jours de chasse

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Signets Des Carpates au Ritz

du comte Paul Pálffy ◆◆◆ Voilà un livre dont on ne sort pas vraiment indemne. Un livre qui laisse un immense sentiment de tristesse, de nostalgie d’un monde englouti, mais aussi de colère contre ceux qui l’ont anéanti. Il y a quelques années, grâce aux Éditions de Montbel qui avaient choisi de rééditer les Cinquante ans de chasse du comte Paul Pálffy, nous avions partagé l’existence cynégétique et mondaine d’un des représentants les plus illustres d’une des plus vieilles et plus illustres familles hongroises, aussi à l’aise avec les grands qu’avec les gardes. Le comte Pálffy n’avait en effet rien du fashionable de battue quand il se retirait pendant des semaines dans ses chères Carpates ! « Un formidable témoignage de l’Histoire tout court », avions-nous écrit. Nous ne croyions pas si bien dire car aujourd’hui pour la première fois ses Mémoires

Face aux géants de la brousse

ont été traduites (elles avaient été publiées en allemand), qui sont peut-être plus encore un témoignage hors du commun d’un monde qu’il a vu s’écrouler devant ses yeux, celui d’avant 1914, d’où l’auteur en sortira brisé. On a oublié combien cet Empire austro-hongrois fut un gage de stabilité et de paix. Pálffy vivait dans ce monde qu’il croyait immuable. Ce passionné de chasse, de chevaux, de musique tzigane avait tout, le nom illustre, de sérieux moyens. Mais une vie aussi faite de devoirs (« Il n’était pas question de ne pas venir en aide au plus pauvre ») dans cette société rurale parfaitement organisée, où le grand propriétaire terrien se devait d’être un protecteur. Les premiers“craquements” vinrent avec le traité de Trianon qui broie l’Empire austro-hongrois. « Le règne des bas instincts se substitua à celui de la tradition », écrit-il :

de Jean Dutey ◆◆ Étonnant personnage que ce Jean Dutey dont les Éditions de Montbel ont choisi de rééditerlesaventuresafricainesparuesen1954 aux Éditions de la Toison d’or. C’est en effet à 50 ans passés que ce fonctionnaire de la Coloniale se lancera à corps perdu,aulendemaindelaSecondeGuerremondiale,dans la grande chasse africaine, notamment au Tchad, en Oubangui –une partie de la République centrafricaine d’aujourd’hui– et au MoyenCongo. Plus encore, il le fera sans l’aide de personne,c’està-dire en montant une expédition et en chassant seul « ce

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sa propriété Pudmerice (aujourd’hui en Slovaquie) est confisquée à 85 %. Il reste, se bat, collectionne les aventures –son passage sur les Américaines est un monument du genre–, se remarie un nombre certain de fois (dont avec Louise de Vilmorin). Las. Ce n’était que le début d’une longue agonie. Durant de la Seconde Guerre mondiale, il affronte l’invasion allemande puis celle

qui est la meilleure manière d’acquérir la difficile expérience du métier de chasseur ». La raison ? « Par goût du risque et passion de la chasse » ou « lassés des mesquineries de la vie quotidienne ». Il sera servi au centuple. La première partie de son livre est la plus captivante –celle de ses récits de chasse–, la seconde n’étant qu’une assez longue énumérationdelafauned’Afrique, de l’armement et de l’équipement nécessaire – où il recommande tout de même d’emmener… une « paire de souliers noirs vernis et un spencer ». De ses chasses,il ne cache apparemment rien, surtout pas ses mésaventures. Il chasse beaucoup, et beaucoup de choses, de l’alouette à l’éléphant. Avec les buffles, il fait

Jours de C HASSE ◆

ÉTÉ 2012

des Soviétiques qui lui donneront 24 heures pour tout quitter. Il abandonne sa propriété, sa maison se transforme en « un squelette fantomatique » : « j’ai l’impression d’être mort une première fois ce jour-là », écritil. Une longue vie d’exil, rongé par le mal du pays, commence. Il apprendra que sa demeure est devenue la « maison des écrivains et des journalistes slovaques » avec pour tout commentaire officiel du nouveau régime : « On ne verra plus de millionnaires américains fêter leurs orgies,ni de maharadjas venus des Indes fainéanter dans les salons en attendant de partir pour leurs divertissements capitalistes centrés sur la chasse.» Il erra de pays en pays, notamment en Italie, à Merano, finit par trouver, grâce au roi des Belges, un poste de conseiller cynégétique. Il s’éteindra à Munich en 1968 avec une plaie jamais refermée. Lacurne,384 pages,26 €.

preuve d’un grand courage ou d’une grande inconscience.Ilchassejusqu’àn’enpluspouvoir (on reste d’ailleurs toujours suffoqué par la densité d’animaux), manque de mourir de soif, se perd, souffre presque le martyre dans la forêt équatoriale. Que ne feraitil pas pour chasser l’éléphant ! Il en trouvera, beaucoupluiéchapperont,entireraquelquesuns, en blessera quelques autres dans une végétation inextricable,dans des pluies diluviennes,pendantdesjoursetdesjours.Cesera une obsession qui lui sera, hélas, fatale. « Au fond de moi-même,je ne suis pas tellement fier. Que diable,c’était lui ou moi », écrit-il en évoquant son premier éléphant. Quatre ans après la fin de ces récits,il sera mortellement blessé en juillet 1954 par un grand pachyderme près de Brazzaville. Le goût du risque jusqu’à satiété…

Éditions de Montbel,310 pages,25€.


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