HS TVB 21 - Culture et Santé Mentale

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Revue participative de solutions

Nº 21 MARS 2021

GRATUIT

HORS-SÉRIE

Culture & santé mentale

HORS-SÉRIE - DÉSTIGMATISER LA SANTÉ MENTALE

Comprendre la santé mentale PAGES 6 À 16

Les actions Culture et Santé mentale en Auvergne-Rhône-Alpes PAGES 17 À 31

Témoignages d'artistes porteurs de troubles PAGES 32 À 38

Réduire & comprendre la douleur PAGES 39 À 45

© Tim Mossholder

Hors-série réalisé en partenariat avec la DRAC AUvergne-Rhône-Alpes, la fondation apicil e t l a v i l l e d e ly o n Journal associatif et sans publicité déposé au dépot légal de la Bnf. Achevé d’imprimer mars 2021 par Chirat 3, place Gerson 69005 Lyon Ne pas jeter sur la voie publique - Numéro ISSN : 2495 - 9847 - Numéro CPPAP : 0624 G 93965


Le Tout Va Bien Le magazine TVB est l’un des principaux outils de l’association Tout Va Bien qui a pour objet social la diffusion de solutions et de connaissances à impact positif sur l’environnement, la société et le vivre-ensemble. Inspiré du journalisme de solutions, TVB a créé en 2016 le principe de l’initiative au kilomètre. En relayant les démarches inspirantes d’acteurs locaux, de manière participative avec tous les citoyens, l’association espère stimuler les envies d’agir à côté de chez soi. Nous partageons également des intiatives inspirantes venues d'ailleurs et des avis d'experts permettant de comprendre les enjeux. L'association développe également des actions socio-culturelles d'éducation populaire, essentiellement autour de l'éducation aux médias. Nos actions permettent souvent d'apprendre en faisant, de découvrir des outils pour créer et vérifier l'information.

Édito Dans ce hors-série, nous souhaitions nous focaliser sur l'utilité sociale et sociétale des actions Culture et Santé. Ces dernières sont vastes. Nous avons donc décidé de nous focaliser sur la santé mentale, un domaine encore très large. Nous ne pouvions tout couvrir, de la neurodiversité au handicap mental. Nous nous sommes donc focalisés sur les actions mises en place pour les personnes porteuses de troubles psychiques, et avons travaillé avec des personnes concernées pour respecter notre engagement inclusif et participatif. Nous nous sommes tous retrouvés (usagers, soignants, éducateurs, jeunes en service civique, journalistes) lors de divers ateliers de recherche de sujets, de reportages, de jeux d'éducation aux médias ou d'initiation à la mise en page graphique pour aboutir à ce numéro. Nous nous sommes progressivement orientés vers la lutte contre la stigmatisation. Nous espérons que ces quelques pages participeront à une meilleure compréhension de la santé mentale et partageront quelques ressources et solutions pour en prendre soin, notamment grâce aux actions culturelles. Laurianne Ploix

6 NUMÉROS 4 HORS-SÉRIES

WEB Tvb en pdf

PAPIER

WEB + PAPIER Tvb en pdf et par La Poste

Tvb par La Poste

60 €

MEMBRE ENGAGÉ Tvb au choix + réductions sur nos événements

Secrétaire de rédaction Clément Navoret Directrice de publication Laurianne Ploix Photographes Photographies créditées sur l’image, prises par nos journalistes, gracieusement mises à disposition par les structures partenaires ou libres de droit

Impression Imprimerie Chirat - mars 2021 Partenaires financiers Drac Auvergne Rhône-Alpes Fondation Apicil Ville de Lyon

RDV sur toutvabienlejournal.org

35 €

Equipe rédactionnelle Journalistes, professionnels et participants du CH Le Vinatier à Lyon Catherine Jean-Baptiste Eva Joachim Estelle Jacques Ibranosyan Marianne Cuomo Sarah Jones Adrien Lagarde Audrey Morel Jean-Yves Marandon Maryam Hamdadi Shahi D Mathilde Amen Théo Tzélépoglou Samy Boughzala Marianne Reynaud Romain Tabone Floriane Todoroff Marie Albessard Élodie Horn Raphaëlle Vivent Laurianne Ploix

Mise en page Laurianne Ploix

NOS FORMULES D’ABONNEMENT

1 AN

TVB, Tout Va Bien, le journal qui réinvente demain Association loi 1901 Siège social : Ligue de l’enseignement, 20 rue François Garçin 69003 Lyon contact@toutvabienlejournal.org

Toutes les photos appartiennent à nos journalistes ou à une structure et sont interdites de reproduction.

55 €

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Tous les contenus rédactionnels sont partagés en licence creative commons by-nc-sa et donc libres de droit à partir du moment où l’auteur est crédité et que le texte n’a pas été modifié et ne fait pas l'objet d'une utilisation commerciale. Plus d’infos sur : Http://toutvabienlejournal.org


HORS-SÉRIE JEUNESSE

L’ÉQUIPE DU PROJET

Afin de s’inscrire dans une démarche inclusive et d’éducation populaire, nous avons rédigé une

Panorama

grande partie des articles de ce hors-série en formant des équipes regroupant des personnes suivies par le Centre de réhabilitation et de remédiation cognitive du Centre Hospitalier le Vina-

tier à Lyon, garantes de notre approche du sujet, des professionnels de la santé engagés dans la lutte contre la stigmatisation de la santé mentale, et des journalistes professionnels pour une rédaction qualitative. Retrouvez ci-dessous l’équipe du projet.

Adrien Joachim Catherine

Sarah

Eva

Laurianne

Jean-Yves

Marianne Marie

Samy

Floriane

Romain Shahi

Audrey

Mathilde Jean-Baptiste

© O.Allard

Maryam

Estelle

Jacques

Marianne

Élodie

Raphaëlle

RETOUR SUR LE PROJET Ce projet a commencé en septembre 2020 quand nous avons pu nous retrouver en présentiel au sein du Centre référent de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive de Lyon (SUR-CL3R). Nous avons pensé la maquette collectivement, réalisé des ateliers d'éducation aux médias (jeu Décrypt'Info, initiation à l'écriture journalistique, à la mise en page, etc.), éffectué des reportages en équipes sur place ou en visio, suivi l'évolution du projet et voté pour la photo de couverture, réalisé un livret de témoignages pour que chacun puisse prendre la parole... Nous avons appris le fonctionnement des médias en faisant ensemble ce hors-série consacré à la culture et la santé mentale. Comme nous confiait Jean-Yves en fin de projet : « Je ne serai plus aussi exigeant avec les journalistes : j'ai vu comme c'était long et compliqué d'écrire un article ». Afin de lutter contre les idées reçues que nous pouvons tous avoir, nous avons travaillé avec des professionnels de santé et de lutte contre la stigmatisation du Centre ressource de remédiation et réhabilitation psychosociale (CRR) de l'hôpital psychiatrique Le Vinatier de Lyon. Vous retrouverez les interviews de ces professionnels dans notre première rubrique : Comprendre la santé mentale. Le contexte sanitaire ne nous a pas aidés dans la réalisation de reportages lors d'actions culturelles avec nos équipes formées de patients, soignants, jeunes et journalistes. Certains reportages se sont transformés en interviews des coordinateurs culturels ou directeurs d'établissement par nos journalistes, mais nous espérons que cela vous donnera une vue d'ensemble des actions culturelles possibles et réalisables ainsi que de leurs vertus pour tous. Nos équipes ont tout de même pu rencontrer certains artistes et visiter les lieux culturels de la ville de Lyon et de ses alentours. Jean-Baptiste nous confiait : « Jamais je n'aurais imaginé qu'une piscine pouvait se cacher sous un théâtre » après la visite du TNP de Villeurbanne. Eva a osé poser des questions très intéressantes et pertinentes pour notre article sur La Ferme du Vinatier. Notre présentation des actions culturelles en Auvergne-Rhône-Alpes n'est pas exhaustive mais nous espérons brosser un bref panorama des possibles. Nous avons pu terminer ce projet grâce aux fonds de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, de la Ville de Lyon et de la Fondation Apicil, qui nous ont permis de questionner la douleur en santé mentale et des pistes pour la réduire. Vous trouverez, par ailleurs, joint à ce hors-série, un livret de témoignages de certains des participants au projet qui ont préféré nous livrer leurs apprentissages, très intéressants et utiles à tous, issus de leur expérience. Des ressources précieuses pour comprendre la santé mentale, le pouvoir de la culture puis découvrir des solutions et astuces qu'ils ont pu développer pour prendre soin de soi. Merci à eux et à tous les participants d'avoir mené à bout ce projet, dans une conjoncture particulière, mais avec un enthousiasme, une solidarité et une curiosité que nous avons tous appréciés. Bonne découverte de notre travail.


Sommaire COMPRENDRE LA SANTÉ MENTALE Pages 6 à 16 Glossaire

7à9 10 & 11

La santé mentale en quelques chiffres

12

Mélanie Trichanh, « La déstigmatisation aiderait la prise en charge »

13

Romain Tabone, l'insertion sociale par la culture et la lutte contre la stigmatisation Interstices coordonne les projets Culture et Santé en Auvergne-Rhône-Alpes

14 & 15

16

Patricia Deegan, le rétablissement vers la dignité

TÉMOIGNAGES D'ARTISTES PORTEURS DE TROUBLES Pages 32 à 38 33

Lou Lubie, l'humour pour dédramatiser

34

Chloé Cédille, « la musique peut guérir »

35

Miron Malle, les idées reçues sur la dépression

36

Cyril Chanel, la caricature joyeuse

37

Pierre Leroy, rencontre avec le réalisateur de Voilà quoi !

38

L'exposition collaborative Dessine-moi


ACTIONS CULTURELLES POUR LA SANTÉ MENTALE Pages 17 à 31

18 à 20

La Ferme du Vinatier, une référence nationale. Rencontre et projets

27

La culture comme ouverture au CPA de Bourg-en-Bresse

28

Comédie de Valence, danser pour extérioriser

21

Lyon : des ateliers radio pour faire entendre sa voix

22

« Des habitants » : la danse au

29

23

Une « insolite fabriq » d'acteurs à Villeurbanne

30

24

Flous Furieux : des photographes au regard unique

25 & 26

cœur du lien

Clermont-Ferrand : le théâtre pour s'émanciper

31

À la rencontre de L'écho de la réhab de Privas Le CHS de Bassens, un programme culturel ouvert à tous EPSM La Roche-sur-Foron : « valoriser le patient dans sa dimension d'être humain »

RÉDUIRE & COMPRENDRE LA DOULEUR Pages 39 à 45

RESSOURCES SUPPLÉMENTAIRES Page 46 & 47

40

Bernard Laurent, la douleur et ses causes transversales

41

Isabelle Rouch, la culture pour réduire la douleur

42

Eric Bismuth, l'héritage psycho-social de la douleur

43

Arnaud Sourty, différencier la douleur psychique et physique chez les TSA

44

Unafam, accompagner les aidants


PAGES 6 À 16

COMPRENDRE LA SANTÉ MENTALE


Santé mentale

Glossaire

« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » (Constitution de l’OMS) Il n’y a pas de santé sans santé mentale. La santé mentale est une composante importante de la santé. C’est la recherche permanente d’un équilibre entre toutes les dimensions de la vie : émotionnelle, psychique, physique, sociale, spirituelle, économique. Notre santé mentale est influencée par nos conditions de vie (logement, activité, ressources, etc.), les événements marquants de la vie (rencontres, deuils, séparations, etc.), la société dans laquelle nous vivons et nos valeurs personnelles. Source : Psycom

1.

Trouble psychique ou mental Un trouble mental (adapté de la classification des troubles mentaux DSM 5) est un syndrome caractérisé par une perturbation cliniquement significative dans la cognition, la régulation des émotions, ou le comportement d'une personne. Il reflète l’existence d’un dysfonctionnement dans les processus psychologiques, biologiques, ou développementaux sous-tendant le fonctionnement mental. Les troubles mentaux sont généralement associés à une importante détresse ou une altération importante dans les activités sociales, professionnelles, ou d'autres domaines importants du fonctionnement. Une réponse prévisible ou culturellement approuvée à un stress ou une perte, comme le décès d'un proche, n'est pas un trouble mental. Les comportements déviants sur le plan social (par exemple, politique, religieux ou sexuel) et les conflits qui sont principalement entre l'individu et la société ne sont pas des troubles mentaux, à moins que la déviance ou les conflits résultent d’un dysfonctionnement chez la personne tel que décrit ci-dessus. Les « troubles psychiques » (selon Coordination 69) recouvrent un large éventail de manifestations allant de la simple difficulté psychique transitoire et troubles de la personnalité à des pathologies dont certaines sont chroniques. Les principales pathologies sont : - les troubles de l’humeur ; - les troubles anxieux et phobiques ; - les troubles obsessionnels compulsifs ; - les troubles des conduites alimentaires ; - la schizophrénie ; - les addictions... On ajoutera que les troubles du spectre de l’autisme(TSA) sont considérés comme une « condition » mais ne constituent pas une maladie.

2.

Neurodiversité C’est un concept dans lequel les différences neurologiques sont reconnues et respectées comme toute autre variation humaine. Ces différences peuvent inclure les personnes ayant un diagnostic de : - Dys ou multi dys (dyspraxie, dyslexie, dyscalculie, dysphasie) ; - TDAH (trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité) ; - TSA (troubles du spectre de l'autisme) ; - SGT (syndrome de Gilles de La Tourette).

Le mouvement de la neurodiversité est en constante évolution et remise en question. Ce qui a permis d’y inclure les personnes diagnostiquées HPI (à haut potentiel intellectuel). Aujourd’hui, le mouvement amène même à se demander si les identités schizophrénique et bipolaire ne pourraient pas également être re-conceptualisées et réappropriées en étant définies comme des spécificités neuroatypiques, et pas seulement comme des maladies psychiques. Définition adaptée de V. Barathon et du congrès de l’Université de Syracuse 2011


3.

4. Le rétablissement

La stigmatisation

Le rétablissement désigne un processus par étapes qui vise à recouvrer un niveau de bien-être pour retrouver sa capacité de décider et sa liberté d'agir. Apprendre à mieux se connaître, reconnaître ses troubles et les accepter sont les clés du rétablissement.

C’est un processus social vécu, caractérisé par l’exclusion, le rejet, le blâme ou la dépréciation découlant d’un jugement social négatif à l’égard d’une personne ou d’un groupe. La stigmatisation, c’est aussi l’anticipation de ce vécu. L’auto-stigmatisation, c’est l’internalisation et l’adhésion à ces représentations et attitudes sociales par la personne appartenant au groupe stigmatisé. Elle a de nombreuses conséquences négatives pour cette personne.

Ce processus permet à la personne de contribuer à restaurer un équilibre de vie afin de trouver sa place dans la société en construisant un projet qui lui est adapté. C'est aussi la possibilité de se dégager du statut de malade psychique et de se reconsidérer comme une personne parmi tant d'autres. Se rétablir, c'est l'espoir d'un avenir meilleur ! Source : Livret des usagers du CL3R - CRR

La stigmatisation est une injustice sociale et une erreur de la société. La lutte contre ce processus est donc avant tout la responsabilité cette même société. Source : Weiss et Ramakrishna

5.

Thérapies comportementales et cognitives (TCC)

6.

Les thérapies comportementales et cognitives sont des thérapies brèves, validées scientifiquement, qui portent sur les interactions entre pensées (cognitions), émotions et comportements. Ces thérapies se concentrent sur les problèmes actuels de la personne, tout en prenant en compte leurs causes historiques. Une TCC s’appuie sur différentes techniques qui aident la personne à identifier les mécanismes à l’origine de ses difficultés, à expérimenter de nouveaux comportements et à sortir ainsi progressivement de cercles vicieux qui perpétuent et aggravent la souffrance psychique.

Source : Psycom

Pair-aidant

Le pair-aidant (aussi appelé « médiateur de santé pair ») est une personne qui vit avec des troubles psychiques ou un TSA et qui est rétablie. Elle a suivi une formation qui lui permet d’exercer en tant que professionnel de santé. Dans ce cadre, elle peut accompagner des personnes dans leur processus de rétablissement en témoignant de sa propre expérience et de son vécu autour de la maladie. Cela permet une identification qui facilite la reprise de conscience et véhicule de l’espoir. Un pair-aidant peut être bénévole, salarié dans un service de santé mentale, ou travailler en indépendant.

7.

Réhabilitation psychosociale

Elle propose des interventions associant : - le champ « individuel » qui s’adresse à la personne et consiste à lui assurer un accès à des soins spécifiques pour optimiser ses ressources personnelles et entraîner ses habiletés cognitives et sociales. - le champ « sociétal » en œuvrant de manière collective au développement des soutiens communautaires et à la diminution de la stigmatisation des maladies mentales.

Source : Traité de réhabilitation psychosociale 2018


8.

Quelques structures d’accueil Les Centres Médico-Psychologiques (CMP) et leurs antennes de consultation organisent des actions de prévention, de diagnostic, de soins ambulatoires et d’intervention ou de visite à domicile réalisées par les équipes qui permettent un suivi du patient au cœur de la cité. Il est possible dans ces établissements de consulter un pyschiatre, un psychologue, un assistant social et/ou un infirmer psychiatrique.

L'empowerment

Ce terme désigne : • la succession d’étapes par lesquelles un individu ou une collectivité s’approprie le pouvoir ; • la capacité d’exercer ce pouvoir de façon autonome. Dans ce sens, il est important de : - garantir et renforcer l’autonomie et la participation des personnes concernées dans la relation de soins et d’accompagnement ; - permettre la formation de toutes les personnes concernées (information, éducation thérapeutique) ; - valoriser et tenir compte de leur savoir expérientiel ; - créer les espaces de communication garantissant la voix de l’usager ; - repenser l’organisation des services dans une logique de co-construction des réponses aux besoins ; - garantir la représentation et le pouvoir des usagers ; - utiliser les médias comme vecteur d’évolution des représentations sociales de la maladie mentale. Source : Psycom

Les centres hospitaliers psychiatriques regroupent différents services pour différents types de population. L'hôpital peut accueillir les personnes présentant des troubles mentaux à un stade sévère (des psychoses : schizophrénie, paranoïa ; des troubles alimentaires ; des troubles d'addiction ; des troubles anxieux : TOC, phobies sociales, anxiété généralisée ; ou des troubles de l'humeur : bipolarité, dépression, etc.). Il existe des hospitalisations à temps plein ou à temps partiel, la durée moyenne d'un séjour en psychiatrie en France est de 25 jours. On retrouve dans les centres hospitaliers des internats pour les plus jeunes (pédopsychiatrie) et d'autres espaces divers et variés. On peut s'y rendre aussi pour des consultations ou bilans. Il est possible également d'être suivi par un Hôpital de Jour (HDJ), une unité ouverte évitant l'hospitalisation pour les personnes nécessitant moins de soins intensifs ou réguliers. C'est souvent une étape après la psychiatrie et vers l'autonomie, qui permet un suivi régulier et, quand on le souhaite, des interventions de sociabilisation, tout en étant autonomes et restant vivre chez soi. Lorsqu'une personne se sent en danger psychique et/ou voit ses symptômes réapparaître, des Centres d'Accueil de Crises (CAC) sont à disposition un peu partout sur le territoire. Ils permettent de bénéficier de soins et d'une aide ponctuelle ou suivie. Des Centres d'activités thérapeutiques à temps partiel (CATTP) proposent des activités thérapeutiques en groupe à temps partiel (théâtre, écriture, poterie, etc.). Les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) permettent d'envisager un travail adapté à sa pathologie. Les centres ressources autisme (CRA) ont pour mission d’accueillir, d’écouter, d’informer, de conseiller et d’orienter les publics. Et plein d'autres structures...

Patient, usager ou malade

?

Dans les pages de ce numéro, comme dans la vie courante, vous trouverez différents termes pour désigner une personne concernée par un trouble psychique ou un TSA (trouble du spectre de l’autisme). Il n’existe pas de consensus à ce sujet, mais le ZEST (Zone d'expression contre la stigmatisation) du Vinatier, partenaire du projet, invite chacun à être vigilant quant aux termes employés, comme ils s'efforcent de l’être. - Le terme « malade » a tendance à réduire de façon inappropriée une personne à sa maladie, son trouble, comme si elle n’existait pas en dehors de cela (valable pour « un bipolaire », « un schizophrène », « un anxieux »… En plus d’être réducteur, il en est parfois fait un usage péjoratif). - Le terme « patient » a encore une fois tendance à réduire la personne à un positionnement dans lequel elle est en attente d’un soin. Il ne traduit pas la réalité qui est qu’une personne est fortement actrice dans sa prise en charge et son rétablissement. - Le terme « usager » désigne une personne faisant usage d’un service de soin, d’un accompagnement. Il est plus factuel mais parfois également vu comme réducteur. Il n’y a pas de terme idéal, mais on retiendra « personne concernée par un trouble psychique et/ou par un TSA », ou, pour raccourcir, « personne concernée ». On peut reprocher à cette appellation d’être trop large ou longue, mais elle a l’avantage de ne pas réduire.

« Je suis une personne et j’ai un trouble psychique, cette particularité ne me résume pas. »


La santé mentale en chiffres

80 % des personnes suivies en psychiatrie le sont en soins ambulatoires En France,

(des soins nécessitant une prise en charge médicale mais qui sont exercés en dehors de l'hôpital, dans un service de santé ou autre) et seulement

20 % en hôpital psychiatrique.

Source : Solidarites.sante.gouv

Selon l’OMS,

1 Européen sur 4 est touché par

des troubles psychiques au cours de sa vie.

