle fut la mission confiée à9 d'éminents érudits, issus dans un premier temps de l'Académie française — Boileau et Racine en furent membres — puis plus nettement spécialisés dans la discipline historique et les lettres anciennes à partir de 1616. A son origine constituée sous le titre de "petite académie", l'Académie royale des inscriptions et des belleslettres prit son nom définitif en 1716, soulignant sa vocation complémentaire : l'étude des humanités. L'Académie royale des sciences procéda de même, de la volonté de Colbert qui choisit en 1666 de monter l'un de ces cercles informels scientifiques qui animait le XVIIe siècle en Académie. La bibliothèque du roi nouvellement installée rue Vivienne fut prêtée deux fois par semaine à ce 8 9

A partir de 1651. A. DAMIEN l’Institut de France, PUF, 1999, p.9.

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groupe composé d'une vingtaine de savants, qui poursuivirent leurs activités sans l'encadrement de statuts jusqu'en 1699, date à laquelle Louis XIV lui conféra le titre d'Académie royale et l'installa au sein du palais du Louvre. Le nombre de ses membres s'étendit à soixantedix. Espace d'échanges et de débats, cette Académie n'eut pas à son origine de missions précises. Ce n'est qu'à partir de 1785, sous la direction du chimiste Lavoisier, que le corps de savants se structura en spécialités. L'Académie n'en fut pas moins l'architecte d'importants recueils de machines et d'inventions, qui contribuèrent naturellement à la réussite des entreprises versaillaises comme aux réussites militaires du XVIIIe siècle10. Si le pouvoir royal suivait de près la naissance des académies, et au besoin les encourageait il est important de noter que ces compagnies — à l'exception notoire de l'Académie des beauxarts rigoureusement soumise à l'autorité de son directeur, aux nécessités du pouvoir et à son mode particulier de sélection — surent conserver pour part le caractère informel et presque intime qui avait animé les initiatives de leurs ancêtres antiques. Les réunions de l'Académie française se produisaient notamment jusqu'en 1672 chez certains de ses membres, tel le chancelier Séguier qui l'hébergea en 1643, cumulant les fonctions d'académicien et de protecteur. L'installation hebdomadaire de la même académie, en 1672 par Colbert dans la salle du manège du Louvre souligne le jeu d'une forte implication de l'Etat qui relaie l'initiative privée initiale. Les combinaisons du pouvoir public et l'initiative privée, de la puissance régalienne et du dynamisme personnel, sont des composantes fondatrices de l'esprit des académies.

1.3. Tempête sur les académies royales, naissance de l'Institut Les XIXe et XXe siècles n'inventèrent pas le principe de l'anti-académisme. Les acteurs de la Révolution française, auparavant, contestèrent les Académies et leur existence même. Les voix qui s'élevèrent alors comptèrent parmi elles celles d'éminents académiciens tel l'abbé Grégoire, ce qui ne fit que précipiter leur fin : "les académies sont gangrenées d'une incurable aristocratie" déclare ce dernier. Puis le peintre David, illustre représentant de l'Académie des beaux-arts de poursuivre en déposant sur le bureau de l'Assemblée Nationale son brevet d'académicien : "je ne l'ai jamais regardé comme le brevet du génie". Les attaques menées de l'intérieur, alliées au contexte politique réformateur de la Convention Nationale mirent fin à la situation que le peintre Gilbert Romme décrivait avec une implacable clarté : "les académies sont des insultes à la Révolution française en restant debout au milieu de toutes les décombres des créations royales". Un décret de novembre 1792 interdisant le remplacement de leurs membres aux Académies 11 ne fit qu'entériner leurs propos. Le 8 Août 1793, à la demande de 10 11

7 volumes furent publiés entre 1735 et 1777. A l'exception de l'académie des science dont les membres étaient demeuré à l'écart du tumulte.

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l'abbé Grégoire, la Convention votait à l'unanimité la suppression des académies. Le 24 Juillet 1794 on semblait définitivement rompre avec la tradition académique avec un dernier décret ordonnant que "les biens des Académies et des sociétés patentées ou dotées par la Nation {fassent} partie des propriétés de la République". Leur confiscation intervint l'année suivante. André Damien avance la thèse12 selon laquelle la "contamination des académies par l'esprit rousseauiste", qui dominait sous la Révolution, était la profonde raison de leur perte. La pensée de Rousseau contestait en effet toute idée de regroupement, cause de perversion de l'individu naturellement bon. La suppression durant la même période des corporations et des jurandes, du barreau français etc., abonde dans ce sens. Mais la création de l'Institut de France, amorcée par la Convention elle-même, ne nie-t-elle pas paradoxalement cette crainte du regroupement ? Car en effet, la suppression des académies s'accompagna en contrepoint et simultanément, d'une construction dont le chantier fut réclamé par la Convention Nationale : le 8 Août 1793, la même assemblée planifiait les deux évènements. Elle confia au Comité d'instruction publique la rédaction d'un "plan d'organisation d'une société destinée à l'avancement des sciences et des arts"13. La Constitution du 5 Fructidor de

l'an III précisait le projet en son article 298, et

avançait le nom d'institut : "Il y a pour toute la République un Institut national chargé de recueillir les découvertes; de perfectionner les arts et les sciences". Les débats autour de la loi sur l'organisation de l'instruction publique adoptée le 3 Brumaire an IV (25 Octobre 1795) furent enfin pour l'historien et conventionnel Pierre Daunou l'occasion de définir avec précision le projet, qui fut adopté par la Convention dans ces dernières séances, et d'expliciter la synthèse de l'héritage royal et de la liberté conquise opérée par la création de ce nouvel établissement : "Nous avons emprunté de Talleyrand et de Condorcet le plan d'un Institut National, 'idée grande et majestueuse dont l'éxecution doit éffacer en splendeur toutes les académies des rois, comme les déstinées de la France républicaine effacent déjà les plus brillantes époques de la France monarchique. Ce sera en quelque sorte, l'abrégé du monde savant, le corps représentatif de la république des lettres, l'honorable but de toutes les ambitions de la science et du talent, la plus magnifique récompense des grands efforts et des grands succès ; ce sera, en quelque sorte, un temple national dont les portes, toujours fermées à l'intrigue, ne s'ouvriront qu'au bruit d'une juste renommée. (...) Là des mains habiles diviseront, répandront, renverseront partout ces trésors de science, de la lumière ; là d'éclairés dispensiateurs des couronnes du talent, allumant de toutes parts les feux de l'émulation, appèleront les prodiges que l'activité française a la puissance et besoin de produire." Rapport de P. Daunou fait à la Convention nationale, séance 3 Brulmaire an IV.

Puis de poursuivre, lors de la réunion solennelle de l'Institut qui se déroula au Louvre le 4 Avril 1796, en exaltant les missions du nouvel établissement : "En pleine possession de la liberté, la 12 13

A. DAMIEN, L'Institut de France, PUF, 1999, P.11. Article 3 du décret.

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République nous appelle pour rassembler et raccorder toujours les branches de l'instruction, reculer les limites de la connaissance, récompenser leurs succès, recevoir, renvoyer, répandre toutes les lumières de la pensée, tous les trésors du génie". L'Institut National des Sciences et des Arts était né. La classe de sciences physiques et mathématiques, celle de sciences politiques et morales et celle de littérature et beaux-arts présentaient la nouvelle répartition des anciennes spécialités académiques. L'organisation de l'ensemble différait de celles des Académies : la communauté entière procédera à l'élection des membres de l'une ou l'autre des classes. Les spécialités jusqu'alors éparses sont ainsi regroupées sous l'égide unique et centrale d'un Institut. Mais la Convention ne lègue-t-elle pas au Directoire une institution qui renouvelle, et renforce la tradition de la société de savants ? Nouveau paradoxe : les artisans de la révolte antiacadémique se pressèrent à la porte de la nouvelle formation, tels Jacques-Louis David ou l'abbé Grégoire. Le Consulat intervint le 3 Brumaire an X pour recomposer les trois classes qui en devenaient quatre, au détriment de la classe de sciences morales et politiques qui disparut, jugée trop critique à l'égard du pouvoir. L'épisode napoléonien sut cependant laisser un souvenir plus heureux au sein de l'Institut, puisqu'une fois empereur, en 1805 Napoléon Ier dota l'Institut du collège des Quatre Nations face au Louvre qui avait servi de premier lieu de réunion. La Restauration levait bientôt toute ambiguïté quant à la troublante ressemblance des classes avec les anciennes académies : dès son accession au pouvoir, de Charles IX restaura l'usage du terme d'académies par le biais de l'ordonnance royale du 21 Mars 1816. En rétablissant l'Académie des sciences morales et politiques, Louis Philippe achevait de créer, sous les conseils de son ministre de l'instruction publique François Guizot, par l'ordonnance royale du 26 Octobre 1832, la configuration de l'Institution que nous connaissons aujourd'hui. L'Institut est une invention sans équivalent. Les objectifs d'une telle construction sont multiples, et s'inscrivent avec logique dans le contexte de sa création. La mise au service des sciences exactes pour la République était l'origine du projet. Afin de mettre un terme à la domination des lettres sur les sciences, on introduisit un nouvel équilibre entre les disciplines. Rassembler les arts, les lettres et les sciences au sein d'une structure centrale permis en effet de les placer sur un pied d'égalité. Quels effets découlèrent de l'émergence de ces classes dans le jeune paysage institutionnel républicain ? Les académies réapparurent de façon indiscutable14. Elles furent aussi renforcées, tant par le fait de leur restauration, que par la nouveauté de leur union. La normalisation, enfin, touchait l'organisation des classes, et l'appréciation officielle d'un Etat prônant l'égale qualité

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des trois classes créées à son profit. Les savants veillèrent cependant très tôt à ne pas être assujettis à un Etat en quête de services. Les dévolutions actuelles de l'Institut sont bien différentes. La réalisation de missions précises s'est muée en une activité consultative, traitant des thèmes les plus divers. L'Institut et les académies prodiguent à la demande des gouvernements ou à sa propre initiative des conseils, émettent des avis et offrent au service de la Nation leur expertise. L'Institut a récemment été amené a se prononcer sur le réchauffement climatique, sur les questions relatives au clônage, etc. Ce travail est mené parallèlement à sa mission originelle de perfectionnement des sciences et des arts, soutenue par une politique d'encouragement à la recherche et aux arts exercée par la distribution de prix.

2. Nature juridique de l'Institut de France À l'instar de son histoire, la nature juridique de l'Institut de France est une donnée primordiale à l'égard de sa progression vers la propriété mobilière et immobilière, et de ses possibilités en matière de gestion.

2.1. Textes fondateurs et personnalité juridique de l'Institut de France L'Institut de France est premièrement le produit d'une constitution écrite, sommet de la hiérarchie des normes de tout État de droit. L'article 298 de la Constitution du 5 Fructidor an III fonde un objet administratif dont il ne définit pas la nature juridique. L'examen de son texte nous révèle pourtant sans conteste un premier élément de définition : il s'agit d'un service public. La loi du 13 Brumaire an VII en précise les missions, et la finalité : "L'Institut national des sciences et des arts appartient à toute la République, il est fixé à Paris, il est destiné d'une part à perfectionner les sciences et les arts par des recherches non interrompues, par la publication des découvertes, par la correspondance avec les sociétés savantes françaises et étrangères ; d'autre part à suivre conformément aux lois et arrêtés du Directoire exécutif, les travaux scientifiques et littéraires qui auront pour objet l'utilité générale et la gloire de la République". Ce service, destiné à la nation reçoit pour sa réalisation l'affectation annuelle d'un crédit sur les fonds de l'Etat afin de financer

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À l'exception de la classe de sciences politiques et morales, crée de toutes pièces par la Convention nationale.

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l'intégralité de ses dépenses en personnel et en matériel. Service de l'Instruction publique, simple rouage de l'Etat, l'Institut, exploité selon le système de la régie directe était partie intégrante de l'administration. De fait, cette nature première ne lui concédait donc pas de personnalité juridique. Très tôt cependant, le législateur envisage l'attrait possible d'une indépendance juridique des établissements d'instruction publique, auquel l'Institut est attaché. L'article 43 de la loi du 11 Floréal an X édicte : "Le gouvernement autorisera l'acceptation des dons et fondations des particuliers en faveur des écoles ou de tout autre établissement d'instruction publique". Plus que tout autre établissement d'instruction publique, l'Institut sut tirer profit de ce texte, qui posait deux principes fondamentaux dans l'histoire de l'Institut, comme de ses académies : celui de sa capacité à établir un patrimoine propre par le biais de libéralités issues de personnes de droit privé, et par extension celui de sa personnalité juridique, sans qui la propriété de biens propres est impossible. Dès 1901, Louis Aucoc15 relevait l'ampleur des conséquences liées à l'autonomie juridique : par ce biais, le donateur potentiel savait que le fruit de sa générosité ne sera pas dilué dans l'administration toute entière. La distinction est de taille dans un siècle qui vît se succéder les crises et les régimes politiques les plus divers. La personnalité juridique apparaît dans cette optique comme un gage essentiel de garantie, et de confiance. Ce goût et cette exigence pour l'indépendance de la part de l'Institut et de ses membres, particulièrement prégnant dans le domaine juridique, peuvent être expliqués par trois causes principales : La tradition académique qui avant l'Invention de l'Institut était animée par des esprits libres, indépendants et le plus souvent, en marge du pouvoir. L'exigence de stabilité des académies qui se définissent aussi par leur caractère pérenne, par ce défi au temps et à la finitude que résume si clairement la devise de l'académie française "à l'immortalité". L'idéal que représente l'autonomie financière ou en tout cas celui d'une sécurité constituée d'un capital propre apparaît comme le meilleur gage d'indépendance vis-à-vis d'un état instable : il faut replacer la naissance de l'Institut aux cotés de celle du Directoire qui s'abîma dans l'absurdité du bicamérisme. Durant ses premières années d'existence, l'Institut fut, comme on le sait, chahuté par les régimes qui se succédèrent. Ses expériences alimentèrent — et alimentent — une aspiration à l'indépendance. La nature des missions de l'Institut a également évolué, principalement au cours du XXe siècle : conçu

à son

origine

comme un

centre

de

recherches

appliquées,

l'Institut

s'est

progressivement vu destitué des commandes de l'Etat qui lui substitua peu à peu de nouvelles

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institutions : laboratoires, commissions, centres spécialisés, hauts commissariats etc. L'Institut ne travaillant plus pour l'état qu'au titre de conseil, il développa ses propres projets, renouant avec le principe de libre entreprise qui animait les sociétés d'Ancien Régime. La conquête de sa personnalité juridique ne fut dès lors plus remise en question. La quête d'une indépendance juridique n'était cependant pas l'exclusivité de l'Institut de France. Prosper Weill et Dominique Pouyaud16 décrivent un mouvement général des services publics crées au sein de l'administration, vers l'extérieur. L'organe administratif originel devenant établissement public, sous une tutelle étroite dans un premier temps, puis de plus en plus autonome, et bientôt doté de régimes juridiques de droit privé pour certains, jusqu'à laisser à la jurisprudence le soin de départager l'établissement public de droit public, de l'établissement public relevant du droit privé. Malgré la particularité de l'histoire de l'Institut, aussi spécifiques que soient ses missions, l'examen de son évolution juridique ne peut que s'enrichir observée à la lumière de ce vaste mouvement centrifuge des administrations françaises.

