A quoi joue-t-on quand on joue aux jeux vidéo - Lycée des Graves - Mai 2009

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? TOUT CELA NOUS LE DEVONS AUX HIPPIES Il est devenu difficile d’échapper au réseau. Il est pour beaucoup d’entre nous une part quotidienne de nos vies. Nous y habitons des pages-maison, nous y avons des amis, nous y avons des liens, des communautés, des réseaux, des jeux. L’histoire de ce réseau est généralement racontée de la façon suivante : le gouvernement américain, soucieux d’avoir une infrastructure de communication pouvant résister à une attaque nucléaire de l’U.R.S.S. se dote d’un réseau décentralisé. Ce sera l’internet. Il s’agit en fait d’un mythe, car si le réseau a bien été construit pendant la guerre froide, il ne doit rien à la crainte d’une attaque nucléaire. Le réseau s’est construit sur les rêves de quelques visionnaires, et par jeu. A partir du moment ou quatre centres universitaires sont connectés et forment l’ARPAnet, les étudiants prennent en main les ordinateurs et le réseau. Ils en détournent les usages et en inventent de nouveaux. Les responsables de l’ARPA découvrent ainsi que le réseau peut être utilisé pour des projets non-officiels comme « La chorégraphie assistée par ordinateur » ou encore le bourdonnement d’une mouche en quadriphonie.

Au Tech Model Railroad Club du MIT, un ordinateur qui coûte le prix d’une maison est utilisé pour … réguler les trains d’un circuit électrique. Le circuit est si gigantesque que l’on ne sait plus très bien qui fait quoi. Aussi appelle-ton « hack » le bricolage qui permet de régler un problème d’une façon un peu magique. Le terme sera ensuite versé dans le vocabulaire de l’informatique. Les hackers sont d’abord des bricoleurs. Ils ont avec les ordinateurs un rapport peu habituel. A l’époque, un ordinateur était une machine a calculer. Une énorme machine à calculer puisque certaines occupaient des pièces entières, mais une machine à calculer. Certains pressentent cependant que l’on peut en faire autre chose. C’est le cas d’un J. C. R. Licklider qui rêve d’une symbiose hommemachine, et qui affirme dès 1968 que l’ordinateur peut être utilisé pour la communication. C’est à ce rêve de Licklider que l’on doit la mise en place de systèmes de temps partagé : plusieurs utilisateurs se partagent les ressources d’une machine puis le réseau : plusieurs utilisateurs se partagent les ressources d’une machine via un réseau. La structure dans laquelle ce premier réseau est construit (ARPAnet, 1969) était une émanation du Département de la Défense. Dans les faits, il était utilisé quotidiennement par une masse de plus en plus importante de civils à des fins très éloignées de ce que pourrait souhaiter le complexe militaroindustriel. La liberté de parole que l’on y trouve de fait, l’égalitarisme, la facilité de contact, la farouche volonté d’indépendance, la mise en commun et le partage des ressources sont dérivés des idéaux des années 60. L’éthique de ces lieux que l’on n’appelle pas encore cyberspace (Gibson : Neuromancien, 1984) peut être résumée en ces quelques principes


A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? L’accès aux ordinateurs devrait être illimité et total. L’information devrait être libre Méfiez vous de l’autorité – promouvez la décentralisation Vous pouvez crée de l’art et de la beauté avec des ordinateurs

Trois générations se sont succédées. La première a donné réalité au rêve de Licklider en transformant d’énormes machines à calculer en machines à communiquer. La seconde génération a inventé les ordinateurs personnels – un concept révolutionnaire dans les années 70. Steve Jobs (Apple) et Bill Gates (Microsoft) en sont les figures de proue. La troisième génération a écrit dans les années 80 les programmes pour ces machines

En 1975, Will Crowther programme Adventure. Il s’agit d’une version électronique du jeu Dongeon et Dragon mis au point par Gary Gygax et Dave Arneson en 1974. Dans D&D, les joueurs incarnent un groupe d’aventuriers explorant des dongeons à la recherche de trésors. Le jeu est dirigé par un Maitre de Jeu qui décrit pour les joueurs l’environnement et les actions. Chaque joueur dispose d’une feuille de personnage ou sont inscrites les compétences et l’histoire du personnage. Les actions sont réalisées avec des jets de dé et les résultats interprétés avec différents tableaux. Crowther a deux hobbies. Il joue Willie le voleur à Dongeons et Dragons et avec sa femme il explore le complexe des Colossal Caves (Kentucky ) et il en fait un relevé méticuleux. En 1975, le couple divorce, et Will Crother décide d’écrire

a program that was a re-creation in fantasy of my caving, and also would be a game for the kids, and perhaps some aspects of the Dungeons and 1 Dragons that I had been playing. Will Crowther un programme qui soit une re-création imaginaire de mes grottes et aussi un jeu pour les enfants, avec peut-être quelques aspectes du jeu Dongeons et Dragons auquel je jouais.

Lorsque Will Crowther quitte BBN pour le PARC, il laisse Adventure sur un des ordinateurs. Le jeu est repréis et amélioré par un étudiant de Stanford, Dan Woods. Les modifications introduites par Woods augmentent la durée du jeu : quelques trésors de plus, un nouveau personnage, de nouveaux obstacles… mais sa principale invention est ailleurs : il permet de jouer à Adventure en passant par le réseau. Le succès est pratiquement immédiat : non seulement Adventure est beaucoup joué – trop, même, de l’avis de quelques uns – mais il est copié. Adventure est le premier d’un nouveau genre de jeu : les MUDs (1978, Roy Trubshaw)

Les MUDs ont dans leur caractéristiques communes

code

des

On ne joue pas contre un ordinateur mais avec un ordinateur : l’ordinateur n’est pas un adversaire, mais un partenaire de jeu. L’ordinateur est un médiateur, car il permet à plusieurs personnes de se rencontrer dans un espace de jeu ; il permet à une personne d’entrer dans un espace de jeu

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The real Colossal Cave. (pas de date). . Retrouvé Mai 26, 2009, de http://www.rickadams.org/adventure/b_cave.html .

