Standard n°9

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Complaintes et désillusions : «A part faire de l’argent, on n’a plus le droit à rien, fumer, danser, écouter de la musique... en plus, ton immeuble de la Factory sur la 33ème rue, il vient d’être racheté par un promoteur pour devenir un luxueux complexe immobilier». Ma quête du Graal commence mal. Mais ce n’était pas facile non plus pour le Gallois Perceval. Je rentre à pied par Houston Street quand, attiré par la lumière, me voilà dans une sorte de grande boutique vide en rez-de-chaussée, alpagué par une hystéro qui glisse sa business card : «Je fais du porno» dans la poche de mon jean, en m’embrassant au coin des lèvres. «Salut, moi c’est Nicole ! Ce soir on fête la sortie du nouveau Sweet Action1, tu connais ? Un magazine porno à l’usage des filles hétéros. Notre «sweet action» du moment, c’est le «bukakee», ou si tu préfères, l’éjaculation faciale. Il serait temps que les filles aussi puissent

éjaculer sur la gueule de leur partenaire, leur inonder la face, tu crois pas ?». Derrière le sourire et le discours militant, je devine distance et dérision. Je repars avec le magazine sous le bras, une dizaine d’autocollants et des badges aux couleurs de l’action douce… sans réelle sensation underground. Combinaisons dorées Je traîne alors dans les soirées branchouilles du «meat packing district», où mon foulard à cinq euros de friperie marseillaise fait l’unanimité : «Waooh, c’est Lanvine ?». Un type, la cinquantaine, m’offre à boire. C’est la première fois qu’un de ses spectacles est sélectionné à Broadway. Il me propose d’aller fêter ça au «Cock»2, l’un des trois-quatre derniers clubs où l’on peut encore fumer… L’endroit est sombre, petit et surpeuplé. La clientèle, 80% gay, fait la fête clope au bec sous des airs de prohibition. Les gens s’absentent

parfois pour se remettre un peu de poudre sur (et dans) le nez. Sur fond d’italo-disco, quinze mecs en combinaisons dorées envahissent le comptoir. A quatre heures du matin, l’un de ces danseurs m’interpelle. Anthony, on s’est déjà rencontrés, il s’en souvient : «On fait partie du collectif Unisexuniform3», me précise-t-il. J’apprends que l’idée est née en 2004 dans la tête de Lauren Boyle, une ancienne élève en sculpture de la Pratt University. Elle a décidé de créer l’avatar «attitude» du manifeste «dessin» de «Superstudio»4, un groupe d’architectes italiens des seventies, qui critiquaient le pragmatisme de l’architecture en imaginant exclusivement des monuments en forme de cube en verre. Le dogme que les Italiens avaient couché sur papier, les membres d’Unisexuniform le portent : «Nous sommes cinquante aux USA, cinquante à Londres. En adoptant ce costume, on adhère à une manière de déranger…», poursuit Anthony. Ces


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