Pourcentage de Français porteurs de troubles mentaux 1,5 million de personnes 13 % entre 10 20 ans

Troubles anxieux généralisés (anxiété, phobie, etc.) Troubles de l'humeur (dépression,bipolarité, etc.) Troubles psychotiques (schizophrénie,paranoïa, etc.)

12 millions de Français touchés par des troubles mentaux

11 %

En France, on estime que

15 % des 10-20 ans

(1,5 million de personnes) ont besoin de suivi ou de soin. Les troubles semblent diminuer avec l'âge.

3%

Source : Solidarites.sante.gouv

En France, on estime que près de de

L'âge moyen de déclenchement des troubles se situe entre 15 et 25 ans.

1 personne sur 5 a souffert ou souffrira

dépression dans sa vie. Elle touche tous les âges et se positionne comme la première cause d'incapacité dans le monde, selon l'OMS.


Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, 76 % à 85 % des personnes souffrant de troubles mentaux ne sont pas prises en charge pour cette pathologie. Dans les pays à revenu élevé, 35 % à 50 % des personnes touchées se trouvent dans la même situation. Selon l’OMS, la schizophrénie est plus fréquente chez l’homme (12 millions) que chez la femme (9 millions) et, à l'inverse, la dépression est plus fréquente chez la femme que chez l'homme, avec une prévalence deux fois plus élévée. Source : Institut national de prévention et d'éducation à la santé

Les retards de diagnostic peuvent atteindre de 6 à 9 ans selon les pathologies. Les idées fausses, la stigmatisation, la culpabilisation et le déni retardent les diagnostics. Pendant ce temps, la personne souffre et ne reçoit aucun traitement, les risques d'aggravation augmentent alors. Source : Fondation de France

La santé mentale en chiffres

Les personnes atteintes de troubles psychiques sont 7 à 17 fois plus

victimes de violence que la population générale. Source : HAS

À l’échelle mondiale

Les personnes vivant avec des troubles

ne sont pas dangereuses.

Elles représentent 0,6 des auteurs d'homicides pour 100 000 habitants. Source : HAS

Selon l’OMS, on estime qu’une personne sur cinq habitant dans une zone de conflit souffre de dépression, d’anxiété, d’un trouble de stress post-traumatique, d’un trouble bipolaire ou de schizophrénie. La politique de santé mentale est un ensemble organisé de valeurs, de principes et d’objectifs pour améliorer la santé mentale et la réduction du poids des troubles mentaux dans une population. Elle définit une vision pour l'action future. En France Les troubles mentaux représentent le premier poste de dépenses du régime général de l’assurance maladie par pathologie, avant les cancers et maladies cardio-vasculaires, soit 19,3 milliards d’euros. Le taux de rendement de la recherche en psychiatrie est de 37 %, c'est-à-dire que pour 1 € investi dans la recherche en psychiatrie, on réduit le coût de ces pathologies de 1,37 €. Sources : ONU et Fondation FondaMental


HORS-SÉRIE SANTÉ MENTALE

Santé

« La déstigmatisation faciliterait l'accès aux soins »

M

élanie Trichanh est psychiatre au centre hospitalier Le Vinatier de la région lyonnaise. Cheffe de clinique assistante, elle partage son temps entre les consultations et la recherche. Rattachée au Service universitaire de recherche (SUR-CL3R), centre référent de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive, elle a participé lors du confinement de mars à la création d’une équipe mobile pour se rendre au domicile des usagers. TVB : L’objectif du SUR CL3R est de favoriser le rétablissement des personnes souffrant de troubles psychiques. Comment travaillez-vous ? MT : Nous accueillons en consultation des personnes ayant des troubles psychiques graves (schizophrénie, troubles bipolaires, dépression…) et qui ont des projets de vie qui peuvent être freinés par leur handicap. Ces personnes sont orientées par leur psychiatre référent car elles ont un projet de réinsertion professionnelle, sociale, de relation avec les autres… Nous les accueillons lors d’un premier entretien avec un médecin, qui évalue leur demande, les objectifs à fixer, et voit si la personne est assez stable. À l’issue de cet entretien, assez long, des bilans complémentaires sont demandés (évaluation des besoins de rétablissement, évaluation cognitive, rencontre avec un pair aidant1…). À la fin, tout le monde, y compris l’usager, se réunit et nous co-construisons ensemble la prise en charge.

TVB : Le but est de tendre vers un « rétablissement ». Qu’entend-on par-là ? MT : Il n’y a pas de définition unanime car c’est assez subjectif. On ne peut pas parler de guérison dans les troubles psychiques car, en général, ils sont chroniques et au long cours. Le rétablissement, c’est le fait d’atMélanie Trichanh est psychiatre à l'hôpital psychiatrique du Vinatier et chercheuse pour le Centre ressource en réhabilitation psychosociale et remédiation cognitive (CRR). © Floriane Todoroff

HS TVB #21- P.12

teindre une qualité de vie qui soit satisfaisante pour l’usager, selon les objectifs qu’il s’est fixés (stabilisation des symptômes, avoir des relations satisfaisantes avec les autres…). Il y a cette notion que l’on appelle l’empowerment, qui consiste à reprendre le pouvoir sur la maladie, à gagner en autonomie.

TVB : Quels sont vos outils pour accompagner les usagers dans la gestion de leur maladie jusqu’au rétablissement ? MT : Le psychiatre peut intervenir dès la crise, qui peut passer par une prise en charge médicamenteuse ou une hospitalisation, un soutien psychologique. Dans l’imaginaire collectif, le psychiatre bourre de médicaments ou consulte sur un divan ; c’est bien plus complexe ! Surtout, le psychiatre d’aujourd’hui a bien changé : il est sensibilisé au droit des usagers, sa relation avec le patient est plus horizontale. Dans la réhabilitation psycho-sociale, l’usager est toujours là. Il choisit avec nous sa prise en charge, on discute du traitement… Il y a des techniques de psychoéducation qui consistent à partager des connaissances scientifiques et théoriques avec le patient. Celui-ci devient expert de son trouble et est associé dans le soin. Le psychiatre a aussi un rôle de recherche et d’enseignement. De mon point de vue, la psychiatrie a longtemps été délaissée ; les gens étaient enfermés, sédatés… On ne pensait pas à l’usager. Petit à petit, la recherche s’est développée, on trouve des innovations et des liens avec tous les domaines (neurologie, système digestif…). En enseignant, on donne de la visibilité à la psychiatrie et on contribue à changer le regard que l’on peut en avoir.

TVB : On a l’image de soins psychiatriques dans le cadre hospitalier. Avec l’équipe mobile, mise en place durant le confinement, vous amenez le soin hors des murs de l’hôpital… MT : La psychiatrie en France est très institutionnelle, on s’est longtemps concentré sur ce qui est intra-hospitalier. On essaie de faire changer petit à petit les choses. Avec l’équipe mobile, nous intervenons auprès de personnes instables qui ont besoin de soins et pour qui le CMP2 ne suffit pas. On leur fournit un soutien à leur domicile. Pendant le confinement, parfois le simple fait de rétablir un contact humain a été suffisant. Aller à domicile me permet aussi d’évaluer le niveau


de crise, de voir s’il est utile d’adapter le traitement. Ce service continue et va aboutir à un projet pérenne en 2021.

TVB : Quels obstacles pouvez-vous rencontrer dans la prise en charge de vos patients ? MT : Les obstacles peuvent venir de la personne ellemême ; la maladie est parfois très difficile à accepter, surtout de la part de personnes ayant des stéréotypes négatifs sur la maladie mentale. Il faut être pédagogue, expliquer les choses. Cela peut aussi venir des proches, pour les mêmes raisons. Très souvent, l’obstacle est le contexte social : les personnes peuvent avoir des conditions de vie très précaires. Elles doivent gérer cet aspect donc se gérer elles-mêmes, prendre leur traitement tous les jours, venir aux rendez-vous... C’est compliqué pour elles. Enfin, un gros blocage dans la prise en charge des patients est d’ordre institutionnel. C’est assez tabou, mais parfois on n’a pas assez de moyens : manque de places en hospitalisation, manque de moyens pour mettre en place des soutiens…

TVB : Comment améliorer cette prise en charge ? MT : La déstigmatisation aiderait énormément ! Le fait que la société ait une image moins négative des troubles psychiques simplifierait l’accès aux soins. Il faut aussi changer les mentalités du côté des soignants car certains peuvent avoir du mal à croire au rétablissement. À force de travailler en unité d’hospitalisation, on peut avoir tendance à avoir une vision pessimiste du soin alors qu’en CMP2, on voit des personnes qui ont une schizophrénie et qui arrivent à faire ce qu’elles ont envie de faire dans leur vie. Ensuite, il faudrait peutêtre changer le mode de prise en charge psychiatrique, en se concentrant moins sur l’hospitalisation quand c’est possible et en allant davantage vers l’extérieur. C’est ce vers quoi la psychiatrie tend en ce moment. Marie Albessard pair aidant : usager de la psychiatrie qui a fait une formation spécialisée pour faire partie d’une équipe soignante et exercer en tant que professionnel. 2 CMP : centre médico psychologique 1

L'insertion sociale par la culture et la déstigmatisation

R

omain Tabone est psychologue au Centre référent lyonnais en réhabilitation et remédiation cognitive (CL3R). Il accompagne des personnes vivant avec des troubles psychiques sévères dans leur rétablissement.

TVB : Vous êtes deux structures à travailler conjointement, comment vous organisez-vous et quelles sont vos missions ? RT : Le CL3R est un centre référent dans l’accompagnement de personnes présentant des troubles psychiques. Le CRR (Centre ressource de réhabilitation psychosociale) mène des actions de formation, d’information et de recherche afin de diffuser les concepts et les techniques de réhabilitation psychosociale au niveau national. Les deux structures dépendent de l’hôpital du Vinatier. Le CL3R entretient un lien fort avec le CRR. Nous apportons une expérience clinique et pratique au CRR. En retour, il nous apporte un soutien important dans la gestion de nos projets, propose et diffuse des ressources. Nous sommes trois à coordonner les projets de lutte contre la stigmatisation : Marianne Reynaud, éducatrice spécialisée au CL3R, Floriane Todoroff, chargée de communication et de projets de lutte contre la stigmatisation au CRR, et moi-même.

TVB : Êtes-vous spécialisé dans un domaine ? RT : J’accompagne des personnes ayant des troubles psychiques et parfois des troubles du spectre de l’autisme (TSA), en utilisant les thérapies cognitives et comportementales (TCC). Cela permet de travailler sur les pensées, les comportements et les émotions pour mieux faire face aux difficultés du quotidien et améliorer le rétablissement.

TVB : Qu'est-ce qu'un trouble psychique ? Quand est-il défini comme sévère ? RT : C’est une affection provoquant des difficultés dans la vie d’un individu, des souffrances et parfois des comportements « dysfonctionnels ». On le dit « sévère » quand il devient trop envahissant dans le quotidien, trop fort en intensité, s’il a des conséquences douloureuses pour la personne, ou s’il est délétère pour son entourage.

TVB : Quelle est votre approche thérapeutique ? RT : On ne se centre pas sur les symptômes mais sur le projet des personnes que nous accompagnons. Elles ont des difficultés pour s’insérer socialement, trouver un emploi ou suivre une formation alors qu’elles le souhaitent. Nous nous appuyons sur leurs ressources qui sont souvent mises de côté ou oubliées. Pour cela, nous luttons notamment contre l’auto-stigmatisation. Nous sommes tous imprégnés de représentations stig-

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De gauche à droite, Floriane Todoroff, Romain Tabone et Marianne Reynaud, l'équipe ZEST de lutte contre la stigmatisation en santé mentale du CRR de Lyon, nos garants scientifiques sur cette publication.

matisantes sur les troubles psychiques, largement partagées par la société. Les personnes qui reçoivent un diagnostic sont également confrontées à ces représentations et peuvent penser qu’elles sont peu capables, instables, potentiellement dangereuses, etc. La stigmatisation est un phénomène social avant tout : il ne peut pas s’aborder qu’au niveau individuel. Informer, lutter contre les idées fausses fait partie des missions d’accompagnement en santé mentale, mais cela est encore trop souvent délaissé. Nous souhaitons accompagner d’autres services à travailler cette approche en France.

notamment. Il y a également les quiz pop culture et santé mentale qui nous permettent de confronter les représentations du public sur les troubles psychiques à celles véhiculées dans les films et séries, puis à la réalité scientifique. Nous sommes aussi tournés vers la vie culturelle en dehors de nos structures. Cela permet aux personnes de s’autoriser à aller vers des expériences qu’elles ont tendance à s’interdire parfois.

TVB : Quelles actions menez-vous en ce sens ?

RT : Durant le premier confinement, nous avons créé les ateliers CONFiture Maison pour lutter contre l’isolement des personnes à travers un espace d’expression à distance. Diffusé sur le site internet du CRR, il permet aux participants de s’essayer au dévoilement de soi à travers des thématiques variées.

RT : Nous menons un projet global de lutte contre la stigmatisation : nous avons co-créé avec les personnes concernées et leurs proches, le dispositif ZEST : Zone d’expression contre la stigmatisation. Parmi les volets de ZEST on trouve la Bibliothèque Vivante : des témoignages en face-à-face de parcours de vie de personnes concernées par la santé mentale, auprès d’étudiants

TVB : Avez-vous adapté vos pratiques avec la pandémie ?

Théo Tzélépoglou

Interstices, plateforme régionale de coopération Culture et Santé

S

éverine Legrand est directrice d’Interstices et cheffe de projet Culture et Santé en Auvergne-Rhône-Alpes Nous l’avons interrogée sur l’histoire et les enjeux de cette politique publique ainsi que sur le rôle de son association.

TVB : Pouvez-vous nous présenter Interstices ? SL : Il s’agit d’une association loi 1901 qui réunit des structures du côté santé, aussi bien des centres hospitaliers, des structures médico-sociales (EHPAD, IME, etc.), des professionnels de la santé ; que des structures du côté culturel (comme le Centre dramatique national La Comédie de Valence, le musée de Bourgoin-Jallieu, la Maison de la Danse de Lyon, des compagnies de théâtre, des artistes indépendants, etc.) ; et des personnes qui ne sont pas dans ces deux secteurs (culture et santé). L’objet de l’association est de parler de l’existence de l’art et de la culture dans les établissements de santé, et de défendre son importance, aussi bien dans les deux secteurs que sur la place publique. Quand on évoque la notion HS TVB #21 - P.14

« Culture et Santé », l’idée qui vient en premier,c’est le clown pour les enfants dans les hôpitaux. Or, si la présence clownesque est très intéressante, les dispositifs Culture et Santé sont plus larges. Il existe des projets artistiques bien plus divers, des publics multiples. Il faut penser aussi aux adultes, au personnel, aux soignants, aux familles. On vise aussi à déconstruire les préjugés sur les personnes accueillies dans les établissements de santé, de manière passagère, transitionnelle ou longue. L’association travaille sur 2 axes : - Des actions en propre, au service des adhérents, qui sont plus d'une centaine en Auvergne-Rhône-Alpes. L’idée est de les accompagner et de les outiller afin de faciliter et professionnaliser leur développement de projets culturels dans le domaine de la santé. Ce sont des conseils et formations d’ingénierie culturelle, des journées professionnelles d’interconnaissance des deux secteurs, des groupes de travail sur une problématique (questions de financements, de mise en place, etc.) qui aboutissent à des chartes de bonnes pratiques ou d’engagement. Nous les accompagnons également sur la valorisation de leurs événements, productions et projets. Nous sommes finalement ainsi identifiés comme un lieu ressource sur cette thématique de Culture et Santé.


- Des actions pour le compte de, notamment pour l’ARS, la DRAC et la Région, que nous accompagnons sur la politique publique Culture et Santé qu'ils pilotent, dans sa mise en place et la gestion du dispositif opérationnel qui en découle (notamment un appel à projets). En 2020, le programme Culture et Santé en région a eu 20 ans. On a fait une exposition sur les 20 ans du programme : le nombre de projets aidés et de territoires touchés. Elle a été exposée à la Ferme du Vinatier en janvier 2020 puis est partie en itinérance à l’Hôpital de Sainte-Marie à Clermont, puis au CH Cœur du Bourbonnais dans l'Allier, mais la crise sanitaire a ensuite empêché sa diffusion. On peut cependant la retrouver sur notre site Internet dans nos pages Ressources, accompagnée d’une brochure vadémécum expliquant le fonctionnement du programme Culture et Santé.

TVB : Comment a évolué le programme Culture et Santé au cours du temps, plus particulièrement en Auvergne-RhôneAlpes ? SL : La politique publique Culture et Santé est historiquement très forte, très structurée et développée en Auvergne-RhôneAlpes. Elle est issue d’un programme national qui a été voulu en 1999 par le ministère de la Culture et le secrétariat d’État à la Santé. C’était une politique d’impulsion pour mettre plus de culture dans les hôpitaux. Nous avons eu la chance en Rhône-Alpes, car c’était Rhône-Alpes à l’époque, de nous en saisir rapidement car nous étions dans le groupe de réflexion national du fait du projet novateur et expérimental La Ferme du Vinatier, qui datait de 1997. Nous avons ainsi travaillé avec l’ARH, l’ancienne ARS, et la DRAC dès 2000 avec un séminaire « Qu’est-ce que la culture à l’hôpital ? » avec des professionnels de santé, qui fut le socle philosophique de notre programme. Dès 2002, nous avons lancé le premier appel à projet. En 2006, la Région est arrivée dans le dispositif. En 2015, il s’est ouvert des hôpitaux au reste des établissements médico-sociaux avec un volet médicalisé. En 2017, avec la fusion et le nouveau périmètre régional, la politique publique existante en Rhône-Alpes s’est déployée en Auvergne, où il y avait encore peu de projets. En 2002, il y avait une dizaine de projets aidés sur Culture et Santé, maintenant nous recevons environ 120 candidatures et nous en accompagnons entre 80 et 90 chaque année. En 20 ans, nous avons aidé autour de 900 projets. Les spécificités de l’Auvergne-Rhône-Alpes sont ces dispositifs d’aides financières avec l’un des budgets les plus importants du territoire national, le volet d’accompagnement des porteurs de projets et la co-construction avec le terrain. Ce contact avec le terrain (professionnels, usagers, familles, artistes, etc.) et les réflexions qui en émanaient nous ont amenés à créer des comités locaux à l’échelle des départements en 2006 pour lutter contre l’isolement des porteurs de projet, partager des pratiques et lancer des dynamiques de projets collectifs. Ils sont uniques en France. Autre spécificité, le choix des projets aidés n’est pas le simple fait des financeurs (DRAC, ARS, Région) mais aussi d’une quarantaine de personnes qui sont des professionnels de la santé, de la culture, des usagers... qui émettent des avis de conformité sur les dossiers.

TVB : Comment la culture permet-elle de repenser les établissements de santé et les institutions culturelles, selon vous ? SL : Cela vient jouer sur les institutions de santé en les modifiant à plusieurs endroits, notamment sur la considération des personnes accueillies et ce que cela dit des objectifs que la structure se donne : ne pas considérer les patients seulement à travers leur maladie ou leur empêchement transitionnel, mais aussi dans l’intégralité de la personne et du citoyen qu’ils sont. Il s'agit donc de respecter leurs droits fondamentaux, parmi lesquels l’accès à la culture. La mission de l’institution ne peut pas être seulement soigner, mais aussi de prendre soin des personnes. Si on reprend la définition de la santé de l’OMS, c’est un tout global. En considérant les usagers avant tout comme des personnes, on vient les remettre au cœur du dispositif de soin.

Ensuite, la culture va permettre aux personnes de s’épanouir, de s’exprimer, d’avoir accès à la culture même dans un moment de vie en institution, soit en permettant de continuer à avoir une pratique culturelle, soit en découvrant ces expériences, et globalement en permettant la création d’espaces tiers d’expression, de réflexion, de mise en relations avec les autres, dans un moment de vie où les rapports à soi et aux autres peuvent être complexes. Le premier point, c’est donc l’entrée par la personne. Le deuxième, c’est la façon dont les pratiques culturelles et artistiques viennent bouleverser les établissements de santé et leurs personnels, marqués par l’urgence et la nécessité de faire toujours plus. Cela permet des espaces pour des prises de recul par rapport aux pratiques professionnelles, d’avoir des pauses, des moments de respiration, de questionner le rapport aux personnes qu’on accompagne et d'enrichir la façon dont on le fait. D’autres possibles viennent se poser. Par ailleurs, il s’agit aussi d’un endroit de mise en perspective de l’établissement auquel ils appartiennent. Travailler dans un établissement qui développe des projets Culture et Santé rapproche les soignants de leur envie première : soigner, et amplifie leur sentiment d’appartenance. Enfin, surtout, ces projets-là viennent à questionner le regard que l’on a sur les établissements de santé, le regard sur la maladie, le handicap, et déconstruire les préjugés. Ces projets montrent la capabilité des personnes et les possibles en la matière. Tout ceci et cette remise en question des pratiques professionnelles des établissements de santé se retrouvent également au sein des établissements culturels. Ces projets permettent de diversifier leurs travaux, les invitent à penser leurs actions en fonction de publics variés, et viennent finalement enrichir la vision de la création liée aux publics. Ils permettent de déstigmatiser l’art et la culture en l'ouvrant à tous.

