Zut10 lorraine

Page 32

32 Portrait Charles Tordjman

“Je suis passé d’une ville blanche surplombée d’un ciel bleu à une ville noire et froide. Je pense que cette migration originelle m’a poussé à en organiser d’autres.”

Complètement à l’Est En 1989, un mur tombe : la route vers l’Ouest est ouverte pour des millions d’Européens, parmi lesquels quelques metteurs en scène et comédiens que Charles Tordjman, avec la complicité de JeanPierre Thibaudat, journaliste à Libération et fin connaisseur des théâtres de l’Est, fera venir sur les planches de la Manufacture dès 1996. L’événement, pas encore un festival, se nommera Passages. « À cette époque, j’avais également été marqué par l’occupation de l’église Saint-Bernard à Paris par les sans-papiers, et par Sarajevo, explique Charles Tordjman. Je me disais : que peut faire le théâtre avec tout cela ? Ma réponse fut de créer des espaces où l’on fait la démonstration que des étrangers peuvent vivre ensemble et se comprendre sans problèmes. » Entièrement en versions originales sur-titrées, les spectacles de Passages sont donc l’occasion de croisements, au sens propre comme au figuré, entre les publics, des théâtreux du monde entier et un directeur artistique qui multiplie les voyages et les rencontres. Il invite un chaman mongol qui tiendra à bénir le festival entre deux tours de manège sur le Cours Léopold, affrète un avion pour faire venir d’Inde la famille de 45 âmes qui compose le théâtre Surabhi, se rend au bord de la mer du Japon dans un théâtre installé dans un garage, ou dans un autre, en état de délabrement avancé, dirigé par un directeur livré à lui-même sur les rives du lac Baïkal. « Certains ont si peu de moyens qu’on leur conseillerait presque d’abandonner. Il est sûr que cela fait relativiser notre lutte, en France, contre la baisse des budgets alloués à la culture et au théâtre ; que nous avons bien entendu raison de mener. Mais c’est incroyable de rencontrer des gens pour qui faire du théâtre est une telle nécessité. »

Le village mondial Charles Tordjman quitte le Théâtre de la Manufacture en 2010 et fonde la compagnie Fabbrica, un hommage à cette Italie qu’il adore et dont il a épousé l’une des filles. Il s’aventurera bien plus loin, jusque dans le Sichuan chinois, ou juste à côté, à Paris pour plusieurs créations aux côtés de Pierre Arditi. Mais surtout, il y a dans ses valises un festival en pleine croissance, qui a besoin d’espace. « Je ne voulais pas que Passages disparaisse avec mon départ de la Manufacture, et en même temps je ne

voulais pas continuer à planer sur le lieu comme une ombre tutélaire » précise-t-il. Le festival déménage donc à Metz. C’est une place de la République vierge, nettoyée de son vilain parking, qu’investira le nouveau monde de Passages : Magic Mirror, chapiteaux, baraques avec bar et restaurant, débats, concerts et rencontres… C’est une cité-état sans drapeau, une Zone Autonome Temporaire internationale qui s’étend au cœur de la ville. « J’ai eu très peur au début : Metz n’était pas une ville avec une vie


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.