2.2. Statut juridique actuel Les lois fondatrices de l'Institut n'ayant été abrogées, elles demeurent de fait les textes de référence au sujet de la personnalité juridique de l'Institut. Le portrait juridique de l'institution ne fut complété que de façon sporadique, au détour de telle décision de jurisprudence, de telle loi plus générale. De cette sédimentation progressive de textes normatifs plus souvent implicites qu'explicites, émanant de systèmes législatifs des régimes politiques les plus variés, nous est parvenu un exceptionnel objet juridique. L'Institut de France est une curiosité institutionnelle que les plus hautes instances de l'état elles-mêmes ont défini de façon contradictoire, jusqu’à la loi de programme du 18 Août 2006, qui fixe le statut actuel de l’Institut de France et des académies. Le début XXe siècle entreprit de clarifier le statut que la doctrine avait jusqu'alors laissé en déshérence Les ministres Caillaux et Rouvier se prononcèrent en faveur de la qualification "service publique autonome"17, conservant la personnalité juridique et son droit à la propriété. Mais la mission de service s'atténuant, ce statut dut rapidement être révisé. La notion de service fut en outre progressivement consacrée à la fonction, l'activité et non plus au statut de l'institution qui en a la charge.

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in Lecture trimestrielle à la séance de l'Institut de France, 11 Janvier 1901. P.WEILL et D. POUYAUD, Le droit Administratif, PUF, 1964, réed. 2006, pp. 29-33. 17 Décisions des 4 Décembre 1900 et 30 Novembre 1904. 16

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C'est donc la qualité d'établissement public qui sera peu à peu retenue. Chargé d'une mission déterminée, cet établissement est de ceux qui permettent la décentralisation fonctionnelle d'une mission de l'Etat. Ce statut se fond harmonieusement avec les textes fondateurs de l'Institut. Le statut d'établissement public conserve aussi les principes acquis au siècle précédent : celui de la personnalité morale, de l'autonomie administrative et financière de l'Institut. A quel type d'établissement administratif se rattache l'Institut de France ? La question fut le sujet de débats dont l'issu demeure non tranchée : en 198718, le Conseil d'Etat considérait dans le cadre de son activité relative aux contentieux l'Institut comme un Etablissement Public à caractère Administratif. Deux ans plus tard, le commissaire du gouvernement Frydman reprend dans l'arrêt Feld (22 Mars 1989) ce principe, et conteste le caractère sui generis réclamé par l'Institut afin d'échapper aux contraintes du droit public propre aux EPA, s'étayant sur les textes non abrogés de 1816. Le chantier de la loi de programme pour la recherche du 19 Avril 2006 donna une nouvelle occasion au Conseil d'Etat d'émettre, dans le cadre de son activité consultative19 son avis sur la question. Cet avis sans appel, qui qualifie l'Institut, et les académies qui le constituent, d'EPA, ne fut pas retenu par l'Assemblée Nationale : la loi expose ainsi avec précision le statut actuel de l'Institut de France, devenu établissement public à caractère particulier placé sous la protection du Président de la République20, sans toutefois reconsidérer sa définition à la lumière de ses nouvelles missions. Ce texte apparaît comme l'actualisation conforme de l'ordonnance royale de 1816 : le mot « roi » ayant naturellement été remplacé par celui de Président de la République. Cette loi qui se refuse à intégrer l'Institut dans une catégorie d'établissement public reconnaît le caractère sui generis d'un établissement auquel elle confère un statut d'exception. La Ve République consacre enfin le trait d'union dessiné par la monarchie de Charles IX entre l'Institut de France et les académies de l'Ancien Régime. La protection de l'Institut, privilège hérité des traditions des académies de l'ancien Régime, n'existait pas de la création de l'Institut à 1816. Elle fut instaurée par Charles IX afin de garantir la pérennité de l'institution. Jamais abrogée, ni même amendée, cette protection spéciale et directe du roi perdura jusqu'à ce que la loi de programme sur la recherche l'actualisa sans en modifier le bénéfice pour l'Institut. Cette protection est grevée d'une seule contrepartie : le contrôle, de la part du protecteur, des élections des nouveaux membres de l'académie, sur lesquels le président peut apposer un droit de veto. Cette disposition, encore applicable, ne fut dans l'histoire que très peu usitée21. 18

Arrêt Villechenon du 29 Mars 1987. Rapport Public d'Activités 2005 ed. Documentation Française. 20 Article 8, titre IV de la loi du 19 Avril 2006+voir ANNEXE 21 Le président Charles de Gaulle s'opposa à l'élection d'anciens collaborateurs de la seconde guerre mondiale. 19

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Le statut exceptionnel de l'Institut lui confère une remarquable liberté d'action qui s'exprime notamment dans l'administration et la gestion de ses biens et la possibilité d'abriter des fondations ainsi que le bénéfice d'un régime fiscale identique à celui d'une fondation. En outre, le régime de son personnel est laissé à sa libre appréciation. La tutelle du ministère de l'Éducation Nationale n'exerce aucune influence sur l'établissement. Cantonnée à un soutien technique, elle transmet à l'Institut les ressources destinées à couvrir ses frais d'entretien et de fonctionnement, et l'assiste dans des opérations telles l'instruction des dossiers de marchés publics, prise en charge par la Direction des affaires juridiques du ministère. L'Institut, en sa qualité nouvelle de conseil, exerce à contrarioune influence sur la nomination de professeurs dans les hauts lieux d'enseignement tel le Collège de France, en lien direct avec les attentes qui avaient motivé sa création en l'an III.

3. Administration et gestion centrale

3.1. Organisation administrative de l'Institut de France Les grandes lignes de l'organisation administrative de l'Institut de France et des académies furent tracées au début du XIXe siècle, notamment par le biais de l'ordonnance royale du 21 Mai 1816. Arrêtés et décrets en actualisèrent depuis régulièrement les modalités, le plus souvent par approbation des projets de règlement soumis par l'Institut lui même, conformément à la liberté d'administration conférée dès l'an IV. L'actuel règlement général de l'Institut est défini par par l'arrêté présidentiel du 11 Mai 2007. Il remplace un texte de 1922, depuis longtemps rendu obsolète par les usages. Deux principes sous-tendent l'actuelle organisation de l'Institut. Le premier, celui de la liberté, rappelé par la loi du 19 Avril 2006, est une synthèse substantielle de règles accumulées depuis 1795. Il y est réaffirmé : "L'Institut et les académies s'administrent librement. Leurs décisions entrent en vigueur sans autorisation préalable. Ils bénéficient de l'autonomie financière sous le seul contrôle de la Cour des Comptes". Le second principe, est celui de l'indépendance des académies entre elles, et vis-à-vis de l'Institut. Cette indépendance, qui confère à six entités leur personnalité juridique respective, complexifie notablement l'organisation de l'Institut dont nous entendons ici dresser l'organigramme. Cet organigramme se distingue par la multiplicité de ses acteurs.

3.1.1 Administration des académies 20


Les académies, elles mêmes divisées en sections spécialisées, sont chacune dotée du même statut juridique que l'Institut, et définissent librement leurs propres règles de fonctionnement. Elle administrent librement leurs propres biens, organisent leurs travaux. La direction de ces activités incombe au secrétaire perpétuel, personne chargée des tâches administratives liées à l'académie dont il occupe le rôle décisionnaire. Le secrétaire perpétuel est secondé par un bureau, lui-même composé d'un président et d'un vice-président, élus pour une durée de un an par leurs confrères. Le secrétaire perpétuel est responsable des biens de son académie. Cette équipe appuie son action sur son service administratif, qui exécute les décisions de ses dirigeants.

3.1.2. Organes scientifiques et formels de l'Institut Un schéma proche se reproduit au niveau central : chaque année un président de l'Institut est élu, provenant à tour de rôle de chacune des académies. Le président de l'Institut est le représentant de l'institution qu'il est chargé d’incarner. Il préside l'assemblée générale et la séance annuelle des cinq académies, qui sont les deux réunions qui rassemblent la totalité des académiciens. Ce président est entouré du bureau de l'Institut, composé de l'ensemble des présidents des académies, de l'ensemble des secrétaires perpétuels, du président de la Commission Administrative Centrale ainsi que du chancelier de l'Institut de France. Le bureau de l'Institut est chargé de préparer l'ordre du jour qui animera les assemblés générales. L'assemblée générale est l'organe législateur et délibérant de l'Institut. Elle a pour fin de diriger les actions d'intérêt commun et les activités communes aux cinq académies, d'imprimer une adhésion commune à tel ou tel projet. Dans les faits, l'assemblée générale est limitée dans son action. L'étendu de son influence est purement symbolique dans les questions relatives à l'administration et à la gestion de l'Institut et de ses biens. Deux commissions techniques ont été créées en 2007 : l'une dédiée aux bibliothèques et archives, l'autre, aux beaux-arts. Cette dernière assure un rôle consultatif et émet l'avis de ses membres au sujet des questions relatives au patrimoine artistique de l'Institut, de ses restaurations nécessaires, elle assure la surveillance des collections. Ses membres au nombre de onze sont principalement issus de l'Académie des beaux-arts. La commission se réunit une fois par an.

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3.1.3. Organes décisionnels et exécutifs de l'Institut La Commission Administrative Centrale, régit et administre les biens de l'Institut, avec les services administratifs de l'Institut, elle a toute autorité dans son domaine d'action. La création de cette commission est due au ministre de l'intérieur Jean-Antoine Chaptal, grand architecte de l'administration bonapartiste22, qui la concevait ainsi : "Cette commission saura régler dans les séances générales tout ce qui est relatif à l'administration, aux dépenses générales de l'Institut et à la répartition des fonds entre les classes". La commission, dirigée par son chancelier, seul membre permanent, est composée des six secrétaires perpétuels23, chacun flanqué de deux membres titulaires élus chaque année par chaque académies et du président de l'Institut. Les décisions de la Commission administrative centrale sont prises sous l'autorité du ministère de l'Education Nationale qui en assure la tutelle. Il revient à la commission de présenter chaque année, lors de l'assemblée générale du mois de Juin, un rapport sur la gestion des fonds communs et des fondations de l'Institut. Elle soumet enfin à la même assemblé générale ses décisions pour obtenir son aval. Le chancelier24 détient la charge de l'administration de l'Institut et de ses biens. Cette fonction, intitulée secrétariat depuis son origine, changea de titre en 195325 au profit de celui de chancellerie afin d'en exprimer le prestige. Ce glissement terminologique est le fidèle reflet de l'importance considérable qu'a pris le patrimoine de l'Institut, jusqu'à devenir prépondérant : celui qui dirigeait la Commission est devenu le chancelier de l'Institut, reléguant son président à une place incertaine. La Commission est soutenue dans son action par l'actuelle Direction des Services Administratifs de l'Institut. Véritable agence administrative au service du chancelier et de la Commission Administrative Centrale, la direction des services administratifs assume le travail quotidien et effectif de la gestion et de l'administration. Ce service clef de la gestion des biens de l'Institut est dirigé par le directeur, nommé par le chancelier pour des compétences logiquement Administratifs,

acquises créée

dans en

une

1994,

école remplaça

d'administration. l'ancien

La

Conseil

Direction

Technique,

des

Services

organe

créée

empiriquement, aux missions particulièrement opaques et mal définies qui vécut ses dernières heures sous la responsabilité d'un délinquant financier. La Direction des Services Administratifs

22

Article 19 de l'arrêté du 3 Pluviose an XI. L'académie des sciences compte deux secrétaires perpétuels. 24 Jacques Rueff, Édouard Bonnefous, Marcel Landowski et Pierre Messmer se sont depuis succédé à cette place. Gabriel de Broglie, élu en 2006, est l'actuel chancelier de l'Institut. 25 Décret du 16 Novembre 1953. 23

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est l'organe promu par la récente réforme des règlement général et financier, pour détenir sous l'autorité du chancelier la place d'une agence centrale, au service de l'Institut et des académies, leurs secrétaires perpétuels et leurs services administratifs respectifs. Elle est rendue polyvalente par l'ensemble de ses bureaux spécialisés tel le service des fondations. Cette place nouvelle, affirmée par le nouveau règlement, clarifie la structure générale d'une communauté d'établissements qui ne pouvaient demeurer polycéphale, dont l'évolution de fait n'était jusqu'alors "pas conforme aux dispositions de droit en vigueur et {aboutissait} à une superposition de services qui n'est gage ni d'efficacité ni de réduction des coûts"26, tout en conservant l'indépendance reconnue à chaque académie.

3.2. Organisation financière et comptable 3.2.1. Du règlement financier et des ordonnateurs Le règlement financier est le texte qui régit les activités de l'Institut et des Académies, et établit les responsabilités liés à la gestion des biens, dotations et ressources de l'Institut et des Académies, dont leurs musées 27. Le règlement mis en place par l'arrêté du 4 Août 1924 a progressivement été abandonné, rendu obsolète par l'ampleur grandissante du patrimoine de l'Institut. Troquées en 1984 contre un plan comptable non-approuvé par l'Etat, les comptabilités de l'Institut eurent à pâtir d'un exorbitant vide juridique, entretenu par des responsables démis de leurs fonctions en 199628. Sommé dès 1990, puis en 2000 de clarifier cette situation de fait par la Cour des Comptes, la réforme du règlement financier a très récemment aboutit. Le nouveau règlement financier, approuvé par l'arrêté présidentiel du 11 Mai 2007, tend à faire rétablir la correspondance entre le texte et les usages, dans le respect de la nouvelle organisation administrative. Le texte consacre la création du poste clef du directeur des Services Administratifs, suivant en cela les conseils prodigués par la Cour des Comptes, et tenant un engagement pris avec elle en 2001. L'organisation financière et comptable est dévolue aux acteurs des organes décisionnaires définis ci-dessus, tant sur le plan central, qu'à la tête des différentes académies. Si le chancelier et les secrétaires perpétuels sont les ordonnateurs des recettes et dépenses de l'Institut et des académies, les actes ayant une incidence financière sont généralement délégués au directeur des services administratifs et financiers. La signature du chancelier et des secrétaires perpétuels lui étant déléguée dans le cadre d'une convention qui comporte la liste des opérations en question, le montant de chacune de ses opérations. Le directeur rend compte 26 27

Cour des Comptes, Rapport Public Annuel 2001, chapitre II, Section 2. Voir infra : p. xx et suivantes.

