Zibeline n°29

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JEU DE PAUME | NÎMES | AVIGNON

THÉÂTRE 19

Hugo n’y suffit pas «Le théâtre ce n’est plus seulement un échange de répliques !» s’insurgeait à la sortie un spectateur surpris par l’accueil enthousiaste que ses amis avaient réservé à ce Ruy Blas pépère. À voir… Au moins ici on avait le plaisir du texte, et on s’y laissa prendre, collectivement, longtemps, à plusieurs reprises. C’est déjà ça : ils sont nombreux ces spectacles de théâtre où la voix amplifiée, la vidéo, l’exposition des corps et la musique enregistrée tiennent lieu de seule dramaturgie. N’empêche qu’il avait raison, ce spectateur, le théâtre ça n’est pas seulement ça ! Le problème avec ce Ruy Blas monté par Mesguish (le fils) réside dans sa mise en scène, c’est-àdire dans sa façon de mettre en œuvre cet échange de répliques : dans ses

gags potaches (l’homme de main de Salluste en mafieux ritaloaméricain), dans sa bande son digest (du type les quarante plus beaux tubes du classique, en version j’arrête juste après l’exposition du thème) et dans ses jeunes acteurs, visiblement assez doués, mais qui passent du pire au meilleur selon les consignes de jeu qu’ils ont reçues. Le jeu de César et Salluste, daté, oscille sans choisir entre réalisme et caricature, distance ironique et psychologie. Fort heureusement la Reine et Ruy Blas s’en tirent mieux… même si les élans romantiques de leurs rencontres sont mis à sac par un pseudo onirisme qui les empêche d’aller au bout du pathos (pourquoi jouer Hugo si ce n’est par amour avoué du bon vieux pathos qui tache ?).

© Benjamin Renout Agence Enguerand

Finalement ce spectateur avait tort. Il n’est pas question de mode, de génération, de passé : le théâtre n’a jamais été seulement un échange de répliques, et ce jeu-là n’est pas à la papa :

simplement mal inspiré, et un peu fat. AGNES FRESCHEL

Ruy Blas a été joué au Jeu de Paume (Aix) du 30 mars au 3 avril

Sombre sauvagerie

© Mouss

Artiste associé du Théâtre de Nîmes cette année, Bruno Geslin y a créé Paysage(s) de Fantaisie, pièce coup de poing qui pose un regard sans concession sur le conditionnement et les mécanismes de la violence qui en découlent. Le metteur en scène qui

dit utiliser «le langage du théâtre pour interroger le monde d’aujourd’hui» s’est emparé du texte et de l’univers de l’auteur Tony Duvert (Prix Médicis en 1973), lequel écrivait à propos de son livre : «Les personnages de Paysage de fantaisie sont des enfants, c’est-à-dire un adulte moribond, puisque l’enfance n’existe pas. Car les enfants ne nomment pas l’enfance ; leurs jeux mêmes la nient, la tirent vers un ailleurs pourtant inhabitable : le monde adulte, la “réalité”.» L’enfance n’existe pas, et pourtant les garçons et filles qui peuplent cette histoire n’auront de cesse de la convoquer, images d’un passé qui les hante et dont ils ont bien conscience qu’il a disparu. Car ces jeunes-là sont enfermés, conditionnés, les garçons, meurtriers surveillés, dans un centre de détention de nos jours en Russie, les filles dans un pensionnat du XIXe où on les éduque sévèrement.

Les jeunes comédiens, formidables, fraîchement sortis du Conservatoire de Montpellier, sont donc répartis en deux groupes distincts, et se partagent la scène pour ces deux histoires différentes, et pourtant tellement similaires. Ils vont se rencontrer (comment? voilà peut-être la seule faiblesse de cette mise en scène) et finiront par s’infliger encore plus de souffrances, dans une violence presque insoutenable, en toute conscience. L’enfance s’est effacée, laissant place à une réalité implacable : la violence entraîne la violence. DO.M.

Paysage(s) de Fantaisie a été créé au Théâtre du Périscope, à Nîmes, du 24 au 26 mars

Finir en vers scène, ne ménage pas son énergie. Sur le ton de la dérision les personnages défilent, les chapeaux et faux-nez voltigent, les feux d’artifice crépitent, les chansons et l’accordéon s’animent. La comédienne se fait conteuse, conférencière, clown, brouilleuse de cartes pour disséquer et démythifier le tabou. Maline quand elle utilise une souffleuse de textes, profonde dans la scène des fossoyeurs, drôle et gouailleuse lorsqu’elle chante. Le tout saupoudré d’un métronome, autre fil rouge du spectacle, qui tente de nous rappeler que «la mort n’a rien de tragique». DELPHINE MICHELANGELI

L’Asticot de Shakespeare a été joué au Théâtre des Carmes/André Benedetto les 27 et 28 mars

© Piper Mavis

«Je suis la mère asticot. Des amoureux, des poètes et des fous, oh oui j’en ai mangé. Que tu sois mendiant ou roi, tu passeras par moi.» Prologue à son nouveau spectacle, crée au théâtre Sorano de Toulouse en début d’année, c’est tout naturellement que Clémence Massart a étrenné son Asticot de Shakespeare sur la scène des Carmes, rebaptisé théâtre des Carmes/André Benedetto. Il sera repris pendant le festival dans le port d’attache et de cœur de la truculente comédienne. D’ici là, elle aura sans doute rôdé cette proposition en forme de cabaret, intéressante et inédite, rassemblant des textes sur la mort, avec pour fil rouge l’œuvre du grand Shakespeare, mais aussi de Baudelaire, Giono, Michaux, Jankélévitch. Car le thème est vaste, poétique et philosophique, et les tirades métaphysiques mériteraient quelques dissections pour que le spectateur ne perde pas le rythme. Surtout que Clémence Massart, accompagnée de Philippe Caubère à la dramaturgie et à la mise en


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