Vinciane Decamps
Lionel Dricot
scĂŠnario : Lionel Dricot dessins & couleurs : Vinciane Decamps
C
e matin-là, Aristide le lapin s’était éveillé particulièrement alerte et surfait sur
internet. Après un grand bol de flocons de carottes, quelques biscottes à la carotte et un grand verre de jus de carotte, il prit une grande décision. — Je serai cosmonaute, je deviendrai le premier lapin à poser la patte sur Vénus. Je déclarerai que c’est un petit pas pour un lapin mais un grand pas pour la lapinité.
I
l s’en fut consulter Huguette, la chouette, dont la sagesse et la connaissance étaient proverbiales. Arrivé au pied de l’arbre,
il l’appela. — Huguette ! Huguette !
Une voix ensommeillée lui répondit en grommelant : — Qui donc crie de cette façon si tard le matin, à l’heure où les honnêtes animaux sont allés se coucher ? — Huguette, je veux être le premier lapin cosmonaute et aller sur Vénus et faire un grand bond pour la Lapinité, lança Aristide d’une traite. — Mon petit Aristide, fais comme si tu t’adressais à une vieille chouette réveillée en sursaut au milieu de la matinée et reprends tout cela calmement. — Je veux devenir cosmonaute. — Voilà qui est ambitieux, répondit Huguette. — Je veux aller sur Vénus et être le premier lapin à y poser la patte ! — Pourquoi spécialement Vénus ? — Parce qu’on y trouve des carottes géantes. — Des carottes géantes ? Mais quelle drôle d’idée. Où as-tu entendu qu’il y avait des carottes géantes sur Vénus ? — Je l’ai lu sur Internet, répondit Aristide, sûr de lui.
— Ah bon. C’est que ça doit être vrai. Mes traités d’astronomie sont forcément dépassés. — Il faut que tu m’aides, Huguette. Comment aller sur Vénus ? — Et bien, mon petit Aristide, il va falloir construire une fusée, un engin capable de t’élever tellement haut dans les airs que tu quitteras la Terre. Nous demanderons de l’aide à Nestor le castor. — Chic ! fit Aristide. Il est drôlement chouette Nestor ! — Mais c’est un très long voyage pour un petit lapin. Il faudra que tu sois très fort. — Pas de problème, répondit Aristide en dressant fièrement ses oreilles. Je mange ma soupe de carottes tous les jours. — C’est très bien Aristide, fit Huguette d’une voix endormie. — On commence, dis ? On commence la fusée ? Huguette poussa un profond soupir. Elle avait le bec pâteux et ses paupières lui semblaient bien lourdes. La musaraigne de cette nuit lui tombait un peu sur l’estomac. — Tâche de te trouver un compagnon, répondit la vieille chouette en étouffant un bâillement. Moi je vais dorm... étudier mes traités d’astronautique. La bonne journée !
— Prosper ! Prosper ! hurla Aristide. Prosper le hamster interrompit un instant son effort et leva le museau, une énorme noix à moitié insérée dans son énorme bajoue. — On m’appelle ? On m’appelle ? répondit-il d’une petite voix fluette. — Prosper ! fit un Aristide tout essoufflé qui bondit pour venir se mettre au niveau de son ami. Il faut que tu m’aides à faire un grand pas pour la Lapinité en construisant une fusée ! Prosper, qui se tenait sur ses deux pattes de derrière, se tint un instant interdit, le regard dans le vide. — Ch’est-à-dire ? parvint-il à articuler. — C’est pour aller sur Vénus, ajouta Aristide. — Et pourquoi veux-tu aller chur Vénuche ? — Parce qu’il y a des carottes géantes sur Vénus, c’est vrai je l’ai lu sur Internet, et Huguette a dit qu’on pouvait y aller en fusée ! Si Prosper avait une passion pour les noix, il n’en dédaignait pas les carottes qui étaient un met de choix pour n’importe quel rongeur. Il ne se le fit pas dire deux fois. — Des carottes chéantes ? Chaprichti, che chuis ton hamchter ! — Pardon ? Tu es difficile à comprendre avec tes joues gonflées. Prosper extirpa la noix et tendit le museau vers Aristide. — Je dis que je suis partant. — Chouette ! Allons trouver Nestor pour construire la fusée ! Sautillants, les deux compères se dirigèrent vers le barrage...