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? Le jeu est disponible librement sur le réseau. Chacun peut l’améliorer, le modifier, le copier, le distribuer

L’ADDICTION AUX JEUX VIDEO : UNE PLAISANTERIE "Où que l'on puisse trouver des ordinateurs, c'est à dire un peu partout aux USA, aussi bien que dans tout autre endroit industrialisé dans le monde, de jeunes gens brillants dans des tenues négligées, souvent avec des verres de lunettes en cul de bouteille, peuvent être trouvés devant les ordinateurs, les bras tendus près à faire feu, les doigts mis en position de frapper les boutons et les touches sur lesquels leur attention semble autant accrochée que celle d'un parieur à un dé. Lorsqu'ils ne sont pas autant figés, ils s'asseyent souvent a des tables recouvertes de listings d'ordinateurs sur lesquels ils se penchent comme des étudiants possédés par un texte cabalistique. Ils travaillent jusqu'a tomber, deux, trente cinq heures de rang. Leur nourriture, s'ils en prennent, leur est apportée : café, gâteaux, sandwiches. Si possible, ils dorment sur des lits de camps a coté de l'ordinateur. Mais uniquement quelques heures - et ils retournent a la machine ou aux listings. Leurs habits froissés, leurs visages mal rasés et mal lavés et leurs cheveux mal peignés témoignent du fait qu'ils sont oublieux de leurs corps et du monde qui les entoure. Ils ne vivent que par et pour les ordinateurs. Ce sont des junkies des ordinateurs (1), des programmeurs compulsifs. Ils sont un phénomène international" Weizzenbaum Joseph, Computer Power and Human Reason, 1977

Will Crowther, Roy Trubshaw et tous les autres, de plus en plus nombreux, que l’on retrouvera à faire autre chose avec des machines créeront ligne de code après ligne de code, discussion après discussion les mondes numériques. Ils font partie de ces jeunes gens aux tenues négligées qui passent tout leur temps sur les ordinateurs. Ils travaillent avec des ordinateurs, ils jouent avec des ordinateurs, ils parlent avec des ordinateurs. Ils habitent avec des ordinateurs. Le terme de computer’s bums de Weizzenbaum est bien trouvé : ce sont les clochards de ces mondes, ils le parasitent, le colonisent, patiemment, seuls ou en masse et font de cet espace sans lieu quelque chose d’habitable.

Aujourd’hui les temps ont changé, et il n’y a plus de clochards mais des S.D.F. Le ton pour parler de ceux qui vivent par les machines et qui parfois les aiment jusqu'à l’excès s’est pathologisé : il y aurait une addiction aux jeux vidéo. Historiquement, c’est à Kimberley Young que l’on doit cette idée. Elle reprend la plaisanterie d’une psychiatre américain, Ivan Golderg, qui poste sur une forum une maladie imaginaire qu’il appelle Internet Addiction Disorder2 (1996). Elle présente cette « nouvelle pathologie » au 104ème Congrès annuel de l’American Psychological Association en se basant principalement sur un sondage réalisé en ligne. Le sondage a été annoncé par des affiches dans des campus, par mail sur des listes de diffusion orientées traitant de l’addiction à Internet ou encore des annonces dans les journaux. Quant aux 2

Criteria for Internet Addictive Disorder. (pas de date). . Retrouvé Mars 9, 2009, de http://www.psycom.net/iadcriteria.html.

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? critères de cette addiction, ils ont été « inspirés » par ceux du jeu compulsif faisant ainsi du joueur de jeu vidéo (« gamer ») un malade qui s’ignore (« gambler »). A ce jour, l’addiction aux jeux vidéo reste le cheval de bataille de quelques cliniciens isolés. L’American Medical Association a même annoncé que l’addiction aux jeux vidéo ne serait pas inscrite comme nouvelle pathologie dans la prochaine édition du DSM. Il ne figure pas non plus à l’horizon des autres classifications, qu’il s’agisse de la CIM ou de la CFTMERI.

A coté du jeu vidéo comme drogue terrible subvertissant des enfants et mettant en danger des couples – un « mauvais » objet, donc – il y a tout un discours faisant du jeu vidéo quelque chose de bon en soi. Il a été développé par Marc Prensky dans « Digital Natives, Digital Immigrants » (2001). Prensky y que la pédagogie des temps présents doit être revue de fond en comble car les digital natives penseraient avec une logique toute différente des digital immigrants du fait d'un contact prolongé et précoce avec les machines numériques. Il faut donc leur apporter les savoirs d’une façon particulière : ils doivent être instruits par le jeu. Dans la même période, l’armée américaine a mis en ligne un jeu gratuit, America’s Army (2002) avec comme but explicite d’intéresser de nouvelles recrues. Le jeu vidéo devenait ainsi un outil de propagande et de recrutement3. America’s Army annonce toute une série de nouveau jeux dont les buts vont des apprentissages

scolaires (AquaMOOSE 3D) à la santé (ReMission) , en passant par la sensibilisation aux problèmes humanitaires (Darfour is dying) Si le départ de Marc Prensky est juste – il y a bien un avant et un après l’Internet, et les machines nous aident aussi bien à penser qu’a ne pas penser – la conclusion a laquelle il arrive repose sur l’image d’un bon sauvage attendant une fois encore les lumières d’une éducation nouvelle.

