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Fouad Bouchoucha, au maximum de la puissance par Hélène Meisel Panorama #1, 2012. Installation sonore et lumineuse. © Courtesy Galerie Éric Dupont, Paris © Luce Moreau pour OTTO-Prod 2012

Fouad Bouchoucha envisage très souvent de pousser à bout les capacités des systèmes auxquels il a recours, d’en repousser les limites à l’extrême jusqu’à en frôler des points de rupture irréversibles. Attiré par ce cap décisif au-delà duquel l’emballement succède au plein régime, l’artiste navigue clairement en vue d’une intensification : vers une consommation outrancière, proche de la consumation que Georges Bataille décrit dans La part maudite comme la « dépense improductive » d’une énergie de toute manière excédentaire. Fasciné par des records en tous genres – de l’implosion d’une machine à laver démembrée par un essorage lancé sans contrepoids à la virtuosité de musiciens accélérant leur jeu jusqu’à l’épuisement – l’artiste aspire au superlatif. Moins par goût de la surenchère que par volonté d’éprouver des limites, de délimiter. Car des performances perfectionnées à outrance ne vont

pas sans fragilités spectaculaires. Mais paradoxalement, une sage renonciation capitule souvent face à l’attrait de ces prouesses excessives, l’artiste préférant à l’activation d’une puissance grisante la réserve d’un potentiel épargné indéfiniment.

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ARTISTE

Dépassant les 400 km / h, la Bugatti Veyron affiche une vélocité dont le commun des mortels ne pourra que faire l’hypothèse, étant donné le coût de l’engin. Ahuri – ou magnétisé – par l’arrogance d’un tel luxe, Bouchoucha interroge la vanité d’une gamme dont les performances s’avèrent autodestructrices, les pointes de vitesse dévorant les pneus autant que l’essence. Une usure paradoxale pour un cahier des charges aussi prestigieux. L’artiste serait tout aussi fasciné par le plafonnement de capacités extrêmes que par le gouffre de dépenses somptuaires : un jeu de vases communicants, visant

dans tous les cas à la liquidation complète d’un surplus d’énergie. Aussi, il ne faut pas voir dans la coque mate, parfaitement usinée pour couvrir le pare-brise, le capot et les phares de la voiture la volonté d’un empêchement pervers. L’œillère ne contredit pas l’objet mais en achève en fait la logique contradictoire, ce perfectionnement aérodynamique s’accomplissant au détriment du champ de vision. Voir ou conduire… Sans regret, le titre Goodbye horses (2011) congédie les mille et un chevaux vantés par le modèle en même temps qu’il fait référence à la pensée hindoue où les montures incarnent des sens impulsifs qu’il faut dompter par l’ascèse, cet exercice de pensée pure visant la connaissance spéculative. Plutôt que de renoncer à agir, la pensée brahmane recommande d’agir dans le renoncement, c’est-à-dire de manière détachée et désintéressée. L’immobilité

Fouad Bouchoucha, au maximum de la puissance PAR HÉLÈNE MEISEL


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