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deux fois par an de l'usage de cette délégation. La délégation de signature peut de même s'étendre à la passation de marchés publics qui relèvent de même de la responsabilité du chancelier et des secrétaires perpétuels.

3.2.2. Du contrôle L'action de gestion des ordonnateurs et du directeur est soumise au contrôle interne du receveur des fondations, agent comptable de formation. Chargé de la tenue des comptabilités, il est responsable, personnellement et pécuniairement, de son activité. Soumis depuis 1924 à un conseiller technique nommé par la Direction des Services Financiers d'alors, son indépendance et ses moyens d'action furent très limités jusqu'en 2007, cause principale des prises illégales d'intérêt au cours de la décennie 1990. La récente réforme s'est à cet égard pliée aux injonctions de la Cour des Comptes exprimées en 2000. Le receveur des fondations prête dorénavant serment devant la Cour des Comptes lors son entrée en fonction, et agit sans liens avec les services financiers, seule position garante d'un contrôle interne régulier. Il faut cependant noter que sa nomination et les conditions de sa rémunération, reviennent, de même que celle du directeur des services financier, au chancelier. Deux dispositifs exercent un contrôle à posteriori sur les activités financières de l'Institut. Le premier, historique, est la Cour des Comptes, la plus ancienne juridiction spéciale, créée en 1807, chargée de vérifier les comptes des établissements et entreprises publiques selon le principe d'impartialité le plus stricte. Ses vérifications, menées lors de contrôles effectués à intervalles irréguliers selon ce qu'exige la situation, est basé sur les comptes remis à la Cour par le receveur des fondations. Les rapports publics en exposent régulièrement la synthèse, mais certains contrôles peuvent demeurer confidentiels. Les dernières conclusions ont été publiées en 1992 puis en 2001, elles présentent les conclusions respectives des contrôles de 1990 et de 1999. Les conséquences de ces inspections sont multiples : des condamnations peuvent être prononcées par la Cour de Discipline Budgétaire et Financière à l'encontre de personnels malhonnêtes. L'Institut peut enfin être incité à suivre les recommandations des inspecteurs, et reconsidérer un état de fait pour s'approcher d'une situation normalisée. L'édition des Rapports Publics Annuels participe enfin de la publicité, règle classique visant à informer le public de la situation de tout établissement public. Un second dispositif de contrôle externe veille à la comptabilité de l'Institut de France : celui des audits indépendants menés par des sociétés privées, diligentés par la Commission 28

Affaire Frédéric Gerard, ancien président du conseil technique, reconnu coupable de prise illégale d'intérêt condamné en 1997 à dix-huit mois de prison dont six fermes.

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Administrative Centrale, ou les Commissions des Académies, en accord avec la Cour des Comptes. Les conclusions de ces audits, réservées à un usage interne, sont transmises à la Cour des Comptes. Le nouveau règlement de l'Institut prévoit d'y recourir une fois tous les trois ans. Depuis longtemps considérée comme opaque et insuffisante, la gestion de l'Institut devrait bénéficier, grâce au nouveau règlement financier, de plus de régularité. Par sa volonté aujourd'hui réaffirmée, d'évoluer selon les prescriptions de la Cour des Comptes, l'Institut démontre la légitimité de sa liberté.

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II - UN PATRIMOINE MUSÉAL D'EXCEPTION

1. Présentation générale du patrimoine de l’Institut

1.1. Le système du don Les académies royales se caractérisaient notamment par leur nomadisme : migrant d'hôtels en palais au gré des volontés et des possibilités de leurs protecteurs, elles ne se dotèrent, à l'exception notoire de l'Académie royale de Sculpture et de Peinture, qui en fut d'ailleurs destituée à la Révolution, d'aucun patrimoine conséquent 29. Privé des missions pédagogiques qui menèrent l'ancienne académie de Lebrun à se doter d'une collection, rien ne prédisposait l'Institut, dont le fonctionnement est entretenu par l'Etat, à bâtir le patrimoine qui en est aujourd'hui une fierté, et participe pour part à son prestige exceptionnel. Plus que tout autre institution, l'Institut et les académies bénéficièrent pourtant de la générosité privée, par l'acceptation des dons et legs émanant de la société aristocratique dominant le XIXe siècle et le début du XXe siècle qui fournirent les moyens de son action et de son indépendance, seule garante, en une époque de bouleversements politiques incessants, de sa stabilité dans le

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L'Académie des Beaux-Arts seule fut à la tête d'une importante collection d'art, composée d'oeuvres primées au concours annuel du prix de Rome, d'une partie des morceaux de réception de ses membres et de nombreuses estampes et dessins de maîtres rassemblés à des fins pédagogiques. Cette collection fut partiellement transférée à l'école nationale supérieure des beaux arts qui naît des cendres de l'académie dès 1794 et assurait dès lors la mission pédagogique de l'Académie, le reste rejoignant le Louvre.

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temps. Quelques précédents avaient ouvert une voie dès l'Ancien Régime : Guez de Balzac dès 1654 puis le baron de Montyon en furent les exemples. Ce dernier avait confié en 1782 à l'académie française 12000 livres en la chargeant de redistribuer cette somme "aux actes de vertu des gens du commun". Les deux principes qui régissent très généralement l'usage d'une libéralité sont dès lors posés : bénéfice et devoir, générosité et contrainte. Les modèles fournis par Guez de Balzac ou Montyon ouvrirent la tradition des prix, qui aujourd'hui plus que jamais, permet à l'Institut d'être l'un des principaux mécènes français, par la distribution annuelle d'un millier de prix, tous issus de dons, et de l'initiative privée. La fortune de l'Institut est variée : "la particularité de cette fortune est qu'elle est différente de celle qu'avaient envisagée les fondateurs de l'Institut de France. Ils avaient voulu en effet doter l'Institut de façon à lui permettre d'exercer les missions scientifiques et techniques qui lui étaient confiées. Ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'était le concours heureux que, dans les temps moins troublés, à la faveur des progrès de l'instruction et de la richesse, des particuliers viendraient prêter à ce corps, par tous les moyens dont ils l'armeraient et par les moyens d'influence et d'action qu'ils mettraient en main"30. C'est l'acceptation progressive de biens de toutes natures qui permit notamment à l'Institut de rassembler sous sa coupe ses importantes demeures, ses musées et leurs collections d'arts. Le statut particulier de l'établissement, et l'évolution de ses missions ne fit que renforcer cette activité devenu au fil de son histoire une tradition qui n'a cessée de croître. Le patrimoine devint partie intégrante de l'Institut. Caractérisé par sa nature variée, il obéit à deux logiques parallèles que délimitent les testaments et contrats : la redistribution et la préservation, logiques annoncées en substance dès 1795. Alors que la distribution de prix encourage "le perfectionnement des sciences et des arts", la préservation de musées et d'œuvres est la fidèle illustration de cette idée "recevoir, renvoyer, répandre toutes les lumières de la pensée, tous les trésors du génie", évoqué à l'ouverture de la première séance de l'Institut. Généralement érigés en fondations 31, les dons faits à l'Institut forment un patrimoine imposant et varié.

1.2. Un patrimoine multiple 1.2.1 Les valeurs mobilières Fruits de legs et de dons, les valeurs mobilières représentent le patrimoine strictement financier de l'Institut. Constitué de valeurs boursières, de contrats d'assurance-vie ou de liquidités, il est 30 31

André Damien, L'Institut de France, coll. Que sais-je, ed. PUF, 1999. voir infra

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confié à la Caisse des Dépôts et Consignations ou placé en banques privées. Originellement contraint de le confier aux fonds d'Etat, par le biais de l'achat de bons du Trésor, l'Institut fut victime d'une formidable dévaluation de son patrimoine financier entre 1918 et 1959, date à laquelle il obtint, à la demande de son premier chancelier, le droit d'en disposer, par l'entremise du statut offert par la structure de droit privé de la fondation, comme une personne privée. Le plus souvent assorti d'obligations, ce type de libéralités est à l'origine des nombreux prix que distribuent chaque année l'Institut de France. C'est le produit des revenus, et non le capital de base ainsi préservé, qui est ainsi distribué chaque année, en plus d'un millier de prix, philanthropiques, de vertu, ou dédiés à la recherche et à la création. La somme constituée par les prix se chiffrait en 2005 à 12 millions d'euros. Cette activité s'inscrit dans la logique du perfectionnement des arts et des sciences, pierre angulaire des fondements de l'Institut. Le montant du portefeuille de valeurs mobilières et des liquidités de l'Institut, issus de dons privés, fut évalué par la Cour des Comptes en Juin 1999, à un total de 1,35 milliards de francs d'alors (environ 203 millions d'euros). Les volontés du donateur peuvent faire de l'Institut lui-même, le bénéficiaire direct d'un bien immobilier ou mobilier, pour le développement de ses activités notamment.

1.2.2 Le patrimoine immobilier et artistique Les immeubles de rapport Les donations faites à l'Institut sont aussi constituées d'immeubles. Pour la plupart immeubles de rapports, leur location ou leur vente permet de produire des revenus pouvant être alloués à l'Institut ou à la réalisation d'une œuvre selon les clauses du testament. Monuments historiques Immeubles classés : Immeubles massivement antérieurs au XXe siècle, certains immeubles de rapport et immeubles de fondations, font l'objet de procédure de classement. À l'image de l'hôtel du 10 rue Alfred de Vigny, œuvre d'Emile Pereire, qui abrite la fondation du nom de son donateur, Cino del Duca, ils font de l'Institut de France le propriétaire de 4 pour 100 de la totalité des monuments classés au Titre des monuments historiques en France32. Parmi ce vaste ensemble de monuments classés, on distinguera la dotation concédée à l'Institut par l'Etat sous l'Empire, puis les musées.

32 Estimation 1996, in SIRE, la France du patrimoine, 2005.

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Dotation de l'État : Napoléon Ier, qui fut membre de la classe de classe de physique et de mathématiques aux premières heures de l'Institut, sut dès 1805 rendre à celui-ci l'estime qu'il lui portait 33. Il dota l'Institut, jusqu'alors logé au Louvre ou aux Tuileries, de son propre palais : le Collège des Quatre Nations, conçu par Le Vau à la demande de Colbert qui réalisait les vœux de Mazarin à titre posthume. La réalisation de ce collège devait incarner les réussites de l'habile ministre, sanctionnées par les paix de Westphalie puis des Pyrénées et qui offraient à la France de nouveaux territoires : les quatre nations du nord (Flandre, Artois, Hainaut et Luxembourg), de l'Est (Alsace), du Sud-Ouest (Roussillon, Conflent et Cerdagne) et du Sud-Est (Pignerol). Le collège, qui s'inscrivait dans la continuité la rénovation du collège de la Sorbonne sous Richelieu, dispensa un enseignement d'élite et hébergea des jeunes originaires des quatre nations pré-citées à partir de 1674. Il reçu aussi le cénotaphe de Mazarin sculpté par Coysevox, et son importante bibliothèque. Le palais, construit par Louis Le Vau à la toute fin de sa carrière et terminé par son collaborateur François d'Orbay, brillante illustration du classicisme à la française et de sa tentation baroque, fut déserté par ses pensionnaires à la Révolution. Éphémère prison, puis entrepôt, le consul Bonaparte y transféra l'Ecole des Beaux Arts en 1801, puis l'Institut cinq ans plus tard, libérant le Louvre et son Muséum de ces deux locataires. L'architecte Antoine Vaudoyer aménagea l'église du collège, logée sous l'illustre dôme, pour en faire le théâtre des séances solennelles des classes de l'Institut. Le palais, ses dépendances et terrains constituent le premier bien de l'Institut. Pierre Messmer note que cette première propriété a depuis 1806, largement dépassé son statut de logement, mentionnant que "rares sont les institutions qui s'identifient autant avec le bâtiment qui les abritent que l'Institut de France avec le Palais du Quai Conti. La Coupole, le Quai Conti, autant d'expressions qui marquent le lien consubstantiel qui unit l'édifice et l'établissement public qui l'occupe"34. La parcelle de terrain du 18 Quai Conti, qui était attaché au Collège à sa création et fut prêtée à l'Hôtel des Monnaies pour qu'il y déploie ses ateliers à partir de 1797, est actuellement revendiquée par l'Institut qui devrait en récupérer le profit d'ici 201035. Le Collège des Quatre Nations permit aux académies jusqu'alors gyrovagues, de se sédentariser, leur offrant de confortables conditions de travail. Mais la destinée de ce palais, devenu incarnation et symbole du parlement des savants, est aussi le signe de la formidable capacité de l'Institut à intégrer en son sein un patrimoine lui étant originellement et fondamentalement étranger.

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Bonaparte avait doté en 1801 les académiciens de leur costume brodé de soie verte, Napoléon Ier ouvrit plus tard l'Institut du Caire au détour de ses expéditions d'Egypte fondées sur le principe de complémentarités des disciplines. 34 Extrait de L'Institut de France, ed. Connaissance des Arts, Paris, 2005, p. 3. 35 Les ateliers de l'Hôtel des Monnaies seront par conséquent délocalisés.