Le jeu vidéo n’est ni une drogue terrible dont il faudrait se méfier, ni un objet améliorant magiquement les apprentissages. C’est un objet composite. Il mêle les arts de l’image à ceux du son, raconte des histoires prises dans les imaginaires et les histoires de nos sociétés, et invite le joueur à y ajouter son propre fonctionnement psychique. En effet, chaque jeu vidéo prédispose par ses images, les quêtes, missions ou tâches à effectuer, par son scénario et par sa construction4 des éléments qui s’articulent aux fantasmes et aux angoisses prévalentes du joueur. Le jeu vidéo appelle à un travail psychique complexe qui mêle le traitement du matériau visuel et sonore, le travail de mise en récit qu’effectue le joueur, la mise en jeu de fantasmes individuels et enfin le travail qu’impose la groupalité lorsque le jeu est en ligne. Selon l’écologie psychique du moment de chacun, il pourra être utilisé à des fins de symbolisation – il est alors porteur d’une dynamique introjective – ou a des fins

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Je n’ignore pas que le jeux vidéos transmettent des idéologies. Cf. le travail de Tony Fortin et Laurent Tremel. Mais avec Armerica’s Army, une idéologie est pour la première fois mise en avant comme but premier du jeu.

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On distingue classiquement les jeux de tir en première personne, les jeux de stratégie en temps réel, les jeux de plate forme, les jeux de combat et les jeux massivement multijoueur.

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? d’inclusion– il est alors dynamique sclérosante5.

porteur d’une

QUAND LE JEU TOURNE MAL Parfois, le travail du jeu échoue. Le jeu devient alors particulier : excessif, absent, mal adapté ou bizarre. Jouer trop : l’enfant ne pense qu’a jouer, ne connait pour cette activité ni trêve ni repos. Il n’a pas d’autre intérêt que le jeu, et ne semble pouvoir parler que de cela Ne pas jouer : l’inhibition au jeu est le signe d’angoisses insurmontables empêchant la libre circulation des fantasmes même sous la forme déplacée et symbolisée que permet le jeu. Elle peut aussi être le signe d’une dépression. Jouer mal : jouer de façon inadéquate est également le signe de difficultés psychologiques. Cela peut signaler des fixations – les enfants disent : « il joue comme un bébé » - ou des régressions dès lors que la situation de jeu ouvre sur des situations qui sont vécues comme angoissantes. La régression peut aussi être provoquée par l’impossibilité, temporaire ou durable, pour l’enfant, d’intégrer les modalités de jouer propres à un âge ou à un jeu. Par exemple, l’impossibilité à l’inscrire dans un ensemble de règles Jouer bizarrement : le jeu est pris dans un idiosyncrétisme. L’enfant joue avec ses règles et le symbolisme qu’il utile est opaque à l’observateur. Le symbolisme le plus banal ne 5

Sur la différence entre ces deux processus, et la façon dont ils interviennent dans la vie de tous les jours, voir Tisseron, S. Comment l’esprit vient aux objets, Aubier, 1999

semble pas être reconnu ou partagé par l’enfant. Parfois, le jeu n’amuse que l’enfant. Le jeu n’est plus assez symbolisé et les pulsions s’expriment sans symbolisation suffisante.

LES TYPES DE JEU VIDEO Depuis Adventure, le monde des jeux vidéo s’est considérablement diversifié. De nouveaux jeux sont apparus, et avec eux de nouvelles façons de jouer. Bientôt, le terme générique « jeu vidéo » n’a pas suffit, et il a fallu introduire des distinctions dans un corpus toujours plus important. Cela a donné lieu à des disputatios qui mériteraient de figurer dans l’histoire de la littérature. Aujourd’hui, un certain classicisme existe, et c’est sans trop de crainte que l’on peut dire qu’il existe des jeux d’action, d’aventure, de gestion, de sport, de reflexion et des jeux massivement multijoueurs Les jeux d’action regroupent les jeux d’acade, les jeux de plate-forme, les « beat’em all », les « shoot ‘em all », les jeux de combat et les « first person shooter » Les jeux d’aventure privilégient l’interaction avec l’environnement par texte et ou par pointer/cliquer. Dans les jeux de rôle, le joueur incarne un personnage Les jeux de gestion mettent le joueur à la tête d’une organisation qu’il doit developer en gérant des paramétres de plus en plus importants Les jeux de sport permettent de jouer à différents sports. Il peut s’agir de simulations plus ou moins tatillonnes ou ou contraire de déclinaisons imaginaires : les personnages, l’environnement ou les règles de jeu peuvent être fantaisistes.

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? Les jeux de réflexion placent le joueur face à des énigmes à résoudre Les jeux de Stratégie sont des simulations d’affrontement militaires. Le jeu peut être au tour par tout ou “en temps réel”. Dans ce dernier cas, les actions sont réalisées aussitôt que l’ordre a été donné. Le joueur doit généralement gérer le niveau stratégique et le niveau tactique. Les « jeux sérieux » sont des jeux dont la vocation première est l’apprentissage ou la publicité Les jeux massivement multijoueurs dérivent des jeux de rôle. Seuls ou en groupe, les joueurs réalisent des tâches données par des Personnages non joueurs. Chaque personnage a une race, une classe, un métier, qui donnent des malus et des bonus aux actions réalisées ou qui rendent impossibles certaines actions. Les personnages évoluent en fonction de l’expérience accumulée au cours du jeu.

HISTOIRES DU CYBERESPACE Un Coup Parfait 8 avril 2005. Systeme d’Aras. 05 heures. Mirial, CEO de Ubiqua Seraph Corporation et son fidèle lieutenant, Arenis Xemdal, émergent d’un portail de téléportation. Tous deux pilotent des vaisseaux de classe Apocalypse, les plus puissants et les plus onéreux d’EVE online. Leurs vaisseaux sont attaqués et détruits. Le corps de Mirial geléest assassinée ainsi son fidèle lieutenant. Mirial navigait dans un vaisseau de classe Navy Apocalypse. C’est le point de départ d’une opération de grande envergure de la Guiding Hand Social Club. Pour un milliard d’ISK, la GHSC avait accepté une année plus tôt un contact assez spécial : la preuve de la mort de

la responsable de CEO. Un tel contrat sur EVE Online n’est pas rare. Ce qui l’est plus, c’est la longueur de la préparation de l’opération, son ampleur, et le montant du butin final. En une heure, l’Ubiqua Seraph Corporation voit ses hangars investis, ses coffres vidés, et principaux officiers tués. La GHSC rapportera de cette opération la satisfaction totale de son client qui, pour des raisons de vengeance personnelle, souhaitait que Ubiqua Seraph Corporation vive un Peal Harbour. La Guiding Had Social Club tirera de l’opération 30 milliards d’ISK (16.500 USD) de biens volés, et une notoriété due à la précision et à l’audace du coup de main