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L
es travaux avançaient à grands pas et une nuée de castors s’affairaient au milieu du grondement de l’eau. Nestor était en
grande conversation avec Huguette. — Tiens, Aristide, fit la chouette en ouvrant une aile vers lui. Tes idées me trottaient dans la tête et je n’arrivais pas à dormir. Je suis donc venu en discuter avec Nestor. — Tout à fait ! Tout à fait ! lança énergiquement Nestor. L’idée d’Aristide me semble très bonne. Je vais vous expliquer comment j’imagine la structure de l’engin. Attrapant une branche, il se mit frénétiquement à tracer des lignes sur le sol. Sous l’effort de la concentration, sa mâchoire se contractait et faisait remuer rapidement ses deux dents de devant. — Le principal problème, ajouta-t-il à l’intention d’un auditoire médusé, sera la propulsion. Il nous faut une source d’énergie importante mais légère. Huguette se prit le menton dans l’aile. — Mmm, ce n’est pas facile ça ! Cela peut prendre des années à résoudre ! Les oreilles d’Aristide retombèrent le long de son visage. — Vous voulez dire que ce n’est pas possible d’aller sur Vénus ? fit-il d’une petite voix triste. — Eh bien... répondit Nestor. — Eh bien... ajouta Huguette.
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Une petite voix fluette s’éleva : — Il y a moi ! Il y a moi ! Tous les yeux se tournèrent brusquement vers Prosper. — Mais tu es tout petit, rétorqua Huguette. — Mais tu n’as pas assez d’énergie tout seul pour faire décoller une fusée, renchérit Aristide d’une petite voix triste. — C’est pourtant vrai qu’il est léger, murmura Nestor. — Et comment ! Moi et mes copains, on est plein d’énergie ! Vous ne nous avez jamais vu courir dans une roue ? Avec une petite moue comique, il tenta de plier sa patte avant afin de faire saillir son biceps. — Matez-moi ça ! Rien que du muscle ! — Admettons qu’on utilise une propulsion à base d’hélices, ça pourrait marcher, marmonna Huguette dans son bec.
Perdu dans ses pensées, Nestor se mit à pointer différents endroits de son plan. — Si on ajoute les hélices là et là, en effet, pourquoi pas... Les oreilles d’Aristide se redressèrent vivement. Il se mit à sautiller autour du petit groupe. — Oh chic ! Chic ! Chic ! Nestor le regarda avec bienveillance. — Mais ce ne sera pas facile ! — Mais ce sera une aventure pleine de danger, ajouta Huguette. — Oui, oui, répondit Aristide. Je pars quand ? Je pars quand ? — Nous partons ! dit Prosper. Tu as besoin de ta propulsion. — Allez, au travail ! lança joyeusement Nestor. — Au travail ! Au travail ! reprirent-ils tous en cœur.
L
e grand jour était arrivé. L’hétéroclite structure de la fusée se dressait
vers le ciel comme un improbable échafaudage géant. — Voici la capsule, fit Nestor en pointant, tout en haut de l’engin, une petite pyramide de rondins surmontées d’un vieux casque de moto. Ce casque humain récupéré parmi les débris charriés par la rivière vous
servira de baie d’observation. — C’est que... je ne suis plus très sûr d’avoir envie de partir, articula à contrecœur Aristide en tremblant des oreilles. — Comment ? Et les carottes géantes ? s’indigna Prosper. — C’est vrai, les carottes géantes ! J’oubliais ! Bon sang ! Tout ragaillardi, Aristide regarda ses compagnons. — Pour les carottes géantes hip hip... — Hourra !
Prosper se retourna et émit un son strident tout en agitant ses moustaches. Une nuée de hamsters jaillit aussitôt des fourrés, des terriers et de toutes les cachettes environnantes. — Salut les gars ! Aujourd’hui, nous allons montrer au peuple des animaux que les hamsters sont petits mais pleins d’énergie. Je compte sur vous ! Et, surtout, n’oubliez pas d’enfiler votre matériel ! Les hamsters commencèrent tous à s’harnacher avec de minuscules sacs à dos de couleurs vives. Sur un geste de Prosper, ils s’élancèrent à travers la structure de la fusée et se répartirent dans les roues qui peuplaient l’échafaudage. Huguette, qui s’était éloignée, revint en battant des ailes. — Tout est prêt ! C’est à vous deux à présent. On vous attend dans la capsule. Aristide et Prosper se regardèrent, d’un air inquiet.
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— Pour les carottes géantes, lança Prosper. — Oui, pour les carottes géantes, répondit mollement Aristide dont les pattes tremblaient discrètement. Tous deux se lancèrent à l’assaut de l’échafaudage. — Bon voyage ! Soyez prudents! cria Huguette en se servant de son aile comme d’un porte-voix.
Attablé devant un bol de carottes et un grand verre de jus de carotte, Aristide le lapin apprend en lisant sur Internet que la planète Vénus est couverte de carottes géantes. Accompagné de son fidèle compagnon, Prosper le hamster, il décide alors de s’embarquer dans la plus folle et la plus spatiale des aventures. Un petit pas pour un lapin mais un grand bon pour la lapinité ...