TVB : Quels sont les enjeux des projets Culture et Santé dans le milieu de la santé mentale et dans un contexte sanitaire particulier ? SL : Si on ne regarde que les établissements psychiatriques, il s’agit de ceux qui résistent le mieux pendant cette crise sanitaire. C’est aussi ceux où les projets culturels se sont imposés de la manière la plus naturelle, du fait de la présence historique d'autres formes de l'art, comme l’art-thérapie, bien que les objectifs poursuivis différent de ceux de Culture et Santé. Il n’empêche qu’il existe une culture de la culture et de l’art dans les établissements psychiatriques qui fait que les actions se sont imposées plus naturellement et ont donc mieux résisté pendant la crise sanitaire. Néanmoins, il reste un véritable enjeu de défense des projets Culture et Santé et de leur nécessité dans les établissements psychiatriques, notamment du fait qu’avant même la crise, ils étaient fragilisés par le virage ambulatoire. On a une volonté aujourd’hui de faire que les personnes restent de moins en moins dans les institutions hospitalières, dont les psychiatriques, pour être de plus en plus à domicile ou dans des appartements thérapeutiques, etc. C’est intéressant, mais pour la culture, le fait que les gens restent moins en institution laisse l’impression à certains que ce n’est plus nécessaire de prendre soin, de mettre en place des actions culturelles. Or, c’est important d’être un être social et citoyen, que l’on soit hospitalisé ou non. C’est important pour la relation à l’autre et l’appartenance à la société. L’enjeu est donc là, même si on est dans un virage ambulatoire, qui est certainement nécessaire pour de nombreuses raisons, nous ne devons pas perdre les missions et projets transversaux qui viennent travailler le prendre soin et la considération des usagers en tant qu’êtres sociaux. Ces projets ne sont pas anecdotiques mais bien importants dans la prise en charge des usagers et pour les personnes qui travaillent à l’hôpital et la bulle d’air que cela leur apporte. Laurianne Ploix


Patricia Deegan, le rétablissement vers la dignité © Patricia Deegan

À

la sortie de l’adolescence, Patricia Deegan a été diagnostiquée schizophrène. Malgré les pronostics très sombres des médecins de l’époque, elle a su reprendre sa vie en main. Devenue psychologue, elle a grandement œuvré pour faire connaître et défendre la notion de rétablissement en santé mentale.

TVB : Pr. Deegan, vous expliquez avoir été déprimée pendant des mois après avoir été diagnostiquée schizophrène à 17 ans, à cause du discours fataliste des médecins. Qu’est-ce qui vous a mis sur la voie du rétablissement ? PD : Après une période très compliquée, j’ai vu mon psychiatre, qui m’a dit : « Mademoiselle Deegan, vous êtes malade. Et comme un diabétique, vous devrez prendre des médicaments toute votre vie. » J'étais assise très calmement, mais quelque chose a commencé à monter en moi : mon indignation furieuse. J’aime ce mot, indignation, parce que dedans il y a dignité. Ma dignité s'élevait. Et j'ai pensé : « Vous avez tort à mon sujet, vous ne savez pas que je suis résiliente et forte. » Quand je suis sortie de son bureau, j’ai décidé que je deviendrai le Dr. Deegan, que je changerai le système de santé pour que personne ne souffre comme moi. C’était un moment charnière. Plus tard, j’ai reçu en cadeau un walkman. Un jour, je passais une très mauvaise journée, j’entendais des voix méchantes et horribles, mes médicaments n’y pouvaient rien. Alors j’ai mis mon casque et j’ai écouté mon groupe préféré, et devinez quoi : les voix sont devenues moins gênantes. Et alors que je chantais, elles sont devenues plus faibles. Je ne savais pas que je pouvais faire quelque chose pour changer ma propre expérience de détresse, personne ne me l’avait jamais dit. Ce jour-là, j’ai découvert un miracle. Je pouvais faire quelque chose. C’était le vrai début.

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TVB : Après cela, vous êtes devenue psychologue, et vous avez beaucoup travaillé sur la notion de rétablissement. Pouvez-vous nous expliquer à quoi cela correspond ?

PD : J'ai une définition très simple du rétablissement : c'est un cheminement vers ce que je veux être, et ce que je désire pour moi-même. Pour beaucoup de gens, cela consiste simplement à avoir un emploi, un salaire et voir des gens le vendredi soir, comme tout le monde. L’autre point central du rétablissement c’est de dire : « Je ne suis pas le problème, je fais partie de la solution. Vous ne pouvez pas me “réparer” comme une voiture. Je dois être impliquée. » Le rétablissement appartient à l’individu, pas au clinicien. J'ai consacré ma vie à donner des conférences sur le rétablissement partout dans le monde, et j’ai découvert que ce n'était pas suffisant. Les professionnels et les individus eux-mêmes ont besoin d'outils. C'est pourquoi, dans mon entreprise (ndlr : The CommonGround Program), nous créons de nombreux outils pratiques pour aider les psychiatres, comme les patients, à obtenir le bon médicament, par exemple, ou à découvrir sa « médecine personnelle ».

TVB : Comment un usager de la psychiatrie peut-il trouver son propre chemin de rétablissement ? PD : Il doit se demander : qu'est-ce qui compte pour moi ? Quelle est la vie que je veux pour moi-même ? C’est exactement le contraire de ce qu'on m'avait dit à l’époque. Je demande aux gens de réfléchir à leur vision. Et ensuite, nous voyons comment les aider à y parvenir. Le traitement devient un moyen d'obtenir ce qu’ils veulent.

TVB : Comment la culture et les arts peuvent-ils aider les usagers de la psychiatrie ? PD : Beaucoup d'entre nous ont ce que j’appelle des « dons dangereux », des sensibilités, et la culture dite « normale » ne nous parle pas toujours. Mais la question est : pourquoi être normal ? Nous avons souvent une affinité avec la communauté des artistes, la communauté des âmes sensibles qui ne s'intègrent pas tout à fait dans le monde des « hommes machos ». Nous défendons la neurodiversité. Il y a de nombreuses façons d'être humain. Et le but n'est pas de devenir « normal », en se rétablissant. Le but est de devenir la personne unique que l’on a toujours été. Les arts, la culture, l’image, ce sont des domaines pour lesquels beaucoup d’entre nous ont des affinités. La culture est très importante, elle peut faire beaucoup, notamment pour s’exprimer et s’accepter. Raphaëlle Vivent


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ACTIONS CULTURELLES POUR LA SANTÉ MENTALE en Auvergne-Rhône-Alpes


H O R S - S É R I E C U LT U R E E T S A N T É M E N TA L E

Découverte

La Ferme du Vinatier, une référence nationale

N

ous sommes allés à la rencontre de Coline Rogé, cheffe de projets à la Ferme du Vinatier, pour découvrir ce lieu de référence et visiter tous ensemble l'exposition en cours Être ici - ou l'art d'écrire la lumière en marchant de la photographe Johanna Quillet.

TVB : Vous dirigez le service culturel du deuxième hôpital psychiatrique de France, la Ferme du Vinatier. Quels sont son fonctionnement et ses objectifs ? CR : La Ferme du Vinatier met en œuvre la politique culturelle du Centre Hospitalier Le Vinatier. Cela s'appelle la Ferme car quand l'hôpital a été construit au XIXe siècle, il possédait une ferme et le bâtiment qui nous accueille aujourd'hui était autrefois un bâtiment agricole. On n'y fait plus de l'agriculture mais de la culture. Nous développons des projets culturels au sein de l'établissement avec une optique de rayonnement et de lien entre l'intérieur et l'extérieur. Nous poursuivons plusieurs objectifs, comme la contribution à la déstigmatisation de l'hôpital psychiatrique et de ses usagers. Nous souhaitons offrir la possibilité aux personnes qui sont suivies à l'hôpital de s'inscrire dans des dynamiques de création, en partenariat avec les équipements culturels, sanitaires et sociaux, et universitaires du territoire. Nos projets sont toujours co-construits et visent à permettre aux personnes qui les suivent de s'approprier les lieux de culture et favoriser l'inclusion.

TVB : Quelle est l'utilité d'un service culturel au sein d'un hôpital psychiatrique ? Quel impact avez-vous pu mesurer lors de vos actions ? CR : Pour moi, la culture au sein d'un hôpital, en général, c'est quelque chose qui, au même titre que le soin, participe au parcours de la personne. De plus, la culture permet de garder un lien avec la vie « réelle », extérieure. On est patient mais on reste avant tout citoyen. Le fait d'avoir un équipement culturel au sein de l'hôpital permet de garder

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Coline Rogé, la cheffe de projets de La Ferme du Vinatier devant l'une des photos de l'exposition que nous avons visitée. © Audrey Morel

ce lien humain avec la cité. Je me souviens d'un jeune autiste qui avait participé, adolescent, à un projet mené par la Ferme du Vinatier et que j'ai croisé par hasard quelques années plus tard dans le métro. Il est venu m'interpeller en me rappelant avec enthousiasme et détails le projet Opéra Musiques Actuelles qui l'avait vraiment marqué et accompagné dans son cheminement personnel et sa découverte de l'univers culturel. J'étais ravie de son témoignage. Nous sommes contents aussi quand des personnes qui ont participé à des projets reviennent nous dire qu'elles se sont inscrites à la MJC du coin, ou autre. Cela nous donne le sentiment d'être un lieu utile. Elles reviennent alors qu'elles ne sont plus hospitalisées : cela prouve que l'on a été une étape dans leur parcours et que l'on a un réel impact.

TVB : Vous organisez aussi des manifestations à destination de l'extérieur. Quel message souhaitez-vous faire passer au grand public grâce à ces interactions ? CR : Nous avons en effet des projets tournés vers l'extérieur et beaucoup de partenariats avec des événements publics, dont certaines manifestations qui vont se dérouler à la Ferme du Vinatier. L'objectif pour nous aussi est de faire venir du public extérieur jusqu'ici, toujours avec l'idée de toucher de nouveaux publics. Des personnes qui s'intéressent à la littérature, aux sciences ou à d'autressujets vont venir sur une manifestation, un festival lors d'une soirée et pourront ainsi changer de regard sur l'hôpital. Même si ce n'est qu'une petite goutte dans l'océan, la stigmatisation est très forte envers la psychiatrie et nous espérons agir ainsi pour la déconstruire.

TVB : On voit souvent des annonces pour des expositions à la Ferme du Vinatier avec des artistes extérieurs mais c'est en fait le fruit d'un travail collaboratif avec les usagers ? CR : Vous avez raison de souligner que nous ne sommes pas une galerie, nous n'avons pas pour vocation de pré-


L'exposition de Johanna Quillet à la Ferme du Vinatier et notre équipe projet en plein reportage. © Audrey Morel

senter le travail d'un artiste déconnecté de l'hôpital, ou de la psychiatrie. Tout ce que nous présentons ici a un lien soit avec des productions qui ont été faites dans le cadre de projets (comme c'est le cas aujourd'hui avec l'exposition de Johanna Quillet qui regroupe à la fois le travail réalisé avec les usagers pendant les ateliers et le travail de l'artiste qui s'est immergée dans les lieux), soit avec la présentation de l'univers d'un artiste avec lequel nous allons travailler. Nos expositions durent en moyenne 7 semaines et nous en faisons entre 5 et 6 dans l'année. Il s'agit de la restitution des projets, la présentation du travail des artistes avec lesquels nous travaillons, les restitutions de l'atelier peinture du Vinatier et l'exposition de certains partenaires, comme la Biennale Hors Normes (BHN) ou d'autres, qui travaillent sur la santé mentale ou la psychiatrie.

d'infirmiers en psychiatrie à Saint Jean de Dieu. L'équipe a donc été constituée par des relations et connaissances que nous avions, qui nous ont mis en relation avec ces artistes intéressés par la psychiatrie. Parfois, ce sont des services qui montent des projets et cherchent des artistes et nous faisons la mise en relation. Parfois, ce sont des équipes artistiques qui viennent nous voir et nous demandent si cela nous intéresse que l'on travaille ensemble. Par contre, nous ne prendrons jamais un projet clé en main ou un copier-coller d'un projet déjà réalisé ailleurs. Il doit être pensé pour le lieu et avec les gens qui vont y participer (patients et habitants de Bron, en toute mixité).

TVB : Comment s'organise votre programmation culturelle ?

CR : Tout se passe sur la base du volontariat, il n'y a rien d'obligatoire. Les personnes sont informées grâce à nos outils de communication et viennent à leur gré. Les soignants ont moins le temps d'accompagner les personnes qu'ils suivent à la Ferme du Vinatier, les usagers viennent donc par euxmêmes et sont par conséquent relativement autonomes. Néanmoins, nous avons développé un dispositif qui s'appelle Éclats d'Art, réseau des projets artistiques des unités de soin du Centre Hospitalier Le Vinatier qui permet aux services de soin de développer leurs propres projets culturels, à l'échelle de leur service et sur leur propre territoire. Car quand on pense au Vinatier, on pense toujours à Bron, mais le Vinatier est aussi à Rillieux-la-Pape, Neuville, Décines, Lyon, etc. Pour les personnes trop malades pour s'engager dans un projet culturel régulier, on a pensé à des projets plus ponctuels et moins engageants. De nombreux artistes manquent de lieux pour répéter ou faire leurs représentations. On a décidé de mettre à disposition notre salle à la Ferme du Vinatier, gratuitement, en échange de petites propositions à jouer directement dans les services. Il s'agit d'une forme de troc. La compagnie U.Gomina a, par exemple, fait quelques interventions musicales dans les services avec des orgues de Barbarie, nous avons fait des cinés-concerts dans les services de pédopsychiatrie, etc. On essaie de penser à tous.

CR : Nous avons une brochure de saison qui présente les expositions qui auront lieu tout au long de l'année et dont je viens de vous parler. Puis nous avons une programmation culturelle en lien avec les festivals et événements culturels du territoire. Par exemple, ce soir nous devions avoir, dans le cadre du Festival Parole Ambulante, une soirée poésie autour du centenaire de Boris Vian, or les mesures sanitaires actuelles nous ont amené à l'annuler. Pour éviter cela, tous nos prochains projets anticipent une alternative au présentiel pour leur restitution.

TVB : Comment s'organise le travail avec les artistes ? CR : Nous travaillons de trois façons. Parfois, la thématique vient de nous et nous faisons appel à des artistes, comme pour le projet Portraits de gens organisé cette année. Nous avions envie de mettre en avant les personnes qui travaillent à l'hôpital (ndlr : ateliers les jeudis après-midis jusqu'à juin 2021). Nous avons alors fait appel à l'illustratrice Alexe Lolivrel, auteure de la BD Radiographie d'un HP, consacrée au Vinatier, et au metteur en scène Nicolas Ramond, qui travaille souvent avec l'écrivaine Fabienne Swiatly, qui a écrit le livre Un jour, je suis passée de nuit, sur le travail de nuit d'infirmières et

TVB : Comment mobilisez-vous le public ? Les ateliers sont-ils accessibles à tous, même à ceux avec des difficultés pour s'exprimer ?

Eva, Jacques, Marianne, Audrey, Catherine, Jean-Baptiste, Romain, Marianne, Laurianne

Marianne a participé à la création de l'exposition que nous avons visitée avec le groupe du projet et nous montre sa création. © Laurianne Ploix

La Ferme du Vinatier héberge une salle de spectacles, une salle d'exposition, un centre de documentation, une artothèque et même une boîte à lire...

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Les sténopés de Marianne Marianne a fabriqué des sténopés au cours d'ateliers à la Ferme du Vinatier. Elle nous explique le fonctionnement de ces appareils photo faits maison.

« Il s'agit de boîtes étanches à la lumière (peintes en noir à l'intérieur en 2 couches). On fait un petit trou sur le côté afin qu'il serve d'objectif. On le recouvre avec du scotch noir qui sert d'obturateur. Puis, en chambre noire, on met un papier argentique qui réagit à la lumière, la face sensible du papier face au trou, et on referme la boîte. Pour prendre une photo, on retire le scotch et on laisse ouvert le temps qu'il faut pour que l'image s'imprime sur le papier. Lors de mon stage sténopé à la Ferme du Vinatier, en mars, on a utilisé les boîtes sténopés en bois de Johanna et le temps de pose était d'environ 10 minutes. Mais au mois de juillet, on ne laissait ouvert que quelques secondes. Tout dépend de la luminosité qui change au cours de la journée, de l'année, de l'emplacement, de la météo, etc. Une fois que la photo est prise, on rabat le scotch sur le trou. Puis on va en chambre noire, pour réouvrir le sténopé dans l'obscurité. On retire le papier argentique, on le passe dans les 3 bacs de produits chimiques pour les différentes étapes du développement : le prémouillage, le révélateur, le bain d'arrêt, le fixateur et le rinçage. On obtient alors le négatif de la photo.

Le projet Fresque avec Éclats d'Art

© Floriane Todoroff

© LP

Si tu veux ensuite obtenir le positif, tu peux faire un tirage par contact. Tu poses un papier photo argentique non exposé à la lumière (la face sensible à la lumière vers le haut), puis par-dessus le négatif (la face développée contre la face sensible). Enfin, tu poses dessus une plaque de verre. Puis, tu fais un peu comme dans le film Les Visiteurs : « jour/nuit », donc tu allumes et éteins la lumière plusieurs fois. Tu peux alors récupèrer le nouveau papier exposé à la lumière, tu le développes dans les 3 bacs et tu obtiens ton positif. »

Catherine a participé au projet Fresque mené par le Centre référent de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive de Lyon (SUR-CL3R), qui l'accompagne, grâce à l'appel à projet organisé chaque année par la Ferme du Vinatier : Éclats d'Art, réservé aux différents services de l'hôpital. Elle nous explique : « On a travaillé avec des graffeurs, on s'est entraîné à faire des dessins en commun et, à la fin, on a peint tous ensemble, en même temps, sur le mur en bas du SUR. C'est vraiment une œuvre commune. J'ai fait des plantes, un oiseau, un cube en 3D intégré au travail des autres, c'est vraiment très riche. » Marianne, éducatrice spécialisée, participait également au projet. Elle complète : « C'était d'autant plus riche qu'on a eu le temps d'imaginer la fresque semaine après semaine puisqu'on a laissé la création s'exprimer le jourmême, librement, sans plan et avec une part de mystère. On s'est entraînés auparavant à différentes techniques : le crayon, l'aquarelle et la bombe. C'est l'aboutissement de nombreux ateliers avec les graffeurs Antonin Rêveur et Khem, puis la liberté créatrice du moment. » Catherine nous confie : « Je garde un super souvenir de cet atelier et il en reste une trace. Chaque fois que je reviens ici, ça me remet en joie, je ressens une certaine satisfaction d'avoir créé quelque chose qui reste. »


HORS-SÉRIE SANTÉ MENTALE

Des ateliers radio pour faire entendre sa voix

Radio

À

l’hôpital Saint Jean de Dieu, des usagers suivis en ambulatoire donnent de la voix. Pour écouter, se faire entendre, capter ce qui les entoure. Plusieurs cycles d’ateliers radio, animés par le comédien et metteur en scène Stéphane Daublain, se déroulent chaque année. Le résultat : une création d’une dizaine de minutes, capsule sonore de cette émulation de groupe de quelques semaines.

. C’est un exercice souvent nouveau pour les participants : tendre un micro, enregistrer des sons environnants, enregistrer sa voix, interroger des personnalités, aller à la rencontre des passants… Depuis 2014, l’hôpital Saint Jean de Dieu organise des ateliers radio avec des usagers. D’abord réalisé dans l’enceinte de l’hôpital, le projet a ensuite évolué vers l’extérieur et pris le nom de Radio Passage. « L’idée du passage est importante car lorsqu’on est hospitalisé, il y a un passage dedans dehors, d’un lieu à l’autre, explique Cécilia de Varine, chargée d’action culturelle. Ces ateliers radio aident à passer d’un lieu à l’autre. » Des usagers d’une unité de soins ambulatoires de l’hôpital Saint Jean de Dieu participent toujours à un cycle (deux à trois cycles de trois mois par an) ; des personnes d’autres structures ou d’une institution culturelle partenaire où se déroulent les séances peuvent s’ajouter. Les groupes de travail animés par le comédien et metteur en scène Stéphane Daublain ont ainsi créé La beauté est le nom de quelque chose qui n’existe pas (réalisé à l’espace Pandora à Vénissieux en partenariat avec l’hôpital de jour Dupic), Archiver nos souvenirs (réalisé aux archives municipales de Givors en partenariat avec le Centre d’accueil thérapeutique Les bords du Gier). Le rôle de ce professionnel du théâtre est de fédérer le groupe, de favoriser la prise de parole, l’échange, de faire émerger les idées de chacun. « Le thème des ateliers n’est pas déterminé en avance, il est souvent amené par le lieu culturel où l’on se trouve. Le plus dur dans ce projet est de ne rien anticiper », précise-t-il. Radio Passage se fait passerelle, propice à la rencontre.