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Musées : Cette capacité d'absorption, doublée du gage de pérennité et d'indépendance garanti par les lois, attira à partir de la fin du XIXe siècle, des dons d'une nature différente. C'est au Duc d'Aumale que revint la primauté de ce geste patrimonial en faveur de l'Institut par le don d’un exceptionnel musée, évoquant dans ses volontés la finalité de sa démarche, et de manière prémonitoire, celle de ses successeurs, consacrant les qualités d'indépendance et d'autonomie de l'institution, après avoir énoncé son souhait d'immuabilité, et souligné son appartenance personnelle au corps formé par les académiciens. "Voulant conserver à la France le domaine de Chantilly dans son intégrité avec ses bois, ses pelouses, ses eaux, ses édifices et tout ce qu'ils contiennent, trophées, tableaux, titres, archives, objets d'art, tout cet ensemble qui forme comme un monument complet et varié de l'art français, j'ai résolu d'en confier le dépôt à un corps illustre qui m'a fait l'honneur de m'appeler dans ses rangs, et qui, sans se soustraire aux transformations inévitables des sociétés, échappe à l'esprit de faction comme aux secousses trop brusques, conservant son indépendance au milieu des fluctuations politiques" Testament du Duc d'Aumale, legs du 3 Juin 1884

Les musées de l'Institut et des académies sont au nombre de seize si l'on inclut les riches bibliothèques Marmottan et Adolphe Thiers, préservées dans leur état originel et rassemblant les arts du décor, de l'ameublement, et de la peinture ; et si l'on excepte la maison de l'Institut de France à Londres, offerte par le baron Edmond de Rothschild en 1919, souvent considérée comme un musée car prévu pour être ouverte à un public d'étudiants français, mais dépourvu de collections, en outre détruite durant la seconde guerre mondiale et remplacée par un immeuble équivalent. Les musées se distinguent de l'ensemble du patrimoine de l'Institut, tant par les qualités artistiques qui les caractérisent, que par les volontés exprimées par le donateur au moment de leur don ou de leur legs. Ne présentant pas l'avantage financier d'un immeuble de rapport, le don d'un musée est depuis le début systématiquement accompagné d'un capital financier afin d'en assurer le fonctionnement et la pérennité. Bien qu'elles en soient parties intégrantes, ces doubles donations se distinguent donc à divers titre du vaste patrimoine de l'Institut dont elles émergent. La nuance qui distingue le musée de l'Institut de l'immeuble de rapport de l'Institut provient essentiellement de la volonté du donateur car il charge, par le biais de son testament le légataire du bien à deux principales obligations : sa conservation et le respect de son intégrité ainsi que son ouverture au public. Le musée, ancienne demeure du donateur, incarne le symbole et résume l'essence de la générosité privée mise à la disposition de l'établissement pérenne qu'est l'Institut. S'il représente la quintessence du patrimoine de l'Institut de France et des académies, le musée est aussi un bien qui exige par sa nature précieuse, complexe et fragile, d'autres méthodes de

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gestion et de conservation qu'un portefeuille de valeurs boursières ou qu'un immeuble de rapport.

Objets et œuvres d'art Cette présentation synthétique du patrimoine de l'Institut ne saurait qu'enfin accorder une place aux libéralités qui offrirent à l'Institut, et plus particulièrement aux fondations-musées de l'Institut, d'importantes collections d'œuvres d'art. Les legs en sont l'illustration : ainsi le legs Donop de Monchy fait au musée Marmottant, signé en 1948 par l'héritière du collectionneur Georges de Bélliot, comprenant d'importants tableaux impressionnistes, dont le fondamental Impression, soleil levant de Claude Monet ; ou le legs fait au même musée par Michel Monet en 1970, — faisant du musée Marmottan, un musée Monet —, en sont l'illustration. Les dons ou legs d'objets sont doués d'un puissant impact sur le patrimoine de l'Institut, car ils permettent à ses musées, comme à tout autre musée, l'acquisition de nouvelles œuvres, et plus particulièrement d'œuvres ayant appartenues aux demeures avant qu'elles ne soient propriétés de l'Institut. Le musée Jacquemart-André bénéficie actuellement de dons d'un mobilier original ou d'équivalence à celui ayant appartenu aux époux André. Si certaines clauses limitent la politique d'acquisition des musées de l'Institut, aucun testament, pas même le testament du Duc d'Aumale, n'interdit l'acquisition d'œuvres : il précise à ce titre dans une formule ambiguë que son légataire peut "enrichir ou compléter les collections mais sans pouvoir faire à cet égard aucun changement et sans pouvoir prêter aucun des objets qui les composent"36. Les biens ayant

appartenus

à Chantilly

ayant

disparu

au

cours

de son

histoire sont

ainsi

systématiquement acquis par la fondation du musée si ses finances le permettent, comme le faisait le Duc d'Aumale37. L'Institut est enfin riche de sa propre collection. Acquis à titre gratuit, on notera les travaux d'académiciens, les dons variés à l'image du fonds d'archives du maréchal de Lattre de Tassigny venu grossir les collections très variées de la bibliothèque mazarine. L'Institut acquit enfin une part de ses collections à titre onéreux telle l'immense collection de bustes d'académiciens 38, qui ornent les salles du palais du Quai Conti, remplissent ses caves ou sont déposés dans certains musées de l'Institut et divers musées nationaux. Cette collection propre comporte aussi de nombreux tableaux, dont un ensemble important représente le palais de l'Institut, ou ses activités. Destinés à l'usage des membres du palais, ils ne sont pas présentés au public.

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op. cit. Source : Introduction de Francis Salet au Catalogue des peintures du XVIIIe siècle de Chantilly, par Nicole GarnierPelle, ed. RMN, 1995. 38 Tradition abandonnée au milieu du XXe siècle, voir Gloires de marbre, Christine Dotal, 5 Continents ed., 2005. 37

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2. Hétérogénéité et cohérence du parc muséal de l'Institut de France

2.1. Variété des musées de l'Institut La multiplicité des musées de l'Institut nous incite à en proposer une brève présentation ordonnée selon le principe de leur genre architectural 39. Objets aux enjeux identiques, nous évoquons ici les propriétés de l'Institut comme celles des académies. Châteaux et domaines : Les châteaux et domaines issus de l'Ancien Régime, qui sont au nombre de six, présentent les édifices les plus variés. D'importantes demeures liées à l'histoire des rois de France s'en distinguent. L'exceptionnel château de Chantilly et son richissime musée Condé est le plus important musée de l'Institut. Légué en 1884 par l'héritier des rois de France, il est aussi le premier exemple d'un don de nature culturelle fait à l'Institut. Riche de l'une des plus précieuses collection de tableaux au monde, le château est accompagné d'un vaste domaine qui a reçu dans ses grandes écuries, en 1982 le musée vivant du cheval, permettant d'y accueillir un public élargi. Percé de larges baies, le château de Langeais — qui fut en 1491 le lieu du mariage du roi Charles VII et de Anne de Bretagne — , est l'illustration du passage de l'architecture féodale à la demeure de plaisance propre à la Renaissance de la vallée de la Loire. Acquis au cours du XIXe siècle par l'homme d'affaire Jacques Siegfried, le château subit une importante restauration et reçu un mobilier médiévisant ainsi qu'une collection majeure de tapisseries médiévale originales. Il fut offert à l'Institut en 1904. L'abbaye royale de Châlis, fondée au XVIIIe siècle sur les terres de l'ancien monastère cistercien puis transformée en demeure au XIXe, fut acquise par Nélie Jacquemard, suite à la mort de son mari Édouard André, à la succession du prince Murat en 1902. La collectionneuse fit du lieu un musée remarquable pour son importante galerie de tableaux primitifs européens, qui s'ajoutèrent aux vestiges du lieu, dont des morceaux d'architecture dus à Sebastiano Serlio, et des fresques de Primatice. De plus humbles châteaux furent légués à l'Institut, à l'image du domaine de Kérazan situé à Loctudy dans le Finistère, légué avec ses collections par Joseph Astor, dernier représentant

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Pour une présentation selon la chronologie du don, voir ANNEXE.

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d'une grande famille bretonne, en 1928 ; ou du château de Castrie dans le Languedoc, don de la descendante de ses fondateurs la duchesse de Castrie en 1985 au profit de l'académie des Beaux-Arts. Ce château issu de la Renaissance, fut enrichi au XVIIe siècle d'un jardin dessiné par Le Nôtre. Braux-Sainte-Cohière, est le plus récent musée de l'Institut. Privé de collections significatives, sa qualité artistique provient de son architecture XVIIe siècle. Ce sévère château implanté en Marne, non loin de Valmy, est dédié à l'étude de l'histoire et de la culture militaire post-révolutionnaire. Il a été légué par André Bussinger en 1997. Demeures urbaines : Les grandes demeures urbaines forment un ensemble de prestige homogène dans la période qu'il représente : la seconde moitié du XIXe siècle. Le musée Marmottan qui s'articule autour d'une donation initiale ancrée dans le goût napoléonien et ses apports successifs du XXe siècles de tableaux impressionnistes, propriété de l'Académie des beaux-arts ; le musée Jacquemart-André. Les importantes bibliothèques parisiennes des fondations Dosne-Thiers et Marmottan, cette seconde, situé dans hôtel donnant sur la Place Denfert-Rochereau étant distincte du musée du même nom. Attardons-nous sur le fleuron de cet ensemble, le musée Jacquemart-André, qui est actuellement l'un des grands musées parisiens, et qui nous intéressera plus loin pour son mode de gestion original. Il fut, avant d'être un musée et une collection, l'espace d'une vie — aussi fastueuse et mise en scène qu'elle fusse — et d'une intimité. Savante construction de l'architecte Parent qui y lia le goût néoclassique Louis XVI aux commodités les plus innovantes de son temps dont les cloisons amovibles montées sur vérins hydrauliques, les ascenseurs etc., l'hôtel du boulevard Haussmann s'intègre dans la forme et dans l'esprit du quartier en vogue de la plaine Monceau. Riche d'une très dense collection de tableaux représentative du XVIIIe français et d'un important ensemble d'œuvres de la Renaissance italienne, collection ponctuée d'oeuvres des écoles du nord et anglaise, le propos des amateurs est plus dirigé par un goût personnel que par celui du temps. Folies balnéaires : L'original ensemble des folies balnéaires est illustré par le château-observatoire d'Abbadia implanté en bordure d'océan à Hendaye, légué par l'académicien Antoine d'Abbadie à l'Académie des sciences en 1895 ; la villa Ephrussy Rothschild située à Saint-Jean-Cap-Ferrat et la villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer, pastiche d'une villa grecque œuvre de l'architecte Emmanuel Pontremoli, léguée par Théodore Reinach en 1928. Maisons d'hommes illustres : Les maisons d'hommes illustres que sont le musée Claude Monet à Giverny, légué à l’Académie

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des beaux-arts, et la maison Louis Pasteur à Arbois, propriété de l’Académie des sciences, complètent enfin la variété de l'ensemble.

2.2. De la cohérence d'un ensemble complexe L'ensemble formé par les musées de l'Institut peut aussi être défini par de solides constantes qui participent à sa compréhension. Le premier lien unissant cet ensemble hétérogène est celui qui relie entre eux ses donateurs. Ceux qui ont un jour exprimé le souhait de faire don ou legs de leur demeure à l'Institut ou à ses académies, portés par les aspirations exprimées par le Duc d'Aumale en 1884, ont formé au cours de l'histoire, un groupe remarquablement homogène. Personnages de la haute aristocratie érudite dont Édouard André, homme politique sous le Second Empire, héritier d'une dynastie banquière protestante, puis président de l'Union Centrale des Arts Décoratifs, pourrait être le parangon. Les donateurs sont avant tout les bâtisseurs de leur patrimoine. Les musées de l'Institut sont souvent d'habiles constructions, nés d'une culture, d'un goût et d'une pensée, d'une fortune, et caractérisées par des qualités mobilisées dans la quête d'un idéal. Cette vocation trouve l'acmé de son expression dans les exemples très homogènes de la villa Kérylos, du musée Jacquemard-André, du château observatoire d'Abbadia et dans la collection du musée Condé au château de Chantilly, décrite par le duc d'Aumale lui-même comme "un monument complet et varié de l'art français"40. Les musées de l'Institut dressent aussi le portrait de ces hommes et ces femmes influents, témoins de leurs temps et de leur goût. Très majoritairement issus des rangs de l'Institut, les acteurs de cette société témoignent aussi par l'acte du don de biens touchant à la sphère de l'intimité, leur confiance et le formidable esprit de corps qui caractérise l'établissement. Son actuel et définitif propriétaire trace enfin le trait d'union qui relie cet ensemble muséal : académies et Institut, parvenus à capter la confiance de ses mécènes, fédèrent des lieux de natures plurielles. De même que sous la coupole se réunissent les spécialistes des disciplines les plus diverses, les musées rassemblent sous l’aile de l'Institut des collections aux techniques — architecture, sculpture, peinture, arts décoratifs, estampes, livres rares, archives etc. — les plus variées — historiques et géographiques —41. Car c'est à l'Institut, et non à l'Etat ou à des musées nationaux que les objets que nous évoquons ici, ont été confiés. La mission culturelle

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Op. cit : Testament du duc d’Aumal. À l'exception notable de créations du XXe siècle seulement représenté par les œuvres de Monet conservée à Giverny, et à l'exclusion des arts extra-européens. 41

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de l'Institut, annoncée dès la création des académies royales n'y est évidemment pas étrangère. Mais c'est aussi, et avant tout le statut d'exception de cet "îlot d'éternité", garanti par ses fondements historiques et juridiques, qui a convaincu des hommes aux prises avec la politique et les bouleversements de leur temps. Le duc d'Aumale, qui ne pouvait léguer son patrimoine à la République, mit cette qualité propre à l'Institut en lumière. La culture, l'indépendance, l'autonomie de gestion conférées à l'Institut de France, formèrent des gages de confiance, essentiels dans le pari fondé sur l'avenir le plus lointain que représente l'ouverture d'un musée.

3. Bénéfices et obligations L'acte du don repose sur les modalités qui l'encadrent. La complexité muséale imposât, dès son arrivée au sein du patrimoine de l'Institut, l'élaboration d'un protocole fixe, afin d'en assurer la pérennité. Ce protocole, empiriquement établi à l'initiative du duc d'Aumale qui en fournit le modèle, encadre la réception d'un don ou d'un legs de son acceptation au choix de la forme administrative qui l'hébergera, sous l'autorité de l'Institut. De ces choix élaborés avec soin par les deux parties, découlent les modalité de conservation des biens, de même que la prépondérante question du statut de ces collections patrimoniales

3.1. La libéralité, un acte de confiance Les dons : La donation par acte notarié42 est la forme de la libéralité la plus répandue. Elle est la méthode préférée au don manuel dans le cas de donation importante, et plus encore lorsque la donation comporte des clauses spécifiques, à l'image des patrimoines que nous évoquons ici. La donation d'objets mobiliers doit impérativement faire l'objet d'un acte notarié qui en présente un inventaire et une estimation. Effectué sous l'autorité d'un notaire, le don s'effectue par le biais d'un acte portant la signature du donateur et celle du donataire. Les legs : Les legs sont les libéralités consenties par testament43. Olographe, par acte notarié ou dans sa forme mystique, le legs ne prend effet qu'à la mort du testataire qui reste maître de le modifier. Le testament précise les obligations dont le bien sera assorti.

42 43

Définie par l'article 931 du Code Civil et suivants. Les legs sont soumis à l'article 967 et suivants du Code Civil.