L’assassinat de Lord British Le 8 août 1998, la quasi totalité de la population d’Ultima Online est réunie dans le château de Lord British alias Richard Gariott, fondateur du jeu. Le roi doit y faire une apparition aussi rare qu’attendue. Il se prépare au château de Lord Blackthorn en compagnie de quelques proches lorsqu’un joueur nommé Rainz l’attaque. La garde, tout comme les chevaliers de Lord Blackthorn restent immobiles et le roi tombe sous les coups de “fire field” de Rainz qui disparait une fois son forfait accompli. La nouvelle se répand rapidement sur le serveur, provoquant la stupeur : le roi est mort. Rainz sera banni du serveur, officielement du fait de plaintes de personnes à son encontre. La mort du roi sera mise au compte de l’oubli de Richard Garriott d’exécuter la commande qui aurait protégé son personnage et du lag

En 1992, Origin travaillait sur Ultima 7. Les programmeurs avaient l’habitude de prendre des pauses à l’extérieur des bureaux, et, à l’

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? occasion, Richard Garriott les rejoignait. L’immeuble devait être assez vieux, ou assez mal entretenu, toujours est il qu’un jour, alors que Richard Garriott ouvrait cette porte, le linteau de fer lui est tombé sur la tête. 4 kilos de fer ne laissent personne indifférent. Richard Garriot s’effondre et les programmeurs le tiennent un moment pour mort. Richard Garriott en est quitte pour une commotion, trois points de suture, un casque de chantier et … son entrée dans Ultima 7sous la forme de Lord British. Lorsque Lord British meurt de la peste, un personnage crie : “Il est mort ! Yancey-Haussman devra payer !”. Yancey-Haussman était la société responsable de la maintenance de la porte de l’immeuble.

Leerooy Jenkins ! Alors qu’un groupe d’aventuriers se prépare à livrer un difficile combat et échafaude le meilleur plan tactique à suivre, un paladin, Leeroy Jenkins se rue sur un groupe de dragons en criant son nom. La suite est un désastre total : tout le groupe est massacré. La vidéo fera le tour du net et le nom de Leroy Jenkins devient célèbre. Une ballade lui est consacré, son nom est un indice d’une question dans le jeu, des chansons lui sont consacrées, il entre dans le jeu Jeopardy, un personnage du jeu de carte World of Warcraft porte son nom, d’autres jeux MMJ y font référence, et, enfin ( ?) “to pull a Leeroy” signifie maintenant” faire une connerie qui ruine les efforts de tout le monde”

LES FONCTIONS DU JEU VIDEO Jouer pour exprimer de l’agressivité ; Jouer pour maitriser l’angoisse ; Jouer pour pour accroitre son expérience ; jouer pour établir des contacts sociaux ; joueur pour intégrer sa

personnalité ; jouer pour communiquer avec les autres ; jouer pour vivre des expériences

Jouer pour exprimer de l’agressivité : L’agressivité présente dans la plupart des jeux vidéo lui vaut une grande part de sa mauvaise réputation. Il est vrai que dans leur grande majorité, il s’agit toujours de d’agresser l’autre, de s’assurer de la maîtrise de son territoire pour l’asservir ou le spolier, quand ce n’est pas l’élimination pure et simple de l’autre qui est visée. Les joueurs font toujours preuve d’inventivité pour exprimer leur sadisme : on laissera le personnage se noyer, par exemple, ou encore on le soumettra à des contraintes de l’environnement qui le feront souffrir puis périr. Ce qui est important ici, c’est de pouvoir donner libre cours à son agressivité sans craindre la moindre rétorsion de l’environnement. La sauvegarde permet de se garder sauf de tout danger, le chargement permet de se retrouver dans une situation précédente, les différents dégâts occasionnés sur l’environnement (murs, mobiliers, arbres) sont sans conséquences pour le déroulement ultérieur du jeu. Jouer pour maîtriser l’angoisse : Le jeu vidéo est un bon dérivatif à l’angoisse. Le coté répétitif de certaines séquences de jeu, la focalisation sur les objectifs du jeu maintiennent la pensée dans un cadre étroit qui lui évitent de rencontrer des points d’angoisse. Le joueur joue et rejoue des séquences de jeu qui provoquent chez lui une angoisse inconsciente ou préconsciente afin de s’assurer une meilleure liaison avec des représentations. Les thèmes de chute, de noyade, de brûlure, les environnements de guerre sont ici mis à contribution. Jouer pour accroître son expérience : Le jeu vidéo permet de vivre des expériences. Ces

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? expériences sont aussi précieuses et réelles que les autres. L'important, c'est de pouvoir les vivre. Le jeu vidéo est, comme d'autres éléments de la culture, comme les livres, la musique ou le cinéma, un facteur développement de la personnalité. Il donne des repéres identificatoires, présente des situations agressives ou érotiques dont le joueur doit sortir victorieux, propose des normes et des valeurs Jouer pour établir des contacts sociaux : en permettant des identifications entre joueurs qui se perçoivent comme appartenant à une grande communauté, et en fournissant des types de relation à l’autre et à l’environnement, les jeux vidéos permettent d’établir des contacts sociaux. Les joueurs, par leur style de jeu, expérimentent ainsi différents rôles avec les autres et avec l’environnement. Par exemple, après avoir joué suffisamment un sniper dans un FPS (ce qui nécessite de rester seul et loin du champ de bataille), un joueur pourra expérimenter le corps à corps au cœur du champ de bataille en jouant le rôle d’un fantassin. Après coup, le jeu vidéo devient matière à discussion : on en parle à d’autres, on leur fait part de son expérience. C’est d’ailleurs en partant de cette observation que José Perez et François Lespinasse ont mis en place un atelier psychothérapeutique jeu vidéo à l’hopital de jour La pomme bleue (Bordeaux)