« J’ai aimé aller dans le parc pour chercher des bruits, c’était nouveau » « Ce sont toujours les mêmes types de personnes qui ont droit à la parole. Avec Radio Passage, l’idée est de la donner à des personnes qui l’ont peu », indique encore le comédien. Une série de règles, ou plutôt de « contraintes créatives », régissent les créations sonores : tous les sons

De gauche à droite, Messali Cheraitia, Marie*, Stéphane Daublain et Cécilia de Varine. © Marie Albessard

sont enregistrés avec les participants pendant les ateliers, la voix d’au moins 5 d’entre eux doit être entendue, un refrain de chanson est chanté a capella, on doit y entendre deux langues différentes… Au cours des ateliers, les missions se répartissent : certains interviewent des personnes, d’autres captent des sons… « Je suis satisfaite d’être arrivée au bout, indique Marie*, qui a participé au cycle à Vénissieux. J’ai aimé aller dans le parc pour chercher des bruits, c’était nouveau. On a été confrontés à de nouvelles situations ». Ces rendez-vous réguliers soudent les participants autour d’un projet commun et de la découverte de l’outil radiophonique. « On a partagé un bon moment, on rigolait bien. On a rencontré des gens, cela faisait énormément de bien », témoigne Messali Cheraitia, qui suit ces ateliers radio depuis leur création en 2014. « Faire une activité me rend heureux. Plus je fais des choses, plus je redeviens “normal” ». À la fin, c’est Stéphane Daublain qui réalise le montage sonore avec l’objectif de ne pas « trahir ce qu’on a fait ensemble ». La finalité des ateliers est attendue avec impatience par les participants : une séance d’écoute collective, la mise en ligne de la création sur la webradio Radio Passage et la présentation de ce travail sur les ondes de Radio Pluriel dans l’émission Vivre ensemble. « La présentation à la radio c’était important pour moi, ajoute Marie. C’était quelque chose : être là, avoir son fauteuil… » Cécilia de Varine ajoute : « On est tellement dans une société d’images qu’on pense être reconnu par sa visibilité. Alors que quand on a une voix et qu’on la fait entendre, ça nous donne une place. » Marie Albessard et Jean-Yves Marandon http://radiopassage.fr *À la demande du témoin, son prénom a été changé

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Les participants lors d’une représentation du spectacle au parc du Clos Layat. ©Garance Li

« Des habitants » : la danse au cœur du lien

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ntre septembre 2018 et juin 2019, l’hôpital du Vinatier et la Maison de la Danse ont proposé un projet artistique à un groupe de patients, de soignants et d’aidants. Rencontre avec le psychiatre et danseur Emmanuel Monneron, et le chorégraphe Sébastien Ly, de la compagnie Kerman.

TVB : Comment est né le projet « Des Habitants » ? EM : Le projet a été initié quand je suis arrivé au Vinatier en mai 2018. J’avais l’idée de travailler avec une structure . culturelle proche, en l'occurrence la Maison de la Danse. J’avais une envie très personnelle de faire un projet autour de la danse avec des soignants et des personnes accompagnées par les services du Vinatier. Il y avait deux aspects : le parcours du spectateur, où les participants allaient voir des spectacles, et la pratique artistique, chorégraphique avec Sébastien. SL : Emmanuel m’avait parlé de ce projet et je lui avais dit que j'étais très intéressé par ce type de rencontre. J’étais dans un cycle qui s’appelait « Habiter le monde ». C’est comme ça qu’on a bâti ce projet, avec la même idée que les autres spectacles : se rendre compte de la manière dont on est en rapport les uns avec les autres, et avec l’environnement auquel nous appartenons.

TVB : Comment se déroulaient les ateliers ? SL : Nos séances duraient 4 heures. On commençait par se parler, car on se voyait une fois par mois. Ensuite, on s’échauffait tous ensemble. Puis, au fur au mesure des séances, on a peaufiné ce qui allait devenir le spectacle. L’origine du spectacle (ndlr : présenté le 27 juin au studio Jorge Donn de la Maison de la Danse), c’est un texte que j'avais écrit au tout début de ce travail sur « Habiter le monde ». Les participants l’ont trouvé super donc on s’est dit : « on a qu’à choisir chacun un mot dans ce texte qui nous parle, et y associer un geste ». C’est à partir de ces gestes-là, qu’on a travaillé, peaufiné, mis dans l’espace, qu’on a écrit la chorégraphie. HS TVB #21 - P.22

TVB : Qu’est-ce que la danse peut apporter aux usagers de la psychiatrie ? EM : Ce projet avait vraiment été pensé dans l’idée de pouvoir établir des relations plus horizontales que d’habitude, à l’intérieur du dispositif de soin. L’idée c’était de se dire : on va, en groupe, participer à un projet, accompagnés par Sébastien. Donc ça a mis en distance ces liens qui sont souvent très stéréotypés, entre patients, soignants, familles. Et après – mais ce n’est, selon moi, pas réservé au domaine de la santé mentale – proposer de s’investir dans un processus de création « élève ». Ça permet de s’exprimer, d’être en lien d’une autre façon, avec soi et avec l’autre.

TVB : Quels ont été les retours des participants ? SL: Quand on a commencé le projet, on savait qu’on avait la possibilité de présenter le spectacle à la Maison de la Danse, mais on a toujours dit qu’on allait avancer, et que si il y avait un désir commun de monter sur scène, on le ferait. Puis une équipe de France 2 est venue filmer la dernière répétition. Les participants ont accepté avec grand plaisir de se faire filmer et de se faire interviewer. Je me suis dit : « Quel trajet, entre se demander si on se produira sur scène, et témoigner à visage découvert dans un média ». C’était extrêmement fort. EM : Ils ont été très fiers de monter sur scène, de témoigner dans différents médias, de pouvoir montrer tout ça à leurs proches. C’était la satisfaction de ce travail, de cet investissement extrêmement important. Et après il y avait la question de la communauté, du lien. Il y a vraiment des personnes qui se sont rencontrées, il y a des amitiés qui ont pu se développer. Catherine, Audrey Morel et Raphaëlle Vivent Après le succès de « Des habitants », la Maison de la Danse et le Vinatier ont renouvelé leur partenariat. Un nouveau cycle a été initié en septembre 2020, intitulé Tous ces autres en soi. Si l’évolution de la crise sanitaire le permet, la chorégraphe québécoise Ariane Boulet viendra animer des ateliers de danse à partir de mars 2021. Ces projets bénéficient du dispositif Éclats d'Art coordonné par la Ferme du Vinatier et de l'aide financière de la Fondation Apicil.


Une « insolite fabriq » d'acteurs à Villeurbanne

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epuis plusieurs années, Sylvie Moreau, attachée aux relations avec le public au Théâtre National Populaire (TNP) et Malo Lopez, metteuse en scène de la Compagnie Insolite Fabriq, nous ont reçus dans les coulisses du TNP de Villeurbanne. Au programme : la genèse du projet « Bulles à sons », mené par une troupe de théâtre un peu particulière...

TVB : Pouvez-vous chacune faire une présentation de votre parcours ?

TVB : Acceptez-vous tout le monde dans votre compagnie de théâtre ? ML : L’ESAT qui héberge la compagnie ne doit pas dépasser l’effectif de travailleurs défini par l’ARS. Ils sont actuellement 9 et seront bientôt 10. Je suis à la recherche d’autres talents et je souhaiterais avoir jusqu’à 12 ou 14 comédiens. Je reçois beaucoup de demandes d’hommes, mais pas assez de femmes. Je recrute principalement des personnes porteuses de handicap mental. Mais je ne suis pas fermée à rencontrer d’autres candidats avec plutôt des troubles d’ordre psychique.

TVB : Comment est née cette collaboration avec le TNP ?

ML : Je suis metteuse en scène et je suis aussi responsable artistique de « l'Insolite Fabriq » depuis 2013. J’ai été élève d’un Centre dramatique national pendant 6 ans et j’ai suivi des études en psychologie clinique. J’ai travaillé dans une école spécialisée qui proposait le théâtre comme outil pédagogique. J’ai remarqué qu’une fois sortis de l’école, ces élèves, adolescents en situation de handicap, n’avaient malheureusement plus de lien avec le théâtre et la culture.

SM : Nous nous sommes rencontrées ici, au TNP. Dès ce premier rendez-vous est née l’envie de travailler ensemble, à partir d’un véritable partenariat : Insolite Fabriq et Malo Lopez apporteraient leur connaissance du travail artistique avec des comédiens et comédiennes porteurs de handicap, et moi, je pourrais apporter mon savoir-faire en matière de montage de projet et ma connaissance de cette institution théâtrale. Cela fait partie de mon travail au sein de cette structure, d'accueillir tous les publics possibles et de faire venir des personnes en situation de handicap. Mon rôle en tant que chargée des relations publiques est de pousser les portes et d'en ouvrir davantage. Le travail de sensibilisation se fait du théâtre vers l’extérieur, mais également en interne : comment accueillir au mieux des spectateurs ou des comédiens porteurs de handicap ?

TVB : Comment vous est venue l'idée de monter cette compagnie ?

TVB : Pouvez-vous nous expliquer le projet « Bulles à sons » ?

ML : Partant de ce constat, j’ai monté une compagnie pour amateurs au sein d’une MJC. Le théâtre de la Croix-Rousse nous a permis de réaliser de beaux projets grâce à un partenariat. J’ai compris que dans ce vivier de personnes en situation de handicap, beaucoup possèdent un vrai talent. J’ai aimé les diriger dans diverses mises en scènes. En 2013, j’ai eu envie de monter une compagnie professionnelle. Je me suis rendue compte en pensant ce projet qu’il en existait très peu et que tout était à créer.

Malo Lopez et Sylvie Moreau au ML : En visitant le théâtre, ce lieu magique par ses TNP lors de notre interview espaces, on s'est dit « pourquoi on n'irait pas exploen équipe. © Elodie Horn rer et faire vivre tous ces nombreux espaces parfois cachés ? ». C'est comme ça qu'est née l'idée d'une déambulation pour le public, déambulation que nous avons aussi captée en images. L’envie de bousculer les lieux, les codes, de la même façon qu’on est bousculé quand on est handicapé, me pousse toujours à sortir des sentiers préétablis et à inventer d’autres formes.

TVB : Pourquoi le nom « Insolite Fabriq » ?

TVB : Vous ne travaillez qu'avec des productions originales ou est-ce qu'il vous arrive de jouer des textes du répertoire classique ou contemporain ?

SM : Je suis permanente au TNP depuis 16 ans. Je suis chargée de la relation avec les publics : je m’occupe du lien entre le théâtre et le monde du travail, de l’accessibilité, et des projets Culture & Santé, un dispositif coordonné par l'association Interstices.

ML : Je me suis rapprochée de l’établissement et service d'aide par le travail (ESAT) Hélène Rivet à Lyon. J'ai ensuite justifié auprès de l'Association lyonnaise pour la gestion d’établissements pour personnes déficientes (l'ALGED), l’intérêt d’être une activité de production comme toutes les autres activités proposées dans les ESAT. Il fallait alors que notre compagnie soit lucrative. Nous avons commencé par monter des formes de spectacles destinés aux entreprises. J’ai réfléchi longuement au nom et à l’identité de la compagnie. Les termes « Fabrique » et « Insolite », qui résonnent avec « construction » et « singulier » se sont imposés d’euxmêmes.

ML : Notre nouveau projet est né d’une volonté de jouer une pièce du répertoire classique en convoquant tout le vocabulaire du théâtre d’aujourd’hui : l’image, la danse, la musique… Monter ce spectacle est aussi un prétexte pour parler des rapports amoureux de mes acteurs. Nous aimerions que cette nouvelle création trouve sa place dans les programmations culturelles. Marianne Cuomo, Jacques, Joachim, Jean-Baptiste et Élodie Horn HS TVB #21 - P.23


HORS-SÉRIE SANTÉ MENTALE

Photographie

Flous Furieux : des photographes au regard unique

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onner la parole à ceux qui ont d’ordinaire peu d’occasion de s’exprimer publiquement, c’est tout l’objectif des Flous Furieux, « un collectif de photographes singuliers », comme le décrit son fondateur, Grégory Rubinstein.

Créé en novembre 2016, le collectif lyonnais compte aujourd’hui une cinquantaine de membres. Grégory Rubinstein propose des ateliers photos à des structures sociales et médico-sociales, d’où sont issus la plupart des membres du collectif. « Le reste de notre activité, c’est l’activité d’un collectif de photographes classique. On se retrouve, on a un local. On a du matériel, qu’on met à disposition de tous nos membres », précise le fondateur. Pour rejoindre les Flous, pas besoin de connaissances particulières. « C’est ouvert à tout le monde, il faut juste de l’envie », continue-t-il. À l’origine, les Flous Furieux sont issus d'une rencontre entre un éducateur spécialisé, Grégory, et quatre patients atteints d'autisme, dans un internat. Lors d'une matinée particulièrement ennuyante, l'un des jeunes patients trouve l’appareil photo de Grégory et commence à l'utiliser. C’est ainsi que le collectif fait ses débuts : un appareil photo, cinq humains et un village entier à découvrir. « Ça a créé une rencontre tout à fait étonnante avec les voisins », se remémore Grégory, alors que les habitants et les patients de l’institut n’avaient jusqu’alors jamais eu de liens. Les jeunes patients dépassent les barrières du préjugé et de l’a priori. « Ils captaient des expressions qui étaient absolument magnifiques », se souvient-il.

© Jérémy Fafournoux / Laurence Lamy Collectif des Flous Furieux

Costume de photographe Après cette expérience positive, Grégory fonde officiellement les Flous Furieux. Le but du collectif est de permettre à ses membres de se mettre dans la peau d'un photographe, avec toutes les possibilités qui en découlent. « Quand vous êtes résident d’un foyer, vous êtes étiqueté comme ça. Quand vous avez un appareil photo dans les mains, vous êtes considéré comme un photographe. Donc les possibilités d’interactions avec l’extérieur sont complètement différentes », explique Grégory. Un constat partagé par Sofiane, l’un des membres du collectif : « Ça m'a apporté pas mal d'interactions sociales. Sachant que l’un de mes problèmes a toujours été le manque d’ouverture avec les gens ». Autiste, Aymerick peut, lui, avoir des difficultés à se concentrer. « J’ai tendance à être très volubile, à beaucoup parler. Et justement, être dans la photo, ça me canalise. Et mon côté autiste, mes difficultés relationnelles… ça disparaît vraiment à ce moment-là », témoigne-t-il.

Chacun trouve sa place Très impliqué dans la vie associative, Anthony préfère quant à lui les tâches plus administratives : « Aller chercher le courrier, faire les réunions, faire les sorties. Aller à la banque...». Si chacun trouve sa place au sein du collectif, les membres apportent, eux aussi, quelque chose au collectif. Par exemple, Sofiane a beaucoup de compétences techniques : « C’est vrai que je fais le service intérim de la réparation technique. Dernièrement, réparer le micro dictaphone de Greg », s’amuse-t-il. Mais comme le souligne le fondateur du collectif, les membres ont aussi beaucoup à apporter au monde : « On oublie aussi que ces personnes-là sont pleines de ressources. Elles ont des capacités, des qualités qui sont complètement ignorées dans notre société ». Des qualités qu’ils peuvent exprimer librement au sein des Flous Furieux. Catherine, Audrey Morel et Raphaëlle Vivent


Le théâtre pour s'émanciper

N

ous avons assisté à une répétition de l’atelier de théâtre de l’hôpital Sainte-Marie de Clermont-Ferrand. Depuis trois ans, un groupe de patients et de soignants se retrouve trois jours par mois, sous la direction de Fabrice Dubusset de la compagnie vichyssoise Procédé Zèbre, afin de répéter une pièce présentée chaque année dans une salle de spectacles de la région.

Nous entrons dans le gymnase art-déco de l’hôpital psychiatrique. Des murs carrelés et des fenêtres colorées au style art nouveau nous font entrer dans un nouveau décor. Une dizaine de silhouettes drapées de blanc se meuvent lentement sous le regard et la voix d’un homme qui semble les guider. Nous arrivons en pleine répétition.

La troupe Ligne de flottaison Pour le metteur en scène, Fabrice Dubusset, « en trois jours, on a le temps de développer quelque chose, de travailler de manière intense, de créer des liens ». Et sa méthode semble fonctionner puisque ce sont toujours les mêmes participants qui constituent la troupe qu’ils ont nommée : Ligne de flottaison. Au sein de ce groupe atypique, on trouve à la fois des patients et des soignants, mais difficile de savoir qui est qui une fois sur scène : tous jouent ensemble, à égalité. Accompagné par Isabelle Paze, chorégraphe, Fabrice Dubusset travaille, le jour de notre venue, les mouvements des comédiens et l’occupation de l’espace. Pour le directeur artistique : « le théâtre c'est total, il y a de la musique, de l’écriture et du mouvement, il est donc primordial de les faire travailler pour qu’ils soient à l’aise sur n’importe quel mouvement ou rythme ». Être habité par le mouvement, ne faire qu’un avec la musique, le texte et la scène. Ici, on apprend à s’exprimer par les déplacements et les gestes. Pour certains participants, le corps est souvent le lieu où s’accumulent

les tensions, le stress et les émotions réprimées. Apprendre à le maîtriser, c’est réapprendre à se contrôler et ainsi à mieux communiquer.

Claude en pleine répétition de son jeu de mimes. © Laurianne Ploix

Un projet artistique avant tout « Je ne fais pas de l’art thérapie, je fais un projet artistique, je travaille avec eux comme avec des professionnels », explique Fabrice Dubusset qui n’hésite pas à emmener la troupe hors des murs de l’hôpital pour des représentations ou des stages. La compagnie compte déjà deux spectacles de prévus à Vichy et Montluçon, si la Covid19 le permet. Pour Fabrice, ces sorties en dehors de l’hôpital font partie du travail lié au théâtre. « Il faut s’ouvrir, aller voir d'autres choses, provoquer des rencontres », nous confie l’intervenant, « ces représentations permettent à la fois aux participants de découvrir les autres troupes et le public ». Un gros travail est fait sur la sensation, notamment en brisant la barrière entre le fauteuil rouge du spectateur et la scène où jouent les acteurs. « On est au-delà des protocoles du théâtre, loin du théâtre confortable. Je me souviens d’acteurs qui demandaient à la fin du spectacle directement aux spectateurs si cela leur avaient plu », se rappelle le directeur. Les décors ont été construits par l’ESAT de Montluçon.

Mémoire et cures au programme de la pièce La troupe a choisi de parler de la maladie de façon détournée, en imaginant un établissement thermal où se rencontreraient les différents personnages. La plupart des textes sont écrits par les participants et il s'agit de l’étape fondatrice du projet et de l’équipe. Fabrice raconte : « ce qu’ils

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© Laurianne Ploix

écrivent est fort, à travers l’idée insouciante de l’établissement thermal ils ont inventé tout un tas de soins ». « La pleurothérapie », « la rirothérapie » sont des exemples de soins que les participants ont inventés et qui traduisent les différentes manières d’aborder la maladie et la thérapie. Le projet se conçoit sur le long terme et s’inscrit dans un processus évolutif et expérimental. Chaque année, les personnages et l’histoire sont un peu plus approfondis, développés et traversent de nouvelles problématiques. Cette année est celle de la mémoire et de l'histoire, en témoignent les trois baignoires au style ancien au milieu de la pièce ainsi que le choix du bâtiment datant du XIXe siècle. L’histoire du pays et de la psychiatrie, notamment sous le régime nazi, sont abordées dans la pièce. « On travaille sur les fantômes du passé », explique Fabrice ; les comprendre c’est se rappeler d’où l’on vient et vers où l’on va. Pour beaucoup des participants, l’atelier a permis d’avancer en laissant leurs fantômes au placard le temps de la pièce, ou plus.

« Quand je suis arrivée, j’étais toute tremblante » Si la vocation première de l’atelier théâtre n’est pas thérapeutique, les effets des séances semblent pourtant prouver le contraire. David se souvient avec enthousiasme qu’un spectateur l’avait appelé par son nom de scène à la fin d’une représentation. « On se rend compte qu’on n’est pas que soi, on peut aussi être quelqu’un d’autre », nous confie-t-il. « J’ai appris la violence, la pitrerie et j’ai changé grâce à cet atelier. J’ai même appris la langue des signes pour Claude », continue-t-il. Claude, non-entendant, est le mime de la troupe. Ce dernier nous affirmait « le

théâtre permet d’extérioriser, de créer et de transmettre par le mouvement, le regard. C’est comme une peinture, où chacun ajoute son coup de pinceau ». Manon, la benjamine du groupe, nous raconte la transformation qu’elle a vécue grâce au théâtre. « Quand je suis arrivée, j’étais toute tremblante, j’arrivais à peine à aligner deux phrases. Le théâtre m’a apporté énormément d’assurance », déclare la jeune femme. Le groupe semble tenir une place importante car c’est grâce aux encouragements de Claude et de David qu’elle a rejoint la troupe. Pour le personnel hospitalier qui participe au projet, l’atelier n’est pas un soin officiel mais en devient un, indirectement, et permet à tous de mieux se comprendre, s’exprimer et se rapprocher. Les soignantes s’estiment être des spectatrices directes des évolutions vécues par les patients grâce au théâtre. Anne confie avec émotion : « une fois, après le spectacle, un patient s’est exclamé : "Yes! J’y suis arrivé, je l’ai fait !" ». Ici, « la peau de soignante est en filigrane », déclare Julia, aide-soignante. Elles profitent de l'atelier autant que les patients et se rendent compte de l’utilité de ces sessions. Pour Anne, l’atelier ne devrait pas être limité à quelques jours par mois « cela devrait exister tout le temps et aider à repenser le soin ». Sylvie, infirmière également, voyant les effets bénéfiques du théâtre, a repris des exercices appris pendant les séances avec Fabrice lors de séances avec ses patients. D’un point de vue personnel, participer au groupe de théâtre les a également rapprochées les unes des autres. Elles partagent à présent une relation privilégiée grâce à l’aventure humaine qu’est le théâtre.

Maryam Hamdadi , Laurianne Ploix © LP


HORS-SÉRIE SANTÉ MENTALE

Médiation

La culture comme ouverture au CPA de l'Ain

A

u Centre Psychothérapique de l’Ain (CPA), outre une programmation culturelle annuelle bien remplie, deux festivals rythment l’année (en alternance) : la Folle rentrée et la Fête de l’été. Ces deux temps forts sont l’occasion, encore plus que d’ordinaire, de créer des rencontres entre le monde hospitalier et l’extérieur… et de faire tomber les peurs, des deux côtés.

