Cette relation très personnalisée est un avantage pour l’artisanat mais peut générer du stress et rend l’organisation du travail complexe. Une fois que le client a été en lien avec l’artisan, il a du mal à accepter les rotations de salariés par exemple. Socialement et écologiquement, il me semble que les artisanes et artisans ont aussi une carte à jouer… L’entreprise doit aujourd’hui être socialement responsable. Entretenant une relation de proximité avec ses clients et ses salariés, l’artisan est contraint à une certaine forme de responsabilité sociale. On sait qu’il pratique traditionnellement une gestion économe des ressources, marquée par la prudence en matière de dépenses car il porte le risque sur ses biens personnels. Cette gestion, considérée comme peu adaptée au développement économique dans les années 70-80, est reconnue aujourd’hui comme efficace. De plus, la redistribution d’une partie de ses revenus sur son territoire, à travers les salaires de ses ouvriers ou employés, font de lui un acteur socialement responsable. Que peut-on dire, statutairement, de l’accès à l’auto-entreprise pour les artisanes et artisans qui y ont de plus en plus recours ? Qu’est-ce que cela change ? Quand j’ai étudié les statistiques de l’URSSAF il y a 3 ans, l’auto-entrepre- nariat restait encore un revenu complémentaire au salariat, c’était plus rarement le moyen de tester son projet pour ensuite passer à un statut qui permette un chiffre d’affaires plus conséquent. Il aurait pu permettre d’externaliser certaines des activités et certains des salariés mais je ne suis pas certaine que ce soit le cas. Lors du l’instauration de ce statut, les artisans se sont mobilisés pour défendre leur cause, le considérant comme une concurrence déloyale. Mais surtout, selon eux, il « déqualifiait » le statut d’artisan et leur faisant courir le risque de diluer leur identité, en quelque sorte le risque de perdre la relation au métier. Les artisanes et artisans disent-ils se construire aujourd’hui encore contre le capitalisme ? Ils ne disent pas se construire contre le capitalisme mais étant donné que leur
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ZUT ARTISANAT | INTERVIEW
« La redistribution d’une partie de ses revenus sur son territoire, à travers les salaires de ses ouvriers ou employés, font de l’artisan un acteur socialement responsable. »
motivation n’est pas de conquérir des marchés ou de transformer leur entreprise en PME ou grande entreprise, ils mobilisent le modèle de la vocation. L’artisanat et ses valeurs pourrait-il devenir la norme ? Je ne crois pas. Ce n’est pas faisable. Ces modes de production, tout simplement, ne pourraient pas servir le monde entier. Rationaliser la production alimentaire permet de nourrir les masses... Pensez-vous que la crise sanitaire va renforcer les valeurs que porte l’artisanat ? J’aurais dit oui au début, dans le cadre du premier confinement. Maintenant, je ne sais pas. Les boulangeries et services de proximité ont globalement fonctionné, mais ce n’est pas le cas de tous les secteurs de l’artisanat. Je crois que ces effets n’ont été que temporaires. Ce qui est clair, c’est qu’il y a une tendance vers l’économie circulaire, le circuit court et l’écologie, mais cela ne concerne qu’une partie de la population. Tout le monde n’y est pas sensible, tout le monde ne peut pas se le permettre…