permettent à une génération de jouer avec ce qui a été traumatisme pour la génération précédente. Jouer pour communiquer avec les autres : Dans le temps du jeu ou après coup, le jeu vidéo permet de communiquer avec d’autres avec son vrai self. Les défenses, ou plus exactement certaines d’entre elles, deviennent inutiles du fait du jeu vidéo qui joue comme une enveloppe protectrice. Il devient alors plus facile de mettre en avant des aspects cachés, ou retenus de son Self et cela est d’autant plus facile que l’on sait que cette mise en avant ne blessera pas l’autre. Ainsi, on pourra jouer une petite fille apeurée ou quelque chose qui disparaît dans l’environnement ou explorer plusieurs identités dans la même apparence ou plusieurs apparences avec la même identité. L’important ici est que la communication avec l’autre soit permise et maintenue dans le cadre du jeu. Jouer pour vivre des expériences : Le jeu vidéo permet de vivre des expériences. Ces expériences sont aussi précieuses et réelles que les autres. L'important, c'est de pouvoir les vivre. Le jeu vidéo est là, comme d'autres éléments de la culture, comme les livres, la musique ou le cinéma des facteurs de développement de la personnalité en donnant des repères identificatoires, en présentant des situations agressive ou érotique, et en proposant des normes et des valeurs

Jouer comme intégration de la personnalité : Le jeu vidéo permet de mettre en lien des éprouvés corporels et la vie psychique, la réalité interne et la réalité externe. Les LE JEU VIDEO COMME MEDIATEURS : éprouvés anciens (chute sans fin, mort Les jeux vidéo sont des médiateurs et il le sont imminente, relations aliénantes) peuvent être d’au moins deux façons différentes. revécus et repensés. Le jeu vidéo permet également de penser et de vivre ce qui n’a pas Ce sont des médiateurs au sens ou ils peuvent été vécu, ou vécu par un autre important pour nous permettre d’exprimer nos états le joueur. Je pense que c’est là la principale intérieurs. L’agressivité trouvera à s’exprimer origine de tous ces jeux de guerre qui Yann Leroux http://www.psyetgeek.com


A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? de façon relativement basique dans un jeu de baston. Elle peut aussi s’exprimer dans des scénarios plus complexes dans un jeu gestion ou de stratégie temps réel : la ville, ou mieux encore : la famille, lentement axphyxiée, dépérit lentement mais surement au fil des clics du joueur. Ils peuvent aussi fonctionner dans l’autre sens. Le processus mis en jeu n’est plus alors la projection – processus par lequel on affecte à l’autre des sentiments que l’on méconnait en soi même – mais l’introjection, c'est-à-dire l’installation à l’intérieur de soi de qualités inhérantes a ces objets. Ce mouvements d’aller-retour entre le dedans et le dehors ne sont pas toujours porteur d’un plus en termes de symbolisation. Ils peuvent aussi servir à « enterrer » profondément des pensées et des émotions. Le jeu vidéo, par la grande concentration qu’il nécessite, par ses répétition, par ses changements lumineux et ses variations sonores est aussi un moyen sûr pour s’isoler non seulement des autres mais aussi de soi-même Les jeux vidéos sont également des médiateurs parce qu’ils nous mettent en contact avec des éléments de notre culture. Ce sont des espaces sociaux. Des stéréotypes, des idéaux, des pans de l’histoire sont ainsi portés dans les jeux vidéos et peu à peu intégrés par les individus.

JOUER AVEC L’HORREUR

Des membres épars, une tête coupée, une main détachée du bras, comme dans un conte de Hoffmann, des pieds qui dansent tout seuls comme dans le livre de A. Schaeffer cité plus haut, voilà ce qui, cri soi, a quelque chose de tout

particulièrement étrangement inquiétant, surtout quand il leur est attribué, ainsi que dans ce dernier exemple, une activité indépendante. C’est, nous le savons déjà, de la relation au complexe de castration que provient cette impression particulière. Bien des gens décerneraient la couronne de l’inquiétante étrangeté à l’idée d’être enterrés vivants en état de léthargie. La psychanalyse nous l’a pourtant appris : cet effrayant fantasme n’est que la transformation d’un autre qui n’avait. à l’origine rien d’effrayant, mais était au contraire accompagné d’une certaine volupté, à savoir le fantasme de la vie dans le corps maternel. S. Freud, L’inquiétante étrangeté, 1919 Les survival horror games sont des jeux vidéos dans lesquels la vie du joueur est si attaquée qu’il ne s’agit plus que de survivre à l’intérieur d’un monde malveillant. Ces jeux dérivent des films d’horreurs. Leur trame narrative est généralement la suivante : un groupe de héros explore un environnement qui se révèle rapidement extrêmement dangereux. Le groupe est peu à peu décimé, et souvent, le personnage le moins bien armé reste le seul survivant. La plupart du temps, il s’agit d’une femme et le film atteint son climax lorsque la survivante rencontre enfin l’ agresseur6. Il serait intéressant de faire le parallèle avec le tableau des structures du conte que nous a laissé Vladimir Propp : 1. une phase initiale dans laquelle l’ordre du monde est troublé et ou le héros cherche des renseignements. Parfois, il est trompé. 2. Une seconde séquence dans laquelle un méfait se produit. On fait appel au héros qui met en place les 6

Ce thème a été repéré par Carol J. Clover dans son livre Men, Women and Chain Saws: Gender in the Modern Horror Film. L’entrée Wikipedia Final Girl résume bien ses positions.