« Le concert du groupe Samarabalouf que nous avions organisé pour la Fête de l’été en 2018, certains patients m’en parlent encore ! », s’enthousiasme Franceline Borrel, responsable des projets Culture NoMad et de l'Espace des usagers au Centre Psychothérapique de l'Ain. Une belle soirée, de l’avis de tous, qui avait regroupé 400 spectateurs « parmi lesquels beaucoup de personnes de l’extérieur, et tout le monde dansait dans le parc du CPA ! » se remémore-t-elle. Au Centre Psychothérapique de l’Ain à Bourgen-Bresse, la programmation culturelle Culture NoMad (créée en 2009) semble riche : chaque année ont lieu plusieurs projets de création participative, des conférences, des sorties culturelles, des expositions, des spectacles… Points d’orgue de cette programmation, deux temps forts se déroulent en alternance, une année sur deux : la Fête de l’été et la Folle rentrée, créés respectivement en 2014 et 2015. D’abord imaginés comme des temps de restitution des ateliers de l’année avec artistes et participants, le projet a ensuite évolué vers des festivals à part entière avec des expositions, des concerts, des conférences... La Fête de l’été (qui aurait dû avoir lieu en 2020) dure 2 à 3 jours, la Folle rentrée jusqu’à 15 jours. La dernière édition, en 2019, avait même duré plusieurs mois avec de nombreux événements autour de l’histoire de l’hôpital, et attiré jusqu’à 1 500 spectateurs.

Fonctionner comme un centre culturel Ces deux événements sont en fait un condensé de l’esprit qui anime le CPA en matière d’offre culturelle. Toutes les animations sont accessibles aux patients, soignants et habitants du département. « Notre idée est de fonctionner comme un centre culturel dans l’hôpital et de s’ouvrir sur l’extérieur, indique Franceline Borrel. On se fiche de savoir si l’on a en face de nous patient, famille, soignant ou habitant. Nous prenons la personne telle qu’elle est, citoyenne du monde, venant participer à un projet d’art et de culture. » Dans le cadre des festivals comme de la programmation annuelle, le mot d’ordre est celui de l’ouverture. C’est pourquoi le CPA organise chaque événement en partenariat avec une structure locale (association, MJC…). Pour beaucoup d’habitants des environs, l’hôpital psychiatrique est encore un lieu effrayant. Alors la culture est un moyen de les y amener et, par là même, d’apporter l’extérieur à l’hôpital. Avec un changement de regard à tous les niveaux. « Cela participe à la déstigmatisation de la maladie psychique et cela permet aux personnes hospitalisées d’affronter leur peur de l’extérieur », ajoute-t-elle encore. Ainsi, une patiente a été si enthousiasmée par un atelier photo qu’elle se rend, depuis, une fois par semaine à un club photo à l’extérieur de l’hôpital. Franceline Borrel résume ainsi : « L’idée est de ne pas s’arrêter au projet, mais d’essaimer une envie artistique, une curiosité, une passion. » Marie Albessard

Inauguration Folle rentrée 2017. En 2017, la Folle rentrée avait été inaugurée avec le vernissage de l’œuvre de land art de l’artiste Myriam du Manoir. © CPA de l'Ain

HS TVB #19 - P.27


Danser pour extérioriser « Une petite bulle positive » © Elodie Horn

Le projet est mené en partenariat avec la Comédie de Valence, le théâtre de la Préfecture drômoise. « Nous proposons aussi régulièrement la découverte de spectacles de danse durant la saison. Nous invitons des groupes, venant de structures hospitalières ou médico-sociales, pour leur donner des clés de compréhension avant les représentations », précise Julie Pradera, chargée des relations publiques de la salle de spectacles depuis 2007, ainsi que de son dispositif Culture et santé. 5 séances de deux heures ont pu être assurées, une avant, puis quatre après le confinement, en s'adaptant aux règles de distanciation sociale.

A

vec l'artiste Tiphaine Rabaud, des patients et du personnel soignant du Centre Hospitalier Drôme Vivarais se sont donné rendez-vous, après le confinement, dans un seul et même but : danser. Une façon d'apprendre, toute en poésie, à utiliser son corps et à exprimer ses émotions.

« Malgré les contraintes, cela nous a semblé important de continuer à nous rencontrer, à nous amuser et à passer de bons moments », souligne Tiphaine Rabaud à la fin de la représentation. Une décision saluée à l'unanimité par les participants qui l'ont vécue comme une bouffée d'air frais. L'une d'entre elles a apprécié « cette petite bulle positive dans un cadre respectueux. Nous avons aussi appris à utiliser nos corps pour qu'ils expriment et transmettent, à l'aide de mouvements fluides, des émotions ». Une deuxième personne, moins inspirée au départ, s'est finalement prêtée volontiers au jeu. « Je n'avais pas forcément d'inspiration au préalable, mais la bonne ambiance m'a donné envie de me faire plaisir. On a appris à se connaître par les gestes et une confiance mutuelle a pu s'installer », affirme-t-il, ravi d'avoir pu mener ce projet jusqu'au bout. Le rapport d'autorité entre les patients et les soignants qui peut exister s'efface totalement, offrant à chacun un lâcher-prise dont l'art a le secret.

D'une salle de l'hôpital de jour de Romanssur-Isère, appartenant au Centre Hospitalier Drôme Vivarais, situé au sud du département, s'élève une musique douce, composée de notes aériennes. En passant les portes de l'établissement public spécialisé en psychiatrie, l'on découvre d'où vient cette mélodie : 5 élèves répètent leur chorégraphie, sous la direction de la comédienne Tiphaine Rabaud. « Quel est ton premier mouvement ? L'étirement », lui répond l'un des participants.

HS TVB #21 - P.28

Élodie Horn

© Elodie Horn

L'un fait mine d'écrire sur le clavier de son ordinateur imaginaire, baisse la tête, comme pour mimer un temps de repos, avant de reprendre de plus belle. Une autre boit son café et pose sa tasse à ses côtés de façon machinale. Le troisième mime le moment de se laver les bras et les mains. La dernière enlace un proche qui ne serait pas présent : « Prends-le dans tes bras, fort, comme s'il était là ». Des mouvements tirés de leur vie quotidienne qu'ils reprennent et adaptent au rythme latent de la musique. Une fois le morceau terminé, l'artiste reprend individuellement et avec bienveillance, avec les participants, le déroulement de la chorégraphie, ainsi que la synchronisation, pour bien l'intégrer. Parmi eux, se mêlent patients et personnel soignant. Tous en tenue sportive, il est impossible de les différencier.


À la rencontre de L'écho de la réhab à Privas

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rivas, un jour de pluie, nous avons trouvé un abri chaleureux auprès de l'équipe de L'écho de réhab, le magazine que sort l'Hôpital de Jour du Centre Hospitalier psychiatrique Sainte-Marie. Deux heures d'atelier où chacun s'exprime librement sur le papier avant de choisir de le partager, ou non, avec l'assemblée.

Dans la plus grande salle d'activité de l'Hôpital de Jour, une quinzaine de personnes se retrouvent autour d'une grande table en bois, de thermos de café, de feuilles blanches et d'autres déjà noircies et sagement empilées. Nous sommes à deux pas de la Villa Sophie, la salle d'activités culturelles de l'hôpital actuellement fermée à cause de l'épidémie de Covid, sur les hauteurs de la ville ardéchoise. Ma présence ne perturbe pas certains lancés dans une prose libératrice, et attise la curiosité d'autres avec qui on parle de journalisme et d'écriture. L'occasion pour Agnès, psychologue du service de réhabilitation, de rappeler l'histoire de la gazette qui fête ses 10 ans d'existence. « Tout est parti d'une idée de Jean-Paul qui était hospitalisé ici il y a 10 ans. Il faisait signer des pétitions dans les différents services et voulait que tout le monde prenne la parole. On lui a proposé de créer un atelier journal. Au début, les personnes n'osaient pas trop ni écrire, ni prendre la parole. Aujourd'hui, nous avons un collectif très vivant et c'est une expérience enrichissante pour tout le monde. Ce n'est pas une prescription médicale, on vient ici juste parce qu'on en a envie, pour écrire quelques lignes, pour boire le café, pour rester 15 minutes ou les deux heures. Le désir est le moteur du groupe. L'important, c'est de créer un espace pour laisser émerger la parole », explique la jeune femme.

« Cela fait du bien de venir ici et de voir du monde » Édith, seule citoyenne non suivie par les services, vient ici parce que cela lui fait du bien de voir du monde et

parce qu'elle s'est parfois reconnue dans les textes qu'elle a lu dans le magazine, distribué dans les librairies de la ville, à la médiathèque, à l'hôpital et sur abonnement. « On utilise beaucoup l'humour, c'est une clé pour faire passer beaucoup de choses sans vexer, et puis ça permet de dédramatiser », nous explique-t-elle. Kévin vient ici parce qu'il veut faire le maximum d'activités pour occuper ses journées et confie « avoir besoin du regard de l'autre pour sa propre introspection ». Pendant l'atelier, il a dessiné un Elvis dans une chaussette, avec un joli coup de crayon. Ses dessins nourriront la publication. Ingrid vient parce qu'avec le Covid, il n'y a plus aucune activité. Au départ, elle ne pensait pas écrire mais elle s'est finalement prise au jeu et écrit des poèmes. Christophe, lui, est là depuis le début de l'aventure et adore cette activité. Il nous rappelle le mantra du journal : parler de tout mais pas n'importe comment. Il apprécie de pouvoir parler de manière libre et authentique. Thomas nous confie : « J'écris pour sortir ce qu'il y a dans ma tête et pour tout le monde. C'est valorisant, ça redonne confiance, c'est pas facile d'avoir une bonne estime de soi quand on est malade. Écrire pour les autres permet de me sentir mieux et utile. » Pour Eden, « Il y a quand même une frontière entre la maladie mentale et les autres personnes. Parfois, on essaie de la gommer mais il ne faut pas nier qu'on est différents. » Il espère que le journal peut être un outil pour mieux apprendre à se comprendre. Jean-Paul, fondateur consciencieux, prend des notes de tout ce qui est dit pendant l'atelier et lit son résumé à la fin de celui-ci.

« Je viens ici apprendre mon métier » Pour Guillaume, psychologue encadrant l'atelier avec Agnès, « C'est un lieu de partage et de co-apprentissage. Je viens ici apprendre mon métier. Ce n'est pas un lieu de décharge, on doit essayer de se faire comprendre et structurer son raisonnement. C'est surtout un moment de rencontres ». Alice, psychologue stagiaire, « trouve ça absolument génial de respecter et partager les points de vue de tous, de réfléchir et évoluer ensemble ». Laurianne Ploix

Photo d'une double page du magazine L'écho de la réhab à gauche et d'un des poèmes écrits par Eden pendant l'atelier journal à droite. © Laurianne Ploix

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HORS-SÉRIE SANTÉ MENTALE

Programmation culturelle

Le CHS de Bassens, un programme culturel ouvert à tous

S

itué dans la ville de Bassens, le Centre Hospitalier de Savoie propose depuis près de 20 ans une programmation culturelle riche et variée, tournée vers l’ouverture au public extérieur. Rencontre avec Sylvaine Raimond, déléguée communication culture de l’établissement.

TVB : Quelle offre culturelle propose le CHS ? SR : Nous avons un programme annuel, avec des événements, des expositions, des concerts, mêlés à des ateliers liés à la programmation ou à des appels à projet en interne. Ces ateliers doivent correspondre aux critères du projet culture santé, avec des artistes professionnels, des activités en groupe, avec une ouverture sur l’extérieur. Ils se déroulent sur l’ensemble du territoire de la Savoie, à Bassens ou dans l’une des quarante structures extra hospitalières.

Sylvaine Raimond, déléguée communication culture au CHS de Bassens en Savoie © Raphaëlle Vivent

L’une des spécificités du CHS c’est que l’on a une volonté d’ouverture et d’accueil sur le site même de l’hôpital, qui fait vraiment partie de la vie de la cité à Bassens. Il y a des locaux culturels, comme L’école de musique intercommunale Onde & Notes, l’école municipale de dessin Bassens Art Studio, l’école de musique adaptée Tétras-lyre et l’espace d’art partagé Le Pavillon Cerise. Le principe de ce lieu, c’est qu’on le met à disposition des équipes artistiques, en échange de projets pour les patients. Ce qui fait le lien dans la programmation culturelle et tous ces ateliers, c’est une thématique qu’on définit de façon triennale avec la mission culturelle.

TVB : Pour les trois années 2019-20202021, la thématique est « Traverser les espaces ». Pouvez-vous nous en parler ? SR : « Traverser » renvoie à une notion de mouvement. L’idée de la première année était « d’alHS TVB #21 - P.30

ler vers », de découvrir plusieurs disciplines qu'on n'avait pas forcément l’habitude d’explorer. Nous avons beaucoup travaillé sur les arts numériques par exemple, avec l’artiste Damien Traversaz. Pour l’année 2020, l’idée était de se déplacer, de bouger les lignes, et de faire traverser en itinérance les offres qu’on avait proposées l’année d’avant, à travers les structures extra hospitalières et les partenaires. Bien sûr, c’était un peu compliqué en 2020, je ne vous le cache pas. Et pour l’année trois, l’idée est qu’une fois que l’on a éveillé notre curiosité et que l’on a rencontré l’autre, se pose la question de sa propre place et de sa propre identité. C’est tout ça qu’on va explorer en 2021, avec les trois axes forts de ce projet triennal : les arts numériques, la musique et la littérature.

TVB : L’offre culturelle du CHS est conséquente. Pourquoi la culture est-elle si importante dans les établissements de soins en santé mentale, selon vous ? SR : La culture est essentielle, car ce sont des propositions qui s’adressent non plus à un patient mais à une personne. C’est aussi un moment ou un endroit où l’on vient par choix, il n’y a rien d’obligatoire, c’est très important. De plus, les ateliers mêlent les patients et les professionnels, donc ça change les relations. Tout ce qu’on met en place, c’est vraiment avec cette volonté d’ouverture et d’accueil à chaque fois que c’est possible. Dès qu’on peut accueillir du public extérieur, on le fait. C’est essentiel aussi pour changer le regard des personnes sur ce qu’est que l’hôpital psychiatrique aujourd’hui, ça permet de décloisonner. Pour les structures extra hospitalières, les activités se passent toujours en dehors du lieu de soin, donc ça permet aussi de casser des tabous de fréquentation des lieux culturels, de créer des habitudes. Tout cela n’est pas du soin à proprement parler, mais en faisant de l’art et de la culture, on participe au prendre soin. Ça fait complètement partie de l’accompagnement des personnes suivies en psychiatrie. Raphaëlle Vivent


H O R S - S É R I E C U LT U R E & S A N T É M E N TA L E

Médiation culturelle

« Valoriser le patient dans sa dimension d'être humain »

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'Établissement Public de Santé Mentale (EPSM) de la Roche-sur-Foron, situé en Haute-Savoie, a fait le choix de créer un lien étroit avec la culture et notamment la scène musicale régionale. Rencontre avec Bruno Pagliano, directeur adjoint, qui dirige les actions culturelles de l'EPSM.

TVB : Quelle est votre fonction au sein de l'EPSM de Savoie ? BP : Je suis directeur adjoint de l'EPSM depuis 6 ans, j'ai une fonction multi-casquette. Je m'occupe des affaires financières et générales, des relations extérieures, mais aussi de la communication et des actions culturelles. J'ai exercé la majeure partie de ma carrière dans le domaine de la santé. Passionné de culture, j'ai demandé un détachement territorial qui m'a aussi permis de travailler durant 5 ans au conservatoire d'Annecy. Fort de cette expérience, j'ai souhaité intégrer la culture au domaine de la santé mentale.

TVB : En quoi le domaine culturel est particulièrement intéressant dans le suivi de ce type de pathologies ? BP : Il s'agit de soins, mais pas d'activités thérapeutiques non plus, ce sont des activités proposées en parallèle. La prise en charge en santé mentale dépend beaucoup des relations nouées avec les patients et des activités qui leur sont proposées. De plus, ce secteur de santé est soumis à beaucoup moins d'injonctions et il est donc plus facile d'interagir avec les patients. Les actions culturelles en EPSM s'inscrivent dans cette dynamique et permettent de considérer le patient dans sa dimension d'être humain. On ne s'adresse pas à eux en les infantilisant. Notre but est de les rendre acteurs et actrices de cette action culturelle en les sollicitant et en leur donnant le choix de participer, ou non.

TVB : Comment avez-vous mis concrètement en place des actions culturelles dans l'établissement ? BP : Lorsque je suis arrivé, j'ai voulu organiser une véritable action culturelle. Nous avons créé un poste de chargé culturel à temps plein autofinancé. La première mission de la personne recrutée a été d'organiser une résidence d'artistes. Nous avons accueilli, en janvier 2019, le groupe de hip-hop manouche Pitt Poule, pour le projet « jouets de la musique ». L'idée était de faire faire de la musique aux résidents, sans instrument, mais avec des jouets. Des ateliers d'écriture ont aussi été organisés pour penser un projet musical de façon globale et composer des slams et des chansons de rap. Nous avons organisé un concert avec Le Brise Glace, la salle de spectacles annécienne. Des techniciens sont venus pour sonoriser le hall, ce qui a permis de clôturer le projet par une représentation sur place.

TVB : Quels autres projets ont été mis en place au sein de l'EPSM ? BP : Nous avons aussi fait un projet qui consistait à planter un champ de tournesols dans le jardin de l'établissement. Nous avons aussi réalisé des expositions de photos et de peinture. On essaie de faire un gros événement et un plus petit, par projet. Nous avons organisé une partie en off, avec le festival La Roche Bluegrass, qui avait lieu dans le jardin de l'EPSM. Ces dispositifs contribuent aussi au décloisonnement, obligatoire dans le domaine de la santé, puisque des spectateurs extérieurs au projet sont venus assister aux concerts. Cela leur permet d'associer l'EPSM à autre chose qu’à la santé mentale et à leur montrer que c'est un lieu normal. Pour les patients aussi, c'est important, il faut se saisir de tout ce qui va leur permettre de sortir de leur situation.

Bruno Pagliano, directeur adjoint de l'EPSM de La Roche-sur-Foron en Haute-Savoie. © Elodie Horn

Élodie Horn

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PAGES 32 À 38

TÉMOIGNAGES

D'ARTISTES porteurs

DE TROUBLES


Lou Lubie, l'humour pour dédramatiser

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ou Lubie est scénariste et dessinatrice de bandes dessinées. Dans Goupil ou Face, l’auteure explique ce qu’est la cyclothymie, un trouble qu’elle expérimente depuis l’adolescence. La jeune auteure réunionnaise qui a déjà publié sept livres revient en librairie début 2021 avec L’homme de la situation. Rencontre avec la bédéiste qui parle d’émotions, de relations à l’autre et de rapport à soi.

TVB : Comment votre travail vous permet-il d’appréhender les émotions ? LB : Je travaille sur des sujets variés : la bipolarité, les relations amoureuses dans le numérique, la masculinité... Le point commun, c’est la place des émotions, peut-être parce que c’est ma façon d’aborder le monde. Sur la bipolarité, c’était assez évident que les émotions allaient être au cœur du livre puisque c’est un trouble de l’humeur et qu’il s’agit de ressentis, de gestion de tout ce qui peut nous passer par la tête et par le corps. Après, dans La fille dans l’écran, qui parle de relations à l’ère du numérique, on est vraiment dans le suivi de l’évolution des sentiments des deux jeunes femmes, qui sont d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Et ce sont ces émotions qui font le fil conducteur. Je pense que c’est ce qui fait que les lecteurs se retrouvent dans mes BD. Ils s’identifient aux émotions parce qu’elles sont universelles et humaines, et que ça leur permet de faire des connexions avec eux-mêmes. On me dit souvent « oh mais ça, ça me parle » autant pour Goupil ou Face que pour La fille dans l’écran, qui est une fiction. Et c’est ça le pouvoir de l’émotion : la possibilité de se sentir concerné. Et c’est ce que je recherche, qu’une connexion se fasse grâce au pouvoir des émotions.

TVB : Est-ce que le fait de dessiner les émotions permet de les comprendre ? LB : Non, je pense qu’il faut les comprendre avant de les dessiner. Mais il y a forcément une part de communication et de compréhension par l’émotion. Je vais reprendre l’exemple de La fille dans l’écran, qui est une histoire d’amour lesbienne, nous sommes deux autrices mais il n’y a pas de romance entre nous. Et les personnes qui lisent cette histoire, qu’elles soient hétéros ou LGBT, peuvent y retrouver leur propre histoire. La force de l’émotion dépasse le cadre du genre dans cette histoire.

TVB : En quoi utilisez-vous l’humour et la BD pour lutter contre les stéréotypes ? LB : En BD, mais aussi sur tous les supports, utiliser l’humour permet de dédramatiser les sujets, de prendre du recul. Je trouve parfois que les personnes qui sont dans des situations très difficiles sont celles qui ont le plus d’humour sur leur situation. Et cela permet d’en parler, d’aborder des sujets plus profonds que le pathos, la pitié, la détresse, pour mettre une distance. Ce qui m’intéressait dans Goupil ou face, c'est que l’humour permet de toucher des gens qui ne sont pas forcément concernés voire réticents au sujet, car la bipolarité n’est pas un sujet « super fun ». Une fois, en dédicace dans un salon, un petit garçon a vu le renard sur la couverture du livre et a demandé à

son père ce que c’était. Son père, devant moi, lit le résumé et lui dit : « c’est pas pour toi, c’est pour les gens qui ont deux personnalités » avant de s’en aller. J’ai trouvé ça dommage, d’abord parce que c’est faux, mais en plus la porte est refermée tout de suite et ne permet pas à cet enfant curieux de découvrir une chose à laquelle il sera peut-être confronté plus tard dans son entourage. Et justement, l’humour va permettre de rouvrir cette porte et d’en faire un sujet accessible à tous.