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La donation en deux temps du domaine de Chantilly illustre la nuance ménagée entre les deux types de libéralités. Le duc d'Aumale signa en 1884 un premier legs par le biais d'un testament olographe dont il précipita la réalisation par une donation immédiate assortie des mêmes clauses, par acte notarié en date du 25 Octobre 1886, alors que la République le condamnait une seconde fois à l'exil. Il ne garda qu'à partir de cette date l'usufruit du bien dont il continuait à enrichir les collections de son exil anglais Réduction des libéralités : Par principe irrévocables et destinés au plus long terme, les dons et legs assortis de conditions peuvent, au cas où celles-ci n'étaient pas respectées, priver le légataire de son bien. Cette possibilité, offerte par le Code Civil44 au donateur, est fondamentale dans la gestion des biens de l'Institut. Les musées fournissent par conséquent à ce dernier des sommets de complexité en matière de respect des charges. Parmi eux, le cas de Chantilly est emblématique de cette dimension restrictive du don. Le duc d'Aumale plus que quiconque su préciser ses volontés et en exiger la contraignante réalisation : "N'apporter aucun changement dans l'architecture extérieure et intérieure du château, des pavillons d'Enghien et de Sylvie, des grandes écuries, du jeu de Paume et des trois petites chapelles, conserver également le caractère et la destination des parcs, jardins, canaux et rivières, ainsi que la distribution générale des forêts, étangs et fontaines et entretenir le tout en se conformant aux règles générales cidessus tracées et en y donnant tous les soins d'un bon père de famille. Le reste du domaine ne pourra être aliéné ou hypothéqué par le légataire qui devra, au contraire, le conserver libre et franc de toutes charge de son chef, afin d'employer les revenus comme je l'indiquerai ci-après" Duc d'Aumale, extrait du testament olographe du 3 Juin 1884.

Le non-respect des volontés d'un donateur aurait pour l'Institut la conséquence de la perte du bien. Ce dernier reviendrait naturellement, et immédiatement au légataire universel dont la mention au sein d'un testament agît dans un legs tel celui de Chantilly, qui ne fait de l'Institut que le légataire particulier du bien, comme une menace constante45 et salvatrice. L'article 900 du Code Civil fournit cependant une solution qui étend considérablement la maîtrise du donateur sur la destinée son bien : la révision judiciaire des conditions et des charges grevant les donations ou les legs, dans le cas où leur réalisation devient impossible, ou dommageables. Il est à noter que la notion de dommage est particulièrement souple. L'installation du musée vivant du cheval dans les grandes écuries de Chantilly fut permise grâce à cette souplesse, de même que la mise en vente d'un bien qui aurait pu compter parmi les

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Article 953 et suivants pour le don, article 1046 pour le legs. Dans le cas de Chantilly, la famille d'Orléans a été nommée légataire universelle du duc d'Aumale. Si les clauses n'y étaient pas respectées, les descendants du Comte de Paris pourraient de droit revendiquer Chantilly. 45

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musées de l'Institut : la villa Beau Site46, demeure méridionale de la belle époque, assortie d'une collection d'instruments, dont les charges du legs imposaient la réalisation d'un musée. Cette souplesse dépend de la décision du juge. Soumise enfin à la règle de la quotité disponible, la réalisation des volontés du testateur peut trouver une seconde limite : toute succession doit réserver de droit une part à ses héritiers familiaux oscillant entre 30 et 50 pour 100 de son montant total. Un testateur oubliant ses héritiers soumet son legs à un prélèvement obligatoire en faveur de ceux-ci. L'encouragement au mécénat initié en 1987 par la loi de 23 Juillet relative au développement du mécénat, a ménagé à l'état et aux établissements publics une exception possible en cas de legs d'objets historiques ou artistiques : le texte a prévu que l'État pouvait rembourser en liquidité la quotité disponible d'un legs dont le testateur avait exclu ses héritiers, ce qui permet de préserver l'intégrité de ces legs. J. Chatelain souligne que le risque particulier lié à l'acceptation d'un patrimoine artistique est certain. La valeur financière d'un bien artistique est effet mouvante, et son entretien souvent onéreux : "L'acceptation des libéralités comporte donc toujours une part de risques accrus par la majoration considérable des prix des œuvres d'art dans la période contemporaine"47. Le légataire peut enfin naturellement refuser toutes libéralités, notamment dans les cas où il ne pourrait assumer le risque, ou si elles ne correspondaient pas à ses activités.

3.2. La forme administrative de la fondation 3.2.1. Origines et principes de la fondation Longtemps négligée par le législateur, la fondation a poursuivi jusqu'en 1987 une existence que seule le droit prétorien encadrait. La loi sur le développement du mécénat du 23 Juillet 1987 fixa donc cette tradition, et en précisa les termes, et la fin : "une ou plusieurs personnes qui décident de l'affectation irrévocable de droits, de ressources à la réalisation d'une œuvre d'intérêt général, à but non lucratif". Structure administrative ancestrale, massivement employée au cours du Moyen-Âge dans le domaine de l'assistanat, la

fondation est l'institution de la philanthropie. Prospères sous

l'Ancien Régime, souvent hébergées par l'Eglise, elles connurent une phase de disgrâce en France après la Révolution pour réapparaître au XIXe siècle, et plus particulièrement dans le monde anglo-saxon. L'exemple prestigieux de la Wallace Collection, ouverte au public en 1900 ne put de même qu'encourager Nélie Jacquemart à suivre les traces du duc d'Aumale. 46

La Villa Beau Site fut léguée à l'Institut en 1988 par la musicienne Gisèle Tissier sans fortune assortie, et mise en vente en 2001 après un abandon progressif. 47 J. Chatelain, Droit et administration des musées, 1993.

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La fondation, qui n'est pas sans rappeler le principe de l'établissement réalisé au nom du cardinal Mazarin au Collège des Quatres Nations, est la forme administrative que l'Institut de France a depuis longtemps choisit afin d'héberger une part de ses très nombreux prix annuels, et l'ensemble de ses musées. Système imposé par le duc d'Aumale qui se montra très conscient de l'enjeu contenu dans ce choix, alors qu'il revenait d'un exil londonien qui lui fit en connaître les qualités, adapté à la réalisation dans la durée d'une œuvre privée, et notamment dans le domaine culturel que l'État britannique avait intégralement confié à la démarche fondative (sous la forme du trust) de mécènes privés jusqu'à l'ouverture de la National Gallery. À la lumière des modèles anciens, puis anglo-saxons de la fondation, il nous revient d'en préciser les deux types principaux. La fondation de redistribution se base sur un capital sur lequel seront prélevés régulièrement des fonds destinés à la réalisation d'une œuvre. Elle est particulièrement indiquée dans le domaine de la philanthropie, et l'Institut l'utilise abondamment afin de procéder à l'encouragement au perfectionnement des arts et des sciences. S'épuisant naturellement, ces fondations ont une durée de vie limitée par la somme dont elle est à l'origine dotée. L'autre type de fondation, ayant pour fin le fonctionnement d'un établissement, est celui qui fut choisit par le duc d'Aumale, ainsi qu'à la création de chacun des musées de l'Institut, des académies et d'autres fondations qui parfois en combinent les principes avec une politique parallèle de redistribution. Cette fondation se base sur un bien, un établissement, ainsi que sur un capital ayant vocation à être placé, afin d'en dégager les bénéfices qui serviront à assumer les dépenses de fonctionnement de l'établissement. Également annoncée par le testateur de Chantilly, cette fortune assortie peut-être constituée d'immeubles de rapports, d'argent, où, comme se fut le cas en 1884, puis de même en 1928 à Kérazan, de terrains d'exploitation agricoles, dont les revenus réguliers assument la même fonction que les bénéfices bancaires ou boursiers. Ce système prévoit l'auto-financement du bien et promet donc sa pérennité. Les fondations-musées de l'Institut sont enfin, à l'instar de toutes ses fondations, des fondations abritées. Elles bénéficient d'un extraordinaire "abri" qui ne cesse d'attirer toujours plus de mécènes, aussi les conditions de leur création sont allégées. Rassemblées et protégées par une même institution, elles font de l'Institut, chargé de la distribution de leurs prix et de la conservation de leurs œuvres, un mécène à son tour. Cette forme ancienne et quelque peu empirique de la fondation abritée a vu se former un cercle vertueux où se mêlent le prestige, les finances, les qualités, l'expertise et la stabilité de ses acteurs. Crées par décret après avis du Conseil d'Etat48, les fondations-musées abritées ne requièrent pas au sein de leurs conseils d'administration de représentant de l'État. Elles n'en sont pas moins dotées d'un Conseil d'Administration. 48

Au contraire des fondations d'utilité publique et des fondations d'entreprise, les fondations abritées ne sont pas soumises à l'instruction de leur dossier par bureau des groupements du ministère de l'intérieur.

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Cette faveur concédée à l'Institut, qui l'abstrait au strict encadrement de la part de l'Etat, ne peut qu'encourager les donateurs à lui confier de telles créations, devenu au fil de son existence un grand promoteur de la démarche fondative, à l'instar de la récente Fondation de France née en 1964 ainsi que la Fondation pour le Patrimoine érigée en 1996.

Conditions : Rassemblés au sein de fondations, les biens de l'Institut sont conduits à mener une existence autonome afin de survivre aux outrages du temps. Afin que cette autonomie soit garantie, le bien immobilier et les objets mobiliers que constitue le musée doit être, conformément aux règles qui régissent les fondations, accompagné d'une fortune assortie. Sans cette fortune, le musée aussi riche soit-il, n'est jamais accepté par l'Institut qui ne pourrait procéder à la création d'une fondation49. Chaque musée est donc, comme l'indique la loi, doté à sa constitution d'une fortune corollaire. Liquidités, immeubles de rapport, mais aussi terrains d'exploitation agricole ont été ainsi cédés à l'Institut en sus des musées par leurs donataires dès 1884, pour que leur fonctionnement soit garanti. Dans le cas d'une fortune constituée de capitaux, seuls les bénéfices, fruits de leur placement, sont à la disposition de la fondation, afin d'offrir à celle-ci des revenus qui permettent de subvenir à ses coûts de fonctionnement et d'entretien. Argent massivement placé dans les "bons du Trésor" au début du XXe siècle, la règle de la fortune assortie a prouvé les limites de ses garanties face à la dévaluation monétaire. Condition imposée par la loi pour la création d'une fondation, elle demeure malgré ses limites, la condition sine qua non de l'acceptation d'un bien muséal au sein du patrimoine de l'Institut. Agissant comme un filtre, le respect de cette règle participe pleinement à la nature de l'ensemble que forment les seize musées de l'Institut. Conséquences : Si la fondation permet à l'Institut de conférer à ses musées une certaine autonomie, elle détermine aussi

le régime de propriété revient au musée qui en est l'origine. Érigés en

fondation abritées, au profit d'une personne morale existante qu'est l'Institut, les musées de sont dépourvus de la personnalité morale, mais relèvent bien du droit privé propre à toutes fondations, et sont dotés de la personnalité juridique fonctionnelle. La fondation et l'ensemble de ses biens relèvent donc du régime et de la juridiction privée. La souplesse du droit privé est donc acquise à ces musées, ce qui influe notamment sur la gestion des personnels, et les conditions de leur embauche. Pilotées par des conseils d'administrations, les fondations sont très généralement dirigées par un binôme, celui formé par l'administrateur, nommé ; et le 49

La Villa Beau Site aujourd'hui en déshérence représente l'exceptionnel cas contraire d'un legs accepté sans fortune assortie, puis érigé en association.

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conservateur, le plus souvent académicien, occupant une place parfois strictement formelle il veille principalement au respect des charges testamentaires au cours de visites régulièrement effectuées sur les sites50. Il est à noter que cette liberté propre à tout établissement de droit privé, n'est pas un gage d'homogénéité des compétences et des traitements : la fonction de conservateur, nous le voyons, échappe aux règles du concours d'état en vigueur dans les musées de droit public, et à toutes formation spécifique. Le rôle important réservé aux académiciens dans ce domaine trouve son origine, une fois de plus, dans le testament du duc d'Aumale : en réservant pour Chantilly le titre de conservateur à un collège de trois académiciens 51, le duc d'Aumale avait annoncé la voie qui pour pour les musées de l'Institut52, faisant de ce métier un titre — en dehors de toute considération de qualité et de compétence concernant les conservateursacadémiciens. Les règles de protection du classement au titre des monuments historiques contribuent, de même que les exigences de conservation des testateurs, à l'encadrement de ces musées qui, bien que relevant du droit privé, en bénéficient de la protection. Les dispositions fiscales consenties par les lois d'encouragement au mécénat représentent enfin un autre attrait résultant de la forme administrative de la fondation. Elles permettent aux musées de l'Institut de bénéficier de legs exonérés de droits de mutation.

3.2.2. Statut des collections Soumises au régime du droit privé conféré par la fondation, les collections de l'Institut, établissement public, échappent aux règles de la domanialité publique. Leur statut juridique nous paraît particulièrement incertain et fragile. Leur inaliénabilité n'est garantie que par les charges exigées a priori par les donateurs. N'ayant pas prévu une clause d'inaliénabilité, le testament de Paul Marmottan permet à l'Académie des beaux-arts, la vente régulière de pièces de son mobilier. La maison Christies ayant pu ainsi, le 7 Avril 2005 procéder légalement à la vente du mobilier Directoire de Paul Marmottan, dont celle de quatre chaises estampillées Georges Jacob. La loi du 13 Décembre 1913 interdit seulement à leur propriétaire de modifier ou de détruire ses objets classés. Vouées aux décisions de la jurisprudence, et aux aspirations de son propriétaire, la meilleure protection des biens de l'Institut semble être celle que le donateur avait notifié dans l'acte du don, et de la façon la plus claire.

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Le manoir de Kérazan est ainsi dûment inspecté, sur une période équivalente à un mois, chaque été, par le conservateur-académicien qui en a la charge. 51 Ce collège de conservateurs est composé de trois représentants de l'Académie française, de l'Académie des sciences morales et politiques, et de l'Académie des Beaux-Arts pour le troisième. 52 Dans certains cas comme à Jacquemart-André ou à Chantilly la fonction est concédée à une personnalité extérieure employée pour ses compétences, issue ou non des rangs de l'école du patrimoine. Les conservateurs d'État ainsi employés en tant que conservateurs territoriaux en position de détachement.