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? actes de réparation. 3. Une seconde séquence dans laquelle le héros vient finalement a bout de l’ imposteur. A partir de là, il est possible de donner quelques différences entre les contes et les films/jeux vidéo d’ horreur a. Le temps de l’action n’est pas le même. Dans les contes, le trouble est actuel, alors que dans les films/jeux vidéos d’horreur, il est souvent rejeté dans un passé très lointain, voir même dans un autre espace temps. b. les films/jeu vidéos mettent en cause l’intégrité physique et psychique des protagonistes. On y meurt de la façon la plus atroce qui soit, et il n’est pas une mutilation ou un supplice qui n’ai été abordé : dépecage, morcellement, évicération, empalement, fractures, arrachements c. dans les contes, le trouble dans l’ordre du monde est actuel. Il est toujours passé dans les films/jeux vidéo d’horreur. Alors que dans les contes, le héros règle une difficulté qui lui est personnelle, dans les films et les jeux vidéos d’horreur, le héros règle une situation dont il hérite. Il a plus à faire avec les fantômes et les revenants des générations passées qu’avec un problème personnel. Ce thème est particulièrement important : l’horreur cesse lorsque le fantôme trouve du repos. d. Les dynamiques psychologiques sont aussi différentes. Le conte ne met jamais en cause la continuité du sentiment d’exister. Le temps y exerce ses effets d’une façon banale : il y a un avant et un après; les choses prennent un certain temps pour être faites. Dans les films/jeux vidéo d’horreur, les identités se mêlent et se partagent. Un corps peut être habité par plusieurs entités. Une entité peut habiter plusieurs corps. La différence entre

l’animé et l’inanimé s’estompe et par parfois disparaît. e. L’unité narrative dans les contes n’est jamais rompue. Elle l’est presque systématiquement dans les films/jeux vidéo d’horreur : le héros ne sait pas pourquoi il est attaqué, ni même ce qu’il a à faire. Sa seule préoccupation est sa survie c’est-à-dire la conservation de son intégrité corporelle et psychologique f. Il n’y a rien à gagner dans les films/jeu vidéo d’horreur. On évite juste de perdre sa vie. Les contes ouvrent sur un plus, un gain, à partir de ce qui a été préalablement perdu : “ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants” g. La contagion - des idées, des maladies, de la mort - est au centre des films/jeux vidéos d’horreur alors que la transmission - de la vie, des traditions - est au coeur des contes Jouer avec l’horreur Mais pourquoi aller voir ou jouer avec des horreurs ? D’abord parce que la peur fait partie des émotions de base . Comme telle, elle est précieuse à éprouver. Ensuite, parce que le jeu offre un cadre ou éprouver et maîtriser des angoisses particulièrement fortes. Elles peuvent être éprouvées en toute sécurité, puisqu’elles le sont dans le cadre du jeu. Enfin, parce que les massacres qui accompagnent ces jeux sont des sources de plaisir actifs et passifs. Perte des limites, attaque du sentiment de contiuité d’exister, angoisses paroxystiques, pertes des différences entre l’animé et l’inanimé, l’humain et le non-humain, voilà le genre d’angoisse que l’on peut retrouver dans les jeux vidéo d’horreur. Cela permet au joueur de remettre sur le métier des angoisses certes profondes, mais communes à tout le genre humain.

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? Il en est un qui me semble très spécifique aux jeux vidéos d’horreur : l’angoisse agonistique. Le joueur est confronté a un environnement qui le harcèle sans répit et qui lui donne des ressources avec parcimonie : les items de soin, les munitions et les armes sont rares. La pile de la lampe torche vacille, faiblit, et s’éteind. L’arme fait un clic sinistre. Parfois c’est la radio qui devient inutilisable. Tous ces éléments de gameplay replace le joueur dans la situation d’un nourirsson dont les moyens de communication et de défense sont non seulement faibles mais en constante diminution. Ainsi, le joueur éprouve ce que le psychanalyste D. W. Winnicott a appelé “expériences agonistiques” : confronté a des failles dans son environnement, l’enfant est incapable de donner sens et de subjectiver son expérience. Un des destins possibles de cette expérience est que l’enfant se coupe de son expérience vitale. Il est par la suite confronté a un paradoxe puisqu’une expérience a été vécue, a laissé des traces, mais n’a pas été suffisamment appropriée pour être intériorisée Ce que dit Winnicott de la crainte de l’effondrement est particulièrement éclairant ici : certains patients craignent un effondrement qui a déjà eu lieu et ont besoin que le thérapeute leur disent que l’effondrement a déjà eu lieu. Jouer à ce type de jeu vidéo est une manière de mettre au passé les agonies primitives, en les jouant et rejouant dans le cadre sécurisé qu’offre l’espace de jeu. Pour autant, cela ne suffit pas a ce que la symbolisation de ces expériences soit faite : il faut que s’y ajoute une mise en mot pour un autre ,investi comme valeureux, de ce qui a été joué.

les jeux, qu’il s’agisse des survival games ou de jeux apparemment anodins : leur mise en mots augmente les chances de faire de l’expérience vidéo ludique quelque chose de dynamique et de transformateur. Le silence qui leur est opposé risque de la transformer en quelque chose de sclérosant et rigide

LA DYADE NUMERIQUE Serge Tisseron a inventé le terme de « dyade numérique » pour qualifier les relations que nous entretenons avec les machines. Cette dyade numérique permet à chacun de rejouer le type d’interaction fantasmatique qui présidé à sa toute première enfance. Les machines peuvent aisni être utilisées pour établir un lien sécurisé, se rendre maitre des excitations, expérimenter un accordage affectif satisfaisant ou incarner l’idéal Etablir un lien sécurisé : Chacun construit le sentiment de sécurité intérieur pendant sa petite enfance. Ce sentiment dépend de la qualité des interaction avec l’environnement. Si celles-ci ne sont pas suffisantes, ou trop abondantes, ou mal appropriées, ce sentiment ne se construit pas. Il en résulte insécurité, peur sentiment de l’abandon. L’ordinateur en général, le jeu vidéo en particulier peut être utilisé en rempart contre l’angoisse : la machine doit rester toujours allumée – officiellement pour des téléchargement, c'està-dire pour un apport continu ; les déconnexions sont toujours difficiles parce qu’elles sont des séparations, d’où l’impossibilité de quitter une partie. La représentation de soi en ligne est sur-investie parce qu’elle peut être parfaitement maitrisable