TVB : Vous innovez grâce au financement participatif, trouvez-vous la culture BD assez inclusive ? LB : Pour le financement participatif, je n’innove pas vraiment, je dirais que je m’assure un minimum garanti. En fait, je propose à des lecteurs, à hauteur d’un montant libre chaque mois, d'avoir accès à mon travail en cours (mes planches de BD et des articles sur le métier d’auteur, mon journal de bord). Cela me permet non seulement de partager et ne pas rester dans mon coin, mais aussi de réduire les aléas du métier (aucun revenu entre deux contrats, pas forcément d’indemnités maladies, etc.). Pour la deuxième partie de la question, en tant qu'auteure, c’est un milieu largement masculin, de par l’histoire de la création de la BD, mais qui progresse lentement. On commence à avoir des femmes auteures et ça fait du bien, mais il y a encore des catégories de personnes non-représentées et peu de diversité ethnique. C’est cependant sur la bonne voie, aussi en termes de contenus. On voit éclore tout un pan de la BD qui traite des sujets de société, des sujets de santé, de sujets culturels. On va plus loin que l’histoire traditionnelle du héros musclé qui va sauver une femme en petite tenue. Il y a même un gros appétit des lecteurs pour ces nouveaux sujets, et donc des éditeurs. On trouve un public qui n’était pas forcément touché par la BD d’aventure traditionnelle franco-belge. On voit apparaître de nouveaux sujets. Je pense à La différence invisible sur l’autisme, Tant pis pour l’amour sur les pervers narcissiques, etc. Tout ceci vient du fait que les auteurs sont en train de se rajeunir, se féminiser, venir de milieux différents. C’est la différence avec d’autres médias comme le cinéma ou le jeu vidéo qui évoluent plus lentement car il y a plus d’inertie, plus de monde à convaincre et plus de contraintes. En BD, il suffit que deux personnes soient d’accord, l’auteur et l’éditeur.

TVB : C’est pour ça que vous avez choisi la BD, alors que vous n’aimez pas dessiner, pour vous exprimer plus librement ? LB : Absolument. Initialement, je voulais être écrivaine mais le livre est moins immédiat que la BD. Après, j’ai fait du jeu vidéo, qui permet d’être acteur de son expérience et c’est extraordinaire. Le souci est que pour faire un bon jeu vidéo qui ait de la profondeur, il faut être 2 000 personnes. Et j’ai plus un profil d’autrice porteuse de projet que de directrice ou membre d’un rouage, donc la BD était un bon compromis. J’ai dû apprendre à dessiner et je partais de très loin ! J’ai fini par atteindre un niveau qui me permet de raconter des histoires plus complexes. Ce qui est génial, c’est que je fais tout, l’histoire, le concept, les images, le texte, la mise en page. Je mène un propos comme je le veux et je vois ensuite avec mon éditrice. Cela serait impossible dans un autre média. Mathilde Amen, Laurianne Ploix et l'équipe du projet

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Chloé Cédille, « la musique peut guérir »

À

seulement 23 ans, Chloé Cédille, pianiste et accordéoniste, a déjà plusieurs récitals et créations à son actif. Malgré son handicap, cette artiste prodige a su faire de sa passion son métier. Convaincue des vertus thérapeutiques de la musique, elle propose de la médiation artistique comme outil de partage et de stimulation à des publics qui en sont tenus éloignés.

TVB : Avez-vous toujours rêvé d’être musicienne ? CC : Je suis originaire d’un village savoyard du Val d’Arly où la musique traditionnelle et folklorique est très présente, notamment dans ma famille. J'avais deux ans et demi la première fois que j'ai exprimé le souhait d'être musicienne. À chaque occasion, dans ma vallée, les musiciens sortent leurs accordéons et j'étais admirative de voir cet instrument qui semblait respirer. Grâce à cette tradition de transmission par l'oralité, j'ai pu dans un premier temps apprendre la musique de manière autodidacte, en reproduisant de façon instantanée une pièce entendue. Cela m'a permis de garder, et j'en suis très contente, une véritable liberté dans mon univers sonore.

TVB : Quels instruments pratiquez-vous ?

© Alicia Taillefer

CC : Je suis pianiste et accordéoniste. Dès l'âge de 7 ans, j'ai eu mes premiers contacts avec la scène qui m'ont permis de jouer très régulièrement devant un public. Parallèlement à mes concerts, j'ai commencé après le bac une licence de musicologie à La Sorbonne Paris IV, intégré le Conservatoire de Gennevilliers et je me suis formée auprès de Jacques Mornet, un pédagogue reconnu dans le monde accordéonistique. J'ai donc d'abord expérimenté la scène, avant de découvrir le plaisir de la lecture de la musique. Je joue désormais plus d'accordéon, dont la pratique est plus adaptée à l'évolution de mes problèmes de santé.

TVB : Votre passion, la musique, est-elle une source d'épanouissement qui vous aide à lutter contre la maladie ? CC : La musique m’apporte un nouveau souffle, un voyage, une respiration. Sa myriade de trésors apaise et éclaire mes nuits endolories, encourage mon corps à vaincre les obstacles imposés par la maladie. Ma pratique instrumentale m’a amenée à dépasser ma mobilité réduite et les stéréotypes qui lui sont sous-jacents, en donnant des concerts sur quatre roues en tant que soliste invitée à travers la France et l’Allemagne. Hospitalisée de 14 à 16 ans, j’ai ressenti un besoin crucial de jouer et de partager la musique, comme pour rester pleinement vivante. À cette période, un récital parsemé de textes poétiques a vu le jour, composé à l’aide d’un piano reçu d’une donation. À 18 ans, j'ai ensuite enregistré huit de ces œuvres dans un premier album. La musique transforme les soupirs de la maladie en sourires à partager au public.

TVB : Comment vous est venue l'idée de faire de la médiation artistique ? CC : J'ai expérimenté les ateliers en tant que patiente avec des artistes intervenant en milieu hospitalier. C'est une véritable bulle d'air, une invitation au voyage. Les ateliers sont des espaces de partage et d'expression essentiels qui répondent au droit à la pratique et à l’enseignement artistique, quels qu'ils soient. Par mon expérience, je suis de celles qui pensent que la musique peut guérir. Mais je crois aussi que transmettre la musique doit aller plus loin que la visée thérapeutique ou les actions de médiation. C’est pourquoi j’ai souhaité développer un projet d’enseignement artistique à part entière, à destination de publics fragilisés, hospitalisés ou en situation de handicap. Comme cela est compliqué – et coûteux – d'apporter un piano dans les établissements et hôpitaux, j'ai fait confectionner des kalimbas, des petits pianos à pouce, par mon père menuisier, pour que chaque patient puisse jouer et exprimer ce qu'il a envie de dire.

TVB : Qu'est-ce que cela apporte aux patients ? CC : Dans le cadre d’un partage artistique avec un public spécifique, nous faisons en sorte que les personnes puissent être autonomes dans le travail artistique que nous leur proposons. Chacun, quelle que soit sa différence ou son handicap, est accueilli comme un être au potentiel créatif multiple. Médecins, musiciens et patients sont chaque fois surpris des résultats, des regards qui s’éveillent, communiquent et sourient, de l’impact de la musique sur la santé mentale et physique. La musique est un art singulier, impalpable et pourtant indélébile. En témoignent les chants des patients touchés par la maladie d’Alzheimer. En stimulant simultanément l’ensemble des aires cérébrales, la musique recrée du lien. Et, au-delà des progrès thérapeutiques, la musique sème des couleurs, des réminiscences, un peu de rêve et d’espérance... essentiels à la santé mentale. Marianne Cuomo, Jacques, Joachim, Jean-Baptiste et Élodie Horn


Mirion Malle dessine la dépression

M

irion Malle, autrice de BD française âgée de 28 ans, a publié en janvier 2020 C'est comme ça que je disparais, aux éditions La Ville Brûle. Habituée de la BD didactique, elle décide de consacrer sa première BD de fiction à la dépression. Un dessin tout en émotions, en noir et blanc, où l'expression, mais aussi son absence, permet à l'autrice de rendre compte de façon sensible de la maladie mentale la plus répandue à travers le monde.

TVB : Vous résidez actuellement à Montréal, mais vous êtes publiés par des éditeurs français. Quel est votre lien avec la France ? MM : Je réside actuellement au Canada, mais je suis originaire de Charente-Maritime. J'ai commencé ma carrière en France avec l'éditeur Ankama, qui a publié ma première bande dessinée Commando culottes. Ensuite, j'ai travaillé avec les éditions La Ville Brûle qui m'ont commandé un projet devenu une BD didactique et féministe La ligue des supers féministes. J'ai continué de travailler avec La Ville Brûle, et comme j'avais déjà le projet de faire une BD de fiction et que j'aimais travailler avec eux, ça me semblait évident de leur proposer mon projet C'est comme ça que je disparais.

TVB : Quels types de formats avez-vous décidé d'expérimenter ? MM : Ici, il y a des festivals de fanzines (un magazine imprimé et distribué librement, réalisé par des auteurs indépendants, NDLR) où tu peux juste arriver avec tes petites histoires de fiction. J'en ai fait 4 ou 5, de 25 à 30 pages, que je vendais sur des salons. « C'est comme ça que je disparais » est né ainsi. Pour un salon qui s'appelle « Expozine » en 2018, j'ai fait les 25 premières pages en 2 semaines. Lorsque j'ai fini, je me suis justement dit que ce n'était pas du tout fini, et que je pouvais en dire beaucoup plus. J'ai continué à encore dessiner une vingtaine de pages et j'ai montré ces pages à « La Ville Brûle » et ils ont accepté. Ça m'a aussi permis d'expérimenter la façon de dessiner qui est très différente de la BD explicative à la BD fictive.

TVB : Le dessin semble aussi travaillé que la narration. Il dégage une véritable sensibilité et réflexion. Quel rôle lui attribuez-vous ? MM : J'ai eu des critiques sur mon dessin qui a été jugé trop minimaliste, alors que c'est fait exprès. Pour moi, clairement, il n'y a pas de sens qu'il soit chargé, en tout cas pas à certains moments. J'ai vraiment pensé le dessin, dans la forme qu'il prend, qu'il soit un peu simple, ou plus

exagéré, selon les moments. Le but est de faire ressortir les émotions. Selon moi, le dessin a un rôle à jouer dans la BD, celui d'appuyer ce que l'on dit et de servir l'histoire : je lui attribue un rôle narratif très important.

TVB : Pourquoi avoir décidé de parler de dépression ? MM : C'était un sujet qui me touchait et la façon dont ça a débuté, c'est que j'en discutais avec une amie. Au Québec, un jeune chanteur passait à la télévision et a dit qu'il avait envie de mourir parfois. Sur le plateau, tout le monde a paniqué en lui disant « tu es beau, capable, t'as la vie devant toi ». Il y a eu vraiment une espèce de panique et avec mon amie, on a eu la même réflexion : ce n'était pas des gens mal intentionnés, mais on sentait qu'il y avait une envie d'évacuer la question. C'est quelque chose que tu retrouves dans la vie de tous les jours, des gens qui ne veulent pas en parler ou qui ne savent pas comment s'y prendre.

TVB : De quelle façon la maladie est-elle abordée dans la BD ? MM : On assimile la dépression à des envies suicidaires, mais on peut avoir des troubles de la santé mentale sans passer par cette idée. Je voulais vraiment parler de cet entre-deux, que la dépression n'est ni une question de volonté, ni forcément arriver à des idées suicidaires. Je voulais aussi traiter la question du rapport à l'entourage, du fait que c'est difficile. C'est une maladie qui isole énormément la personne qui en souffre parce qu'elle prend toute son énergie. Les gens qui savent en parler, ce sont des gens qui sont passés par là, comme Clara, l'héroïne de la BD, mais qui n'ont pas forcément assez d'énergie pour s'en occuper. Je ne voulais pas faire une BD explicative sur la dépression, mais montrer ce que c'était lorsqu'on était de l'autre côté. Montrer ce que c'est lorsqu'on nage dans la dépression et que l'on est aussi parfois confronté à l'incompréhension de ses proches et que le fait de chercher de l'aide est extrêmement difficile.

TVB : Est ce que la dessin a eu un rôle cathartique ? MM : À la base, je voulais être actrice de théâtre. J'ai fait une prépa lettres option théâtre et je me suis rendue compte que le jeu me stressait beaucoup. Par contre, j'ai toujours dessiné, j'ai toujours écrit et j'ai commencé à faire de la BD. J'ai compris que la BD, c'était la meilleure façon de m'exprimer, que c'est là que je faisais mes meilleures blagues. Le principal but d'une bande dessinée est de raconter ce que l'on veut raconter. C'est un outil incroyable qui ne demande pas beaucoup de moyens et qui permet de retranscrire exactement ce que l'on a dans notre tête. Dans tout ce qu'on écrit, dans tout ce qu'on dessine, il y a quelque chose de très personnel. Pour moi, c'est quelque chose de très précieux et qui m'aide beaucoup. Lorsque je ne fais pas de BD, je me sens très malheureuse en fait. Élodie Horn


HORS-SÉRIE SANTÉ MENTALE

Artistes

Cyril Chanel, le caricaturiste joyeux

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amais, dans un tableau de Cyril Chanel, vous ne verrez de noir. Dans la vie comme dans son art, Cyril Chanel voit le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, envisage la vie en rose plutôt que de broyer du noir. Rencontre avec un artiste haut en couleurs.

« Je dessine depuis l’âge de 6 ans. Des caricatures j’en ai fait des wagons et des wagons ! J’en ai fait encore ce matin ! », s’exclame avec gaieté Cyril Chanel. L’artiste est un bel exemple d’optimisme et a su retrouver avec l’art le sourire et la bonne humeur. La peinture et le dessin l’ont accompagné à travers les changements de sa vie, revêtant une véritable fonction thérapeutique. Il a accepté de se livrer.

© Sarah Jones

Après avoir cherché son style, influencé par les grands titres de la presse satirique, l’artiste de 47 ans formé aux Beaux-Arts de Saint-Étienne a à présent trouvé le sien : celui de l’humour coloré (en opposition à l’humour noir). Cyril Chanel se focalise sur le positif, ce qui apporte de la chaleur aux autres. Sa démarche est altruiste et curieuse de ceux qui l’entourent. Par l’utilisation des couleurs vives (l’orange et le rose ont sa préférence), il transmet ses émotions. Et il a un message à faire passer : « L’amour est plus fort que la haine et la peur. En cette période c’est encore plus vrai ! C’est important d’apporter un message de douceur et d’optimisme. »

La résilience L’enthousiasme lui colle à la peau. La résilience réside aussi en la capacité d’apprécier ce qui va, et Cyril Chanel est un optimiste passionné. Un point de vue que l’artiste a adopté après une hospitalisation il y a 22 ans, un épisode marquant. « La peinture m’a permis de faire de très belles rencontres. Cela a nourri mon amour des humains, ça m’a changé au niveau émotionnel. Je me suis épanoui », envisage-t-il. « L’Art a eu une fonction libératrice, il m’a permis de me laisser m’imprégner par ce que me disent les autres, sans résistance. Ça a été une invitation à l’empathie ». Il rappelle à quel point la création est thérapeutique et comment son art l’a aidé à se reconstruire, à dépasser les affres de la maladie. Le Vinatier et son atelier de peinture l’ont accompagné dans son processus de rétablissement, d’épanouissement. Il a ensuite pu continuer à s’exprimer à travers des expositions, des ateliers de caricature, des dessins de presse notamment dans le journal Rhizome.

200 à 300 toiles dans son salon Dans ses compositions simples et abstraites, Cyril Chanel improvise et attire le regard sur la lumière. De ses caricatures transpirent la tendresse et la bienveillance : les traits du visage sont exacerbés et révèlent la beauté. D’un trait vif, il capte la jovialité et la transmet avec beaucoup de générosité. Il attaque la toile dans une urgence propre à cette nécessité de créer, sous le regard de son chat Chiffon. Aller à l’essentiel, viser juste. Le trait est sûr et dynamique. « Je ne sais pas dessiner ou peindre autrement que dans la vitesse », s’amuse-t-il. Ainsi, 200 à 300 toiles attendent patiemment dans son salon un futur accrochage. Car pour lui, « la peinture n’est qu’un pont pour aller vers l’autre ». Cyril Chanel veut surtout transmettre, partager. L’art c’est le lien, la possibilité de connecter. Alors l’impossibilité de partager son art en ce moment le mine quelque peu. Mais le lecteur de Tintin et comédien amateur ne manque pas de ressource pour positiver, échapper à l’ambiance anxiogène de nos jours : « Ce que je lis dans la presse, j’en rigole, je préfère rester optimiste. Je refuse la sinistrose, je veux conserver la bonne humeur ! » Sarah Jones, Jean-Yves Marandon, Marie Albessard


Pierre Le Roy, échanges avec le réalisateur de Voilà Quoi !

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ierre Le Roy, membre de l’association Arts Convergence, est photographe, cinéaste et professeur de mathématiques. Atteint de schizophrénie, il a réalisé plusieurs documentaires et courts-métrages, dont Voilà quoi ! pour changer le regard sur la santé mentale. Nous l’avons interrogé sur ses activités culturelles et sa maladie.

TVB : Quel est votre parcours professionnel ? PLR : J’ai 58 ans, et j’ai suivi une formation scientifique car mon père était dans la marine, et il voulait que je l’imite. Mais je n’avais pas envie. J’ai commencé à donner des cours de mathématiques quand j’étais étudiant, et je suis toujours professeur de mathématiques à domicile aujourd’hui. J’ai continué, car cela m’aide beaucoup d’avoir une routine hebdomadaire. Pendant mes études, je me suis lancé dans une option non scientifique de cinéma et de photographie, un peu par hasard, et ça a été un déclic. Ensuite, je m’y suis vraiment intéressé et j’ai fait une école de cinéma, le Conservatoire libre du cinéma français. La première chose que j’ai faite, c’est de projeter des images sur écran géant derrière des groupes de rock en concert. J’ai également eu une carrière de jongleur au diabolo. Je me suis produit dans la rue, dans des cirques et des festivals.

TVB : Pouvez-vous nous parler de votre maladie ? PLR : À 24 ans, j’ai vécu une bouffée délirante avant de vivre une première dépression. C’était en 1987, j’ai été admis en unité d’hospitalisation psychiatrique où j’ai fait des crises d’angoisse très fortes, j’ai été placé à l’isolement. Ensuite, il m’a fallu quelques années pour me reconstruire. Je suis parti faire des reportages en Roumanie, j’ai découvert le diabolo en 1992. Je me suis rétabli, et j’avais l’impression d’avoir vécu un événement de jeunesse, que c’était du passé. Mais il se trouve que la maladie est revenue. J’ai passé 20 ans sans problème mais en 2007, à 44 ans, j’ai replongé en psychiatrie. Cette fois, il n’y avait pas de délire extérieur, c’était intérieur. J’avais des envies de violence sur les autres, j’avais peur de faire du mal à mes proches. J’ai donc été interné une nouvelle fois à l’unité psychiatrique de l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye, où j’ai fait une chute psychologique. J’étais complètement détruit, et j’ai mis deux ans à me remettre. Aujourd’hui, je suis toujours dépendant de l’hôpital de jour pour faire des activités sportives et créatives, pour voir des psychologues. Je fais du théâtre et de l’écriture là-bas, ça m’aide à me soutenir pendant les journées. Ce n’est qu’à 44 ans que j’ai compris que j’avais une maladie chronique, qui ne me lâcherait pas. Je suis rétabli mais pas totalement car je prends toujours des médicaments, je suis toujours suivi à l’hôpital de jour.

© Pierre Le Roy et Kevin Lizzit

TVB : Qu’est-ce que vous apportent vos activités artistiques ? PLR : À l’hôpital de jour, les activités nous montrent qu’on est capables de faire des choses, elles aident à reprendre pied avec son mental et son corps. Après 2007, j’ai arrêté le diabolo. J’ai essayé de m’entrainer mais je n’y arrivais plus. Mon activité de jongleur était grisante, je m’étais forgé une identité autour : j’avais un costume, un nom, une voiture décorée. J’ai dû faire le deuil du diabolo et de cette identité, c’était très dur. Les activités de création m’apportent beaucoup. Quand je fais un film, je suis invincible. L’écriture et le tournage me passionnent et me prennent entièrement, la création me délivre de mes problèmes. J’aime toutes mes activités, mais tout est dans des cases différentes. Ce qui m’est important, c’est d’avoir des rendez-vous. Avec les cours de maths, j’ai des rendez-vous avec des élèves. Même dans la solitude de l’écriture, je sais qu’il y a ensuite des rencontres, des réunions autour des projets. C’est important car quand on est malade, il faut briser l’isolement qui nous menace.

TVB : Vous faites en plus partie des artistes d’Arts Convergence, avec qui vous avez réalisé Voilà quoi ! L’association vous a-t-elle aidé à lutter contre l’isolement ? PLR : On échange beaucoup avec la directrice, Laurence Dupin. Elle m’a demandé de présélectionner les films pour le prix « Il faut bien vivre avec ma vie psychique » qu’elle a créé après avoir vu mon film « Voilà quoi ! ». C’est beaucoup de travail. Arts Convergence accueille des artistes qui ont des maladies psychiques, et c’est là que j’ai pu revendiquer le fait d’être artiste. Je me définis comme un « artiste schizophrène ». J’ai pu assumer le fait d’être un artiste et le revendiquer à partir du moment où on m’a déclaré schizophrène. J’ai fait un film, « Voilà quoi », des festivals, des colloques. J’ai eu un reportage sur France TV. Mon vrai métier, c’est d’être schizophrène car sans la maladie, je n’aurai pas participé à tout cela.