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III - L'EXPERIENCE DE LA GESTION DELEGUEE DES MUSEES DE L'INSTITUT DE FRANCE

1. Une solution nouvelle 1.1. Contexte Les meilleures garanties n'assurèrent pas l'équilibre des fondations-musées de l'Institut. La fin du XXe siècle révéla que les collections et musées de l'Institut ne pouvaient poursuivre leur existence sans l'apport d'une gestion équilibrée. Dotées de leurs capitaux propres, d'une autonomie et d'une indépendance de gestion, les fondations de l'Institut, se sont logiquement organisées sur le principe, au niveau de la fondation, de la régie simple. Bien que bâtis sur les dons les plus insignes, dotés de leur fortunes assorties, de leurs champs et leurs bois pour certaines d'entre elles, subventionnés par l'État dans la restauration de leurs espaces et de leurs objets classés, bénéficiant de la liberté et de l'indépendance du statut de fondation abritée par un établissement lui-même libre, indépendant et prestigieux, il apparut que la santé financière des musées de l'Institut de France n'était, à partir des années 1980 plus qu'un souvenir. S'éloignant progressivement de la gestion d'un "bon père de famille" réclamée avec précaution par le duc d'Aumale, privés par leurs gestionnaires de cette clef de voûte garante de la solidité d'une fondation, les missions dont les testaments les avaient grevé devinrent de plus en plus

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délicates à assumer. Objet des plus vives critiques de la Cour des Comptes, distillées en deux Rapports publics Annuels édifiants53, la situation, émaillée de bruyants scandales, apparut au grand jour au cour de la décennie 1990. Abritées par une administration centrale vétuste54, longtemps sous la responsabilité des figures cooptées du conseil technique et du comptable du Quai Conti, mettant en péril la conservation même de ses collections, jugées par la Cour des Comptes "dans un état déplorable", et progressivement privées de la tenue d'inventaires. Cas emblématique d'une situation globale, l'histoire du musée Jacquemart-André fut entachée en 1990 par le refus manifesté par des conservateurs d'alors, que ses collections soient soumises à l'inventaire réclamé par la Cour des Comptes ; puis par sa fermeture le 23 Janvier 1991, marquant le terme d'une période de recul sans précédent de l'activité du musée, qui avait vu progresser depuis le début de la décennie 1980 l'occupation de ses biens, d'une part de ses immeubles de rapport et de ses espaces à des fins privatives par son conservateur, ainsi que son état de conservation se dégrader. Suite à la fermeture du musée à l'issue du contrôle de l'année 1990, la fondation en charge du musée Jacquemart-André afficha pour ses exercices de 1991 à 1995 un déficit accumulé de 16,5 millions de francs. Victime de sa propre liberté, et de la possibilité habilement ménagée, par la modification progressive de son règlement général de 1924, de se régir et de régir ses biens "sans règles comptables écrites"55, l'Institut avait bien engagé sous l'impulsion de son chancelier dès 1991 une procédure d'enquête interne. Mais trois ans plus tard, le comptable se plaignait encore du fait que "certains régisseurs ne {lui} reversaient pas systématiquement les recettes, tandis que d'autres n'assuraient pas le suivi des dépenses entraînant des dépassement considérables"56. Assujettie à une administration complexe, la traditionnelle gestion en régie simple montrait de façon évidente ses faiblesses. L'impérieuse nécessité de rénover les habitudes de gestion intervint donc au terme de cette période que la Cour des Comptes qualifia de "particulièrement opaque", où l'obsolescence des textes s'ajoutait à la négligence des uns et la délinquance financière des autres. L'arrivée nécessaire d'importants travaux de restauration ne fit que précipiter le tournant.

1.2. Un tournant Obligé de droit par leurs donataires d'ouvrir et de conserver ses musées et demeures, l'Institut a progressivement entrepris, tant forcé par les circonstances, que par les instances du contrôle externe, de repenser ses outils de gestion afin de trouver l'équilibre, sans lequel la stabilité des 53

Rapports publics annuels 1992 et 2000. Jusqu'au 11 Mai 2007. 55 Cour des Comptes 2000, op. cit. 54

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ensembles n'aurait pu longtemps se poursuivre. L'Institut était confronté depuis la décennie 1980 à une évolution de ses coûts, et aux défis nouveaux qui touchaient l'ensemble des musées. La quête de solutions de gestion devint pour l'Institut, alors condamné à renflouer régulièrement ses fondations, une mission de premier ordre. Un colloque donné en 1994 à la Fondation Singer-Polignac, donnait à ses intervenants l'occasion d'analyser les nouveaux enjeux du musée, selon un angle d'approche spécifique aux fondations : "N'êtes-vous pas frappés comme moi, que pendant longtemps nous avons eu — et spécialement en France — une conception, et je n'ironise pas en prononçant ce mot, sacerdotale de la culture. Il s'agissait d'une activité auguste, sacrée, échappant aux contingences matérielles et géré dans un esprit de souveraineté livré à la faveur du prince et à la protection des grands. Activité au demeurant irréductible à toute autre, ce qui ne manquait pas de flatter le corporatisme des professions culturelles. J'avouerai que j'ai presque de la nostalgie pour cette conception qui a eu sa grandeur et qui nous a valu sans doute d'avoir encore aujourd'hui des institutions, des corps d'expertise, un patrimoine, une tradition qui sont au premier niveau mondial. Mais cette conception n'est plus tenable. Sans doute, la culture garde sa spécificité et n'est pas et ne saurait être "une marchandise comme les autres". Mais nous sommes à la fin du XXe siècle. Nous constatons le développement de ce que l'on appelle à tort ou à raison la culture de masse, la suprématie de l'économie de marché (...). Dès lors qu'elle n'est plus ou ne peut plus être le privilège d'une élite autosuffisante, la culture doit se soumettre à un certains nombre de paramètres, de normes, qui sont applicables à tout domaine d'intérêt général. L'alternative est bien là : ou bien la culture reste une activité hors normes, en l'état d'apesanteur économique, une sorte de parc national, de réserve nationale laissée à la bonté des arbitrages budgétaires et vivrait sous ce système de protection, ou bien elle accepte la confrontation et la compétition même avec d'autres champs de la vie sociale, quitte à faire en termes de mode de gestion, de vocabulaire, quelques concessions qui me paraissent à la fin des fins le seul moyen de maintenir ce caractère sacré que nous voulions en fin de compte préserver pour elle." Jacques Rigaud, in Droit au musée droit des musées, acte du colloque, Fondation Singer-Polignac ed. ,1994.

Et E. Peuchot, directeur des Services Administratifs de l'Institut de poursuivre : "On pourrait dire que la meilleure défense du patrimoine, c'est aussi le développement {du} pluralisme dans la gestion des musées" Eric Peuchot, in Droit au musée droit des musées, acte du colloque, Fondation Singer-Polignac ed.,1994.

La solution vint très rapidement. Elle procéda à ces quelques "concessions" évoquée par J.

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Rapport public annuel 2000.

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Rigaud, président de l'ADMICAL57, et fut multiple, à l'image du patrimoine de l'Institut. Elle procéda de même, à un recours généralisé à des apports extérieurs. Les musées de l'Institut entreprirent à partir de 1995, de sortir de leur marasme économique. Des partenariats, avec des acteurs privés comme publics furent mis sur pied afin de trouver de nouveaux fonds : le recours en 2004 à l'engagement financier exceptionnel de son Altesse le prince Aga Khan IV à hauteur de 40 millions d'euros versés sur dix ans, en est l'exemple ; des partenariats signés avec l'État et les collectivités publiques comme en témoigne la rénovation du château de Castries, propriété de l'académie française, menée avec la participation très active de la région Languedoc-Roussillon ; ou la réalisation d'une politique de recherche sur l'histoire militaire au sein du château de Braux-Sainte-Cohière en partenariat avec le Conseil Général de la Marne. Si ces partenariats apportent un substantiel impact à l'équilibre financier des lieux concernés, ils n'en modifièrent pas le mode gestion en régie directe, qui demeurèrent du ressort des administrateurs des fondations, et donc de l'Institut. La seconde solution, effective à partir de 1996, est le strict abandon de la gestion de ses musées, par l'Institut, au moyen d'une délégation de gestion de service public. C'est dans ce cadre que les gestions du musée Jacquemart-André, de la Villa Kérylos, de la Villa EphrussiRothschild58 sont confiées à la société privée Culturespaces entre 1996 et 2001 ; mouvement global poursuivi en 2005 avec la délégation du château de Langeais concédée à la société Kleber-Rossillon.

1.3. Principe de la délégation de gestion muséale C'est après avoir conquis les champs d'activité de la distribution de l'eau, des transports publics, de la propreté urbaine que le principe de la délégation de gestion entreprit de s'inviter au sein des musées. Si le "produit" muséal, pour reprendre les termes de J. Rigaud, "n'est pas un produit comme les autres", il n'en convient pas moins de situer la délégation de service culturel dans une perspective élargie, qui se déploie depuis la décennie 1981, au sein des domaines de prédilection d'autres établissements publics qui leur confient des pans d'activité longtemps réservés à des entreprises et agents de la fonction publique. Quoique radicalement nouveau, le parallèle entre la délégation des services "classiques" et l'émergence de la délégation d'un service muséal est aisé car il est permis de dire qu'il s'agit de diverses manifestations d'un même phénomène global, apparaissants successivement. Mais les musées de l'Institut peuvent-ils réellement être compris comme d'autres musées ayant une 57 58

Association pour le Développement du Mécenat Industriel et Commercial. Appartenant au contraire des trois autres, (propriétés de l'Institut), à l'Académie des Beaux-Arts.

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mission de service public ? La qualité de "délégation de service public" est délicate à établir en ce qui concerne la délégation de la gestion des musées de l'Institut : si la démarche, engagée par la Commission Administrative Centrale, émane certes d'un établissement public, le terrain d'action de la société déléguée n'en est pas moins celui des fondations, relevant du droit privé, et n'ayant à leur création, en tant que fondations abritées, aucune reconnaissance d'utilité publique. E. Peuchot préfère d'ailleurs évoquer l'idée plus libre et indéfinie d'une "mission d'intérêt générale"59. À la dénomination délégation de service public, il nous semble plus opportun d'employer à l'égard de fondations, les termes de délégation de service culturel, ou muséal. Cette évolution généralisée de la délégation de service est en outre à mettre en rapport avec celle d'un autre mouvement, touchant cette fois l'ensemble des musées — et notamment les musées nationaux : le principe de sous-traitance de pans d'activités internes au musée dans les domaines du nettoyage, du gardiennage, de la restauration, mais aussi dans les systèmes de surveillance des musées publics. Cela signale une autre progression du privé au sein de missions traditionnellement acquises aux établissements publics. La réduction des coûts de fonctionnement est l'objectif à court terme de ces méthodes. C'est dans ce contexte global, allié aux difficultés particulières de ses musées, au rang desquels la villa Ephrussi de Rothschild fut le premier, qu'est lancé en 1992 un appel d'offre d'un type très nouveau, remettant en cause la traditionnelle régie directe, ayant pour but de trouver une société privée qui prendrait en charge l'ensemble de la gestion du l'établissement. Les conventions proposées dans le cadre des appels d'offre de délégation, concernent l'ensemble des activités du musée, à l'exception notoire de l'activité scientifique. Elles permettent la mise en place d'un transfert de gestion temporaire. Ce mode libéral de gestion délégué est celui de l'affermage. Il prévoit le paiement, par l'opérateur sélectionné, d'un droit annuel, ou redevance, l'autorisant à son tour de tirer ses revenus de l'exploitation du musée, dont il assure le risque financier du fonctionnement, et dont il est responsable de la gestion, et des activités. Celui-ci tient à son tour, dans le respect de la convention, d'une totale autonomie, à l'inverse du mode de la concession. Le transfert de responsabilité qui en découle est donc maximum. Le montant de cette redevance60 est versé au capital propre de la fondation, tendant ainsi à se reconstruire, ou permet le financement de certains travaux de restauration. L'entreprise tire son profit de l'exploitation du musée au moyen d'une gestion rigoureuse, visant à un contrôle stricte 59 60

op. cit : Droit au musée. Atteignant la somme de 1 million d'euros dans le cas de Jacquemart-André.

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des charges, et à l'équilibre des comptes, reposant sur une active politique commerciale. L'affermage fait de l'Institut, par le biais de ses fondations, un bailleur, et de la société de gestion un exploitant. L'affermage est encadré par le contrat, rédigé par la Commission Administrative Centrale de l'Institut, visé par la nouvelle commission technique des beaux-arts, et signé sous la responsabilité du chancelier par le directeur des services administratifs ou lui-même. De ce contrat dépend le maintien du respect des charges liées au legs initial, les modalités financières et la durée de la délégation, qui est généralement fixée à vingt ans61. Le procédé comprend d'indéniables attraits financiers : l'Institut, qui était il y a peu, contraint de combler les déficits de ses fondations, n'assume avec ce système, plus que le traitement d'un personnel scientifique souvent restreint. De même, la fondation, percevant la redevance peut être amené, dans un étonnant renversement, à rembourser les sommes autrefois prêtées par l'Institut. Si l'entreprise assure intégralement le fonctionnement de l'établissement, elle ne prends pas la charge des investissements liés à la conservation et la restauration, financées selon le cas, par des subventions de l'État 62, par l'Institut, et par l'apport de mécènes.

2. Applications des systèmes de la délégation de gestion aux musées de l'Institut 2.1. Les opérateurs Le musée Jacquemart-André, la Villa Kerylos, la Villa Ephrussi de Rothschild et le château de Langeais, entités très diverses, riches d'importantes collections pour le musée JacquemartAndré de même que pour la Villa Ephrussi ; se distinguant par leur architecture originale pour Kerylos et Langeais. Les précieux objets nés de la passion, des moyens financiers, de l'érudition et du goût de ceux qui les ont façonné, sont devenus depuis 1995 pour le premier d'entre eux, les objets d'une entreprise rarissime dans le secteur muséal, faisant de loin, de leur propriétaire, le plus audacieux en France à l'égard d'un procédé également rare dans les sociétés européennes et anglo-saxonnes. Culturespaces est une entreprise innovante. Fondée en 1988 par son actuel président B. Monnier, issu d'une formation en école de commerce, la Société Anonyme et ses filiales63, débuta son activité en tant qu'agence de conseil pour la mise en valeur et la gestion de sites 61 62

Le bail de délégation de la gestion de la Villa Ephrussy atteint la durée de durée de vingt-cinq ans. Généralement à hauteur de 50 p. 100.

