L'espace, le lieu et le concours d'architecture

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Georges Perec Le lieu était donc bien réel, tout comme l’accident, mais les faits concrets sont assez différents du souvenir qu’en garde l’écrivain. Parenthèse faite, revenons à notre notion de lieu et fermons les yeux un instant afin d’imaginer un lieu qui nous est cher, qui nous a marqué. Les choses qui le constituent, apparaissent plus ou moins nettement dans notre esprit mais qu’importe puisque pour chacun de nous, celles-ci ont une « substance matérielle, une forme, une texture parfois une couleur »3. La totalité des choses issues de cet imaginaire définissent un « caractère d’ambiance »4 essence même du lieu. Une fois encore, G.Perec, exprime la caractère subjectif pigmenté d’objectivité que revêtent les lieux qui nous sont connus dans « Espèce d’espace » (1974 - le titre soulignant la mince frontière qui sépare ces deux notions): « Les pays sont séparés les uns des autres par des frontières. Passer une frontière est toujours quelque chose d’un peu émouvant : une limite imaginaire, matérialisée par une barrière de bois qui d’ailleurs n’est jamais vraiment sur ligne qu’elle est censée représenter, mais quelques dizaines ou quelques centaines de mètres en deçà ou audelà, suffit pour tout changer, et jusqu’au paysage même : c’est le même air, c’est la même terre, mais la route n’est plus tout à fait la même, la graphie des panneaux routiers change, les boulangeries ne ressemblent plus tout à fait à ce que nous appelions, un instant avant, boulangerie, les pains n’ont plus la même forme, ce ne sont plus les mêmes emballages de cigarettes qui traînent par terre. »5 Georges Perec

dans la théorie qu’il soutient puisqu’elle met en exergue le rapport, local ainsi que général, que l’Homme entretient avec le monde. L’habiter est selon lui une manière de concrétiser ce rapport puisqu’il rend visible le général en tant que situation concrète locale. Le lieu possède donc une signification bien plus important que la seule localisation, il permet de définir un monde « ce qui est entre ciel et terre. Cette demeure où habitent les mortels » (Martin Heidegger). Ce lieu, cette nature, extensible et complexe, possède donc une identité singulière. Nous l’avons déjà évoqué, ce sont les choses, qui confèrent c’est particularité au lieu. M.Heidegger précise ce concept de chose en leur ajoutant la notion de qualité (par exemple assimilable à la notion de netteté avec laquelle notre esprit les retranscrit). Ainsi des catégories, fonction de la définition des choses, commencent à émerger et permettent de structurer le lieu en précisant ses phénomènes (figure 2.2). La signification du milieu naturel est donc condensée dans les choses (ici naturelles) auxquelles s’ajoutent les artefacts humains. Ces constructions (artificielles) participent des phénomènes artificiels et sont à l’origine d’une des relations fondamentales de l’architecture, celle qui existe entre l’intérieure et l’extérieure des choses. In fine ces réalisations humaines ne sont jamais que des « implantations à différentes échelles, des maisons et des fermes aux villages et aux villes, ensuite, des sentiers qui conjuguent ces insertions en éléments plus variés qui transforment la nature en un paysage culturel. Ces implantations sont organiquement reliées à leur milieu, ce qui implique qu’elles servent de point focal où le caractère du milieu se condense et s’explicite. »7

On peut dire sans trop de retenue que le lieu est définit soit par son caractère, soit par son atmosphère. C.Norberg-Schulz aborde le lieu comme un « phénomène total et qualitatif ne pouvant être réduit à aucune de ses propres caractéristiques. »6

Le phénomène Partant du principe que le lieu est un phénomène total et qu’il est constitué de nombreuses caractéristiques il est intéressant d’introduire l’égalité suivante: lieu = milieu. Effectivement la hiérarchisation des phénomènes constitue un milieu où d’autres phénomènes trouvent leurs places. Cela renvoie à la notion de complexité contemporaine de notre société à laquelle nous avons déjà fait allusion. Néanmoins, il serait plus subtil d’introduire aujourd’hui la notion de concomitance des phénomènes pour définir le lieu. Le lieu possède donc une dimension quotidienne que l’approche analytique scientifique aussi bien que l’approche analytique fonctionnelle ont tendance à occulter. « La phénoménologie du milieu » a justement à dessein de combler cette carence en proposant un retour aux choses. C.Norberg-Schulz pense qu’un recours à une « phénoménologie de l’architecture » est inévitable afin de comprendre le milieu quotidien. La question de l’habiter occupe une place essentielle L’espace, le lieu et le concours d’architecture

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