TVB : Et pour la suite, quels sont vos projets ? PLR : J’ai deux projets de fictions en cours. Le premier, Les vies rêvées d’un schizophrène, est une mini-série sur les crises et le chemin vers la renaissance. Le deuxième est un projet qui s’appelle Soyons fou, mené par Beyond Production, où je devrais normalement être acteur. Un court western va être entièrement réalisé et joué par des artistes qui ont des problèmes psychiques, et va servir de prétexte pour faire un long making-of sous forme de documentaire. J’ai aussi un projet complètement fou : j’aimerai projeter des images sur la lune, des extraits de films. J’ai déjà participé à des colloques sur la question, ce serait le premier projet culturel de l’espace.

Mathilde Amen, Maryam Hamdadi, Shahi HS TVB #21 - P.37


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Créations

L'exposition collaborative Dessine-moi

D

u 15 au 30 octobre 2020, l’exposition collaborative Dessinemoi sur les troubles psychiques s’est tenue dans les locaux de Solid’Arté (Lyon 1er). À l’occasion de cette exposition, portée entre autres par l’association Les Arts Visibles, nous sommes allés à la rencontre de Nicolas Robin, auteur et directeur de l’association, la poétesse Mouna Morel et Vanessa Evrard, peintre.

L’association des Arts Visibles est le produit d’une rencontre entre cinq artistes qui ont eu l’idée de s’unir pour lutter contre les stigmatisations à travers l’art. Eux-mêmes témoins de ces stigmatisations au cours de leurs vies, l’art a permis aux membres fondateurs de surmonter leurs difficultés. Ils ne veulent cependant pas être réduits à cet objectif. « Le propos de l’association est de dépasser l’aspect purement thérapeutique », affirme Nicolas Robin, directeur de l’association. Pour ce faire, les Arts Visibles exposent en tout lieu (galeries d’art, mairies), tout en continuant à créer des expositions sur le volet psychique sans s’y limiter. « On assume notre posture d’artistes, sans renier nos spécificités », explique le directeur.

Un travail de projection Avec la Métropole de Lyon, l’école Victor Hugo et l’ADES du Rhône, les Arts Visibles ont ainsi crée l’exposition Dessine-moi. Les œuvres représentent différents troubles psychiques via des animaux pour parler de santé mentale de manière ludique. Les artistes ont notamment accueilli des classe du CE2 au CM2 et une classe d’unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) de l’école Victor Hugo. Les élèves ont ainsi pu dessiner un animal auquel ils s’identifiaient et expliquer pourquoi. « Dans la réalité, c’est plus dur de parler de soi et de se complimenter », explique Nicolas. Un travail © Mathilde Amen

de projection pour faire travailler les enfants sur les différences, leurs qualités et leurs identités ainsi que l’importance de la communication pour apprendre à connaître leurs camarades et s’épanouir en société. « C’est un message qu’ils ont bien compris, je pense », conclut Nicolas Robin. En collaboration avec l’ADES, des bâches et des cartes où les troubles sont représentés sous forme d’animaux ou de visages ont été créées. « Au dos, il y a des poèmes et des textes écrits par les artistes comme Mouna Morel pour parler du trouble à travers l’art, explique le directeur des Arts Visibles. C’est aussi un outil pédagogique. Sur les bâches, les noms des troubles sont sous forme d’étiquettes qu’il faut associer aux représentations ».

« L’art est un outil de rassemblement » L’exposition entend ainsi montrer les liens entre l’art et la santé mentale, et les bienfaits de la culture pour l’esprit. « Un des élèves participants m’a dit "lorsque je fais un dessin, je suis content de voir mon corps s’animer" », raconte Nicolas Robin. « L’art permet d’élargir les murs de la pensée, de ressentir ses émotions, d’apaiser. Ici, on a créé tous ensemble quelque chose qu’on n’aurait pas pu réaliser seuls. » Une idée que l’on retrouve dans l’importance accordée par les membres de l’association au concept d’art total. En travaillant ensemble, ils espèrent créer des œuvres qui se répondent l’une à l’autre. Comme l’explique Nicolas Robin, « par la force du collectif, on veut créer des ambiances qui se répondent et s’enrichissent les unes les autres, pour faire un ensemble cohérent ». Si Dessine-moi est une exposition sur le volet psychique, les Arts Visibles ne dérogent pas à leur volonté de dépasser cet aspect. « Au-delà de la pratique thérapeutique, l’art permet beaucoup d’autres choses. C’est un outil de rassemblement », affirme Vanessa Evrard. Une idée partagée par Mouna Morel, qui mène par ailleurs des ateliers d’écriture auprès de personnes bipolaires avec l’association Iceberg. « L’art, l’écriture, créent du lien et permettent de s’exprimer dans une période compliquée », estime l’écrivaine. Audrey Morel, Adrien Lagarde, Mathilde Amen


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RÉDUIRE & COMPRENDRE LA DOULEUR


HORS-SÉRIE SANTÉ MENTALE

Recherche

La douleur et ses causes transversales

P

rofesseur de neurologie et spécialisé en neuropsychologie, Bernard Laurent exerce au CHU de Saint-Étienne depuis une trentaine d’années. Il est membre de l’unité Inserm NeuroPain qui étudie les réponses cérébrales à la douleur.

TVB : Pouvez-vous présenter vos travaux ? BL : Notre unité Inserm NeuroPain a été créée il y a une quinzaine d'années entre Lyon et Saint-Étienne, et de nombreux projets de recherche se sont réalisés avec le soutien de la Fondation Apicil, notamment. Nous enregistrons les réponses cérébrales lors d’une douleur expérimentale (créée par de la chaleur, des stimuli laser ou autre) tout en sachant qu’une douleur expérimentale n’est pas une douleur classique de la vie de tous les jours. Nous espérons ainsi comprendre ce que l’on appelle la matrice de la douleur dans le cerveau, chez les sujets dits normaux. Nous espérons ainsi trouver des cibles que l’on pourrait stimuler pour diminuer la douleur chronique de certains patients et en particulier les douleurs neuropathiques, c’est-à-dire celles qui sont liées à des liaisons des systèmes nerveux. Et nous avons fait de nombreuses études et recherches pour montrer les zones du cerveau qui réagissent à la douleur de soi, d’autrui, imaginée quand on voit un objet blessant ou une situation douloureuse filmée, etc.

TVB : Que se passe-t-il alors dans le cerveau quand on ressent de la douleur ?

Le Professeur Laurent étudie des pistes pour réduire la douleur chronique à partir de ses travaux de recherche en imageries cérébrales.

BL : Personne n’échappe à la douleur, sauf les personnes ayant des indifférences congénitales à la douleur qui n’ont pas les fibres C qui véhiculent la douleur. Nous avons des nocicepteurs (récepteurs) périphériques à la douleur qui sont stimulés avec des stimuli douloureux (pincements, brûlures, traumatismes, etc.). Les fibres C remontent cette information dans la moelle épinière jusqu’au cerveau. Elles allument dans le cerveau des zones qui sont relativement spécifiques à la douleur. Tout le long du système se trouvent des étages de modulation, des filtres de la douleur, au niveau de la moelle, de l’hypothalamus et du cerveau. Mais savoir ce qui se passe dans le cerveau lorsqu’on ressent de la douleur relève quasiment de l’impossible tant la traduction est complexe et individuelle. Tout peut changer selon notre propre connaissance et expérience de la douleur, le contexte du moment, etc. Ce n’est pas un simple bouton sur lequel on appuie et qui va aller donner une information binaire au cerveau. Des tas

de zones cérébrales sont impliquées, comme celle de la mémoire, et c’est une notion très complexe et transversale, qui rejoint la souffrance. Mais ce qui est important, c’est qu’on a constaté que les zones de la douleur du corps sont très proches des zones de la douleur de l’esprit. Donc la séparation entre souffrance psychique et nociception (souffrance physique) a pas mal de limites. Si on a la même douleur périphérique, quand on est victime d'une brûlure par exemple, votre cerveau ne réagit pas de la même façon selon si vous avez mal dormi, si vous êtes déprimé, si autrui vous a brûlé par inadvertance, etc. La douleur est sans arrêt modulée par un environnement qui relève du champ psychologique. Les centres douleurs permettent justement de traiter cette douleur dans leur complexité, transversalité, historique et pas seulement avec du paracétamol.

TVB : Quelle est la mission des centres antidouleurs ? BL : Nous en avons créé un dans les années 1980 à Lyon. Cela devait être le deuxième ou le troisième en France. Maintenant, il y a en a une centaine, au moins un dans chaque CHU, qui ont des rôles d’expertise et de recherche. Un centre anti-douleur est une structure dans laquelle on retrouve des spécialistes qui sont compétents en douleur dans leurs domaines (des rhumatologues, des psychiatres, des neurologues, etc.) afin de travailler ensemble pour essayer de résoudre la question compliquée de la douleur chronique. La douleur chronique, c’est la douleur maladie, qui ne répond pas au traitement correctement, qui invalide les gens et qui ne va pas se résoudre par une nouvelle prescription d’antalgiques (paracétamol, anti-inflammatoire, etc.). Environ 60 % des douleurs chroniques sont des rhumatismes (le dos, le cou, les membres, etc.) mais ont des sources diverses. Le fait de se mettre de façon pluridisciplinaire autour d’une table pour aborder le problème tant dans la dimension somatique que psychologique est une réelle avancée. Le but est de sortir les patients de l’ordonnance du paracétamol, voire de la morphine. Il y a plus de 10 000 morts par an, aux États-Unis, de prescription abusive des nouveaux opiacés (codéine, morphine, méthadone, fentanyl en patch, etc.), plus que d’accidents de la route. Il y a un énorme mésusage des antalgiques opiacés, notamment parce qu’ils sont simples d’usage. Il faut savoir qu’environ 30 % des Français de plus de 18 ans prennent un antalgique tous les jours, depuis plus de 6 mois. Et ce n’est lié que modérément à l’âge et l’apparition de l’arthrose, selon notre étude de 1995, que l’on avait réalisée à partir d’un questionnaire téléphonique sur près de 18 000 adultes. Ce sont des coûts de santé et médicaux-sociaux considérables et des enjeux gigantesques pour réduire les douleurs chroniques des gens. C’est un vrai problème de santé publique qui sera difficilement éradiqué mais qui pourrait être réduit.


TVB : Quel est le lien entre douleur et santé mentale ?

TVB : Quelles solutions avons-nous pour réduire la douleur ?

BL : Il existe de multiples liens. Un exemple est le lien bidirectionnel entre troubles psychiques et douleurs chroniques. Quand vous avez une douleur chronique, elle peut entraîner une dépression. Quand vous êtes en dépression, vous pouvez avoir des douleurs chroniques, c’est souvent lié. Le premier lien est donc celui entre la douleur chronique et les troubles psychiques et psychiatriques. Le deuxième lien, et vous avez dû l’évoquer lors de votre interview avec M. Bismuth (voir pages suivantes), il s’agit de personnes qui ont des problèmes de santé mentale qui entraînent une réaction différente à la douleur chronique. Par exemple, certains autistes ont une résistance à la douleur et au froid supérieure à la normale. Il existe des douleurs différentes selon les pathologies. Puisque tout se passe dans le cerveau, il existe des douleurs différentes si votre cerveau est modifié pour des raisons de maladies physiques ou psychologiques, qui modifient la chimie du cerveau. Mais au final, on souffre tous, lors de notre histoire. Une douleur chronique à 40 ans peut relever de traumatismes liés à l’enfance. Toutes les douleurs et souffrances s’inscrivent dans le cerveau. Il existe une mémoire de la douleur, qui a été prouvée chez l’enfant en réanimation néonatale. Plus l’enfant a subi des gestes douloureux en réanimation, plus il a de risques d’avoir des douleurs chroniques à l’âge adulte. Ces enfants-là n’ont pas la même imagerie fonctionnelle de réaction à la douleur expérimentale à l’adolescence, et répondent davantage aux sollicitations douloureuses, même à l’âge adulte. Une amie médecin m’a raconté un épisode singulier où, confrontée à une odeur connue mais ancienne, elle a ressenti immédiatement une douleur vive dans le bout des doigts de la main gauche. Elle a cherché toute la journée l’explication. C’était en fait une douleur qu’elle avait subi lors de ses cours de piano, enfant, lorsqu'elle recevait un coup de règle sur les doigts de la main gauche fautive, et le parfum était celui de sa professeure. Nos douleurs sont donc inscrites dans notre cerveau.

BL : Expliquer aux personnes ce lien est un premier pas. Refaire le passé n’est pas possible mais expliquer l’histoire de la douleur apporte du sens et peut aider à guérir. L’événement déclencheur d’une douleur qui va se chroniciser ne fait parfois que révéler des blessures de notre histoire. C’est l’approche psychologique, nécessaire pour une douleur chronique. Pour la douleur aiguë, passagère, on sait la gérer, notamment avec des traitements médicamenteux. La difficulté est pour ces 30 % de sujets qui sont empoisonnés à cause de douleurs chroniques. La solution est donc compliquée. Elle est en partie médicamenteuse, en partie somatique, il ne faut pas refuser d’opérer les personnes si besoin, mais ne pas oublier d’aller chercher une explication plus complexe que celle de la seule imagerie médicale. On voit parfois arriver dans les centres douleurs de mauvais diagnostics, mais aussi beaucoup de déficits de la relation médecin-malade. Il faudra toujours expliquer que la douleur chronique est complexe et en partie liée aux symptômes d’une maladie, mais aussi de l’histoire de vie, des médicaments pris quelques fois excessivement, du sommeil, etc. Dans ma carrière, j’ai vu des personnes guérir sans comprendre vraiment pourquoi, peut-être parce qu’on les avait mis un peu sur la voie...Donc surtout pas de simplisme, la douleur est un domaine qui est fait de la complexité et de l’interaction entre le soma (corps) et le psychisme. Il n’y a pas de cloison entre les deux. La matrice cérébrale de la douleur « s’allume » quand on a mal mais aussi quand on voit quelqu’un qui a mal, quand on pense à une douleur que l’on a eu, quand on lit une description de la douleur. Il existe donc des liens entre douleur, imagerie mentale, mémoire, vision et anticipation de cette dernière. En expliquant cela, on donne aussi des clés au patient pour réduire sa douleur chronique. On traite toujours l’information douloureuse dans un contexte particulier, avec des perceptions variables. Si la douleur est la même au niveau du stimulus périphérique des récepteurs de la peau, des muscles ou des articulations, on ne la perçoit pas toujours de la même façon car la modulation cérébrale, donc psychique, est considérable. Laurianne Ploix

La culture pour réduire la douleur

L

e docteur Isabelle Rouch, médecin de santé publique, épidémiologiste, est spécialisée dans la maladie d’Alzheimer et apparentées. Elle exerce une activité de coordination sur cette maladie dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, avec l'agence de santé, des consultations mémoire à Lyon et à Saint-Étienne, ainsi que des travaux de recherche sur les liens douleur et cognition. Son étude LACMé met en avant l’utilité d’ateliers de chant et de peinture pour réduire la douleur chronique des patients atteints par la maladie d’Alzheimer.

TVB : Qu’est-ce que la douleur chronique ? IR : C’est une douleur de modérée (au minimum) à intense qui revient quasiment quotidiennement, pendant une durée supérieure à 3 mois. Pour l’évaluer, nous n’avons pas de moyens électrophysiologiques donc nous

nous basons sur des échelles, comme l’échelle visuelle analogique (EVA), qui permet au patient de mesurer l’intensité de sa douleur de 0 et 100, chez les patients qui ne portent pas de troubles cognitifs. Pour les enfants, il existe des échelles avec des visages, des émoticônes. Pour des patients avec des troubles, il s’agit d’échelles d’hétéroévaluation, les soignants vont évaluer la douleur en fonction du comportement, de l’expression de visages douloureux, etc.

TVB : Dans vos travaux, vous avez prouvé l'efficacité d'ateliers artistiques de chant et de peinture sur la réduction de la douleur chronique chez les personnes atteintes d'Alzheimer. Pouvez-vous nous en dire plus ? IR : Tout à fait, il s’agit de l’étude LACMé. L’hypothèse de départ était que la musique, et notamment le chant, pouvait diminuer la douleur chronique, d’une part de manière physiologique avec la respiration, par exemple, mais aussi par le plaisir d’être dans un groupe, etc. Nous avons donc constitué un essai clinique non médicamenteux avec la méthodologie des


Isabelle Rouch a prouvé avec ses collègues dans l'étude ACMé que les activités culturelles réduisaient les douleurs chroniques chez les personnes atteintes d'Alzheimer.

essais thérapeutiques auprès de patients atteints par la maladie d’Alzheimer, à un stade débutant. Les ateliers, réalisés par une chef de chœur et un peintre professionnels, ont duré 2 mois à raison d’une fois par semaine. Ils se sont clôturés par un concert et une exposition devant les familles. La douleur chronique, l’anxiété, la dépression, la qualité de vie, l’estime de soi et le fonctionnement cognitif ont été mesurés avant les ateliers, puis après. Les personnes qui prenaient ces mesures n’étaient pas au courant du groupe auquel appartenaient les patients, chant ou peinture. Il s’est avéré que les ateliers chant, mais aussi les ateliers peinture ont permis une diminution significative de la douleur chronique. On a interprété cela par l’effet du stimuli de l’atelier, notamment avec la production d’endorphines. On a, dans tous les cas, mesuré une diminution de l’anxiété dans les 2 groupes et une augmentation de l’estime de soi, probablement liée à la fierté d’avoir présenté son travail à ses proches et d’avoir été vu comme des artistes et non plus des patients. Les ateliers chant permettaient une stabilisation de la mémoire, contrairement aux ateliers peinture. Enfin, dans les deux groupes, on constatait une amélioration de l’attention et de la concentration. Nous avons aussi évalué l’évolution des traits de personnalité des patients. Selon la théorie du Big Five, nous fonctionnons tous selon 5 dimensions de personnalités, plus ou moins développées. Il s’agit du névrosisme (l’hyper-réactivité au stress), l’ouverture (la curiosité et l’intérêt intellectuels), l’extraversion (la tendance à l’optimisme et la capacité à être à l'aise dans un groupe), l’agréabilité (l’interaction avec les autres et la capacité à leur faire plaisir) et la conscienciosité (la capacité d’aller au bout de ses projets, la concentration, la témérité, etc.). Dans notre étude, nous avons démontré que les personnes qui avaient un haut niveau de névrosisme n’avaient pas une diminution de la douleur chronique grâce aux ateliers, au contraire. Certains avaient davantage de douleur à la suite des ateliers, probablement parce que ce sont des personnes qui ne sont pas bien en société. Nous recommandons donc plutôt des prises en charge individuelles chez ces personnes, pour réduire l’anxiété sociale qu’ils peuvent avoir.

TVB : Une autre de vos études prouve que la douleur chronique réduit nos capacités cognitives. IR : Oui. Nous avons trouvé dans la littérature existante de nombreuses études qui prouvaient le lien entre déficit cognitif et douleur chronique. Mais puisqu'elles étaient toutes mesurées au même moment, il était donc compliqué de savoir si c’était la douleur qui causait le déficit cognitif. Pour savoir s’il y avait un lien de causalité, nous avons donc fait une étude longitudinale : nous avons mesuré dans le temps (un bilan neuropsychologique tous les 2 ans pendant 15 ans) un groupe qui présentait des douleurs chroniques au départ et un autre qui n’en avait pas, afin d’en tirer des conclusions. Nous avons mesuré l’évolution du fonctionnement cognitif. Nous en avons conclu que le fait d’avoir une douleur chronique au départ HS TVB #21 - P.42

était associé à un déclin cognitif général, et plus particulièrement de ce que l’on appelle la vitesse de traitement de l’information, qui nécessite de l’attention et de la concentration. De plus, plusieurs études suggèrent que les personnes qui ont un moins bon fonctionnement cognitif vont ressentir plus de douleur. La douleur arrive dans le cerveau par l’insula, ou cortex insulaire, dont la partie postérieure est consacrée, entre autres, à la nociception, la réaction physique de notre corps à la douleur (retirer sa main d’une plaque brûlante par reflexe, par exemple), et la partie antérieure est en lien avec la partie antérieure du cerveau (cortex frontal), qui exerce un contrôle émotionnel et cognitif de la douleur. Si l’on présente des troubles anxieux ou dépressifs, on peut moins bien gérer le rétrocontrôle de cette partie et ressentir plus fort la douleur.

TVB : Quelles solutions existent pour réduire la douleur psychique ? IR : De nombreux facteurs interagissent dans la douleur psychique, qui peut être causée par des dysfonctionnements des neuromédiateurs, des composantes génétiques, des histoires et événements de vie, l’éducation, etc. C’est une interaction génétique, neurobiologique et environnementale. Donc on peut agir sur ces facteurs par des traitements psychotropes et/ou un travail sur soi, notamment avec la psychothérapie. Pour réduire la douleur physique, on peut avoir recours à des médicaments comme les opioïdes, les antalgiques ou la morphine mais ils présentent un risque d’accoutumance. Nous devons donc progressivement augmenter la dose et le problème, c’est que cela augmente petit à petit la sensibilité à la douleur, jusqu’à ce que le médicament ne fasse plus vraiment effet. Dans les centres anti-douleur, on pratique parfois un sevrage de ces médicaments. L’activité physique, par exemple, peut être conseillée pour prendre en charge des douleurs d’arthrose. Des techniques d’hypnose ou de sophrologie peuvent également être intéressantes.

