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SUR LE VIF Imiter les Nations ou se plier à leurs volontés ne nous a jamais vraiment réussi. Depuis quelques temps se développe dans ce pays l’idée de faire du dimanche un jour chômé. Cette reproduction, non imposée, de ce qui se passe dans le reste du monde ne nous serait-elle pas, cette fois, bénéfique en tant que Juifs? Aides financières (achat d'appartement, paiement des brit-milot, etc.), aides dans la vie quotidienne (baby-sitting, etc.): les parents assistent-ils plus leurs enfants que par le passé? Quelles sont les limites de cet accompagnement parental?

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e quelle façon vos parents vous ont-ils transmis leur vécu de la Shoah? Comment l'avez-vous perçu en tant qu'enfant de cette génération meurtrie?

Shraga Blum Journaliste

Mes parents m'ont donné comme deuxième prénom "René" en souvenir de René Klein z’l, un oncle maternel de mon père fusillé par les Allemands près de Périgueux en août 1944. Son nom hébraïque, qui est devenu le mien, était "Shraga". Le même jour, Lucien Blum z’l, un autre oncle de mon père pris en même temps, était fusillé lui-aussi. Même en n'étant pas le sujet de conversation quotidien, la Shoah, l'exode, la peur, l'incertitude quotidienne ont été souvent évoqués par mes deux parents dont les familles avaient dû fuir l'Alsace et la Lorraine en 1940. Mon père z’l faisait souvent des rêves dans lesquels il se voyait poursuivi, et la perte de ses oncles l'a profondément marqué. Vers la fin de sa vie, il en parlait très souvent avec une peine visible et je sentais que c'était une blessure qui était restée béante en lui. Même si les Juifs alsaciens ont la réputation "de ne pas trop parler de ces choses-là", le sujet de l'antisémitisme - le "richess" comme on dit là-bas - était épidermique dans ma famille, et tout ce qui dans les médias touchait à la période noire était commenté en famille. Je crois que j'ai hérité de cette hyper-sensibilité que j'exprime dans ma vie professionnelle à travers le journalisme. Les mots et les calomnies qui amènent au meurtre, la nouvelle stigmatisation

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des Juifs à travers Israël, le silence des "grands" de ce monde ou des intellectuels face aux périls qui reviennent, la reprise par les Palestiniens de toutes les thématiques de l'antisémitisme classique et nazi sont autant de sujets auxquels je suis extrêmement sensible et contre lesquels je tente de lutter avec mes moyens. Je constate finalement qu'il s'agit pour moi de rendre un hommage à mes deux grands-oncles et notamment à celui dont je porte le nom.

Jean-Patrick Grumberg Dreuz.info

A l’oulpan, notre prof a demandé à chacun de dire combien de membres de leur famille avaient disparu pendant la Shoah. Quand mon tour est arrivé, j’ai répondu: zéro. Mon père avait dix frères et sœurs. Ils étaient trois chez ma mère. Ils ont tous échappé aux policiers français. Mon héritage de la Shoah: j’ai été élevé avec l’idée que les Français ont un fond d’antisémitisme, et je l’ai vite constaté en cherchant, à l'inverse, ceux qui ne l'étaient pas. Ce sixième sens est depuis constamment en éveil. Par tempérament, si ma famille avait été déportée, j’aurai consacré ma vie à pourchasser les nazis. Au lieu de cela, j'assassine les antisémites dans mes articles.


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