ECRITURES EVOLUTIVES

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ÉCRITURES ÉVOLUTIVES Pourtant, on ne saurait parler de genre sans ancrage dans l’histoire littéraire, c’est pourquoi, même si Doubrovsky ne transige pas sur le mot dont il est l’initiateur, il convoque régulièrement cinq textes comme précurseur de l’autofiction : Nadja d’André Breton, La Naissance du Jour de Colette, Journal du voleur de Jean Genet, D’un Château l’autre de Louis-Ferdinand Céline, Les Mots de Jean-Paul Sartre. Malgré tout, ces livres ne répondent qu’en partie aux conditions susnommées précédemment. Doubrovsky ne révèle-t-il pas en cela qu’il est conscient que les limites de sa définition de l’autofiction doivent s’étendre pour perdurer au-delà de sa pratique de l’autofiction ? Nous étayerons notre point de vue sur la question en dernière partie de notre intervention. Néanmoins, l’innovation (n’oublions pas que l’autofiction est apparue telle une révélation à Doubrovsky) est loin d’être partagée. Vincent Colonna, le premier, appréhende l’autofiction non comme un genre mais comme un archi-genre aux allures protéiformes. Il s’en explique en 2004 dans son livre intitulé Autofiction & Autres mythomanies littéraires que nous eu l’occasion d’évoquer à ce propos précédemment mais de manière allusive. Les autofictions pourraient dès lors se ranger en différentes catégories2 : - Une tradition fantastique, où l’écrivain se travestit en chaman pour s’aventurer - de Dante à Borges, en passant par Cyrano de Bergerac - au-delà des limites humaines, - Une tradition spéculaire, qui multiplie les jeux de miroirs et les clins d’œil, comme l’ont pratiquée Rabelais, Cervantès ou Italo Calvino, - Une forme intrusive, qui surgit avec le roman moderne et les interventions d’auteur d’un Scarron, d’un Nabokov, plus récemment d’un J. M. Coetzee.

Mais aussi et c’est là que se situe son changement depuis l’élaboration de sa thèse, l’autofiction biographique : Une tradition biographique qui donnera - sous l’impulsion de Rousseau et de La Nouvelle Héloïse - le roman autobiographique, genre disqualifié de Flaubert à Maurice Blanchot, puis remis au goût du jour sous le nom d’autofiction, où l’heure de l’exposition publique de l’intimité et de la télé réalité.

Il fait remonter l’autofiction fantastique à Lucien de Samosate (né vers 120 de notre ère). Quant à l’autofiction biographique qui mêle fiction et réalité autobiographique à laquelle il laisse désormais une place (ce qui n’était pas le cas dans sa thèse), elle n’aurait rien en cela de novateur puisque simple avatar du roman autobiographique, elle remonterait à Jean-Jacques Rousseau (La Nouvelle Héloïse, 1761). Le point de vue de Philippe Gasparini dans Autofiction, Une aventure du langage, sans doute parce qu’il est l’un des plus récents sur la question, a éveillé notre curiosité aussi bien que notre intérêt. Sa réflexion s’est enrichie depuis la parution de son livre Est-il je ? en 2004 puisqu’il met en avant dorénavant la particularité qui se dégage de l’autofiction par rapport au roman autobiographique qu’il considérait dans Est-il je ?, à l’instar de Vincent Colonna, comme un simple effet de mode ou un moyen de remettre au goût du jour « le genre inavoué, honteux, innommable qu’était le roman autobiographique »1. Gasparini classe l’autofiction parmi « les autonarrations » et en fait une équivalence de « roman autobiographique contemporain » (mettant en avant l’aspect novateur de la forme). Mais la nouveauté

2 Nous reproduisons ici les définitions mêmes de Vincent Colonna apparaissant en quatrième de couverture du livre. 1 Cf. chapitre « Innommable » in Est-il je ?, op. cit..

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