TVB : Votre prochaine étude s'attardera sur nos réactions psychiques face à la pandémie actuelle ? IR : Oui, il s’agit de l’étude STERACOVID pour stress, douleur psychique, qualité de vie, personnalité, attachement et coping durant la crise covid. Nous travaillons en étroite collaboration avec le Dr Jean-Michel Dorey, gérontopsychiatre au Centre Hospitalier Le Vinatier, et l’équipe de gériatrie du CHU de Saint-Étienne. Nous sommes partis d’une idée de nos psychologues qui avaient l’impression que certains patients âgés avec des troubles psychiatriques (anxiété, dépression) réagissaient mieux que d’autres aux difficultés du confinement. Nous allons donc nous demander si certains sont davantage à risque de stress post-traumatiques que d’autres. Pour cela, nous allons évaluer des facteurs que l’on estime être des facteurs de risques ou protecteurs, comme le coping, c’est-à-dire la manière de réagir à une difficulté. Les patients bénéficient actuellement d’une première visite évaluant les facteurs potentiellement associés au stress post-traumatique : stratégies de coping, anxiété, qualité de vie, style d’attachement ou type de personnalité. Dans un deuxième temps, nous évaluerons le stress post-traumatique et l’influence des différents facteurs de risque et facteurs protecteurs recueillis en amont. Cela permettra de mieux prendre en charge les patients identifiés comme à haut risque. Laurianne Ploix


« La façon dont on perçoit la douleur dépend de notre héritage psychique et social »

É

ric Bismuth est médecin algologue et responsable du Centre régional d’évaluation et de traitement de la douleur en psychiatrie de l’hôpital Saint Jean de Dieu.

TVB : Le Centre régional d’évaluation et de traitement de la douleur en psychiatrie est unique en France. Comment y arrive-t-on ? EB : Nous recevons des patients qui souffrent de douleur chronique. C’est une douleur persistant plus de 3 à 6 mois, très délétère et avec des répercussions sur le plan social et psychique. Les patients ont déjà consulté un médecin généraliste, un spécialiste, un centre anti-douleur. Notre centre est en 4e ligne car nous sommes le seul en France à prendre en charge des problématiques douloureuses chroniques avec une comorbidité. Nos patients ont mal depuis 4 à 5 ans en moyenne, et ont en plus une dépression, une pathologie psychotique (schizophrénie, etc.), des troubles anxieux dépressifs sévères, des TOC… 80 % d’entre eux ont un diagnostic psychiatrique, et pour 20 % c’est nous qui le mettons en évidence.

TVB : Quelle prise en charge est proposée ? EB : Les patients nous sont adressés par un tiers : médecin généraliste, spécialiste, centre anti-douleur, établissement psychiatrique et CMP. Ils sont reçus par un binôme psychologue et médecin algologue. Il y a une évaluation psychologique, dont on parle en équipe pluridisciplinaire, pour envisager une prise en charge ou des investigations complémentaires. L’équipe est composée de médecins, psychologues, psychiatres, médecins hypnothérapeutes, ostéopathes, infirmiers psychiatriques, neurologues et rhumatologues. La prise en charge dure 1 an et demi à 2 ans en moyenne. Elle peut être technique ou de médiation psychocorporelle, qui permet au patient de prendre conscience que son corps douloureux peut avoir de l’autonomie, que ce n’est pas un « corps machine » qu’il fait réparer. Nous proposons notamment de l’hypnose, de l’activité physique adaptée, comme la marche en groupe ou l’escrime. Nous travaillons aussi sur la réduction des

risques : diminution de la prise de médicaments, addictions, nous faisons beaucoup de prévention suicide également.

TVB : Y a-t-il des spécificités de la douleur chez les patients atteints d’une maladie psychiatrique ? EB : Toute douleur a une répercussion physique, psychique et sociale. La façon dont on perçoit la douleur dépend de notre héritage psychique et social. Malheureusement, quand on prend en charge les patients, on ne se pose pas toujours la question des antécédents et problématiques psychiatriques. Nous réalisons toujours une évaluation des patients ; on mesure leur implication dans le soin, s’ils vont pouvoir le comprendre, être assidus… On est en permanence dans l’adaptabilité.

TVB : Quelles difficultés rencontrent ces patients dans leur parcours médical ? EB : Le fait d’être reconnu comme quelqu’un qui a mal n’est pas forcément évident. Surtout quand rien n’est mis en évidence par les examens de médecine ; c’est typiquement le cas de la fibromyalgie ou des troubles neurologiques fonctionnels. J’insiste : les patients ont toujours un symptôme physique mais derrière il y a un nuage psychique qui amplifie ou perturbe ce signal. Il faut une écoute sincère. À nos équipes, nous disons qu’il faut avoir une conviction aveugle : si le patient dit qu’il a très mal, il a très mal. Quand la confiance est établie, on peut travailler. Nous avons de très bons résultats. Chez certains patients, la douleur ne partira pas car elle a un sens. Il faut faire en sorte que ce soit vivable. Marie Albessard

Le Dr Éric Bismuth a crée le premier centre anti-douleur en psychiatrie. © Éric Bismuth


Détecter la douleur pour réduire les troubles du comportement

L

La douleur est le facteur le plus fréquent d’apparition des troubles du comportement chez les personnes avec trouble du spectre de l’autisme (TSA). Les explications du Dr Arnaud Sourty, praticien hospitalier et médecin algologue (de la douleur), membre de l'Équipe Mobile Autisme (EMA) et du Centre de ressources autisme Rhône-Alpes.

TVB : Pourquoi la douleur est-elle difficile à détecter pour les personnes avec TSA ?

Selon le Dr Sourty, les troubles du comportement peuvent parfois être le reflet d'une douleur physique et non psychique chez les personnes porteuses de troubles autistiques.

AS : Pour trois grandes raisons. La première c’est qu’il y a un problème lié à la communication. Parfois, il existe un langage. Mais pour les personnes les plus touchées, il n’est pas significatif, c’est-à-dire qu’on est plutôt dans ce qu’on appelle l’écholalie, la répétition de mots, de phrases apprises ou entendues, mais qui n’ont pas le sens attendu. Donc la communication doit être évaluée, pour savoir s’il vaut mieux passer par le langage, le visuel, la gestuelle ou un mélange de tout ça. Le deuxième point, c’est qu’il y a un trouble du schéma corporel dans cette population. Alors même qu’ils sont capables de dire où se situent leur tête, leurs jambes, quand ils ont mal, ils ne ressentent pas spécifiquement la douleur à ces endroits. Une personne avec TSA pourrait se taper la tête, se mordre la main alors qu’elle a une jambe cassée. Puis le troisième point, c’est l’aspect de la sensorialité. Il y a dans cette population des troubles sensoriels importants, avec parfois une hypo ou une hyper sensorialité sur certains aspects auditifs, visuels, cutanés ou vestibulaires. Tout cela va beaucoup troubler leurs sensations douloureuses. Et donc on peut observer, pour certains, des automutilations : se faire mal peut servir à masquer une douleur. Ils se disent : « personne n’a compris que j’avais mal au ventre, et j’ai très mal. Du coup, si je me mords la main ou que je me tape fort, ça produit une autre douleur et ça masque celle que je ne maîtrise pas. » Donc il y a ces trois aspects à connaître dans cette population TSA, qui font que le diagnostic de la douleur est un peu difficile.

TVB : Dans certains cas, c’est donc la douleur qui provoque des troubles du comportement ? AS : Oui. Puisque très souvent, on ne comprend pas bien ce qu’il se passe, ça peut engendrer des gros

troubles du comportement. On s’attarde alors sur le danger que peut constituer l’agitation, l’automutilation, les cris, la violence. On veut calmer ce comportement, avec des traitements psychotropes, par exemple, alors qu’en réalité, on est souvent sur un problème douloureux, somatique. On a donc des gens qui ont de gros traitements, qui sont souvent un peu « shootés » mais avec une agressivité qui peut être importante, alors que le traitement adapté, ce n’est pas les psychotropes mais la mise en évidence de la douleur et l'étiologie de cette douleur. On est en train de faire une recherche pour connaître la proportion de ces cas. De façon totalement empirique, dans notre pratique, on est à plus d’un cas sur deux, c’est quand même beaucoup.

TVB : Comment alors détecter cette douleur ? AS : Il y a des outils, qui sont plutôt de l’hétéro-évaluation, et pas de l'auto-évaluation. On a plusieurs grilles. Nous, on utilise la GED-DI, c’est une grille de la douleur qui nous permet de concrétiser notre intuition. L’avantage de cette grille par rapport aux autres est qu’elle mesure la fréquence des troubles, et pas leur intensité. Si la fréquence des troubles augmente, c’est probablement qu’il y a une douleur. Ensuite, on essaye de trouver la cause de la douleur, et là tout est possible. Mais il y a quand même deux grands domaines qu’on retrouve dans la majorité des cas : les problèmes dentaires et les problèmes digestifs.

TVB : Est-ce que la prise en charge de la douleur des personnes avec TSA est en train de changer ? AS : Oui, notamment grâce au travail qu’on fait avec le Centre de ressources autisme Auvergne-Rhône-Alpes, comme former les professionnels qui travaillent dans les structures médico-sociales. Je trouve qu’il y a un « réflexe douleur » bien plus présent aujourd’hui qu’avant. Les gens qui utilisent cette grille GED-DI améliorent la prise en charge des patients, et dans certaines structures, ça a permis de diviser par deux ce que l’on appelle les événements indésirables, c’est-à-dire l’agressivité et la violence, car on a pu mettre des choses en place, sous forme de traitement ou d’examen, et apaiser plus rapidement les gens. Donc je trouve que le travail de fond, de formation des équipes, commence à payer. Depuis 10 ans on a très largement amélioré la qualité de vie de ces personnes, la prise en charge, et même au niveau des professionnels, on a moins de personnes qui se trouvent « maltraitantes ». Raphaëlle Vivent


© Unafam

Accompagner les aidants dans et face à la douleur

L

'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (l'UNAFAM) accueille, forme et accompagne les proches dans la durée. Entretien avec Marie-Cécile Paul, bénévole à l'UNAFAM Métropole de Lyon et Rhône, depuis 12 ans.

TVB : Pouvez-vous nous présenter l'UNAFAM ?

TVB : Comment peuvent-ils soutenir les personnes qu'ils accompagnent face à cela ? MCP : L'important est d'utiliser les techniques apprises lors des formations pour savoir se comporter au mieux avec ses proches. Il faut les encourager et les remercier régulièrement. Il faut éviter de leur donner des conseils, puisqu'ils ont déjà une estime d'eux-mêmes très faible. Tous ces « petits trucs » vont leur permettre d'améliorer la relation avec leurs proches, cela renforcera leur rétablissement.

TVB : Comment conseillez-vous aux aidants de faire face à la douleur psychique ?

MCP : L'UNAFAM est une association nationale, reconnue d'utilité publique, qui rassemble amis et familles de proches souffrant de troubles psychiques. Ces troubles peuvent être de l'ordre de la dépression résistante, la bipolarité, la schizophrénie, etc. 6 % de la population est concernée. Il y a 15 000 familles adhérentes à travers la France, dont 600 dans le Rhône, avec 65 bénévoles. Nous savons pourtant que trop peu de familles se font aider, 9 familles sur 10 se débrouillent seules face aux difficultés.

MCP : C'est très important de ne pas rester seul, de ne pas s'oublier, voir des amis, faire du sport, de ne pas garder la tête dans le guidon. On met beaucoup de temps à en parler car on a honte, on se sent coupable. Pourtant, la maladie psychique est une maladie comme une autre. Nous faisons en sorte de sensibiliser la famille à l'importance du travail à faire sur soi et vers le proche, et surtout à prendre conscience qu'il s'agit d'un travail impossible à mener seul.

TVB : Comment intervenez-vous auprès des aidants ?

TVB : La demande de conseils, de suivi a-t-elle augmenté avec la crise sanitaire ? Si oui, comment vous êtes-vous adaptés ?

MCP : Les bénévoles de l'association, qui ont tous un proche souffrant de troubles psychiques, reçoivent une formation initiale, puis une formation avec des analyses de la pratique conduite par des psychologues. Notre rôle est de recevoir les familles, de les écouter et de les comprendre. Nous les aidons à dépasser les traumatismes et leur proposons des formations pour comprendre la maladie. En la connaissant mieux, cela leur permet d'avoir des attentes réalistes en ce qui concerne leurs proches et de les accompagner au mieux.

MCP : Beaucoup d'aidants sont en dépression probable. On a vu qu'avec le confinement, ce taux a fortement augmenté. L'UNAFAM a mis à leur service des outils numériques et les suivis et consultations par téléphone ont continué. Il est possible d'appeler le standard de l'UNAFAM tous les jours, du lundi au vendredi. Élodie Horn

HS TVB #21 - P.45


RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES AUTOUR DE LA SANTÉ MENTALE Liste non exhaustive

Numéros de téléphone utiles Croix-Rouge Écoute

Service de soutien par téléphone (solitude, dépression, violence, addictions, etc.) 0 800 858 858 (7j/7 8h à 20h)

Plateforme téléphonique Information COVID-19

Orientation vers une ligne de soutien psychologique (Gouvernement) Aide pour les personnes en détresse psychologique pendant l’épidémie 0 800 130 000 (7j/7 24h/24)

SOS Amitié

Accueil et écoute des personnes en détresse et de leur entourage 09 72 39 40 50 (7j/7 24h/24) 01 46 21 46 46 (langue anglaise)

Solitud’écoute

Pour les personnes de plus de 50 ans en situation d’isolement 0 800 47 47 88 (7j/7 15h-20h)

SOS Confinement

Pour toute personne inquiète ou angoissée, qu’elle soit confinée ou déconfinée 0800 19 00 00 (7j/7 9h-21h)

Autisme Info Service

Dispositif gratuit et national d’écoute, aide, information et orientation par téléphone, mail et chat, pour les personnes avec autisme, leur entourage et les professionnels intervenant à leurs côtés 0 800 71 40 40 (lundi au vendredi 9h-13h et mardi 18h-20h)

des troubles schizophréniques 01 45 89 49 44 (lundi, mercredi et vendredi 13h30-18h30)

Avec Nos Proches

Appel/chat anonyme et gratuit 0 800 23 13 13 (7j/7 de 8h à 2h)

Ligne nationale des aidants 01 84 72 94 72 (7j/7 8h-22h)

Argos 2001

Aide aux personnes souffrant de troubles bipolaires et à leurs proches 01 46 28 01 03 (lundi au vendredi 10h-13h)

France Dépression

Suicide écoute

Écoute anonyme, apolitique et aconfessionnelle 01 45 39 40 00 (7j/7 et 24h/24)

Drogues info service

Allo écoute parents

Écoute anonyme et confidentielle avec un psychologue, pour les parents 06 01 18 40 36 (lundi au vendredi 13h-15h)

Etudiante ou étudiant en souffrance (SPS)

Aide aux personnes souffrant de troubles dépressifs et à leurs proches 07 84 96 88 28 (lundi au vendredi 14h-19h)

Ecoute anonyme et confidentielle des étudiants préoccupés par un avenir incertain, la solitude, l’isolement, la précarité 0 805 23 23 36 (24h/24 et 7j/7)

Écoute-famille Unafam

Fil santé jeunes

Information, orientation et soutien psychologique de personnes confrontées aux troubles psychiques d’un proche 01 42 63 03 03 (lundi au vendredi 9h-13h et 14h-18h)

Écoute anonyme, information et orientation des jeunes de 12 à 25 ans et chat individuel en ligne 0 800 235 236

Schizo ? Oui !

Consultations gratuites dans le Grand Lyon

Information, orientation et soutien psychologique par et pour des personnes concernées par

La Métropole de Lyon a

mis en place avec la fondation ARHM des consultations psy-

chologiques gratuites dans 5 maisons de la Métropole, à Lyon 3, Vénissieux, Grigny, Vaulx-en-Velin et Givors. point.ecoute.lyon3@grandlyon.com

Ligne Info Vinatier Écoute (LIVE)

Plateforme d'écoute destinée aux personnes souffrant de troubles mentaux. 04 37 91 55 99 (8h à 20h) LIVE@ch-le-vinatier.fr Et si besoin, les urgences psy.

Associations et groupes d'entraide Retrouvez la liste des Groupes d'entraide mutuelle (GEM) de toute la France sur www.psycom.org/sorienter/ les-groupes-dentraide-mutuelle

Métropole Aidante

Aide aux aidants dans le Grand Lyon www.metropole-aidante.fr

Santé Mentale France

Une fédération d'acteurs de la santé mentale (établissemnts médico-sociaux, GEM, associations, etc.) santementalefrance.fr

Formation aux premiers secours en santé mentale https://pssmfrance.fr


HORS-SÉRIE JEUNESSE

CONTACTS DES STRUCTURES ÉVOQUÉES DANS LE MAG

Comédie de Valence

Structures et actions culturelles La Ferme du Vinatier

Centre Hospitalier Le Vinatier 95 boulevard Pinel Bron 04 81 92 56 25 www.ch-le-vinatier.fr/ferme Accueil les après-midis pour le centre de documentation, l'artothèque, les expositions et à l'occasion des différentes actions culturelles. Un appel à projet interne, Éclats d'Art permet aux services du Vinatier de monter des projets culturels. laferme@ch-le-vinatier.fr

Insolite Fabriq

Compagnie de théâtre intervenant sur les questions du handicap insolitefabriq.alged.com

Flous Furieux

Collectif de photographes singuliers www.lesflousfurieux.net

Maison de la Danse

www.maisondeladanse.com

Théâtre National Populaire

www.tnp-villeurbanne.com

Centre dramatique national Drôme-Ardèche avec Tiphaine Rabaud www.comediedevalence.com

Compagnie Procédé Zèbre

Compagnie vichyssoise intervenant à Clermont-Ferrand www.procedezebre.com

Radio Passage

Atelier de création radiophonique avec le comédien Stéphane Daublain à Lyon http://radiopassage.fr

Artistes et structures collectives Lou Lubie

Scénariste et dessinatrice BD www.loulubie.fr

Chloé Cédille

Musicienne piano et accordéon chloecedille.com

Les Arts Visibles

Collectif d'artistes porteurs de troubles psychiques lesartsvisibles.wordpress.com

Arts Convergences

Association de création de projets culturels avec des artistes expérimentés et des personnes ayant des difficultés psychiques. artsconvergences.com

Ressources évoquées Interstices

Association d'acteurs autour des projets Culture et Santé 04 81 92 56 27 www.interstices-auvergnerhonealpes.fr

Unafam 69

Union nationale de familles et amis de personnes malades handicapées psychiques 66 rue Voltaire 69003 Lyon 04 72 73 41 22 www.unafam69.org

Centre douleur du Centre Hospitalier Saint Jean de Dieu

290 route de Vienne 69008 Lyon 04 37 90 10 10 http://sjd.arhm.fr/consultations/consultations_specialisees/centre_douleur

Centre Ressource Réhabilitation

Le centre ressource met en œuvre des actions de formation, d’information et de recherche scientifique. Son principal objectif est de diffuser les concepts et techniques de réhabilitation psychosociale. www.centre-ressourcerehabilitation.org

Panorama

Atlas de la santé mentale dans le monde www.who.int/mental_health/ evidence/atlas/mental_health_ atlas_2014/fr/

Publications de l'ONU sur la santé mentale www.who.int/mental_ health/publications/fr

Réprésentations et stigmatisations autour de la santé mentale https://solidarites-sante.gouv.fr/ IMG/pdf/Annexe_3_DREES_-_ Representations_de_la_sante_ mentale.pdf

Santé mentale et psychiatrie

https://solidarites-sante.gouv.fr/ IMG/pdf/180628_-_dossier_de_ presse_-_comite_strategie_sante_ mentale.pdf

Psycom : Infos sur la santé mentale www.psycom.org

Fondation FondaMentale

www.fondation-fondamental.org/ les-maladies-mentales/idees-recues/chiffres-cles

Fondation Apicil

Reconnue d’Utilité Publique en 2004, la Fondation APICIL apporte aux soignants, chercheurs et associations, un accompagnement souple et efficace pour les aider à innover au service des personnes rendues vulnérables par la douleur, dans toute la France. https://fondation-apicil.org

Retrouvez les personnes interrogées et les acteurs du projet lors de la soirée Culture et Santé Mentale du 29 avril au Musée Gadagne plus d'infos en dernière page et sur http://toutvabienlejournal.org


Soirée Culture & Santé Mentale Le jeudi 29 avril de 19 h à 22 h au Musée Gadagne 1 place du Petit Collège à Lyon 5

Restons en contact Vous avez une question, une remarque, une envie, écrivez-nous à contact@toutvabienlejournal.org Vous souhaitez nous soumettre un sujet, une idée, chercher des solutions avec nous, écrivez-nous à comiteredac@toutvabienlejournal.org Vous souhaitez organiser un atelier Decrypt’info, Crée ton journal ou un ciné-débat avec nous, écrivez-nous à actionssocioculturelles@toutvabienlejournal.org Vous avez envie d’organiser un événement pour découvrir des solutions avec nous, écrivez-nous à partenariats@toutvabienlejournal.org

À l’occasion de la sortie de ce hors-série, TVB a le plaisir de vous inviter à une soirée autour de la culture et de la santé mentale le jeudi 29 avril de 19 h à 22 h au Musée Gadagne. Au programme de cette soirée gratuite : - la rencontre avec les participants du projet ; - une conférence du Professeur Franck ; - un quiz sur les stéréotypes de santé mentale dans le cinéma ; - un buffet savoureux ; - un concert de l'artiste Chloé Cédille. Lors de cette soirée, vous pourrez récupérer d’autres exemplaires de ce hors-série qui sera distribué gratuitement.

Et retrouvez-nous sur la toile Tout Va Bien, le journal local qui réinvente demain @toutvabiennews

Au plaisir de vous rencontrer ! Tout Va Bien, le journal qui réinvente demain

Si l'événement en présentiel venait à être annulé du fait de la crise sanitaire, il sera organisé en visio : suivez-nous sur les réseaux sociaux ou notre site internet pour rester informés. http://toutvabienlejournal.org

remercie les partenaires ayant rendu l'ensemble de ce projet possible :

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