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patrimoniaux, en direction des propriétaires privés comme publics et en tant que concessionnaire de boutiques et librairies dédiées aux sites culturels. Après un premier contrat en 1990 d'assistance à la gestion du Palais des Papes d'Avignon, la société devenue filiale du groupe Suez spécialisé en délégation de service public, signa avec l'Institut de France sa première convention de gestion complète, celle de la villa Ephrussi de Rothschild en 1992, pour un engagement de vingt ans. Aujourd'hui la société gère les activités de treize monuments et musées, propriétés de collectivités territoriales et de l'Institut de France, premier client de Culturespaces. "Son action, déclare B. Monnier, s'inscrit en parallèle à celle de la Caisse Nationale des Monuments Historiques et de la Réunion des Musées Nationaux qui gèrent les établissements d'État". Le château des Baux de Provence, le musée Jacquemart-André en 1996, le château de Valencay en Val de Marne, la villa Kérylos en 2002, les établissements des villes de Nîmes et de Orange en sont les exemples. La récente "prise" du site de la bataille de Waterloo, complète un ensemble de treize monuments et musées, accueillant un public de plus de 2 millions de visiteurs et faisant de l'entreprise la première d'Europe dans sa spécialité. Le soutien du groupe Suez permit sans doute à la société de réaliser d'importants investissements nécessaires à la mise en valeur des sites, et d'en assumer les risques financiers. Forte de ses plus de 200 employés le chiffre d'affaire de l’entreprise pour l'exercice 2005 s'élevait à 18,6 millions d'euros. Structurées en cinq secteurs distincts, les activités de l'entreprise sont prises en charge, sous l'autorité de son président, par cinq services : l'accueil, le service du marketing, le service des librairies et boutiques, le service culturel chargé de l'animation, de l'exposition, de l'édition et des inventaires ; le service administratif qui contrôle la gestion sociale et financière, l'administration et la sécurité des collections et des personnes. Ces services sont massés au siège social et trouvent leurs antennes selon la nécessité dans les musées. Un service pédagogique est placé sous la responsabilité conjointe de l'administrateur, du service marketing et du conservateur. Le conservateur, lorsqu'il existe, trouve sa place en marge de cette organisation sur laquelle il n'a pas autorité64. Le conservateur est placé sous le contrôle de l'Institut et plus précisément sous celle du président de la Commission Administrative Centrale. L'Institut assure le contrôle des projets de l'entreprise qui doivent systématiquement être soumis à son approbation. La Société à Responsabilité Limitée Kleber-Rossillon, du nom de son créateur, s'invita en 1994 dans le même secteur d'activité avec une prédilection pour les châteaux médiévaux et Renaissance. C'est la passion de K. Rossillon, ingénieur aéronautique engagé à partir de 1993 dans une association de protection du patrimoine, qui le conduit aux métiers de la mise en 63

Culturespace regroupe les sociétés Monuments et Musées Gestion ; Val de Loire Culture et développement ; Provence Culture et Développement.

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valeur et de la gestion de monuments historiques dans une perspective régionale à l'origine. Commencée en 1995 en Dordogne, autour de trois châteaux dont celui de Castelnaud qui fut alors doté d'un Musée de la guerre au Moyen-Âge, l'activité de l'opérateur s'étend en 2005 avec une incursion dans la vallée de la Loire, et entre en contact par le biais d'un appel d'offre, avec l'Institut de France. La gestion du château de Langeais légué à l'Institut par l'entrepreneur Jacques Siegfried, pourtant épargnée de toutes critiques négatives de la part de la Cour des Comptes, avait vu sa fréquentation passer de 93 000 visiteurs en 2000 à 82 000 en 2004. Les équipes restreintes de cet opérateur sont dirigées par les directeurs de chaque site. Le conservateur de Langeais est dépêché sur place chaque mois pour veiller au respect des charges de la convention.

2.2. Méthodes de la gestion déléguée Si Culturespaces affiche les ambitions les plus marquées 65, et bénéficie d'une organisation très rationalisée permise par son ampleur, les méthodes des deux acteurs de l'expérience de la délégation de gestion sont très proches. Ces méthodes sont centrées autour de la figure du visiteur sur lequel repose la réussite ou l'échec financier de l'entreprise. Générer un profit là où l'Institut peinait à atteindre l'équilibre de ses comptes est le défi que les deux opérateurs ont entrepris d'atteindre. Il nous revient de proposer ici une brève évaluation des conséquences directes de l'entrée en scène d'un opérateur, sur le musée qui l'accueille. Source unique de revenu, le visiteur est sans surprise le centre de gravité vers lequel convergent les efforts des sociétés privées, et leurs apports muséographiques dans l'espace du musée. La visite des musées gérés par Culturespaces est basée sur un protocole réfléchi. Ce protocole s’ouvre et se termine par l’incontournable traversée d’une boutique66. Cette visite se poursuit par le prêt d'un audio guide, compris dans le prix du billet d'entrée. Elle peut se poursuivre à la terrasse d'un restaurant où d'un café, équipement récurrent, pour s'achever nous le disions à la boutique. Ce parcours, de même que la raison d'être de ces étapes précitées, est théorisé par le concept promu par l'opérateur sous le titre de "visite plaisir". Écoutons le patron de l'entreprise définir cette idée directrice : "Venez découvrir la visite plaisir : Le plaisir de découvrir des lieux remarquables que nous avons sélectionnés et mis en valeur pour vous, et que nous animons et gérons quotidiennement. Le plaisir d'une visite vivante et passionnante avec des animations, des audio-guides (gratuits), des films pour

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A l'exception du service pédagogique et, dans les cas de force majeure uniquement, des gardiens. Les responsables de Culturespace avaient convoité la gestion du domaine de Chantilly. 66 À l'exception de la villa Ephrussy dont la configuration ne l'a pas permis. 65

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plonger au cœur de l'histoire, découvrir une œuvre, rencontrer des personnages historiques au destin étonnant... Le plaisir de vos enfants : nous offrons à chaque enfant une chasse au trésor pour apprendre en s'amusant, (...) nous faisons un tarif spécial pour les familles. Le plaisir d'un accueil de qualité : vous trouverez toujours chez Culturespaces un choix de livres et de cadeaux, des restaurants et salons de thé dans un cadre privilégié. Le plaisir d'une émotion renouvelée : nous organisons regulièrement des expositions temporaires, des évenements de qualité. Tout estréuni pour que vous passier des moments inoubliables." Bruno Monnier, President de Culturespaces, dossier de Presse Culturespaces, 2005.

Plus concrètement, le visiteur — et plus particulièrement le visiteur en famille — est l'objet de tous les soins. Les musées gérés par Culturespaces sont ouverts tous les jours de l'année par un personnel issu de formations hôtelières. La muséographie combine l'usage de l'audio guide qui se substitue souvent au cartel, de la diffusion d'extraits musicaux — qu'annoncent déjà les sites Internet des musées eux-mêmes mis en musique—, notamment dans la salle de bal du musée Jacquemart-André, ou de vidéos comme l'atteste le film projeté dans les sous-sols de la Villa Ephrussi de Rothschild. La visite de Langeais s'appuie sur des méthodes très proches, combinant l'emploi de personnages de cire en costume d'époque, d'une mise en scène est elle aussi basée sur la diffusion au moyen de haut-parleurs de commentaires : ceux du conservateur-académicien J. Favier, ainsi que sur la distribution théâtrale de la lumière. Cette sollicitation des sens induite par ces dispositifs s'ajoute à celle qu'imposent les lieux euxmêmes, et leurs collections ; ainsi l’accompagnement du visiteur est-il constant. Le travail de communication en amont de la visite est réalisé par les soins de sous-traitants spécialisés dans le domaine de la communication. L'apport d'informations concernant les œuvres et leurs anciens propriétaires est caractérisé par l'abondance de formules humoristiques, et l'entretient d'un lien de familiarité avec les donateurs : on notera l'usage étonnant de cartels indiquant la "Chambre de Madame" dans les appartements privés de la demeure du boulevard Haussmann ; ainsi que la pléiade des commentaires ludiques tel ce commentaire de la Singerie ornant les lambris du salon du même nom, de la Villa Ephrussy de Rothschild, due à Jean Baptiste Huet : "Le salon des singeries : pied de nez de l'excentrique de la Riviera ? Référence savoureuse au grand siècle ? Peut-être, mais plus sûrement, bel hommage à ces petits animaux que la baronne affectionnait tant. Ce motif du singe rend bien compte des aspirations culturelles et intellectuelles de Mme Ephrussi : il montre sa passion pour le XVIIe siècle ainsi que sa propension à l'originalité. (...) Un peu de badinerie sied si bien à Madame la baronne. C'est ce même sens de l'amusement qui triomphe dans les porcelaines de Meissen : les petits animaux jouent une petite musique, que le visiteur n'est pas près d'oublier !" Culturespaces, dossier de presse.

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L'événement est enfin, comme dans tous musées, le vecteur privilégié pour attirer à plusieurs reprises les mêmes visiteurs. La programmation d'importantes expositions complète les dispositifs de visite. L'opérateur Kleber-Rossillon se montre attentif à proposer une programmation d'expositions temporaires axées sur les formes artistiques de la période que Jacques Siegfried, comme nombre de ses contemporains, affectionnait. "La mode au Moyen Âge", actuellement proposé semble en être le bel exemple, s'insérant de façon naturelle avec le lieu, mais plus encore avec l'axe de ses collections. Initialement prévues pour être en phase avec les collections, la politique d'expositions temporaires engagée par la société Culturespaces sociétés ne conserve de l'idée initiale qu'un lien ténu : la Villa Kérylos accueille notamment l'exposition "Artistes et stars par les photographes de Paris-Match", exposition qui sera présentée plus tard au musée Jacquemart-André, à l'accoutumé enclin à des expositions d'œuvres antérieures à 188067 A ce propos, l'avis du conservateur de Jacquemart-André était en 1995 sans équivoque : "Des expositions temporaires qui ne seraient pas en relation avec les collections et avec le musées ? c'est non ! assène Nicolas Sainte-Fare-Garnot : l'expérience passée nous fut trop néfaste."68 Ce musée recoit en réalité une programmation d’expositions temporaires très contrastée. Aux expositions spectaculaires et très éloignées des collections telle « L’or des Thraces » succedera une grande exposition consacrée à Fragonard. "Nous voulons montrer que la visite d'un monument est aussi vivante et attrayante qu'un parc de loisir" explique le PDG de Culturespaces 69. Cette conception nouvelle de la visite s'inscrit dans une réaction très ancré en opposition à la tradition muséale, longtemps tendue vers un public composé d’amateurs confirmés. À ce public traditionnel et restreint, les sociétés choisies par l'Institut de France ont choisi de substituer un autre public : les familles. Si les autres publics sont naturellement toujours conviés dans les musées de l'Institut, il est remarquable d'observer que les efforts des sociétés de délégation se sont concentré sur la famille : animations pour enfants, faveurs tarifaires 70, en sont d'autres formes. Il nous est permis d'observer, à la lumière des règles qui régissent les musées de droit publics, et plus généralement des musées titulaires du label Musée de France71, que ce parti-pris à l'adresse d'un type de public, ouvertement assumé et promu par le biais de dépliants etc., intervient à un moment de l'histoire de musée où l'on ne se concentre très généralement plus sur tel public plutôt que tel autre, mais sur les publics, dont le pluralisme fut très étudié à partir des années 1980, et pris en compte par les musées au moyen notamment d'une multiplication des offres de 67

Limite temporelle imposée par l'acte du legs en cas d'éventuelles acquisitions au profit de la fondation. Extrait du Journal des Arts, Mars 2001, J. DEBOUGES et C.MARTIN "Soleil levant au musée Jacquemart-André". 69 "Les décideurs en vue, Bruno Monnier" Le Figaro économie, 8 avril 2003, n° 18247. 70 Un règlement précise que deux parents accompagnés de leur deux enfants bénéficient dans les établissements gérés par Culturespaces, d'un billet d'entrée gratuit. Le tarif normal est fixé à 10 euros contre 8 euros pour le billet à prix réduit. 68

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médiation, les tarifs, les parcours, les modes d'appropriation des collections, etc. Reliés par des ressorts identiques, les cinq protocoles de visite semblent dévoiler l'application d'une même et unique méthode, ayant pour fin l'accomplissement immédiat d'un plaisir. Cette relative uniformité de traitement, trahissant dans certaines de ses applications, la recherche d'une économie des coûts de revient et le souci de rentabilité ne saurait gommer l'hétérogénéité et la complexité des lieux dont elle a la charge de la mise en valeur. La "visite plaisir" promue par certains opérateurs ne saurait nous faire oublier que le plaisir des uns peut faire le déplaisir des autres.

3. Vers un bilan 3.1. Résultats Procédé très récent, la délégation de gestion muséale est un sujet actuel. S’il est prématuré d’espérer apprécier l’entière mesure de ces effets sur les musées, ou analyser ses résultats de façon catégorique72, certains éléments peuvent néanmoins esquisser l'image d'un premier bilan, et parmi eux les chiffres publiés par Culturespaces. Aux commandes des treize établissements qui cumulaient ensemble 300 000 visiteurs avant de passer sous son contrôle, l'opérateur cumule annuellement 2 millions de visiteurs. Le musée Jacquemart-André, qui recueille le plus de succès parmi les trois sites de l’Institut, semble être le parangon de cette réussite : partant de 20 000 visiteurs avant sa fermeture en 1991, sa fréquentation fut en 2005 évaluée à 250 000. Le déficit qu'accusaient les finances de l'établissement s’est résorbé en l'espace de dix ans. La fondation recapitalise en outre sa dotation initiale. Autre point fort, et peut-être le premier, les musées gérés par ces sociétés, retrouvent peu à peu un excellent état de conservation. Victimes jusque très récemment d’une négligence avérée, les collections des musées de l'Institut retrouvent globalement, après d'importantes campagnes de restauration un état de conservation exemplaire, à l'image de celui des collections de grands musées nationaux73. L’expérience novatrice tentée par l’Institut présente enfin l’avantage prépondérant de respecter la mission que les donateurs lui ont confiée : celle d’ouvrir ces lieux au public. Si le prix d’entrée y est relativement élevé, force est de constater qu’un public très nombreux pousse à nouveau les portes de ces musées. Les deux sociétés présentent enfin leurs qualités propres, qui invitent à penser que les formes de la délégation de gestion peut, et doit être plurielle : la sélection de Klebert-Rossillon à l’issu

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Les musées de l'Institut ne sont pas titulaires de ce label. Kleber-Rossillon, actif depuis un an et demi à Langeais, n'est pas en mesure de publier ses premiers chiffres. 73 Considération émanant d’un responsable du C2RMF, section peinture (au cours d'un entretien). 72

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de l’appel d’offre pour le château de Langeais a ouvert la porte à un opérateur très spécialisé dans sa période et son type de monument. Cette voie vers la spécialisation, qui s’adapte avec soin, et une judicieuse économie de moyens rendant au final la présence de l’opérateur discrète. Cette emprise légère sur le site, et cette spécialisation nous paraît riche d’avenir, et nous montre aussi que le métier d’opérateur muséal est peut-être encore dans une phase experimentale. Sera-t-il possible pour ces professionnels, à l’avenir, de disposer les mêmes boutiques, d’user des mêmes procédés dans un musée automobile, dans un château, ou dans un musée de beaux-arts ? La délégation de gestion du musée démontre enfin que l’équilibre des comptes n’est pas impossible au sein d’un musée, brisant ce poncif du musée public. Est-elle pour autant une activité rentable, et si oui, quel en est le prix ? Si les comptes de ces musées semblent rapidement retrouver un équilibre, les délégataires ne parviennent à dégager d'importants bénéfices : pour un chiffre d'affaires au musée Jacquemart-André s'élevant à 18,6 millions d'euros pour l'exercice de l'année 2005, les bénéfices n'atteignent eux que 600 000 euros. Les collections confiées à ces opérateurs privés sont mises en valeur, et semble-t-il soignées, grâce notamment au contrôle de l’Institut, avec égard. Si l’intégrité des collections est gagnante dans cette opération, il nous apparaît cependant que l’expérience de la gestion déléguée ne respecte pas toutes les dimensions propres à ces musées très spécifiques. La clause, enfin, de non lucrativité des fondations semble profondément remise en question par l’activité en son sein, d’entreprises visant à tirer un légitime bénéfice de ses activités. Le recours à l’excès de techniques strictement commerciales n’est enfin pas en phase avec cette forme administrative choisie initialement, le plus souvent par les donateurs. L’emprise des équipements lucratifs ou ludiques sur les musées, leurs jardins 74 et leurs œuvres 75 n’altère-t-elle pas le sens du don, faisant du public un consommateur ? La maîtrise de cette frontière fragile réside dans la convention qu’établissent les deux parties, et dans les mécanismes de contrôle qu’elle prévoit. Le bilan de l’expérience ne peut limiter son investigation qu’aux réussites certaines de ses promoteurs.

