Trois Couleurs #65 – Octobre 2008

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À tous points de vue

Dans Blindness, en salles le 8 octobre, une étrange épidémie de cécité se répand. Elle nous ouvre les yeux sur le goût du cinéma pour les personnages d’aveugles. Brouillage des repères et vue défaillante, avançons à tâtons dans cette filmographie obscure. À en croire le vieil adage populaire, l’amour est aveugle. Et ce n’est pas Charlot dans Les Lumières de la ville qui prétendrait le contraire. Le clochard se fait passer pour un homme fortuné auprès d’une fleuriste non-voyante. Après avoir recouvré la vue, elle reconnaîtra par hasard son modeste bienfaiteur. Amours vagabondes encore dans Les Amants du Pont-Neuf où un cracheur de feu organise pour la femme qu’il aime (et qui perd progressivement la vue) une visite nocturne du Musée du Louvre. Entre amour et compassion, un prêtre nourrit à l’égard de sa jeune protégée aveugle des sentiments troubles dans La Symphonie pastorale. L’issue sera tragique, contrairement à celle de Miracle en Alabama où une fillette sourde, muette et aveugle s’éveille enfin à la vie, grâce à la ténacité d’une éducatrice. S’il n’est pas malvoyant, Jack Black dans L’Amour extra-large est du moins aveuglé par ses sentiments. À la faveur d’un charme, le séducteur, qui n’a pas les yeux dans ses poches, se met à voir dans les courbes d’une fille obèse celles d’une véritable bombe. Drôle de sortilège qui frappe également Woody Allen dans Hollywood Ending : réalisateur angoissé et hypocondriaque, il perd la vue au moment de donner le premier coup de manivelle de son nouveau film. Même coup du sort pour la courageuse Selma dans Dancer in the Dark dont la vue décline et qui, pour sauver son fils d’un destin similaire, endure stoïquement son martyre. Reste le mythe de l’aveugle visionnaire. Il prend les traits d’un transsexuel brésilien dans Tiresia. Et dans un registre légendaire, le faciès taciturne d’un masseur, incarné par Takeshi Kitano ; en fait, un redoutable combattant qui n’hésite pas à sortir sa canne-épée (Zatoichi) pour en découdre avec une étonnante dextérité. Preuve s’il en est qu’au cinéma, la question du point de vue est essentielle. Ça crève les yeux.

_S.M.

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CINÉ FILS

La bande originale

FABRICE VIEL & BÉATRICE ARDISSON « J’irai dormir à Hollywood » (Atmosphériques) Originale, cette BO l’est autant que l’homme dont elle scande le périple : Antoine de Maximy, globe-squatteur solitaire, qui transbahute outreAtlantique son émission J’irai dormir chez vous en même temps qu’il l’adapte au cinéma (le film sort le 19 novembre). Pour illustrer ce drôle de road-trip en corbillard, Béatrice Ardisson a sélectionné des reprises décalées de standards américains. Quant à Fabrice Viel, déjà compositeur sur la série télé, il confirme ses talents d’arrangeur, s’appropriant avec goût un panorama _E.R. musical vaste et vallonné.

Le ciné livre ANNE MARTINETTI & FRANÇOIS RIVIÈRE « La Sauce était presque parfaite » (Cahiers du cinéma)

En 80 recettes inspirées des films de l’insatiable Alfred, ce livre goûte à la riche filmographie d’Hitchcock par le prisme de la grande bouffe. Le réalisateur salivait : « Pour moi, un film n’est pas une tranche de vie, c’est une tranche de gâteau », à l’image du cake servit lors du goûter d’anniversaire des Oiseaux. Savoureusement illustré, écrit dans une langue sapide, cet ouvrage ne donne pas la recette du génie du ventripotent Hitch. Mais avouez qu’à la manière des personnages de L’Inspecteur se met à table, vous reprendrez bien une tranche de « gigot d’agneau frappé » – saignant, ça va de soi. _E.R.


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