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Vue de l’installation Insondables de Fred Vaillant et Todor Todoroff. © Olivier Janot

le temps, le corps s’immerge et se concentre sur ses sensations. L’attention se porte sur le son qui paraît déterminé par les mouvements du corps, puis sur l’image projetée, difficilement discernable qui apparaît puis disparaît comme dans un flux et reflux d’eau. Il semble que tout comme le son, l’image réagisse aux mouvements. Les sons et les images dialoguent par le corps en déplacement, médiateur entre ces deux formes, embrayeur du dispositif visuel et sonore. Insondables est la tentative de créer une machine à sensations, un espace entre, comparable à un espace aquatique où tout est amplifié, proche et loin à la fois, proche et flou. [Éléonore Pano-Zavaroni] Gabriela Oberkofler, “I will not leave my home for three months” du 26 nov. 2011 au 21 janv. 2012, art3, Valence. Programme de résidences d’artistes plasticiens entre la région Rhône-Alpes et le land du Bade-Wurtemberg.

Gabriela Oberkofler, Küche (cuisine), 2011, étagère et objets ; Haus auf Apfelbaumwiese (le pommier sur le chemin de la maison), 2010, feutre sur papier. © Thierry Chassepoux

« Je ne quitterai pas ma maison pour trois mois » déclare Gabriela Oberkofler en guise de titre à son exposition à art3. Alors l’artiste, suite à trois mois de résidence, reconstitue un intérieur avec mobilier, étagère, livres et objets, un coin cuisine, le tout ornementé de patients dessins au feutre, dont le trait dominant est la hachure, un peu à la manière du décompte des jours d’emprisonnement gravé sur le mur d’une cellule. Un intérieur certes, mais agencé selon une rigoureuse gestion de l’espace qui fait que chaque élément devient plastique, intouchable, inusuel. À la fois à l’entrée et à la sortie de l’exposition, en boucle, un court film

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de l’artiste allemande montre comment une tourterelle qu’elle a libérée de sa volière d’oisellerie ne prend pas son envol malgré la porte ouverte de sa nouvelle cage, installée telle une île sur un plan d’eau. Tout comme la cage est l’habitat de cet oiseau né captif, le lieu d’exposition comme « système de dispositions réglées » (P. Bourdieu) est l’habitus de l’artiste. Du moins celui de Gabriela Oberkofler. [Pascal Thevenet]

“Columna 01” Paul Chazal, Jean-Baptiste Ganne, Natacha Lesueur, Florian Pugnaire ET David Raffini, Cédric Teisseire, Tilman, Jan Van Der Ploeg, Jean-Luc Verna, du 17 sept. au 8 déc. 2011, Vienne, Chasse / Rhône.

Lili Reynaud-Dewar, “Ceci est ma maison / This is my place” du 5 fév. au 29 avril 2012, Magasin, Grenoble.

Vue de l’exposition Ceci est ma maison / This is my place au Magasin-Cnac © Blaise Adilon © Magasin-Cnac

Dire que l’exposition est dense serait un doux euphémisme. Comme à chaque fois, les motifs-référenceshistoires-mythologies présents dans le travail de Lili Reynaud-Dewar rythment et saturent sciemment tous les espaces du Magasin, à l’exception de la rue, empreinte d’un esprit nouveau. Car pour la première fois, l’artiste s’est mesurée à la performance, seule, avec la rue comme écrin, nue, recouverte de fard noir, en empruntant des postures de danse de Joséphine Baker. Seules subsistent des photos que l’artiste a prises. Elles scandent l’espace, au même titre que les dix sculptures minimales en métal réfléchissant posées sur des tables-établis à intervalles réguliers. L’espace est désincarné mais maîtrisé : les formes se répètent, les couleurs sont absentes, les volumes se répondent. Seul un corps noir, plein, habite l’immense espace qu’est la rue. En 1927, Adolf Loos dessine, pour Joséphine Baker, une maison qui ne sera jamais construite ; Le Corbusier en publiera les plans dans sa revue l’esprit nouveau. Loos unifie les deux étages par des bandes régulières, parallèles, alternées de marbre noir et blanc, alors que le rez-de-chaussée figure un socle blanc. Lili ReynaudDewar s’approprie ce motif efficace pour habiter la rue et en recouvrir l’intégralité des murs. Elle s’imprègne de l’histoire de ces deux personnages et de cette maison-paradis-utopique pour nous plonger dans des superpositions de paradoxes : Loos et Baker, un homme et une femme, un blanc, une noire, un référent de la culture \

COMPTES RENDUS

Tilman, Artitecture (Cabane communale), Chasse / Rhône, 2011. Laque sur bois, 500 × 420 × 300 cm. © l’artiste

Aller à Vienne, soit. Du jazz, un passé gallo-romain et probablement d’autres atouts qui font que la sous-préfecture peut être une étape. Mais Chasse / Rhône ? Pourquoi s’y rendre expressément ? Cette commune, coincée entre l’axe rhodanien et une colline, percée d’un grand pont autoroutier, présente l’intérêt d’une esthétique banlieusarde et post-industrielle. Cela justifie t-il le détour ? Oui, si quelques jalons guident la découverte. Des œuvres par exemple : une intervention graphique de Jan Van Der Ploeg et une construction de Tilman. Sous le fameux viaduc, une répétition de motifs géométriques anime le pilier sud. Des arrachements du papier collé, témoignages de quelques passages dans ce nonlieu, n’affectent pas l’aspect rosé que prend la culée alors que le regard s’éloigne de l’intervention de l’artiste néerlandais. Plus haut, sur la butte d’où la vallée industrielle se dévoile, d’autres couleurs, vives, agencent un espace urbain où école, MJC et intersection routière voisinent. Tilman a posé sur ce promontoire une « artitecture », tenant à la fois du préau, de l’abribus et de l’édifice sans fonction définie, dont l’usage est laissé à l’imagination de ses visiteurs. Voir l’art là où il n’a pas habituellement lieu permet de découvrir le lieu qui, sans l’art, n’aurait pas été vu. « Voir plus loin sans jamais s’arrêter » est le sous-titre de Columna 01, exposition

commissariée par Paul Raguenes en collaboration avec le collectif La Station, de Nice. « Voir plus loin sans jamais s’arrêter » aux apparences. Apparence d’un désordre lapidaire (musée Saint-Pierre de Vienne) articulé par les œuvres de Jean-Luc Verna, Natacha Lesueur, Cédric Teisseire et Paul Chazal. Apparence d’une beauté architecturale (temple d’Auguste et Livie) soulignée par deux monochromes du même Teisseire et l’installation lumi­ neuse de Jean-Baptiste Ganne. Apparence enfin d’une ancienne halle des bouchers où le duo Raffini et Pugnaire a envahi l’espace voûté d’explosions, de coulures, de dégradations pour une proposition finalement … envoûtante. « Voir plus loin sans jamais s’arrêter » : ne jamais s’arrêter au seul charme de Vienne mais bien aller se perdre dans un faubourg voisin. Voir plus loin que l’attendu dialogue entre patrimoine et création actuelle pour vérifier qu’une œuvre modifie la perception de son espace environnant. Au final, Columna 01 propose une mobilité permanente qui, rétrospectivement, est effective par le souvenir des lieux et non-lieux occupés temporairement par de l’art contemporain. Une mémoire en mouvement incessant qui va d’une tête de dieu colossale à un parking vide sous le pont autoroutier en passant par des volées d’adolescents partant se restaurer. [Pascal Thevenet]


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