3.2. Un modèle de gestion ? Mouvement désormais engagé, la délégation de gestion muséale est-elle la solution que les ordonnateurs de l'Institut de France vont désormais systématiquement soumettre aux conseils d'administration de ses fondations-musées déficitaires ? "L'Institut n'est pas très bon pour la gestion commerciale" confiait au terme de son mandat le 74 75

Les jardins de la Villa Ephrussi de Rothschild ont récemment été dotés de jeux d’eau musicaux. Le plafond peint de Tiepolo, conservé au musée Jacquemart-André, n’est accessible qu’aux consommateurs du salon de thé .

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chancelier P. Messmer, évoquant le mouvement de ses fondations-musées 76. Ce constat, mis en relation avec les succès financiers de certaines sociétés de gestion déléguée, permet-il d'établir que l'Institut et ses fondations doivent se défaire de la gestion de leurs musées ? La régie directe est-elle enfin condamnée à disparaître du terrain des fondations ? La délégation de gestion est emblématique du regard que pose l’Institut sur son patrimoine artistique. La réussite évidente d’autres modèles de gestion au sein de musées de droit privé existe cependant : en témoignent le dynamisme et l’équilibre des fondations Maeght à SaintPaul-de-Vence ou Pierre Gianada à Martiny. Une généralisation de la gestion déléguée ne semble pas devoir s’imposer partout. Elle ne peut s’imposer au sein des autres musées sans que soient étudiées d’autres approches. Établissement comparable au musée Jacquemart-André, la fondation (trust) de la Frick Collection à New-York, présente le contrepoint aux expériences des musées de l'Institut confiés à des sociétés privées. Fondation gérée en régie directe, l'hôtel new-yorkais parvient à trouver de façon autonome un équilibre financier tout en menant une activité scientifique dynamique. Afin de garantir le confort des visiteurs les plus exigeants, les enfants n'y sont pas admis. La politique tarifaire parait plus s'adapter à ses publics, avec trois tarifs, partant de cinq dollars pour les étudiants, atteignant 15 dollars pour les visiteurs ne bénéficiant d'aucune réduction. Les résultats financiers d'une bonne gestion, qui tire ses revenus sur le prix des entrées, des soirées de parainage ainsi que sur les ventes d’une librairie qu’il est possible de contourner, lui permettent en outre d'organiser très régulièrement de petites expositions de qualité élevée : expositions-dossiers très précises, en lien très direct avec un ou plusieurs objets de la collection, ne requérant que peu d'engagement financier, notamment en matière de frais de contrats d'assurance. La gestion directe, les partenariats avec des mécènes publics ou privés, semblent pouvoir aussi s’adapter à la gestion de musées-fondations. La place du conservateur peut y être affirmée, au contraire de la gestion déléguée qui le destitue d’une part de ses missions traditionnelles. La marginalisation du conservateur à l’égard de la gestion du musée, mais aussi de sa politique d’exposition semble inhérente à la gestion déléguée. Il est à noter que les musées publics, et même nationaux, sont touchés par cette évolution comme l’attestent les récents exemples de Fontainebleau ou Versailles, où le conservateur s’est vu destitué de la direction des établissements. L’indépendance et la stabilité chères à l’Institut ne semblent pas l’avoir tenu à l’écart de ce mouvement généralisé.

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in "L'Institut de France, une vieille dame bien dotée", S. FLOUQUET, in Le Journal des Arts n°211 mars 2005.

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CONCLUSION

Fille des idéaux de la Révolution autant qu’héritière des traditions régaliennes, la création d’un parlement des savants en 1795 fut le point de départ d’une histoire riche, aiguillée par une constante exigence de liberté. Au cours de cette histoire, l’Institut de France sut se prémunir des conséquences des aléas politiques grâce aux textes normatifs qui l’avaient fondé. Afin d’assurer ses missions en toute liberté et d’en amplifier les effets, l’établissement public se dota d’un patrimoine mobilier exceptionnel, provenant de sources privées. Cette assise lui conféra une stabilité exceptionnelle dans le paysage institutionnel français, qui lui attira à la fin du XIXe siècle le bénéfice d’un patrimoine d’une nature tout autre. Les biens culturels qui affluèrent à partir de la donation du château de Chantilly et de ses collections, s’immiscèrent avec un éclat nouveau au sein du patrimoine initial de l’établissement. Devenu l’héritier de seize musées originaux de par leur nature, leur provenance et leurs modes de fonctionnement, devenu l’abri de leurs fondations, l’Institut est aujourd’hui en présence d’un héritage très précieux, mais imprévu, délicat à entretenir et contraint par les charges dont il fut grevé. Longtemps manié avec empirisme, les musées de l’Institut ont progressivement mené leur propriétaire après une phase d’hésitation à trouver des solutions adaptées à leurs spécificités. L’administration de l’institution bicentenaire est aujourd’hui engagée dans un

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tournant de son histoire patrimoniale. Conscient de sa valeur insigne, soucieux de poursuivre les engagements pris à l’égard de leurs donataires, l’Institut a entrepris de conséquentes stratégies à l’égard de ce patrimoine. La délégation de gestion en est une. En confiant quatre de ces établissements à des professionnels de droit privé, l’Institut montre sa volonté, de façon audacieuse, d’ouvrir des perspectives d’avenir à son patrimoine culturel. Cette réflexion engagée depuis maintenant une décénie donne sa place à la question du nécessaire équilibre financier de ses fondations. Destitué sur la décision du ministre André Malraux de la prestigieuse académie de France à Rome, confronté à l’évolution de ses missions originelles, l’Institut ne peut qu’engager une autre réflexion : l’idée du musée, et sa place au sein du patrimoine de l’Institut doivent aussi être reconsidérées, et pourraient l’être sous les auspices de Minerve77. La récente création d’une Commission technique des beaux-arts semble souligner cette heureuse intention, mais il nous apparaît que la conservation des collections des musées de l’Institut, et de l’Institut lui-même, nécessiterait plus encore, d’un personnel qualifié et permanent au niveau central, dont l’activité ne devrait être limitée à un rôle consultatif. Cette structure pourrait de même insuffler à l’Institut une véritable politique culturelle autour de son patrimoine. La rotonde du musée Condé à Chantilly, le grand escalier de l’hôtel JacquemartAndré, les jardins de la villa Ephrussi de Rothschild, ne sont-ils pas les plus fidèles outils du rayonnement d’une institution conçue pour rayonner ?

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Minerve, déesse romaine, est la protectrice des arts. Elle fut choisie comme emblème et figure tutélaire de l’Institut.

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ANNEXE I : Textes de loi

Constitution du 5 Fructidor an III Titre X Instruction publique Article 298. Il y a pour toute la République un Institut national chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences.

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Organisation de 1816 : Ordonnance du roi 21 Mars 1816 Louis, etc., La protection que les Rois nos aïeux ont constamment accordée aux sciences et aux lettres Nous a toujours fait considérer avec un intérêt particulier les divers établissements qu'ils ont fondés pour honorer ceux qui les cultivent : aussi n'avons-Nous pu voir sans douleur la chute de ces Académies qui avaient si puissamment contribué à la prospérité des lettres, et dont la fondation a été un titre de gloire pour nos augustes prédécesseurs. Depuis l'époque où elles ont été rétablies sous une dénomination nouvelle, Nous avons vu avec une vive satisfaction la considération et la renommée que l'Institut a méritées en Europe. Aussitôt que la divine Providence Nous a rappelé sur le trône de nos pères, notre intention a été de maintenir et de protéger cette savante Compagnie ; mais Nous avons jugé convenable de rendre à chacune de ses classes son nom primitif, afin de rattacher leur gloire passée à celle qu'elles ont acquise et afin de leur rappeler à la fois ce qu'elles ont pu faire dans des temps difficiles et ce que Nous devons en attendre dans des jours plus heureux. Enfin, Nous nous sommes proposé de donner aux Académies une marque de notre royale bienveillance, en associant leur rétablissement à la restauration de la monarchie et en mettant leur composition et leurs statuts en accord avec l'ordre actuel de notre gouvernement. À CES CAUSES, et sur le rapport de notre Ministre secrétaire d'État au Département de l'intérieur ; Notre Conseil d'État entendu, NOUS AVONS ORDONNÉ ET ORDONNONS ce qui suit : ARTICLE PREMIER L'Institut sera composé de quatre Académies, dénommées ainsi qu'il suit, et selon l'ordre de leur fondation, savoir : L'Académie française ; L'Académie royale des inscriptions et belles-lettres ; L'Académie royale des sciences ; L'Académie royale des beaux-arts. ART. 2 Les Académies sont sous notre protection directe et spéciale. ART. 3 Chaque Académie aura son régime indépendant et la libre disposition des fonds qui lui sont ou lui seront spécialement affectés. ART. 4 Toutefois l'agence, le secrétariat, la bibliothèque et les autres collections de l'Institut demeureront communs aux quatre Académies.

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ART. 5 Les propriétés communes aux quatre Académies et les fonds y affectés seront régis et administrés, sous l'autorité de notre Ministre secrétaire d'État au Département de l'intérieur, par une commission de huit membres, dont deux seront pris dans chaque Académie. Ces commissaires seront élus chacun pour un an et seront toujours rééligibles. ART. 6 Les propriétés et fonds particuliers de chaque Académie seront régis en son nom par les bureaux ou commissions institués ou à instituer, et dans les formalités établies par les règlements. ART. 7 Chaque Académie disposera, selon ses convenances, du local affecté aux séances publiques. ART. 8 Elles tiendront une séance publique commune le 24 avril, jour de notre rentrée dans notre Royaume. ART. 9 Les membres de chaque Académie pourront être élus aux trois autres Académies. ART. 10 L'Académie française reprendra ses anciens statuts, sauf les modifications que nous pourrions juger nécessaires, et qui nous seront présentées, s'il y a lieu, par notre Ministre secrétaire d'État au Département de l'intérieur.

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LOI de programme n° 2006-450 du 18 avril 2006 pour la recherche J.O n° 92 du 19 avril 2006 page 5820 NOR: MENX0500251L L'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté, Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit : TITRE IV DISPOSITIONS RELATIVES À L'INSTITUT DE FRANCE ET AUX ACADÉMIES Article 35 L'Institut de France ainsi que l'Académie française, l'Académie des inscriptions et belles-lettres, l'Académie des sciences, l'Académie des beaux-arts et l'Académie des sciences morales et politiques qui le composent sont des personnes morales de droit public à statut particulier placées sous la protection du Président de la République. Ils ont pour mission de contribuer à titre non lucratif au perfectionnement et au rayonnement des lettres, des sciences et des arts. Leurs membres sont élus par leurs pairs. Toutes les fonctions y sont électives. Article 36 L'Institut et les académies s'administrent librement. Leurs décisions entrent en vigueur sans autorisation préalable. Ils bénéficient de l'autonomie financière sous le seul contrôle de la Cour des comptes. L'administration de l'Institut est assurée par la commission administrative centrale, qui élit parmi ses membres le chancelier de l'Institut, et par l'assemblée générale. Chaque académie est administrée par ses membres qui désignent leurs secrétaires perpétuels et leur commission administrative. Article 37 Le 2° du I de l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics est complété par les mots : « , l'Institut de France, l'Académie française, l'Académie des inscriptions et belles-lettres, l'Académie des sciences, l'Académie des beaux-arts et l'Académie des sciences morales et politiques ». Article 38 Les statuts de l'Institut et de chaque académie et les règlements fixant les conditions particulières de leur gestion administrative et financière sont approuvés par décret en Conseil d'État. Les dons et legs avec charges dont bénéficient l'Institut ou les académies sont autorisés par décret en Conseil d'État.

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ANNEXE II : Chronologie

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Musée Condé et domaine de Chantilly

Legs d’Aumale

1886

Institut de France Fondation d’Aumale

Don Aga Khan

2005

Institut de France Fondation pour la sauvegarde de Chantilly

Château observatoire d’Abbadia

Legs Antoine d’Abbadie

1897

Académie des sciences Fondation Antoine d’Abbadie

Château de Langeais

Legs Siegfried

1904

Institut de France Fondation Jacques Siegfried

Délégation de gestion

2005

Hotel et bibliothèque Dosne Thiers

Legs Felicie Dosne

1905

Institut de France Fondation Dosne Thiers

Musée JacquemartAndré

Legs Nélie Jacquemart

1912

Institut de France Fondation Jacquemard-André

Délégation de gestion

1996

Maison de l’Institut de France à Londres

Legs Edmond de Rothschild

1919

Institut de France Fondation Edmond de Rothschild

Manoir de Kérazan

Legs Joseph Astor

1920

Institut de France Fondation Astor

Villa Kérylos

Legs en nue propriété

1928

Institut de France Fondation Théodore Reinach

Pleine propriété par convention avec les héritiers

1967

Délégation de gestion

2002

Legs Paul Marmottan

1932

Legs Donop de Monchy

1948

Legs Michel Monet

1970

Abbaye royale de Chaalis

Musée Marmottan et bibliothèque Marmottan

Académie des beaux-arts Fondation Paul Marmottan

…/…

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Villa Ephrussi de Rothschild

Legs Béatrice Ephrussi de Rothschild

1934

Académie des beaux-arts Fondation Ephrussi de Rothschild

Délégation de gestion

1992

Maison Claude Monet à Givergny

Legs Michel Monet

1966

Académie des beaux-arts Fondation Claude Monet

Château de Castrie

Legs duchesse de Castrie

1985

Académie française Fondation duc et duchesse de Castrie

Maison Louis Pasteur à Arbois

Don Société des amis Pasteur

1992

Académie des sciences Fondation de la maison de Louis Pasteur

Château de Braux SainteCohière

Legs André Bussinger

1997

Institut de France Fondation André Bussinger et Brauxsous-Valmy

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