C’est d’ailleurs pour cela qu’il est important de Se rendre maitre des excitations : Une des laisser les enfants parler de leurs jeux vidéos, taches de l’environnement du nourisson est et même, pour ceux qui n’en parlent pas, de de l’aider à surmonter les excitations internes les inciter à le faire. Cela est valable pour tous Yann Leroux http://www.psyetgeek.com


A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? (peur, faim, colère…) et externe (le froid, la chaleur, le bruit). L’environnement assure une fonction de pare-excitation : il filtre et présente a l’enfant ce qu’il peut endurer. Mais il est aussi une source d’excitations, et peut être même la plus importante de toutes ! Le défaut du pare-excitation peut se traduire dans l’usage des jeux vidéos comme stimulants. L’enfant recherche alors des sources d’exictations, mais il faut distinguer celui qui les recherche pour les maitriser de celui qui les recherche pour les éprouver

Expérimenter un accordage affectif satisfaisant : un des signes de bonnes interactions entre un bébé et l’environnement est ce que Daniel Stern appelle l’accordage affectif. L’enfant fait quelque chose – par exemple taper avec un hochet sur la table – et l’adulte fait « tap ! tap ! ta ! » dans le même rythme que l’enfant. Les gestes et les vocalisations s’accélérent jusqu’aux éclats de rire finals. L’accordage affectif, en réunissant plusieurs sens, donne à l’enfant un sentiment de continuité et de cohérance. Cet accordage peut être rejoué à l’écran de façon répétée : un geste produira toujours la même action. Par exemple : l’enfant appuie sur une touche, le personnage saute. Incarner l’idéal Dans les jeux vidéos, tout est toujours grand et surpuissant. Les représentations d’un Soi grandiose idéalisé peuvent être sur-investies parce qu’elle peut être parfaitement maitrisable. Où que l’on soit, on peut être, pour peu que l’on dispose d’une connexion Internet, un Soi comme se rêve. Ce n’est pas simplement une question d’image de soi et de narcissisme. Ce qui est en jeu, c’est aussi la possibilité de se doter d’une représentation de soi continue et stable.

LUDOPAYSAGES Un jeu vidéo est un dispositif informatique avec lequel un sujet interagit pour exécuter des actions. Ces actions sont réalisées via une interface qui donne des informations sur l’univers du jeu et le joueur (orientation, équipement, état actuel…). Le jeu vidéo mêle trois espaces : celui de l’ici et maintenant du jeu proprement dit, l’espace psychique du joueur, et l’espace de jeu qui comprend à la fois les périphériques de jeu (manettes, joystick, clavier) et l’interface de jeu. L'expérience vidéo-ludique articule ces trois espaces en les nouant à un quatrième, la culture, qui sert de méta-cadre. Les jeux sont inscrits dans une société, aux prises avec sa culture et son histoire. Ils donnent à jouer avec des éléments qui sont valorisés ou dévalorisés dans la culture. En référence aux travaux de Daniel Stern7, je propose d'appeler ludo-paysage cette configuration complexe qui mêle un dispositif informatique, des éléments de la culture, et l'espace interne de chacun sensible aux aléas de sa météo personnelle. Ce ludo-paysage offre une profondeur de champ plus ou moins grande en fonction des interactions entre ce que le jeu vidéo propose et le travail psychique suscité chez le joueur en réponse aux angoisses suscités dans le jeu vidéo et aux nécessaires symbolisations pour que les images prennent forme et sens. Par exemple, une trop grande angoisse fera sortir du jeu tandis qu’une familiarité trop faible avec l’interface ou les périphériques

7

STERN, Daniel. 2004. Journal d'un bébé. Odile Jacob

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? (manettes, clavier) empêcheront d’entrer dans le jeu.

cinématographiques sont des élaborations défensives communes contre l’angoisse.

Jouer avec un jeu vidéo nécessite d’articuler et d’accorder ces différents cadres, de les habiter sans se laisser habiter par eux, de créer et de maintenir les conditions pour s’y laisser prendre, mais aussi à veiller que le dessaisissement soit possible. Ce travail est différent de celui que l’on trouve dans le rêve ou dans le dessin, deux productions qui sont internes à l’individu. Le jeu vidéo est un objet externe qui doit être psychisé dans une mise en tension entre perception et représentation, entre contenant et contenu.

Que le cinéma mette en scène des dangers bien réels n’empeche pas qu’il redouble aussi des fantasmes individuels et groupaux. La régularité avec laquelle nous voyons des immeubles s’effondrer, des villes être rasées où l’humanité disparaître, dit tout autant l’inquiétude quant à la sécurité de l’environnement. Est-il un contenant suffisamment solide ? Son contenu suffira t il encore à nous nourir ? Trop attaqué, nous dit Marcel Thaon, le contenant maternel explose en une multitude de contenus hostiles : hordes de zombies, insectes, aliens envahissent alors les écrans. Dans sa version dépressive, la terre, métaphore du sein maternel, est devenue improductive du fait de l’avidité des hommes. Leur activité, métaphore d’une relation incestueuse, l’a pollué, et les hommes se trouvent face a des rejetons monstrueux et haineux.

