Les gouvernements militaires

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Pakistan : l’espoir interdit

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Ainsi Nawaz Sharif n’avait pu rester plus de quelques heures dans son pays, arrêté dès sa sortie de l’avion lors de son retour d’exil en septembre 2007. Ainsi le président Pervez Musharraf, après avoir déposé son uniforme de général et chef des armées, avait déclaré l’état d’urgence le 3 novembre, suspendant la constitution, révoquant ou mutant nombre de hauts fonctionnaires, muselant les médias, et emprisonnant près de cinq cents personnes.

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éanmoins, Nawaz Sharif avait pu finalement retourner au Pakistan afin d’entrer en campagne pour les élections initialement prévues le 8 janvier 2008, grâce à l’abolition de l’état d’urgence par Pervez Musharraf le 15 décembre. Malgré le boycott des élections annoncé par Benazir Bhutto, celles-ci laissaient entrevoir l’ouverture possible d’une période de stabilité démocratique. L’assassinat de Benazir Bhutto à Rawalpindi le 27 décembre est venu noyer l’espérance. Il serait surprenant que la stabilité soit rétablie d’ici aux élections (nationales et fédérales), repoussées au 18 février 2008. La succession du parti de Benazir Bhutto, le Pakistan People’s Party, fondé par son père Zulfiqar Ali Bhutto, est revenue à son fils, Bilawal, âgé de 19 ans, confirmant une tendance dynastique si courante en Asie du Sud. Ne nous méprenons pas, Musharraf n’est pas un démocrate, et s’il a mis de côté l’uniforme militaire, c’est pour mieux contrôler l’armée par l’intermédiaire du loyal Ashfaq Kiyani, ancien chef des services secrets, tout en conservant la présidence de l’État. Musharraf a goûté à l’état d’urgence et à la virulente pression américaine qui va de pair, et ne fera plus l’erreur de lever la façade démocratique du Pakistan. Une prise du pouvoir par l’armée demeure improbable puisque Musharraf jouit encore de son soutien, mais de toute évidence, celle-ci n’est pas prête d’abandonner son rôle politique. Les Pakistanais ont l’habitude du débordement de l’armée dans le jeu politique. Après la mort de Mohammad Ali Jinnah en 1948 et l’assassinat du Premier Ministre Liaquat Ali Khan en 1951, le contrôle du pouvoir est revenu à l’armée.

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Depuis lors, les putschs militaires rythment la vie politique du pays : Ayub Khan (1958), Yahya Khan (1969), Zia ul-Haq (1977) et Pervez Musharraf (1999) prirent tous le pouvoir par la force. Ce rôle de l’armée a toujours été justifié par la menace de désintégration de l’Etat, la Cour Suprême invoquant la « doctrine de la nécessite » pour légitimer les coups d’Etat. Le Pakistan est en effet une nation artificielle née de la partition de l’Inde britannique, et que seules deux institutions maintiennent sous un semblant d’unité : d’une part, la religion, et d’autre part, l’armée. Paradoxalement, l’armée ne peut se passer de l’extrémisme religieux pour se maintenir au pouvoir. En effet, la religion étant le fondement idéologique de la nation pakistanaise , les militaires ne peuvent justifier leur contrôle des rênes du pouvoir sans invoquer l’Islam. Ceci explique l’utilisation de l’extrémisme par les autorités (sous Zia ul-Haq, avec la mise en place d’un « programme d’islamisation, » comme sous Musharraf, avec par exemple le débat sur l’ordonnance Hudood) pour constamment rappeler le fondement théorique de la nation pakistanaise, tout en créant un désordre justifiant le maintien de l’armée au pouvoir. Néanmoins, l’extrémisme religieux, après avoir allègrement bourgeonné sous l’ère Musharraf, a déclaré la guerre à ce dernier depuis l’assaut militaire sur la Laal Masjid en juillet dernier. L’armée a perdu plus de 200 soldats au Waziristan, zone tribale frontalière de l’Afghanistan et bastion islamiste. Malgré les pressions américaines, Islamabad ne peut donc se permettre facilement de retirer son soutien aux extrémistes.

Photo: Militaires gardant le mausolée du Quaid-i-Azam Mohammad Ali Jinnah, à Karachi, juillet 2007 © 2007 Julien Levesque

De plus, depuis la sécession du Pakistan oriental et la création du Bangladesh en 1971, les autorités craignent les mouvements autonomistes du Sind et du Baloutchistan, nourris par une trop inégale répartition des ressources entre provinces. Outre cette disparité économique, Sindhis et Baloutchis sont également victimes d’une « minoritarisation » sur leurs propres terres , ce qui provoque une colère à laquelle les autorités pakistanaises n’ont jamais su répondre autrement que par la force. Sauver le Pakistan du chaos et du terrorisme était le prétexte invoqué par Pervez Musharraf lors de la déclaration de l’état d’urgence, et sera

sans doute l’objet des élections prochaines. Le probable manque de légitimité des élections ne peut que renforcer l’autorité de Musharraf, en qui les États-unis voient toujours un fidèle allié de la lutte contre le terrorisme, et dont le maintien au pouvoir face aux multiples contestations doit beaucoup à leur soutien. Alors que beaucoup voient aujourd’hui en Musharraf la cause plutôt que la solution du problème, la marge de manœuvre du prochain premier ministre sera certainement mince, l’empêchant ainsi de contenir ou de répondre correctement aux revendications régionales comme à la montée de l’extrémisme.

Julien Levesque 4ème année, en année de césure en Inde

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