Zibeline n°33

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PHILOSOPHIE 93

commencé là, il a pris des positions qui n’étaient pas celles de Charlie. Moi je suis rentré à Charlie pour l’humour, la satire : Cavanna, Cabu, etc… mais aussi sur des positions politiques d’antimilitarisme primaires. En plus j’ai connu l’équipe au moment de la Grosse Berta, un journal qui s’était monté contre la guerre d’Irak. Et puis Cabu a eu un procès avec l’armée : sa prise de conscience contre l’armée est venue de la guerre d’Algérie qu’il a vécue de l’intérieur. J’étais nourri de tout ça, pour moi Charlie hebdo était un journal pacifiste quoiqu’il arrive, tu ne défends pas des bombardements sur des populations civiles. Or, en soutenant l’intervention de l’OTAN tu soutenais des bombardements sur des populations civiles serbes : c’était pas le meilleur moyen de mettre un terme à la guerre en massacrant des gens qui n’avaient rien à voir là-dedans. Et du coup, là, on a commencé à se friter un peu beaucoup. Comme ses amis gauchistes de l’époque lui ont fait remarquer qu’il déraillait un peu il s’est vexé et s’est de plus en plus isolé… Pelloux : Bon Charb tu viens manger ? En plus tu parles à un gratuit… Justement, qu’est-ce que tu penses de la presse gratuite ? Charb : Je pense tout simplement que la presse gratuite n’est pas gratuite ; avec 20 minutes ou Métro la pub paye le journal, mais les marques qui font cette pub se remboursent en vendant plus cher leur produit dans le supermarché ; c’est pas la qualité du produit que tu payes en plus mais le budget publicitaire de Danone qui prend des pubs dans 20 minutes. Tu payes pas le journal directement mais en achetant des yaourts ; c’est une espèce de TVA… privée. Et quand c’est la pub qui fait la une du journal, c’est pas du journal quoi ! Au fait, dans… comment ça s’appelle ton truc… oui Zib… quoi… Zibeline… oui, dans Zibeline, là, je vois une pleine page de pub de tel théâtre : et vous allez pouvoir en dire du mal ? Ben oui, on se gène pas. Heureusement les théâtres n’ont pas les mêmes mœurs que Danone, ils

comprennent -en gros- la nécessité de la critique. De toute façon ça ne te regarde pas, et c’est moi qui pose les questions. Pourtant Oncle Bernard (Bernard Maris) défend la gratuité ? Mais lui il défend la gratuité sur Internet, de logiciels, des produits culturels. Mais il faut quand même se demander pourquoi on vivrait dans une société à moitié gratuite, où il n’y aurait que des produits culturels gratuits ; en gros il n’y aurait que les artistes qui n’auraient pas le droit de vivre de leur métier ? et les industriels continueraient à vendre leur yaourt ? Moi je suis pour que tout soit gratuit, qu’on trouve un système dans lequel chacun pourrait se procurer les biens essentiels de manière gratuite. Ce système tu en as une idée ? Oui c’est l’union soviétique, grosso modo. …. !!!!??? Pour moi c’est un modèle, un modèle qui a foiré parce que les gens n’étaient pas volontaires pour le faire. Personne n’a joué le jeu, et certains ont profité pour détourner le système ; c’est comme l’anarchie, tel que certains le décrivent comme Normand Baillargeon

(voir Zib 27, L’ordre moins le pouvoir, Agone 2008, ndlr) : la société qu’ils proposent est parfaitement viable, sauf que ça repose sur la confiance qu’on a dans les gens ; il faut que chacun soit partie prenante de ce système, soit volontaire. Si tu as une opposition c’est foutu d’avance. Il faudrait qu’il y ait un consensus général pour aller dans cette direction là, ça pourrait être une Union Soviétique idyllique ou l’anarchie. À partir du moment où toute la classe ouvrière n’est pas d’accord pour aller dans la même direction, c’est foutu. Faut pas exagérer ! Ce système hyper-centralisé de l’URSS dégénère forcément en bureaucratie… Les traces qu’on a c’est les papiers de la bureaucratie. Mais la vie des gens, c’est-à-dire la volonté des gens de vivre en Union Soviétique ou dans un autre système, on n’en a pas beaucoup d’écho : quelle était la proportion de Russes qui étaient volontaires pour vivre dans une Union Soviétique dans les années 20 ? Il n’y a qu’à voir à Cuba : les gens en ont marre de Castro depuis longtemps mais ils ne veulent pas du système américain; ils sont anti-américains et veulent une société juste où tout ne soit pas confisqué par une minorité. Bon on fait la prochaine interview sur «gratuité et société juste des USA à Cuba en passant par l’URSS» ? Quoi qu’il en soit, bon appétit et vive Charlie ! ENTRETIEN RÉALISÉ PAR RÉGIS VLACHOS ON REMERCIE CHARB POUR SES DESSINS «GRATUITS». CHARLIE HEBDO TOUS LES MERCREDIS EN KIOSQUE.


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