IT IS THE SOCIALISATION, STUPID ! Le siècle balbutie encore que déja nous sommes confrontés à des menaces majeures à propos de notre environnement, nos énergies, et nos finances. Ces inquiétudes ne sont pas nouvelles; elles ont été accompagnées par le cinéma : les comédies musicales ont fleuri autour de la crise de 1929 et une kyrielle de films ont accompagné les catastrophes sociales et environnementales de la fin du 20ème siècle. Marcel Thaon, dans un texte remarquable, Le corps et le monde menace au tournant des années 80, a montré comment la production cinématographique était fenêtre ouverte sur nos imaginaires individuels et collectifs. Le cinéma donne à voir les angoisses qui traversent la culture, et, dans le meilleur des cas, il contribue à leur élaboration. Les genres

Le film fonctionne comme espace d’élaboration suspendue d’angoisses non résolues dans la réalité collective [Il] tente de métaboliser ou du moins de contenir des incertitudes sur l’environnement qui ne peuvent être élaborées dans la vie quotidienne. Une des sources de notre engagement sur le réseau procède des même mécanismes. Nous n’allons pas dans le cyberespace pour fuir une réalité qui serait devenue insoutenable. Le réseau est tout ce qu’il y a de plus réél. Nous y allons pour interroger ce qui dans notre réalité fait question. Olivier Auber a développé avec sa notion d’anoptisme une conception qui me semble être proche de ce point de vue. La perspective inventée par la renaissance dramatise qu’une nouvelle façon de voir était là en construction. L’anoptisme, le changement de perspective généré par le réseau, est sans doute du même ordre

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A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? La croissance spectaculaire du réseau, puis des sites (ou des silos, pour parler comme Oliver Auber) de réseaux sociaux, le fait qu’elle concerne tous les publics, des plus jeunes aux plus vieux, est une image de la fureur de lien dans laquelle nous sommes. Plus les liens du monde géographique sont attaqués, plus la vie sociale nous y semble difficile, plus nous faisons lien sur le réseau. Plus les inquiétudes sur l’environnement sont vives, plus nous nous précipitions en masse sur le réseau pour déposer, mettre en commun des angoisses et nous défendre contre elles. D’évidence, le danger est si grand qu’il ne peut trouver qu’une solution collective. Et d’évidence, nous n’avons pour l’instant que le réseau pour accueillir d’aussi grandes multitudes1 Aussi, je suis toujours surpris lorsque pour trouver les caractéristiques de l’addiction dans le jeu vidéo, quelques uns en viennent a donner… la socialisation. Ce qui serait in fine, au fond de l’addiction aux jeux vidéos, ce ne serait pas, comme cela a été dit, le rush des FPS2 mais les liens que l’on tisse partie après partie. La guilde ! Voilà ce qui serait au coeur de l’addiction aux jeux vidéos. Or c’est précisément cette capacité à faire lien que la toxicomanie attaque. Il n’y a pas de communauté de drogués et même dans les fumeries d’opium de la chine de la fin du 19ème siècle, chacun restait dans la solitude. Les relations sociales sont trop infiltrées par les sentiments de persécution et d’envie pour pouvoir se constituer en vie sociale. Etre toxicomane, c’est être dans un monde dans lequel la relation est incertaine, et l’autre d’abord un objet de jouissance : peut être a-til de l’argent pour ma dose ? le dealer sera-t-il au rendez vous ? Aura-t-il ce qu’il faut ? Ce qu’il aura sera-t-il bon ?

loggé, on sait parfaitement à quoi s’attendre : les caractéristiques et le comportement des Personnages Non Joueurs est parfaitement connu, de même que les caractéristiques des personnages avec lesquels on joue. Que chacun prenne sa place dans le ballet, voilà ce que propose le jeu vidéo. Ce n’est pas là quelque chose de caractéristique aux MMO. Tous les jeux vidéos sont des jeux ou le hasard est réduit au maximum. Le plaisir du gamer est un plaisir de maîtrise. Par ailleurs, seule une vie sociale bien réglée permet de réaliser les hauts faits que l’on retrouve dans les MMO. Le coup parfait réalisé par la Guided Hand Corporation dans Eve Online et qui relègue Ocean Eleven au rang de plaisanterie de bac à sable n’a été possible que parce que les rôles et les fonctions des uns et des autres sont à la fois parfaitement reconnus, respectés et investis sur un temps suffisamment long. Ce n’est que parce que dans Eve Online certains ont accumulé suffisamment de richesses, que d’autres louent leurs services, même criminels, qu’une telle action a été réalisable. Même au niveau du simple pickup group, le jeu n’est possible que si les rôles et les fonctions sont connues et respectées. Chacun sa place, et au bout, peut être, il y aura ce sentiment d’illusion groupale qui fait le sel des jeux de groupe.

Pour certains, de façon durable ou provisoire, le besoin d’étayage sur l’autre peut être extrêmement important. C’est le cas des personnalités narcissiques ou des états limites (border lines) pour qui le monde interne est vécu comme tellement vide que l’appui sur un objet externe est la seule issue imaginée comme possible. Cet appui peut prendre plusieurs formes : de l’ identification adhésive aux positions masochistes - il vaut mieux être Le jeu vidéo n’a rien d’incertain. Au contraire, objet de détestation que de se vivre comme la vie y est toujours bien réglée. Une fois rien du tout en passant par des Yann Leroux http://www.psyetgeek.com


A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? investissements qui ont valeur d’aggripement. Certains empruntent la voie de la toxicomanie : l’objet toxique, a la fois parce qu’il est externe et parce qu’il procure des effets psychiques importants, vient colmater un espace psychique sérieusement mis à mal. D’autres peuvent prendre la voie opposée : le jeu vidéo est l’une d’elle. Il sera utilisé parce qu’il permet d’exercer un contrôle omnipotent sur un objet externe. Faire du jeu vidéo, et plus particulièrement de la vie sociale qui se développe dans les MMO, une drogue, c’est d’abord transformer les tentatives d’élaboration de quelques uns en une pathologie. C’est ensuite méconnaître que pour le plus grand nombre, que ces mondes numériques, de WoW à Facebook en passant par Twitter sont des lieux de fabrication et d’invention de la subjectivité du 21ème siècle. Le réseau est pour les individus comme pour les institutions un appuis qui devient de plus en plus nécessaire; c’est un espace qui contient nos représentations; il est un lieu de stockage de nos mémoires; et c’est un lieu d’étayage des identités. L’avenir appartient aux orcs (et aux taurens)

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